Lundi 10 mars 2025

- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes - Examen des amendements aux articles délégués au fond (13 à 19, 42 et 43) du texte de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous allons examiner les amendements déposés sur les articles dont l'examen nous a été délégué au fond par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue) en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes.

Article 14

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement n°  65 est contraire à la position de la commission. Ses auteurs ont repris intégralement la version du texte de l'Assemblée nationale. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 65.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Dans leur amendement n°  52, nos collègues procèdent à plusieurs modifications significatives qui reprennent aussi la position de l'Assemblée nationale au détriment de celle de la commission. Avis défavorable.

Quant à l'amendement n°  120 sur les modalités d'entrée en vigueur, il est contraire à la position de la commission. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 52 et 120.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement n°  94 vise à préciser les pouvoirs du juge lorsqu'il contrôle l'existence d'un conflit d'intérêts. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 94.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n°  93 qui vise à réintroduire la mise en demeure spécifique au droit du travail.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 93.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement n°  95 a pour objet de supprimer la nécessité de recueillir l'accord des membres du groupe pour l'homologation par le juge d'un accord. La commission y est favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 95.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement n°  96 vise la suppression du registre public des actions de groupe, ce qui est contraire à ce que nous avions voté, il y a treize mois, dans le cadre de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 96.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement n°  97 concerne la désignation des tribunaux judiciaires spécialisés en matière d'action de groupe. L'avis est favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 97.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n°  98 qui vise à préserver l'autonomie de l'action en cessation de pratiques illicites et de l'action conjointe.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 98.

Article 42

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement n°  117 rectifié a pour objet de supprimer le seuil de rémunération de 1,5 fois le salaire annuel brut moyen que notre commission avait voté la semaine dernière. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 117 rectifié.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n°  67 qui opère un toilettage des dispositions d'application outre-mer.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 67.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en avons terminé avec l'examen des amendements de séance.

La commission adopte les avis suivants :

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 14

Mme LINKENHELD

65

Substitution de la version du dispositif issue des travaux de l'Assemblée nationale à celle adoptée par la commission des lois du Sénat

Défavorable

M. FERNIQUE

52

Universalisation du champ d'application de l'action de groupe, suppression de la mise en demeure, modification des modalités d'entrée en vigueur et une mesure spécifique aux dommages à l'environnement.

Défavorable

Mme LINKENHELD

120

Application du régime aux actions intentées dès la publication de la loi.

Défavorable

Le Gouvernement

94

Précision des pouvoirs du juge lorsqu'il contrôle l'existence d'un conflit d'intérêts.

Favorable

Le Gouvernement

93

Réintroduction de la mise en demeure spécifique au droit du travail.

Favorable

Le Gouvernement

95

Supprimer la nécessité de recueillir l'accord des membres du groupe pour l'homologation par le juge d'un accord.

Favorable

Le Gouvernement

96

Suppression du registre public des actions de groupe.

Défavorable

Le Gouvernement

97

Désignation des tribunaux judiciaires spécialisés en matière d'action de groupe.

Favorable

Le Gouvernement

98

Préservation de l'autonomie de l'action en cessation de pratiques illicites et de l'action conjointe.

Favorable

Article 42

M. CADIC

117 rect. bis

Suppression du seuil de rémunération de 1,5 fois le salaire annuel brut moyen.

Défavorable

Le Gouvernement

67

Application outre-mer.

Favorable

La réunion est close à 15 h 05.

Mardi 11 mars 2025

- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons pour commencer les amendements de séance sur la proposition de loi visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS

Article 1er

Les amendements rédactionnels 43 et 44 sont adoptés.

Article 1er bis

L'amendement rédactionnel 45 est adopté.

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme BELLUROT

43

Harmonisation des règles relatives à la composition des commissions de contrôle des listes électorales

Adopté

Mme BELLUROT

44

Amendement rédactionnel et de coordination

Adopté

Article 1er bi

Mme BELLUROT

45

Amendement rédactionnel

Adopté

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Après l'article 3

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Nous vous proposons un avis favorable sur les amendements identiques nos  1 rectifié, 13 rectifié ter, 21 rectifié bis, 22 rectifié bis et 24 rectifié bis, qui concernent la prolongation de la période transitoire au cours de laquelle les communes nouvelles bénéficient d'un effectif supérieur, ainsi qu'au sous-amendement du Gouvernement n°  41.

La commission émet un avis favorable aux amendements identiques nos 1 rectifié, 13 rectifié ter, 21 rectifié bis, 22 rectifié bis, 24 rectifié bis, de même qu'au sous-amendement n° 41.

La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er

M. CHEVALIER

7 rect. ter

Suppression de l'article 1er

Défavorable

M. Cédric VIAL

25 rect.

Suppression de l'article 1er

Défavorable

M. MIZZON

2 rect.

Extension du scrutin de liste aux seules communes de 500 à 999 habitants

Défavorable

M. MIZZON

3 rect.

Extension du scrutin de liste aux seules communes de 100 à 999 habitants

Défavorable

Le Gouvernement

38

Harmonisation des règles relatives à la composition des commissions de contrôle des listes électorales.

Favorable

Le Gouvernement

37 rect.

Amendement rédactionnel et de coordination

Favorable

Mme ROMAGNY

4 rect.

Extension du scrutin de liste aux seules communes de 500 à 999 habitants

Défavorable

M. ROUX

33 rect.

Extension du scrutin de liste aux seules communes de 500 à 999 habitants

Défavorable

M. ROUX

34 rect.

Réserver l'autorisation du dépôt de listes incomplètes aux seules communes de moins de 500 habitants

Défavorable

M. MIZZON

15 rect. bis

Autorisation du dépôt de liste comportant deux candidats supplémentaires par rapport au nombre de postes à pourvoir

Demande de retrait

M. CHASSEING

28 rect. bis

Dérogation à l'obligation de déposer des listes paritaires pour les communes de moins de 500 habitants

Défavorable

Article additionnel après Article 1er

Le Gouvernement

39

Habiliter à prendre des ordonnances pour étendre, avec adaptations, les dispositions de la proposition de loi en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française

Sagesse

Article 1er bis 

M. CHEVALIER

8 rect. bis

Suppression de l'article 1er bis

Sagesse

Le Gouvernement

40

Suppression de l'extension du "fléchage" pour l'élection des conseillers communautaires des communes de moins de 1 000 habitants

Sagesse

Mme ROMAGNY

5 rect.

