Mercredi 5 février 2025
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Les défis de la forêt française à l'heure du changement climatique - Audition de l'Office national des forêts (ONF), de la Fédération des forestiers privés de France (Fransylva), de l'Unité mixte de recherches de physique et physiologie intégratives de l'arbre en environnement fluctuant (PIAF) et de l'Agence de la transition écologique (Ademe)
M. Jean-François Longeot, président. - Notre table ronde ce matin consacrée aux forêts françaises a pour objet d'évoquer notamment les pressions et menaces que le changement climatique fait peser sur ces écosystèmes complexes et fragiles. Ce sujet me tient particulièrement à coeur : dans le Doubs et en Bourgogne-Franche-Comté, la forêt a joué - et continue de jouer - un rôle économique et social de premier plan, tout autant qu'elle a contribué à forger notre identité. C'est naturellement le cas dans beaucoup d'autres régions, et nos collègues sénateurs le savent bien.
La forêt constitue un milieu dont les productions et les ressources ont bien souvent permis aux hommes de traverser les heures sombres de l'histoire et de survivre aux famines. Aujourd'hui, de multiples facteurs de pression, climatiques, météorologiques, hydriques et biologiques, s'exercent sur les arbres et la forêt souffre, en dépit de la progression continue du couvert forestier national, qui s'élève désormais à 32 % du territoire. Nous devons nous intéresser au sort de la forêt et être à son chevet pour diagnostiquer les maux qui l'affectent et imaginer les remèdes pour la soigner. L'inventaire forestier national produit chaque année par l'IGN, qui fait office de « thermomètre des forêts » ou de « carnet de santé forestier », indique une forte hausse de la mortalité des arbres et une stagnation du nombre total des arbres vivants, qui intervient après une progression continue ces dernières décennies.
Nous avons un double intérêt à nous préoccuper de la santé des forêts : pour elles-mêmes, comme milieux, réservoirs de biodiversité, facteurs d'aménités et de récréation pour les usagers de la forêt, mais également en considérant les services écosystémiques qu'elles rendent - régulation du climat, absorption de carbone, protection face aux aléas naturels, régulation de la qualité de l'eau, etc. Si les forêts font partie du panel des solutions qui nous permettront de réussir la transition écologique et de lutter contre la sévérité de l'effet de serre, n'oublions pas qu'elles en sont également les victimes... Des aléas climatiques à répétition, au premier rang desquels les stress hydriques et les fortes chaleurs, la dégradation des sols, mais également des maladies et des attaques biologiques occasionnées par des champignons, des insectes ou des bactéries, fragilisent les arbres et amoindrissent la résilience des forêts. La mortalité des arbres s'accroît : au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à un doublement de la mortalité annuelle des essences, notamment due aux crises sanitaires liées à des conditions climatiques à la fois difficiles pour les arbres (sécheresses et températures élevées) et propices aux insectes xylophages, notamment les scolytes.
Les forêts sont de plus en plus exposées à des conditions pédoclimatiques qui diffèrent de celles qui ont permis leur développement. Aujourd'hui, de grandes incertitudes pèsent sur l'avenir des forêts tempérées et méditerranéennes présentes sur le territoire français. La semaine dernière, l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) a mis à jour sa Liste rouge des écosystèmes en France, en évaluant les forêts de montagne de l'Hexagone et de Corse. Les constats sont sans appel : parmi les dix-neuf écosystèmes évalués, dix sont menacés et six apparaissent quasi-menacés. L'urgence est bien caractérisée : la plupart des voyants de la forêt passent à l'orange et certains sont déjà au rouge. L'organisme conclut sa revue en insistant sur la difficulté de prévoir les trajectoires futures des forêts « face au cocktail de pressions qu'elles subissent ».
Ces premiers éléments de bilan sont connus et publics. Mais ce qui nous intéresse ce matin, c'est d'aller plus loin et d'échanger avec des scientifiques dont l'arbre est l'objet d'étude, qui en connaissent à ce titre intimement le fonctionnement, des racines au houppier, ainsi que les interactions avec l'environnement, mais également des spécialistes de la gestion forestière, pour approfondir ces constats, mais surtout évoquer des solutions pour accroître la résilience des espèces arborées, la régénération des forêts et permettre d'accompagner l'émergence d'un écosystème forestier adapté aux conditions climatiques de demain. Pour ce faire, nous avons le plaisir d'accueillir parmi nous : Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'Office national des forêts (ONF) ; Antoine de Ponton d'Amécourt, président de la Fédération des forestiers privés de France (Fransylva) ; Philippe Label, directeur de l'Unité mixte de recherches Piaf, pour Physique et physiologie intégratives de l'arbre en environnement fluctuant ; et Jérôme Mousset, directeur bioéconomie et énergies renouvelables de l'Agence de la transition écologique (Ademe). Nos invités nous expliqueront notamment leur vision du renforcement de la capacité des forêts à faire face à la nouvelle donne climatique et les solutions que les gestionnaires forestiers doivent s'abstenir de mettre en oeuvre, afin d'éviter les phénomènes de maladaptation climatique.
Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'Office national des forêts (ONF). - En guise d'introduction, j'aimerais rappeler deux points.
Tout d'abord, il est essentiel d'avoir à l'esprit trois chiffres issus de l'Inventaire forestier national de l'IGN : sur une période de dix ans, la mortalité des forêts a été multipliée par deux ; la croissance des forêts a diminué de 10 % ; et la capacité d'absorption des puits de carbone forestiers, permettant la séquestration du carbone par l'écosystème forestier, a été divisée par deux. Les connaisseurs de la forêt savent qu'une période de dix ans est très courte à l'échelle d'un cycle forestier, ce qui signifie que les évolutions que nous observons sont rapides et massives.
Ensuite, nous devons collectivement nous poser une question fondamentale : faut-il que l'homme intervienne ou doit-on laisser la nature s'adapter spontanément à cette nouvelle donne ? La position de l'ONF est claire : nous estimons qu'il faut intervenir activement. La nature et les forêts ont certes des capacités d'adaptation extrêmement fortes, mais les évolutions climatiques se produisent à une vitesse bien supérieure aux capacités d'adaptation des écosystèmes : la trajectoire climatique annoncée prévoit une augmentation des températures de quatre degrés à horizon 2100. En considérant les évolutions climatiques passées, cette élévation des températures se serait produite sur une période d'environ 12 000 ans, et non pas seulement soixante-dix ans. L'extrême rapidité du choc thermique et la fréquence des sécheresses touchant les forêts nous imposent d'intervenir efficacement pour accompagner l'adaptation d'écosystèmes dont les cycles de vie sont longs.
La France présente une grande diversité,
tant forestière que climatique. Notre pays est le seul en Europe
où coexistent quatre types de climats : le montagnard, le
méditerranéen, l'océanique et le continental. De cette
hétérogénéité climatique sont nés des
milieux naturels variés. C'est une véritable chance : face
au changement climatique, la diversité constitue l'un des principaux
leviers de résilience et d'adaptation des écosystèmes. Il
est donc nécessaire d'établir un diagnostic des
vulnérabilités forestières pour l'ensemble du territoire
national
- l'ONF dispose pour ce faire d'outils appropriés. Cette
carte de vulnérabilité forestière, qui mettra en
évidence des situations contrastées, est un préalable
indispensable à l'élaboration et l'adaptation d'une
stratégie de réponse différenciée et
graduée. S'il est probable qu'une moitié de la forêt
française résiste à une augmentation des
températures moyennes de l'ordre de quatre degrés, sous
réserve de quelques ajustements mineurs, l'autre moitié se
retrouvera en situation d'inconfort climatique marquée. Pour les espaces
forestiers qui basculeront dans l'inconfort climatique, trois niveaux de
réponses graduées ont été prévus.
La première réponse consiste à modifier la combinaison des essences déjà présentes afin de renforcer la proportion des essences les plus résilientes au climat futur et réduire celles qui sont les plus vulnérables. Le hêtre étant par exemple plus sensible que le chêne, il faut donc accroître la place du chêne au détriment de celle du hêtre dans l'ensemble des chênaies. Cette action peut s'opérer par régénération naturelle, sans plantation.
Le deuxième niveau de réponse sera déclenché dans les forêts où toutes les essences sont jugées vulnérables au changement climatique : dans cette hypothèse, une migration assistée sera nécessaire. Cette méthode consiste à sélectionner des essences résistantes à la sécheresse et à la chaleur dans les zones les plus méridionales de notre pays - comme le pin maritime, le cèdre ou le chêne pubescent -, puis à les introduire dans les écosystèmes des régions plus septentrionales.
Mais lorsque l'on considère les régions déjà exposées à la chaleur et à la sécheresse, comme la région méditerranéenne française, celles-ci sortiront, sous l'effet de la progression de la hausse des températures, des modélisations climatiques qui guident aujourd'hui notre action. Il faudra donc activer le troisième levier de réponse. Aujourd'hui, il n'est pas possible de prédire avec précision la manière dont les espaces forestiers seront affectés à l'avenir. Si nous ne trouvons pas sur le territoire national des espèces capables de s'adapter aux conditions futures, il faudra envisager, avec prudence, l'importation d'essences de pays voisins, notamment du bassin méditerranéen où les conditions climatiques sont plus sévères qu'en France.
Outre ces pistes, j'insiste sur la nécessité d'alimenter la filière forestière en graines et en plants performants : nous ne pas réussirons à mettre en oeuvre les solutions fondées sur la plantation seulement si nous disposons de suffisamment de graines et de plants.
Antoine de Ponton d'Amécourt, président de la Fédération des forestiers privés de France (Fransylva). - En tant que président de Fransylva, la fédération nationale qui regroupe soixante-treize syndicats départementaux ou interdépartementaux de propriétaires forestiers et sylviculteurs, je tiens à rappeler que tous les départements comptent des représentants de ces syndicats.
