- Lundi 3 mars 2025
- Audition de Mme Mathilde Lignot-Leloup, présidente de section de la première chambre de la Cour des comptes, et M. Jonathan Sapène, conseiller référendaire à la Cour des comptes
- Audition des organisations syndicales - M. Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT, Mme Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale, de la CGT , et M. Loïk Tange, économiste ; Mme Rachèle Barrion et M. Éric Gautron, secrétaires confédéraux de FO ; M. Nicolas Blanc, secrétaire national de la CFE-CGC, et M. Léonard Guillemot, conseiller confédéral de la CFTC
Lundi 3 mars 2025
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de Mme Mathilde Lignot-Leloup, présidente de section de la première chambre de la Cour des comptes, et M. Jonathan Sapène, conseiller référendaire à la Cour des comptes
M. Olivier Rietmann, président. - Nous reprenons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition de deux membres de la Cour des comptes : Mme Mathilde Lignot-Leloup, conseiller maître, présidente de section de la première chambre, et M. Jonathan Sapène, conseiller référendaire à la première chambre.
L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct, et elle fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat.
Madame, monsieur, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Mathilde Lignot-Leloup et M. Jonathan Sapène prêtent serment.
Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, poursuit trois objectifs principaux : tout d'abord, établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles qui emploient plus de 1 000 salariés et réalisent un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; ensuite, déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises et que celles-ci procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements, voire délocalisent leurs activités.
Nous avons jugé utile de vous entendre aujourd'hui afin de connaître votre définition des aides publiques aux entreprises, et votre avis sur celle qui a été retenue par France Stratégie dans un rapport de 2020 consacré aux politiques industrielles en France.
Quelles sont les principales conclusions qui résultent des travaux de la Cour des comptes depuis 2020 sur les aides publiques aux entreprises ? Je pense en particulier à la note thématique Garantir l'efficacité des aides de l'État aux entreprises pour faire face aux crises de juillet 2023 et au rapport Les aides publiques à l'innovation des entreprises de mai 2021. Il vous est évidemment loisible d'évoquer d'autres rapports de la Cour des comptes portant sur les aides publiques aux entreprises.
Nous aimerions également savoir si les préconisations de la Cour en matière d'aides aux entreprises ont été suivies d'effet.
Mme Mathilde Lignot-Leloup, présidente de section de la première chambre de la Cour des comptes. - Merci monsieur le président. Je vous propose de faire d'abord un point sur les différents périmètres qui peuvent être retenus pour définir les aides publiques aux entreprises et leurs montants. Je présenterai ensuite les principaux constats résultant des travaux de la Cour depuis 2020. Enfin, je dresserai un bilan du suivi des recommandations et des évolutions récentes.
Sur le premier point, votre commission ayant déjà procédé à un certain nombre d'auditions, vous avez constaté qu'il n'existait pas de définition nationale ni de recensement exhaustif des aides aux entreprises. Dans un rapport sur l'action économique des personnes publiques de 2015, le Conseil d'État préconisait de faire l'inventaire de cette action. Pour ce faire, il demandait au Gouvernement d'élaborer un document de référence et invitait l'Insee et la direction du budget à réaliser une cartographie précise, avec, le cas échéant, l'appui de France Stratégie et des inspections et corps de contrôle.
En revanche, l'encadrement européen des aides d'État aux entreprises nous permet d'avoir une définition et un chiffrage annuel. Ce cadre distingue les mesures transversales, qui sont accessibles à l'ensemble des entreprises, telles que le soutien à l'activité partielle pendant la crise, et les aides publiques qui relèvent des « aides d'État ». Ces dernières peuvent être octroyées aux entreprises qui respectent des critères définis a priori. Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser penser, ces aides d'État ne se limitent pas aux aides versées par l'État. Elles peuvent provenir des collectivités locales et prennent des formes variées : subventions, avances remboursables, dépenses fiscales, exonérations de cotisations sociales, prêts à des taux inférieurs à ceux du marché. Seules les aides sélectives qui se traduisent par un avantage économique pour certaines entreprises font l'objet d'un encadrement européen et d'un suivi annuel lorsqu'elles dépassent le seuil des aides dites « de minimis », soit plus de 100 000 euros.
La distinction entre ces aides d'État, par nature sélectives, et les mesures générales peut être délicate. Selon la Commission, une mesure générale obéit à trois conditions : un champ d'application qui n'est pas limité, des critères ou des conditions d'accès objectifs et horizontaux, c'est-à-dire non sectoriels, et une durée illimitée. Ces conditions, simples en apparence, sont parfois susceptibles d'interprétations.
Pour recenser ces aides d'État, le droit européen classe les transferts des ressources publiques en différentes catégories. Ainsi, la Commission publie chaque année un tableau de bord des aides d'État à partir des déclarations de tous les pays membres. Pour la France, celles-ci sont effectuées par les ministères et centralisées par le secrétariat général des affaires européennes. La France se classe deuxième après l'Allemagne s'agissant du montant annuel des aides d'État, qui s'élève à un peu plus de 38 milliards d'euros par an sur la période 2011-2019, et à 55,4 milliards d'euros par an sur la période 2011-2021 - qui couvre la crise.
Pour comparer les États membres entre eux, il faut retrancher le financement des services d'intérêt économique général (SIEG) ou des aides au transport ferroviaire, qui peuvent être très divers selon les pays. Si l'on enlève ces dépenses, la France reste le deuxième État après l'Allemagne en termes de montant d'aides versées, avec une moyenne de 20 milliards d'euros par an sur la période 2011-2019, et de 27,5 milliards d'euros par an sur la période 2011-2021.
Au-delà du montant, le choix des instruments est intéressant. La France se distingue des autres États membres par l'importance des dépenses fiscales, qui représentent 40 % des aides d'État en 2018 - contre 30 % au sein de l'Union européenne (UE). Par ailleurs, les subventions sont moins importantes en France que dans les autres pays - elles représentent 50 % des aides d'État, contre 60 % en moyenne au sein de l'UE.
Dans son rapport public annuel de 2023, la Cour s'est intéressée au montant des aides distribuées aux entreprises par les collectivités locales au travers du soutien au développement économique : recherche, développement, innovation, aides aux PME, aux entreprises en difficulté ou à l'agriculture et à la pêche. Je précise ce périmètre, car le montant des dépenses associées dépend de celui que l'on choisit. La Cour a estimé que le montant de ces aides était de 1,3 milliard d'euros par an sur la période 2014-2020, dont 0,6 milliard d'euros d'aides d'État, 0,4 milliard d'euros de mesures de minimis et 0,3 milliard d'euros versés par le Fonds européen de développement régional (Feder).
Ce champ des aides d'État, sélectives, ne couvre pas toutes les aides publiques aux entreprises, notamment parce qu'il n'inclut pas les aides transversales. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, France Stratégie a dressé, dans son rapport de 2020, une typologie des aides et proposé quatre périmètres en soulignant le caractère indicatif des montants et le choix conventionnel des dépenses retenues. Les montants variaient fortement selon que l'on prend ou non en compte, au titre des dépenses fiscales, les dépenses déclassées - celles-ci s'apparentent plus à une modalité de calcul de l'impôt sur les sociétés -, ou que l'on décide d'inclure ou non les participations de l'État.
L'État représente 95 % de ces montants, et les régions environ 5 %. Les aides directes de l'UE représentent un montant important en valeur absolue, mais assez faible en valeur relative.
La Cour n'ayant pas réalisé d'étude exhaustive sur l'ensemble de ces aides, elle n'a pas de position sur le bon périmètre à retenir. En revanche, nous nous sommes inscrits dans cette volonté de dresser une typologie des aides distribuées aux entreprises pour pouvoir ensuite analyser les montants en utilisant à la fois les instruments de la compatibilité générale de l'État, les données de la comptabilité nationale et les documents budgétaires.
Ainsi, dans le cadre d'un bilan sur dix ans de politiques publiques en faveur de l'industrie remis à l'Assemblée nationale en novembre dernier, nous avons procédé à un recensement des transferts financiers qui ont bénéficié aux entreprises industrielles, telles que définies par leur code NAF (nomenclature d'activités française), hors commandes publiques et hors secteur de la défense. Les soutiens publics en faveur de ces entreprises s'élèvent à 17 milliards d'euros par an sur la période 2012-2019 et à 26,8 milliards d'euros par an sur la période 2020-2022, hors interventions en fonds propres. Si, à l'instar de France Stratégie, l'on exclut les exonérations et les réductions fiscales ou sociales, ce montant s'élève à 5,8 milliards d'euros sur la période 2012-2019 et à 9,6 milliards d'euros sur la période 2020-2022.
Les collectivités territoriales représentent une part assez marginale de ces transferts. Soulignons que leurs dépenses peuvent échapper à un recensement en termes de transfert monétaire aux entreprises, dans la mesure où les aides peuvent relever d'autres compétences de développement économique, notamment des investissements dans les infrastructures de transports ou la formation. Autrement dit, toutes les dépenses ne figurent pas forcément dans les comptes des entreprises ou dans ceux des acteurs publics au titre du développement économique, mais elles sont susceptibles d'y participer au travers d'autres interventions. Il peut être malaisé d'opter pour une catégorisation unique, absolue, de l'ensemble des aides aux entreprises. En revanche, il est possible d'avoir une typologie précise et de suivre les montants versés en définissant précisément le périmètre.
Je présenterai maintenant les enseignements et les constats que la Cour a intégrés dans certains de ses rapports sur les aides publiques aux entreprises depuis 2020.
Le rapport de mai 2021 sur les aides publiques à l'innovation des entreprises, réalisé à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, était centré sur les dispositifs gérés par Bpifrance afin d'en analyser l'efficacité et la cohérence avec les autres aides, qu'elles soient issues de l'État, des régions ou de l'UE. Comme il n'existe pas de définition unique de l'innovation, nous avons commencé par examiner les dispositifs de Bpifrance qui soutiennent l'innovation en identifiant les entreprises qui ont bénéficié de ces aides ; nous avons ensuite analysé les autres aides dont elles ont pu bénéficier et leur articulation.
Ce rapport a mis en exergue un certain nombre d'éléments saillants. Il constate que le financement public en faveur de l'innovation a considérablement augmenté au cours des dix dernières années, passant de 3 milliards d'euros en 2010 à près de 10 milliards d'euros en 2020. En outre, la France est le pays de l'OCDE qui soutient le plus l'innovation. Le crédit d'impôt recherche (CIR) représente les deux tiers de ces financements, et Bpifrance joue un rôle pivot dans le soutien à l'innovation en tant qu'interlocuteur unique des entreprises en combinant des financements, des prêts, des subventions et des investissements en fonds propres.
Les 14 milliards d'euros d'aides que nous avons analysées ont bénéficié à 15 613 entreprises sur la période 2016-2019 ; 4,6 milliards d'euros provenaient de Bpifrance et 7,7 milliards d'euros constituaient des dispositifs d'exonération fiscale et sociale. Les aides se sont fortement concentrées sur les start-up, notamment celles qui disposent d'un fort potentiel de ruptures technologiques, les deep tech - 84 % des bénéficiaires employaient moins de 50 salariés, et 52 % en avaient moins de 10.
Il nous est apparu difficile d'avoir une vision claire de l'efficacité de ces aides et d'évaluer précisément l'impact sur l'innovation et l'économie. Sur cette période, la France a progressé dans les classements internationaux, en se hissant au 10ème rang en Europe et au 12ème au niveau mondial. Néanmoins, ces résultats restent fragiles et insuffisants.
Nous avons identifié un certain nombre de défis à relever, notamment un manque de synergie entre la recherche académique et les entreprises. Sur ce seul critère, nous sommes classés au 26ème rang mondial, avec 2,5 fois moins de brevets déposés qu'en Allemagne. En outre, ces dispositifs d'aides sont très, voire trop nombreux, et donc parfois mal connus - il en existe 60 en matière d'innovation. Cela rend leur mobilisation complexe eu égard aux montants qui peuvent sembler trop faibles. Enfin, nous avons constaté une difficulté d'accès au financement pour les start-ups en croissance, qui pâtissent d'un manque de capital-risque, surtout à l'échelon européen. Ce phénomène incite d'ailleurs certaines entreprises à se tourner vers l'étranger.
La Cour avait relevé plusieurs pistes d'améliorations : mobiliser plus judicieusement les moyens publics, notamment le levier de la commande publique ; renforcer les coopérations public-privé grâce à des partenariats entre laboratoires de recherche et entreprises ; accélérer l'intégration des dispositifs nationaux avec les financements européens, par le renforcement du programme Horizon Europe et du Conseil européen de l'innovation ; enfin, développer les capacités de financement au niveau européen pour le capital-risque, à hauteur de 50 à 100 millions d'euros.
J'en viens à la note structurelle visant à garantir l'efficacité des aides de l'État aux entreprises pour faire face aux crises, que la Cour a publiée en juillet 2023.
Cette note tendait, d'une part, à recenser les différentes aides mobilisées pendant le plan d'urgence et le plan de résilience, entre 2020-2022, d'autre part à identifier des leviers d'amélioration. Plus de 92 milliards d'euros d'aides ont été mobilisés sur cette période, dont 82 milliards d'euros au titre du plan d'urgence durant la crise sanitaire.
