Mardi 4 mars 2025
- Présidence de Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises -
« Agenda européen : quels enjeux pour les entreprises ? » - Audition de M. Laurent Bataille, président de Schneider Electric France, représentant l'Association française des entreprises privées (AFEP), Mmes Sylvie Grandjean, directrice générale du groupe REDEX, vice-présidente du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (M-ETI) et Isabelle Maquet, conseillère économique à la Représentation de la Commission européenne en France
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Jeudi 6 mars 2025
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Proposition de réforme du Règlement du Sénat - Communication
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, notre réunion comprend deux points, dont l'ordre d'examen a été inversé à la demande de certains d'entre vous.
Le premier point concerne la proposition de réforme du Règlement du Sénat et fait suite à une demande d'explications présentée lors de la réunion du Bureau de la commission.
Le second m'amènera à vous rendre compte de la réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol (GCPC) qui s'est tenue à Varsovie les 23 et 24 février 2025. J'évoquerai également à cette occasion ce que j'ai perçu de la situation politique en Pologne.
Je commence par la proposition de réforme du Règlement de notre assemblée présentée par le Président Larcher et la Présidente Vermeillet. Elle sera examinée par la commission des lois le mercredi 2 avril puis en séance publique le mardi 8 avril.
La présidente de la commission des lois, qui sera la rapporteure du texte, auditionnera l'ensemble des présidents de commission dans les semaines qui viennent et les débats devraient porter en particulier sur les deux aspects les plus importants du texte, dont un nous concerne pleinement.
Le premier point est d'ordre général et concerne la « propriété des postes » des groupes politiques. La réforme proposée attribue aux groupes la « propriété » de leurs postes au sein du Bureau, ainsi qu'au sein des commissions et de leurs bureaux respectifs. En cas de changement de groupe, le sénateur cessera ainsi de plein droit d'appartenir à cette instance. Par exemple, un vice-président de commission qui changerait de groupe politique perdrait son statut de vice-président, ainsi que son siège au sein de cette commission.
En pratique, le groupe auquel était initialement attribué ce poste indiquera s'il souhaite ou non le conserver. S'il ne le souhaite pas, le poste sera conservé par le nouveau groupe auquel appartient le sénateur ou, le cas échéant, par la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur aucun groupe, s'il siège en tant que non-inscrit.
Des dispositions similaires seront introduites dans l'Instruction générale du Bureau pour traiter le cas des délégations, des groupes d'amitié et des groupes d'études.
Le deuxième point, que je souhaite plus particulièrement évoquer ce matin, concerne très directement notre commission, puisqu'il vise en particulier à réformer les modalités d'examen des propositions de résolutions européennes.
Il fait suite au travail mené par la Présidente Vermeillet, qui avait demandé aux groupes politiques et aux commissions de lui adresser des propositions ou des observations.
Plusieurs des suggestions que j'avais faites ont d'ailleurs été retenues et je m'en félicite.
J'avais notamment questionné la pertinence de l'obligation pour notre commission d'examiner toutes les PPRE et souligné, à tout le moins, la nécessité de desserrer la contrainte du délai d'un mois.
J'avais également relevé le risque de détournement de procédure, les PPRE semblant pour certains collègues plus attractives que les propositions de résolution relevant de l'article 34-1 ou bien même qu'une proposition de loi, dans la mesure où, précisément, nous avons aujourd'hui une obligation d'instruction rapide du dossier.
L'article 19 du texte proposé par le Président du Sénat et la Présidente Vermeillet prévoit tout d'abord de clarifier la procédure en matière de résolutions européennes au titre de l'article 88-4 de la Constitution, en distinguant la procédure à suivre selon qu'elle est initiée par la commission permanente, par la commission des affaires européennes ou par un sénateur.
C'est la modification la plus visible, puisqu'on aurait désormais trois articles distincts correspondant à chacune des voies d'introduction des propositions de résolutions européennes.
L'article 73 quater du règlement actuel dispose que notre commission instruit les textes transmis en application de l'article 88-4 de la Constitution. Il serait ajouté qu'elle peut également « transmettre aux commissions permanentes ses analyses sur ces projets ou propositions », indépendamment donc d'éventuelles PPRE.
La publication spécifique des travaux de la commission des affaires européennes, c'est-à-dire en pratique la publication en format papier d'un recueil des comptes rendus déjà publiés en ligne, serait supprimée, ce qui va dans le sens d'une simplification sans enjeu.