Extension du fléchage aux seuls conseillers communautaires des communes de 500 à 999 habitants

Défavorable

Article 1er ter 

M. CHEVALIER

9 rect. bis

Suppression de l'article 1er ter

Défavorable

Le Gouvernement

42

Suppression de l'extension aux communes de moins de 1 000 habitants de l'obligation de représentation proportionnelle des commissions municipales.

Sagesse

Mme ROMAGNY

6 rect.

Extension aux seules communes de 500 à 999 habitants du scrutin de liste paritaire pour l'élection des adjoints au maire

Défavorable

Mme ROMAGNY

27 rect. bis

Suppression de l'extension aux communes de moins de 1 000 habitants du mode de désignation des adjoints au maire au scrutin de liste paritaire

Défavorable

Article additionnel après Article 1er ter 

Mme CANAYER

20 rect. ter

Assouplissement de la règle de parité pour l'élection des adjoints au maire dans les communes de moins de 1 500 habitants

Défavorable

Article 2 (Supprimé)

M. CHASSEING

29 rect.

Diminution du nombre de conseillers municipaux dans les communes de moins de 1 000 habitants

Défavorable

Article 3

M. CHASSEING

30 rect. bis

Réduction des seuils d'application de l'exception de complétude des conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants et extension de cette dérogation aux communes de 1 000 à 1 499 habitants

Défavorable

M. Grégory BLANC

14 rect.

Possibilité pour le conseil municipal d'une commune de 500 à 999 habitants d'être réputé complet à 11 conseillers

Défavorable

Article additionnel après Article 3

M. ROIRON

1 rect.

Prolongation de la période transitoire au cours de laquelle le conseil municipal des communes nouvelles bénéficie d'un effectif dérogatoire supérieur

Favorable

M. Grégory BLANC

13 rect. ter

Prolongation de la période transitoire au cours de laquelle le conseil municipal des communes nouvelles bénéficie d'un effectif dérogatoire supérieur

Favorable

Mme CANAYER

21 rect. bis

Prolongation de la période transitoire au cours de laquelle le conseil municipal des communes nouvelles bénéficie d'un effectif dérogatoire supérieur

Favorable

Le Gouvernement

41

Amendement rédactionnel

Favorable

Mme de LA PROVÔTÉ

22 rect. ter

Prolongation de la période transitoire au cours de laquelle le conseil municipal des communes nouvelles bénéficie d'un effectif dérogatoire supérieur

Favorable

Mme BOURCIER

24 rect. bis

Prolongation de la période transitoire au cours de laquelle le conseil municipal des communes nouvelles bénéficie d'un effectif dérogatoire supérieur

Favorable

M. PIEDNOIR

19 rect.

Pérennisation d'un effectif du conseil des communes nouvelles supérieur à l'effectif légal de droit commun afin d'assurer la représentation des communes déléguées

Défavorable

Mme BOURCIER

23 rect.

Pérennisation d'un effectif du conseil des communes nouvelles supérieur à l'effectif légal de droit commun afin d'assurer la représentation des communes déléguées

Défavorable

M. LEMOYNE

26

Suppression de l'incompatibilité entre un mandat de conseiller communautaire et un emploi salarié dans l'une des communes membres de l'EPCI

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Article 4 (Suppression maintenue)

Mme SENÉE

35

Répartition des fonctions de vice-président des EPCI par sexe en proportion de la répartition par sexe de l'organe délibérant

Défavorable

Article additionnel après Article 4

M. MICHALLET

31 rect. bis

Extension de la liste des exceptions à l'obligation de déport

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Article 5

Mme CANAYER

36 rect.

Entrée en vigueur immédiate de la prolongation du dispositif dérogatoire prévu pour les communes nouvelles à l'article 3 bis

Favorable

M. CHEVALIER

11 rect. bis

Modification rédactionnelle

Défavorable

M. DAUBET

32 rect.

Report à 2032 de l'application de la réforme généralisant le scrutin de liste à l'ensemble des communes

Défavorable

Intitulé de la proposition de loi

M. CHEVALIER

12 rect. bis

Modification de l'intitulé de la proposition de loi

Défavorable

Proposition de loi organique visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent un amendement de séance sur la proposition de loi organique visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  1.

La commission a donné l'avis suivant sur l'amendement qui est retracé dans le tableau ci-après :

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er

M. Cédric VIAL

1 rect.

Suppression de l'article 1er

Défavorable

La réunion est close à 14 h 05.

Mercredi 12 mars 2025

- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Proposition de nomination par le Président de la République de M. Jean Maïa en qualité de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Muriel Jourda rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Maïa aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, en application de l'article 13 de la Constitution.

Proposition de nomination par le Président de la République de M. Vincent Mazauric en qualité de président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Muriel Jourda rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Vincent Mazauric aux fonctions de président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, en application de l'article 13 de la Constitution.

Proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales - Examen du rapport pour avis

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent le rapport pour avis de notre collègue Olivier Bitz sur la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Notre commission s'est saisie pour avis de la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, dont l'examen a été renvoyé à la commission des affaires sociales.

Présentée par Valérie Boyer et ses collègues du groupe Les Républicains, la proposition de loi s'inscrit dans la continuité de précédentes initiatives qui visaient à subordonner le versement de certaines prestations sociales à une durée minimale de résidence en situation régulière. Je précise, à titre liminaire, que la régularité du séjour constitue d'ores et déjà un critère pour bénéficier des droits et prestations en question.

L'article 19 du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration prévoyait, sur l'initiative de la commission des lois et de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, de subordonner l'exercice du droit au logement opposable (Dalo) et le versement de plusieurs prestations sociales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne à une condition de durée de résidence stable et régulière en France de cinq ans. Cette durée était ramenée à trente mois en cas d'exercice d'une activité professionnelle. Ces dispositions ont été déclarées contraires à la Constitution au motif qu'elles constituaient un « cavalier » législatif.

