- Mardi 4 février 2025
- Mercredi 5 février 2025
- Groupe de suivi sur la situation des finances publiques et l'exécution budgétaire en 2025 - Audition de MM. Laurent Bach, professeur associé au département Finance de l'ESSEC Business School, chercheur à la Swedish House of Finance et directeur de programme à l'Institut des Politiques Publiques, auteur de la note « À la recherche de la TVA perdue » du 22 janvier 2025, Stéphane Sorbe, chef du service des finances publiques et des politiques sociales, à la direction générale du Trésor, et Olivier Touvenin, chef du service de la gestion fiscale, à la direction générale des finances publiques, sur la prévision et la collecte de TVA
- Projet de loi de finances pour 2025 - Communication du rapporteur général sur l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur le projet de loi de finances pour 2025
Mardi 4 février 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président de la commission des finances, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 16 h 00.
Union pour l'épargne et l'investissement - Audition de M. Christian Noyer, gouverneur honoraire de la Banque de France
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Nous recevons M. Christian Noyer pour évoquer l'Union de l'épargne et de l'investissement. Je tiens d'abord à vous féliciter pour ce nouveau nom, monsieur le gouverneur, et j'espère que cette Union aura un meilleur avenir que l'union des marchés de capitaux. Vous êtes invité au titre du rapport que vous avez publié en avril dernier, à la tête d'un comité d'experts, après avoir été mandaté par Bruno Le Maire.
Vous avez occupé diverses fonctions en cabinet et dans l'administration économique et financière, avez été premier vice-président de la Banque centrale européenne (BCE) de 1998 à 2002, gouverneur de la Banque de France de 2003 à 2015, puis membre du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) de 2015 à 2020. Je vous remercie pour votre présence et remercie chaleureusement Jean-François Rapin, qui nous a proposé cette audition commune.
Dans votre rapport intitulé « Développer les marchés de capitaux européens pour financer l'avenir. Propositions pour une Union de l'épargne et de l'investissement », vous déplorez principalement que l'épargne financière massive accumulée par les Européens ne contribue pas suffisamment aux besoins de financement et de fonds propres de nos entreprises, à l'heure où les transitions écologique et numérique vont nécessiter des investissements massifs. Ce constat est largement partagé depuis le développement du projet d'union des marchés de capitaux.
Pour réorienter l'épargne financière vers les entreprises, notamment les plus innovantes, vous estimez que le canal bancaire, prédominant en Europe, ne suffira pas. Votre rapport prévoit quatre pistes principales d'amélioration, que je vous laisserai présenter. Je vous interrogerai sur deux axes d'évolution que vous préconisez.
D'abord, vous estimez qu'il convient de développer davantage les produits d'épargne de long terme. En la matière, votre proposition principale consiste à créer un produit labellisé au niveau européen : quelles en seront les modalités ? Par ailleurs, comment inciter les épargnants, généralement désireux de sécurité, à choisir ces investissements ? Au demeurant, est-ce une bonne chose d'inciter les épargnants à la prise de risque ?
Ensuite, vous proposez « une relance ambitieuse de la titrisation ». Or cette pratique a constitué l'un des rouages de la crise économique de 2008. En effet, les banquiers américains, pouvant revendre les titres adossés aux créances qu'ils accordaient, ont cessé de jouer leur rôle, prêtant à des ménages courant le plus grand risque de défaut de paiement, ce qui a conduit à disséminer des risques mal identifiés dans le système financier et a débouché sur la plus grave crise financière depuis 1929.
Comment la relance de la titrisation pourra-t-elle éviter ce genre d'écueil ? Comment s'assurer de la qualité des actifs titrisés éligibles aux coussins bancaires de liquidité ?
En arrière-plan, la question de la place du financement bancaire se pose. Vous estimez qu'elle est trop forte. Cependant, la relation privilégiée qu'entretiennent un banquier et son client n'est-elle pas de nature à garantir une bonne appréciation des risques ?
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je m'associe aux mots de bienvenue formulés par le président Claude Raynal et me félicite que la commission des finances ait accepté de se joindre à la nôtre pour cette audition.
Monsieur le gouverneur, l'union des marchés de capitaux a tout de l'Arlésienne : on en parle beaucoup, on l'attend depuis longtemps, mais elle ne vient jamais. Ce projet remonte désormais à plus de dix ans. En 2014, Jonathan Hill, commissaire européen britannique à la stabilité financière et aux services financiers, présentait avec emphase l'union des marchés de capitaux comme la « nouvelle frontière » de l'Union européenne.
Si les ambitions étaient grandes, les réalisations ont été modestes. Malgré les deux plans d'action proposés en 2015 et en 2020 par la Commission européenne, le marché européen des capitaux reste fragmenté. Récemment, l'échec du produit paneuropéen d'épargne retraite individuelle (Pepp) a une nouvelle fois démontré la difficulté d'avancer sur ce dossier : lancé en 2022, il n'a pas réussi à trouver son public. Comme vous l'indiquez dans votre rapport : « après dix ans d'intense activité législative, les résultats restent insuffisants, au risque d'alimenter une « fatigue » collective à l'égard de l'union des marchés de capitaux ».
Monsieur le gouverneur, votre rapport permet de sortir de cette torpeur européenne. Il fournit des propositions concrètes pour une Union de l'épargne et de l'investissement, nouvelle appellation donnée à l'union des marchés de capitaux.
L'épargne privée des Européens atteint le niveau record de 35 000 milliards d'euros, mais reste mal allouée. Vous appelez à mieux la mobiliser afin de financer les investissements productifs sur notre continent et de remédier au décrochage de l'Union européenne par rapport aux États-Unis. C'est un élément majeur d'une stratégie globale visant à permettre le redressement de la compétitivité de l'Union européenne, comme la Commission européenne l'a encore souligné la semaine dernière, en présentant sa « boussole pour la compétitivité ».
La mobilisation générale pour une relance de l'union des marchés de capitaux semble bien avoir sonné. Outre le vôtre, les rapports d'Enrico Letta et de Mario Draghi appellent aussi à une pleine mobilisation des marchés de capitaux.
Le président Raynal vous a déjà interrogé sur certaines de vos propositions ; je souhaiterais insister sur la méthode à employer pour les voir aboutir.
En septembre 2023, la France et l'Allemagne ont signé une feuille de route commune, pour appeler le Parlement européen et la présidence espagnole du Conseil à des progrès substantiels et rapides sur le sujet. Hélas, aucune avancée majeure n'a suivi.
À son tour, la commission von der Leyen II, entrée en fonction en décembre dernier, a affiché des ambitions en matière d'approfondissement des marchés de capitaux. Selon sa lettre de mission, la nouvelle commissaire européenne aux services financiers est chargée de mettre en place des « produits d'épargne européens » et de « réviser le cadre réglementaire » pour que les entreprises européennes puissent financer leur expansion. Ces objectifs restent néanmoins généraux et ni la Commission ni la présidence polonaise du Conseil n'ont donné de précisions.
Quelle méthode retenir pour s'assurer que l'échec des plans de 2015 et de 2020 ne se reproduise pas ?
L'Union de l'épargne et de l'investissement doit-elle être mise en oeuvre à 27 ou faut-il compter sur l'initiative de certains États membres pour avancer plus rapidement ?
Comment lever les blocages politiques ayant conduit à l'échec des plans de la décennie 2010 ? Dans un discours de novembre 2024, Christine Lagarde, présidente de la BCE, alertait sur le risque d'une « mort lente » du projet, « par accumulation de petites blessures ». Monsieur le gouverneur, comment maintenir en vie ce projet d'Union de l'épargne et de l'investissement ?
M. Christian Noyer, gouverneur honoraire de la Banque de France. - Le Conseil européen et la Commission européenne ont commandé deux rapports : celui d'Enrico Letta sur l'avenir du marché unique européen et celui de Mario Draghi sur la compétitivité de l'Union européenne. Alors que ces rapports étaient en préparation, des échanges commençaient à avoir lieu au sein du conseil des ministres de l'économie et des finances sur l'union des marchés de capitaux et sa possible relance. Cependant, les choses patinaient un peu. C'est dans ce contexte que Bruno Le Maire m'a demandé de présider un groupe qui pourrait préparer un rapport. La transition énergétique, la transition digitale et le relèvement du potentiel de croissance européen requerront des montants considérables, que nous n'obtiendrons pas sans développer les marchés de capitaux. L'idée était de faire simple et de se focaliser sur un petit nombre de questions opérationnelles, l'expérience prouvant qu'il est difficile d'aligner tout le monde autour de grands plans.
Le constat est partagé : le financement de la transition nécessitera un investissement d'environ 800 milliards d'euros par an jusqu'en 2030. Le financement de la transition énergétique nécessitera un peu plus de 100 milliards d'euros, auquel il faut ajouter d'autres besoins, tels que le surcroît d'investissement nécessaire pour relever le potentiel de croissance. Ainsi, il faudra entre 800 milliards et 1 000 milliards d'euros par an. De tels montants ne peuvent être couverts par des budgets publics. Ils le seront un peu par les banques, mais pas de façon massive, ces dernières étant limitées dans leurs capacités de prêt et de financement par les règles de capital fixées dans le cadre de l'accord international de « Bâle III », dont on a en Europe l'interprétation la plus rigoureuse. Il nous faut donc recourir davantage aux marchés de capitaux.
L'épargne européenne existe, mais n'est pas suffisamment employée à la croissance et aux besoins européens. L'épargne est notamment investie dans des produits sans risque de taux. Pour caricaturer : les Européens achètent des produits de taux américain provenant des agences Fannie Mae et Freddie Mac, et les Américains, en retour, achètent un peu d'actions de nos entreprises - et en prennent d'ailleurs peu à peu le contrôle -, avec un rendement bien supérieur à celui qu'obtiennent les épargnants européens.
Une fois ce constat posé, nous nous sommes demandé quelles mesures simples pourraient avoir un rendement important et changer la donne de façon significative. L'idée d'une Union de l'épargne et de l'investissement revient à Enrico Letta. L'appellation m'a semblé plus parlante que celle d'union des marchés de capitaux, et je l'ai donc reprise. Il s'agit d'identifier des mesures en matière de mécanismes de financement, d'orientation de l'épargne et de fonctionnement du marché, afin de rendre ce dernier plus efficace et attrayant, pour qu'il puisse apporter davantage de solutions au problème du financement de l'économie européenne.
En ce qui concerne les mécanismes de financement, l'Europe connaît une anomalie quant à la titrisation. Certes, nous avons connu un drame au moment du déclenchement de la grande crise financière, en raison de produits de titrisation américains fabriqués n'importe comment, dans une absence de règles et sans surveillance suffisante. À l'époque, les grandes banques américaines d'investissement qui fabriquaient ces produits n'étaient pas surveillées par la Banque fédérale (Fed) mais par la Securities Exchange Commission (SEC) - qui ne surveillait rien en réalité. Il y avait un défaut de surveillance et une absence de règle sur la façon de le faire. Il faut noter à cet égard que personne n'a perdu un centime sur des produits titrisés européens.
En conséquence de la crise, nous avons pris en urgence des mesures mondiales, les « règles de Bâle », nous avons durci les règles s'appliquant aux banques et à leurs besoins de capital, en particulier lorsqu'elles portent temporairement des instruments titrisés, ainsi qu'aux assurances - ce que les Européens ont été les seuls au monde à faire - et avons mis en place des mécanismes de compte rendu utiles, mais trop compliqués, qui doivent être simplifiés et modernisés pour être plus efficaces.
Par ailleurs, en Europe, mais aussi au Japon, au Canada ou en Australie, d'autres mesures ont été prises afin d'éviter les risques que des produits titrisés mal conçus pouvaient comporter. Ainsi, nous avons interdit la « retitrisation », soit les titrisations de titrisations, qu'on appelait des titrisations « au carré », « au cube », ou « puissance 4 », qui finissent par créer des produits tout à fait opaques car il fallait descendre plusieurs étages pour savoir ce qu'il y avait dans la soute, ce que personne ne faisait. La titrisation doit être simple et facile à analyser. De plus, nous avons interdit la titrisation sans rétention : les banques fabriquant ces produits doivent en garder une partie dans leur bilan, ce qui les oblige à ne fabriquer que des produits sûrs. En Europe aussi, nous avons également décidé de mettre en place une supervision des agences de notation, auxquelles on avait reproché de donner de bonnes notes à de mauvais produits. Tout le système de notation pour ces produits titrisés a été refondu.
Les États-Unis, quant à eux, n'ont rien fait : ils n'ont mis en place ni les règles de Bâle III sur la titrisation ni d'autres garde-fous. Cependant, le marché américain s'est amélioré, car les banques sont désormais surveillées et font plus attention.
Le Japon, qui a mis en place les mêmes sécurités législatives que nous, a décidé qu'il n'était plus besoin d'avoir recours à des pénalisations qui empêchent le marché de bien fonctionner, puisque si les banques ont trop de demandes en capital, elles ne fabriquent pas ces instruments, qu'elles doivent garder quelque temps avant de les revendre au fil de l'eau à des investisseurs. Nous devrions faire de même. En effet, la titrisation s'est effondrée en Europe, les montants concernés passant de 450 milliards d'euros à 150 milliards d'euros aujourd'hui. En revenant à la situation antérieure, nous aurions 250 milliards d'euros par an de capacité de financement. Si notre marché grandissait comme les marchés japonais ou canadien, nous aurions accès à 500 milliards d'euros de capacité de financement par an. De plus, si nous mettions en place une plateforme de type Fannie Mae et Freddie Mac comme il en existe aux États-Unis - où par parenthèse la plateforme n'a pas perdu un centime -, au Canada ou au Japon, nous pourrions construire peu à peu une masse de financement supplémentaire de l'ordre de 1 500 milliards d'euros. En procédant ainsi, nous avons une chance de parvenir à financer la transition ; sans le faire, nous n'avons aucune chance de réussir.