Le président de la commission permanente compétente pourra désigner un de ses membres pour participer à l'examen par notre commission d'un projet ou d'une proposition d'acte ainsi que d'un document émanant d'une institution de l'Union européenne. C'était déjà prévu mais le texte précise que ce représentant aura « voix consultative » et ajoute la possibilité de participer à l'examen d'une proposition de résolution européenne.
Parallèlement, le président de la commission des affaires européennes pourra désigner un de ses membres pour participer de droit, avec voix consultative, à l'examen par la commission permanente compétente d'une proposition de résolution européenne.
De même, le texte précise que la commission des affaires européennes pourra exercer les compétences attribuées aux commissions saisies pour avis dans le cadre de l'examen en séance publique d'une proposition de résolution européenne. C'était déjà le cas dans le règlement actuel.
Une condition générale de recevabilité est formellement introduite : les PPRE devront viser les textes européens concernés, ce qui est très souple et déjà pratiqué.
S'agissant des procédures distinctes envisagées, je souhaite faire les observations suivantes.
Il est d'abord indiqué qu'il revient à la commission des affaires européennes d'informer « dans les meilleurs délais » la commission permanente compétente de son intention de se saisir d'un texte européen relevant de la compétence de cette dernière.
Il est clairement indiqué qu'à partir du moment où la commission permanente se saisit d'un projet ou d'une proposition d'acte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution, la commission des affaires européennes ne peut pas déposer de sa propre initiative une proposition de résolution européenne sur ce texte.
La commission permanente resterait soumise au délai d'un mois pour adopter une PPRE en cas d'autosaisine. La commission des affaires européennes ne retrouverait la faculté de se saisir que si, à l'expiration du délai d'un mois, la commission permanente ne déposait pas de PPRE.
La rédaction proposée est donc plus explicite que la rédaction actuelle mais ne modifie pas la pratique et je rappelle la participation possible de plein droit, avec voix consultative, d'un membre de la commission des affaires européennes aux travaux de la commission permanente. La commission permanente resterait ensuite soumise au délai d'un mois pour examiner la PPRE adoptée par notre commission.
Les plus gros changements de procédure proposés concernent les propositions de résolutions européennes déposées par les sénateurs à titre individuel.
En effet, elles ne seraient plus automatiquement examinées par notre commission et nous ne serions plus tenus par le délai d'un mois à compter du dépôt, sauf si un président de groupe ou de commission le demandait, le délai d'un mois courant à compter de la demande du président de commission ou de groupe, et non du dépôt du texte. En outre, un délai limite serait fixé pour les amendements à ces PPRE, le droit d'amendement à ces PPRE étant ouvert à tous les sénateurs.
S'agissant des propositions de résolutions initiées par la commission des affaires européennes ou par les sénateurs à titre individuel, on note une possibilité d'accélérer la procédure d'adoption d'une position du Sénat. En effet, dans le délai d'un mois imparti pour examiner une proposition transmise par la commission des affaires européennes, le président de la commission permanente pourrait informer le président de la commission des affaires européennes et le Président du Sénat que sa commission n'examinera pas le texte déposé au nom de la commission des affaires européennes.
La proposition déposée au nom de la commission des affaires européennes serait alors considérée comme adoptée par la commission permanente à compter de la date de publication au Journal officiel de la notification de la décision de cette commission.
Il est aussi proposé de permettre aux présidents de la commission des affaires et de la commission permanente compétente de décider que les deux commissions examinent conjointement une proposition de résolution initiées par les sénateurs à titre individuel. Je sais que cela donne lieu à débat chez certains d'entre vous.
Les modalités en cas de rejet des textes par la commission des affaires européennes ou la commission permanente compétente sont également clarifiées. De même, la possibilité de demander l'inscription à l'ordre du jour du Sénat est prévue dans les trois jours suivant la décision de la commission permanente compétente.
Le président de la commission des affaires européennes ou le président de la commission permanente compétente aurait par ailleurs la possibilité de demander la suspension de tous les délais lorsque le Sénat ne siège pas.
S'agissant des résolutions européennes portant avis motivé, au titre de l'article 88-6 de la Constitution, je veux relever deux modifications significatives, le reste étant d'ordre rédactionnel ou consistant dans une clarification des délais :
- d'une part, la possibilité de demander l'inscription à l'ordre du jour du Sénat d'une PPRE portant avis motivé ;
- d'autre part, la possibilité pour la commission des affaires européennes d'exercer alors les compétences attribuées aux commissions saisies pour avis dans le cadre de l'examen de cette PPRE en séance publique.