Le Conseil constitutionnel s'est néanmoins prononcé sur des dispositions identiques à l'occasion de sa décision du 11 avril 2024. Il a rappelé que si les exigences constitutionnelles tirées des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 « ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité, cette durée ne saurait être telle qu'elle prive de garanties légales ces exigences ». En l'occurrence, il a jugé que la durée prévue - cinq années ou trente mois en cas d'activité professionnelle - portait une atteinte disproportionnée à ces exigences.

L'appréciation du caractère proportionné de cette restriction semble dépendre de l'objet de la prestation en cause. Eu égard à la finalité du revenu de solidarité active (RSA), le Conseil constitutionnel avait admis en 2011 une condition de durée de résidence régulière de cinq ans. Une condition analogue, mais d'une durée de dix ans, est également exigée pour le versement de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Le Conseil constitutionnel n'a pas eu à en connaître à ce jour, la Cour de cassation ayant refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui portait sur les dispositions concernées.

La proposition de loi comporte deux modifications d'ampleur par rapport au texte censuré par le Conseil constitutionnel, qui visent à tirer les conséquences de sa décision du 11 avril 2024 : en premier lieu, la durée de résidence stable et régulière exigée est abaissée à deux ans au lieu de cinq ; en second lieu, aucune durée de résidence n'est plus exigée pour les étrangers exerçant une activité professionnelle.

Demeureraient exemptées de la condition de durée de résidence de nombreuses catégories d'étrangers : les réfugiés, les bénéficiaires de la protection subsidiaire, les apatrides, les titulaires d'une carte de résident et, pour les aides personnalisées au logement (APL) et le Dalo, les titulaires d'un visa étudiant.

La proposition de loi ne modifie pas les droits et prestations concernés : il s'agit du Dalo et de dix prestations sociales, dont neuf relèvent de la branche famille, auxquelles s'ajoute l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) pour les personnes âgées dépendantes.

Ces prestations n'ont pas, au sens strict, un caractère contributif. Quand bien même la branche famille de la sécurité sociale est financée par des cotisations sociales, le versement des prestations familiales n'est pas la contrepartie - ni dans son principe ni dans son montant - des cotisations effectivement versées. Ces prestations relèvent ainsi davantage d'une logique de solidarité nationale que d'une logique proprement assurantielle.

À cet égard, il peut sembler légitime qu'un certain délai soit imposé aux étrangers qui n'exercent pas d'activité professionnelle, et ainsi ne contribuent pas au système de protection sociale, pour bénéficier pleinement de cette solidarité nationale.

En lien avec nos collègues de la commission des affaires sociales, je vous propose d'adopter plusieurs aménagements visant à prendre en compte le risque constitutionnel et conventionnel et permettre la mise en oeuvre effective de la proposition de loi.

Je vous propose d'abord de supprimer les dispositions relatives au droit au logement opposable.

En effet, le droit à un logement décent et indépendant, reconnu par le législateur, peut être rattaché à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, qui a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 19 janvier 1995. Le Dalo est également une voie de recours, amiable puis contentieuse, qui a pour objet l'exercice de ce droit.

Dès lors qu'il s'agit, non d'une prestation sociale à proprement parler, mais d'un droit et d'une voie de recours, il n'est pas évident que le législateur puisse subordonner le bénéfice du Dalo, pour les ressortissants étrangers en situation régulière, à une condition de durée de résidence. Cette disposition soulève de délicates questions de conformité à la Constitution et, pour ces raisons, il m'a paru préférable, comme à mon homologue des affaires sociales, de recentrer le texte sur les prestations sociales.

Je propose également deux autres amendements visant à préciser les catégories de personnes concernées par la proposition de loi.

En premier lieu, il apparaît que le critère de l'affiliation au titre d'une activité professionnelle, outre qu'il est d'un maniement difficile pour les organismes gestionnaires, doit être concilié avec les textes européens, notamment la directive dite « permis unique ». L'article 12 de cette directive consacre l'égalité de traitement, en matière de prestations sociales et familiales, des ressortissants d'États tiers à l'Union européenne (UE) qui bénéficient d'un titre de séjour les autorisant à travailler, en ne ménageant qu'un nombre limité d'exceptions.

Afin d'assurer la conformité du dispositif au droit de l'UE, je vous propose donc un amendement visant à substituer au critère de l'affiliation au titre d'une activité professionnelle celui de la détention d'un titre de séjour autorisant à travailler. La rapporteure de la commission des affaires sociales propose également de retenir ce critère, déjà appliqué pour le RSA et l'Aspa.

En second lieu, je vous propose d'ajouter aux catégories d'étrangers exemptés de la condition de durée de résidence les bénéficiaires de la protection temporaire - le dispositif ne concerne à ce jour que les Ukrainiens-, qui sont éligibles à une partie des prestations en question, essentiellement des prestations familiales.

Je suggère enfin un dernier amendement, identique à celui présenté par la rapporteure de la commission des affaires sociales, visant à repousser l'entrée en vigueur de la proposition de loi à une date fixée par décret, et qui ne peut être postérieure au 1er juillet 2026. En effet, l'ensemble des organismes gestionnaires et des administrations, ainsi que les départements - qui versent l'APA - nous ont indiqué que la mise en oeuvre de la loi nécessitait d'adapter préalablement leurs processus et leurs systèmes d'information ; l'amendement vise à leur laisser le temps de mener à bien ces adaptations.

Enfin, il est ressorti des travaux menés avec mon homologue des affaires sociales que de nombreuses nationalités seraient exemptées, en tout ou partie, de l'application de la présente proposition de loi du fait d'accords internationaux.

Aucun recensement exhaustif n'a pu nous être fourni, mais le ministère de la santé indique qu'il existerait 39 conventions bilatérales de sécurité sociale conclues entre la France et des États tiers, dont la plupart prévoient une forme d'égalité de traitement en matière de prestations familiales pour les ressortissants de ces États. Par conséquent, elles seraient susceptibles de faire échec à l'application de la loi.