D'un point de vue technique, nous pouvons titriser directement des prêts de financement des infrastructures de transition énergétique ou financer des crédits aux entreprises ou des crédits immobiliers, pour faire de la place dans les bilans des banques, leur permettant d'augmenter leurs capacités de financement. Cela répond à votre interrogation de savoir si les banques sont bien outillées pour apprécier le risque. C'est le cas : elles doivent apprécier le risque et procéder aux crédits. Si elles titrisent, elles gardent une partie des produits titrisés et peuvent vendre les autres, refaire d'autres crédits en appréciant à nouveau le risque, et ainsi faire tourner le bilan.
En ce qui concerne l'épargne, nous avons beaucoup réfléchi dans le passé aux façons de la mobiliser. La Commission européenne avait proposé le Pepp, qui n'a pas fonctionné pour deux raisons. D'abord, il s'agit d'un instrument complexe, des différences existant entre les pays en matière de législation, notamment fiscale. De plus, le Parlement européen a décidé de fixer un montant maximum de rémunération, qui atteint un niveau irréaliste. Les intermédiaires n'ont donc pas intérêt à fabriquer ce produit car ils le fabriqueraient à perte ou sans marge. Ainsi, à trop vouloir défendre le consommateur, on se retrouve sans produit. Nous devons nous méfier de la fixation réglementaire des tarifs et des prix, la meilleure défense des consommateurs restant la concurrence.
Les différences réglementaires et fiscales entre les pays rendant difficile la fabrication immédiate de produits européens, nous suggérons de commencer par la création d'un label, qui pourrait être attribué à tous les produits d'épargne respectant un certain nombre de principes, comme l'engagement à long terme, la facilitation du placement d'actions et une incitation fiscale associée. On a d'ailleurs des fonds d'investissement qui vont dans ce sens, comme les fonds UCITS (pour Undertakings for Collective Investments in Transferable Securities).
Pour la titrisation, nous avons besoin de procéder à des changements réglementaires et ne pouvons faire l'économie d'une législation européenne. En revanche, pour les produits d'épargne, nous pouvons progresser à plusieurs et de façon pragmatique, si tout le monde n'est pas d'accord. C'est en particulier dans ce domaine que la France et l'Allemagne ont tenté d'avancer, en définissant des principes qui pourront ensuite être partagés avec d'autres. Ces discussions bilatérales avaient bien progressé à l'automne, mais les deux pays ont connu des contextes difficiles pour faire avancer les choses au sein de leur gouvernement respectif. Nous avons l'espoir que la situation se normalise. Nous avons aussi observé un intérêt pour cette démarche en Italie, en Espagne, en Suède et aux Pays-Bas. Quand une masse critique d'États importants de l'Union commence à se former, les autres ont tendance à vouloir en être.
J'en viens aux autres volets. Pour qu'un marché soit liquide et efficace, et que la stabilité financière soit assurée dans un marché qui grandirait, nous avons besoin d'un peu plus de supervision européenne. Cela ne signifie pas que tout doive être concentré à l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma) à Paris. Il s'agit de développer un système dans lequel l'Esma jouerait un rôle de chef de file et les superviseurs nationaux respecteraient les mêmes règles. Néanmoins, dans certains domaines comme celui des infrastructures critiques, il vaut mieux concentrer. À ce titre, nous avons fait état dans le rapport d'un paradoxe : l'Esma a une fonction de co-surveillance des contrats et des marchés en euros qui sont passés à Londres, mais, quand des contrats ou des marchés en euros de la même importance sont mis en oeuvre à Francfort ou à Paris, nous n'avons pas de supervision unique. De plus, je le rappelle, s'il devait y avoir un accident - le risque est infime -, ce ne sont pas les États membres dans lesquels les marchés sont passés qui seraient susceptibles de payer la facture, mais les grandes banques. Or les plus grandes banques européennes sont françaises. Ainsi, s'il y avait un accident à Francfort, les Français paieraient bien plus que les Allemands. La rationalité d'avoir une surveillance par l'autorité allemande est, de ce point de vue, très discutable.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Selon le rapport, le manque de profondeur des marchés de capitaux est notamment lié, en France, à notre système de retraite par répartition, qui entraîne un manque d'investisseurs institutionnels majeurs. Si notre système fonctionnait davantage par capitalisation, pourrions-nous mieux servir cette Union de l'épargne et de l'investissement ? Pour quelles raisons le Pepp n'a-t-il pas trouvé son public ?
En ce qui concerne la consolidation bancaire européenne que vous appelez de vos voeux, comment procéder ? Quelles sont ses perspectives ?
M. Christian Noyer. - Pour les retraites, le fait que le système par répartition soit très développé dans un certain nombre de pays nous empêche d'avoir la puissance de feu des États-Unis. Le Pepp visait d'ailleurs à imiter un instrument très répandu et populaire aux États-Unis : le plan 401(k).
Cependant, alors que le système par répartition est particulièrement important en France où le deuxième niveau - la retraite complémentaire - est devenu obligatoire, nous avons développé un produit qui répondrait bien à un éventuel label européen : le plan d'épargne retraite (PER) individuel. Les montants ne sont pas énormes, mais le plan est très attractif et pourrait fonctionner mieux encore dans des pays où le système par répartition est moins important.
A contrario, d'autres pays, comme les Pays-Bas, qui ont des systèmes de fonds de pension très développés, voient leur épargne massivement investie hors d'Europe. En effet, leur construction juridique ne prévoit pas suffisamment d'incitation pour assurer une dose minimale et significative d'obligation à investir en Europe.
Nous avons retenu comme l'un des critères cette dose minimale mais significative d'investissement en Europe, ce qui existe en France avec le plan d'épargne en actions (PEA), mais pas dans tous les pays. On ne peut pas obliger les gens à investir essentiellement en Europe sans incitation. Les États doivent fournir des efforts budgétaires pour mettre en place cette incitation fiscale ; il est alors rationnel de demander, en échange, un certain investissement dans des actifs européens. Un avantage fiscal pourrait aussi justifier de demander que des produits comportant une dose d'investissement en actions soient choisis. En effet, pour financer les transitions et la croissance, il ne suffit pas de générer de la dette, les entreprises ne pouvant en accumuler indéfiniment sans avoir un minimum de fonds propres. Il faut donc développer aussi le marché des actions.
En France, historiquement, et en dehors du PEA et du PER, les incitations fiscales profitent massivement à l'épargne réglementée, soit à l'investissement à court terme presque à vue, et l'assurance-vie est majoritairement constituée de fonds en euros en pratique remboursables à tout moment. Ainsi, le grand effort fourni par l'État français profite à des produits certes bien orientés sur les besoins d'investissement français et européens, mais qui, en termes de financement de l'économie, ne répondent pas aux nécessités d'aujourd'hui.
En ce qui concerne la consolidation bancaire européenne, je suis frappé de constater que, même à l'intérieur de la zone euro, où il existe une véritable union bancaire et un système de supervision organisé autour de la BCE, la législation autorise les États membres à ajouter des couches nationales de règles dans certains domaines, ce que la France ne fait pas. À titre d'exemple, l'Allemagne et la Belgique interdisent la libre circulation des liquidités d'un pays à un autre à l'intérieur d'un groupe bancaire. C'est une des raisons pour lesquelles Unicredit grandit en Allemagne : elle a une banque qui a un excès de ressources et souhaiterait disposer d'une banque qui a des besoins de ressources pour arriver à faire son pool là-bas. Elle ne peut pas transférer cette liquidité facilement en Italie. BNP Paribas ne peut pas facilement transférer la liquidité qu'il a en surplus à certains moments dans sa filiale belge dans le reste du groupe. On a aussi ce type de phénomène, dans la réglementation elle-même des fonds propres complémentaires, avec le MREL (pour minimum requirement for own funds and eligible liabilities) qui donne une couche de sécurité supplémentaire. En principe, cela devrait être mondial et la réglementation mondiale, qu'on appelle TLAC (pour total loss absorbing capacity), s'applique au niveau du groupe. En Europe, on a cru bon de le durcir en fabriquant une règle particulière, mais on a surtout laissé les États membres qui le voulaient - et certains l'ont fait - exiger qu'une fraction de ces fonds propres complémentaires soit localisée dans leurs filiales, ce qui, à l'intérieur d'une union bancaire, est complètement absurde. C'est comme si on disait à une banque française qu'elle n'a pas le droit de transférer les fonds propres dont elle dispose en Midi-Pyrénées vers l'Île-de-France ou dans le Grand Est parce qu'on veut avoir des fonds propres sur place. Ça ne marcherait pas, et on est dans cette situation-là au niveau européen. Des progrès considérables doivent être accomplis pour interdire ces pratiques. Tant que nous ne mettons pas en place une véritable union bancaire, il reste contraignant et coûteux pour les banques de se développer largement en Europe. Il est aussi coûteux de se développer en Europe que de se développer dans d'autres parties du monde.
En revanche, l'intégration bancaire fonctionne assez bien, notamment pour les métiers de marché et les métiers d'épargne et d'investissement. Ainsi, les banques françaises, qui sont les meilleures en Europe pour les activités de marché, se développent dans d'autres pays européens, y compris en Allemagne.
Mme Christine Lavarde. - La Commission européenne avait acté le report d'un an de l'application du cadre réglementaire de la Fondamental Review of Trading Books (FRTB), ou « Bâle III révisé », prenant notamment en considération le fait que les Américains avaient décidé d'en décaler la mise en oeuvre. Or l'Autorité bancaire européenne (ABE) s'apprête à demander à nos banques de publier dès 2025 des données de solvabilité dans le futur référentiel de Bâle III révisé. L'ABE ne remet-elle pas ainsi en cause la compétitivité de nos banques ?
Par ailleurs, la réforme du cadre de gestion des crises bancaires et d'assurance des dépôts ou CMDI (crisis management and deposit insurance) semble comporter deux risques. D'une part, elle peut renforcer la fragmentation du marché bancaire européen et, d'autre part, introduire une distorsion de concurrence en donnant accès à des fonds publics à certaines banques, alors que ces dernières n'auraient pas mis en place le dispositif interne de « bail-in ». Que pensez-vous de ces risques ?
M. Pierre Barros. - Qui doit participer à l'autorité de surveillance ? Quel en sera le mode de gouvernance ?
Par ailleurs, la titrisation de créances doit permettre aux banques de libérer des capacités et de créer du flux et de l'emprunt. À quoi servira l'argent ainsi libéré ? Vous évoquez la capacité de tels dispositifs à générer des moyens pour la transition écologique. Se pose ainsi la question du financement des infrastructures et des transports. Cependant, qu'est-ce qui permettra de financer ce type d'investissement plutôt que des projets rapportant encore fortement, dans des domaines comme celui du pétrole par exemple ? Il reste plus risqué de financer des projets liés à la transition écologique que des projets portés par des entreprises comme TotalEnergies ou Exxon.
Mme Florence Blatrix Contat. - Quelle serait l'échéance pour la relance de la titrisation ? Sur quel texte européen reposera-t-elle ? La disposition devra impliquer une convergence en matière de fiscalité et un rapprochement dans le domaine du droit boursier ; sa mise en place risque d'être très longue.
J'en viens à la création du 28e régime de supervision, qui pourrait être choisi sur la base du volontariat et que vous souhaitez plus permissif que les autorités nationales. Ne s'agit-il pas d'une solution intermédiaire et insuffisante pour répondre à la fragmentation financière européenne ?
En ce qui concerne le règlement-livraison, pourquoi la blockchain serait-elle indispensable alors qu'aucun acteur important du secteur n'a réussi à en faire une évidence ? Pourquoi insister sur ce point dans le rapport ?
Enfin, l'euro numérique pourrait-il jouer un rôle dans l'unification des infrastructures financières européennes ?
M. Grégory Blanc. - La crise de 2007-2008 était liée à des produits structurés qui apparaissaient hors bilan pour certains investisseurs institutionnels, mais aussi au fait que les produits étaient échangés dans des chambres de compensation grises, voire noires. Ces mécanismes d'échange ont entraîné un phénomène de déstabilisation du marché interbancaire.
J'ai bien entendu vos propos sur la nécessité d'améliorer les mécanismes de supervision et d'avoir plus de profondeur pour attirer davantage de capitaux. Cependant, vous n'avez pas évoqué ces chambres de compensation ni la façon de réglementer cet aspect-là. J'insiste sur ce point notamment parce que, depuis 2008, le virtuel et les cryptoactifs ont aussi fait leur apparition.
Mme Isabelle Briquet. - Comment garantir que l'union des marchés de capitaux pourra bénéficier aux petites et moyennes entreprises (PME) et pas seulement aux grandes entreprises et aux marchés financiers ?
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Comment faire pour que des pays européens ayant peu de projets à financer ne craignent pas de voir leur épargne favoriser le développement des grands pays industriels, au détriment de leur propre développement ? Comment les rassurer sur le fait qu'ils bénéficient d'un retour vers eux quant à l'utilisation des capitaux ?
