Mardi 4 mars 2025

- Présidence de M. Bernard Delcros, président -

Audition de François Rebsamen, ministre de l'Aménagement du territoire et de la décentralisation

M. Bernard Delcros, président. - Chers collègues, Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs, nous sommes ravis de vous accueillir cet après-midi pour un échange avec la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a souligné, la place centrale qu'il souhaite accorder aux collectivités territoriales dans son projet politique. Cette audition est donc pour nous l'occasion d'échanger avec vous sur les orientations que vous portez et que porte le Gouvernement à l'égard des collectivités territoriales.

Plusieurs sujets intéressent particulièrement les travaux de notre délégation.

Le premier a trait aux finances locales, bien sûr, avec notamment les enjeux tenant à l'autonomie financière des collectivités territoriales, aux évolutions de la fiscalité locale, à une éventuelle réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à une évolution de la péréquation, qu'elle soit verticale ou horizontale, aux dotations d'investissement, et notamment à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), à laquelle les élus locaux sont très attachés. Vous pourrez peut-être nous rassurer sur ce sujet ainsi que sur les moyens financiers des départements.

Deuxième point d'attention, les enjeux institutionnels de la décentralisation avec, notamment la politique d'aménagement du territoire. Le Gouvernement a-t-il la volonté de porter une véritable politique d'aménagement du territoire ? Si oui, comment et selon quel calendrier ? Comment maintenir le tissu économique et social ? Comment maintenir, développer des services et accéder aux services dans tous les territoires de France ? Nous pourrons aussi évoquer les questions de la répartition des compétences entre les collectivités, la compétence eau et assainissement, un sujet d'actualité, l'avenir des modes de scrutin locaux, ou encore la place et le rôle des services déconcentrés de l'État dans nos territoires.

Enfin, nous souhaitons aborder la problématique des normes applicables aux collectivités locales. Nous nous intéressons, notamment au sein de la délégation, au sujet de la simplification des normes, au surcoût qu'elles engendrent pour les collectivités. Pour ne citer que ces exemples, nos travaux en cours portent sur la commande publique et le pouvoir de dérogation des préfets. La lutte contre l'inflation normative est une préoccupation constante de notre délégation et c'est aujourd'hui un enjeu particulièrement prégnant dans le débat public. Cette inflation normative fragilise l'action locale, limite la capacité des élus à avancer, à bâtir les territoires de demain et génère, de surcroît, des surcoûts pour les collectivités.

En cela, elle est devenue une préoccupation majeure des élus. Il devient, pour nous, impératif de pouvoir adapter les normes et les réglementations aux réalités locales, aux spécificités des territoires et de faciliter la tâche des élus locaux. Nous savons aussi qu'au-delà des constats que nous pouvons poser et partager, seule une volonté politique forte permettra de réussir à lutter efficacement contre l'inflation normative et d'avancer concrètement sur le chemin de la simplification. À ce propos, nous tiendrons le 3 avril prochain, ici au Sénat, les « Assises de la simplification » et nous serions très heureux de vous y accueillir.

Monsieur le ministre, comme vous le constatez au travers de ces quelques exemples, les points à aborder ne manquent pas et nous avons besoin de mieux connaître les intentions et les orientations du Gouvernement. Cette audition est donc l'occasion pour vous de nous présenter vos priorités d'action et peut-être de nous dévoiler quelques éléments de calendrier. Dans quelques mois de nouveaux conseils municipaux dans les communes, et conseils communautaires dans les intercommunalités seront installés, il est important que les nouveaux élus aient un peu de visibilité sur tous ces sujets pour la durée de leur mandat.

M. François Rebsamen, ministre de l'Aménagement du territoire et de la décentralisation. - Monsieur le président, cher Bernard Delcros, Mesdames, Messieurs les Sénatrices et les Sénateurs, je voudrais d'abord vous remercier pour la qualité et la pertinence de vos propos. J'allais même dire, du côté acéré des questions que vous posez, Monsieur le président, et remercier l'ensemble de la délégation d'être présente à cet instant. C'est avec plaisir que je vais m'exprimer devant vous, devant cette délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation qui m'est chère. Je vais partager avec vous un certain nombre de convictions qui, je le crois, feront écho aux travaux menés par le Sénat.

Le partenariat entre les collectivités territoriales et l'État doit être plus que jamais solide dans le contexte international actuel. Je compte d'ailleurs mettre mon expérience de maire, durant plusieurs dizaines d'années - c'est d'ailleurs à ce titre que je suis ministre -, et de parlementaire au service de cette conviction pour faciliter l'action des collectivités locales.

Depuis ma prise de fonction, en pleine négociation du projet de loi de finances pour 2025, mon objectif a été clair : préserver la capacité d'action des collectivités locales pour qu'elles puissent jouer pleinement leur rôle au niveau local, mais aussi au niveau national. J'ai pu m'appuyer pour cela sur les travaux des sénatrices et des sénateurs.

Sur la question budgétaire, ma méthode sera celle de la transparence et du dialogue. Les collectivités, qui représentent à peu près 20 % de la dépense publique, mais qui portent 70 % de l'investissement local et national, continueront de participer à l'effort de redressement de nos comptes publics. Pour que la contribution des collectivités locales à cet effort soit juste, il faut que nous procédions au préalable à un diagnostic objectif.

Nous disposons d'ores et déjà des premières données comptables 2024 qui étaient très attendues et j'ai souhaité, sous l'égide du Premier ministre, en partenariat avec la ministre des Comptes publics, que se tienne une conférence budgétaire des territoires pour partager ces données et discuter avec les principales associations d'élus de grands objectifs que nous souhaitons définir et poursuivre ensemble. Cette conférence se réunira dans les toutes prochaines semaines.

Vous avez souhaité m'entendre, et je vous en remercie, sur la feuille de route du ministère de l'Aménagement du territoire et de la décentralisation. Comme l'a redit le Premier ministre, certaines décisions attendues par nos concitoyens depuis longtemps ne peuvent plus être repoussées.