La forêt occupe un tiers du territoire national. 25 % de ces forêts sont publiques et 75 % sont privées. Les particuliers, qui représentent trois millions et demi de familles, se transmettent de génération en génération leur patrimoine forestier et essaient de gérer au mieux une forêt pour laquelle ils éprouvent une grande affection, car la forêt est un havre de paix. Je préfère parler des « forêts françaises » plutôt que de la « forêt française », car la réalité forestière varie grandement d'une région à l'autre : la forêt de Provence-Alpes-Côte d'Azur n'est pas celle de Normandie, pas plus que celle des Landes n'est comparable à celle du Grand Est. Ces réalités contrastées signifient également des problèmes variables d'un massif à l'autre.
Il y a une décennie, certains se réjouissaient de la présence accrue de carbone dans l'air au motif que cela contribuerait à une croissance plus rapide des arbres. Nous avons depuis réalisé que le climat et les variations de pluviométrie menaçaient la forêt. Les arbres, fragilisés par le changement climatique, développent des pathogènes et dépérissent. Cette situation impose de trouver des solutions pour accompagner les propriétaires.
La forêt a connu bien des changements : avant la découverte des énergies fossiles, la forêt constituait une source énergétique majeure. L'émergence des grandes propriétés forestières privées est concomitante des débuts de l'industrialisation. C'est pourquoi la France compte trois millions et demi de propriétaires forestiers : la forêt répondait aux besoins en énergie des exploitations agricoles, des villages, des boulangeries... L'exploitation du bois a drastiquement diminué avec l'arrivée du pétrole dans les années 1960 : les maisons ont commencé à être construites sans cheminée, avec des meubles en formica et des charpentes métalliques.
Dans les forêts privées, seuls 60 % de la production biologique annuelle est récoltée. Or il faut revoir nos pratiques : sous l'effet du changement climatique, les vieux arbres non-récoltés ne supportent plus la chaleur, comme l'a montré l'été 2022, et dépérissent. Lorsque j'ai réalisé mon plan de gestion forestière il y a quelques années, on m'a recommandé, pour la gestion de mes taillis sous futaies - un régime sylvicole mélangeant chênes pédonculés et châtaigniers -, de privilégier le châtaignier au chêne pédonculé, puisque ce dernier aurait du mal à supporter l'augmentation de 2,5°C. J'ai donc privilégié le châtaignier, qui est en train de dépérir, atteint de la maladie de l'encre ; dans le même temps, certains chênes pédonculés ont résisté, car tous ne sont pas dotés de la même génétique.
Aujourd'hui, notre travail de sylviculteur ne consiste plus à sélectionner le plus bel arbre, mais celui qui supporte le mieux le dérèglement climatique, en tenant compte des évolutions à l'oeuvre : les sylviculteurs ont la particularité unique de vivre du travail des générations précédentes et de travailler pour les générations futures. Je ne connais pas d'autre métier analogue. C'est pourquoi il est essentiel que les organisations forestières, tant publiques que privées, et l'Inrae échangent entre elles. Il faut aussi abandonner les dogmes, mettre en oeuvre des essais, faire progresser la connaissance. Par exemple, le programme européen REINFFORCE a permis d'implanter vingt-cinq arboretums, du sud du Portugal au nord de l'Écosse. Chaque arboretum est composé de trente-huit essences, et tous ont été conçus avec le même protocole et les mêmes fournisseurs de plants. Ce programme nous apportera peut-être des clés de réponse, à nous et aux générations futures. Après dix ans, on peut déjà observer les essences qui poussent le mieux et dans quelles circonstances, mais il faudra être attentif aux évolutions à venir : nous aurons peut-être dans quelques années des hivers très rudes. Il faut donc mettre en oeuvre une migration d'essence prudente et diversifiée, de façon expérimentale.
Une chose est toutefois sûre : il est urgent d'agir, et dès maintenant, pour rattraper notre retard et atteindre nos objectifs en matière de fixation de carbone. L'attentisme serait une erreur : des propriétaires forestiers se retrouveront désoeuvrés lorsqu'ils établiront leurs plans simples de gestion. La loi dite « incendie » du 10 juillet 2023, à l'initiative du Sénat et de votre commission en particulier, a abaissé à vingt hectares le seuil au-delà duquel il est obligatoire de réaliser des plans simples de gestion : c'est un travail supplémentaire pour l'établissement public du Centre national de la propriété forestière (CNPF). De plus, de nombreux plans simples de gestion du CNPF seront renouvelés prochainement. En effet, face à la situation sanitaire que connaissent les forêts, certains propriétaires ne peuvent atteindre les objectifs qu'ils s'étaient fixés. Le CNPF est d'une grande importance pour accompagner les propriétaires forestiers privés.
Les services écosystémiques rendus par les forêts sont nombreux : elles purifient l'eau, fixent le carbone et accueillent la biodiversité. Selon la Ligue pour la protection des oiseaux, en vingt ans, seulement 2 % des oiseaux forestiers ont disparu, quand les espaces agricoles et les villes ont perdu près de 25 % de leurs oiseaux. La biodiversité terrestre, qui vit à 80 % dans la forêt, est d'ailleurs garantie par la diversité des propriétaires.
Les propriétaires ont besoin d'être accompagnés par la puissance publique ; la mise en oeuvre d'incitations pour continuer à assurer la gestion et l'entretien des forêts est à cet égard fondamentale. Ceux dont les bois sont scolytés dans l'Est de la France subissent une perte sèche : ces bois ne génèrent pas de revenus et représentent des coûts de ramassage, auxquels s'ajoutent les coûts de reboisement. Il est donc essentiel que l'État aide les propriétaires en difficulté au renouvellement forestier. Les pathologies qui touchent les forêts ont également des effets pour l'industrie, les arbres mourant avant de pouvoir être exploités.
La diversité des peuplements forestiers - la France compte cent-trente-six essences forestières - est une richesse, mais on ne la maintiendra que si la diversité des usages est préservée : il faut absolument inciter le consommateur à consommer du bois français. Autrefois, on comptait une scierie artisanale par canton, aujourd'hui, ces scieries sont industrielles. Ce changement plaide pour imaginer des débouchés commerciaux aux essences diverses et variées qui peuplent nos forêts, mais qui ne sont pas exploitées à des fins économiques.
M. Jean-François Longeot, président. - Nous retenons de votre intervention qu'il faut faire preuve de vigilance lorsque l'on replante, pour sélectionner des essences qui résisteront au changement climatique et qui trouveront une finalité économique, notamment pour la construction d'ouvrages.
Philippe Label, directeur de l'Unité mixte de recherches de physique et physiologie intégratives de l'arbre en environnement fluctuant (Piaf) de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). - Je représente le Piaf, une unité de recherche consacrée à la physique et la physiologie intégratives de l'arbre en environnement fluctuant, composée de physiciens et des biologistes, en particulier des bioclimatologues et des biologistes du végétal, créée il y a trente-cinq ans.
Aujourd'hui, ces physiciens et ces biologistes travaillent sur l'arbre : comment fonctionne-t-il, seul, en peuplement naturel ou en peuplement cultivé ? Nous oeuvrons aussi dans les divers domaines d'application, où nous étudions les arbres en arboriculture, la production fruitière, des arbres en accompagnement de la conversion des fermes mais également l'arbre en ville.
L'arbre n'est pas seul dans son écosystème naturel, loin s'en faut. Nous appréhendons de mieux en mieux son fonctionnement, mais notre compréhension de l'écosystème qui l'accompagne et de la façon dont il conserve son équilibre sous l'effet de perturbations extérieures - l'environnement et l'activité humaine - reste embryonnaire. Un écosystème peut être comparé à un funambule sur son fil : vu de loin, rien ne bouge, et pourtant les écosystèmes sont en mouvement permanent, systématiquement en rééquilibrage. Sous l'effet de nos activités anthropiques, l'écosystème se déséquilibre et les réactions d'un système « en équilibre dynamique » sont parfois brutales.
Ce concept est par exemple illustré par les infestations d'insectes ou les pullulations, qui sont des mécanismes violents, mais se déroulant sur une période très courte à l'échelle de la vie d'une forêt. Comme l'ont souligné les intervenants précédents, ces perturbations sont les fossoyeurs des problèmes qui touchent les arbres aujourd'hui, qui meurent de la chaleur et de la soif. Certes, ils sont relativement adaptés au manque d'eau et survivent facilement à une décennie de carence hydrique. Mais la soif couplée à la chaleur excède ce que les arbres peuvent supporter, et des peuplements entiers dépérissent. La forte accélération de la mortalité des forêts que l'on constate en France est observable partout en Europe de l'Est, pour toutes les essences.
Ce bouleversement climatique se produit très rapidement, perceptible à l'échelle de la vie humaine, mais encore plus à l'échelle de la vie d'un arbre ou d'une forêt qui vit depuis des siècles, parfois depuis le Moyen-Âge. Les arbres, qui évoluent avec leur milieu, ne germent plus dans un milieu hostile, d'autant plus que contrairement aux animaux qui peuvent chercher de l'eau ou de la nourriture dans un espace vaste, les arbres puisent dans les ressources présentes là où la graine est tombée. Si l'évolution de son milieu de vie met en danger sa survie, il accélère sa fructification pour survivre quelques années supplémentaires. Quand nous nous apercevons qu'il dépérit, l'arbre souffre en réalité depuis plusieurs années de la rupture hydraulique. Comme un élastique trop tendu, la colonne d'eau qui relie le sol à l'atmosphère casse du fait de la sécheresse : on estime qu'un arbre est en danger de mort quand il atteint un taux de 80 % de rupture hydraulique. Or cette rupture s'installe progressivement, après plusieurs sécheresses et canicules successives. Ces conditions extrêmes stimulent la floraison, soit la production de graines, qui se déplacent. C'est ainsi que naturellement, l'espèce se déplace pour germer là où les conditions sont favorables. Mais ce phénomène est lent, et la forêt, à l'heure du changement climatique, ne s'adapte pas aux nouvelles temporalités. Les aires de répartition des espèces se déplacent seulement de trois à cinquante kilomètres par an, alors que le changement climatique modifie les conditions de vie des espèces d'arbres dix fois plus vite qu'en temps normal.