Les constats montrent que les services de l'État disposent d'instruments ou de moyens leur permettant de mettre en place des critères a priori efficaces pour cibler les aides aux entreprises. Mais la fixation de ces critères cède parfois face à l'objectif de simplification ou de rapidité, comme ce fut le cas lors du plan d'urgence, avec les risques de saupoudrage ou de fraude que cela implique.
L'octroi d'aides aux entreprises pendant la crise énergétique a aussi mis en lumière la nécessité de renforcer la coopération des administrations chargées de l'économie et de l'énergie, dès lors qu'elles conçoivent et mettent en oeuvre des aides qui visent un objectif identique et concernent les mêmes entreprises avec des instruments différents. Je pense au soutien aux entreprises énergo-intensives mis en oeuvre à la fois par le ministère chargé de l'industrie et le ministère chargé de l'énergie.
Plus qu'un outil de contrôle systématique, il faut une réflexion en amont de la décision d'attribution des aides sur un ciblage efficace et des critères vérifiables.
Plus globalement, la Cour des comptes a identifié trois leviers d'action qui doivent être améliorés.
Premièrement, les dispositifs de soutien en temps de crise doivent être temporaires et prévoir d'emblée leur évaluation.
Deuxièmement, pour limiter les risques de captation ou de saupoudrage, les mesures doivent être ciblées sur les entreprises les plus affectées par la crise. Dans notre note, nous avons développé le cas des aides à l'énergie et envisagé des critères comme l'excédent brut d'exploitation.
Troisièmement, lors de la conception des dispositifs, il est important de mettre en place des outils de lutte contre les fraudes, notamment par le croisement des données entre les administrations. Nous avons analysé le soutien à l'activité partielle, qui a progressivement fait l'objet de contrôles grâce aux informations du ministère du travail, des Urssaf, de l'administration fiscale ou de l'Agence de services et de paiement (ASP).
Ces contrôles a priori ont été mis en place avec un certain retard en raison de l'urgence. C'est une bonne pratique que nous devons instaurer systématiquement pour tout dispositif de soutien aux entreprises en réponse à la crise.
J'en viens au suivi des recommandations et aux récentes mesures prises pour renforcer l'efficacité des aides publiques aux entreprises.
La Cour mène un suivi de la mise en oeuvre de ses recommandations tous les trois ans, de manière à laisser suffisamment de temps à l'administration concernée pour entamer leur application.
Nous avons ainsi assuré un suivi des recommandations émises dans le rapport sur les aides publiques à l'innovation de 2021. En revanche, la mise en oeuvre des propositions de la Cour dans sa note de 2023 sur les mesures d'aide exceptionnelle pour sortir de la crise n'a pas encore été analysée.
Concernant les évolutions intervenues depuis 2021, les recommandations portant sur l'amélioration du suivi ont connu des avancées, qui doivent cependant encore être consolidées.
La première recommandation de la Cour, consistant à améliorer la lisibilité des aides à l'innovation par la suppression du fonds pour l'innovation et l'industrie (FII), qui troublait la lecture du montant des différentes aides, a été suivie. En effet, le choix d'un recentrage au sein du budget de l'État, plutôt que d'un fonds spécifique, a permis de clarifier le montant des aides.
La seconde recommandation de la Cour visait à approfondir l'évaluation des aides publiques à l'innovation pour mieux analyser l'impact des différents dispositifs, suivre leur distribution territoriale et s'assurer de l'absence d'éviction des financements privés. En réponse, la direction générale des entreprises (DGE) nous a indiqué qu'une plateforme de données centralisant toutes les aides d'État notifiées à la Commission européenne était en cours de développement. À terme, cette plateforme permettrait aussi de lister les aides dont une entreprise a bénéficié, qu'il s'agisse d'aides d'État ou d'aides fiscales, afin de proposer un meilleur suivi en temps réel et de fournir des instruments facilitant les futures évaluations. Les aides à l'innovation octroyées par les régions devraient également faire partie des données intégrées.
Cette plateforme doit être instituée par décret et entrer en vigueur au 1er janvier 2026. Elle répondra ainsi à une obligation de la Commission européenne imposant à tous les États membres de disposer d'un registre centralisé de suivi des aides pour vérifier le respect du plafond des aides de minimis par chaque entreprise.
Au-delà de ces outils, dans le cadre, notamment, de France 2030, le comité de surveillance des investissements d'avenir a produit un rapport d'évaluation in itinere en juin 2023, qui sera suivi d'un second cette année. Le premier rapport visait à offrir des perspectives sur l'impact prévisionnel du plan sur les différents dispositifs, afin de garantir un meilleur suivi des feuilles de route sectorielles.
Plus globalement, l'évaluation a progressé depuis 2010. Outre les travaux menés dans le cadre de France 2030 et des programmes d'investissements d'avenir (PIA), on peut mentionner les premières évaluations sur les exonérations de cotisations sociales et sur les dispositifs dans le cadre des plans d'urgence et des plans de relance. Tous ces rapports ont l'avantage d'être publics.
Néanmoins, la Cour observe que la qualité de ces évaluations est variable, selon, notamment, que le recueil des données nécessaires au suivi et à l'évaluation a été prévu ou non dès l'élaboration du dispositif.
Les efforts doivent se poursuivre pour concevoir, dès la création d'une aide aux entreprises, le dispositif qui garantira son suivi et pour définir les indicateurs qui permettront son évaluation, et, le cas échéant, l'évolution de ces derniers.
Enfin, la Cour a souligné que les dépenses fiscales devraient être davantage considérées comme des dépenses normales faisant l'objet d'un dispositif de suivi et d'évaluation plus important.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je vous remercie pour vos propos introductifs, même si je dois avouer que je suis un peu perdu...
Il est vrai qu'un débat a eu lieu dans cette commission sur la définition des aides publiques aux entreprises. Depuis nos premières auditions, nous nous étonnons que chaque acteur public en expose une vision différente. L'Insee en évalue le montant à 70 milliards d'euros. Pour l'inspection générale des finances (IGF), en intégrant toutes les aides, on atteindrait 170 milliards, ou peut-être 200 milliards, voire 250 milliards ! Quant à vous, vous avancez un montant bien plus bas, inférieur à 70 milliards d'euros. Si l'on intègre les subventions directes et indirectes, du moins les exonérations de cotisations, on devrait pourtant réussir à se mettre d'accord sur un montant.
Comment expliquez-vous ensuite l'absence de définition précise des aides publiques ? Cela arrangerait-il certains ? Est-ce un choix politique ? Alors que l'administration est très organisée dans beaucoup de domaines, dès qu'il est question des aides aux entreprises, tout devient vague : on ne sait pas ce qui en fait partie ou non.
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Il faut s'entendre sur ce que sont les aides publiques aux entreprises. Dès lors que l'on se met d'accord sur la typologie, il n'est pas difficile d'identifier les montants, car ils sont issus des mêmes documents budgétaires.
La définition que j'ai retenue dans mon intervention est celle de la législation européenne sur l'encadrement des aides d'État, car elle a l'avantage de permettre la comparaison avec les autres pays européens.
Ainsi, le montant que j'ai avancé est plus limité, car sa seule finalité est de s'assurer du bon fonctionnement du marché européen et de l'absence d'aides faussant la concurrence. Cette définition distingue ainsi les aides sélectives, ne bénéficiant qu'à certaines entreprises, des aides transversales, lesquelles ne sont donc pas prises en compte dans les aides d'État. C'est ainsi que l'on s'assure qu'il n'existe pas de dispositif de l'État français faussant la concurrence sur le marché européen. Cette définition est donc assez restreinte.
D'autres définitions peuvent être proposées, dès lors qu'il est question de suivre d'autres dispositifs. Quand la Cour des comptes s'est interrogée sur le soutien public de la politique industrielle en direction des entreprises de ce secteur, elle a retenu une définition plus large, qui rejoint l'un des périmètres de France Stratégie, en considérant à la fois les aides versées sous forme de transferts financiers - subventions et avances remboursables aux entreprises industrielles - et les exonérations de cotisations sociales et les dépenses fiscales.
Je vous ai donc donné un chiffre inférieur à ceux qu'ont avancé l'Insee - 70 milliards d'euros - et l'IGF - 88 milliards d'euros -, car je ne prends en compte que les entreprises industrielles au sens de la nomenclature d'activités française (NAF) définie par l'Insee - mais les sources restent identiques.
Ainsi, les chiffres sont différents seulement parce que nous ne nous sommes intéressés qu'au soutien public en faveur des entreprises industrielles ainsi qu'au suivi et à l'efficacité de ces mesures. En prenant en compte un périmètre plus large, nous aurions pu analyser un plus grand nombre d'entreprises. Tout dépend donc de la finalité retenue.
Par ailleurs, cette absence de définition stricte renvoie aussi à la complexité qu'il y a à décider de ce qui relève ou non d'un dispositif d'aide. Ainsi, une prise de participation de l'État doit-elle être considérée comme une aide ou un investissement ? Quand la Cour a traité de la question du soutien de la politique industrielle, elle s'est intéressée à ces dépenses, tout en choisissant de les isoler pour montrer la différence entre les subventions versées, les dépenses fiscales, les exonérations de cotisations fiscales et les dispositifs d'investissements en fonds propres.
Une autre raison peut expliquer la difficulté à définir ce que sont les aides publiques. Parfois, le soutien de l'État ne se traduit pas par un transfert financier, mais par des prestations d'accompagnement, voire par le développement d'un environnement économique favorable à l'entreprise. Il peut s'agir, notamment pour les collectivités locales, d'une action sur le foncier ou sur l'aménagement du territoire, qui n'est retracée ni comme une aide aux entreprises ni comme une aide au développement économique, mais qui relève davantage du soutien aux infrastructures, à la formation ou à d'autres secteurs.
La question n'est pas simple : c'est d'ailleurs sans doute pour cette raison que vous avez créé cette commission d'enquête ! Il serait utile de s'entendre sur une typologie pour y associer les montants propres à chaque catégorie, quitte à expliquer que le périmètre varie selon les sujets. Une clarification apparaît nécessaire.
M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est en effet notre avis. En dépit des différences d'opinions, chacun s'accordera ici sur la nécessité de transparence dans ce domaine. Ensuite, il ne s'agit que de choix politiques.
Nous nous étonnons qu'il n'existe toujours pas de tableau de bord permettant de savoir de quelles aides directes ou indirectes a bénéficié chaque entreprise. Nous entendons que ce travail est en cours, mais nous voulons contribuer à proposer une définition commune. Ensuite, certes, il y aura un débat.
Vous êtes ainsi la première à nous présenter le montant - 1,3 milliard d'euros - de l'ensemble des aides des collectivités. Jusqu'à présent, aucune des administrations auditionnées n'en a été capable ! L'IGF, en particulier, nous a indiqué recevoir très peu de réponses lorsqu'elle sollicitait les collectivités en ce sens. Nous semblons toucher là aux limites de notre système...
Par ailleurs, vous avez exposé un objectif de simplification, de rapidité et d'efficacité dans le ciblage.
Actuellement, le suivi par l'administration fiscale du respect des conditions permettant de bénéficier des aides est satisfaisant : elle sait par exemple si une entreprise a fraudé. En revanche, il relève de votre rôle d'évaluer l'efficacité des dispositifs - et chacun connaît ici la rigueur de la Cour en la matière ! Quelle est votre appréciation des outils dont dispose l'État pour évaluer ces dispositifs ?
Chacun des acteurs auditionnés a reconnu que la conditionnalité ne soulevait pas de problématique particulière. En revanche, la définition de critères et l'évaluation sont bien plus complexes. En effet, plus les critères sont restrictifs, plus ils sont difficiles à mettre en place. Ils relèvent ainsi davantage de la communication politique - il suffit de prendre l'exemple du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
Si la plateforme de données est bien mise en ligne au 1er janvier 2026, seriez-vous d'accord pour qu'elle donne à voir, en toute transparence, le montant des fonds publics dont bénéficie chaque entreprise française ?
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Vous rappelez à juste titre la différence entre, d'une part, le contrôle, et, d'autre part, le suivi et l'évaluation.
Vous l'avez sans doute constaté lors de vos auditions : le contrôle doit pouvoir s'appuyer sur des croisements de données et sur la définition de critères de ciblage. Il relève de l'administration fiscale, des Urssaf, de l'ASP lorsqu'elle verse les aides et des opérateurs à l'origine des subventions. Ce contrôle repose sur des dispositifs de vérification de plusieurs critères, a priori et dans le temps.
Au-delà de la question du contrôle viennent le suivi et l'évaluation, laquelle amène à s'interroger sur la pertinence de certains dispositifs. Je l'ai dit : la Cour constate et regrette qu'il n'y ait pas assez d'évaluation...
M. Fabien Gay. - Pas assez d'évaluation, ou pas du tout ? Pour l'instant, il n'y en a tout simplement pas !
M. Olivier Rietmann, président. - Nous avons notamment constaté, cette année, que si certains dispositifs sont parfois interrompus ou reconduits, la décision n'est jamais prise en vertu d'une évaluation de leur efficacité, mais en raison de restrictions budgétaires !