À mes yeux, il y a trois enjeux majeurs pour l'avenir de nos territoires et de notre pays. En premier lieu, l'État doit reprendre la main et être à l'initiative d'une véritable politique d'aménagement des territoires. Un pays qui maîtrise son destin n'a pas peur d'avoir une vision d'avenir pour organiser son espace. La contractualisation en est le levier essentiel de cette politique. Elle se décline à travers les différents instruments de contractualisation, que ce soit les contrats de plan (CPER), les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) ou encore à travers les pactes territoriaux. J'ajouterai à ces pactes territoriaux l'initiative « Marseille en grand ». Je voudrais les remercier ici, et notamment les Sénatrices et les Sénateurs, de l'appui qu'ils ont apporté au Gouvernement pour préserver les moyens de ces interventions de l'État. S'y ajoutent également les grands programmes de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont je voudrais saluer l'action, qui s'est largement améliorée ces derniers temps à la lumière des recommandations du Sénat. Il est aussi possible d'évoquer les programmes « Action Coeur de Ville » ou « Petites Villes » et « Villages d'Avenir », qui ont été mis en place pour revitaliser nos territoires. Beaucoup de ces outils ont démontré et démontrent encore leur efficacité.

Un dispositif est particulièrement remarquable. Nous allons continuer à le soutenir en 2025. C'est celui des maisons France Services. Avec mon collègue Laurent Marcangeli, Ministre de l'Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification, nous allons nous donner les moyens d'atteindre l'objectif de 3 000 maisons France Services sur l'ensemble du territoire. Pour autant, les programmes et les contractualisations ne peuvent pas être les seuls outils pour permettre à la France de noter un engagement du territoire à la hauteur de ses défis. C'est pourquoi nous devons mieux coordonner nos initiatives.

Un État territorial fort est le pendant d'une décentralisation réussie. À ce titre, je soutiens le renforcement du pouvoir de dérogation des préfets. Il est important de pouvoir étendre cette capacité de dérogation en renouant avec l'esprit de la décentralisation, de la différenciation et de la déconcentration. Cette approche, matérialisée dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite « 3 DS », doit être adaptée aux spécificités locales sans porter atteinte à l'unité de la République. Je crois que celle-ci est suffisamment forte pour accepter un approfondissement de la décentralisation. L'objectif est donc d'organiser l'intervention de l'État, tout en permettant aux préfets de tenir compte des réalités régionales et des territoires tels que les communautés de communes. Dans la France de Braudel, le préfet du Pas-de-Calais et le préfet de Corse ne peuvent pas agir de la même manière sur le territoire. Je sais que le Sénat a formulé des propositions en ce sens, et nous allons nous en saisir.

Ensuite, nous devons disposer d'une vision plus prospective, à l'horizon de vingt-cinq ans, pour concevoir des réponses aux défis écologiques, démographiques, industriels, numériques de nos pays. À cet égard, la métropole de Dijon offre un exemple concret. J'aurai plaisir à vous y accueillir quand vous le souhaitez, lorsque je serai de retour dans la métropole. Elle a collaboré avec l'Institut d'Économie pour le Climat pour élaborer des actions écologiques jusqu'en 2050. Une approche globale est essentielle, car la problématique climatique, même si elle est en recul aujourd'hui à cause de l'importance des sujets internationaux, restera très présente. L'intelligence des territoires peut nous aider à définir une vision nationale cohérente. Je défendrai auprès du Premier ministre l'idée d'une instance interministérielle, placée auprès de lui, en charge de définir cette politique.

Cette vision passe également par une stratégie de mobilisation des fonds européens plus offensive que celle que nous avons. Notre taux de consommation de ces fonds n'est pas suffisant. Nous travaillerons donc étroitement pour optimiser le recours à ces fonds de cohésion.

Le deuxième choix qui doit être fait est celui de la décentralisation. Je sais que vous aimez que je cite François Mitterrand. Je ne vais pas m'en priver : « la France a besoin d'un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd'hui encore besoin d'un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire ». Je fais miennes ces paroles. Un pouvoir décentralisé, ce ne sont pas seulement des compétences. Ce sont également des moyens d'action. La vitalité de la démocratie locale mérite d'être reconnue et renforcée. La démocratie locale, ce sont d'abord des citoyens, des représentants des élus et des scrutins. Sur plusieurs de ces points, des réformes que vous avez rapidement évoquées, Monsieur le Président, sont en cours.

Je voudrais vous parler des élus locaux. En mars 2024 ; le Parlement a adopté la loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux. Vous connaissez les chiffres : 2 600 faits de violence ont été répertoriés en 2023. 69 % des maires ont été victimes d'agressivité ou d'impolitesse. 27 % d'entre eux ont été victimes d'attaques ou de menaces sur les réseaux sociaux. Notre devoir est de les protéger, de les comprendre, de les reconnaître, de les valoriser et d'arrêter les coupables. À titre d'exemple, le vice-président des finances de la métropole du Grand Dijon, maire de la commune d'Ouges, a été violemment agressé il y a maintenant sept ans. Les auteurs n'ont pas été encore jugés ni arrêtés, alors qu'ils sont identifiés. Toutes les déclarations nationales que nous faisons ne seront crédibles que le jour où ce genre d'événement ne se produira plus et où les coupables seront arrêtés.

Le plan national de prévention et de lutte contre les violences à l'encontre des élus crée déjà un environnement un peu plus serein pour leur mission, mais cela doit se concrétiser par des actions tangibles. Je veux absolument que l'on reconnaisse que les élus agissent en tant qu'officiers de police judiciaire, ce qui n'est pas toujours reconnu comme tel. Il faut leur octroyer un statut réellement protecteur, auquel vous travaillez, qui contribuera à l'attractivité de nos mandats locaux, fera venir à la politique de nouveaux profils. La proposition de loi relative au statut de l'élu que vous avez adoptée à l'unisson sera présentée à l'Assemblée nationale au cours du prochain trimestre.

Il faudra également renforcer la représentativité de toutes les composantes de la population. C'est le sens d'une proposition de loi demandée par l'AMF et validée dans son principe par la présidence du Sénat et la présidence de l'Assemblée nationale, dans le but d'étendre les scrutins de listes paritaires pour les communes de moins de 1 000 habitants.

Il faut aussi simplifier leur travail. C'est l'un des sujets que vous avez évoqués. Le Gouvernement s'engage à travers le guichet France Simplification, qui commence à produire des effets, à proposer un interlocuteur unique aux élus locaux pour fluidifier leurs démarches. Il s'agit également de simplifier le recours à l'ingénierie et aux différentes agences pour permettre aux élus de se consacrer pleinement à leurs missions au service des territoires et des citoyens. Mon ministère formulera au printemps une dizaine de propositions opérationnelles visant à simplifier l'exercice de leurs missions.