Enfin, un vademecum viendra préciser ces procédures et les bonnes pratiques d'élaboration des PPRE.
Au-delà des PPRE, je veux également relever deux modifications notables introduites à l'article 73 sexies.
Aujourd'hui, la Conférence des Présidents peut décider de consulter la commission des affaires européennes sur un projet ou une proposition de loi ayant pour objet de transposer un texte européen en droit national, par exemple sur les projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE). Il est prévu que notre commission pourra également être consultée sur les projets ou propositions de loi visant à « adapter le droit national au droit européen ».
Les observations de la commission des affaires européennes pourront toujours être présentées sous la forme d'un rapport d'information mais est également introduite la possibilité, pour le rapporteur de la commission des affaires européennes, de présenter ses observations à la commission permanente compétente et, sur décision de la Conférence des Présidents, en séance publique. Ce dernier point me paraît très opportun.
Voici donc quelques observations sur la réforme proposée. À partir de ces éléments, je vous propose de tenir une réunion de travail interne ne donnant pas lieu à compte rendu officiel pour répondre à vos éventuelles questions et prendre en compte vos remarques en vue de l'échange que j'aurai avec la présidente de la commission des lois.
Groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol (GCPC) des 23 et 24 février 2025 - Communication
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je voudrais maintenant vous rendre compte de la 16ème réunion du groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol, qui s'est tenue à Varsovie le 24 février dernier. J'y ai représenté le Sénat, aux côtés de notre collègue Muriel Jourda, présidente de la commission des lois.
Pour mémoire, Europol est l'agence européenne de coopération policière. Créée en 1998, elle a son siège à La Haye et est dirigée depuis 2017 par un commissaire de la police belge, Mme Catherine de Bolle.
En pratique, l'agence Europol s'est imposée comme un centre d'analyse de la criminalité et de soutien opérationnel aux services de police des États membres. Preuve de son succès, ses actions de soutien ont été multipliées par quatre en dix ans.
L'agence bénéficie de moyens importants et en hausse constante depuis 2019 : son budget, qui s'élevait à 207 millions d'euros en 2023, doit passer à 247 millions d'euros cette année. Elle compte environ 1 066 personnels, parmi lesquels de nombreux experts nationaux détachés.
En revanche, il faut le rappeler, Europol ne dispose pas de pouvoirs propres d'enquête. En effet, l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne rappelle clairement que la sécurité nationale demeure de la compétence exclusive des États membres.
Afin d'encadrer la « montée en puissance » régulière des pouvoirs d'Europol, un groupe de contrôle parlementaire conjoint d'Europol - ou GCPC - a été institué, rassemblant des députés européens membres de la commission « LIBE » du Parlement européen et des représentants des Parlements nationaux. Ce groupe de contrôle parlementaire se réunit deux fois par an.
Quel bilan peut-on tirer de cette réunion ? Je veux insister sur quatre enjeux principaux.
Le premier point concerne la décision de désignation du forum consultatif des droits fondamentaux d'Europol, structure censée conseiller l'agence dans ce domaine et qui doit être composée de 11 membres reconnus pour leur expertise, leur indépendance et leur neutralité. Les débats ont tourné court sur ce sujet et le vote a été reporté à la prochaine réunion du groupe, en novembre. En effet, parmi les candidatures se trouvait celle du réseau européen de lutte contre le racisme (ENAR), très actif auprès de la Commission européenne, qui a suscité l'inquiétude. Ce réseau, proche des Frères musulmans, attaque régulièrement notre politique de laïcité et de lutte contre les séparatismes. Il nous faudra donc être de nouveau vigilants sur ce point en novembre.
Deuxième point, la direction d'Europol a effectué un plaidoyer pour bénéficier de moyens financiers supplémentaires, Mme de Bolle estimant « insuffisants » ceux prévus actuellement. Mais comme je l'ai déjà mentionné, le budget de l'agence a déjà fortement augmenté au cours des dernières années. Or, les moyens à disposition ne sont pas infinis. En effet, les États membres ont besoin de dégager en priorité des moyens budgétaires pour leurs propres services de police et de gendarmerie.