Or cela pose un problème aux législateurs que nous sommes : lorsque nous décidons de supprimer une subvention ou un accompagnement financier bénéficiant aux entreprises, nous savons tout juste quel en sera l'impact d'un point de vue économique. En revanche, nous ignorons totalement son efficacité, laquelle n'est pas seulement une question de coûts, mais aussi d'emplois ou de pénétration de marché !
J'ai le sentiment que notre administration est plutôt compétente en matière de contrôle. En revanche, en amont, l'étude d'impact s'apparente souvent à une coquille vide, et, en aval, nous avons rarement connaissance d'une évaluation permettant de décider s'il faut poursuivre ou supprimer un dispositif... Confirmez-vous cette impression ?
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Oui, nous sommes plutôt efficaces en matière de contrôle, avec ce bémol des mesures prises dans des contextes d'urgence. Nous avons progressé à l'occasion de la crise sanitaire et nous disposons désormais des outils nécessaires, y compris la possibilité de croiser les informations pour vérifier que l'entreprise existe et qu'elle utilise le même compte bancaire pour ses impôts.
Nous avons également été efficaces pour prévenir, en amont, la fraude massive. La direction du Trésor a ainsi veillé à préserver une quotité non garantie par l'État dans les PGE (prêts garantis par l'État). Les banques avaient donc un intérêt à s'assurer de la réalité de l'activité des entreprises avant de leur prêter de l'argent. De fait, les fraudes massives constatées en Angleterre, où l'État a garanti les prêts à 100 %, n'ont pas eu lieu en France.
Il y a tout de même des évaluations, mais insuffisamment, je vous rejoins sur ce point. De surcroît, elles ne sont pas toujours simples à mener et ne permettent pas forcément de conclure de façon évidente.
M. Olivier Rietmann, président. - Si nous avions établi des objectifs précis au départ, il serait moins compliqué d'évaluer les dispositifs à l'arrivée...
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Absolument. Lorsqu'on conçoit un dispositif, il faut d'emblée prévoir les indicateurs permettant de l'évaluer. On assiste actuellement à une prise de conscience, mais les instruments de ce type restent insuffisants.
Enfin, la Cour des comptes est très attachée à la transparence sur l'utilisation des fonds publics. Nous souhaitons qu'un maximum d'informations puissent être rendues publiques, sous réserve de la préservation du secret fiscal.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Dans le cadre de la politique agricole commune, tout est transparent, ce qui n'empêche pas de préserver le secret fiscal.
M. Olivier Rietmann, président. - On peut rendre publiques les lignes concernant les aides publiques sans rien dévoiler de la situation fiscale ou des résultats de l'entreprise.
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Sur le site data.gouv.fr, certains opérateurs publient déjà les aides qu'ils distribuent, notamment l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), me semble-t-il. Il serait intéressant de pouvoir renforcer encore cette transparence.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je souhaite vous poser deux dernières questions, l'une sur le pilotage de la politique d'innovation, l'autre sur l'efficacité et le cumul des aides.
Pourriez-vous nous indiquer ce qu'est devenu depuis 2018 le Conseil de l'innovation ? Quelles sont les mesures prioritaires à prendre selon vous pour renforcer le caractère interministériel de la politique d'innovation ?
Votre rapport de 2021 soulignait la nécessité pour la politique d'innovation « d'être pilotée pour éviter le délitement des priorités ». Estimez-vous que le nombre de dix-sept objectifs et leviers retenus pour le plan France 2030 est trop important ?
La note thématique de juillet 2023 souligne le risque qu'une entreprise puisse recevoir plusieurs aides distinctes pour un même préjudice. Une fois cumulées, ces aides pourraient excéder le montant de ce préjudice.
À votre connaissance, les ministères concernés ont-ils mis en place, depuis la publication de la note, un outil de contrôle systématique du montant cumulé des aides reçues pour empêcher ce type de situations ?
Plus largement, estimez-vous que si une nouvelle crise intervenait demain, les services de l'État disposeraient des instruments nécessaires pour mettre en place des aides plus ciblées et limitées dans le temps ?
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Le Conseil de l'innovation est devenu un conseil interministériel de l'innovation en 2021, présidé par le Premier ministre et réunissant onze ministères. Cependant, à notre connaissance, il ne s'est plus réuni depuis, ses missions ayant été reprises dans le cadre du plan France 2030.
Dix-sept filières ou programmes sélectionnés, c'est encore beaucoup, en effet. Dans notre rapport, nous avions mis en évidence l'importance de cibler un nombre limité de priorités. La Cour ne s'est pas exprimée sur ce point, mais il nous faudra certainement y revenir pour évaluer si l'objectif initial de ciblage a pu être atteint.
Il est essentiel de définir en amont des critères de ciblage pour éviter tout cumul. Les aides conçues pour répondre à la crise énergétique constituent un contre-exemple à ne pas reproduire : il a manqué un dialogue poussé entre le ministère de l'économie et celui de l'énergie pour concevoir des dispositifs de soutien ciblés et complémentaires aux mesures transversales.
M. Olivier Rietmann, président. - Les ministères travailleraient-ils en silo ?...
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Cela peut arriver...
Il faut en tout cas s'assurer de la coordination de leurs actions. J'ai évoqué le tableau de bord interministériel, un outil automatisé qui permettra de mieux suivre les risques de cumul d'aides par entreprise et le respect du plafond de minimis.
Mais des procédures de contrôle existent d'ores et déjà : lorsqu'un opérateur ou un ministère accorde une aide, il demande à l'entreprise de déclarer les autres dispositifs dont elle bénéficie.
M. Jérôme Darras. - Nous sommes unanimes sur la nécessité d'une évaluation systématique des dispositifs d'aides publiques aux entreprises, selon des modalités définies préalablement à leur mise en oeuvre.
Cela suppose que les objectifs soient clairement définis. M. Gallois nous expliquait ainsi que CICE avait été conçu pour favoriser la compétitivité de nos entreprises, et non l'emploi.
Avez-vous réfléchi au cadre général d'un dispositif d'évaluation qui pourrait être adapté aux différentes aides aux entreprises ?
M. Daniel Fargeot. - Avant d'analyser les différentes aides et leur impact sur l'économie, encore faudrait-il définir précisément ce qu'est une aide publique. On mélange souvent les aides, les subventions et les soutiens directs ou indirects. Il serait important de clarifier ce point.
Dispose-t-on aujourd'hui d'une évaluation suffisante de l'efficacité des aides publiques en France ? C'est une question complexe.
Nous sommes déjà confrontés à un manque de lisibilité : aucun fichier centralisé ne recense l'ensemble des dispositifs d'aides publiques et leur montant avec précision.
Nous constatons également une véritable difficulté d'évaluation. Comme vous l'avez souligné, nous butons sur un manque de transparence de l'enregistrement des aides dans les comptes des entreprises, notamment des grandes entreprises.
Faudrait-il mobiliser des moyens plus importants pour obtenir des données précises ? Pourquoi les différentes sources de données - administration fiscale, Urssaf, etc. - ne sont-elles pas mutualisées ?
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Il me semble difficile de prévoir un dispositif général d'évaluation des aides aux entreprises, dans la mesure où leurs objectifs sont variables. Comme vous l'avez souligné, Louis Gallois a souligné que les évaluations des effets du CICE sur l'emploi ne permettaient pas d'évaluer l'ensemble du dispositif, qui visait plutôt la compétitivité.
Pour répondre à votre attente légitime, on pourrait déjà, me semble-t-il, poser un principe d'évaluation systématique des dispositifs d'aides, et s'assurer que les données qui permettent de procéder à ces évaluations soient accessibles.
Nous disposons d'un centre d'accès sécurisé aux données (CASD), géré par l'Insee, qui permet de mettre à disposition des chercheurs une information riche, notamment sur les données fiscales par entreprise, et de faire des croisements de données. C'est un outil sur lequel il faut capitaliser, en l'enrichissant régulièrement.
Nous devrions en outre nous obliger à évaluer régulièrement l'ensemble des aides aux entreprises. La Cour a plaidé, notamment pour les dépenses fiscales, en faveur d'une clause de revoyure systématique : après trois ans, au maximum, on évalue, et si l'évaluation n'est pas concluante, on en tire les conclusions en arrêtant ou en redéfinissant le dispositif.
Pour certains dispositifs que vous avez votés, notamment dans les lois organiques relatives aux exonérations de cotisations sociales ou la loi de programmation des finances publiques, un programme d'évaluation régulier est prévu. Le cadre existe donc, mais il faut le mettre en oeuvre plus systématiquement et en tirer les conséquences en cas d'évaluation défavorable.
Il existe déjà une définition des aides d'État, mais nous devrions, me semble-t-il, nous accorder sur une typologie plus précise des aides, ce qui permettra de déterminer un montant pour chaque type d'interventions.
S'agissant des outils d'évaluation des aides publiques, il est en effet nécessaire de mutualiser davantage les moyens, mais aussi de les mobiliser plus régulièrement. L'accès aux données de la comptabilité nationale et du CASD permet de partager les mêmes informations, et l'outil actuellement mis en place par la direction générale des entreprises devrait faciliter le recensement et le suivi de toutes les aides, y compris celles des collectivités locales - le recensement effectué par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) n'est pas forcément exhaustif.
Quand nous avons cherché à identifier les dépenses de développement économique des collectivités locales, nous avons dû procéder à une estimation à partir de l'analyse des comptes des collectivités locales. La nomenclature comptable des collectivités n'est pas complètement satisfaisante pour mesurer ces dépenses. Nous pouvons progresser sur ce point.
M. Olivier Rietmann, président. - C'est très important, car je suis convaincu que les aides de l'État et celles des collectivités font parfois doublon.
M. Lucien Stanzione. - La dernière note du Conseil national d'évaluation date du 18 janvier 2018. Nous évaluons quasiment tout, dans presque tous les domaines - éducation nationale, normes -, mais là, alors qu'il s'agit d'interventions publiques massives pour dynamiser l'économie - avouons que c'est tout de même un peu le nerf de la guerre... -, nous ne parvenons pas à avoir une vision claire de ce qui se passe. C'est complètement aberrant !
N'y a-t-il pas un lien à faire avec la situation économique de notre pays et ses 3 200 milliards d'euros de dette ? Nous pourrions sans doute mieux faire.
Mme Solanges Nadille. - En tant que sénatrice de la Guadeloupe, j'entends souvent dire que les aides ne sont pas adaptées à nos territoires. De l'autre côté, le Gouvernement nous reproche de ne pas utiliser les aides mises à notre disposition. On voit que l'évaluation des dispositifs est difficile dans l'Hexagone. Pouvez-vous nous éclairer sur les dispositifs d'évaluation déployés outre-mer ?
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - Dans le cadre du plan de relance, un dispositif piloté par France Stratégie a permis de commencer à évaluer un certain nombre de mesures. De même, un comité a été mis en place pendant la crise sanitaire pour suivre les aides distribuées aux entreprises et entamer un début d'évaluation. Des dispositifs se mettent donc en place, mais, je vous rejoins, monsieur Stanzione, il faut les systématiser.
Mais, parfois, l'évaluation s'avère difficile, soit parce que l'on manque de recul pour mesurer l'impact des dispositifs - c'est notamment le cas des aides du plan de relance -, soit parce qu'il est impossible d'établir un contrefactuel - une évaluation économétrique pure nécessite de pouvoir comparer des entreprises qui ont été aidées et des entreprises qui ne l'ont pas été. Or les aides mises en place pendant la crise sanitaire ont bénéficié à presque toutes les entreprises, ce qui rend cet exercice difficile.
Il ne faut pas renoncer pour autant. Nous devons trouver les moyens de développer ces évaluations, et c'est d'ailleurs un objectif de la Cour.
Nous avons récemment évalué le dispositif « Territoire d'industrie », un programme lancé fin 2018, qui a beaucoup évolué au cours des dernières années. Nous avons analysé l'évolution de la trajectoire des entreprises installées dans ces territoires d'industrie, sur le plan financier et en termes d'emplois. Cette évaluation a fait ressortir une amélioration de la situation financière de ces entreprises, mais nous disons aussi très clairement dans notre évaluation qu'il est difficile de porter un jugement sur cette amélioration par rapport à l'évolution d'autres entreprises qui n'ont pas bénéficié de ce dispositif. Et, là encore, nous insistons sur la nécessité de se doter dès le départ des bons instruments pour pouvoir évaluer efficacement le dispositif avec quelques années de recul.
Madame la sénatrice Nadille, s'agissant de l'évaluation des dispositifs dans les territoires ultramarins, je ne peux malheureusement pas vous répondre immédiatement. Je me rapprocherai de mes collègues, notamment de la cinquième chambre, et je vous communiquerai les informations que j'aurais pu recueillir.
M. Olivier Rietmann, président. - Même en l'absence de possibilité de comparaison contrefactuelle, il me semble que nous disposons de services suffisamment performants pour évaluer ce qui se serait produit si les entreprises n'avaient pas reçu ces aides.
Vous nous avez dit également que vous évaluiez régulièrement la manière dont vos recommandations sont suivies. Quel sentiment ressentez-vous à l'issue de ces évaluations, plutôt une grande satisfaction ou une grande frustration ?