Il est donc urgent d'intervenir : les écosystèmes forestiers ont besoin de notre attention et de notre intervention. Grâce à la migration assistée, à l'accompagnement de nos peuplements vers une stabilité, nous permettons au funambule de rester sur son fil. Nous ne pouvons cependant pas intervenir trop violemment, au risque de faire tomber le funambule. Pour remplacer une espèce par une autre, il faut étudier quelles espèces l'accompagnent dans son écosystème et dont il a besoin pour son développement, des espèces animales, des insectes nécessaires aux pollinisations, des bactéries, des champignons, des mycorhizes, qui sont des organismes qui assistent les arbres dans la captation des ressources présentes dans le sol. Un arbre introduit artificiellement, sans sa cohorte d'espèces aidantes, a très peu de chances de survivre. Un écosystème est un système à multiples interacteurs et il faut donc développer une approche écosystémique pour trouver des solutions efficaces et fonctionnelles.
Plutôt que de se tourner vers le passé et de constater d'année en année les records de chaleur ou de sécheresse, tournons-nous vers l'avenir : 2024 est probablement l'année la plus fraîche des cinquante prochaines années. Face à cette observation, comment pouvons-nous agir pour continuer à vivre dans nos territoires et disposer de ressources ? Le Piaf établit des diagnostics de plus en plus précis de la fragilité des écosystèmes, étudie le passé et réalise des modélisations permettant de prédire relativement précisément les futures aires de répartition et les conditions optimales selon les espèces. Avant de prendre des décisions précipitées, étudions les informations dont nous disposons.
Jérôme Mousset, directeur bioéconomie et énergies renouvelables de l'Agence de la transition écologique (Ademe). - L'Ademe est un opérateur de l'État qui, selon les missions et les budgets que lui confient les ministères de l'écologie, de l'agriculture et de la recherche depuis une vingtaine d'années, intervient sur la filière forêt-bois, essentiellement à deux niveaux : la production de connaissances collectives et le financement de projets à destination des entreprises.
La forêt et la filière bois constituent l'un des secteurs clés de la transition écologique et les multiples services apportés par la forêt, que ce soit sur la biodiversité, l'eau, le sol, le climat, l'énergie, sont essentiels. J'insisterai sur la nécessité de promouvoir une approche filière. Quand on parle changement climatique, outre la question du stockage carbone, on a souvent l'habitude de parler des « trois S » de la filière forêt-bois. Le premier, c'est le stockage carbone en forêt. Le deuxième, c'est le stockage carbone dans les produits. Et le troisième, c'est la substitution par rapport aux ressources fossiles. Quand on fait la somme de ces trois services rendus, on se rend compte que la filière forêt-bois joue un rôle essentiel dans l'atteinte de nos objectifs de neutralité carbone. Sans la filière forêt-bois, on ne peut pas y arriver.
Pourtant, la forêt est affectée par le changement climatique, avec une division par deux des puits de carbone en 10 ans. Un effondrement des écosystèmes rendra beaucoup plus compliqué l'objectif de neutralité carbone à atteindre. La préservation du meilleur état possible de santé des forêts est essentielle. C'est un enjeu stratégique pour le pays.
Je souhaiterais souligner quatre points complémentaires en proposant d'ouvrir aussi à des considérations à l'échelle de la filière. Le premier, c'est la question du bouclage biomasse, afin de s'assurer que l'utilisation de la biomasse visée dans les politiques publiques dans les prochaines années est cohérente avec l'état et la disponibilité de la ressource forestière, notamment dans les prochaines années compte tenu des effets du changement climatique. C'est une question vraiment importante et un principe élémentaire de la durabilité que de s'assurer que le niveau de prélèvement est bien inférieur à la croissance actuelle de la forêt et des arbres. Le deuxième point, c'est la nécessité de l'adaptation, y compris en aval, des entreprises de la filière, en passant par les entreprises forestières, les scieries et toutes les étapes de transformation, parce que l'on constate d'importantes quantités de bois de peuplement affectés par le changement climatique : des bois dépérissants, des bois de tempête, des coupes sanitaires, des bois incendiés, qui supposent une forte réactivité, de la flexibilité et de l'innovation si l'on veut maintenir la valorisation économique du bois. Le troisième enjeu, c'est la question de la résilience des forêts au changement climatique. Les modèles climatiques sont bouleversés, générant beaucoup d'incertitudes et rendant nécessaires les retours d'expérience pour adapter le plus possible nos pratiques. On travaille actuellement sur la question de la préservation des sols forestiers, dont le bon état permet une meilleure résistance de la forêt aux effets du changement climatique et qui semble être un des éléments clés de la résilience des forêts, ainsi qu'à la question de la diversification des essences. Pour finir, le quatrième point est la création d'un groupement d'intérêt scientifique (GIS) sur la biomasse, un peu plus large que la forêt, qui réunit quatre organismes depuis 2024 : l'Ademe, France Agrimer, l'Inrae et l'IGN. L'idée de ce GIS, compte tenu de l'enjeu de la biomasse dans la transition écologique du pays, c'est d'avoir un lieu d'expertise à la fois technique et scientifique pour venir en appui aux politiques publiques et à leurs orientations afin de disposer du plus grand socle commun de connaissances possible.
M. Stéphane Demilly. - La gestion et la préservation des forêts sont des enjeux déterminants pour le pays et il est utile que notre commission s'en saisisse. M. de Ponton d'Amécourt l'a rappelé dans son propos introductif : un tiers de notre territoire est couvert par la forêt, ce qui représente près de 17 millions d'hectares qui hébergent 190 espèces d'arbres, essentiellement le chêne, le hêtre et le pin, ainsi que de nombreuses espèces animales et végétales. 75 % de l'ensemble des espèces vivantes sur notre territoire vivent en forêt, dont 120 espèces d'oiseaux et 30 000 espèces de champignons. D'un point de vue hydrique, les racines des arbres facilitent l'infiltration des eaux et participent à la régulation du niveau des cours d'eau.
Sur le front du changement climatique, la filière forêt-bois est fondamentale puisque, en absorbant par photosynthèse le dioxyde de carbone tout en rejetant de l'oxygène, les arbres agissent comme de véritables poumons de la planète. Pour protéger efficacement l'environnement, la forêt doit être en bonne santé, pérenne et elle-même protégée des différents risques qui pourraient l'affaiblir.
Après les feux de forêt hors normes qui ont marqué l'année 2022, c'est le dépérissement des arbres qui inquiète. Dans son dernier inventaire forestier d'octobre 2024, l'IGN constate une mortalité des arbres en hausse de 80 % en dix ans. Cette mortalité est passée de 7,4 millions de mètres cubes par an, entre 2005 et 2013, à 13,1 millions de mètres cubes par an, entre 2013 et 2021, et les crises se sont multipliées.
En 2019, la sécheresse a rendu les arbres plus vulnérables aux agents pathogènes et aux insectes ravageurs, notamment les scolytes. Châtaigniers, frênes et épicéas sont les principales victimes d'une prolifération d'insectes agressifs et de nouveaux champignons. Selon les associations de protection de l'environnement, le danger vient aussi de l'industrialisation du bois et d'une gestion de crise trop complexe et court-termiste des forêts.
Face aux risques qui pèsent sur les forêts, la gestion actuelle est-elle adaptée pour préparer la forêt aux risques environnementaux ? C'est une question un peu généraliste que je vais reformuler de façon volontairement provocatrice : remettez-vous en cause vos façons de faire et vos modèles de gestion forestière ?
Les syndicats de l'ONF pointent une gestion défaillante et le risque de disparition du service public de la forêt, en déplorant que l'établissement public soit devenu une sorte « d'usine à bois », pour reprendre leurs termes. Par ailleurs, l'établissement traverse depuis plusieurs années une crise économique couplée à une crise sociale. La réduction des effectifs n'y est peut-être pas complètement étrangère. Le déficit de l'ONF s'élevait à 79 millions d'euros en 2021. Au moment où l'on appelle tout le monde à faire des efforts financiers dans le cadre des contraintes budgétaires qui s'imposent à tous, à rationaliser les moyens d'action, l'ONF doit-il faire évoluer sa stratégie de gestion, notamment avec ses partenaires ? Je pense spécifiquement à l'Inrae, mais on pourrait également penser à la Fédération nationale des communes forestières.
Enfin, j'ai eu des échanges avec des entreprises du secteur de l'énergie dans mon territoire. Les relations avec l'ONF, me disent-ils, ne se font pas de manière fluide. Les entreprises reprochent à l'office une gestion autoritaire des ressources qui, sans appel à la concurrence, voient leur prix exploser. Dans ce contexte, comment bien gérer le mode de commercialisation du bois pour ne pas provoquer une rétention des ressources et une augmentation du cours du bois, au détriment de nos entreprises françaises ?
M. Jean Bacci. - Je partage la presque totalité de vos propos. Pour moi, l'adaptation des forêts est davantage une affaire de savoir-faire que de science exacte. Les forêts sont extrêmement diverses : chacune est une combinaison unique de sol, d'espèces d'arbres, de microclimats, de biodiversité locale et d'herbivores. On doit en permanence composer avec la singularité de ces combinaisons.
Je voudrais ajouter qu'il est difficile de parler de santé de la forêt sans évoquer la question de l'eau. Les deux sont extrêmement liées. On sait aujourd'hui que la qualité de nos eaux est liée aux services de régulation hydrique rendus par la forêt, mais la forêt a besoin en retour de cette eau pour se développer. Plus il fait chaud, plus la transpiration des arbres augmente, ce qui assèche les sols. Cet effet se conjugue avec une baisse des précipitations estivales, notamment en zone méditerranéenne. L'accroissement des sécheresses peut contrebalancer les effets positifs du changement climatique et induire une baisse des réserves carbonées des arbres. Vous l'avez dit, sur les dix dernières années, notre forêt stocke beaucoup moins de carbone, ce qui affaiblit les arbres face aux attaques d'insectes et peut conduire directement à leur mort, lorsque « l'élastique se rompt » pour reprendre votre image éloquente.