Enfin, avec mon collègue Laurent Marcangeli, Ministre de l'Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification, je veillerai à ce que les employeurs et les syndicats puissent discuter librement et construire ensemble. Il est toujours très important de valoriser le dialogue social pour permettre à la fonction publique territoriale de ne pas s'autogérer et de collaborer efficacement. Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), dont j'ai rencontré le président ce matin, doit jouer un rôle dans cette dynamique. Il faudra également réintroduire du dialogue en ce qui concerne l'avenir du régime de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) suite au rapport remis au Gouvernement par trois Inspections interministérielles en mai 2024.

Notre troisième choix est celui de la différenciation. Je salue le travail qui a été fait sur le bilan de la différenciation dans le cadre de la loi « 3 DS », mais il faut aller plus loin. Les outils n'ont pas tous été mis à disposition des territoires, parce que la loi est parfois mal connue. Nous allons nous y consacrer nos efforts. La Corse, avec son organisation unique, représente un cas particulier qui mérite une attention spéciale. Je m'engage pleinement à soutenir le projet d'évolution institutionnelle, conformément aux orientations définies par le président de la République et le Premier ministre.

La Corse, où s'appliquent à la fois les lois « littoral » et les lois « montagne », nous offre l'opportunité d'explorer des enjeux cruciaux. Il est essentiel d'avoir des stratégies adaptées pour protéger tous ces environnements, tout en favorisant un développement harmonieux et durable. Cela est particulièrement vrai pour des enjeux comme le Zéro artificialisation nette (ZAN) ou encore la gestion de l'eau et de l'assainissement. Nous allons, avec vous, trouver les moyens d'articuler des obligations de portée générale et des réponses adaptées aux réalités locales.

M. Bernard Delcros, président. - Merci, Monsieur le Ministre, pour ce propos qui dessine le cadre de la politique que vous avez engagée. Je vous propose que les membres de la délégation vous posent maintenant leurs questions.

M. Hervé Gillé. - Monsieur le ministre, je voudrais évoquer la situation du « Fonds territorial du climat », créé l'an dernier et doté de 200 millions d'euros lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025. Puis des déclarations ministérielles ont évoqué une dotation de 100 millions d'euros, prélevés sur le « Fonds Vert ». Pouvez-vous revenir sur ce point et préciser les modalités de mise en oeuvre de ce « Fonds territorial du climat » dans le cadre du « Fonds Vert » ? Je souligne en outre qu'au niveau départemental, les parlementaires ont un degré d'informations sur la saisine et la consommation des « Fonds Verts » qui est très hétérogène.

S'agissant de l'attribution de la compétence eau et assainissement, nous suivrons avec attention le parcours de la proposition de loi (PPL) du Sénat visant à assouplir la gestion des compétences eau et assainissement. Dans l'hypothèse de l'adoption définitive de ce texte et d'une modification de l'obligation d'intégration de la compétence eau et assainissement au niveau intercommunal, des questions commencent à se faire jour, notamment sur les relations entre les acteurs locaux et les agences de l'eau, qui ont institué, pour la plupart d'entre elles, des possibilités d'intervention au seul niveau intercommunal, excluant la possibilité d'intervention financière au niveau communal. Le Gouvernement va-t-il intervenir sur ces enjeux vis-à-vis des comités de bassin et des agences de l'eau ?

M. Grégory Blanc. - J'ai fait partie de ceux, ici, qui expliquaient que relever de 0,5 point les taux de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ne permettrait pas aux départements de passer l'année. Nous en avons confirmation aujourd'hui. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour permettre aux départements de remplir leurs missions, notamment de solidarité départementale ?

Le Gouvernement et de nombreux acteurs du paysage politique ont souligné que les perspectives financières impliquent des réformes de structure. Or, si des baisses de dépenses figurent bien dans le projet de loi de finances pour 2025, ce n'est pas le cas des réformes de structure. Vous avez évoqué, monsieur le ministre, un certain nombre de dossiers sur lesquels il faudra travailler. Ces éléments ne correspondent pas à des réformes de structure, qui rejoignent la question des engagements de la France vis-à-vis de Bruxelles (défense mise à part). Quelles sont vos orientations de ce point de vue ?

Enfin, la proposition de loi TRACE (trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus) propose de supprimer l'objectif intermédiaire de réduction de moitié de l'artificialisation d'ici 2030. Il a été indiqué que la trajectoire 2034 serait sans doute un point d'atterrissage. Si cela se confirme, quels sont les garde-fous dont le Gouvernement entend se doter pour respecter les engagements pris entre les régions et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ?

M. Jérôme Durain. - Monsieur le ministre, vous avez eu connaissance de la situation, en Bourgogne-Franche-Comté, d'un maire qui a reçu une information qui l'a placé dans l'embarras. C'est un débat que nous avons eu assez longuement avec la présidente de la commission des lois Muriel Jourda lors de l'examen de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Quel est le niveau d'information pertinent pour les maires, celui qui leur permet d'agir, et celui qui les met en difficulté ? Je crois qu'il faut veiller, dans les relations entre l'État et les collectivités territoriales, à ce que les destinataires ne deviennent pas des cibles du fait des informations qu'ils reçoivent des représentants de l'État.

Deuxième sujet, la capacité pour les élus de mobiliser une nouvelle ressource, le versement mobilité. Nous avons eu le sentiment, ces dernières semaines, que les acteurs économiques n'étaient pas favorables à la création de nouvelles ressources liées au « Versement Mobilité » (possibilité désormais inscrite dans la loi). Pouvez-vous clarifier ce sujet ?

M. François Rebsamen. - Je commence par cette dernière question. Le « Versement Mobilité » est plafonné à 0,15 % de l'ensemble de salaires. Il existe une opposition assez ferme du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) à cette disposition. J'ai fait remarquer avant-hier à son président, Monsieur Martin, que je l'avais assez peu entendu au moment où l'on a multiplié par deux le « Versement Mobilité » en Île-de-France, ce qu'il a assez mal pris. J'ai ajouté qu'il existait à mon avis aujourd'hui deux  France: une France de l'Île-de-France, qui dispose d'un réseau multimodal développé, et une France en souffrance, parce que le MEDEF s'oppose à ce dispositif, alors même que la proposition, pour les régions, les métropoles et les agglomérations, était soutenue par la Fédération régionale puis par la Fédération nationale des Travaux publics, sachant que les réalités économiques locales sont très différentes de ce que dit le MEDEF au niveau national.