M. Fabien Gay, rapporteur. - S'agissant du dispositif « Territoire d'industrie », on voit que le temps politique n'est pas celui de la communication politique. Vous nous dites que nous manquons encore de recul pour l'évaluer, tandis que les ministres nous vantent les mérites de l'un des programmes les plus ambitieux depuis la Libération et le Conseil national de la Résistance. Je voulais souligner ce décalage.
On évalue tout : les droits des chômeurs, les crédits du ministère de l'environnement ou de la santé... Bruno Le Maire dit qu'un euro dépensé doit être un euro efficace. Et là, 50 à 250 milliards d'euros sont donnés - je ne relance pas le débat sur la fourchette -, mais l'inspection générale des finances et la Cour des comptes seraient incapables d'en évaluer l'efficacité ! C'est un peu fou, tout de même ! On doit trouver les instruments pour y parvenir.
Seriez-vous par ailleurs favorable à ce qu'un outil jugé inopérant ou inefficace soit supprimé ?
Je n'ai rien contre ce dispositif en particulier, mais l'IGF nous a dit par exemple que le crédit d'impôt en faveur des créateurs de jeux vidéo, reconduit, leur semblait très peu efficace, profitant seulement à un nombre limité d'entreprises.
Mme Mathilde Lignot-Leloup. - L'évaluation doit évidemment servir à mettre fin ou à revoir les dispositifs inutiles ou n'atteignant pas leur objectif. La Cour l'a rappelé à plusieurs reprises. En 2023, nous avons publié une note sur la manière de mieux piloter les dépenses fiscales. En France, nous en dénombrons 467, dont certaines n'ont quasiment pas de bénéficiaires. Il faudrait en tirer des conclusions.
En termes d'évaluation, il ne faut pas s'arrêter au contrefactuel, en effet. Nous procédons à d'autres études, sans nous limiter au quantitatif, en nous fondant sur des analyses avant-après ou des comparaisons avec d'autres pays.
Nos recommandations sont suivies ou mises en oeuvre à 77 %. La Cour communique sur ce point dans le cadre de son rapport annuel. Le prochain sera rendu public en septembre, lors des journées du patrimoine, ce qui permet aussi de partager ces informations avec les citoyens.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci beaucoup. On entend souvent que les rapports de la Cour des comptes ne sont pas suivis d'effet ; le dernier chiffre que vous venez de communiquer est donc très important.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition des organisations syndicales - M. Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT, Mme Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale, de la CGT , et M. Loïk Tange, économiste ; Mme Rachèle Barrion et M. Éric Gautron, secrétaires confédéraux de FO ; M. Nicolas Blanc, secrétaire national de la CFE-CGC, et M. Léonard Guillemot, conseiller confédéral de la CFTC
M. Olivier Rietmann, président. - Nous allons maintenant entendre, dans le cadre d'une table ronde, les représentants des organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel.
Nous accueillons en effet, au nom de la CFDT, M. Luc Mathieu, secrétaire national ; au nom de la CGT, Mme Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale, et M. Loïk Tange, économiste ; au nom de FO, Mme Rachèle Barrion et M. Éric Gautron, secrétaires confédéraux ; au nom de la CFE-CGC, M. Nicolas Blanc, secrétaire national ; au nom de la CFTC, M. Léonard Guillemot, conseiller confédéral.
L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct, et fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat. Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous demande tout d'abord de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête. Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Luc Mathieu, Mme Fabienne Rouchy, Mme Rachèle Barrion, M. Loïck Tange, M. Éric Gautron, M. Nicolas Blanc et M. Léonard Guillemot prêtent serment.
M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier, poursuit trois objectifs principaux : tout d'abord, établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles qui emploient plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; ensuite, déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités.
Nous avons jugé utile de vous entendre aujourd'hui afin de connaître la position de vos organisations respectives sur les aides publiques aux entreprises.
Quel doit être le périmètre de ces aides ? Quelle appréciation portez-vous sur les aides aujourd'hui ? Que pensez-vous du rôle de la région dans ce domaine ? Demandez-vous de nouvelles prérogatives du comité social et économique (CSE) pour suivre l'utilisation de ces aides ? Que pensez-vous du contrôle des aides publiques aux entreprises, de leur suivi et de leur évaluation ? Faut-il introduire des contreparties aux aides ?
Je vous cède la parole, étant précisé que vous vous exprimerez à tour de rôle en fonction de la représentativité de vos organisations, tel que mentionnée dans l'arrêté du 28 juillet 2021.
M. Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT. - Estimer les aides publiques aux entreprises suppose d'additionner des dépenses de nature différente : des dépenses fiscales, pour environ 78 milliards d'euros, des dépenses socio-fiscales pour environ 91 milliards d'euros et des dépenses budgétaires pour 35 milliards d'euros, soit un total de 204 milliards d'euros en 2023. Les estimations oscillent entre 140 milliards d'euros et 223 milliards d'euros selon le périmètre retenu. Le périmètre le plus large inclut les prises de participation, les prêts, les avances remboursables, les garanties, les dépenses fiscales classées et déclassées, les dépenses socio-fiscales, les volets action économique et investissement des régions, les aides à la recherche et au développement, les aides d'État, le soutien général et les aides au commerce extérieur.
Il s'agit de la politique publique la plus importante, et ayant le plus augmenté, puisque le soutien public aux entreprises a plus que doublé depuis le début des années 2000, passant de 3 % du PIB à 7 % aujourd'hui. Cela signifie que le budget de l'État consacre 4 euros sur 10 aux entreprises. C'est le principal poste budgétaire de la Nation - trois fois plus que l'Éducation nationale. Or ces aides créent de l'accoutumance et de la dépendance. Elles ne sont, en grande majorité, pas conditionnées, ce qui a des conséquences.
Cette politique s'inscrit dans un cadre idéologique s'appuyant sur l'unique prisme de la compétitivité coût. Or tout coût est aussi un revenu. Le coût du travail est un revenu pour les travailleurs et l'économie nationale. Réduire les coûts, c'est réduire la richesse nationale.
Dans une pure logique économique, baisser le coût du travail désincite à remplacer le travail par du capital, et donc à investir. Cette désincitation a deux grandes conséquences : une dégradation de la dynamique économique à court terme, et une réduction des gains de productivité et de la compétitivité à long terme.
Les politiques de baisse du coût du travail ont été en partie motivées par des fondements de compétitivité internationale dans un contexte de croissance du commerce international, centré sur la compétitivité coût. Comme les aides découragent les entreprises à innover, la compétitivité se dégrade, ce qui incite à poursuivre une politique de baisse du prix du travail. C'est un cercle vicieux de dépendance aux aides, qui peut être aggravé lorsque tous les pays européens poursuivent la même stratégie.
La CFDT prône une conditionnalité systématique des aides publiques aux entreprises à des critères socio-écologiques. Il est nécessaire de contrôler le bon usage des deniers publics. Ces aides doivent servir l'intérêt général en matière d'emploi de qualité, de montée en compétences, de formation des salariés ou encore d'investissement dans la pérennité de l'activité ou la transition écologique. En cas de non-conformité des minima de branche au Smic, les exonérations générales de cotisations sociales seraient suspendues. Les classifications devraient également être obligatoirement réexaminées tous les cinq ans.
Nous défendons également, au sein des conventions collectives, une clause selon laquelle aucun salarié ne peut rester plus de deux ans au Smic dans une même entreprise. Une revalorisation salariale obligatoire interviendrait, passé ce délai. Cela encouragerait les employeurs à revoir les grilles salariales, favoriserait une meilleure reconnaissance du travail et éviterait la trappe à bas salaires.
Nous proposons un contrôle social des fonds publics et des garanties d'efficacité sur deux niveaux : tout d'abord, les aides publiques doivent être conditionnées en amont à des objectifs d'amélioration des pratiques sociales et environnementales ; ensuite, le contrôle social de l'usage des aides publiques aux entreprises serait confié au CSE, qui doit disposer d'un droit d'alerte auprès des autorités compétentes : la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Pour maximiser les gains en termes d'emploi, les politiques à destination du secteur privé ne peuvent se substituer aux mobilisations directes de fonds publics au service de l'innovation et de la transition écologique juste. La CFDT souhaite que l'on privilégie la subvention au crédit d'impôt, qui consiste à prendre en charge une dépense privée avec une gouvernance et un contrôle moindre que pour la subvention, cette dernière étant plus facile à diriger vers un projet précis. En outre, le crédit d'impôt peut être utilisé comme un mécanisme d'optimisation fiscale par une entreprise qui délocalise ses profits à l'étranger.
La CFDT prône également la relance de la commande publique en faveur de biens et de services utiles à tous et écologiquement ou socialement bénéfiques. La commande publique représente à la fois une dépense d'argent public et un enrichissement collectif par lequel on peut orienter le développement du tissu économique. C'est autant de salaires versés et de services offerts aux travailleurs. En outre, ce type de commande réduit l'incertitude des entreprises, le volume de ventes étant garanti.
Enfin, la compétitivité entre les pays de la zone euro ne doit pas devenir une course au moins-disant social et fiscal, où tous les pays sont perdants. La CFDT défend une politique claire de revenus concertée au sein de l'Union européenne qui passe par des investissements communs en Europe, notamment par un fonds d'investissement et la mutualisation d'une partie de la dette publique.
Vous nous interrogez sur les entreprises qui ont reçu des aides publiques et organisent des plans sociaux. Dans un contexte de multiplication des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), la CFDT demande de responsabiliser les employeurs. La transparence doit être faite sur l'attribution de l'ensemble des aides publiques perçues. Nous demandons également un suivi et une évaluation de leur utilisation, et leur remboursement si l'entreprise en restructuration réalise des bénéfices. Nous demandons également le refus de l'homologation des PSE des entreprises qui n'ont pas rendu ce bilan public et qui distribuent des dividendes à leurs actionnaires ou financent des plans de rachat d'actions. Nous estimons aussi qu'il faut renouveler le dispositif de l'activité partielle de longue durée en réponse à la forte dégradation de la conjoncture de l'emploi, tout en le conditionnant à un accord d'entreprise majoritaire et à un engagement de maintien des emplois et des actions.
Les exonérations de cotisation ont des effets différents selon les niveaux de salaire. Les effets se concentrent sur les plus bas salaires. Les études économiques estiment que leur efficacité est plutôt bonne autour du Smic et devient progressivement nulle à partir de 1,3 Smic. Il est préférable de recourir à d'autres outils pour développer l'emploi : aides ciblées, subventions, conditionnalité, entre autres. On constate deux effets sur les salaires : une trappe à bas salaires et une polarisation...
M. Olivier Rietmann, président. - Je vais vous demander de conclure.
M. Luc Mathieu. -On pourra vous transmettre un document écrit qui résume notre positionnement. Chaque euro public dépensé doit nous mener vers l'atteinte de nos engagements environnementaux et sociaux. Aussi, il est important de conditionner ces aides.
Mme Fabienne Rouchy, secrétaire confédérale de la CGT. - Le rapport de l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) de mai 2022 intitulé Un capitalisme sous perfusion, que nous avons commandé, nous sert de référence sur les aides publiques versées aux entreprises. Elles sont passées de 157 milliards d'euros en 2019 à plus de 200 milliards d'euros en 2022 et se répartissent en trois catégories : 30 % sont des subventions directes, 30 % des cadeaux fiscaux de l'État, qui a renoncé à prélever l'impôt auprès des entreprises, et 40 % des exonérations de cotisations sociales.
Il est très difficile de tracer les dispositifs existants et d'appréhender leur utilisation. Il n'y a pas de ciblage en fonction des besoins, ni de suivi, ni de contrôle, ni de sanction à l'encontre des entreprises qui en perçoivent puis délocalisent. Il n'y a aucune transparence sur l'utilisation de cet argent public, ce qui choque profondément les salariés et la population, d'autant que les dispositifs les plus utilisés sont les moins efficaces : je parle des exonérations de cotisations sociales entre 0 et 3,5 Smic, dont toutes les entreprises bénéficient, pour un montant total de 80 milliards d'euros par an. Cela représente la quasi-totalité des cotisations sociales dites patronales pour un Smic. Au-delà de 1,6 Smic, ces exonérations n'ont pas prouvé leur efficacité alors qu'elles coûtent 20 milliards d'euros par an. Elles ont juste conforté les trésoreries et boosté provisoirement l'activité. Selon l'Insee, près de 50 % des emplois se trouvent dans la tranche entre 1 et 1,6 Smic. Cela pose des problèmes sociaux et économiques, puisque le nombre de travailleurs pauvres augmente. Le barème trop dégressif des exonérations, identique pour une multinationale ou une PME, incite les entreprises à favoriser les emplois à bas salaire malgré leur besoin de qualification. Ce sont les ménages qui paient, en particulier par la TVA, impôt le plus injuste, et l'affaiblissement des services publics.
Est-il pertinent d'affaiblir notre modèle social pour un tel résultat ? Pour la CGT, il est urgent d'abandonner cette politique horizontale et d'aller vers des dispositifs plus ciblés.
Pour beaucoup de très petites entreprises (TPE) ou de petites et moyennes entreprises (PME), les guichets sont trop nombreux : il existe environ 2 000 dispositifs publics. En outre, les procédures d'attribution sont longues, complexes et appuyées sur des critères inappropriés. Si les subventions représentent un soutien important pour certaines entreprises, elles peuvent aussi créer des contraintes concurrentielles entre sites.