Cette question budgétaire va être d'autant plus importante que, dans son intervention, le commissaire européen aux affaires intérieures et aux migrations a confirmé l'intention de la Commission européenne de « doubler » les effectifs de l'agence, ce qui fixerait ses effectifs à environ 2 130 agents. La question est : à quelle échéance et, surtout, pour faire quoi ?
C'est mon troisième point. Une partie de la réponse réside dans la volonté affichée de la direction d'Europol et de la Commission européenne de réviser de nouveau le statut de l'agence pour renforcer ses capacités opérationnelles. Face aux interrogations exprimées sur ce projet, Mme de Bolle a souligné qu'il ne s'agissait pas de bâtir un « FBI européen » mais bien d'améliorer l'expertise au service des États membres.
Avec les collègues du Parlement polonais, je suis intervenu pour préciser que les services de police avaient besoin aujourd'hui de clarté et de stabilité juridiques.
J'ajoute que le mandat révisé d'Europol permet à l'agence de nouer des partenariats avec des entreprises, en particulier celles du numérique. La direction d'Europol assume ainsi publiquement ce partenariat pour gagner en efficacité dans ses traitements massifs de données.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je me suis moi-même rendue à Europol il y a quelque temps, et je dois dire que j'ai été positivement surprise par cette coopération. Cela s'avère particulièrement efficace dans certains domaines, comme par exemple la lutte contre la pédo-criminalité en ligne.
M. Jean-François Rapin, président. - En effet. Mais les géants du numérique sont en général américains et doivent alors permettre l'accès des services de renseignements américains aux données qu'ils collectent. La réalité ou la perspective de ces liens est donc un sujet d'attention majeur.
Le quatrième point d'attention concerne la lutte contre le trafic de drogue. Les échanges ont confirmé que tous les États membres de l'Union européenne étaient sous l'emprise des réseaux de trafiquants et que ces derniers étaient très agiles pour s'adapter aux évolutions législatives. Ayant interrogé la direction d'Europol sur l'ampleur de la corruption liée au narcotrafic et sur les solutions pour la combattre efficacement, je n'ai cependant eu que des réponses convenues.
Il faut aussi signaler que le narcotrafic connaît des changements structurels préoccupants en Europe. En particulier, l'Union européenne devient aujourd'hui le premier centre mondial de drogues de synthèse. Les représentants d'Europol et des services de police ont d'ailleurs qualifié le narcotrafic de « raz-de-marée » en Europe. Ils ont tous confirmé que seule la coopération internationale permettant une action dans les « pays sources » était efficace.
En conclusion, Europol est une agence qui continue à gagner en compétences mais dont certains projets doivent être strictement contrôlés. C'est pourquoi une délégation sénatoriale, mêlant notre commission et la commission des lois, lui rendra visite le 26 mai.
Ce déplacement à Varsovie m'a également permis de m'entretenir avec le sénateur Kazimierz Ujazdowski, président du groupe d'amitié Pologne-France du Sénat polonais, puis avec notre ambassadeur, M. Etienne de Poncins. Je souhaite aborder ce sujet en trois points.
Tout d'abord, malgré la victoire de la coalition menée par le Premier ministre Donald Tusk, aux élections législatives d'octobre 2023, le pays reste en situation de cohabitation puisque le Président de la République, M. Andrzej Duda, appartient au PiS et qui dispose d'un droit de veto législatif. L'enjeu, pour M. Tusk, est donc de savoir si son candidat l'emportera à la prochaine élection présidentielle, dont le premier tour doit avoir lieu le 18 mai prochain.
Le gouvernement Tusk a réussi partiellement à « reconstruire l'État de droit » en Pologne avec des succès : entrée de la Pologne dans le Parquet européen ; levée des sanctions financières, etc. Il est également parvenu à faire reconnaître à ses partenaires européens la spécificité de la situation polonaise sur le plan migratoire pour refuser d'appliquer le pacte européen sur la migration et l'asile. Il a en outre poursuivi la bonne intégration de quelque 2 millions d'Ukrainiens qui, dans un pays dont le taux de chômage avoisine 2,5%, constituent une main d'oeuvre qui aurait fait gagner un point de croissance au pays l'an dernier.
En revanche, la coalition au pouvoir se heurte au statut d'indépendance de la magistrature, dont il voudrait bien modifier la composition, et se divise sur deux sujets majeurs : la « décarbonation » de son économie, très polluante car très dépendante du charbon, et sa promesse de légalisation de l'avortement.