M. Christian Noyer. - Concernant l'ABE, la gestion du cadre CMDI et les règles de Bâle III révisé, il s'agit seulement de se préparer à l'hypothèse d'une absence de report. À titre personnel, je pense qu'il ne faudrait pas geler l'application pour un an, mais pour bien plus longtemps. Les Américains ne s'y tiendront pas, tout comme les Britanniques et d'autres grands pays. L'Union européenne s'est précipitée, comme souvent, pour mettre en place une législation sur la base de cet accord international, sans savoir si les autres le mettraient en oeuvre. Si nous le faisons, nous tuerons les banques européennes dans les domaines concernés. Il ne restera que les banques américaines et, le jour où il y aura un problème, celles-ci donneront la priorité au marché américain. Ainsi, lors de la crise du covid-19, l'activité des banques américaines en financement et en organisation d'émissions obligataires s'est affaissée alors que certaines banques européennes, notamment françaises, ont développé leur activité, car des entreprises de différents pays européens avaient besoin de capitaux : les banques françaises ont alors organisé des émissions obligataires pour les grandes entreprises allemandes et les banques américaines étaient beaucoup moins présentes qu'avant. Nous avons besoin d'acteurs européens importants et il nous faut éviter de les affaiblir.
En ce qui concerne la gestion du cadre CMDI, je suis choqué par le fait que des banques n'ayant pas contribué à la confection d'un fonds de garantie puissent y avoir accès. Le système bancaire français paye beaucoup pour les autres. De plus, l'Europe est la seule à avoir fabriqué un fonds de résolution de ce type. La résolution devrait être essentiellement financée par les entreprises. La résolution consiste essentiellement à obliger les banques à avoir des plans en cas d'accident, pour pouvoir vendre des actifs par morceaux, afin qu'ils puissent se faire racheter. Un fonds de résolution doit rester une solution extrême. On y a mis beaucoup d'argent. De plus, la charge a été mal répartie entre les grandes banques, surtout françaises, et les moyennes et petites banques. Il faut essayer de minimiser ce que payent les banques françaises.
Pour ce qui est de la problématique de l'autorité de surveillance du domaine bancaire, l'Union européenne a mis en place un système de supervision ayant pour clé de voûte la BCE, secondée par les autorités de supervision nationales telles que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en France. Cette supervision, qui est effectuée par des équipes de supervision conjointes, permet d'assurer une surveillance étroite des banques.
Sur le moyen et le long termes, j'imagine, pour tous les acteurs de marché - qu'il s'agisse des banques d'investissement ou surtout des gestionnaires d'actifs - un système similaire dont l'Esma serait le chef de file. Elle assurerait ainsi directement et presque seule la supervision des infrastructures systémiques et pourrait rassembler dans un même collège les superviseurs des principaux pays dans lesquels intervient l'acteur considéré.
Certains des mécanismes existants pèsent sur la compétitivité. Imaginons que l'un des principaux gestionnaires d'actifs, Amundi, crée un produit dans l'une de ses filiales - mettons une société d'investissement à capital variable (Sicav) ou un fonds commun de placement (FCP) qui répond à la législation européenne. Il l'enregistre à Luxembourg ou à Paris, peu importe, et souhaite le vendre dans les autres pays européens où il est actif : bien qu'il s'agisse d'un fonds européen répondant aux exigences de la réglementation, il faudra qu'il procède, dans chaque pays où il souhaite aller, à des enregistrements et à diverses diligences, ce qui alourdit les coûts et allonge les délais. À l'inverse, si le même fonds crée un produit dans l'un des États américains, il peut le vendre partout dans le reste des États-Unis, sans aucune diligence supplémentaire.
Le passage à une supervision unique suscite cependant des réticences. Ce mode de fonctionnement a été adopté pour le secteur bancaire à la faveur d'une crise en 2010-2012 mais on n'aurait probablement pas pu le faire autrement. Il faut donc procéder par étapes. Des choses paraissent évidentes sur les grandes infrastructures systémiques, mais peut-être faut-il envisager un droit d'option afin de lancer le mouvement en douceur. Pour reprendre l'exemple précédent, Amundi pourrait ainsi vendre directement son produit dans tous les pays dès lors que l'Esma aurait donné son feu vert.
L'idée que le supervisé choisit son superviseur suscite toujours des réactions et un peu de gêne. Il conviendra donc de progresser avec prudence, un certain nombre de petits pays redoutant de voir leur épargne partir pour financer les plus grands.
S'agissant de la titrisation et de la manière de s'assurer de l'orientation des investissements, je signale que l'industrie du pétrole et du gaz s'autofinance pour l'essentiel, même si elle peut solliciter des financements dans le domaine des énergies renouvelables (EnR). Les seules fois où TotalEnergies va chercher un peu d'emprunt obligataire ou de financement bancaire relais, c'est pour développer des champs solaires ou d'éoliennes si le groupe ne dispose pas de suffisamment d'autofinancement venant du pétrole et du gaz.
De manière générale, il est légitime de se demander si la place libérée dans les bilans bancaires par la titrisation - d'emprunts immobiliers, par exemple - permettra de financer des opérations en faveur de la transition.
Face à des besoins supplémentaires, les banques trouveront les financements requis en déterminant le juste prix et les garanties nécessaires pour protéger les épargnants, mais de manière naturelle. Il est en effet inutile d'ajouter des règles bureaucratiques conditionnant l'autorisation de titriser à l'orientation de l'investissement, qui s'avèrent en général contre-productives. Je suis au contraire convaincu que l'octroi de nouvelles capacités de financement conduira les investisseurs à choisir le financement d'infrastructures, directement ou par le biais d'obligations ou d'actions émises par les gestionnaires de ces dernières.
En résumé, il faut lancer le mouvement en créant des opportunités d'investissement plutôt qu'en recourant à des incitations fiscales mal ciblées qui conduisent les Européens à acheter trop d'actifs américains, souvent des actifs liquides moins bien rémunérés. De manière paradoxale, l'épargne européenne investie dans des actifs américains très liquides est mal rémunérée, alors que l'épargne américaine utilisée pour acheter des actions européennes bénéficie d'une rémunération moyenne bien plus élevée - avec une prise de risques plus importante. D'une certaine façon, un transfert de richesse au détriment des épargnants européens est à l'oeuvre.
Concernant la relance de la titrisation, la Commission européenne a entamé au début de l'automne une consultation des acteurs qui s'est achevée en décembre, et elle devrait présenter une proposition législative en juin. La Commission doit par ailleurs communiquer sur les produits d'épargne européens et les principales pistes sur l'Union de l'épargne et de l'investissement qu'elle envisage dès le mois de mars. L'initiative française fait partie du paquet qui sera discuté au niveau européen.
J'en viens à la problématique du règlement-livraison, qui soulève de nouveau les difficultés liées à une insuffisante harmonisation du droit des faillites et du droit boursier. Aujourd'hui, une chambre telle qu'Euroclear - initialement une chambre française qui s'est agrégée avec les chambres belge et néerlandaise et dont le siège se situe à Bruxelles - permet d'effectuer le règlement-livraison de titres d'un certain nombre de pays, car elle a notamment intégré le droit boursier et le droit des sociétés de la France, de la Belgique, de l'Allemagne et des Pays-Bas.
En revanche, nous avons récemment été confrontés au cas d'une entreprise tchèque désireuse d'être cotée à Paris afin d'avoir accès à de nouveaux investisseurs, mais le problème du règlement-livraison s'est alors posé dans la mesure où Euroclear ne couvre pas le droit tchèque, concernant par exemple les diligences à suivre pour le paiement des coupons des dividendes d'actions. Il peut y avoir des spécificités juridiques et fiscales qui nécessitent d'être intégrées dans le système. Les obstacles sont importants et les propositions de mon rapport ne peuvent faire l'économie d'une harmonisation du droit des sociétés et du droit boursier, qui reste donc indispensable, même s'il ne faut pas en faire un préalable à toute action.
C'est au contraire en nous heurtant à des cas concrets tels que celui que j'évoquais que nous parviendrons à convaincre les uns et les autres que leur intérêt ne consiste pas nécessairement à se replier sur eux-mêmes, en cherchant à tout prix à conserver leur épargne, mais davantage à se saisir des opportunités pour leurs entreprises et pour leur développement économique.
Pour ce qui concerne les produits structurés à l'origine de la crise de 2007-2008, je rappelle que la compensation des échanges d'instruments financiers a été rendue obligatoire à la suite de ladite crise, d'où un développement exponentiel des chambres de compensation pour les produits dérivés et structurés. Le système, mis en place mondialement, fonctionne de manière satisfaisante, mais la fragmentation de la supervision de ces chambres laisse planer un risque lorsque les chambres de compensation ont un aspect systémique ; il est donc nécessaire, selon moi, de déployer une supervision très forte à l'échelle européenne visant à s'assurer que les risques sont maîtrisés et qu'il n'y a pas de risque caché.
Concernant les cryptomonnaies, qui ne sont pas échangées dans une chambre de compensation et ne sont donc échangées nulle part, je persiste à penser qu'il s'agit d'une non-valeur et qu'elles présentent les caractéristiques d'une pyramide de Ponzi puisqu'elles ne correspondent à aucun droit de créance ou droit de propriété sur un actif réel : elles sont simplement basées sur l'espoir qu'un spéculateur sera disposé à les racheter à une valeur supérieure à leur valeur d'achat, ce qui en fait, à mes yeux, un système intrinsèquement dangereux.
Lesdites cryptomonnaies ne sont pas réglementées dans la mesure où l'on ne souhaite pas leur accorder un statut d'actif financier digne de ce nom. Pour autant, elles attirent un volume non négligeable d'épargne, ce qui me pose un vrai problème. Je juge en effet très curieux d'avoir, pour des raisons budgétaires, suggéré un relèvement de la taxe sur les transactions financières - qui consiste essentiellement à pénaliser les investissements en actions, pourtant très utiles - sans évoquer une taxation des investissements dans les cryptomonnaies, c'est-à-dire dans un instrument qui ne finance rien.
En revanche, la blockchain n'est pas uniquement liée aux cryptomonnaies, même si elle a été utilisée dans ce domaine. Lorsque la Banque centrale européenne évoque la perspective d'instaurer un euro numérique, le débat porte sur la priorité à donner à un euro numérique de gros - solution qui a ma préférence - ou à un euro numérique de détail, et non pas sur la blockchain, technologie qu'elle va utiliser au service d'une vraie monnaie, afin de procéder à de vraies transactions et de faciliter le financement de vrais investissements.
Nous avons donc tâché de déterminer si la technique de la blockchain, utilisée dans le cadre d'un circuit contrôlé par la banque centrale, permettrait d'accélérer les opérations. D'après un certain nombre d'études et d'essais, il semblerait qu'un tel système permettrait d'aboutir à des règlements instantanés. L'enjeu est donc bien distinct de celui des cryptomonnaies.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Je n'ai pas bien compris comment les petits pays pourraient être rassurés, même si vous avez indiqué qu'ils bénéficieraient d'un accès à l'épargne européenne.
M. Christian Noyer. - Leur inquiétude est palpable, notamment par rapport à une éventuelle concentration des décisions à Paris, où est installée l'Esma. Il faut déployer des efforts de pédagogie en expliquant que les superviseurs locaux seront maintenus et que ces pays retireront un net avantage de l'accès à davantage de capacités de financement extérieur.
Mme Ghislaine Senée. - L'une de vos réponses m'a laissée un peu sur ma faim concernant les entreprises fossiles, puisque vous avez affirmé que les investissements s'orienteraient de manière naturelle vers des placements dits « verts ». Au-delà des petits pays, tous les habitants de l'Union européenne sont préoccupés par le réchauffement climatique, alors que la trajectoire permettant d'atteindre la neutralité carbone n'est pas du tout respectée.
Je souhaiterais savoir comment nous pouvons envisager, au travers de l'Union pour l'épargne et pour l'investissement, d'orienter les investissements, car je n'ai qu'une foi modérée dans l'autorégulation.
M. Christian Noyer. - Je voulais simplement mettre en garde contre une réglementation qui pénaliserait la titrisation des actifs en fixant une série de conditions et de critères dissuasifs. La pénalisation revient à estimer que le risque afférent à des produits titrisés, qui se traduit par une exigence de charge en capital, est deux fois plus important que les crédits qui sont dedans.
Je me suis peut-être mal exprimé et partage votre interrogation quant aux moyens d'orienter les investissements, notamment grâce à des instruments d'incitation fiscale. Il est en effet légitime d'instaurer des critères verts pour tel ou tel produit d'épargne, mais la difficulté résidera alors dans la montée en puissance de ces instruments, puisque vous ne pourrez pas, dans un premier temps, vous appuyer sur un grand nombre de produits.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Merci de nous avoir présenté les grandes lignes de ce rapport.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci beaucoup, monsieur le gouverneur.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 30.
Mercredi 5 février 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 10 h 00.