Les grandes entreprises n'ont pas du tout les mêmes problématiques. Leurs cabinets de conseil optimisent leur fiscalité. La plupart des groupes produisent là où les aides publiques sont les plus importantes. Voyez le chantage à l'emploi du groupe ArcelorMittal en ce moment, qui réclame plus d'argent public pour transformer les hauts fourneaux en fours électriques à Fos et Dunkerque. Aux États-Unis, il va récupérer des aides colossales alors que son dividende par action va augmenter de 14 %.
La recherche d'aides publiques est vraiment intégrée à la stratégie des groupes, loin des besoins de production et des besoins des populations. C'est pourquoi il faut une véritable stratégie industrielle pilotée par l'État.
Tandis que les versements aux actionnaires ont été multipliés par près de cinq depuis 2010, les aides publiques doivent servir exclusivement à soutenir l'activité économique, sans jamais financer de dividendes ni de plans sociaux. Aujourd'hui, nous ne sommes pas sûrs que ce soit le cas. Aussi, la CGT est favorable à obliger les entreprises qui font des bénéfices à rembourser les aides perçues lorsqu'elles ferment des sites ou délocalisent tout ou partie de leurs activités.
J'en viens aux collectivités territoriales : tout passe par des cabinets de conseil aux entreprises spécialisés dans la chasse aux aides publiques. Face à des critères peu contraignants, ils obtiennent sans difficulté le maximum de subventions, même lorsque l'entreprise n'en a pas vraiment besoin. Cela peut mettre des régions en concurrence. Il faut une vision nationale.
Les aides devraient être contrôlées par les commissions paritaires de branche et, au niveau de chaque entreprise, soumises à un avis conforme du CSE. Il est urgent de renforcer les droits d'intervention des salariés dans les conseils d'administration. Ce sont les travailleuses et travailleurs qui créent la valeur. Ils devraient avoir leur mot à dire sur la stratégie de l'entreprise.
La CGT est favorable à des contreparties juridiquement contraignantes en matière d'emploi et d'environnement. C'est un contrat d'aide spécifique au plus près de la réalité de l'entreprise qui serait le plus pertinent, car celle-ci n'agit pas que sur l'emploi direct, mais sur toute la chaîne de valeur, et sur tout le territoire. La qualité de l'emploi doit être prise en compte, pour éviter de subventionner le recours à des contrats précaires, imposer le respect des conventions collectives et encourager la formation et la reconnaissance des qualifications.
Il faut une approche verticale avec un rôle planificateur de l'État et une vision à long terme qui privilégie une dimension régionale, en veillant à ce que les technologies, la recherche et développement (R&D) et l'innovation soient à proximité des entreprises de production.
En 2021, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) préconisait déjà d'investir davantage en faisant jouer l'effet levier des financements publics, dans une vision d'ensemble qui prioriserait une économie décarbonée, ces aides devant être assorties de conditionnalités en termes d'emploi, de non-délocalisation et de développement durable.
Il y a un lien avec le consentement à l'impôt, avec l'opinion de la population sur l'efficacité des politiques publiques et avec le vote d'extrême droite. Nous déplorons une asymétrie inacceptable avec ce que l'on demande aux citoyens en contrepartie du revenu de solidarité active (RSA) qui ne permet que de survivre.
Dans les années 2000, la Commission nationale des aides publiques aux entreprises avait été créée pour répondre à une exigence de transparence et d'efficacité économique, alors qu'il était déjà impossible de s'y retrouver dans le maquis des aides publiques, dont les PME demeuraient largement exclues. Elle a très vite été dissoute alors que les aides ne cessaient d'augmenter. Une telle commission serait très utile, déclinée aux niveaux régional et départemental. Les missions des comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi) pourraient être élargies à l'examen des demandes d'aides et à leur suivi. Les organisations syndicales y siégeraient, comme c'est le cas de la Banque de France. Il serait utile de les solliciter en lieu et place des cabinets privés.
Mme Rachèle Barrion, secrétaire confédérale de FO. - Nous avons répondu en détail par écrit à toutes vos questions.
Je vous remercie de votre invitation, car ce sujet doit être mis en avant. FO, comme d'autres organisations, prône la conditionnalité des aides publiques. En 1995 déjà, un rapport de la Cour des comptes montrait la dérive des aides publiques.
Nous ne referons pas le débat entre aides directes et indirectes, mais avec un nombre de PSE qui ne cesse d'augmenter, des délocalisations et la montée du chômage de plus de 4 points, il est nécessaire de débattre de l'efficacité de ces aides et de les conditionner. Leur montant exorbitant, de plus de 200 milliards d'euros, interroge, quand le montant des dividendes perçus par les actionnaires augmente toujours plus.
L'incompréhension des salariés est massive quant à la répartition des richesses. Les entreprises sont gagnantes et les salariés toujours plus perdants.
Depuis des décennies, les aides publiques ont pour but d'alléger le coût du travail, d'améliorer la compétitivité et de soutenir l'innovation, afin de développer l'emploi et les exportations. Or l'objectif n'a pas été atteint. L'exemple du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est particulièrement éclairant. L'emploi est déqualifié et nous subissons une concurrence déloyale au sein même de l'Europe, où il n'y a pas d'harmonie des salaires alors que les politiques protectionnistes des États-Unis et de la Chine affaiblissent très nettement notre économie.
Les aides représentent un coût pour les finances publiques de 6 % du PIB. Elles ont surtout un effet sur les ménages, en augmentant leur fiscalité et en réduisant leur pouvoir d'achat. Nous constatons aussi un manque de suivi de leur efficacité. Le plan de réduction des dépenses publiques pour 2025 n'augure aucune hausse du nombre de fonctionnaires qui assureraient un contrôle exhaustif de ces aides.
Ces aides devaient favoriser la réindustrialisation de la France ; or notre pays n'a jamais connu un si grand nombre de fermetures et de délocalisations de ses entreprises industrielles. La part de l'industrie manufacturière dans la valeur ajoutée dépasse à peine 10 % en France.
Vous ciblez les grandes entreprises, qui, pour la majorité, sont des multinationales, qui cherchent surtout l'optimisation fiscale. La lutte contre la fraude fiscale, estimée entre 80 et 100 milliards d'euros par an, est un enjeu majeur de souveraineté et de redressement des comptes publics et une condition essentielle du respect du principe d'égalité devant l'impôt.
FO défend le département. Il n'est pas justifié que la région puisse décider de dérogations fiscales au bénéfice des entreprises. Cela va aussi à l'encontre de notre revendication d'un service public universel sur tout le territoire. Les régions n'ont pas à se concurrencer entre elles.
Certaines aides pourraient être révisées ou même supprimées. Ainsi, le crédit d'impôt recherche (CIR) doit être recentré sur la recherche fondamentale et réservé aux PME. Il bénéficie actuellement surtout aux grandes entreprises.
Le crédit d'impôt sur les entreprises de fret maritime doit également être revu. Les exonérations de cotisations sociales au-delà de 1,6 fois le Smic n'ont pas fait preuve de leur efficacité et pourraient renforcer la trappe à bas salaires. Il faut donc réduire progressivement les exonérations de cotisations sociales et élargir l'assiette de l'épargne salariale.
En ce qui concerne la conditionnalité des aides, il est important de distinguer les exonérations de cotisations sociales des dérogations fiscales et subventions. En effet, la modulation du taux de cotisation selon des conditions d'emploi, de salaire ou d'égalité hommes-femmes porte le risque de voir les cotisations se réduire en cas de non-respect de ces conditions par les entreprises. La cotisation sociale n'est pas une taxe comportementale ; elle est une partie du salaire des travailleurs.
Pour les dérogations fiscales ou subventions directes, la loi pourrait fixer un certain nombre de contreparties contraignantes aux aides publiques. Parmi elles figureraient l'interdiction de délocalisation des sites de production pendant huit à dix ans minimum, le paiement des impôts et taxes sur le territoire, la communication obligatoire au CSE de la signature d'un accord en matière de prix de transfert, l'accord préalable sur ce prix avec les administrations fiscales françaises par rapport aux administrations fiscales étrangères sans que le secret fiscal puisse être opposé, le maintien des emplois sur le territoire, l'interdiction des licenciements économiques, des pénalités en cas de non-respect des engagements en matière de sauvegarde de l'emploi, le maintien des seniors dans l'emploi ou leur reclassement, la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde en cas de fermeture ou de faillite, le contrôle de l'utilisation des aides pour l'investissement productif et du crédit d'impôt recherche avec interdiction de la sous-traitance à l'étranger, la mise en place d'un contrôle et d'un suivi publics sur l'utilisation des aides avec communication obligatoire au CSE ou encore le remboursement des aides prévues en cas de non-respect des engagements.
M. Éric Gautron, secrétaire confédéral de FO. - Les exonérations de cotisations sociales représentent pour les entreprises une véritable masse financière. Pour notre part, nous parlons bien de cotisations, et non pas de charges, ce terme étant malheureusement trop souvent utilisé. En effet, les cotisations sociales sont plutôt un investissement, notamment sur la santé des travailleurs, qui est la condition sine qua non de la bonne marche des entreprises.
Ces cotisations sont surtout au fondement du financement de la sécurité sociale. Or elles ne le financent plus désormais qu'à moins de 50 %, quand les exonérations atteignent le montant exorbitant de 80 milliards d'euros. On comprend mieux, à la lumière de ce chiffre, qu'il faille sans cesse rechercher de nouvelles solutions pour combler ce déficit. Or lesdites solutions sont souvent trouvées sur le dos des salariés. À Force ouvrière, nous avons coutume de dire que nous avons, en matière de sécurité sociale, un problème non pas de dépenses, mais de recettes.
La politique de l'offre, chère aux employeurs, doit avoir comme pendant des embauches et, partant, la réduction du chômage. Or les derniers chiffres du chômage +1,5 % en 2024 et +7 % chez les jeunes - nous montrent que ce pacte n'est pas respecté par les entreprises et que ces exonérations n'atteignent pas leur but.
M. Nicolas Blanc, secrétaire national de la CFE-CGC. - Je me souviens qu'à l'occasion de la conférence sociale de la fin de l'année 2023, nous discutions déjà, avec Élisabeth Borne, de la conditionnalité des aides publiques aux entreprises. J'avais alors proposé, puisque le mot « conditionnalité » semblait gêner, de parler de « responsabilisation ». L'argent public étant notre bien commun, l'engagement doit être collectif. La conditionnalité des aides est à nos yeux indispensable.
Parmi vos questions, auxquelles nous avons également répondu par écrit, vous nous interrogez sur la définition des aides. Pour notre part, nous retenons quatre grands volets : les subventions, la garantie financière, la prise de participation et les exonérations fiscales et sociales. Je ne reviendrai pas en détail sur les chiffres : ces aides ne cessent d'augmenter en pourcentage du PIB. Elles s'élèvent aujourd'hui à plus de 200 milliards d'euros et l'on voit bien que nous arrivons là au bout d'un mécanisme, du moins en ce qui concerne les exonérations de cotisations sociales.
Je comprends mal pourquoi les politiques publiques ne s'appuient pas davantage sur le Haut Conseil des rémunérations, de l'emploi et de la productivité (HCREP), dont je suis membre et dont les prérogatives sont mal définies. On parle beaucoup de compétitivité, mais finalement, comment la mesure-t-on ? Le rapport Gallois date de 2012... On a l'impression d'un système dans lequel les entreprises sont sous perfusion, mais auquel personne ne veut toucher. Le très structurant rapport Bozio-Wasmer propose une approche intéressante, notamment en matière d'attractivité des emplois, mais les organisations patronales restent figées sur leurs positions, d'où une certaine frustration.
Sur l'appréciation générale des aides publiques, je déplore, comme mes collègues, le manque de visibilité, de traçabilité et de suivi des dispositifs. L'inspection générale des finances (IGF) a constaté en mars 2024 le manque de suivi des aides aux entreprises par l'administration. Pour avoir été secrétaire du CSE central chez Engie, j'estime que le suivi doit se faire en amont, faute de quoi le CSE, dont il faut bien sûr renforcer les prérogatives, est réduit au rôle de chambre d'enregistrement.
En matière de crédit d'impôt recherche surtout - 7,6 milliards d'euros en 2024 -, les effets d'aubaine sont nombreux. Le groupe Sanofi, par exemple, a bénéficié a minima de 130 à 150 millions d'euros de réductions fiscales pour financer ses activités de R&D. Or la réorganisation du groupe a complètement détruit la R&D de Sanofi. S'en sont suivies des fermetures de sites et la suppression de près de 3 000 emplois en France. Parallèlement, Sanofi réalisait en 2024 un chiffre d'affaires de 41 milliards d'euros, affichait un résultat net de 5,7 milliards d'euros et reversait plus de 3 milliards d'euros de dividendes. Cela interroge.
Les rachats d'actions nous paraissent également contre-productifs d'un point de vue économique. Nous comprenons mal que des entreprises qui touchent des aides puissent en même temps se livrer à des tours de passe-passe visant à stimuler le cours de leurs actions en bourse.