La Pologne est aussi un pays qui revient sur le devant de la scène européenne, à la faveur de sa présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne. De l'avis unanime des observateurs, l'actuelle présidence polonaise du Conseil de l'Union européenne est une présidence sérieuse avec un agenda clair et pragmatique, orienté autour du concept de sécurité. En pratique, la Pologne plaide pour les réformes en faveur de la compétitivité, mais est attentive à la préservation de la PAC et de la politique de cohésion.
Ajoutons que la victoire de M. Tusk a entraîné une redynamisation de la relation franco-polonaise à tous les niveaux, symbolisée par le futur traité d'amitié de Nancy qui devrait être signé prochainement et comporter deux volets spécifiques consacrés à l'énergie et à la sécurité.
Enfin, depuis le retour de M. Donald Trump à la Maison blanche, le sol semble se dérober sous les pieds des responsables politiques polonais. En effet, en Pologne, le maintien de bonnes relations diplomatiques avec les États-Unis est une nécessité et un « totem », qu'il est très malvenu - surtout en période pré-électorale - de critiquer.
Depuis de longues années, les autorités polonaises ont multiplié les efforts pour construire une relation transatlantique qu'elles espéraient privilégiée, afin d'obtenir une garantie de sécurité de la part des États-Unis en cas d'agression russe. La Pologne a été un « bon élève » auprès de l'allié américain, accueillant 11 000 soldats américains sur son territoire, dépensant 4,7 % de son PIB dans les efforts de défense, et multipliant les achats d'équipements américains tout en confiant ses grands chantiers civils à des entreprises américaines.
Simultanément, la Pologne s'est affirmée comme le premier soutien de l'Ukraine après l'agression russe de février 2022, malgré des tensions ponctuelles liées à l'agriculture (sur les exportations de céréales ukrainiennes) ou aux enjeux de mémoire (massacres de dizaines de milliers de Polonais par des nationalistes ukrainiens pendant la Seconde guerre mondiale).
Dans ce contexte, l'annonce de négociations sur l'Ukraine entre les États-Unis et la Russie, ainsi que les différentes déclarations publiques du président américain sur ce dossier, ont semé une très forte inquiétude à Varsovie. La réaction de M. Tusk n'a d'ailleurs pas été immédiate.
Il a appelé les États membres de l'Union européenne à adopter une réponse commune mais s'est abstenu de « monter en première ligne » pour coordonner cette réponse et a immédiatement précisé que la Pologne n'enverrait pas de troupes en Ukraine pour sécuriser un éventuel cessez-le-feu. Nos interlocuteurs ont d'ailleurs confirmé la grande prudence des autorités polonaises sur les modalités concrètes de renforcement de l'Europe de la défense. Le refus de principe d'envoyer des troupes en Ukraine à l'issue d'un accord de paix pour « sécuriser le terrain » a suscité un réel débat dans la société polonaise, alors que cela semble mieux accepté par l'opinion publique française.
Mme Pascale Gruny. - Ce n'est pas certain... Les Français voient bien les coûts financiers et humains qu'entraînerait l'envoi de soldats français en Ukraine.
M. Jean-François Rapin, président. - Cela renvoie aussi à la question du financement de ces nouvelles dépenses militaires et, in fine, à la question d'un nouvel emprunt européen et de nouvelles ressources propres, qui font débat. Voilà, mes chers collègues, en quelques mots, ce que je souhaitais vous indiquer au sujet de la situation polonaise.
Mme Florence Blatrix Contat. - La question des ressources propres est effectivement cruciale. À cela s'ajoute l'affolement des marchés financiers provoqué par les récentes annonces allemandes, qui vont sans doute faire augmenter les taux d'intérêt et renchérir le coût de l'endettement...
M. Jean-François Rapin, président. - Pour répondre à ces problématiques financières, je pense qu'il faudra, à un moment ou à un autre, se poser la question de taxer ponctuellement ceux à qui va profiter cette nouvelle économie de guerre - je pense en particulier à l'industrie de l'armement. C'est une question éthique.
Souhaitons en tout cas que ce contexte lourd de menaces et incertain permette au moins de renforcer la relation franco-polonaise et d'inciter les autorités polonaises, ainsi que le nouveau chancelier allemand, à bâtir une réelle autonomie stratégique de l'Europe.
La réunion est close à 10 h 40.