Il faut tenir compte, au-delà des positions du MEDEF au plan national, de la réalité des bassins d'emploi. Il faut organiser des mobilités pour les salariés des grandes entreprises, sans se limiter à celles-ci. Les plus gros contributeurs, dans l'ensemble de la France, sont aujourd'hui les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers. Ceux qui contribuent au « Versement Mobilité » (VMO) demandent que leurs salariés puissent aussi en bénéficier. Certaines régions veulent appliquer le VMO et d'autres hésitent, souhaitent l'appliquer plus tard ou abondent dans le sens du MEDEF en considérant qu'on ne peut pas augmenter les charges des entreprises. Je regrette qu'on n'ait pas pu trouver un terrain d'entente pour que ce « Versement Mobilité » serve à créer de nouvelles dessertes de transport, puisque tel est l'objectif. Il ne s'agit pas de les rendre gratuits. Comme vous le savez, je suis personnellement opposé à la gratuité. Ls réseaux de transports doivent être financés in fine. Si ce n'est pas par l'usager, ils le sont par l'ensemble des résidents d'une commune ou d'un territoire. L'Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT) n'a pas les moyens de répondre à l'ensemble des demandes sans recette nouvelle. Il faut donc poursuivre sur ce terrain.

Vous avez évoqué, sous l'angle des relations particulières entre l'État et les collectivités locales, le cas de la commune de Lure. Des décisions nationales peuvent impacter, lorsqu'elles induisent un effet indésirable, un maire. Il est indispensable que lorsque l'État prend une décision de cet ordre (assignation à domicile d'une personne physique fichée S), il puisse garantir la sécurité et la protection du maire considéré.

Je voudrais répondre au Sénateur Grégory Blanc à propos de la situation financière des départements. Je me suis permis d'indiquer au président de l'Assemblée des Départements de France (ADF), François Sauvadet, qu'il y avait quelque chose que je ne comprends pas : Michel Barnier a été accueilli par une ovation lorsqu'il est venu annoncer les mesures en faveur des départements à l'occasion du 93ème congrès des Assises des départements de France qui s'est tenu à Angers le 15 novembre dernier. Les mesures présentées à cette occasion étaient pourtant plus drastiques que celles retenues par le Gouvernement de François Bayrou lors de l'examen et du vote de la loi de finances pour 2025, l'addition était 3,5 fois plus salée qu'elle ne l'est aujourd'hui. En outre, grâce à l'action du Sénat, une décision complémentaire en vue de l'augmentation du pourcentage des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 0,5 % a été adoptée, ce qui devrait rapporter, selon les estimations de Bercy, environ 700 millions d'euros si l'on exonère les primo-accédants. Le Gouvernement a fait des efforts importants en faveur des conseils départementaux, qui le méritent. Ils portent au nom de l'État une action sociale importante.

J'ai dit tout cela publiquement au président Sauvadet. Sur le milliard qui sera rendu en trois ans à hauteur de 90 % aux collectivités auxquelles il a été prélevé, cela représente 220 millions d'euros pour les départements. Ce montant d'un milliard se répartit ainsi : 250 millions d'euros pour les communes, 250 millions d'euros pour les EPCI, 280 millions d'euros pour les régions et 220 millions d'euros pour les départements. Nous avons donc fait un effort particulier, alors que le projet du précédent Gouvernement aurait conduit à prélever 600 millions d'euros sur les départements.

Il est vrai qu'en la matière les propositions de loi (PPL) que nous soutenons sont souvent issues du Sénat, pour une raison assez simple à comprendre : vous êtes en capacité de porter des PPL transpartisanes, susceptibles d'être transmises à l'Assemblée nationale, même si elles n'y trouvent pas toujours une majorité pour les soutenir.

Je voudrais aborder maintenant la question des réformes de structure. Le Premier ministre a souligné que la préparation du PLF 2026 ne pourrait suivre la même méthode que celle suivie pour la LFI pour 2025. Nous évoluons en effet dans un paysage assez complexe avec une progression ralentie du produit intérieur brut (PIB) et une situation internationale porteuse d'incertitudes ce qui va influencer les choix que nous aurons à faire.

Le Premier ministre a donc demandé aux ministres d'effectuer une revue précise des missions et de dépenses de chaque secteur de l'action gouvernementale. Nous devrons, dans un deuxième temps, évaluer le coût de ses missions. Puis nous aurons à proposer une nouvelle organisation, d'ici la fin du mois de mars. Nous aurons ensuite un débat quant aux moyens nécessaires pour cette nouvelle organisation et ces missions. C'est donc en quelque sorte un budget renversé qui nous est demandé et les réformes de structure verront le jour dans ce cadre. J'espère que j'aurai l'occasion d'en rediscuter avec vous.

Le programme de stabilité adressé aux autorités communautaires quant à lui est clair. Une trajectoire de redressement des comptes publics à l'horizon 2029 a été proposée. Des ajustements seront-ils nécessaires en raison du contexte international ? C'est possible mais telle n'est pas la question que vous posiez. Vous m'avez demandé si nous allions tenir les objectifs fixés. Le ministre de l'Économie et des Finances, la ministre des Comptes publics et moi-même, en tant que ministre des collectivités locales, sommes convenus d'avoir des réunions régulières avec les associations d'élus pour faire un point, tous les mois ou tous les deux mois, sur la trajectoire retenue pour atteindre un déficit de 5,4 % du PIB à la fin de l'année, sous réserve des modifications qui pourraient intervenir au plan européen. Cela fait longtemps que je me bats, comme d'autres, pour que les dépenses militaires d'investissement de notre pays soient exclues du calcul vis-à-vis des engagements de Maastricht, car nous avons assumé, d'une certaine manière, la lutte contre le terrorisme pour d'autres pays européens qui n'avaient pas les mêmes contraintes que la France sur le plan militaire, du fait notamment des opérations extérieures menées par notre pays.

Pour répondre à une autre question de M. Gregory Blanc, le zéro artificialisation nette (ZAN) devait s'appliquer dès 2021 mais nous sommes en 2025 et son entrée en vigueur a pris du retard. J'ai présenté récemment à la commission du développement économique du Sénat une proposition d'assouplissement, considérant qu'il fallait trouver un moment pour examiner les efforts des uns et des autres, non pas dans un esprit de sanction, car nous n'avons pas à sanctionner les collectivités locales, mais pour apprécier la trajectoire et déterminer son évolution. La première échéance est désormais fixée à 2034, en conservant l'objectif à l'horizon 2050. Cela nécessitera sûrement des adaptations d'ici 2050. D'autres que moi s'en chargeront. En procédant ainsi, c'est-à-dire en reportant de 2021 à 2034, on dégage 37 500 hectares qui devaient être consacrés à la non-artificialisation. Je proposerai dans la loi TRACE que 10 000 hectares soient affectés à l'industrie, car nous aurons besoin de poursuivre et peut-être même amplifier le développement industriel de notre pays, qui va connaître des modifications importantes.