Il en va de même avec les accords d'association conclus entre l'Union européenne et des États tiers, dont au moins huit - ceux conclus notamment avec l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, Israël et l'Albanie - comportent des clauses d'égalité de traitement en matière de sécurité sociale.

S'agissant plus particulièrement des Algériens, l'application de la loi risquerait d'être écartée sur le fondement de l'article 7 de la déclaration de principes relative à la coopération économique et financière du 19 mars 1962, qui fait partie des accords d'Évian. Cette disposition consacre l'égalité des droits des ressortissants algériens résidant régulièrement en France. C'est sur le fondement de ces dispositions que le Conseil d'État avait, par une décision du 9 novembre 2007, écarté l'application de la condition de résidence pour le versement du revenu minimum d'insertion (RMI).

En somme, ce que nous avions constaté au sujet des instruments internationaux en matière migratoire, à savoir un enchevêtrement d'engagements mal connus, qui contraint fortement notre capacité à agir, semble également valoir en matière de sécurité sociale. Je ne peux qu'appeler de mes voeux un travail de recensement et, le cas échéant, de révision de ces engagements, dont certains sont anciens.

Tout cela tend à restreindre la portée du texte, dont la dimension symbolique n'est cependant pas à négliger. Cela ne signifie pas qu'il faille se résigner à l'impuissance : la reprise en main de notre politique migratoire passe avant tout par une meilleure régulation des entrées sur le territoire et une amélioration du processus d'éloignement.

Au bénéfice de ces observations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption de la proposition ainsi modifiée.

Mme Corinne Narassiguin. - Cela ne surprendra personne, le groupe socialiste, écologiste et républicain s'opposera à cette proposition de loi.

Un an après la proposition avortée de référendum d'initiative partagée de Bruno Retailleau, Valérie Boyer et ses collègues du groupe Les Républicains essayent d'échapper à la censure du Conseil constitutionnel avec ce texte dont la portée est extrêmement réduite, a fortiori si l'on considère les accords internationaux décrits par le rapporteur. Toutefois, même édulcorée de la sorte, cette proposition de loi nous semble encore contrevenir aux principes constitutionnels d'égalité devant la loi et de solidarité.

À travers cet acte essentiellement politique, vous entendez surtout faire des étrangers les boucs émissaires de tous les maux de notre pays, ignorant leurs multiples contributions à notre richesse nationale.

M. André Reichardt. - Je félicite le rapporteur pour avis de son rapport très complet, mais je retiens surtout sa conclusion, malheureusement : ça ne veut pas dire qu'on ne peut rien faire, mais ça y ressemble fort...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le rapport d'Olivier Bitz est éclairant sur l'existence de ces accords internationaux, qui transforment en effet ce texte en symbole. Nous ne savions pas que la loi devait se réduire ainsi à un catalogue de symboles - un reproche qu'un certain Philippe Bas, en d'autres occasions, n'aurait pas manqué de nous adresser.

Avec ce texte, nous examinons en réalité la première proposition de loi de Bruno Retailleau, avant de décliner, dans les jours et les semaines qui viennent, la suite de ses initiatives.

Lors de l'examen de la loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, le Sénat avait voté avec enthousiasme une condition de résidence de cinq ans, et je ne me souviens pas à cette occasion que quiconque, y compris le ministre, ait soulevé le problème de ces conventions.

Amusez-vous donc, faites de la politique en séance, votez pour un symbole, mais sachez que ce texte ne servira pas à grand-chose, si ce n'est à stigmatiser une partie de nos concitoyens.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Cette proposition de loi nous a précisément donné l'occasion de creuser le sujet et d'identifier un certain nombre d'obstacles juridiques conventionnels et européens.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-7 rectifié vise à retirer de la proposition de loi les dispositions relatives au Dalo.

L'amendement COM-7 rectifié est adopté.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - Le sous-amendement COM-8 rectifié, portant sur un amendement de la rapporteure au fond, vise à exempter les bénéficiaires de la protection temporaire de la condition de durée de résidence.

Le sous-amendement COM-8 rectifié est adopté.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-9 vise à substituer au critère de l'affiliation au titre d'une activité professionnelle celui de la détention d'un titre de séjour autorisant à travailler.

L'amendement COM-9 est adopté.

M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-10 vise à repousser l'entrée en vigueur de la proposition de loi à une date fixée par décret, afin de laisser aux organismes gestionnaires le temps d'adapter leurs systèmes d'information.

L'amendement COM-10 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport de Lauriane Josende sur la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, présentée par notre collègue, Jacqueline Eustache-Brinio.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - L'éloignement des étrangers auteurs de troubles à l'ordre public, notamment les sortants de prison, a été affirmé comme une priorité par les gouvernements successifs ; plusieurs instructions et circulaires ont invité les services de l'État à placer prioritairement en centres de rétention administrative (CRA) les étrangers les plus dangereux.

Or, il s'avère que les étrangers aux profils les plus « lourds » sont aussi les plus difficiles à expulser, que cela soit dû à la réticence des États concernés ou aux stratégies d'évitement mises en oeuvre par les intéressés.

La durée de la rétention administrative peut constituer un levier permettant de favoriser cet éloignement. Certes, l'on objectera que la majorité des éloignements a lieu dans les premiers mois de la rétention administrative. Toutefois, une part non négligeable des éloignements a lieu entre 60 et 90 jours, soit dans les dernières prolongations du régime de droit commun : en 2024, cela représentait 958 éloignements, soit 14 % des éloignements réalisés.

Considérant tant l'impérieuse nécessité d'éloigner ces personnes que les difficultés particulières auxquelles se heurte cet éloignement, le législateur a prévu un régime particulier pour les étrangers condamnés pour des activités terroristes. Les articles L. 742-6 et L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) prévoient ainsi que les intéressés peuvent être maintenus en rétention jusqu'à 180, voire 210 jours, contre 90 jours pour le droit commun.