D'une manière générale, il est très compliqué pour nous d'estimer le montant et l'efficacité des aides publiques. Les exemples semblables à celui de Sanofi sont en effet très nombreux - je pense notamment à Michelin - et les représentants syndicaux doivent pouvoir accompagner les dispositifs.
En ce qui concerne les dispositions de l'article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales, nous sommes favorables à une adaptation des critères au niveau territorial qui s'appuierait, naturellement, sur le dialogue social. Le travail d'adaptation des textes réglementaires qui est réalisé au niveau des branches par la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) est très important.
Je le répète, le CSE doit jouer un rôle central en matière de suivi des aides. Si ce dernier a lieu à l'occasion de la présentation des orientations stratégiques obligatoire, alors le CSE ne peut être qu'une chambre d'enregistrement. En effet, les grandes entreprises présentent lors de cet exercice des tendances sur trois ans ; il y a des effets d'aubaine et l'efficacité des dispositifs est très difficile à mesurer. Ces constats à l'échelle de l'entreprise peuvent être extrapolés au niveau national. Quelle a été, par exemple, l'efficacité du CIR vert ? Le Sénat a travaillé sur cette question.
En ce qui concerne les mesures de suivi, nous pourrions imaginer, pour les branches qui ne respectent pas les minima, un mécanisme de suspension temporaire des aides, le temps que les entreprises rattachées à ces branches se mettent en conformité. L'idée d'une commission de contrôle des aides publiques au secteur privé est également intéressante. Une telle commission a d'ailleurs brièvement existé en 2001. Nous préconisons de la recréer et de l'attribuer de nouveau au Haut-Commissariat au plan, lui-même intégré à France Stratégie.
Sur la détermination des critères de conditionnalité, les choix politiques doivent être clairs. Je suis secrétaire national à la transition économique, qui rejoint les transitions écologique et numérique. Pour objectiver ces critères et rendre les dispositifs opérationnels, il faut que l'État ait lui-même une vision responsable et renonce à la politique de l'offre.
Enfin, il serait intéressant de s'inspirer du régime existant pour les associations, qui, quand elles souhaitent bénéficier d'une aide publique, utilisent le dispositif Cerfa. Les demandes européennes de subventions sont par ailleurs complexes et leur suivi budgétaire très rigoureux. Entre le trop-plein et le rien, il y a un chemin à trouver.
M. Léonard Guillemot, conseiller confédéral de la CFTC. - La question que vous vous posez est centrale pour la CFTC. Comme nos collègues, nous sommes notamment favorables à la conditionnalité des allègements généraux de cotisations.
Notre définition des aides publiques regroupe l'ensemble des aides et avantages financiers consentis aux entreprises par l'Union européenne, l'État, les collectivités locales, les établissements publics et les organismes privés chargés d'une mission de service public. À une échelle macroéconomique, les aides publiques aux entreprises intègrent l'ensemble des dépenses fiscales et budgétaires, les allègements généraux de cotisations sociales et les autres participations publiques qui bénéficient directement ou indirectement aux entreprises. Selon France Stratégie, ce périmètre représente plus de 200 milliards d'euros.
La très grande variété des dispositifs d'aides et des acteurs qui les distribuent contribue à la complexité et au manque de lisibilité des dispositifs de soutien public. Cela crée également des distorsions parfois importantes au bénéfice d'entreprises qui disposent d'une main d'oeuvre peu qualifiée et donc peu rémunérée, ou qui relèvent de certains secteurs disposant de taux de TVA réduits, tels que le bâtiment et la restauration.
Je concentrerai mon propos liminaire sur les aides publiques relevant de l'État. Soucieuse de préserver la soutenabilité des finances publiques, la CFTC estime qu'il convient de réduire certaines aides publiques peu efficientes. Elle souhaite revoir les critères d'attribution pour renforcer le ciblage, et donc la pertinence du soutien public : les contreparties aux aides en matière d'emploi, d'investissement ou de négociation salariale doivent être renforcées. Il serait également souhaitable de renforcer l'effectivité des obligations prévues en matière d'information-consultation des représentants du personnel au sujet de ces aides.
Dans le détail, le taux de crédit d'impôt de 50 % pour les prestations de services à la personne pourrait être conservé, notamment pour les personnes âgées et la petite enfance. En revanche, ce taux pourrait être abaissé à 35 % pour les activités de la vie quotidienne qui se rapportent davantage au confort.
Le crédit d'impôt recherche pourrait être ensuite optimisé pour améliorer l'efficience de la dépense publique sans nuire à l'investissement, notamment dans les petites et moyennes entreprises. Le CIR bénéficie en effet principalement aux grandes entreprises, qui, pour certaines, ont profité d'effets d'aubaine, dans la mesure où les dépenses de recherche et développement auraient été de toute façon engagées.. Cela s'explique principalement par les règles de calcul du CIR, qui prévoient un taux de subvention de 30 % jusqu'à 100 millions d'euros de dépenses, puis un taux de 5 % au-delà de ce seuil. Afin de favoriser l'investissement dans les PME et de réduire le coût de ce dispositif, la CFTC recommande de porter le taux de subvention de 30 % à 35 % pour l'ensemble des entreprises éligibles au CIR et, en contrepartie, d'abaisser le plafond des dépenses éligibles au CIR à 20 millions d'euros, sans subvention possible au-delà de ce seuil.
Nous préconisons également de supprimer les taux de TVA réduits qui sont appliqués aux secteurs de la restauration commerciale, de l'hôtellerie et de la vente à emporter, qui n'ont que très peu démontré leur efficacité sur l'emploi. Par ailleurs, la baisse de la TVA dans la restauration a eu des impacts limités sur les prix et les salaires alors même que, selon l'inspection générale des finances, les bénéfices des entreprises ont augmenté de plus de 20 % dans ce secteur.
Nous sommes également favorables à la suppression du taux réduit de 10 % pour les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur les logements achevés depuis plus de deux ans, qui bénéficient aux ménages les plus aisés. En revanche, les travaux de rénovation énergétique pourraient continuer à bénéficier de ce taux réduit.
En ce qui concerne les allègements généraux de cotisations, la CFTC plaide pour une véritable stratégie de montée en gamme des emplois. Cette stratégie implique des politiques publiques qui favorisent à la fois la compétitivité, l'innovation et la montée en qualification. À ce titre, la réforme du système d'allègement de cotisations sociales est nécessaire pour réduire les effets de trappe à bas salaire. Il faut enclencher une dynamique de montée en gamme des compétences et des productions. C'est pourquoi la CFTC a particulièrement soutenu la refonte des allègements de cotisations proposée dans le scénario central du rapport Bozio-Wasmer, qui prévoit une moindre dégressivité du barème et un renforcement des exonérations entre 1,2 et 2 Smic.
Ces exonérations, qui sont en effet de l'ordre de 80 milliards d'euros par an, ne sont pas pilotées, puisqu'elles sont indexées sur un pourcentage du Smic. L'augmentation du Smic est automatique sans décision politique dès lors que l'inflation est supérieure à 2,5 %. Souvent utilisée par ailleurs par les forces politiques pour donner un coup de pouce aux bas salaires, elle entraîne une augmentation des cotisations générales. Or, lorsque le Smic augmente, les allègements viennent rattraper des rémunérations qui n'étaient pas concernées, ce qui paupérise le travail et crée une véritable trappe à bas salaires.
Le dispositif de l'apprentissage, auquel nous sommes par ailleurs favorables, s'accompagne parfois d'effets d'aubaine. Certaines entreprises renouvellent de nombreux apprentis pour éviter de créer des emplois stables, contrats à durée déterminée ou indéterminée. Peut-être pourrions-nous différencier le montant de l'aide à l'embauche en fonction du niveau du diplôme préparé par l'apprenti.
Le dispositif d'activité partielle de longue durée (APLD) a vocation à aider non pas les entreprises qui ont un problème structurel, mais celles qui rencontrent une difficulté conjoncturelle. Dans le cadre de ce dispositif, l'employeur doit prendre des engagements en matière d'emploi et de formation. Si les premiers sont en général tenus, nous avons constaté que les engagements en matière de formation étaient très faibles. À cet égard, la CFTC est plutôt favorable à la mise en place de l'APLD « Rebond » (APLD-R), qui renforce les obligations en matière de formation.
Nous sommes conscients que la mise en place de contreparties à toutes ces aides peut être juridiquement contraignante et particulièrement complexe. Toutefois, nous pourrions imaginer que ces contreparties se fondent sur la conformité au Smic des minima de branche, sur des objectifs pluriannuels en matière d'emploi, sur des négociations salariales obligatoires débouchant sur de véritables augmentations de rémunération en lien avec les profits réalisés par les entreprises. Enfin, les entreprises qui laissent leurs salariés au niveau du Smic sur une période trop longue pourraient être sanctionnées.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je ne surprendrai personne : je partage largement les propos qui viennent d'être tenus. Je note les nombreux points d'accord chez les syndicats de salariés, ainsi que des spécificités qui sont toujours intéressantes à entendre.
Nos auditions ont montré que le contrôle qu'effectuait l'administration fiscale était plutôt d'un bon niveau, avec le cas échéant, des redressements. Il en va autrement du suivi et de l'évaluation des aides publiques. Nous avons par ailleurs un problème de définition : alors que vous estimez, les uns et les autres, le montant des aides publiques à 200 milliards d'euros environ, l'Insee les évalue à 70 milliards quand certains évoquent 250 milliards. Des représentants de la Cour des comptes ont même avancé tout à l'heure un montant inférieur à 70 milliards d'euros.
J'en viens à mes questions. Êtes-vous favorables à la transparence des aides publiques aux entreprises et à leur publication éventuelle ?
Pensez-vous que certaines aides devraient être attribuées uniquement aux PME ou à des entreprises dégageant un faible niveau de bénéfices ? Ne pourrions-nous pas, par exemple, exclure des aides publiques les entreprises qui réaliseraient un chiffre d'affaires « normal », seraient bénéficiaires et verseraient des dividendes, et ainsi, concentrer nos efforts sur celles qui en ont réellement besoin ?
Êtes-vous en outre favorables au fait de demander un remboursement aux entreprises qui, la même année, touchent des aides publiques, versent des dividendes et licencient ?
Que pensez-vous de l'éventuelle création d'une structure dédiée au contrôle des aides aux entreprises, sur le modèle de la Commission nationale des aides publiques aux entreprises qui a en effet existé en 2000-2001 ?
Quels sont les nouveaux droits qui pourraient être accordés, selon vous, au CSE ?
Enfin, dans quelle mesure les évolutions géopolitiques récentes, et notamment le retour d'un protectionnisme exacerbé aux États-Unis et en Chine, modifient-elles vos observations sur l'utilisation des aides publiques au bénéfice des entreprises en France ?
M. Olivier Rietmann, président. - Restons objectifs et ne faisons pas courir de fausses idées. Quand nous parlons de plusieurs centaines de milliards d'euros d'aides, nous parlons de l'ensemble des aides accordées aux plus de 4 millions d'entreprises qui existent en France. La commission d'enquête porte sur les aides publiques accordées aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants. Je vous rappelle que nos auditions sont filmées. Il ne faudrait pas laisser croire à ceux qui nous regardent que les grandes entreprises françaises collectent plus de 200 milliards d'euros d'aides.
M. Luc Mathieu. - La transparence des aides publiques est souhaitable. La question de la publication demande cependant réflexion. En revanche, la transparence à l'intérieur de l'entreprise, en particulier vis-à-vis des représentants du personnel, est tout à fait bienvenue. Il faut également réserver certaines aides aux PME et aux TPE. C'est d'ailleurs là que le CIR est efficace.
Oui, il faut demander aux entreprises qui, la même année, ont touché des aides, versé des dividendes et licencié de rembourser les aides perçues.
Quant aux nouveaux droits qu'il faudrait accorder aux CSE, je les ai détaillés dans mon propos liminaire.
Mme Fabienne Rouchy. - Oui, la transparence des aides est nécessaire. C'est une question de démocratie et de justice sociale, qui a un impact fort sur l'opinion des salariés et des citoyennes et des citoyens concernant la façon dont ces politiques publiques sont menées. La transparence est aussi la garantie d'une démocratie en bonne santé.
La question de savoir s'il faut réserver certaines aides aux PME plutôt qu'à des entreprises plus importantes rejoint la nécessité de cibler les aides, et de bien connaître les besoins des entreprises, quelle que soit leur taille. Il faut notamment étudier la façon dont les relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants sont gérées dans ce domaine, car il peut arriver que les donneurs d'ordre fassent pression sur les petites entreprises sous-traitantes qui perçoivent des aides pour pouvoir en profiter aussi. C'est assez délicat, et il faut bien étudier la situation de chaque entreprise.
Nous sommes également favorables au fait de demander un remboursement des aides si, la même année, des dividendes sont versés et des licenciements effectués.
Par ailleurs, la Commission nationale des aides publiques aux entreprises était effectivement une bonne idée. Elle avait été concrétisée après l'annonce par Michelin de licenciements à venir, une année où ses bénéfices avaient beaucoup augmenté, tout comme son action en bourse. Il est regrettable qu'elle n'ait pas continué à travailler, d'autant que les aides versées aux entreprises n'ont cessé de croître depuis. Sans transparence et sans suivi, il est difficile d'en évaluer la pertinence. Et il est un peu compliqué pour les salariés, les citoyennes et les citoyens, d'avoir confiance. En tout cas, cela n'y contribue pas.