Je prends l'exemple de la forêt méditerranéenne que je connais le mieux, qui, d'après les experts, aussi bien les climatologues que les experts de l'Inrae, est le modèle de forêt qui va le plus évoluer au niveau national et qui va remonter vers le nord du pays. Les experts de l'Inrae nous disent que si nous n'intervenons pas dans la forêt méditerranéenne où le stress hydrique est permanent, à l'horizon 2050, la forêt aura disparu. Soit elle aura brûlé, soit elle aura dépéri. Il faut intervenir pour soulager la concurrence hydrique entre les espèces. Cela signifie enlever les sous-étages, choisir les sujets ayant vocation à atteindre leur maturité, travailler dans cette forêt de façon différente, en y intervenant beaucoup plus souvent pour l'assister. Quand ces arbres seront parvenus à maturité, il faudra également avoir prévu le renouvellement de cette forêt et ne pas faire de coupe blanche. Cela signifie aussi qu'il faut peut-être travailler pour retenir les eaux de pluie qui tomberont possiblement en même quantité, mais avec une saisonnalité tout à fait différente, avec de gros orages dévastateurs, de l'eau qui ruisselle en grandes quantités et qui n'a pas le temps de s'infiltrer.
On aura peut-être besoin de revenir sur des méthodes que mettaient en oeuvre nos ancêtres, dans la forêt, où il y avait beaucoup plus de restants, où on cassait le rythme de l'eau. On aura peut-être aussi intérêt à refaire de micro-retenues pour ralentir le rythme de ces eaux et éviter des inondations systématiques en aval. Cela permettra à l'eau de s'infiltrer dans les sols et les sous-sols, et aussi, pendant les épisodes estivaux de fortes chaleurs durant lesquels notre forêt perd beaucoup d'eau par évaporation, de pouvoir récupérer cette évaporation, de la condenser et de remettre l'eau dans ces micro-barrages qui continueront à alimenter la nappe phréatique déficitaire en cette saison. Je crois que c'est une façon d'envisager la forêt pour le futur, qui demandera certainement beaucoup d'investissements, mais qui nous permettra de continuer à avoir une forêt vivante.
M. Pascal Martin. - Co-rapporteur avec nos collègues Anne-Catherine Loisier et Olivier Rietmann de la proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, je rappelle que ce texte d'initiative sénatoriale, adopté définitivement en juin 2023 et promulgué le 10 juillet de la même année, a été examiné par une commission spéciale présidée par Jean Bacci, que je salue.
Son article premier prévoit la mise en oeuvre d'une stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies. Devant le constat de la multiplicité des acteurs administratifs et des ministères impliqués dans ces politiques publiques, il nous avait en effet paru indispensable de garantir la cohérence et l'efficacité de l'action de l'État. Ce texte prévoit explicitement que cette stratégie, encore en cours d'élaboration dix-huit mois après la publication de la loi, soit concertée avec l'Office national des forêts et les organisations professionnelles de la filière forêt-bois.
Ma question s'adresse à messieurs Maillet et de Ponton d'Amécourt. Pouvez-vous confirmer que vous êtes bien associés à cette concertation, conformément à ce que le législateur a prévu ? Quelles formes ont prises ces échanges ?
Cette stratégie a pour vocation d'être le socle de notre adaptation aux évolutions climatiques. Elle permet ainsi d'acter la dimension nationale du risque incendie et de mieux prendre en compte son intensification dans les territoires aujourd'hui moins exposés. Considérez-vous que cette stratégie puisse répondre à ces enjeux et remédier aux difficultés de coordination entre les différents acteurs impliqués dans la prévention et la lutte contre le risque incendie ?
Ma seconde question concerne la gestion de la forêt privée. L'article 30 de la loi « lutte contre le risque incendie » du10 juillet 2023 abaisse le seuil minimal d'obligation d'élaboration de documents de gestion durable, les plans simples de gestion, à vingt hectares pour la forêt privée contre vingt-cinq auparavant. En application de cette disposition, 20 000 propriétaires supplémentaires de parcelles forestières, possédant environ 500 000 hectares, doivent faire agréer un plan simple de gestion par le Centre national de la propriété forestière (CNPF). Ce seuil peut être même abaissé à 10 hectares dans certaines régions, sur proposition du Conseil d'administration du CNPF. L'objectif de cette mesure est de favoriser une gestion plus durable des forêts, qui limite leur vulnérabilité au risque incendie et accroît leur capacité de stockage de carbone. La fréquence de coupe est en effet deux fois plus élevée dans les parcelles dotées d'un plan simple de gestion, ce qui réduit la biomasse combustible en forêt et diminue la concurrence hydrique des végétaux. M. de Ponton d'Amécourt, les petits propriétaires de forêts privées ont-ils eu des difficultés à appliquer ce nouveau dispositif ? Les délais d'agrément par le CNPF ont-ils augmenté du fait de l'augmentation du nombre de dossiers à traiter ?
Albert Maillet. - L'ONF a-t-il fait évoluer son modèle et son système de gestion en réponse aux problématiques auxquelles la forêt est confrontée aujourd'hui ? La réponse est clairement oui, pour deux raisons principales.
Historiquement, la gestion forestière considérait le climat comme une constante. Ce principe forestier part de l'hypothèse que ce qui a bien fonctionné par le passé fonctionnera également dans le futur. C'est la raison pour laquelle en forêt publique, on a beaucoup privilégié la régénération naturelle, dont le fondement repose sur le fait que le passé éclaire l'avenir.
Avec le changement climatique, cette approche ne tient plus. Non seulement le passé ne constitue plus un modèle de gestion pour l'avenir, mais on est désormais à peu près certain que la reproduction du passé conduit à l'erreur. Notre problématique aujourd'hui est de faire différemment, compte tenu des incertitudes. On a fait le choix de diversifier les solutions en essayant plusieurs options et en assurant un suivi pour voir ce qui fonctionne. Nous avons évolué vers le concept de la forêt mosaïque, qui met dans le système de gestion forestière de l'hétérogénéité, de la diversité, etc. C'est un changement de paradigme qui se traduit aussi par d'importantes évolutions en termes de méthode de gestion.
La deuxième question portait sur l'exploitation des forêts destinée à alimenter en ressources la filière et l'industrie en aval, etc. Notre souci est de promouvoir le principe de la multifonctionnalité, d'arriver à préserver la biodiversité, qui pour nous est essentielle car elle constitue le facteur qui garantit le bon fonctionnement de l'écosystème et de la production. La productivité est amoindrie dans un milieu naturel qui fonctionne mal. La biodiversité, élément indispensable au bon fonctionnement de l'écosystème, y compris pour des raisons économiques, indépendamment des avantages, prendra une importance croissante.
Le deuxième sujet concerne la gestion forestière qui nécessite l'intervention d'opérateurs en forêt. Il faut une convergence entre ce que la gestion forestière offre et ce que l'opérateur de la filière aval utilisera, pour des raisons économiques, mais aussi plus largement en termes d'écologie ou d'environnement. Le rôle important du bois, en tant qu'écomatériau dans la séquestration carbone de deuxième niveau, se fait dans les produits bois à longue durée de vie et non pas en forêt. Pour que ce bois prenne sa place dans l'économie française, en décarbonant cette dernière, il faut être en phase avec les besoins des opérateurs qui utilisent ce bois. On essaie de trouver le meilleur équilibre possible entre ces deux aspects, parce qu'on a besoin des deux.
Sur votre troisième question, qui concernait les besoins en termes de bois de la filière bois-énergie, notre rôle en tant que gestionnaire de forêt publique est de garantir la gestion durable des forêts. Ce principe impose de ne pas prélever plus que ce que la forêt peut produire en termes d'accroissement, sans quoi nous passerions à une gestion minière qui épuise la ressource. On élabore des plans qui déterminent ce volume de gestion durable et on s'y tient, même si certains acteurs économiques peuvent juger notre offre insuffisante. Le deuxième élément de réponse, plus spécifique à la filière bois-énergie, est l'objectif premier de l'Office national des forêts : produire du bois d'oeuvre pour favoriser le bilan carbone ou la décarbonation de l'économie. Quand on produit du bois d'oeuvre, on produit obligatoirement du bois-énergie en quantité identique, mais si l'objectif premier est de produire du bois d'oeuvre, on ne mettra pas en place de gestion totalement dédiée au bois-énergie.
Sur la question de la défense des forêts contre l'incendie, de manière globale, l'Office national des forêts est pleinement associé par l'État, au niveau central comme au niveau départemental, à toutes les démarches inter-services et inter-organismes. Cela s'explique parce que l'État a donné, il y a des années, une mission d'intérêt général à l'ONF sur les questions de prévention d'incendie de forêt. C'est dans ce cadre-là que dans les mêmes enceintes et avec les mêmes organisations, l'Office participe à toutes les initiatives et à toutes les démarches inter-services nécessaires à la bonne mise en oeuvre de cette loi.
Antoine de Ponton d'Amécourt. - Je tenais à vous signaler que je suis également représentant de la filière forêt au Conseil économique, social et environnemental. À ce titre, avec Marie-Hélène Boidin-Dubrule, nous avons écrit en 2021 un avis sur l'adaptation des forêts au changement climatique.
La loi de juillet 2023 a amélioré la participation de la forêt privée à la prévention des risques incendie. Si notre présence se limitait auparavant aux commissions départementales d'incendie et de secours, Fransylva et le CNPF ont depuis lors un salarié dédié dans chaque région. Le projet de loi de finances proposait initialement de réduire de 13 postes le schéma d'emplois du CNPF, ce qui nous a inquiétés, mais finalement la loi de finances a acté une augmentation du nombre d'emplois affectés à l'établissement public CNPF, qui tarde à venir. Le passage de 25 à 20 hectares comme seuil au-delà duquel un document de gestion doit être établi par l'exploitant forestier représente 20 000 plans simples de gestion supplémentaires.