Plus précisément, l'article L. 742-6 permet de prolonger, sur décision du juge, la rétention d'un étranger jusqu'à 180 jours dès lors que les conditions cumulatives suivantes sont réunies : la rétention doit découler d'une condamnation à une peine d'interdiction du territoire prononcée « pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal » ou d'une décision d'expulsion « édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées » ; l'éloignement de l'étranger doit constituer une « perspective raisonnable » ; enfin, l'assignation à résidence doit ne pas être suffisante.

L'article L. 742-7 prévoit qu'« à titre exceptionnel », la rétention peut être à nouveau prolongée par un magistrat pour deux périodes supplémentaires de quinze jours, pour une durée totale de 210 jours.

Le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans une décision du 9 juin 2011 ; il a en revanche censuré les dispositions permettant, dans le cadre de ce régime dérogatoire, une prolongation de la rétention de douze mois supplémentaires - durée pourtant conforme à la directive Retour.

En 2024, moins d'une quarantaine d'individus étaient retenus sur le fondement de ces dispositions. Si le taux d'éloignement n'est pas supérieur à celui de l'ensemble des étrangers retenus, on peut noter que plus de la moitié des laissez-passer consulaires délivrés en 2024 l'ont été au-delà du quatre-vingt-dixième jour de rétention, qui correspond au terme du régime de droit commun. Autrement dit, sans cet allongement de la rétention, le nombre d'éloignés aurait été divisé par deux.

La proposition de loi de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio vise à étendre ce régime dérogatoire aux étrangers ayant fait l'objet d'une condamnation pénale pour des faits graves.

Elle reprend en partie une disposition que notre commission avait adoptée en octobre dernier, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes.

Son article 1er étend l'application de l'article L. 742-6 du Ceseda aux personnes condamnées à une peine d'interdiction du territoire ou ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement édictée pour un comportement « pénalement constaté » au titre d'infractions qu'il énumère. Il s'agit des infractions mentionnées à l'article 706-47 du code de procédure pénale, soit celles qui donnent lieu à une inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV), ainsi que celles mentionnées à l'article 706-73 du même code, c'est-à-dire les infractions qui relèvent de la délinquance et de la criminalité organisées. Sont aussi mentionnées d'autres infractions : meurtre, torture ou acte de barbarie, traite des êtres humains, proxénétisme.

Son article 2 modifie le dernier alinéa de l'article L. 743-22 du Ceseda, qui confère un caractère suspensif à l'appel de la décision mettant fin à la détention des étrangers qui relèvent du régime de l'article L. 742-6, afin de prendre en compte le nouveau champ d'application de ce régime.

Il me semble que nous ne pouvons qu'approuver l'objet de cette proposition de loi. D'une part, l'allongement de la durée de la rétention administrative pour les profils les plus dangereux devrait permettre de favoriser leur éloignement effectif. D'autre part, le choix de procéder à l'extension du champ d'application du régime dérogatoire prévu par l'article L. 742-6 du Ceseda me paraît judicieux.

Sur le principe, aucune exigence constitutionnelle ni aucune disposition du droit de l'Union européenne ne paraît s'opposer à l'extension de ce régime dérogatoire. Il importe en revanche d'assurer que le dispositif conserve un caractère proportionné afin de limiter le risque d'une éventuelle censure du Conseil constitutionnel.

Ces considérations - et le souci d'éviter tout « angle mort » - m'amènent à vous proposer de revoir les critères d'extension de ce régime dérogatoire.

Le renvoi à une énumération d'infractions présente pour inconvénient de laisser de côté plusieurs infractions graves, y compris des crimes, et de mêler des infractions de gravité inégale.

Figurent ainsi parmi les infractions mentionnées à l'article 706-47 du code de procédure pénale des délits qui ne sont sans doute pas d'une gravité suffisante pour justifier l'application d'un régime aujourd'hui réservé aux personnes condamnées pour des activités terroristes, à l'instar du délit d'« atteintes sexuelles sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité » ou celui de « fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ».

C'est pourquoi je vous propose de retenir un critère tiré du quantum des peines prononcées, pour prévoir que relève du régime dérogatoire de rétention l'étranger qui a fait l'objet d'une décision d'éloignement édictée au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d'emprisonnement - ce qui me paraît recouvrir des infractions suffisamment graves.

Je vous propose également deux autres critères, qui ne sont évidemment pas cumulatifs.

D'abord, la peine d'interdiction du territoire français. Il s'agit d'une peine prononcée, à titre définitif ou temporaire, par le juge pénal, qui peut être infligée à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'au moins trois ans. En vertu de l'article 131-30 du code pénal, la juridiction doit tenir compte de la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, ainsi que de la nature, de l'ancienneté et de l'intensité de ses liens avec la France, avant de la prononcer.

Il me paraît raisonnable de prévoir que tout étranger tombant sous le coup d'une telle peine puisse relever du régime dérogatoire de l'article L. 742-6 du Ceseda, quelle que soit l'infraction à l'origine de la condamnation. Quoique prononcée de manière croissante par le juge répressif - 5 568 en 2023 -, cette peine ne l'est pas non plus à la légère, comme le montrent les données de la Chancellerie.

Ensuite, la menace « d'une particulière gravité » pour l'ordre public que constituerait le comportement de l'étranger.

À la différence des autres critères que j'ai énoncés, ce critère ne fait pas référence à l'existence d'une condamnation passée. Il permet donc de prendre en compte la situation de personnes qui, sans nécessairement avoir fait l'objet d'une condamnation pénale, représentent une menace particulièrement grave pour l'ordre public - par exemple en cas de radicalisation violente ou de liens avec un groupe terroriste.

Il s'agit d'une notion déjà utilisée par le passé, qui, en matière d'expulsions, a donné lieu à une jurisprudence relativement abondante du Conseil d'État. En relèvent tant des étrangers entretenant des relations avec des groupes armés d'action violente ou terroriste que des étrangers ayant commis des infractions d'une particulière gravité - homicide volontaire, viol, agressions et trafics de stupéfiants - ou répétées.

Toujours à l'article 1er, je vous propose de préciser que la provocation ou l'apologie du terrorisme font partie des condamnations pénales relevant de l'article L. 742-6. Vous reconnaîtrez là une disposition déjà adoptée par le Sénat à l'occasion de l'examen de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste.