Groupe de suivi sur la situation des finances publiques et l'exécution budgétaire en 2025 - Audition de MM. Laurent Bach, professeur associé au département Finance de l'ESSEC Business School, chercheur à la Swedish House of Finance et directeur de programme à l'Institut des Politiques Publiques, auteur de la note « À la recherche de la TVA perdue » du 22 janvier 2025, Stéphane Sorbe, chef du service des finances publiques et des politiques sociales, à la direction générale du Trésor, et Olivier Touvenin, chef du service de la gestion fiscale, à la direction générale des finances publiques, sur la prévision et la collecte de TVA
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Laurent Bach, professeur associé au département Finance de l'ESSEC Business School, co-responsable du pôle Entreprises de l'Institut des politiques publiques et membre du comité scientifique constitué par le Gouvernement sur le sujet des prévisions budgétaires, pour approfondir la thématique de la prévision et de la collecte de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à laquelle M. Bach a consacré une récente note, intitulée « À la recherche de la TVA perdue ».
M. Bach croisera son regard de chercheur avec le point de vue de deux praticiens du ministère de l'économie.
M. Stéphane Sorbe, chef du service des politiques sociales et des finances publiques à la direction générale du Trésor, pourra ainsi nous exposer plus particulièrement la méthodologie suivie par le Trésor pour établir les prévisions des recettes de TVA, en détaillant les principes de fonctionnement du modèle d'estimation de la « TVA théorique », ses résultats ainsi que ses limites et les évolutions éventuelles portées au cours des derniers mois.
M. Olivier Touvenin, chef du service de la gestion fiscale à la direction générale des finances publiques (DGFiP), pourra pour sa part présenter la contribution de l'administration fiscale à l'établissement des prévisions des recettes de TVA et les liens entre prévisions et collecte de l'impôt.
Permettez-moi de vous remercier tous les trois pour votre présence à cette table ronde, organisée dans le cadre de notre groupe de suivi sur la situation des finances publiques et l'exécution budgétaire en 2025.
Nous poursuivons ainsi les travaux que nous avons conduits sur la dégradation des finances publiques depuis 2023. Dans un premier rapport publié en juin et un second rapport publié en novembre 2024, nous nous sommes largement penchés sur l'erreur qui a affecté les prévisions de recettes fiscales au cours de ces deux dernières années, à hauteur de plus de 40 milliards d'euros en 2024.
Un quart de cet écart environ relève des recettes de TVA auxquelles M. Bach s'est intéressé. En effet, elles ont été surévaluées de 11,3 milliards d'euros dans les prévisions initiales du ministère de l'économie par rapport aux dernières estimations du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 (PLFG). Je précise que ce compte demeure encore provisoire.
Dans votre note, M. le Professeur, vous mettez en avant trois facteurs d'explication cumulatifs : d'une part, l'évolution des emplois de produits taxables à la TVA aurait été mal prévue, ce qui relèverait d'une « erreur de prévision macroéconomique » ; d'autre part, le lien entre emplois taxables à la TVA et recettes de TVA se serait distendu, du fait de la conjoncture post-covid-19 ; enfin, le dynamisme des remboursements de créances de TVA des entreprises aurait été plus important que prévu.
Si une partie de ces facteurs paraît certes irréductible, vous esquissez plusieurs pistes pour améliorer la qualité des prévisions des recettes de TVA et, par conséquent, le pilotage de nos politiques budgétaires. Je rappelle en effet que la TVA constitue la première source de recettes fiscales des administrations publiques, avec 205 milliards d'euros en 2023, dont 96 milliards d'euros affectés à l'État ou à ses opérateurs, 57 milliards d'euros affectés à la sécurité sociale et 52 milliards d'euros affectés aux collectivités territoriales.
Dans ce contexte, la présente table ronde devrait nous permettre d'appréhender les évolutions concrètement envisagées par l'administration pour améliorer la qualité des prévisions de recettes de TVA et les contraintes éventuelles rencontrées en la matière.
Dans le cadre de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques, nous avions demandé au Gouvernement de « réaliser une étude interne pour comprendre les raisons des retards rencontrés dans le traitement des remboursements de TVA en 2023 et mettre en place des mesures correctives en 2024, afin d'améliorer la prévision des recettes de cet impôt ». Quelles suites la direction générale du Trésor et la DGFiP ont-elles données à cette recommandation ? La méthodologie suivie par l'administration a-t-elle été ajustée en conséquence pour la prévision de recettes pour 2025 ?
Comme le montre la question des remboursements de créances des entreprises, les sujets de la prévision et de la collecte de la TVA sont étroitement liés. Aussi, cette audition sera également l'occasion de revenir sur les principaux enjeux actuels en matière de collecte. Une attention toute particulière sera ainsi portée à la mise en oeuvre des mesures récemment adoptées par le Parlement.
M. Laurent Bach, professeur associé au département Finance de l'ESSEC Business School, chercheur à la Swedish House of Finance et directeur de programme à l'Institut des politiques publiques. - Je vous remercie de votre invitation. Je suis en effet professeur de finance ; le lien avec la collecte de la TVA peut sembler ténu, mais c'est surtout en tant que membre de l'Institut des politiques publiques que j'ai travaillé sur ce sujet. Comme évaluateur des politiques publiques, j'étudie régulièrement depuis 2020 les données de TVA issues des déclarations individuelles, rendues disponibles aux chercheurs par la DGFiP. La suggestion de plus en plus forte au cours de l'année 2024 que la TVA serait l'une des principales composantes d'erreurs de prévisions budgétaires m'a amené à me documenter sur les prévisions de cet impôt et à publier cette note.
Nous n'aurons une vue définitive de l'erreur sur les prévisions de recettes de TVA en 2024 qu'avec la publication du compte des administrations publiques par l'Insee, à la fin du mois de mars prochain. L'ordre de grandeur de plus de 10 milliards d'euros d'écart, entre l'estimation en loi de finances initiale et l'exécution, sera sans doute correct.
Pour prévoir les recettes d'un impôt, il faut prévoir son assiette et le moment où il sera payé. Or la TVA a une spécificité : tous les acheteurs situés le long de la chaîne de valeur l'acquittent, à divers taux, mais tous, sauf celui qui est au bout de la chaîne, se la font rembourser. Par conséquent, on ne constate pas directement son assiette, ce qui la différencie d'autres prélèvements obligatoires.
On utilise donc un modèle, le modèle théorique de la TVA, maintenu par la direction générale du Trésor, qui doit établir dans quelle mesure cette assiette ressemble à des agrégats observables et susceptibles de faire l'objet de prévisions macroéconomiques. Ces agrégats s'appellent des emplois de produits taxables à la TVA. Ce modèle se nourrit d'informations produites par l'Insee sur l'identité des acheteurs et des vendeurs dans notre économie. Ces informations sont elles-mêmes issues d'enquêtes, souvent anciennes et non exhaustives, faute de données administratives directes sur le sujet.
Ces emplois taxables donnent un rôle important à la consommation des ménages, qui est bien la cible théorique de cet impôt, mais la mécanique réelle de la TVA, avec ses taux réduits et ses exonérations, implique que des emplois de produits autres que la consommation finale participent à l'assiette prédite par le modèle du Trésor. On parle, pour désigner ces assiettes autres que la consommation des ménages, de « rémanences de TVA ».
Une fois les coefficients affectés à chacune de ces sous-assiettes de TVA, les conjoncturistes fournissent une prévision macroéconomique d'évolution de chacun de ces emplois taxables : consommation des ménages, investissement et consommations intermédiaires de divers agents publics et privés.
Deuxième spécificité de la TVA : les entreprises la reversent immédiatement en cas de débit, mais peuvent, en cas de crédit, se faire rembourser par l'administration fiscale, avec un délai allant de quelques semaines à quelques mois, selon la difficulté de chaque demande. Ainsi, de la même manière qu'une enseigne de grande distribution est payée comptant tout en imposant des délais de paiement à ses fournisseurs, le délai de remboursement de la TVA entraîne pour l'État des recettes de trésorerie, d'autant plus grandes que l'assiette de la TVA croît et que les entreprises avec un crédit de TVA attendent avant de demander le remboursement de leur crédit.
On peut séparer la croissance des recettes de TVA en trois éléments distincts, qui peuvent chacun contribuer à l'erreur totale.
Première source possible d'erreur : la prévision de croissance des agrégats macroéconomiques qui miment l'assiette de TVA. La loi de finances initiale pour 2023 avait légèrement sous-estimé la croissance des emplois taxables et la loi de finances pour 2024 l'a surestimée de 1,9 point. Cette erreur de prévision macroéconomique a une ampleur qui n'est pas exceptionnelle et elle porte plutôt sur la composition de la croissance - une consommation plus faible que prévu - que sur son niveau.
La deuxième source possible d'erreur porte sur l'évolution du résidu d'assiette de TVA, qui n'est pas bien approximé par le modèle théorique du Trésor ; on parle, dans les documents budgétaires, d'un « effet de structure ». Jusqu'en 2020, cet effet était à peu près nul : la croissance des emplois taxables, modélisée par le Trésor, reproduisait très fidèlement la croissance spontanée de l'assiette. C'est une performance tout à fait remarquable, pour un modèle qui retrace l'ensemble des chaînes de valeur qui parcourent notre pays sans disposer de données exhaustives sur toutes les transactions. Malheureusement, depuis 2021, ce terme résiduel est devenu très significatif, d'abord positif pour les recettes, puis très négatif. La sortie des confinements et la crise énergétique ont déformé, à composition de la croissance donnée, la structure des achats en valeur nominale, d'abord en faveur, puis en défaveur, de produits générant beaucoup de recettes de TVA. J'aimerais pouvoir vous dire exactement de quel type d'achats l'on parle, mais c'est précisément l'absence d'informations suffisamment à jour sur la structure fine des achats au sein de notre économie qui explique cette erreur, même si des soucis très similaires sont advenus dans les prévisions en Allemagne, où, semble-t-il, ce sont des achats à fort contenu en importation qui ont contribué le plus à l'erreur de prévision.
La troisième source d'erreur réside dans la prévision d'évolution des recettes de trésorerie de la TVA. Ces recettes sont habituellement faibles, mais en 2021 et en 2022, je les estime à environ 1 milliard d'euros. La raison principale de cette augmentation réside dans la croissance à deux chiffres de l'assiette de la TVA deux années de suite. En 2023 et 2024, la croissance de cette assiette a repris un rythme habituel, donc les recettes de trésorerie ont significativement baissé. Je précise que je ne porte pas de jugement sur une éventuelle erreur de prévision du traitement des demandes de remboursement par la DGFiP, traitement qui n'a, à ma connaissance, d'impact direct sur les recettes de TVA qu'en comptabilité budgétaire.
Je vais terminer en me demandant ce que l'on pourrait faire mieux.
Je ne suis pas expert de prévision macroéconomique, mais j'observe qu'il existe déjà beaucoup de ressources humaines allouées à cette activité, au sein et en dehors de l'administration, dans le public et dans le privé. Malgré cela, il est difficile d'éviter des erreurs d'un ou deux points de TVA. Il ne me paraît donc pas prioritaire de faire des efforts supplémentaires sur ce sujet.
Il y a probablement plus à faire du côté de la modélisation de l'assiette de la TVA par le Trésor. Par exemple, il serait nécessaire de partager plus régulièrement avec les chercheurs les informations sur la nature du modèle, les données qu'il prend en compte et les résultats détaillés qu'il produit. Cela permettrait à des équipes externes à l'administration, comme celle de l'Institut des politiques publiques, de s'en saisir pour proposer d'autres prévisions de l'évolution de l'assiette.
À moyen terme, le suivi en temps réel des transactions entre entreprises, prévu pour 2026 pour les plus grandes entreprises, devrait être l'occasion de fournir au modèle du Trésor des éléments bien plus détaillés et à jour sur la nature des chaînes de valeur sur le territoire français. Cette réforme suscite beaucoup d'espoirs du côté des utilisateurs de la statistique publique, que je représente.
À plus long terme, on pourrait envisager la fermeture des rémanences de TVA, car certains producteurs et certains produits en sont totalement exonérés, ce qui est à l'origine de l'écart entre consommation des ménages et assiette de la TVA. Ce sont toutefois des sujets législatifs, qui se jouent non seulement à une échelle nationale, mais aussi à l'échelle européenne.
Enfin, sur le sujet de la prévision des recettes de trésorerie, il faut éviter la confusion sémantique qui peut vite émerger entre dynamique des remboursements et dynamique des recettes de trésorerie. L'évolution des remboursements de TVA est en effet avant tout un signal, certes tardif, du dynamisme de l'économie, alors que les recettes de trésorerie sont directement issues du délai de remboursement des crédits de TVA des entreprises. Pour suivre l'évolution de ce délai de paiement et son impact en trésorerie, il faut suivre régulièrement le stock des créances de TVA. Les déclarations des entreprises devraient permettre de diffuser et d'analyser cette information à une fréquence mensuelle pour la plupart des entreprises. Cela pourrait faire partie d'un baromètre mensuel de la TVA, qui inclurait, en sus, le stock de demandes de remboursement restant à traiter par la DGFiP à la fin de chaque mois, ainsi que les recettes de TVA brutes affectées aux autres administrations publiques et pour lesquelles on n'a, pour le moment, aucune information publique mensuelle. Ce baromètre pourrait d'ailleurs être transmis aux commissions des finances du Parlement, ainsi qu'à des tiers de confiance, comme le Haut Conseil des finances publiques et des équipes de chercheurs travaillant sur ce sujet.
M. Stéphane Sorbe, chef du service des politiques sociales et des finances publiques à la direction générale du Trésor. - Ce sujet nous intéresse au plus haut point et il est très utile de pouvoir en discuter avec vous.
Je remercie Laurent Bach, dont les travaux sont très utiles. Nous regrettons qu'il n'y ait pas plus de chercheurs qui s'intéressent à ce sujet ; il est une exception en la matière.