En raison du dérèglement climatique qui entraîne le dépérissement d'essences comme les châtaigniers, les frênes ou les épicéas, les propriétaires sont obligés d'élaborer de nouveaux plans simples de gestion, dans la mesure où leurs plans initiaux sont devenus obsolètes. Cela entraîne un accroissement de dossiers à instruire, qui génère un encombrement administratif pour le CNPF. Ces dossiers sont importants et malgré les demandes de validation automatique émanant des gestionnaires forestiers ou des coopératives, je souhaite qu'ils soient attentivement instruits afin de vérifier leur conformité aux schémas régionaux de gestion sylvicole. Cela justifie le nombre de postes dédiés au CNPF qui, à mon sens, ne doivent pas devenir un motif d'économies.
En tant que maire d'une commune rurale et conseiller régional, les sujets touchant aux incendies révèlent une importance particulière à mes yeux. J'avais proposé, à l'instar de ce qui se fait en Belgique ou en Allemagne, que toute voiture neuve soit obligatoirement équipée d'un extincteur. 95 % des feux étant d'origine humaine, cet équipement permettrait aux automobilistes d'agir immédiatement pour éteindre les départs de feu le long des routes et d'éviter qu'ils ne deviennent des méga-feux. Je signale au passage une initiative intéressante dans la Sarthe, où 18 caméras ont été installées sur les châteaux d'eau et détectent les fumées par triangulation. Depuis son installation, ce dispositif a permis au SDIS de détecter 95 % des départs de feu avant même de recevoir un coup de téléphone, favorisant ainsi leur intervention rapide. Concernant l'obligation d'équiper les voitures neuves d'extincteurs, le contrôle du matériel pourrait être fait au moment du contrôle technique. Cette obligation pourrait même utilement être étendue aux habitations.
Enfin, j'ai fait part au SDIS de mon souhait de démonter toutes les bouches d'incendie, car utiliser de l'eau potable pour éteindre des incendies est pour moi une ineptie. Je suis maire d'une commune traversée par trois rivières : en cherchant des alternatives à l'utilisation de l'eau potable, nous avons décidé de pomper l'eau dans la rivière. Je pense que les préfets devraient s'intéresser à la question de l'accès à l'eau avant d'être pris de court par un méga-feu. Cet accès revêt une grande importance dans le cadre des plans de prévention des risques.
Philippe Label. - Je souhaite alerter sur un point critique, en réaction à ce qui vient d'être dit : en matière de gestion forestière et d'extraction de biomasse, en particulier de bois d'oeuvre et de bois-énergie, il est nécessaire de laisser à l'écosystème certains résidus, une fois les prélèvements opérés, afin d'assurer le cycle de régénération. Nous sommes face à une injonction contradictoire : prélever la ressource à des fins économiques, alors qu'à l'heure du changement climatique, les besoins en biomasse rémanente de la forêt s'accroissent.
Le sénateur Bacci a évoqué les modes de rotation d'exploitation, et en particulier la proposition de supprimer les sous-étages, constitués de buissons et d'arbres dominés par la canopée. Cette solution peut apparaître intéressante à court terme, cela permettrait effectivement de garantir une meilleure rotation des cycles culturaux. En revanche, à long terme, les conséquences de cette suppression seraient délétères. Le sous-étage permet en effet de fractionner l'eau, la conserver dans le sol et éviter les effets torrentiels.
Dans les forêts gérées, on conseille de favoriser des éclaircies parcimonieuses et des prélèvements plus raisonnables, ainsi que la multiplication de différentes espèces pour éviter les forêts de production avec une seule espèce, car une forêt en libre évolution n'est jamais monospécifique. Dans tous les cas, cette pratique est à proscrire dans les forêts naturelles ou forêts périurbaines qu'on souhaite conserver : une fois la rotation arrivée à son terme et après la coupe des derniers arbres exploités, il ne reste plus rien. Or les excès thermiques et les épisodes de sécheresse intenses rendront très difficile, voire impossible, la renaissance de la forêt.
Il faut donc être prudent : si certaines stratégies peuvent fonctionner à court terme, à l'échelle du cycle forestier, elles peuvent en revanche représenter de grands risques à long terme pour la forêt, comme la pratique des coupes blanches, qui a été adoptée en réponse aux désordres climatiques, mais qui met en grand danger la persistance de la forêt.
95 % de l'eau qui traverse l'arbre finit dans les nuages ; l'évapotranspiration des arbres permet d'arroser la terre sur le continent, en recréant une vague de nuages qui se déplacent sur une distance de 200 à 300 kilomètres. En supprimant les surfaces forestières, on brise le cycle de l'évapotranspiration et on crée des déserts à l'intérieur des terres. La forêt est donc indispensable à l'ensemble du territoire si bien qu'il faut concilier exploitation et préservation.
Jérôme Mousset. - Sur l'articulation des usages de biomasse, de bois-énergie et de bois d'oeuvre, il est essentiel de travailler sur la complémentarité et la hiérarchie des usages. L'usage prioritaire est l'usage de bois d'oeuvre : les études ont démontré que cet usage était celui qui apportait les meilleures contributions à la lutte contre le changement climatique. Néanmoins, le bois-énergie a également toute sa place dans l'équilibre économique de la filière : en effet, 70 % du prélèvement est destiné à l'énergie.
Mais au-delà de cette articulation entre les différents usages, la forêt présente une limite : le potentiel de la ressource forestière, pour les usages de bois-énergie ou de bois d'oeuvre, doit être réévalué régulièrement. C'est l'état de la ressource qui doit nous guider lorsqu'on détermine la quantité de bois à prélever, et non les besoins économiques, au risque de surexploiter la forêt. C'est pourquoi nous réfléchissons actuellement aux projections des politiques publiques, qui doivent anticiper l'évolution de l'état de la forêt dans les prochaines années. L'étude déjà citée sur la projection des disponibilités en bois et des stocks et flux de carbone du secteur forestier français en 2050, réalisée par l'IGN et l'Institut technologique FCBA (Forêt cellulose bois-construction ameublement) publiée en 2024, nous donne ces ordres de grandeur, compte tenu des effets du changement climatique. Ces volumes nous donnent un cap pour 2030 et 2050 ainsi qu'un cadre à suivre. Ce qui ne pourra être fait avec la biomasse devra être reporté sur d'autres énergies.
L'eau constitue bien entendu une question fondamentale et d'elle dépend la qualité des sols : de nombreuses études montrent qu'un sol tassé en forêt sera moins résilient et moins résistant. Les entreprises forestières doivent donc adapter leurs équipements pour limiter le tassement du sol. L'Ademe et le ministère de l'agriculture avaient monté un appel à projets pour la protection des sols forestiers, dont les résultats sont très intéressants. De plus, le plan d'action sol forestier, qui est en cours de préparation, permettra de développer des formations et d'accompagner toute la filière pour prendre réellement en compte la qualité des sols.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - La forêt n'est pas qu'un écosystème, c'est aussi un secteur économique. La forêt française est composée de 75 % de feuillus et de 25 % de résineux, or le secteur industriel consomme exactement l'inverse. Comment adapter notre production, tout en préservant la richesse et en protégeant nos écosystèmes ?
La filière bois-énergie prend de plus en plus d'importance et son développement se renforcera avec les biocarburants : comment garantir l'équilibre de la filière des biocarburants sans affaiblir nos forêts ? Comment rendre compatible la protection de la forêt avec ce secteur économique qui répond à une demande croissante ?
Enfin, alors que notre population se concentre de plus en plus en zone urbaine, comment mieux intégrer la société civile aux évolutions de la filière forêt-bois afin de construire une évolution adaptée à nos forêts et qui bénéficie à toutes les activités de cette filière ?
Mme Nicole Bonnefoy. - Je souhaiterais remercier tous nos intervenants pour leurs présentations et leurs réponses, mais aussi les chercheurs travaillant dans vos agences, à l'heure où ces organismes sont bousculés, voire remis en question. Je salue leur travail et j'insiste sur le caractère indispensable de leurs analyses scientifiques et indépendantes pour nous, décideurs politiques, qui nous guident pour prendre les bonnes décisions.
Les données du Giec nous renseignent sur les scénarios de transformation climatique et leur impact sur la forêt française. Selon l'UICN, la vitesse de migration nécessaire pour s'adapter au changement climatique serait d'un à sept kilomètres par an alors qu'aujourd'hui, les chênes et les hêtres ont besoin de cinq cents ans pour migrer d'un kilomètre : il faut donc que l'homme puisse permettre à la nature d'accélérer sa migration. Lors des assises de la forêt, des objectifs ambitieux avaient été formulés, comme l'implantation d'un milliard d'arbres en dix ans pour renouveler 10 % de la forêt française. Ces engagements vont-ils pouvoir être tenus ?
Comment nous prémunir contre des risques de maladaptation ou d'invasion biologique en important des essences exotiques, importation dont vous avez rappelé la nécessité ?
Comment appréciez-vous la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux ? Ce texte supprime notamment l'objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers d'ici à 2031.
M. Hervé Gillé. - Je souhaiterais vous interroger sur les relations de plus en plus étroites entre la forêt, son territoire et la planification. Comment inscrit-on les enjeux de la forêt dans les documents de planification, les SCoT, les PLUi et les PLU ? Nous assistons, concernant l'eau, à une montée en puissance stratégique, notamment de la gestion du pluvial et des réseaux hydrologiques, pour répondre aux pluviométries trop importantes. Comment arrive-t-on à drainer les sols de façon stratégique, qui permettrait de maintenir l'eau tout en assurant un ressuyage le plus correct possible ? Ces démarches supposent de mettre en place des études d'accompagnement, un dialogue ouvert avec l'ensemble des acteurs, et notamment des élus. Ce sujet est aussi essentiel pour l'entretien des sols : l'eau doit être gérée, retenue, voire stockée, à bon escient, afin de concilier les usages.
En Gironde, et plus particulièrement dans le Médoc, un projet de champs captants au coeur d'un massif forestier est en cours. Ce projet vise à compenser les prélèvements réalisés dans les nappes profondes pour alimenter la Métropole de Bordeaux, mais également à assurer une solidarité territoriale, afin de ne pas léser d'autres syndicats d'eau qui n'ont pas d'alternative à la captation dans les nappes profondes. Il faut trouver de nouveaux équilibres de territoire dans la gestion de l'eau.