En ce qui concerne l'article 2, je suggère un amendement qui vise, dans un souci de cohérence, à aligner son périmètre avec celui qui est proposé pour l'article L. 742-6 du Ceseda.

Enfin, je vous propose d'adopter un article additionnel visant à simplifier le séquençage des prolongations de la rétention administrative de droit commun.

L'affaire du meurtre de la jeune Philippine a, en effet, révélé les limites du régime juridique des prolongations prévues par l'article L. 742-5 du Ceseda, qui sont les troisième et quatrième prolongations du régime de droit commun - les dernières -, dont la durée est de quinze jours - du 60e au 90e jour.

La libération du suspect est le résultat d'une erreur de droit - dont il s'avère qu'elle est malheureusement loin d'être isolée - dans l'interprétation de la condition tenant à la menace à l'ordre public. Contre la lettre même du texte, et à l'instar de plusieurs cours d'appel, le juge a exigé que cette menace à l'ordre public résulte d'un comportement survenu dans les quinze derniers jours, c'est-à-dire pendant la rétention administrative de l'intéressé !

En outre, le motif tiré de ce que l'autorité administrative doit établir que la délivrance des documents de voyage « doit intervenir à bref délai » s'avère d'un maniement difficile. En imposant aux services de l'État d'établir la délivrance prochaine d'un laissez-passer consulaire, il fait reposer sur eux une charge de la preuve quasiment impossible. Au surplus, il va bien au-delà de ce qu'exige la directive Retour, c'est-à-dire simplement une « perspective raisonnable d'éloignement » et des « efforts raisonnables » de la part des autorités.

Par conséquent, je vous propose d'unifier le régime de ces prolongations : les deux prolongations prévues par l'article L. 742-5 seraient fusionnées en une seule prolongation de 30 jours, dont les motifs seraient ceux de l'article L. 742-4, qui régit la deuxième prolongation.

Du fait d'un jeu de renvois dans le Ceseda, cette modification s'appliquerait également à la dernière prolongation du régime dérogatoire - de 180 à 210 jours.

Cette mesure de simplification me paraît répondre à un véritable besoin : elle mettrait fin à l'incertitude juridique qui résulte de l'ambiguïté des motifs de prolongation prévus à l'article L. 742-5 du Ceseda et allégerait aussi la charge des services de l'État, notamment en matière d'escortes.

Elle serait sans effet sur la durée maximale de la rétention administrative, qui demeurerait fixée à 90 jours ou, pour le régime dérogatoire, à 210 jours. Elle serait aussi sans conséquence sur les droits des personnes retenues, qui peuvent solliciter leur remise en liberté à tout moment.

Je vous propose par conséquent d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée, qui me paraît constituer un dispositif équilibré, de nature à favoriser l'éloignement effectif des étrangers en situation irrégulière les plus dangereux.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, auteure de la proposition de loi. - Je remercie la rapporteure d'avoir amélioré ce texte important, dont le but est de protéger les Français contre des individus particulièrement dangereux qui menacent leur sécurité. Nous devons absolument nous donner les moyens de les éloigner, et je rappelle que le droit européen autorise une durée de rétention qui peut aller jusqu'à dix-huit mois.

M. Christophe Chaillou. - Nous sommes dans un contexte bien particulier, rappelé par Marie-Pierre de La Gontrie, avec une série de textes qui visent l'affichage davantage que l'efficacité. Je note aussi que ce texte apparaît désormais timoré au regard des dernières déclarations du ministre de l'intérieur - ce matin même -, qui propose de porter la durée de rétention à dix-huit mois.

Au-delà des slogans, de la communication, comment pouvons-nous agir concrètement ? Les CRA ont été conçus pour éloigner des personnes en situation irrégulière du territoire français ; ils n'ont pas vocation à devenir des prisons bis.

Nous devons certes nous interroger sur la constitutionnalité des nouvelles mesures, mais aussi sur leur utilité. Or nous ne disposons d'aucune étude d'impact, et les effets de la prolongation de la rétention à 90 jours sur l'augmentation des éloignements semblent, au mieux, très faibles.

Par ailleurs, la multiplication des profils dangereux au sein des centres de rétention rend leur gestion plus difficile et crée des situations de tension. Il est fréquent que de jeunes policiers soient affectés en CRA pour leur premier poste et, pour en avoir discuté avec des responsables de la police, cela n'encourage pas vraiment les vocations, alors que les besoins sont immenses sur la voie publique. Je n'ose pas imaginer le coût pour la société d'une rétention qui serait portée à dix-huit mois, contre sept mois au maximum dans la proposition de loi.

Nous avons donc un désaccord profond sur ce texte, qui participe d'une certaine dérive et ne nous semble pas opérationnel, car il passe à côté de l'essentiel. Il faudrait surtout mettre à profit le temps d'incarcération des individus dangereux pour préparer les mesures d'éloignement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Comme Christophe Chaillou l'a justement noté, l'inflation de la durée de la rétention administrative ne cesse pas !

Par ailleurs, dès lors que Mme Josende se réfère aux délais autorisés en droit européen, il faut s'attendre à ce que nous ayons une discussion juridique intéressante en séance. En effet, la France est dotée d'une Constitution et un certain nombre de règles s'appliquent à la détention sans titre. Il s'agit bien de cela : à partir de quel délai considère-t-on qu'une personne est privée de liberté sans avoir été jugée ?

Christophe Chaillou a parfaitement exposé notre position, il nous semble que nous assistons à une dérive inquiétante...

M. André Reichardt. - J'entends Christophe Chaillou motiver son opposition à la proposition de loi par le fait que, pour optimiser la mise en oeuvre des reconduites à l'étranger, il faudrait mieux utiliser le temps de rétention administrative...

M. Christophe Chaillou. - J'ai parlé du temps d'incarcération !

M. André Reichardt. - D'accord. C'est précisément ma question : la recherche d'une solution ne commence-t-elle pas avant la rétention administrative ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Christophe Chaillou. - Elle devrait !