Je vais parler d'abord de notre méthode de prévision sur la TVA. Ensuite, je reviendrai sur les écarts de prévision pour l'année 2024, afin d'exposer ce que l'on comprend et ce que l'on ne comprend pas encore complètement. Enfin, j'examinerai les pistes d'amélioration.
En guise d'introduction, je précise qu'il y a deux notions de TVA, qu'il ne faut pas confondre : la TVA en comptabilité nationale, qui concerne l'ensemble des administrations publiques et que l'on cherche à prévoir en priorité ; et la TVA en comptabilité budgétaire, qui concerne le seul champ de l'État, sans la part dévolue aux collectivités et à la sécurité sociale. En comptabilité nationale, on rattache les flux aux années au titre desquelles ils sont dus ; en comptabilité budgétaire, on les rattache à la date du flux de trésorerie, ce qui peut entraîner des différences importantes. Je concentrerai mon propos sur la TVA en comptabilité nationale, au sens de l'ensemble des administrations publiques.
J'en viens à mon premier point, sur notre méthode de prévision. Notre outil central est le modèle de TVA. Nous avons publié, en 2016, un document de travail expliquant la philosophie générale du modèle, ainsi que tous ses sous-jacents. Même si le modèle est amélioré au fil de l'eau, ce document reste pertinent.
Ce modèle nous sert à plusieurs choses : il nous permet de comprendre le passé, d'analyser l'impact de mesures nouvelles envisagées et de faire des prévisions de recettes de TVA. L'esprit général consiste à modéliser l'assiette macroéconomique de la TVA en s'appuyant sur les comptes nationaux de l'Insee, au niveau le plus fin, qui compte 138 groupes de produits, en distinguant pour, chacun d'eux, s'il s'agit de consommation finale des ménages, de consommations intermédiaires des entreprises ou d'investissement. Nous nous appuyons sur les tableaux entrées-sorties de l'Insee, qui déclinent la façon dont ces produits sont utilisés dans l'économie.
Cet ensemble de 138 produits peut paraître important, mais c'est relativement peu par rapport à la complexité de notre système fiscal. Cela représente donc une forme de simplification. Par exemple, il y a une catégorie qui regroupe la restauration ; la majorité des restaurants est assujettie à une TVA de 10 %, mais les cantines scolaires ou des Ehpad sont taxés à 5,5 %. Nous appliquons les règles de TVA existantes à chaque groupe de produits - taux, déductions, exemptions -, mais, s'il y a des taux différents au sein d'une même catégorie, comme c'est le cas avec la restauration, on applique une moyenne pondérée. Sans doute, c'est imparfait, la proportion relative des composants de cette catégorie peut évoluer, mais c'est assez fin, de sorte que, jusqu'à récemment, le modèle simulait globalement bien l'assiette de la TVA. Cela dit, c'est moins bien depuis quelques années.
La prévision de TVA est réalisée en trois blocs : les emplois taxables, les effets de structure, lorsque la consommation se déforme au profit de produits taxés à un taux différent, et la croissance résiduelle, qui regroupe le reste.
Commençons par la prévision des emplois taxables. Grâce à ce modèle très fin, on arrive à déterminer les agrégats macroéconomiques qui représentent la meilleure approximation de l'assiette macroéconomique de la TVA. L'assiette macroéconomique de la TVA est composée, pour à peu près 60 %, de la consommation des ménages, pour 20 % des consommations intermédiaires des entreprises et pour 20 % de l'investissement de l'ensemble des secteurs économiques, y compris des administrations publiques. Ces trois variables font l'objet de prévisions macroéconomiques de nos collègues du Trésor, pour l'année en cours et l'année suivante. Notre prévision de l'assiette de la TVA s'appuie sur ces scénarios.
Ensuite, on tient compte des effets de structure. On ne peut pas modéliser ces effets à un niveau aussi fin, nos collègues chargés des prévisions macroéconomiques ne sont pas capables de dire comment la consommation va évoluer sur les 138 groupes de produit. Ils adoptent donc une approche globale de l'évolution de la consommation en fonction de l'évolution des revenus des ménages. On a donc une information fine sur le passé, avec les comptes trimestriels de l'Insee ; on fait une prévision assez fine, avec 17 groupes de produits, sur le trimestre en cours et le trimestre suivant. Au-delà du trimestre suivant, on fait l'hypothèse que la consommation évolue de façon uniforme entre les types de produits, sans préjudice d'hypothèses différentes, si l'on pense que tel ou tel type de produit va augmenter massivement par rapport aux autres. Ces effets n'ont pas été de très grande ampleur par rapport aux emplois taxables et à la croissance résiduelle, au cours des dernières années.
Enfin, le troisième bloc de la prévision consiste dans cette croissance résiduelle, qui regroupe un peu tout le reste et que l'on observe de mieux en mieux au cours de l'année. En effet, à mesure que l'on avance dans l'année, on reçoit des données comptables disponibles grâce à la DGFiP, qui remplacent peu à peu les approximations macroéconomiques. Au tout début de l'année, on a très peu de données comptables, donc on s'appuie sur une approche macroéconomique. Au cours de l'année, on bascule de l'un à l'autre ; si les prévisions restent stables, c'est que l'on avait une bonne prévision, si elles divergent, on se demande à quelle source on croit le plus, s'il faut viser au milieu, pondérer l'un et l'autre et dans quelle mesure.
Cette évolution résiduelle, qui n'est pas expliquée par des déterminants macroéconomiques, peut être liée à beaucoup de choses. Elle peut être liée à des comportements des entreprises pour ce qui concerne leurs demandes de remboursement de crédit de TVA ; on a le sentiment que ce comportement varie en fonction du taux d'intérêt : quand ils sont élevés, le coût d'opportunité pour les entreprises de la conservation de ces créances est plus important ; la remontée des taux aurait tendance à inciter les entreprises à demander leur remboursement plus tôt, mais ce lien doit être plus documenté. Cette évolution résiduelle est également liée à l'imperfection du modèle, qui n'est qu'une approximation de la réalité.
J'en viens maintenant aux écarts de 2024.
Je commence par une mauvaise nouvelle : l'écart de 11 milliards d'euros s'est encore accru dans les dernières prévisions, mises à jour pour la version révisée du projet de loi de finances pour 2025. En raison de remontées comptables de fin d'année, on a révisé à la baisse la prévision de croissance des recettes de TVA et cet écart s'établirait à 13 milliards par rapport à la prévision initiale du PLF 2024 : on prévoit une recette de 205,8 milliards d'euros, contre une prévision initiale de 218,9 milliards d'euros.
L'écart de 13 milliards se décompose assez simplement, de la façon suivante.
Pour 2,7 milliards d'euros, c'est l'effet de recettes décevantes sur l'année 2023. Il y a eu, dès la fin de l'année 2023, de mauvaises surprises sur la TVA et on part donc d'un point plus dégradé, qui se répercute sur 2024.
Pour 4,6 milliards d'euros, c'est lié à des effets macroéconomiques, c'est-à-dire à la révision des emplois taxables. Même si la révision de la prévision de croissance du PIB peut paraître assez modérée - on est passé de 1,4 % à 1,1 % -, elle est plus forte en valeur, parce que l'inflation a reculé plus vite que prévu, donc la croissance du PIB en valeur a été révisée de 4 % à 3,4 %. Surtout, la composition de cette croissance est beaucoup moins riche en emplois taxables, la croissance ayant été plus tirée par les exportations que par la consommation domestique. La prévision de croissance des emplois taxables est ainsi passée de 3,8 % à 2 % ; du reste, les autres prévisionnistes macroéconomiques avaient des prévisions comparables, ils n'ont pas forcément fait mieux que nous.
Pour 6,4 milliards d'euros, c'est l'effet de la croissance résiduelle. C'est une partie que l'on comprend moins. Le PLF 2024 s'appuyait sur l'hypothèse selon laquelle cette croissance résiduelle contribuerait positivement, à hauteur de 2 milliards d'euros, aux recettes de TVA, notamment parce qu'elle contribuait négativement les années précédentes et que l'on pensait que cela s'inverserait, comme cela arrive souvent. En réalité, au lieu d'un surcroît de TVA de 2 milliards d'euros, on aura une moindre recette de 4 milliards.
Il y a plusieurs pistes d'explication. Premièrement, les recettes peuvent encore évoluer. Deuxièmement, l'assiette macroéconomique de la TVA peut évoluer également, car l'Insee continue, plusieurs années après avoir publié un chiffre, d'affiner ses données ; ainsi, il peut arriver qu'un chiffre que l'on ne comprend pas s'explique mieux quand l'Insee le révise. Troisièmement, il peut y avoir des effets de comportement sur les remboursements de crédit de TVA. Quatrièmement, il y a tout ce que le modèle ne capte pas, notamment des effets de composition de la consommation entre des produits taxés différemment. Cinquièmement, il y a la question de la fraude, qui est très difficile à mesurer ; on fait l'hypothèse implicite que la fraude est constante d'une année sur l'autre, mais c'est difficile à apprécier.
En tout état de cause, nous continuons d'analyser ces écarts, on les comprendra probablement de mieux en mieux à mesure que les données seront rendues disponibles.
Je termine en évoquant les pistes d'amélioration que l'on envisage. Ce n'est pas une question nouvelle ; ce n'est pas à cause de l'écart plus important constaté cette année que l'on réfléchit à ce qui peut être amélioré, c'est un travail continu. À chaque campagne de prévision, tous les six mois, on se pose des questions sur le modèle, on l'améliore. Nous avons un certain nombre de pistes d'amélioration.
La première consisterait à mieux comprendre ce qu'il se passe avec les remboursements de crédit de TVA, tant sur les toutes dernières années, parce que les comportements semblent varier, que sur longue période, pour voir s'il y a des déterminants macroéconomiques, comme un lien avec les taux d'intérêt.
La manière de décomposer la consommation entre différents produits est une autre piste. Néanmoins, cela a ses limites en prévision, car nos collègues macroéconomistes ne sont pas capables de faire des prévisions de consommation produit par produit, pour l'année prochaine. Ils ont une approche plus macroéconomique, l'incertitude, déjà très large sur le niveau total de la consommation, paraît irréductible. En revanche, c'est très utile sur le passé, pour vérifier que le modèle a une bonne représentation de l'assiette de la TVA.
Une troisième et dernière piste, liée aux comportements d'importation, a émergé à la suite des travaux de Laurent Bach. En étudiant l'exemple allemand, nous nous sommes demandé si, quand la consommation provient d'une importation, la manière de la prendre en compte dans le modèle doit être un peu différente. En effet, la composition des importations est assez différente de la composition de la consommation domestique, et le modèle n'en tient pas complètement compte.
M. Claude Raynal, président. - Merci de votre présentation claire et transparente. Il y a toujours des écarts de recettes de TVA par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale. Ce qui diffère cette année, c'est que l'erreur portait sur l'ensemble des prélèvements obligatoires : TVA, impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu. Cela aboutit, in fine, à des montants considérables. En outre, la TVA étant une recette majeure, même un écart de seulement 5 % entraîne un effet important en valeur absolue.
M. Olivier Touvenin, chef du service de la gestion fiscale, à la direction générale des finances publiques. - Je vais compléter les propos de Stéphane Sorbe sur les prévisions de recettes de TVA. Je dirai aussi quelques mots sur la gestion, puisque le principal rôle de la DGFiP en matière de TVA, c'est la collecte et la gestion, notamment au travers des remboursements de crédit de TVA.
Quel est l'apport de la DGFiP en matière de prévision ?
La DGFiP ne fait pas de prévision macroéconomique mais contribue à la prévision de deux manières : par les remontées comptables des encaissements et de la collecte de la TVA, en profondeur historique et mois par mois, et par le comportement potentiel des recettes de TVA. Nous alimentons donc les discussions avec la direction générale du Trésor, en apportant quelques éléments sur les contraintes de gestion et les questions de remboursement de crédit de TVA.
L'autre apport de la DGFiP a trait à la gestion et au suivi des encaissements, puisque nous faisons chaque mois un point au cabinet des ministres sur les encaissements de TVA. Il faut toutefois préciser que la TVA est un impôt extrêmement procyclique, très sensible aux variations de conjoncture. Par conséquent, le profil des collectes d'un mois n'est pas forcément pertinent pour déterminer ce qui se passera au cours des mois suivants. Aussi, si le suivi mensuel est extrêmement important pour suivre la trésorerie et avoir des signaux d'alerte, il ne peut pas être considéré systématiquement comme un signal précurseur, comme un « canari dans la mine ».
Par ailleurs, les recettes de TVA constituent une masse financière extrêmement importante, donc, vous l'avez signalé, monsieur le président, la moindre erreur, même faible en pourcentage, peut avoir des impacts majeurs sur les recettes publiques. C'est pourquoi l'exercice de prévision réalisé dans le cadre du projet de loi de finances initiale, très en avance par rapport aux évolutions économiques et à la situation des entreprises, présente un risque d'erreur important.
Enfin, il y a d'autres impacts : des mesures fiscales non anticipées en cours d'année ou des effets de bascule d'un régime de taxation à un autre, en fonction des comportements des consommateurs.
Bref, c'est un exercice incertain. On travaille pour en améliorer la fiabilité et ce n'est pas parce qu'il y a eu de fortes erreurs d'appréciation cette année que l'on ne se préoccupait pas déjà auparavant de l'amélioration de l'estimation des collectes de TVA. Cela étant, il faut le reconnaître, cet impôt est entouré de nombreux aléas.