Comment peut-on tisser des liens plus positifs pour gérer conjointement ces enjeux de protection de la forêt et de partage de la ressource en eau ?
Mme Marta de Cidrac. - Aujourd'hui, il ne fait aucun doute que le changement climatique bouleverse les équilibres naturels et met en péril nos forêts. La forêt française couvre plus de 30 % de notre territoire et elle est un réservoir de biodiversité, abritant espèces animales et végétales. De plus, la filière bois représente plus de 400 000 emplois et contribue à hauteur de soixante milliards à notre PIB.
J'ai cru déceler un paradoxe dans certaines de mes lectures : l'IGN indique que la forêt française s'étend, à hauteur de l'équivalent de cent trente mille stades de football par an. Comment ce phénomène influence vos différents domaines en termes de gestion et la qualité de la forêt de demain et de sa vulnérabilité au changement climatique ?
M. Ronan Dantec. - Les 31 mars et 1er avril prochains se tiendra à Marseille un sommet européen sur l'adaptation, au cours duquel aura lieu un atelier sur la forêt.
On ne peut pas parler de réchauffement climatique sans évoquer la captation de carbone et les flux financiers qu'elle génère. Est-ce que le crédit carbone constituera un flux financier majeur pour la forêt, ou cela restera-t-il marginal ? L'arrivée des crédits « biodiversité », domaine dans lequel la France est en pointe, entraîne là aussi une financiarisation des écosystèmes et représente potentiellement des opportunités. Ces crédits, tant « biodiversité » que « carbone », seront peut-être des moyens d'atteindre un rééquilibrage financier de la forêt française. Votre gestion à venir intègre-t-elle ces flux financiers ? Le système européen actuel est-il prêt ou est-il nécessaire de le faire évoluer dans l'ensemble du système ETS ?
M. Michaël Weber. - Je suis très heureux de retrouver mes collègues forestiers, puisque je préside l'Association des communes forestières du département de la Moselle. Le sujet forestier est passionnant, parce que nous réalisons peu à peu que la forêt constitue une partie de la solution pour répondre aux défis climatiques.
Nous assistons à un changement d'approche de la gestion forestière et de la valorisation de la filière bois, pour mieux prendre en compte les limites de la ressource. Je rejoins les observations de mon collègue Gilbert-Luc Devinaz sur le poids économique du secteur forestier et sur l'adaptation de nos méthodes de protection : au regard du changement climatique et de l'évolution de nos forêts, devons-nous adapter la forêt à nos besoins économiques, toujours très forts, ou est-ce qu'à l'inverse, faut-il adapter la production et la valorisation économique du bois à ce que la forêt peut elle-même produire ?
La forêt change, comme elle a changé il y a plusieurs siècles, et il serait malvenu de penser que cette évolution n'aura pas lieu. Le paysage s'est déjà transformé - en atteste la disparition des épicéas scolytés. Les différents gestionnaires forestiers sont parfois en désaccord avec les essais menés avec de nouvelles essences, notamment avec les essences allochtones. Quelle est l'opinion de Fransylva sur le sujet ? De plus, comment anticiper les vulnérabilités aux maladies ? En effet, certaines essences qui résistent aujourd'hui à des maladies n'y parviendront peut-être pas demain, preuve en est de l'épicéa.
L'analyse et la comparaison des différentes manières de gérer la forêt en Europe m'apparaissent essentielles pour repenser notre modèle forestier. Habitant à dix kilomètres de la frontière allemande, je sais à quel point la vision de l'ONF diffère de celle des forestiers allemands, mais aussi des approches ayant cours en Tchéquie ou en Slovaquie, où j'ai pu me rendre il y a peu pour étudier les pratiques en matière de gestion forestière. Ces pays adoptent une réponse radicalement différente de la nôtre face à la disparition des épicéas, perte qui transforme complètement le paysage.
S'agissant des sols, je suis persuadé que leur qualité est consubstantielle à l'avenir et à la qualité de la forêt. Nous ne sommes pas assez engagés pour lutter contre le tassement des sols en forêt, même si des initiatives locales se mettent en place : par exemple, l'Association des communes forestières du département de la Moselle agit pour sensibiliser et former les entreprises de travaux forestiers et les élus locaux. Quelles sont les pistes explorées en la matière ?
M. Guillaume Chevrollier. - Je remercie tous nos invités pour leurs interventions, et notamment Antoine de Ponton d'Amécourt, ligérien, qui s'est particulièrement mobilisé sur les enjeux économiques, de biodiversité, de captation de carbone et de l'adaptation de la forêt au changement climatique. Nous devons adapter la gestion forestière, qu'elle soit publique ou privée pour mieux protéger la forêt et anticiper les risques. Un autre ligérien, mayennais également, Xavier de Labrèche, a remis en 2022 au Ceser un rapport intitulé L'arbre, poumon de nos vies ligériennes. Un enjeu à partager. Il y propose plusieurs pistes pour l'avenir de la gestion forestière et du patrimoine arboré et met notamment en avant l'importance d'agir à l'échelle des intercommunalités et des syndicats de bassins versants, en impulsant une gestion collective et durable des haies et des espaces forestiers, tout en impliquant l'ensemble des acteurs, les collectivités locales, les agriculteurs bien sûr, les entreprises et les citoyens.
Comment l'Ademe, dans le cadre de ses actions en faveur de la transition écologique, pourrait-elle soutenir la mise en place d'une telle démarche collective pour la gestion durable, notamment dans les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) ? Et comment promouvoir auprès des collectivités et autres acteurs locaux la mise en oeuvre de cette stratégie au niveau local, afin de favoriser l'intégration de la haie et des espaces forestiers ?
M. Olivier Jacquin. - L'ONF ne devrait-il pas encourager les communes forestières à se regrouper en syndicats forestiers ? Dans le département de Meurthe-et-Moselle, j'accompagne une très belle démarche de regroupement de trois mille hectares de forêts et d'une dizaine de communes en un syndicat forestier. La démarche me semble véritablement vertueuse et intéressante.
Ma seconde question porte sur la régulation du gibier. Si un système d'indemnisation des récoltes endommagées existe bien pour les dégâts liés au sanglier, et qu'il donne plutôt satisfaction, un tel système n'a pas été mis en place pour les ongulés, dont la pression sur les exploitations agricoles et forestières augmente, notamment avec le développement des populations de cerfs. Les forestiers doivent-ils être concertés, au même titre que les chasseurs, pour définir les plans de prélèvement des ongulés ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le morcellement des espaces forestiers en parcelles de deux, trois, quatre, cinq hectares, est une des caractéristiques de la forêt française, du fait des successions et des divisions. Alors que nombre d'entre elles sont laissées à l'abandon, comment mieux les gérer et leur faire jouer un rôle dans la trajectoire d'adaptation ?
Je rejoins les propos du sénateur Gillé sur l'organisation territoriale des forêts, et souhaiterais compléter sa question : avez-vous été mobilisés sur l'élaboration des Sraddet, les régions devenant les organisateurs de la transition et de l'efficacité énergétique ? Comment la question forestière est-elle envisagée et prise en compte au sein de ces documents de planification ?
M. Alain Duffourg. - Êtes-vous en relation avec les gestionnaires forestiers européens, mais aussi sud-américains ? Et comment peut-on agir au niveau international pour la préservation des forêts, notamment en Amérique du Sud où elles subissent d'importantes dégradations ?
M. Albert Maillet. - Face au décalage croissant entre les caractéristiques de la forêt française en termes de répartition feuillus-résineux et les besoins de l'industrie, il faut à la fois prévoir l'adaptation de l'industrie à ce que peut produire la forêt et permettre à la forêt de répondre aux besoins de l'industrie.
Le résineux est une sous-catégorie forestière de bois extrêmement appréciée, notamment dans les filières bois-matériaux et construction, alors que le feuillu présente des caractéristiques moins intéressantes. Cependant, avec l'innovation technologique et à la faveur de l'évolution des pratiques, le niveau actuel d'utilisation des produits issus des feuillus peut être amélioré. Pour cela, il faut distinguer ce qui, dans la filière construction, correspond au bois de structure, pour lequel effectivement le résineux est le mieux placé, des autres usages du bois. Par exemple, le feuillu pourrait, grâce à la réglementation environnementale des bâtiments neufs (RE 2020), prendre une place plus importante pour les aménagements intérieurs. Il faut essayer de tirer la meilleure partie de ce qu'on a, en développant les innovations, les projets technologiques, la diversification des usages, afin de valoriser tous les types de bois.
De même, le résineux conservera une place incontournable ; le plus important est de veiller à ce que sa part dans la forêt française, avant même de parler de son augmentation, ne diminue pas. En effet, lorsque le résineux disparaît, il ne faut pas systématiquement le remplacer par des feuillus, mais au contraire essayer de le maintenir dans les zones où il était présent. Il faut conserver un équilibre entre ce que peut offrir la forêt et les capacités d'utilisation de ce bois par la filière.
De nombreuses questions portaient sur la place de la forêt dans le territoire, sur les liens entre la forêt et les acteurs territoriaux, sur les outils de planification territoriale et sur la prise en compte de la problématique de la gestion de l'eau. Il est très important que la gestion forestière, notamment celle des forêts publiques, gérées par l'ONF, les forêts domaniales, les forêts des collectivités, soit aussi pensée en ayant à l'esprit la place que ce patrimoine joue dans le territoire, son importance économique mais aussi les services qu'il apporte aux populations - accueil du public, sports de nature -, ainsi que son rôle dans la maîtrise des risques naturels.
L'office intervient dans la gestion de plusieurs risques naturels, le risque incendies de forêt, mais aussi ce qu'on appelle les « risques montagne » : les risques d'érosion torrentielle, de lave torrentielle, de crue torrentielle, de glissement de terrain et de chute de blocs. L'ONF agit dans tous les domaines dans lesquels le couvert forestier des bassins versants joue un rôle, celui de la régulation des régimes hydriques, mais également celui de la maîtrise des « risques montagne ».