M. André Reichardt. - Autant que je sache, les efforts en matière de reconduites sont multiples et variés. Ce n'est pas faute de chercher à expulser ces personnes n'ayant rien à faire sur le territoire français. Simplement, les pays qui devraient les accueillir ne les acceptent pas.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. -

Notre rôle est bien de regarder ce qu'il est possible de faire au niveau du droit, en particulier dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du contrôle de proportionnalité. Nous en discuterons en séance, mais mon analyse est que le dispositif proposé est justifié et proportionné.

L'éloignement n'est pas possible pendant l'incarcération. Si les démarches peuvent être enclenchées en vue de la sortie de prison, il est rare que l'éloignement puisse avoir lieu immédiatement. La personne est donc souvent placée en rétention. Mais, cela a été dit, les pays d'accueil rechignent à accepter le retour des profils les plus dangereux ou des personnes ayant commis les infractions les plus graves, celles-ci faisant elles-mêmes tout leur possible pour empêcher l'éloignement.

Enfin, il y a bien une intervention régulière du juge. Même si la décision est administrative, la rétention est placée sous le contrôle du juge et sa prolongation est autorisée par celui-ci.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Non !

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Je le rappelle, la mise en liberté peut être demandée à tout moment et les personnes retenues peuvent exercer leur droit de recours, avec l'assistance de conseils. Enfin, cette prolongation est proposée, c'est bien parce que cela permet de travailler plus efficacement à l'éloignement, a fortiori pour les profils que vous avez cités, monsieur Chaillou.

M. Christophe Chaillou. - Il serait nécessaire de mesurer l'impact sur les contentieux, ceux qui concernent les étrangers ayant explosé ces derniers temps - je le constate au tribunal d'Orléans depuis l'ouverture du CRA. On risque donc d'engorger encore plus la justice administrative et judiciaire. Enfin, vous avez indiqué que la commission des lois est attachée à la constitutionnalité des mesures - c'est tout à fait normal. J'en déduis que le ministre de l'intérieur l'est moins lorsqu'il fait certaines annonces. Je l'ai entendu ce matin, il se disait convaincu d'avoir le soutien du bloc central et j'imagine que la majorité sénatoriale soutiendra le texte.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Pour l'instant, mon cher collègue, nous débattons du texte de la commission.

Comme c'est l'usage, il me revient, avant d'examiner les amendements, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la rétention administrative des étrangers.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Comme je l'ai exposé, l'amendement  COM-3 vise à modifier le champ d'application du régime dérogatoire prévu par l'article L. 742-6 du Ceseda.

Afin de ne retenir que des infractions d'une gravité suffisante et ne pas laisser de côté des infractions graves, je propose de recourir à un critère tiré du quantum de la peine prononcée, qui s'élèverait à cinq ans ou plus d'emprisonnement. Il s'agit d'un seuil déjà utilisé dans le Ceseda pour déterminer la gravité des infractions, par exemple à l'article L. 631-1 pour lever certaines protections contre l'expulsion. Cela correspond aux violences ayant entraîné une incapacité temporaire de travail supérieure à huit jours, accompagnées d'une circonstance aggravante, ou aux agressions sexuelles. Ce seuil permet ainsi de prendre en compte les infractions les plus graves, conformément à l'ambition de la proposition de loi.

Cet amendement retient deux autres critères, que j'ai évoqués : le fait que l'étranger soit sous le coup d'une peine d'interdiction du territoire français et le fait que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

Enfin, il tend à préciser que les faits de provocation ou d'apologie du terrorisme relèvent bien du critère tiré d'une condamnation au titre d'activités terroristes.

Deux autres amendements sont en discussion commune.

J'émets un avis défavorable à l'adoption de l'amendement COM-1, qui tend à supprimer la condition pour le maintien en rétention tirée de ce « qu'aucune décision d'assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant » de l'étranger. Je comprends bien l'intention de son auteur, mais son adoption, me semble-t-il, serait susceptible de fragiliser l'article 1er.

En effet, le Conseil constitutionnel prend en compte, dans le contrôle de proportionnalité qu'il exerce en la matière, la circonstance voulant que le placement en rétention n'est susceptible d'intervenir qu'en dernier ressort, si une mesure d'assignation à résidence n'est pas suffisante pour parer au risque de fuite. Supprimer cette exigence pourrait le conduire à censurer l'ensemble des dispositions.

En outre, la directive Retour comporte la même exigence pour le recours à la rétention administrative, à savoir que l'application de mesures moins coercitives ne suffise pas.

Même avis pour l'amendement COM-2. Si celui-ci procède d'une volonté de simplification que je partage totalement, la référence à toutes les infractions prévues par le livre II du code pénal, soit les atteintes aux personnes, n'est toutefois pas satisfaisante car elle ne tient pas compte de la gravité des faits, ce qui est un élément important pour la proportionnalité du dispositif.

On trouve dans le livre II du code pénal des infractions d'une gravité variable, comme les menaces ou les délits non intentionnels. Sont également laissées de côté des infractions graves qui ne se trouvent pas dans ce livre II, comme certains crimes ou délits contre les biens - vols aggravés, notamment accompagnés de violences - ou les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation - sabotage, atteintes à la sécurité, etc.

Pour les raisons que j'ai évoquées, il paraît préférable de s'en tenir à un critère tiré du quantum de la peine.

M. André Reichardt. - Autant je peux comprendre votre avis défavorable sur l'amendement COM-2, autant je m'interroge sur votre réaction quant à l'amendement COM-1. En l'état actuel, l'administration est obligée d'apporter la preuve d'un fait négatif, ce qui est impossible à faire. Dès lors, le juge va se substituer à l'administration et c'est lui qui dira si l'assignation à résidence permet, ou pas, le contrôle de l'étranger. C'est pourquoi j'aurais volontiers supprimé ce critère et ne suis pas franchement convaincu par votre argumentation tirée du risque constitutionnel.

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Il me paraît important que le dispositif conserve un caractère proportionné : le fait que la rétention n'intervienne qu'en dernier ressort est à cet égard un élément important, même si je comprends bien vos réserves. J'ajoute que cette exigence ne paraît pas, dans la pratique, poser problème ; du moins les services de l'État ne nous en ont pas fait part.