Un aléa supplémentaire réside dans les demandes de remboursement de crédit de TVA par les entreprises. En comptabilité nationale, cela n'a pas d'impact, puisque les flux sont rattachés à l'exercice auquel ils se rapportent. En revanche, il y a un impact qui peut être significatif en comptabilité budgétaire. On observe une évolution importante dans ce domaine depuis quelques années, notamment depuis le covid-19 : pendant la crise, les entreprises ont beaucoup gardé leurs créances, ont fait très peu de demandes de remboursement, puis, à partir de 2022, on a enregistré une très forte augmentation de ces demandes, se traduisant par une hausse des remboursements effectifs de près de 13 milliards d'euros entre 2021 et 2023. La croissance de ces remboursements a continué en 2024.
Nous devons mener des travaux fins pour analyser ce changement important de comportement des entreprises, afin d'en comprendre les composantes, la nature et l'origine. Pourquoi les entreprises demandent-elles soudainement beaucoup plus de remboursements de crédits de TVA ? Une des pistes intéressantes qui vient naturellement à l'esprit, c'est l'évolution des taux d'intérêt, Stéphane Sorbe en a parlé, mais il peut aussi y avoir des composantes sectorielles, certains secteurs ayant besoin de trésorerie pour faire des investissements, quand d'autres mobilisent leur crédit parce qu'elles sont en difficulté financière. Tout un panel de causes peut justifier cette dynamique des remboursements de crédits de TVA, ce qui perturbe assez fortement la collecte.
Il peut également y avoir un impact en gestion, la vitesse des remboursements effectués par la DGFiP étant un objectif important. En général, une entreprise demande la mobilisation d'une créance parce qu'elle a des besoins de trésorerie : il n'est donc pas souhaitable de la faire attendre trop longtemps. Nous nous efforçons donc de traiter les remboursements de crédits de TVA (RCTVA) à un rythme relativement rapide, l'objectif fixé étant de répondre en moins de trente jours. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit aussi d'une source de fraude et qu'il convient donc de trouver le juste équilibre entre le « circuit long », qui exige un nécessaire contrôle de nos équipes, et le « circuit court », qui s'applique à des entreprises connues.
L'efficacité du traitement dépend également du rythme et du nombre de demandes, bien que nous mobilisions un volume non négligeable de ressources dans ce domaine. En résumé, des sujets à caractère macroéconomique - dont les prévisions de comportements des entreprises - se conjuguent à des enjeux de gestion.
J'ajoute que le principal rôle de la DGFiP consiste à collecter la TVA, via un système très moderne, la dématérialisation ayant été fortement développée. Un service spécifique, la direction des grandes entreprises (DGE), traite un imposant périmètre, la TVA se concentrant d'ailleurs en Île-de-France et dans les grandes métropoles : l'essentiel des enjeux liés à la TVA est de fait traité par un nombre limité de directions nationales et territoriales de la DGFiP.
Plusieurs projets sont envisagés afin de poursuivre l'effort de dématérialisation, à commencer par la facturation électronique, dont nous attendons une meilleure connaissance du comportement des entreprises - et donc la possibilité de réaliser des analyses plus approfondies sur le temps long - ainsi qu'un meilleur suivi des franchissements de seuils pour les différents régimes de TVA, sans oublier un renforcement de la lutte contre la fraude.
Sur ce dernier point, nous avons estimé l'année dernière que la fraude à la TVA était comprise entre 5 milliards et 10 milliards d'euros, et nous attendons de la facturation électronique une amélioration sensible : les entreprises seront en effet contraintes d'intégrer ce système, qui alimentera les données nous permettant de procéder à des contrôles.
En conclusion, je signale deux innovations, à commencer par l'entrée en vigueur d'une directive européenne qui permet aux entreprises étrangères de bénéficier, depuis le 1er janvier 2025, du régime de la franchise. Ledit régime a été modifié par le PLF pour 2025 puisque le seuil sera abaissé à 25 000 euros à compter du 1er mars. Par ailleurs, la suppression du régime social des indépendants (RSI), à la fois source récurrente de fraudes par le biais des « carrousels TVA » et source de complexité pour les entreprises, est prévue pour 2027.
M. Claude Raynal, président. - Imaginons que toutes les entreprises éligibles à un RCTVA dans l'année le demandent : quelles seraient alors les sommes en jeu ?
M. Olivier Touvenin. - Nous avons versé environ 70 milliards d'euros à ce titre l'année dernière, mais il faudrait construire une moyenne sur une période plus longue, car les variations sont très fortes depuis le covid : nous avons ainsi observé une relative stabilité des RCTVA en 2020-2021, puis un mouvement de balancier inverse en 2023-2024. Sur la période 2017-2023, la moyenne annuelle des RCTVA effectifs est d'environ 60 milliards d'euros.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il a été fait plusieurs fois mention de l'incertitude, la tâche de notre commission consistant à la réduire autant que possible ; et c'est encore plus vrai pour une ressource aussi importante que la TVA.
Le déploiement de la facturation électronique accuse un retard certain : Gérald Darmanin, lorsqu'il était ministre délégué chargé des comptes publics, avait indiqué que la DGFiP était prête, mais ce temps de préparation s'est fortement allongé, puisque ce dispositif ne s'appliquera aux grandes entreprises et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) qu'en septembre 2026, puis aux PME et aux microentreprises en septembre 2027. Le retard pris par ce chantier - susceptible de générer 3 milliards d'euros de recettes annuelles supplémentaires - est incompris par le monde de l'entreprise, et il faudrait pouvoir aller plus vite au regard du décalage des prévisions de recettes que vous avez évoqué.
Ensuite, M. Bach préconise de mesurer les demandes de remboursements de créances de TVA des entreprises de manière plus régulière et plus fine, ce qui permettrait d'identifier les entreprises contribuant le plus à cette dynamique. Cette solution vous semble-t-elle applicable à ce stade ? Quelles sont les mesures envisagées par l'administration afin de réduire la volatilité des remboursements de TVA ?
M. Bach soulignait également l'existence d'un certain nombre de « trous » dans l'assiette théorique de la TVA, en évoquant la possibilité pour les administrations publiques de se faire rembourser la TVA sur leurs achats. Selon vous, cette faculté vaudrait-elle pour l'ensemble des administrations publiques ? Une telle évolution impliquerait-elle une suppression du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) pour les collectivités locales ? Comment cette solution pourrait-elle être mise en oeuvre sans passer par l'intermédiaire de dispositifs européens ?
Enfin, la loi de finances pour 2024 a conféré aux agents de la DGFiP le pouvoir de procéder à une injonction de mise en conformité fiscale et de demander à tout fournisseur de moteur de recherche ou de comparateur en ligne de déréférencer les contenus non conformes : quel bilan tirez-vous de la première année de mise en oeuvre de ce dispositif ?
M. Vincent Delahaye. - Près de la moitié de l'écart de recettes de TVA pour 2024 reste inexpliqué, ce qui me paraît énorme. Vous avez indiqué qu'une mauvaise surprise en 2023 vous avait conduits à anticiper un rebond en 2024, mais que celui-ci ne s'était pas produit : cette nouvelle mauvaise surprise a-t-elle été intégrée dans les prévisions de 2025 ou avez-vous de nouveau tablé sur une évolution positive ? Les produits de la TVA sont censés croître en 2025, mais cette prévision m'étonne.
De la même manière, le fait d'expliquer 4,6 milliards d'euros d'écart de recettes par des effets macroéconomiques m'interpelle et je souhaiterais avoir une explication à ce sujet.
En outre, les recettes décevantes de TVA constatées fin 2023 - à hauteur de 2,7 milliards d'euros - avaient-elles été prises en compte dans les estimations pour 2024 ? Les parlementaires auraient dû en être informés, et j'estime d'ailleurs que la réunion de ce matin ne constituera qu'un jalon dans le travail de notre commission sur le sujet.
Sur le plan technique, existe-t-il des tableaux de bord mensuels détaillant les recettes dans les départements les plus importants ?
J'ai été surpris, enfin, par vos explications sur les RCTVA renvoyant à une mauvaise gestion des entreprises pendant la crise du covid : la véritable explication ne résiderait-elle pas dans un retard pris par l'administration dans le traitement des demandes de remboursement, les entreprises n'ayant alors guère protesté dans la mesure où elles bénéficiaient des prêts garantis par l'État (PGE) ?
M. Marc Laménie. - Quels sont les effectifs affectés à la lutte contre la fraude à la TVA ?
Par ailleurs, plusieurs taux de TVA coexistent : quelles pistes de simplification pourrait-on envisager ?
M. Jean Pierre Vogel. - Merci pour ce débat intéressant, quoi qu'un peu complexe pour les non-initiés. En matière de TVA, une bonne part du travail est effectué par les entreprises, tandis qu'un certain nombre d'éléments relatifs aux différents taux figurent dans des déclarations informatisées. Grâce à cette automatisation, nous sommes capables, dès lors que nous disposons des données comptables d'une entreprise donnée, d'établir la déclaration de TVA en quelques minutes.
Alors que l'ordre des experts-comptables est en mesure de fournir des statistiques trimestrielles au niveau national, je suis extrêmement surpris par le fait que l'administration fiscale, qui dispose en temps réel de l'ensemble des informations, soit incapable d'établir des prévisions.
Durant la période du covid, il a pu en effet arriver que les services comptables des entreprises fonctionnant au ralenti ne demandent pas de RCTVA en raison de la nécessité de fournir divers justificatifs et de remplir plusieurs annexes.
De manière générale, certaines entreprises demandent tous les mois des RCTVA, ce qui facilite d'autant plus les prévisions : l'expert-comptable que je suis est, une fois encore, extrêmement surpris que l'État ne découvre qu'à l'automne que les recettes vont être inférieures aux prévisions.
J'ajoute que la dématérialisation de la facturation est attendue par les experts-comptables et par les entreprises, mais que des retards sont de nouveau à déplorer. Comme à l'accoutumée, l'État est incapable de mettre en place des outils informatiques adaptés.
M. Pascal Savoldelli. - Nous devons faire preuve de prudence sur la TVA : comme vous l'avez souligné, des aléas économiques génèrent des écarts entre les recettes escomptées et celles qui sont réellement perçues.
La DGFiP est-elle chargée de l'intégralité du recouvrement de la TVA ou délègue-t-elle une partie de cette tâche à des services extérieurs ?
Par ailleurs, avez-vous estimé le rendement attendu de la mise en oeuvre de la facturation électronique ? Grâce à ce dispositif, l'Italie a récupéré la moitié des sommes qu'elle ne percevait pas jusqu'à présent.
En matière de transactions commerciales et d'e-commerce, quels sont les dispositifs mis en place pour contrôler tous ceux qui minorent artificiellement la valeur des biens ? Nous savons que la Chine, notamment, accueille de nombreux consolidateurs uniquement consacrés à cette tâche, d'où de moindres recettes pour l'État français.
Enfin, j'observe que les remboursements de TVA augmentent plus vite que la valeur ajoutée : s'agit-il d'un phénomène conjoncturel ou d'une évolution structurelle ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - La TVA existe dans de nombreux pays voisins : des travaux partagés sur les moyens d'améliorer son efficacité sont-ils réalisés ?
À l'heure où les données sont accessibles en temps réel, je m'étonne de notre connaissance lacunaire des chaînes de valeur, ce qui est dommageable tant en matière fiscale qu'en matière de politique industrielle. Disposons-nous d'une connaissance fine des effets de la mutation de la consommation au profit de plateformes en ligne - notamment en matière de mode et d'habillement - sur la TVA ?
M. Michel Canévet. - Les remboursements de créances de TVA représentent la dépense la plus importante de la mission « Remboursements et dégrèvements » : est-ce que tout est mis en oeuvre afin d'éviter la fraude ? Les évolutions contrastées des recettes nettes de cet impôt amènent à s'interroger sur ce point.
De manière connexe à l'interrogation de Pascal Savoldelli, je souhaiterais savoir si la taxe sur les billets d'avion est perçue par la DGFiP, ou s'il est fait appel à un service extérieur.
Monsieur Bach, le groupe Union Centriste a préconisé, à l'occasion du débat sur le PLF pour 2025, de rehausser le taux normal de TVA de deux points, de 20 % à 22 %, afin de réduire le déficit de l'État. Jugez-vous cette préconisation adéquate ? Il nous semble qu'elle n'aurait un effet récessif qu'à court et moyen terme. Partagez-vous cet avis et identifiez-vous d'autres solutions ?
Mme Christine Lavarde. - En raison de l'existence de plusieurs taux réduits, le taux normal de TVA s'applique à environ 65 % des produits taxables, le taux effectif moyen appliqué en France - 9 % - étant l'un des plus faibles de l'Union européenne.
Récemment, un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a montré que les taux réduits de TVA ont un effet quasi nul en matière de redistribution. Alors que les économistes préconisent un rééquilibrage fiscal qui consisterait à réduire les impôts de production - nettement au-dessus de la moyenne européenne -, il paraît donc nécessaire de s'interroger sur ces taux réduits, qui équivalent à 50 milliards d'euros de pertes de recettes pour l'État. Que pensez-vous de la perspective de supprimer les taux réduits de TVA ?