Il sera possible de garder des hectares à financer dans le cadre des projets européens qui pourraient apparaître. Vous évoquiez deux Conseils régionaux qui n'ont pas adopté leur SRADDET, Auvergne-Rhône-Alpes et Pays de la Loire. J'ai été favorable, à titre personnel, à la fin de la prescriptivité des SRADDET. L'excellent travail mené par plusieurs régions m'a conduit à changer d'avis sur cette question. Un Comité régional de gouvernance a été mis en place. Sa composition, décidée par le Parlement, mériterait peut-être d'être simplifiée. Cette instance pourra interpeller les régions sur leur SRADDET et nourrir ainsi un débat avec les collectivités. Cette démarche est entièrement descendante. Elle part du niveau européen pour arriver finalement aux maires et aux intercommunalités, en leur demandant d'appliquer les décisions nationales à l'hectare près. Il n'y aura pas de reniement de l'objectif final mais un assouplissement est nécessaire.

Le Sénateur Gillé m'a interrogé sur le financement du « Fonds Vert ». Comme vous le savez, nous avons arrêté ses dotations à 1,25 milliard d'euros. Des directives ont été adressées aux préfets, avec la liste des actions concernées. 50 millions d'euros sont par exemple prévus pour le vélo. Les collectivités locales n'ont, à mon avis, pas besoin qu'on leur alloue des crédits pour créer des pistes cyclables. S'agissant des principales subventions d'investissement (dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), DETR et le « Fonds Vert »), j'étais favorable à une augmentation de la DGF des communes, notamment la dotation de solidarité rurale (DSR) à hauteur de 150 millions et la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) à hauteur de 140 millions d'euros. La commission mixte paritaire a tranché dans un autre sens, en retirant 150 millions qui devaient augmenter la DGF pour les allouer à la DSIL.

Le « Fonds territorial du climat » est doté de 100 millions d'euros au lieu de 200 millions d'euros comme envisagé durant l'examen du texte.

Enfin, s'agissant des agences de l'eau, votre question rejoint celle des engagements qui avaient été pris par Michel Barnier devant les Sénateurs. Le Premier ministre avait alors affirmé que lorsqu'une commune n'avait pas intégré un EPCI, ni même un syndicat, elle ne serait pas forcée de mutualiser ses compétences en matière de gestion de l'eau et de l'assainissement avec un syndicat ou une intercommunalité, comme la législation le prévoyait. Cette dérogation sera bientôt autorisée par la loi, sans remettre en cause les mutualisations déjà réalisées.

Toutefois, nous constatons que de nombreuses communes qui n'ont pas mutualisé leurs services de gestion de l'eau rencontrent des difficultés d'approvisionnement, à tel point qu'elles fournissent des bouteilles d'eau à leurs habitants ou installent des citernes, en raison d'un entretien insuffisant de leur réseau et des dysfonctionnements que cela engendre. Je serai favorable à la fixation d'un pourcentage de communes qui peuvent rester sans mutualisation, à condition que leur réseau présente un certain niveau de rentabilité, peut-être de l'ordre de 60 ou 65 %. Ce sera un chiffre à définir. Les agences de l'eau pourraient être mobilisées pour accompagner la mise en oeuvre de cet objectif.

M. Bernard Delcros, président. - Il y a tout de même un point qui doit faire l'objet d'une attention particulière concernant les agences de l'eau : celles-ci prennent des décisions, en matière d'attribution de subventions, qui vont parfois à l'encontre des choix que fait le législateur. Nous allons certainement aboutir à une possibilité de mutualisation des compétences en matière de gestion de l'eau à l'échelle des syndicats, donc dans des périmètres distincts des périmètres administratifs des intercommunalités. Or, comme cela a déjà été dit, certaines agences de l'eau conditionnent l'attribution des subventions au transfert de la compétence vers une intercommunalité. Il faudra que les critères d'attribution des subventions soient ajustés à l'évolution de la législation.

M. François Rebsamen. - Je partage tout à fait votre analyse. Comme vous le savez, une réflexion est en cours sur les agences et les opérateurs de l'État et sur leur fonctionnement, elle concerne également les agences de l'eau.

M. François Bonhomme. - Monsieur le ministre, il est vrai que des précisions seraient bienvenues sur ce sujet, car il y a des éléments contradictoires. En matière d'organisation des services d'eau et d'assainissement les élus locaux souhaitent redonner un pouvoir d'appréciation au niveau communal et aux syndicats, en revenant à une compétence facultative. Si le Parlement vote en ce sens au cours des prochaines semaines, en revenant sur le principe fixé par la loi NOTRe qui doit prendre effet à compter du 1er janvier 2026, les comités de bassin, au travers des agences de l'eau, réserveraient demain leurs politiques aux intercommunalités ayant réalisé ce transfert, ce qui contreviendrait au principe d'égalité et de choix. En outre, l'administration centrale organise en ce moment, via les préfectures, des réunions pour « préparer » le basculement au 1er janvier 2026, comme s'il n'y avait pas une incertitude quant à la confirmation de cette règle à l'horizon 2026.

M. Rémy Pointereau. - Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la problématique de la répartition des compétences et le pouvoir de dérogation aux normes par le préfet. Nous allons travailler avec mon collègue Hervé Gillé sur la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI), qui a été confiée aux EPCI mais qui pose problème sur le plan du financement. À mes yeux, la compétence GEMAPI devrait être transférée à un bassin ou une collectivité plus importante, car les EPCI ne sont pas en mesure de financer des opérations importantes telles que la réparation des digues d'un fleuve, la Loire, par exemple, qui demande des millions d'euros. Quel est votre point de vue sur le sujet ?

S'agissant du pouvoir de dérogation aux normes du préfet, nous avons rédigé avec ma collègue Guylène Pantel un rapport formulant dix recommandations en vue de redonner du pouvoir au préfet, qui représente le Gouvernement dans les départements, mais dont l'autorité ne s'étend pas aux agences, ni à certains services déconcentrés de l'État. Il semble que cette proposition se heurte à de fortes réticences de la part du ministère chargé de l'économie et des finances, car les services départementaux de la direction générale des Finances publiques (DGFIP) ne sont pas soumis aujourd'hui à l'autorité des préfets. On nous dit que des avancées auraient lieu dans les semaines qui viennent et mois qui viennent afin de mettre en place ce pouvoir de dérogation. Qu'en est-il ?