La gestion du risque ne doit cependant pas se limiter à la seule gestion forestière, qui n'est qu'un mode opératoire de réponse aux problèmes parmi d'autres. La définition des risques et des enjeux ne peut être réalisée qu'au niveau territorial, ce qui plaide en faveur d'une gestion forestière interfacée le plus fortement possible avec les territoires dans lesquels elle s'insère.
Concernant les modèles de financement, historiquement et par analogie avec les agences de l'eau pour qui « l'eau paie l'eau », dans notre secteur, c'était « le bois paie la forêt ». Dès lors que notre objectif est une gestion multifonctionnelle qui ne prend pas en compte uniquement l'aspect production de bois, nous sommes favorables à ce que l'on puisse évoluer vers des systèmes de financement qui valorisent ce que l'on appelle les services écosystémiques - comme le service carbone, le service eau et le service biodiversité. Il reste à évaluer les différents mécanismes, pour éviter les effets pervers.
Concernant les modes de gestion des forêts communales, l'ONF s'adapte à ce que les propriétaires communaux souhaitent pour leur territoire. L'office peut gérer les forêts de façon individualisée, maire par maire, ou s'ils le préfèrent, à travers des regroupements pour avoir une approche de massif.
Sur la question de l'équilibre forêt-gibier, l'ONF, qui avait déjà des relations avec les chasseurs et les fédérations des chasseurs, vient de signer avec la Fédération nationale de la chasse un accord national afin de travailler de concert dans une démarche gagnant-gagnant. Il ne s'agit pas de supprimer le gibier qui fait partie de l'écosystème, mais de ramener les effectifs dans les endroits où ils sont trop importants à des niveaux plus raisonnables. Cela permettra d'assurer la pérennité du patrimoine forestier et, pour les chasseurs, de limiter l'ampleur des dégâts à indemniser.
L'office bénéficie de dispositifs qui lui permettent d'avoir des échanges institutionnels et techniques avec les pays étrangers. Les différences de stratégies et d'approches avec ces derniers ne peuvent pas être niées. Toutefois, il convient de rappeler que les forêts, et plus largement l'environnement économique qui les entoure, sont très différentes selon les pays. Ces spécificités conduisent à des lectures et à des analyses différenciées. Cela ne s'oppose à ce que, par retour d'expérience, on puisse identifier, tant au plan national qu'international, des solutions qui nous paraissent finalement à long terme plus performantes.
Enfin, en tant que gestionnaire de forêts publiques dont le foncier ne fait pas l'objet d'évolution, je n'ai pas d'avis sur le dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN).
M. Antoine de Ponton d'Amécourt. - La forêt est à la fois économique, sociale et environnementale. Il faut absolument que ces trois piliers continuent à fonctionner et à coexister.
Sur le plan économique, il faut que l'industrie tienne compte de ce que la forêt produit. Si elle ne le fait pas, c'est elle qui en subira, à terme, les conséquences. Le forestier produit sur plusieurs générations et de ce fait sa capacité d'adaptation est limitée. Lorsqu'il sélectionne une essence, il s'informe des débouchés actuels, mais n'a aucune certitude sur l'avenir. Dans les années 80, le merisier était très demandé et prometteur, alors qu'aujourd'hui il sert de bois de chauffage. La seule obligation que l'on se donne est de produire de beaux arbres, les plus droits possibles pour pouvoir être exploités dans une scierie. Ce n'est que dans un second temps qu'il faudra leur trouver des débouchés. La diversité des peuplements sera maintenue par la diversité des usages.
Nous sommes très attachés à la qualité des sols. Chaque communication faite auprès des sylviculteurs leur rappelle que le sol est leur capital et qu'il faut le préserver. Il faut notamment éviter le tassement des sols, dont les effets néfastes ne disparaissent qu'au terme de plusieurs générations. De même, si l'eau qui tombe sur les surfaces agricoles a tendance à ruisseler et aller directement dans les rivières, en forêt, l'eau suit les racines et rejoint plus efficacement les nappes phréatiques.
Avant d'intégrer les forêts dans les documents d'urbanisme, il faut s'assurer que la forêt n'est pas déjà soumise à un document de gestion durable. Si c'est le cas, elle doit déjà se conformer aux obligations fixées par le code forestier. Il faut alors éviter que les élus locaux aient à gérer les injonctions parfois incohérentes, voire contradictoires, entre le code forestier et le code de l'urbanisme. Il est préférable d'inciter ceux qui n'ont pas de document de gestion durable à en élaborer un.
Concernant la surface forestière dans l'hexagone, elle s'étend tous les ans et cela depuis des décennies. Depuis 1820, cette surface a même plus que doublé. Il n'y a donc pas de problème de déforestation ni de raison d'opposer les différents modes de sylviculture ou les différents choix de peuplements. Cette diversité est notre richesse.
En tant que représentant de Fransylva, j'indiquerai que l'activité forestière n'est pas concernée par le ZAN, sauf à vouloir considérer que le boisement est équivalent à de l'artificialisation. Certains le pensent dans les Landes et considèrent que le pin maritime constitue une artificialisation. En tant qu'élu, je crains que le respect du ZAN ne conduise à limiter le développement économique des collectivités rurales, mais ce n'est pas l'objet de cette table ronde.
Je souhaite appeler l'attention des parlementaires sur la problématique liée à la demande d'autorisation préalable aux opérations de reboisement supérieures à 0,5 hectare. Cette demande doit être faite auprès des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et dans certaines régions, ces dernières demandent systématiquement la réalisation d'une étude d'impact. Pourtant, le reboisement est une naturalisation de la zone et la réalisation de l'étude d'impact coûte souvent plus cher que l'opération envisagée. Ces freins doivent être levés.
Concernant les grands ongulés, s'il n'y a pas de problème partout, il y a partout des inquiétudes. Je préconise le déploiement de la méthode Brossier-Pallu. Jacky Pallu, représentant de l'Association nationale des chasseurs de grand gibier et Pierre Brossier, ingénieur du Centre national de la propriété forestière, ont développé un guide pour constater et quantifier les dégâts et favoriser un meilleur équilibre forêt-gibier. La méthode a fait ses preuves et se développe dans les différents départements. D'une façon générale, l'entente locale entre forestiers et chasseurs s'est améliorée. Ce n'est pas le cas au niveau national et contrairement aux forêts publiques, nous n'avons pas réussi à signer de contrat.
Le morcellement de la petite propriété est un sujet important sur lequel nous sommes force de proposition pour faire évoluer le cadre normatif. Il faudrait mettre en place un dispositif d'incitation fiscale au regroupement des parcelles cadastrales. Une fois regroupées, elles ne se rediviseront plus.
Le problème des petites propriétés n'est pas leur mauvaise gestion, mais la mauvaise identification cadastrale des parcelles. Pour y remédier, j'avais proposé la mise place d'une carte d'identité qui rappellerait à chaque propriétaire les numéros de ses parcelles cadastrales. Ensuite, en les regroupant toutes sur un système d'information géographique, on pourrait confier la gestion du secteur aux coopératives ou aux experts forestiers. Il reste encore à trouver des méthodes d'organisation qui ne soient pas trop coûteuses et qui permettent l'identification des propriétaires. Il y a, en France, plus de 3,5 millions d'hectares de bois et forêts qui sont encore classés vignes ou terres agricoles au cadastre. Cela représente plus que la surface forestière gérée par l'ONF. Chaque maire trouverait à s'inspirer de ce que j'ai fait pour ma commune. En commission communale des impôts, en s'appuyant sur des photos aériennes, nous avons procédé à un reclassement des parcelles sur lesquelles un boisement était constaté.
M. Philippe Label. - Je propose d'étendre géographiquement le débat, car la crise climatique ne touche pas uniquement le territoire français. Globalement, en Europe de l'Ouest, on vit dans une région de la planète qui s'en sort et s'en sortira relativement bien.
La diversité de nos structures d'exploitation, de gestion, d'organisation nous garantit une forte résilience. Nous bénéficions également de ressources importantes : on ne peut pas faire 50 km sans croiser un cours d'eau. C'est une situation extrêmement rare à l'échelle de la planète et cela explique également pourquoi historiquement les humains se sont installés dans cette région plutôt qu'une autre.
Il faut garder présent à l'esprit que les écosystèmes forestiers jouent un rôle essentiel pour permettre l'accès aux ressources, en particulier à l'eau à l'intérieur des terres. Ils participent également à l'atténuation des phénomènes extrêmes.
Mais, en tout état de cause, ce n'est pas la planète qui s'adapte à nos activités. Ce n'est pas non plus le territoire qui s'adapte à la façon dont on vit dessus. Je rappelle, avec un soupçon d'humour, que pour faire un arbre centenaire, il faut cent ans. Les décisions prises aujourd'hui en termes de gestion et d'exploitation auront des conséquences à court, moyen et long terme. Aussi, faut-il être parcimonieux pour ne pas insulter l'avenir.
Enfin, je rappellerai que l'espèce invasive la plus importante sur la planète, c'est l'espèce humaine. Nous introduisons des déséquilibres dans les écosystèmes sur lesquels nous prélevons nos ressources pour vivre. Pour reprendre l'analogie du funambule, quand on déséquilibre le système, on peut constater des mouvements assez violents de correction pour retourner à un équilibre. Ces corrections passent éventuellement par une pullulation temporaire d'espèces, par un remplacement rapide ou violent d'espèces qui tirent profit de la nouvelle situation et qui disparaissent tout aussi vite qu'elles sont apparues, ou qui vont rester longtemps si les conditions environnementales leur sont plus favorables.
Cette violence des réactions de correction étant hors de notre contrôle, il est important de ne pas en être à l'origine et de rester parcimonieux tant dans les prélèvements que dans les décisions d'aménagement.