Il faut absolument de nouveaux droits pour les CSE - nous avons été plusieurs à le dire.
Concernant les évolutions géopolitiques récentes, on a pu entendre quelquefois que les grandes entreprises partiraient si les aides qui leur sont versées étaient réduites. Mais c'est déjà le cas ! Elles s'en vont, et elles partent avec notre argent. Il faut bien l'avoir en tête. La situation géopolitique aura évidemment des influences sur les uns et les autres. Nous voyons bien l'impact des discours de certains dirigeants de grandes multinationales, et de quelle manière ils peuvent se retrouver en accord avec des dirigeants de pays autoritaires. Il faut tenir compte de cette situation complexe et dangereuse.
M. Olivier Rietmann, président. - Je précise que ces dernières paroles n'engagent que vous.
Mme Rachèle Barrion. - Je suis également favorable à la transparence des aides publiques et à leur publication. C'est une question d'honnêteté, de confiance et de démocratie. Il faut aussi, bien sûr, cibler les aides sur les PME qui en ont réellement besoin. Il faut mieux cibler les aides, notamment le CIR. De même, je suis d'accord avec l'idée de demander à une entreprise de rembourser les aides perçues en cas de licenciements ou de versement de dividendes durant l'année où les aides ont été versées. Ce pourrait être des sanctions décidées par des élus du CSE.
Une commission nationale de suivi de l'attribution des aides publiques aux entreprises serait effectivement bienvenue. Son efficacité reste cependant à voir, mais ce serait bien d'en avoir une.
Il faut que les CSE aient plus de contrôle. Je relève toutefois que les CSE des grandes entreprises ne sont pas les mêmes que dans les PME. Ils n'ont pas les mêmes moyens. Cependant, depuis le cumul des instances, on constate une perte d'expertise. C'est un vrai problème. Les élus doivent désormais être bons en tout. Imposer une expertise supplémentaire dans le contrôle exercé par l'instance me semble compliqué, d'autant que ce type de sujet, complexe, n'est pas facile à appréhender pour tout le monde. Et les CSE rassemblent toutes les catégories de personnel, de l'employé jusqu'au cadre.
Si les CSE des grandes entreprises disposent effectivement de plus d'heures et de plus de moyens que ceux des plus petites structures, il faut néanmoins prendre garde à cette question d'expertise.
Concernant le protectionnisme, face à la Chine et aux États-Unis, la France n'est pas seule : nous sommes 27 en Europe. C'est difficile. Il y a un gros travail à mener sur l'harmonisation des salaires en Europe. Nous suivons notamment les délocalisations d'entreprises en Europe de l'Est. Il est difficile de trouver un accord au sein de l'Union européenne sur ce sujet.
M. Nicolas Blanc. - Nous reparlons désormais de souveraineté. Il faut s'engager dans un processus européen. Le Small Business Act a été mis en place en 2008 pour favoriser le développement et la compétitivité des PME européennes, en conditionnant le versement des aides à un critère de taille. Il faut s'inscrire dans ce dispositif, d'autant que cela devient un besoin. Je vous invite à le regarder, car il favorise la commande publique. C'est ce que font d'ailleurs les Américains depuis longtemps. Il faut développer ce type de dispositif.
Concernant les CSE, il existe une logique d'établissement. Il faut regarder où placer les bonnes prérogatives. Je préconise une information-consultation obligatoire sur le CIR en CSE. L'entreprise doit présenter un certain nombre de projets, car nous sommes aussi des sachants et pouvons distinguer ce qui est pertinent de ce qui ne l'est pas. Je préconise d'en systématiser le suivi dans le cadre d'une consultation obligatoire, assortie d'orientations stratégiques, pour suivre annuellement l'utilisation des aides.
Comment développer la compétitivité hors prix ? Faut-il accentuer le travail sur le PME ? Les PME sont soumises à une compétitivité internationale qu'il faut pouvoir mesurer. Certains secteurs sont moins attaqués que d'autres et ont donc moins besoin d'être aidés. Il faut objectiver cette question. Aujourd'hui, ce n'est pas fait. On arrose tout le monde. Il faut regarder cela.
La transparence, pourquoi pas ? Mais nous voyons bien que le name and shame ne fonctionne pas. Nous avons beau dénoncer, cela ne fonctionne pas. Quand Michel Barnier a demandé au groupe Michelin de justifier l'utilisation des aides, il l'a fait, mais en balayant finalement cette demande d'un revers de main. Ce n'est donc pas suffisant, il faut aller au-delà.
Il faut enfin un remboursement. Certaines entreprises peuvent justifier leurs rachats d'actions, mais pour ma part je ne comprends pas cette stratégie. On ne peut pas toucher des aides et les utiliser pour faire, en définitive, du versement de dividendes et du rachat d'actions.
M. Léonard Guillemot. - Concernant la transparence des aides publiques, je dis « oui » également, mais je lie cette question à celle qui porte sur les CSE. Chaque entreprise a l'obligation d'indiquer dans une sous-rubrique de sa base de données économiques, sociales et environnementales combien d'aides de l'État elle touche. Encore faut-il que les entreprises le fassent ! Dans le cas où les représentants du personnel d'un CSE n'auraient pas obtenu ces informations après en avoir fait la demande, je préconise qu'ils aient la possibilité de saisir la Dreets pour qu'un CSE extraordinaire soit immédiatement convoqué, en présence d'un représentant de l'État - par exemple, d'une personne de cette direction - afin que l'entreprise puisse s'expliquer.
Certaines PME doivent effectivement être aidées. Le tissu économique français, contrairement à ce que l'on observe en Allemagne et en Italie, contient beaucoup de grandes entreprises et peu de PME en comparaison. Il faut les développer et peut-être aussi les mettre en lien avec les besoins des territoires.
Concernant le remboursement des aides publiques, il est impossible de répondre « non » à la question posée. Je dis donc « oui », bien sûr. La CFTC pense même que, si l'on pouvait instaurer des objectifs pluriannuels de branche, nous pourrions constituer un dispositif semblable à la clause de sauvegarde du médicament et au bonus-malus des cotisations chômage et moduler d'une année sur l'autre les aides de l'État pour les entreprises qui ne seraient pas au rendez-vous des objectifs que j'ai pu décliner dans mon intervention liminaire.
Enfin, concernant l'évolution géopolitique, je comprends votre question ainsi : comment l'État français ou l'Union européenne peuvent-ils aider des structures ou des entreprises qui seraient mises à mal par une économie mondiale tendue ? Nous pouvons imaginer notamment que le secteur viticole connaîtra des difficultés. Mais comment utiliser également les aides publiques pour transformer le tissu industriel et économique afin de répondre à une nouvelle donne vouée à se resserrer, y compris dans l'industrie militaire ?
M. Jérôme Darras. - Merci de vos explications convergentes et complémentaires. Il est des pays dans lesquels les syndicats jouissent de prérogatives dont vous ne jouissez pas dans le nôtre, en matière de participation à la stratégie des entreprises. Je pense par exemple au modèle de cogestion à l'allemande, même s'il connaît quelques difficultés. Au-delà des revendications, quels moyens faudrait-il vous donner pour que vous puissiez mieux suivre le bon usage et l'évaluation des aides publiques accordées aux entreprises dont vous représentez les salariés ?
M. Michel Masset. - Merci aux différents intervenants. Je rejoins le rapporteur et suis solidaire d'une bonne partie de vos remarques. Vous placez toujours l'humain au centre des conditions de travail, et vous cherchez à être associés à l'octroi des aides et à leur efficience. Avez-vous des informations sur la façon dont l'argent public finance le maintien des emplois en France ? Combien d'emplois deviennent-ils subventionnés alors qu'ils ne sont plus viables ?
Par ailleurs, la CFTC a souligné tout à l'heure qu'elle avait d'ores et déjà identifié des secteurs qui ne devraient plus être aidés. Quels sont-ils ?
Mme Solanges Nadille. - Je suis sénatrice de Guadeloupe. Le problème de la vie chère en outre-mer a récemment été relayé dans les médias. Quel est votre positionnement sur l'aide au fret attribuée à certains groupes exerçant dans les territoires ultramarins ? Il règne sur ce sujet une opacité avérée.
M. Olivier Rietmann, président. - Je relève un point d'accord possible sur la conditionnalité : ne pourrions-nous pas décider de n'attribuer des aides publiques qu'à des entreprises qui respectent la loi - concernant les obligations de parité ou celles qui sont relatives à la transition écologique, par exemple ? Il n'est peut-être pas nécessaire d'ajouter de nouvelles obligations dans la loi. En revanche, il est vrai que certaines entreprises qui touchent des aides publiques licencient ou délocalisent. Nous pouvons nous interroger sur la nécessité d'introduire une conditionnalité sur ces points.
M. Luc Mathieu. - De quoi avons-nous besoin pour mieux suivre les entreprises ? Sans aller jusqu'à la cogestion à l'allemande, nous pouvons travailler sur plusieurs niveaux. Les représentants des salariés dans les conseils d'administration des entreprises ne sont pas suffisamment nombreux. Nous militons pour qu'au moins un tiers, voire la moitié, des administrateurs soit des représentants des salariés. Nous sommes évidemment très loin du compte. Il faudrait aussi élargir la typologie des entreprises soumises à cette obligation.
Il faut en outre que l'information-consultation annuelle du CSE sur la stratégie soit réelle dans les entreprises. Or ce n'est pas le cas. De nombreuses obligations existent, mais elles ne sont pas respectées depuis des lustres par les entreprises, car elles ne sont assorties d'aucune sanction. Ainsi, si des branches professionnelles ont des minima salariaux inférieurs au Smic, elles n'ont aucune sanction. Si elles ne respectent pas leur obligation de réviser leur système de classification tous les cinq ans, elles n'ont pas de sanction. Si les entreprises, notamment les grandes entreprises, ne mettent pas en place la base de données économiques, sociales et environnementales, ou n'y introduisent pas certains éléments pourtant rendus obligatoires par décret, il n'y a aucune sanction.
La question qui se pose est donc celle de l'effectivité de la loi, et des moyens que se donne l'État pour faire respecter les lois qui sont votées.
L'information-consultation sur la stratégie devrait être un moment privilégié pour évoquer toute une série de sujets.
Se pose aussi la question du contrôle de l'utilisation des aides publiques. Il faut cibler les aides publiques. Elles n'ont pas vocation à sauver des entreprises qui ne sont pas viables. Le dispositif instauré pendant la crise sanitaire, qui a aidé indifféremment toutes les entreprises, a permis à certaines d'entre elles de continuer leur activité, alors qu'elles se seraient effondrées. Mais depuis lors, le taux de défaut des entreprises est en hausse constante, car il y a un effet de rattrapage : les entreprises qui n'étaient pas viables hier ne le sont pas davantage aujourd'hui. Il faut donc cibler les aides. Pour avoir travaillé dans le secteur bancaire, je sais que les banques peuvent être accusées d'avoir soutenu abusivement des entreprises en difficulté.
Enfin, je suis désolé pour les territoires ultramarins, mais je ne suis pas capable de répondre à la question relative à l'octroi de mer.
M. Olivier Rietmann, président. - Il faut qu'on prévoie une audition spéciale consacrée aux outre-mer.
M. Luc Mathieu. - Il existe effectivement des obligations dans la loi. Peut-être ne faut-il pas en rajouter. Mais lors de la négociation de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise en 2023, à laquelle j'ai participé, les entreprises se sont à nouveau engagées à respecter la loi et à entamer des négociations pour que toutes les branches professionnelles qui ne respectaient pas leur obligation de revoir leur système de classification le fassent avant le 31 décembre 2023. Or que s'est-il passé à cette date ? Rien du tout ! Car il n'y avait pas de sanction.
M. Olivier Rietmann, président. - Le contrôle fonctionne. Si une entreprise décide de ne pas publier ses résultats, elle s'expose au paiement d'une amende. C'est inscrit dans la loi. Or si une entreprise est ainsi condamnée par une amende, et se met donc volontairement hors la loi, elle ne doit plus percevoir d'aide publique. Il n'est pas nécessaire d'inventer des systèmes de conditionnalité, il suffit d'appliquer la loi.
M. Luc Mathieu. - Il faut cibler les aides publiques là où elles sont efficaces, organiser la transparence, en particulier à l'intérieur des entreprises, vis-à-vis des représentants des salariés, et évaluer l'efficacité des aides publiques, ce qui n'est pas fait. Quand on crée une aide, on lui fixe un objectif. Il faut s'assurer que cet objectif est atteint. Sinon, il s'agit d'enrichissement sans cause.
Mme Fabienne Rouchy. - Pour avoir rencontré récemment les camarades allemands de l'industrie automobile, qui sont confrontés à de grandes difficultés, j'ai pu constater que la cogestion à l'allemande se faisait en réalité surtout sur le volet social, et non sur le volet stratégique. C'est d'ailleurs ce qu'ils réclament, et nous aussi : être davantage entendus sur notre vision de la stratégie de l'entreprise.