Enfin, pouvez-vous nous indiquer quel sera le calendrier d'examen, par le Parlement, de la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille ?

M. Olivier Paccaud. - Monsieur le ministre de l'Aménagement du territoire et de la décentralisation, votre titre nous parle, ici au Sénat, surtout après avoir vu la notion d'aménagement du territoire disparaître de l'architecture gouvernementale durant un certain temps.

Vous avez cité dans votre propos introductif de grands anciens, dont François Mitterrand et Fernand Braudel. J'en suis ravi. Vous vous êtes félicités du déploiement des maisons France Services. Dans mon département, l'Oise, nous en avons ouvert 35, ce qui correspond au nombre de cantons qui existaient dans les années 70. Cela nous montre que les anciens cadres avaient leur pertinence.

Dans le prolongement de ce constat, ma question est très politique et porte sur le cumul des mandats, qui joue un rôle clé dans l'aménagement des territoires. Le Premier ministre a évoqué la possibilité d'un retour du cumul des mandats. C'est une question importante et j'aimerais savoir où en est ce projet, s'il existe effectivement ?

M. Didier Rambaud. - Monsieur le ministre, le président Bernard Delcros a rappelé en introduction notre attachement à l'autonomie financière des collectivités locales. Mais quelles seront demain les ressources financières permettant cette autonomie ? La taxe d'habitation, qui me semblait un impôt injuste a été supprimée, cette suppression a permis de redistribuer 20 milliards d'euros en termes de pouvoir d'achat. Néanmoins, sa suppression a rompu le lien entre le citoyen et la commune, et crée même des inégalités entre citoyens dans une même commune. J'en vois des exemples flagrants dans la commune dont j'ai été maire, et où je réside. Près de chez moi se trouve un couple d'ingénieurs locataires de leur logement, parents de jeunes enfants. Ils ne paient aucun impôt local. De l'autre côté de ma maison, un couple d'agriculteurs retraités, propriétaires de leur ferme, paie une taxe foncière sur les propriétés bâties. Où est l'égalité entre les citoyens d'une même commune ? Il n'est plus l'heure de parler d'impôts et de taxes mais peut-être d'une contribution à la vie locale. J'aimerais votre avis sur ce sujet.

En outre, l'intervention de Jérôme Durain sur le « Versement Mobilité » me fait réagir. La création de ce « Versement Mobilité » ne me semble pas être une idée pertinente, il n'est jamais bon de commencer à segmenter une recette fiscale. La part, soit un taux plafonné à 0,15 % de l'ensemble de salaires, qui pourrait bénéficier aux régions sera une recette diluée dans leur budget général. Il serait plus pertinent de réattribuer ces ressources aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) qui exercent des compétences en la matière. Le MEDEF n'était pas le seul à être opposé au « Versement Mobilité » régional : c'était également le cas du Groupement des autorités responsables de transport (GART) et d'Intercommunalités de France.

M. Thierry Cozic. - Je voudrais revenir l'élaboration du PLF 2026. Vous avez fait état, monsieur le ministre, de votre volonté d'avoir un dialogue transparent avec les élus. Nous avons entendu récemment les propos d'un ancien ministre de l'Économie (qui ne fait pas partie de l'actuel Gouvernement), estimant que les collectivités étaient de mauvais gestionnaires. Ce discours ambiant est audible depuis plusieurs mois. J'ai entendu votre souhait d'élaborer, à l'initiative du Premier ministre, une feuille de route prévoyant des réformes de structure et de nouvelles missions. Nous savons que le budget 2026 sera particulièrement compliqué à élaborer. Nous en sommes tous conscients. Certes, les collectivités peuvent participer à l'effort de redressement des comptes publics mais nous avons besoin d'avoir une feuille de route pluriannuelle. Quelle est la feuille de route budgétaire a minima pour 2026 que vous envisagez et comment vous projetez-vous pour les années suivantes ?

M. Éric Kerrouche. - Vous avez parlé, monsieur le ministre, de différenciation, notamment à propos de la Corse. Quel avenir voyez-vous pour cette thématique ? Serait-ce sur la base du « compromis de Beauvau » ou selon d'autres modalités ?

De façon plus générale, la loi « 3 DS » porte le titre de différenciation mais elle n'a pas été très loin en la matière. Or lorsqu'on continue de traiter de la même manière des situations différentes, on aboutit à des situations d'inégalités. Entendez-vous redonner des possibilités de différenciation qui assurent l'équité territoriale ?

M. François Rebsamen. - Je vais commencer à répondre aux questions relatives à la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Lorsque j'ai été nommé ministre, j'ai d'abord pris rendez-vous avec le président du Sénat, en l'assurant qu'avec moi la DETR serait défendue jusqu'au bout. Son montant était de 1 milliard 17 millions. Il est inchangé à l'issue du vote de la LFI 2025 échappant ainsi à toute diminution.

M. Bernard Delcros, président. -... ou à toute fusion !

M. François Rebsamen. - Effectivement, une réflexion est en cours sur la fusion des dotations d'investissement. Dans ce regroupement, il y aurait une place à part pour la DETR. Ce sera en tout cas ma position.

Je voudrais répondre au Sénateur Kerrouche. Je partage votre sentiment, dans une certaine mesure, quant aux limites de la différenciation. Celle-ci se heurte au principe d'égalité devant la loi. Il doit exister des possibilités (qui existent d'ores et déjà dans un certain nombre de domaines) ouvertes aux préfets d'adapter leurs décisions aux territoires considérés, sans rompre le principe d'égalité. Je vais en prendre un exemple. Le 30 septembre, les restaurants touristiques de bord de mer « en dur » sont tenus de fermer, sur les côtes de la Manche comme celles de la Méditerranée. La situation géographique et climatique est-elle la même lorsqu'on tient un restaurant à Berck-sur-Mer et à Ajaccio ? En conséquence, le préfet devrait pouvoir prendre des dispositions permettant d'adapter les autorisations en fonction des situations locales. Par exemple, l'autorisation d'ouverture pourrait aller au-delà du 30 octobre en Corse, tandis qu'une autorisation d'ouverture pourrait être accordée, dans le Pas-de-Calais, durant la période du carnaval.