M. Bernard Delcros. - M. Sorbe a rappelé les trois sources des recettes de TVA, à savoir la consommation des ménages pour 60 %, la consommation intermédiaire à hauteur de 20 % et les investissements pour les 20 % restants. La part des investissements réalisés par les collectivités dans cette troisième composante est-elle significative ? Une diminution des capacités d'investissement des collectivités pourrait-elle amplifier la baisse des recettes de TVA ?
M. Jean-Marie Mizzon. - Monsieur Touvenin, le ministre de l'économie, M. Eric Lombard, a expliqué que l'abaissement du seuil applicable au régime de la franchise visait à éviter des distorsions de concurrence. Quel sera son effet sur les collectivités locales qui loueraient des bâtiments leur appartenant ? L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), ainsi que d'autres associations d'élus, s'interrogent sur ce point.
M. Raphaël Daubet. - Je remercie les intervenants pour leurs interventions pédagogiques. Le problème ne semble pas venir du modèle probabiliste lui-même, mais des données qui remontent du terrain. Comment pourrions-nous améliorer l'efficacité des capteurs et éviter une forme de déconnexion - déjà constatée dans d'autres domaines - entre les administrations centrales et les services déconcentrés de l'État ?
Si les remontées comptables dont vous disposez ne sont pas suffisamment pertinentes pour établir des prévisions, ne faudrait-il pas se pencher davantage sur les aspects qualitatifs, sociologiques et comportementaux concernant à la fois les entreprises et les ménages, en lien avec l'Insee ?
En outre, ne serait-il pas envisageable de corriger le modèle de manière à nous assurer que les sous-estimations de recettes seront plus fréquentes que les surestimations ? En matière de recettes, les premières sont préférables.
Mme Ghislaine Senée. - Quel est le calendrier de la DGFiP en matière de recours à l'intelligence artificielle (IA), toujours dans l'optique de réduire l'incertitude des prévisions ?
Mme Florence Blatrix Contat. - La facturation électronique et l'IA permettront-elles de faire évoluer votre modèle et d'améliorer les prévisions ?
Pour ce qui est des remboursements, arrivez-vous à qualifier les entreprises qui demandent systématiquement des RCTVA ? Ceux-ci ne pourraient-ils pas être automatisés ?
Enfin, vos prévisions intègrent-elles des éléments liés à la conjoncture internationale, tels que l'augmentation des droits de douane décidée par les États-Unis ?
M. Claude Raynal, président. - Les mesures destinées à lutter contre la fraude à la TVA dans le cadre du dropshipping - qui consiste, pour un intermédiaire, le dropshipper, à acheter un bien situé en territoire tiers et à le revendre en ligne en France sans jamais en disposer physiquement - se sont-elles avérées efficaces ?
J'en reviens à la réflexion autour de l'imprévu, que je n'aime guère de manière générale. Lorsque nous avons soulevé la nécessité de faire preuve de prudence en matière de prévisions, on nous a opposé l'argument de la sincérité budgétaire, en faisant valoir qu'un excès de prudence risquerait de déboucher sur un budget insincère. Nous avons répliqué qu'avoir de bonnes surprises en fin d'exercice ne correspondait pas vraiment à la définition de l'insincérité, qui consiste plutôt à annoncer des chiffres très élevés avant de concéder ensuite qu'ils sont inférieurs.
Nous avons notamment eu ce débat à propos du cinquième acompte de l'impôt sur les sociétés (IS), dont personne ne sait prédire le montant. Nous avons proposé de considérer qu'il serait nul, ce qui permettait d'espérer une bonne nouvelle en fin d'année le cas échéant.
J'ai la même intuition en matière de TVA : ne faudrait-il pas construire le budget en mettant la totalité des remboursements de créances à verser aux entreprises au débit de l'État, avant de constater un éventuel écart en fin d'année ?
M. Olivier Touvenin. - Vaut-il mieux être insincère en étant optimiste ou insincère en étant pessimiste ? Selon moi, aucune de ces deux solutions n'est la bonne : si nous commençons à introduire des critères subjectifs dans des domaines budgétaires, nous risquons d'entrer dans une zone dangereuse compte tenu du rôle essentiel du débat parlementaire sur ces sujets. Nous nous verrions en effet reprocher le fait de conserver une marge de manoeuvre qui ne s'appuierait que sur d'hypothétiques éléments négatifs, et une telle solution gauchirait singulièrement l'ensemble des prévisions et du travail parlementaire, dans un sens qui me paraît peu sain.
En revanche, l'amélioration de la prévision est un réel enjeu : nous nous trompons en effet régulièrement sur l'IS à cause du cinquième acompte, en général dans un sens plutôt défavorable. Pour autant, ce cinquième acompte, peu confortable en termes de prévision, représente aussi une marge de gestion pour les entreprises.
En ce qui concerne l'utilisation de données désormais plus nombreuses et l'impératif d'améliorer nos prévisions, je rappelle que les données mensuelles nous fournissent certes une indication, mais qu'elles ne sauraient préjuger des tendances annuelles. L'inconvénient de l'exercice budgétaire tel qu'il est conçu en France réside dans son caractère annuel, ce cadre nous conduit à établir des prévisions à l'avance sans que leur solidité puisse être pleinement garantie compte tenu des aléas conjoncturels.
Au cours de l'exécution, ensuite, il n'est guère possible de déduire une tendance annuelle des évolutions mensuelles des encaissements. Le cycle économique est en effet indépendant du calendrier budgétaire - malheureusement - et des événements totalement imprévus tels qu'un changement des droits de douane ou une variation des taux d'intérêt peuvent avoir des répercussions sur les prévisions.
J'ai par ailleurs le plus grand respect pour les experts-comptables, mais je rappelle que cette profession ne couvre qu'environ la moitié des entreprises françaises. Si ces professionnels disposent de nombreuses données - que nous possédons également -, j'insiste sur le fait que des données sur un ou deux mois ne permettent pas d'asseoir une prévision fiable sur l'ensemble du périmètre de la TVA, alors que les entreprises disposant d'un expert-comptable ne couvrent pas l'ensemble des entreprises françaises.
De manière générale, même si la facturation électronique nous apportera plus de données, je souligne que les données brutes n'ont guère d'intérêt si nous ne sommes pas capables de les trier et de les traiter avec les outils appropriés. De surcroît, ce traitement doit s'appuyer nécessairement sur un feedback, c'est-à-dire sur un recul temporel important, les données d'une seule année ne pouvant suffire à maximiser l'utilisation des outils d'IA.
À ce titre, la facturation électronique nous permettra de disposer de données plus fournies et devrait favoriser l'amélioration, au fil du temps, de notre capacité d'anticipation et de prévision, ainsi que la construction de modèles d'appréciation du comportement des entreprises dans les différents secteurs d'activité.
Il n'en demeure pas moins que l'outil d'IA, quelle que soit sa qualité, ne pourra pas prévoir des événements tels qu'une augmentation soudaine des taux d'intérêt ou une crise politique, tous deux susceptibles d'affecter la croissance.
Pour ce qui est plus précisément de la facturation électronique, chantier particulièrement structurant qui concerne plus de 7 millions d'entreprises, l'administration se doit de construire un système informatique robuste. Si le calendrier a dû être décalé, les discussions se sont poursuivies avec l'ensemble des professionnels concernés, du Mouvement des entreprises de France (Medef) à l'Union des entreprises de proximité (U2P) en passant par les experts-comptables.
Il existe en effet une forte demande pour cet outil, mais n'oublions pas que les petites entreprises et les autoentrepreneurs ont à ce stade un degré de préparation inférieur à celui des grandes entreprises : l'horizon de septembre 2026 pour les grandes entreprises et les ETI, puis septembre 2027 pour les PME et les autoentrepreneurs paraît donc raisonnable pour accompagner ce changement considérable.
Outre l'apport de nouvelles données, la facturation électronique nous permettra de renforcer la lutte contre la fraude. Nous bénéficions du retour des expériences espagnole et italienne, ce qui nous permet d'estimer à 2 milliards d'euros par an en rythme de croisière le montant récurrent des recettes que nous pourrions récupérer.
Monsieur Savoldelli, la DGFiP se charge seule de la collecte de la TVA : par le passé, la TVA à l'importation était collectée par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), mais l'essentiel des impôts collectés par la DGDDI a été transféré à la DGFiP.
Je vous propose de vous envoyer une réponse écrite sur la franchise en base de TVA, ainsi que sur le bilan des mesures adoptées en matière de dropshipping et sur les effectifs alloués au contrôle fiscal. Ce dernier a été nettement modernisé en recourant à l'exploitation des données - le datamining - afin de mieux détecter les schémas de fraude et d'améliorer la performance de nos services.
Pour ce qui est des RCTVA, il convient de distinguer les entreprises qui mobilisent régulièrement les créances, traitées dans le « circuit court », de celles qui déposent des demandes plus irrégulières. Parmi elles figurent des entreprises bien connues que nous intégrons au circuit court, mais aussi de fausses entreprises qui tentent leur chance en déposant des demandes portant parfois sur des montants considérables : nous devons donc rester vigilants sur ce sujet.
Enfin, nous disposons d'un pôle consacré au e-commerce installé à Noyon. Ce secteur fait l'objet d'une gestion conjointe avec la DGDDI et il nous faudra tirer le bilan des directives européennes applicables dans ce domaine. Le sujet de l'e-commerce revêt en effet un caractère essentiellement européen, notamment sur la question des seuils. Il s'agit en tout cas d'un sujet de vigilance pour nous.
M. Stéphane Sorbe. - Nous tâchons de limiter l'incertitude des prévisions tout en restant humbles dans la mesure où les aléas macroéconomiques leur confèrent un caractère irréductible. Les nouveaux modèles basés sur l'IA ne produisent d'ailleurs pas nécessairement des prévisions plus précises que les modèles standards ou l'intelligence humaine.
Les limites des modèles ne tiennent pas tant à un manque d'intelligence ou d'outils qu'à un manque de données, en précisant d'ailleurs qu'il convient, à l'heure de la simplification de la vie des entreprises, de leur adresser des demandes d'informations avec parcimonie.
De la même manière, il existe un conflit d'objectifs entre la prévisibilité et certaines règles de la TVA, la modulation de certains taux devant être appréciée à l'aune de critères économiques et d'orientation des politiques publiques : l'amélioration de la prévisibilité fait alors davantage figure de co-bénéfice que d'objectif prioritaire.
En ce qui concerne l'écart de 2,7 milliards d'euros constaté en 2023, il est bien question d'une information dont nous ne disposions pas à l'automne et que nous avons intégrée aux prévisions de 2024, dès la mise à jour du programme de stabilité (PStab) intervenue en avril.
La dernière version du PLF pour 2025 table sur une croissance de la TVA au même rythme que ses déterminants macroéconomiques. Nous avons en effet jugé plus prudent de s'aligner directement sur ces derniers, en précisant que les risques d'une révision à la hausse ou à la baisse semblent équivalents.
Pour ce qui concerne la prudence des prévisions, le cinquième acompte de l'IS est nécessairement positif et il me semblerait gênant de retenir un niveau nul en étant certains d'être « surpris » par une hausse. Si un gouvernement cherche absolument à atteindre un objectif de solde public donné, il faudrait alors viser un solde plus bas afin de conserver une marge de sécurité.
En tout état de cause, il nous semble plus prudent d'assumer une marge de sécurité à ce niveau plutôt que de l'intégrer dans la prévision d'une manière qui ne serait guère transparente pour le débat public. Retenir une telle méthode susciterait inévitablement des interrogations sur le niveau de la marge et sur les « véritables » prévisions, et nous n'aurions alors pas progressé d'un pouce. De surcroît, la question se poserait pour de nombreux impôts : faudrait-il alors prévoir une marge seulement pour certains d'entre eux ? Nous n'aurions pas, dans ce cas, une vision très claire du quantum de prudence retenu.
Il nous paraît donc plus logique d'intégrer une marge de ce type en fin de parcours, dans l'objectif de déficit, d'autant plus qu'il s'agit selon moi d'un choix plus politique que technique.
Vous avez également soulevé l'enjeu des comparaisons internationales : les prévisionnistes et instituts statistiques partagent certes leurs expériences, mais les spécificités fiscales de chaque pays limitent quelque peu la portée de l'exercice, le cinquième acompte de l'IS étant par exemple une spécificité française.
Je termine en vous communiquant deux chiffres. Premièrement, j'ai indiqué que les investissements représentaient 20 % de la TVA : les investissements réalisés par l'ensemble des administrations publiques représentent environ 6,5 % de cette composante et les investissements des collectivités locales 4 %. Deuxièmement, la facturation électronique est susceptible de générer 2 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
M. Olivier Touvenin. - Je transmettrai à la commission un tableau retraçant l'évolution des RCTVA.
M. Laurent Bach. - D'autres pays européens, notamment d'Europe du Nord, se montrent plus prudents en matière de prévisions. Il me semble néanmoins malaisé de fixer des critères permettant de décider quand il faudrait retenir un niveau inférieur aux prévisions centrées...
M. Claude Raynal, président. - Lorsque le déficit atteint 6,1 % du PIB, la question de la prudence mérite d'être posée !
M. Laurent Bach. - Tout à fait, mais il est alors question de critères politiques. Il est à mon sens dangereux de « forcer » les prévisionnistes à faire preuve de prudence, car ce n'est pas leur rôle, mais celui de l'autorité en charge du budget, qui doit décider d'y intégrer des réserves. Le cas d'une entité politique est à l'évidence plus compliqué que celui d'une banque, contrainte par la réglementation de constituer des réserves : si un gouvernement prévoit d'en provisionner, le gouvernement suivant peut fort bien décider de les dépenser, retirant ainsi le bénéfice des décisions précédentes.