Au niveau européen, plusieurs pays se sont fait concurrence dans le domaine de l'industrie automobile et sont désormais incapables de faire face aux attaques de la Chine. Nous aurions souhaité - c'est ce que disent beaucoup de syndicats, allemands et français - que les pays coopèrent entre eux. Les salariés essaient de faire des propositions, notamment dans le cadre de la Confédération européenne des syndicats, pour conserver les emplois et développer l'activité économique dans leurs pays respectifs. Mais en réalité la cogestion à l'allemande n'est pas si efficace que cela.
Ce que nous voulons, c'est davantage de droits à l'intervention pour les salariés sur les stratégies de l'entreprise, en Allemagne ou ailleurs. Quand les salariés s'occupent de leurs affaires, ils arrivent à défendre de beaux projets qui aboutissent. Je pense à mes camarades de la centrale à charbon de Gardanne et à ceux de Cordemais - même si nous n'avons pas réussi à faire aboutir ce dernier projet. Ce sont eux qui ont, avec des experts, travaillé à un projet de reconversion de leur outil de production, pour ne pas perdre leurs emplois. Ils ont été soutenus par les élus de leurs territoires, car ces emplois industriels sont très structurants localement. Quand un emploi industriel disparaît, il y en a trois qui suivent. .
M. Olivier Rietmann, président. - Nous parlons des aides publiques aux entreprises. Ne sortons pas du sujet.
Mme Fabienne Rouchy. - Mais cela a à voir avec les aides publiques, car il en faut pour financer ces projets.
Comment suivre l'évaluation des aides publiques ? Nous voulons une commission nationale, assortie de commissions régionales rassemblant des représentants des organisations de salariés et des représentants des organisations patronales. Nous voulons aussi une évaluation dans les branches et les entreprises.
Il faut renforcer les droits des CSE. Je travaille à la Banque de France. Il m'est arrivé de poser des questions au gouverneur de la Banque de France sur l'utilisation du CICE, dont bénéficient toutes les entreprises de la même manière, avec les mêmes barèmes - ce qui est un peu absurde. En ce cas, il ne répond pas forcément, alors qu'il est obligé de le faire. La Banque de France n'est pas une entreprise très en difficulté. Pourtant, elle perçoit le CICE. Elle n'en donne pas le montant : je peux vous donner les verbatim des CSE centraux qui le prouvent. Elle n'en précise évidemment pas l'utilisation. Elle nous dit que la Banque de France reverse des dividendes à l'État et que l'argent public va et vient. Bah voyons ! C'est un exemple, mais je suppose qu'il en est de même dans de nombreuses grandes entreprises.
Subventionne-t-on avec des aides publiques des emplois non viables ? Oui, puisque, le CICE ayant été transformé en une exonération de cotisations qui concerne la totalité des entreprises, on donne forcément des aides à des entreprises qui n'ont aucun avenir. Le système est trop horizontal, il faut une vision plus nationale, assortie d'un ciblage.
Je n'ai pas approfondi la question spécifique des outre-mer. Quoi qu'il en soit, nous souhaitons une transparence totale pour éviter les problèmes que vous avez évoqués.
Enfin, pour répondre à la dernière question, la loi doit être respectée, mais il faut aussi tenir compte des objectifs qui ont été fixés pour l'attribution des aides publiques. En effet, il arrive que des entreprises, tout en respectant la loi, ne les remplissent pas.
Par exemple, les exonérations de cotisations doivent permettre le développement de l'emploi. Ou bien encore, certains grands groupes perçoivent des subventions directes avec un objectif précis, comme ArcelorMittal qui a reçu 850 millions d'euros pour décarboner les sites de Fos et de Dunkerque. Or pour l'instant, cela n'a pas été fait et le groupe demande encore plus d'argent public. Il est donc essentiel de définir des objectifs pour l'attribution des aides publiques et de mettre en place des dispositifs pour obliger les entreprises à les respecter. Cela va plus loin que l'obligation de respecter ce qui est inscrit dans la loi.
M. Olivier Rietmann, président. - Pour le dire autrement, l'enjeu est celui de la conditionnalité des aides. Si elle est prévue dans l'attribution de l'aide, il est nécessaire d'en contrôler le suivi. Si ce n'est pas le cas, on ne peut pas reprocher aux entreprises de ne pas faire ce qu'on ne leur a pas demandé de faire. L'enjeu de la conditionnalité est essentiel, comme l'a bien souligné le rapporteur.
Mme Rachèle Barrion. - Développer la conditionnalité des aides publiques est une priorité si l'on veut éviter que ne perdurent les dérives que nous constatons aujourd'hui.
Pour répondre à Mme Nadille, la taxe au tonnage du fret maritime constitue la sixième niche fiscale et son montant est évalué à 3,8 milliards d'euros par an. Elle concerne quarante entreprises en France, et principalement le groupe CMA CGM. Nous manquons de visibilité sur ces entreprises, surtout sur ce groupe qui réalise des dividendes records. Il faudrait étudier la possibilité d'une transposition, en lien avec la question du pouvoir d'achat dans les départements d'outre-mer.
Comme mes collègues l'ont dit, l'enjeu principal reste celui des contraintes et des sanctions qui s'appliquent aux entreprises. La somme des aides publiques atteint un montant effarant : plus de 200 milliards d'euros. Les salariés s'interrogent sur un éventuel lien entre le montant record des dividendes et celui, également record, des aides publiques. Ils veulent avoir des réponses, car c'est de la répartition des richesses qu'il s'agit.
En ce qui concerne la cogestion, il faut rappeler que le patronat et les salariés n'ont pas du tout les mêmes objectifs, surtout en France. Les salariés défendent les salaires et les conditions de travail ; les chefs d'entreprise défendent le profit. La cogestion est donc difficile à mettre en place en France. Elle est également limitée en Allemagne, comme le montre la récente décision de supprimer 35 000 emplois chez Volkswagen.
M. Jérôme Darras. - Ce n'était pas l'objet de ma question.
Mme Rachèle Barrion. - Je faisais une simple remarque au sujet de la cogestion. En effet, le syndicalisme allemand est souvent cité comme un syndicalisme de progrès, mais on constate aujourd'hui ses limites dans l'industrie.
Pour conclure, il faut mettre en place une évaluation, ainsi que des contraintes et des sanctions. Est-il nécessaire de donner des moyens supplémentaires aux représentants dans les CSE ? Dans les grands CSE, il y a des moyens, mais les représentants se heurtent au phénomène du millefeuille et doivent traiter une multiplicité de dossiers qui ne sont pas simples. Leur travail relève de plus en plus de l'expertise, or je doute parfois qu'ils aient cette faculté d'experts.
M. Éric Gautron. - Ma collègue vient de recentrer à juste titre le sujet sur les salariés, puisque vous avez souhaité entendre les syndicats de salariés. Or qui supporte la charge de cette facture énorme, sinon les salariés ? Nous avons déjà évoqué le « quoi qu'il en coûte » et j'ai mentionné dans mon propos initial la perte des cotisations sociales, pour un montant à hauteur de 80 milliards d'euros. En réalité, les salariés subissent la double peine. D'une part, les cotisations sociales sont remplacées par l'impôt, que les salariés paient via la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ou la TVA. D'autre part, les prestations sociales diminuent. Le récent décret sur les indemnités journalières en est la preuve, grâce auquel le Gouvernement prévoit de faire 800 millions d'euros d'économies sur le dos des salariés qui, en plus, devront payer plus d'impôts.
M. Nicolas Blanc. - Il faut faire respecter les prérogatives des CSE, notamment en ce qui concerne la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE), qui comporte un certain nombre d'obligations. J'ai constaté, lors de la négociation sur le partage de la valeur, que certaines branches n'étaient pas conformes, ce qui est incompréhensible et intolérable. Sans conditionnalité, il n'y a pas de respect des objectifs. Faut-il vraiment continuer ainsi ? Si l'on en revient à la politique de l'offre, où est le choc de compétitivité ? Il n'y a tout simplement pas eu de choc de compétitivité en France, malgré l'investissement qui a été engagé pour cela. Certes, il faut aider les entreprises, mais il faut surtout les accompagner pour qu'elles développent la compétitivité hors prix, l'innovation, et leur activité de recherche et développement.
De plus, si la conditionnalité des aides ne repose pas sur des critères très objectifs, il y aura toujours des moyens de la contourner. Il faut donc revoir le dispositif en entier.
Pour revenir à la question que vous avez posée sur les emplois aidés et subventionnés, le rapport Bozio-Wasmer constate que le sujet est très compliqué - et ce sont les plus grands économistes de France qui le disent. De leur côté, les organisations patronales considèrent que le dispositif aura un impact sur l'emploi et souhaitent prendre des mesures. Nous ne pouvons pas objectiver cet impact sur l'emploi, mais il n'en est pas moins réel, et nous devons faire bouger les choses.
C'est pour cela que je cite de nouveau le rapport Bozio-Wasmer, qui prévoit un scénario central montant en puissance sur plusieurs années, de façon progressive. Nous pourrons ainsi limiter l'impact sur l'emploi en l'accompagnant efficacement. Sans cela, nous ne pourrons rien faire, car dans les négociations on nous rétorquera qu'il n'est pas possible de bouger les critères. Nous devons trouver un point d'entrée et c'est en cela que ce rapport est pertinent.
Pour terminer, je dirai que si le mot « conditionnalité » est trop complexe, nous pouvons tout à fait lui préférer celui de « responsabilisation ». En effet, nous devons aujourd'hui redéfinir notre contrat social. Les logiques européennes qui sont à l'oeuvre nous obligent à repenser notre modèle et nous devons nous engager pour cela. Les organisations syndicales sont prêtes à le faire. Il faut que les organisations patronales le soient également. Les hauts conseils qui existent offrent un cadre de discussion possible. Il faut que nous ayons la maturité de le faire. Sinon, nous continuerons dans la même voie et les critères ne bougeront pas.
M. Olivier Rietmann, président. - Je précise mon propos pour éviter qu'il ne soit déformé. Le mot « chef d'entreprise » n'est bien évidemment pas synonyme de « fraudeur ». Il arrive que certains d'entre eux fraudent de temps en temps et c'est la raison pour laquelle il faut prévoir ce genre de situation. Mais dans leur immense majorité, les chefs d'entreprise sont, comme tout le monde, des gens très honnêtes.
M. Léonard Guillemot. - Personnellement, je ne souhaite pas que les CSE, pourvus de moyens supplémentaires, se transforment en organes de contrôle de la bonne application des allègements généraux de cotisations ou du crédit d'impôt recherche dans les entreprises. Ils n'ont pas vocation à être des inspecteurs de l'Urssaf ou de la direction générale des finances publiques (DGFiP). En revanche, il est bon de leur donner les moyens de faire un signalement et de se réunir de manière extraordinaire pour que l'entreprise vienne expliquer ce qu'elle fait avec les aides publiques qu'elle touche.
À la CFTC, nous considérons que, dans certains cas, la réduction du taux de TVA n'a pas eu l'effet escompté de sorte qu'il faudrait revoir le dispositif. Nous devrions pouvoir dégager quelques centaines de millions ou de milliards d'euros en modifiant les taux de TVA réduits qui ne se justifient plus.
Je souscris en partie aux propos de mon collègue de Force Ouvrière sur les allègements généraux de cotisations. En effet, ces allègements, qui ne concernent pas que les grandes entreprises, représentent aujourd'hui un montant de 80 milliards d'euros et devraient continuer d'augmenter cette année, car le Smic progressera de 1 %. Je rappelle que le déficit de la France atteint 6,2 % du PIB, soit 154 milliards d'euros, dont 80 milliards d'euros sont donnés aux entreprises pour compenser leurs dépenses en matière de protection sociale, c'est-à-dire les remboursements d'assurance maladie, la politique familiale et les retraites.
La question est grave : combien de temps pourrons-nous supporter un tel montant de déficit, sachant que le budget de la sécurité sociale n'est pas à l'équilibre, en déficit de 18 milliards d'euros cette année et sans doute de 21 milliards d'euros l'année prochaine ? En additionnant les allègements généraux de cotisations que l'État donne aux entreprises et le déficit du budget de la sécurité sociale attendu, il apparaît que le problème de soutenabilité de notre protection sociale se chiffre à hauteur de 100 milliards d'euros. Tous les acteurs - actifs, employeurs et retraités, et vous aussi, qui exercez des fonctions politiques - doivent dorénavant prendre leurs responsabilités et trouver une solution pour constituer un nouveau contrat social qui permette d'avoir un haut niveau de protection sociale avec une juste répartition entre l'ensemble des acteurs. Telle est en effet la société que nous voulons sauvegarder en France, car nous sommes très attachés à notre modèle social.
M. Olivier Rietmann, président. - Il aurait été dommage que nous finissions cette audition sur un point de désaccord profond. Vous avez donc bien fait de préciser que les entreprises n'étaient pas les seules en cause et que tous les acteurs devaient contribuer à refonder notre modèle social. J'ai été un peu gêné par le rapprochement que vous avez fait entre le déficit et les exonérations de cotisations sociales.
Je remercie tous ceux qui ont participé à cette audition de la commission d'enquête. Si vous avez des documents à nous transmettre, vous pouvez le faire aujourd'hui ou bien nous les envoyer ultérieurement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 55.