En ce qui concerne la Corse, je m'inscris dans le processus Beauvau qui a été lancé et validé. Je vais réunir d'ici la fin du mois de mars le comité stratégique, en y augmentant la présence d'élus, pour recueillir leur position, avant la transmission du texte au Conseil d'État. Je réunirai ensuite de nouveau le comité pour discuter des modifications que proposerait le Conseil d'État.

Sur la compétence GEMAPI, j'ai essayé de la mettre en place dans ma métropole mais je n'y suis pas parvenu, car les EPCI n'étaient pas d'accord. Chacun est donc resté chez soi. Des positions différentes ont été prises. Valérie Pécresse souhaitait que cette compétence soit mise en place par les régions. Éric Woerth, dans son rapport, avait demandé que cette responsabilité incombe aux départements. Le mieux est que ce soit au choix des élus locaux.

J'ai bien entendu le problème financier que vous avez évoqué. Je savais qu'il restait une dotation spécifique pour la prévention des inondations dans le « Fonds Vert ». 80 millions d'euros ont été injectés dans le « Fonds Vert » pour répondre à votre question sur les investissements GEMAPI.

Par ailleurs, comme j'ai eu l'occasion de le dire un peu plus tôt, une réflexion est lancée au sein de mon ministère sur le rôle des agences. Le recours à ce type d'organisation a connu un fort développement, notamment à partir de la création de l'Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), qui était une opérateur un peu atypique mais qui a servi de modèle dans d'autres secteurs de l'action publique. Les agences n'ont pas pour mission de définir la politique des ministères. Leur rôle est d'être des opérateurs de l'État. Nous réfléchissons au rôle des agences et à leurs relations avec le pouvoir préfectoral, ainsi qu'aux relations d'autorité qui peuvent les encadrer. Effectivement les services déconcentrés de la DGFIP ont presque toujours essayé d'échapper au pouvoir des préfets. C'est également le cas des agences régionales de santé (ARS). Les services déconcentrés du ministère de l'Éducation nationale et le ministère de la Culture ont parfois des tentations du même ordre.

Par nature, pour Bercy, les élus locaux sont des dépensiers. Ils ne sont pas considérés comme des créateurs de valeur. Le Parlement et les ministères mettent en place des politiques de soutien à l'action des collectivités locales. Il est vrai que certaines politiques créent de la dépense mais la dépense des collectivités locales représente 70 % de l'investissement national aujourd'hui réalisé. Le rapport à l'effort des collectivités locales, dans le budget 2025, représente 4 %, alors qu'elles représentent 7 % à 8 % de la dette publique du pays. Nous savons que nous sommes au seuil de grandes difficultés pour la préparation du budget 2026. L'exercice n'a pas encore débuté : nous en sommes au suivi de l'exécution 2025. Une réflexion méthodologique est en cours afin de déterminer comment réaliser de vraies réformes de structure dans un temps très court, afin d'aborder le projet de loi de finances 2026 dans les meilleures conditions, si tant est que nous soyons toujours là.

Pour répondre au Sénateur Didier Rambaud, en ce qui concerne la suppression de la taxe d'habitation, je considère que c'était une bonne mesure. Cette suppression a eu pour effet de rompre le lien entre le citoyen et la collectivité dans laquelle il réside. De nombreuses réflexions ont été menées sur ce sujet. J'y ai participé lorsque j'étais en charge des finances à France Urbaine. Je suis favorable à la reprise d'une réflexion quant à une contribution minimum en lien avec la collectivité et le lieu de résidence. Je souhaite relancer cette réflexion prochainement - tout en sachant d'ores et déjà quels arguments lui seront opposés. Si je peux le faire avec l'appui du Sénat et des sénateurs, ce sera bien volontiers. Il n'est pas possible qu'un certain nombre de communes et de collectivités vivent avec 20 % de contributeurs à l'impôt local. Certaines communes ont 80 % de propriétaires, d'autres 20 ou 30 %. Dans ce second cas, cela veut dire que 70 % des citoyens n'ont plus de lien, tout en bénéficiant des services publics lorsque ceux-ci sont gratuits, ce qui est souvent le cas au niveau communal.

Le Sénateur Paccaud soulignait que le nombre de maisons France Services correspondait, sur son territoire, au nombre de cantons lorsque ceux-ci existaient. Il existait alors le « bourg-centre ». Les dénominations changent mais les réalités perdurent. Quelle que soit la forme juridique, y compris pour les petits EPCI, il y a toujours une commune qui porte une charge de centralité par rapport aux autres, et peut être le point de rassemblement d'un ensemble plus large. Je suis pour la prise en compte de ces réalités territoriales. Cela fonctionne assez bien avec France Services, mais nous voyons aussi combien cette dimension a été délaissée depuis de longues années. L'ANCT s'efforce finalement de recréer des programmes pour remplacer ce qui a disparu.

Je me suis opposé, lorsque j'étais Sénateur, au président de la République et au Gouvernement de l'époque sur la question du cumul des mandats : j'ai toujours considéré que l'on devait pouvoir exercer un mandat exécutif local et un mandat de parlementaire.

M. François Bonhomme. - Est-ce la position du Gouvernement ?

M. François Rebsamen. - C'est ma position. Elle est partagée par le Premier ministre. Ce principe peut-il se mettre en oeuvre dans le temps et est-ce la priorité ? Cette décision relève du Premier ministre. Je considère que l'interdiction de ce cumul constitue plutôt un handicap. 90 % des Sénateurs ont une vie locale, mais je pense à l'Assemblée nationale, où le non-cumul des mandats crée une sorte de déconnexion entre la vie locale et la vie nationale. J'ai toujours tenu ce discours. J'ai vu que les choses s'étaient assouplies, puisqu'on peut par exemple être ministre et rester maire. Pour ma part, je ne suis plus maire de Dijon mais je suis resté président de la métropole. Ce n'est pas la même chose. Être maire est une charge très lourde, et il faut toujours rendre hommage aux maires, car que la commune soit petite ou grande, un maire est sans cesse au service de ses concitoyens, jour et nuit. Ce n'est pas le cas pour les EPCI, intercommunalités et communautés d'agglomération.

Je n'ai pas répondu au Sénateur Bonhomme à propos de la gestion de l'eau et de l'assainissement. Un engagement a été pris par Michel Barnier, en tant que Premier ministre : il n'y aura pas d'obligation, pour les communes d'entrer dans un système mutualisé, qu'il s'agisse d'un syndicat ou d'un EPCI, sous réserve bien sûr d'un vote définitif du Parlement sur ce point.