M. Jérôme Mousset. - Concernant la question de l'adéquation de la ressource forestière aux outils de transformation, je voudrais présenter les expériences d'accompagnement d'entreprises menées conjointement avec le ministère de l'agriculture. Il s'agissait d'un appel à projets dédié aux entreprises de première et deuxième transformation du bois, avec notamment un axe portant sur la valorisation des bois sous-exploités, des bois sinistrés, des bois dépérissants et des bois vulnérables.
24 % des projets ont porté sur cet axe et les entreprises ont fait preuve de beaucoup de créativité et d'innovations. On peut citer le projet d'une scierie en Seine-Maritime qui a intégré l'intelligence artificielle pour valoriser le bois dépérissant permettant des coupes beaucoup plus fines et des classes de bois dédiées, ou celui d'une scierie en Savoie qui propose une chaîne intégrant du bois scolyté dans la fabrication de panneaux massifs lamellés-croisés et donc va réussir à valoriser la matière malgré l'état de la ressource et enfin celui d'un projet de stockage durable des bois sinistrés avec des systèmes d'arrosage, en circuit fermé, qui limitent l'utilisation de l'eau.
C'est un défi de réussir à intégrer la forêt et la filière bois dans les politiques locales. On a d'un côté des objectifs nationaux, de l'autre des actions au niveau de la parcelle. Il y a peut-être une échelle intermédiaire à trouver. On avait développé, par le passé, des approches à l'échelle des territoires, notamment dans les SCoT, qui permettaient d'avoir des stratégies de gestion forestière à l'échelle du territoire, associant des partenaires public et privé, avec des synergies très intéressantes et fructueuses. Des actions peuvent se développer à cette échelle-là.
Nous sommes d'avis que le marché du carbone est un outil très intéressant parce que les politiques publiques ne pourront pas financer seules la totalité du coût de la transformation et de l'adaptation de la forêt et que ce système apporte une source de financement du secteur privé. Le label bas-carbone est un excellent outil. Le seul point de vigilance que l'on partage avec le ministère est de s'assurer que les méthodes de labellisation soient bien en adéquation et en cohérence avec l'ensemble des outils des politiques publiques. Il ne faut pas que les cahiers des charges ne prennent en compte que la question du carbone, il faut qu'ils soient également cohérents avec les enjeux de biodiversité, de l'eau, des sols...
L'Ademe travaille, avec ses directions régionales, sur l'accompagnement des collectivités et des acteurs locaux en mettant à leur disposition des données et des outils d'aide à la décision. Je citerai l'exemple d'Aldo, un outil qui permet facilement à une collectivité, de connaître l'état du stock et des flux de carbone des sols et forêts sur son territoire et par conséquent d'intégrer ces données dans ses réflexions locales.
Il est aussi important que les décideurs locaux puissent bénéficier de données et de méthodes, notamment les cellules biomasse. En effet, ces dernières ont pour mission de valider, approuver ou refuser le plan d'approvisionnement d'un projet de bois-énergie, en fonction de la ressource locale. La mise à disposition de ces outils d'aide à la décision est un des chantiers du groupement d'intérêt scientifique Biomasse que j'ai évoqué en introduction.
La haie est également un élément sur lequel nous travaillons de façon assidue, car elle permet de diminuer les prélèvements de biomasse dans la forêt. Une étude va être publiée dans les mois prochains sur l'état de la ressource de la haie en France et sur son potentiel de valorisation. L'idée est intéressante car donner une perspective de valorisation énergétique, c'est aussi donner une valeur économique à une haie qui rend d'autres services environnementaux, comme la protection de la biodiversité et l'aide à l'adaptation des exploitations agricoles au changement climatique. C'est une stratégie gagnant-gagnant : on met du bois pour décarboner l'économie et en même temps, on entretient un maillage de haies à l'origine de services environnementaux indispensables.
Enfin, concernant les échanges internationaux, on vient de lancer cette année une mission d'expertise, avec l'Inrae, l'ONF et d'autres acteurs scientifiques sur la diversification des forêts, à la fois des essences et des structures. L'objectif est de savoir si la diversification est une bonne réponse au changement climatique et de tirer des enseignements de ce que font les pays au climat comparable à celui que les modèles prédisent pour notre pays dans les prochaines années.
M. Jean-François Longeot, président. - C'est une très bonne initiative de tirer les enseignements des pratiques à l'étranger, parce que notre perspective est celle du temps long. Je vous remercie pour ces échanges. Je cède la parole à la présidente du groupe d'études Forêt et filière bois, notre collègue Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier, présidente du groupe d'études Forêt et filière bois. - Je vous remercie de m'avoir associée à vos échanges : on le voit, la forêt et la filière bois est un sujet riche et complexe, surtout riche en opportunités et en solutions par rapport aux défis actuels de nos sociétés.
La forêt française est d'une exceptionnelle richesse et d'une diversité à nulle autre pareille. C'est certainement dû aux conditions naturelles, climatiques et géologiques, mais c'est aussi dû, il faut le rappeler, à une tradition nationale de gestion équilibrée de cette forêt. Nous avons la chance de bénéficier d'un Office national des forêts. Nous avons des forêts publiques placées sous la protection de l'État. Nous nous appuyons sur des documents de gestion qu'on affine avec le temps et régulièrement, nous modifions le code forestier, pour prendre en compte les aspects environnementaux, pour affiner cette gestion multifonctionnelle, c'est-à-dire qui s'attache à préserver un équilibre absolument nécessaire avec les enjeux économiques.
Le matériau bois peut jouer un rôle important dans l'adaptation de notre société. Il faut certes gérer les forêts dans de bonnes conditions, mais il faut aussi optimiser tous les avantages que nous apporte ce matériau renouvelable, substituable dans beaucoup de cas à d'autres moyens de construction ou d'ameublement qui ont un bilan carbone beaucoup plus défavorable.
Beaucoup d'entreprises et d'investissements publics, notamment via le plan « France 2030 », sont venus soutenir l'innovation à la fois sur les matériaux de construction et l'adaptation de l'outil de transformation. L'objectif est de ne plus se concentrer les scieries sur quelques essences mais de profiter de toute la diversité des essences dites accessoires qui poussent aujourd'hui dans nos territoires et qu'on doit pouvoir mieux valoriser à l'avenir.
Nous avons ajouté beaucoup d'éléments sur la protection des sols, sur les enjeux en termes de gestion de l'eau, d'inondations dans la loi « Climat et résilience » d'août 2021. C'est un travail permanent pour faire évoluer cette gestion jusqu'à la dernière loi, dont votre commission est à l'origine, celle visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, dans laquelle nous avons ajouté un certain nombre de dispositions pour réduire la vulnérabilité des forêts.
Nous avons aujourd'hui beaucoup d'outils pour bien gérer nos forêts sur les territoires, et notamment pour favoriser des approches territoriales tenant compte de la diversité des objectifs et des forêts : les chartes forestières, les plans de développement de massifs... Si les initiatives menées par un certain nombre d'intercommunalités méritent notre attention, il faut veiller à éviter l'écueil que l'on a connu pour la gestion de l'eau avec la fragmentation des instances. La gestion par massif me semble être le bon échelon. Une telle approche globale permet de tenir compte du public, du privé mais aussi des terres agricoles et même de l'urbanisation qui avoisine ce périmètre.
J'ai souvent abordé la question des cellules biomasse avec le président Longeot. Il faut trouver un moyen pour en améliorer la gouvernance car la biomasse-bois suscite beaucoup de convoitises. On connaît mal les ressources, actuelles et futures, d'un territoire et donc on ne peut pas faire correctement le lien entre ces ressources et la demande à laquelle elles peuvent répondre dans le cadre d'un circuit court. Des améliorations restent à trouver et j'ai saisi de ces sujets les différents ministres compétents.
Concernant les flux financiers, les enjeux étant tellement importants en termes de compensation carbone qu'il y a un risque pour que ces flux échappent aux forestiers et qu'il y ait une financiarisation de la filière. Il faut donc que les pouvoirs publics s'organisent pour que cette financiarisation, si elle se produit, profite bien à un renouvellement de la forêt et à de bonnes pratiques en forêt.
L'équilibre sylvo-cynégétique est un élément déterminant qui handicape aujourd'hui l'adaptation de nos forêts au changement climatique. Une mission va être menée par le ministère de la transition énergétique et le ministère de l'agriculture sur ces sujets pour déterminer les solutions pertinentes à mettre en oeuvre.
Enfin, je vous annonce que la commission des affaires économiques va lancer prochainement une mission sur la compétitivité de la filière bois. Comme le monde agricole, la filière bois subit une perte de compétitivité et les importations de bois prennent de l'ampleur. Je mènerai cette mission avec mon collègue Serge Mérillou.
M. Jean-François Longeot, président. - La filière bois joue un grand rôle dans nos territoires et contribue à l'aménagement du territoire, un thème cher à notre commission et justifiait pleinement l'organisation de notre table ronde de ce jour !
Ces problématiques sont essentielles et intéressantes et les pouvoirs publics doivent proposer des solutions. Dans mon département, certains maires tiraient des revenus significatifs de la forêt, qui aujourd'hui ont disparu. Les élus se demandent la meilleure manière d'investir pour rééquilibrer les futurs budgets locaux. Vaut-il mieux replanter ou investir dans les énergies renouvelables ? C'est une question essentielle et pour y répondre nous devons croiser les expertises.
J'avais moi-même consulté, lors de l'apparition des scolytes, des représentants de l'ONF pour savoir comment régénérer les forêts dans un contexte d'élévation des températures. Mais remplacer le bois du Haut-Doubs par celui du Var n'est sans doute pas la meilleure, ni la seule, solution.
C'est un sujet sur lequel il faut que nous soyons très vigilants et très investis. Je me réjouis des enseignements de cette table ronde, qu'il serait opportun de diffuser auprès des élus locaux afin qu'ils se rendent compte que tout n'est pas simple, et qu'il y a une véritable volonté, partagée par tous les acteurs, publics et privés, de défendre et promouvoir la filière forêt.
La réunion est close à 11 h 25.
Cette audition a fait l'objet d'un compte rendu disponible sur le site internet du Sénat.