M. Claude Raynal, président. - Voilà qui nous rappelle la « cagnotte » !
M. Laurent Bach. - Pour ce qui est de l'accès à de meilleures données, il faut bien comprendre que les données relatives à la TVA sont déjà extrêmement lourdes, avec de très nombreuses variables par entreprise et par mois. Du point de vue du chercheur, l'analyse de ces données est très consommatrice de ressources et faire remonter très régulièrement ces informations aurait un coût.
La facturation électronique, quant à elle, a été mise en place dans une série de pays, ce qui permet aux chercheurs de disposer de plus de données, d'affiner leur compréhension du tissu productif et d'apporter des réponses à des questions liées à la politique industrielle et au commerce international. Les données issues de ce mode de facturation sont particulièrement intéressantes à analyser de manière rétrospective, afin de comprendre ce qui s'est passé et d'améliorer ensuite les prévisions de l'année suivante. Ce type de données aurait été particulièrement utile pour comprendre les événements survenus au cours des deux ou trois dernières années.
Plusieurs réformes de la TVA sont possibles, dont la diminution du nombre de taux réduits ou la hausse du taux normal. Je rappelle que cet impôt vise en priorité à augmenter le rendement au moindre coût, mais qu'il faut aussi tenir compte des aspects redistributifs et comportementaux.
Du point de vue de ces aspects redistributifs et comportementaux, la TVA n'est pas un très bon instrument, car il manque de précision. Il faut donc questionner des taux réduits qui ne parviennent pas à atteindre les objectifs de redistribution ou de modification des comportements. D'autres pays appliquent un taux plus élevé de TVA, et la véritable question est de nature politique : jusqu'à quel point souhaite-t-on accorder la priorité au rendement par rapport au caractère redistributif des impôts ?
M. Claude Raynal, président. - Vous avez noté le grand intérêt de la commission pour ce sujet et plus globalement pour la compréhension des recettes. Une Première ministre précédente nous a clairement dit qu'elle était avant tout préoccupée par le volet des dépenses, alors qu'il nous semblait tout aussi important de décrypter les recettes.
J'ai pris note de vos arguments s'opposant à une prudence accrue en matière de prévisions, le débat reste ouvert. Je pense que le politique doit introduire une marge de sécurité dans la technique afin de faire face à des situations difficiles, surtout lorsque nous sommes confrontés à des mouvements quasi browniens d'après-crise. Je remercie les intervenants pour leurs apports stimulants.
Projet de loi de finances pour 2025 - Communication du rapporteur général sur l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur le projet de loi de finances pour 2025
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Mes chers collègues, les conclusions de la commission mixte paritaire de jeudi et vendredi derniers sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 seront examinées demain en séance publique. Quant à l'Assemblée nationale, elle examine cet après-midi une motion de censure déposée à la suite du recours, par le Gouvernement, à la procédure de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, sur ces conclusions.
Le texte élaboré par la commission mixte paritaire doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées pour que le projet de loi puisse être considéré comme définitivement adopté. Au stade de la lecture des conclusions d'une commission mixte paritaire, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement. Il en résulte que seul le Gouvernement peut proposer la modification du texte, et que celle-ci doit s'opérer dans les mêmes termes devant les deux assemblées.
Comme l'avait demandé le Président Larcher au Premier ministre et comme nous le souhaitions, le Gouvernement a intégralement endossé les conclusions de la commission mixte paritaire lors du recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution à l'Assemblée nationale. Il a essentiellement intégré au texte des corrections techniques ou légistiques nécessaires, des levées de gage et seulement de très rares mesures de fond.
Lors de la dernière commission mixte paritaire conclusive sur un PLF, qui remonte à 2010, le Gouvernement avait déposé 21 amendements sur ces conclusions ; il nous en propose 23 cette année :
- neuf corrections d'erreurs matérielles ou modifications visant à donner leur pleine effectivité aux choix de la commission mixte paritaire, aux articles 2 sexies, 3 ter, 10 quinquies, 10 septies, 15, 19 ter, 21, 22 et 64 bis ;
- deux modifications de fond : la première à l'article 19 ter, car le dispositif issu de la commission mixte relatif à l'exonération de droits de mutation à titre gratuit visait à tort les opérations de construction de la résidence principale au lieu des acquisitions d'immeubles neufs ou en vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) ; la deuxième à l'article 26, relatif à la fiscalisation des rachats d'actions, le Gouvernement ayant souhaité exclure les organismes de placement collectif du champ de la taxe, car, pour ceux-ci, les opérations de rachat assurent la liquidité des placements et ne visent pas à valoriser les titres des associés, qui conservent leurs titres ; c'était un angle mort du dispositif, découvert tardivement par le Gouvernement, donc corrigé tardivement ;
- sept amendements procédant à des levées de gage, sur les missions « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », « Cohésion des territoires », « Direction de l'action du Gouvernement », « Écologie, développement et mobilité durables », « Économie », « Enseignement scolaire » et « Justice » ;
- un amendement tendant à abonder de 100 millions d'euros la mission « Crédits non répartis », pour tenir compte de l'abandon de la mesure relative aux trois jours de carence et au décalage au 1er mars de la mesure de réduction de l'indemnisation des arrêts maladie ;
- un amendement visant à abonder de 2,1 milliards d'euros la mission « Écologie, développement et mobilité durables », déjà évoqué à la fin de la commission mixte paritaire, en raison de l'entrée en vigueur différée de la révision du mode de financement des zones non interconnectées (ZNI) ; cet abondement est neutre en solde ;
- un amendement mettant à jour les montants de la mission « Remboursements et dégrèvements » pour tenir compte des dernières informations disponibles en recettes, à hauteur de 172 millions d'euros ;
- enfin, deux amendements essentiels, l'un à l'article liminaire et l'autre à l'article d'équilibre, pour effectuer les coordinations nécessaires avec l'ensemble des modifications du texte et intégrer le changement des hypothèses macroéconomiques, à savoir une croissance de 0,9 % au lieu de 1,1 % en 2025 et une inflation à 1,4 % au lieu de 1,8 %.
Il ressort de ces éléments un solde public s'établissant à -5,4 % en 2025, comme le Gouvernement s'y était engagé, en amélioration de 0,6 % par rapport à celui de 2024, et un solde budgétaire de l'État de -139 milliards d'euros, qui devrait pour la première fois depuis 2019 repasser au-dessus de la barre symbolique de -150 milliards d'euros.
Voilà les quelques éléments que je souhaitais vous présenter. Évidemment, j'ai été associé aux échanges sur l'élaboration de ces amendements le week-end dernier et je vous propose d'y être favorables. Ainsi, nous adopterons le texte issu de la commission mixte paritaire dans les mêmes termes, je l'espère, que l'Assemblée nationale à l'issue du vote sur la motion de censure cet après-midi.
Comme le prévoit l'article 42, alinéa 12, de notre règlement, le Sénat procédera à un vote unique sur l'ensemble du texte du PLF issu des travaux de la commission mixte et modifiés par ces seuls 23 amendements.
Je salue d'ailleurs le climat d'écoute, de travail sérieux et de calme qui a caractérisé ces deux jours de travail.
M. Vincent Delahaye. - J'aimerais que l'on y voie plus clair. J'ai demandé aux fonctionnaires entendus lors de l'audition précédente sur quelles bases étaient fixées les prévisions de recettes de TVA de 2025 - sur le PLF 2024 ou le réalisé 2024 -, on m'a affirmé que c'était fondé sur le réalisé de 2024, mais je ne suis pas sûr que cela prenne en compte les moindres recettes de 13 milliards d'euros. Par conséquent, serait-il possible de disposer d'éléments sur les prévisions de recettes du PLF « Barnier » et les corrections liées à la révision de la prévision de croissance et d'inflation, qui reste selon moi optimiste ? Sur quelles bases s'appuie-t-on ? Je pense que les prévisions de recettes sont encore surévaluées, mais j'aimerais avoir des données plus précises.
Je souhaite par ailleurs que l'on poursuive le travail entamé ce matin sur la TVA. Je n'ai pas eu de réponse sur les tableaux de bord mensuels : pourrait-on en disposer ? Il y a peut-être cinquante informations sur ces tableaux de bord, mais sans doute y en a-t-il une dizaine qui soient significatives et qui méritent d'être transmises.
Mme Christine Lavarde. - La commission mixte a adopté les crédits des missions en détaillant des priorités au travers des amendements adoptés, qui donnent parfois des injonctions au Gouvernement ; je pense notamment au fonds vert et au fonds territorial climat, dont la création est unanimement demandée par le Sénat depuis deux ans. Comment s'assurer que les choix de la commission mixte paritaire seront bien mis en place par l'exécutif ?
M. Marc Laménie. - Comme Vincent Delahaye, je trouve compliqué de s'y retrouver. Le 1er décembre dernier, nous avons adopté la partie recettes. Qu'est-il advenu de cette partie dans les conclusions de la commission mixte paritaire ? A-t-elle été reprise ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le travail que nous avons entamé aujourd'hui répond à votre demande, monsieur Delahaye. Nous allons retracer les éléments du PLF issus de la version « Barnier » initiale et de la version « Bayrou » initiale, afin de les comparer à ce qui émane de la commission mixte. Nous le ferons pour tous les grands impôts.
Madame Lavarde, tout le monde a été fortement mobilisé pour suivre et pour examiner le texte. Il y a un moment d'apaisement, trois Français sur quatre souhaitent que l'on donne un budget au pays, malgré la configuration politique actuelle. Au travers de la loi du 20 décembre 2024 spéciale prévue par l'article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, nous avions demandé un point du Gouvernement par décade. Le Gouvernement n'est pas vraiment au rendez-vous. Je veux donc que l'on puisse suivre ce qui sort de la commission mixte paritaire. Je pense qu'il faudrait même que le Gouvernement fasse en sorte de freiner les dépenses. Cela exige une mobilisation, en central et dans les territoires. Il faudra que les rapporteurs spéciaux et moi-même conduisions un travail spécifique pour suivre de près l'exécution du budget. Aujourd'hui, ce sont les assemblées qui arbitrent, font vivre les budgets et cherchent une trajectoire. Nous avons donc intérêt à garder le pilotage.
En ce qui concerne les recettes, monsieur Laménie, j'espère que les prévisions seront réalisées, mais j'ai des doutes, notamment sur les deux grands impôts ciblés et temporaires. Nous verrons comment se traduiront et seront perçues la contribution additionnelle de l'impôt sur le revenu et l'instauration du versement mobilité.
M. Pascal Savoldelli. - J'ai une petite réserve, peut-être par incompréhension des propos du rapporteur général. Selon moi, la commission des finances doit garder son rôle, quel que soit l'exécutif national. Elle ne doit pas en être la béquille. Sans cela, nous aurons un problème entre nous. Il y a une séparation des responsabilités entre la commission des finances du Sénat et le Gouvernement, quel qu'il soit. Nous sommes dans une situation exceptionnelle. Le texte adopté par la commission mixte paritaire est très proche de celui du Sénat, une partie des amendements de l'opposition sénatoriale a été éliminée par une seconde délibération. Il faut clarifier les missions des uns et des autres. Sans cela, la nature de nos relations pourrait s'en trouver affectée.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Peut-être existe-t-il une incompréhension sur ce point : j'ai évoqué notre mission de contrôle et d'évaluation, car je n'ai aucune envie que nous nous fassions mener par le bout du nez comme cela a pu être le cas après l'adoption d'amendements au projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) portant sur la voirie, ou à propos du milliard d'euros censé être alloué à la formation du personnel de l'éducation nationale et qui avait en réalité servi à financer les remplacements. Il me semble donc que les commissaires, dans la pluralité de leurs sensibilités, ont un rôle à jouer dans le cadre de l'exercice de cette mission de contrôle.
M. Laurent Somon. - Quel est le coût exact de la censure ?
M. Claude Raynal, président. - Ça, c'est très politique !
M. Laurent Somon. - La censure a eu des effets incontestables.
Par ailleurs, tous s'accordent pour reconnaître que ce budget d'urgence est imparfait ; quand aurons-nous un programme prévisionnel de travail afin de préparer le budget pour 2026 ? Des études devront être lancées sur les économies à réaliser et sur la pertinence des recettes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les chiffres peuvent toujours fait l'objet de polémiques.
Nous devons entreprendre un travail méticuleux, sans doute en faisant des propositions en lien avec le Trésor.
Que M. Savoldelli ne se méprenne pas : nous avons intérêt à ce que les engagements issus de la commission mixte soient tenus et il nous incombe de veiller au bon exercice du contrôle parlementaire.
M. Claude Raynal, président. - Le léger repli de la croissance enregistré au dernier trimestre n'est pas lié à la censure. En revanche, la dissolution est pour beaucoup dans l'instabilité économique du pays.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Un ancien ministre de l'économie et des finances, qui a exercé un septennat à Bercy, a affirmé ce week-end avoir joué le rôle du parfait lanceur d'alerte, qui aurait tout prévu. J'entends l'argument, mais comment expliquer, alors, que l'exécutif ait laissé les comptes publics se dégrader de plus de 50 milliards d'euros en un an ? Je suis toujours disposé à entendre toutes les explications à ce sujet...
La réunion est close à 12 h 25.