Nous devons tout de même avoir une réflexion collective sur la qualité de l'eau. Les pollutions microbiennes sont de plus en plus détectées. C'est sûrement sur l'eau qu'il y a le plus grand nombre de capteurs pour rechercher des microbes et divers polluants. Or il apparaît que la pollution microbienne est cinq fois plus importante dans les communes « isolées », qui ne font partie d'aucun EPCI ni aucun syndicat, que dans les autres. Autre constat, souvent, les communes « isolées » ne peuvent assumer elles-mêmes l'entretien de leur réseau. C'est pourquoi l'idée a toujours été de mutualiser. Dans une France qui compte 23 000 communes de moins de 1 000 habitants et plus de 4 000 communes de moins de 100 habitants, il est normal de chercher à mutualiser les moyens, lorsqu'on dispose de moyens financiers limités.

J'encourage donc la mutualisation, mais nous ne contraignons personne à y entrer. On pourrait considérer qu'un principe de responsabilité s'impose, et estimer qu'on ne peut demander à l'Agence de l'eau de financer plus particulièrement les communes ne souhaitant pas entrer dans un dispositif de mutualisation. Il est normal que les crédits soient concentrés, pour le moment, pour accompagner les structures qui font des efforts d'organisation et d'entretien des réseaux d'eau et d'assainissement.

M. François Bonhomme. - Certaines agences de l'eau conditionnent, dans leur programme, le niveau de leurs aides financières à l'exercice de la compétence d'eau et d'assainissement au niveau intercommunal.

M. Bernard Delcros, président. - Effectivement, aujourd'hui, des agences de l'eau conditionnent leurs subventions à l'exercice d'une compétence en intercommunalité, alors que le législateur a prévu de permettre la mutualisation à une autre échelle que l'intercommunalité (si l'Assemblée nationale adopte le texte tel qu'il existe sur ce point). Il y a donc des messages à faire passer aux agences de l'eau.

M. François Rebsamen. - J'ai bien reçu votre message.

M. Hervé Gillé. - Le Premier ministre a repris la proposition de Michel Barnier visant à organiser une conférence nationale de l'eau qui serait régionalisée. Avez-vous des informations plus précises ? Il est question également d'une conférence à l'échelle des bassins. Sans doute un calendrier a-t-il été déjà envisagé ?

M. François Rebsamen. -la nécessité d'une conférence nationale sur l'eau est partagée par l'ensemble des acteurs. Cette démarche doit être articulée avec la réflexion en cours sur le rôle des agences de l'eau, dont la gouvernance pourrait évoluer.

M. Laurent Somon. - Monsieur le ministre, nous voyons que les collectivités subissent énormément de désordres climatiques ayant des effets qui ne sont pas assurables, par exemple les phénomènes de retrait et gonflement des argiles. Le Gouvernement avance-t-il sur ce sujet, qui devient une urgence ?

Vous avez indiqué que le taux de retour sur les fonds européens était insuffisant. De nombreuses collectivités sont confrontées à une désertification médicale. Ne peut-on trouver des aides européennes privées ou publiques pour assurer la présence d'une offre de soins sur tous les territoires ?

Enfin, n'est-il pas urgent de rechercher un assouplissement des mesures compensatoires, par exemple dans des opérations de reconquête de friches ? Un cas m'a été soumis cette semaine, concernant une reconquête de friche qui donnera lieu à la création de logements et à de la renaturation. Une espèce de chauve-souris ayant été trouvée dans la zone concernée, on oblige de surcroît le bailleur social à reconquérir 2 à 3 hectares d'espaces verts ou de milieux humides dans un rayon de 3 kilomètres. Pourrait-on arrêter avec de telles obligations environnementales, en donnant aux préfets le pouvoir de dire non ?

M. François Rebsamen. - C'est une vraie remarque. Je pourrais vous répondre en m'étonnant que les parlementaires aient décidé de donner trois fois plus de temps qu'en Allemagne pour la réalisation des études « faune-flore ». C'est bien une décision du Parlement, qui a prévu un délai d'un an pour cette étude, alors qu'en Allemagne ce délai est de quatre mois.

Votre proposition me paraît bonne. Je vais vérifier ce qu'il en est dans le cas que vous évoquez, pour voir notamment si c'est la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) qui est à l'origine de ces exigences supplémentaires. Il arrive que des administrations d'État qui n'ont plus que des fonctions de contrôle des collectivités territoriales le fassent parfois avec un peu de zèle.

J'ai noté également votre proposition sur le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Je vais lancer une réflexion sur l'assurabilité des communes à l'occasion d'un colloque qui aura lieu à l'hôtel de Roquelaure, c'est-à-dire dans les locaux du ministère. Il n'est pas normal que les maires ne parviennent pas à assurer leurs bâtiments communaux. J'ai récemment eu connaissance des difficultés rencontrées par le maire de Mâcon, dans la Saône, pour faire assurer des biens communaux. Ces difficultés peuvent avoir plusieurs origines : des émeutes, des incendies, des dérèglements climatiques au long cours ou des catastrophes naturelles. Il existe des réponses plus rapides avec la déclaration d'état de catastrophe naturelle, qui permet en tout cas aux particuliers d'être remboursés par les assurances. On peut également obtenir, par des négociations de gré à gré et par la mutualisation, des assurances. Le colloque qui aura lieu aura pour objectif de trouver des solutions afin que les communes puissent assurer leurs bâtiments et leurs biens.

M. Bernard Delcros, président. - Notre délégation a été saisie par le président du Sénat de la question de l'assurabilité des communes et une première réunion - conjointe avec la commission des finances - aura lieu ce jour à 17 heures 30. C'est un sujet important auquel nous devons apporter des réponses concrètes.

Nous arrivons au terme de cette rencontre. Merci beaucoup, monsieur le ministre, cher François, pour le temps que vous avez consacré à notre délégation. Je vous propose que nous puissions de temps à autre faire un point d'avancement sur les propositions que vous avez évoquées.

M. François Rebsamen. - Bien volontiers.

M. Bernard Delcros, président. - Je signale, pour conclure, qu'en accord avec les rapporteures sur le sujet, nous reportons à une date prochaine la présentation à la délégation du rapport de la mission d'information sur l'intelligence artificielle et les collectivités territoriales, de façon à pouvoir être présents dans l'hémicycle à 16 heures 30 et entendre le débat sur la situation internationale et notamment celle de l'Ukraine.