L'amendement COM-3 est adopté. En conséquence, les amendements COM-1 et COM-2 deviennent sans objet.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - L'amendement COM-4 procède, par coordination, à la modification du dernier alinéa de l'article L. 743-22 du Ceseda, qui prévoit les cas dans lesquels l'appel contre la décision mettant fin à la rétention revêt un caractère suspensif.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 2

Mme Lauriane Josende, rapporteure. - L'amendement COM-5 procède à la simplification du séquençage de la rétention administrative.

Il s'agit de supprimer les deux prolongations de quinze jours prévues par l'article L. 742-5 du Ceseda - qui sont les deux dernières du régime de droit commun, de 60 à 90 jours -et de les remplacer par une seule prolongation de 30 jours.

Il est proposé de reprendre les motifs de rétention aujourd'hui prévus par l'article L. 742-4 du Ceseda, qui sont moins restrictifs et, surtout, posent beaucoup moins de difficultés d'interprétation. La durée maximale de rétention reste donc fixée, dans le droit commun, à 90 jours.

L'article L. 742-7 du Ceseda, régissant les dernières prolongations du régime dérogatoire, de 180 à 210 jours, doit être modifié en conséquence, car il comporte un renvoi à l'article L. 742-5, que je vous propose d'abroger.

L'amendement COM-5 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme JOSENDE, rapporteure

3

Modification des conditions d'application du régime dérogatoire prévu par l'article L. 742-6 du CESEDA

Adopté

M. REICHARDT

1

Suppression de la condition tenant à ce qu'aucune décision d'assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger

Rejeté

M. REICHARDT

2

Prise en compte de toutes les infractions contre les personnes, sans considération de leur gravité

Rejeté

Article 2

Mme JOSENDE, rapporteure

4

Extension du champ d'application du caractère suspensif de l'appel interjeté contre une décision mettant fin à la rétention administrative

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 2

Mme JOSENDE, rapporteure

5

Simplification du séquençage de la rétention administrative

Adopté

Proposition de loi visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l'avortement, et par toutes les femmes, avant la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l'avortement.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui un texte d'une grande importance historique et symbolique. Il y a cinquante ans, le 17 janvier 1975, était adoptée la loi légalisant le recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en France. Cette adoption a mis fin à des décennies de souffrance et de silence pour de nombreuses femmes contraintes de recourir à l'avortement dans l'illégalité, parfois au péril de leur vie.

Dans son célèbre discours à la tribune de l'Assemblée nationale, la ministre de la santé de l'époque, Simone Veil, évoquait les « 300 000 » femmes qui avaient chaque année recours à l'avortement clandestin. Aujourd'hui, nous savons que cette réalité concernait un nombre certainement plus important de femmes. Les travaux menés par des historiens à ce sujet ne permettent pas de fixer un chiffre certain, mais ils fournissent une estimation du nombre d'avortements clandestins annuel comprise entre 800 000 et un million.

Les travaux historiques se heurtent encore, cependant, à la difficulté de recueillir des témoignages de cette expérience, autour de laquelle le sentiment de honte persiste. En 2022, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) a lancé un projet de grande ampleur visant à documenter l'expérience de l'avortement avant la loi Veil. Il a reçu 400 réponses de témoins à sa sollicitation. Néanmoins, faute de moyens, seulement 79 témoignages ont pu être recueillis, offrant une perspective éclairante sur le nécessaire devoir de mémoire à ce sujet.

Derrière les chiffres, il faut voir la réalité tragique de ces situations. Des centaines de milliers de femmes se retrouvaient, souvent seules, devant une décision impossible : prendre le risque d'avorter dans l'illégalité, pour un prix souvent extrêmement élevé, auquel il faut ajouter le risque de complications médicales en raison des conditions sanitaires dans lesquelles l'avortement était réalisé. Ces situations étaient d'autant plus tragiques que ces choix étaient en grande partie dépendants du milieu social de ces femmes. Alors que certaines, issus de milieux favorisés, avaient la possibilité de recourir à l'avortement de façon sécurisée dans des cliniques suisses ou belges, les femmes de milieux plus populaires devaient subir une intervention dangereuse, dans des conditions beaucoup plus précaires.

Pour elles et pour les personnes pratiquant l'avortement, le code pénal prévoyait des sanctions sévères, pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 100 000 francs d'amende. De fait, le nombre de condamnations annuelles pour des faits d'avortement a atteint près de 5 000 pendant le régime de Vichy, et avoisinait encore 300 à 500 personnes par an avant la promulgation de la loi Veil.

La proposition de loi déposée par notre collègue Laurence Rossignol vise à faire reconnaître cette souffrance et ce préjudice, en réhabilitant la mémoire de ces femmes et des personnes condamnées sur la base de cette législation.

Le dispositif retenu s'inscrit dans la continuité de celui qui est prévu par la proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, adoptée en première lecture par le Sénat en novembre 2023.

D'une part, il prévoit la reconnaissance formelle par l'État des atteintes portées aux droits des femmes par la législation condamnant l'avortement et du préjudice subi par les personnes condamnées pour avoir pratiqué l'avortement. À la différence de la proposition précitée, aucune compensation financière n'est prévue du fait du préjudice qui serait reconnu par la loi.

D'autre part, il est proposé de mettre en place une commission nationale indépendante, placée auprès du Premier ministre, chargée de recueillir et transmettre la mémoire de ces préjudices.

Il n'y a pas de débat sur la souffrance qu'ont enduré les femmes du fait de cette législation. Mais il peut exister un débat sur la meilleure façon de mettre en place une loi mémorielle afin de réhabiliter celles qui ont subi de ces souffrances. C'est pourquoi nous avons mené, avec l'auteure de la proposition de loi, une réflexion et un travail communs en vue de lever les possibles ambigüités du dispositif. En accord avec elle, je vous présenterai deux amendements visant à clarifier la formulation et le contenu du texte, et à faciliter son adoption.

En premier lieu, la reconnaissance d'un « préjudice » subi par les personnes concernées est source d'incertitude. Comme vous le savez, la notion de « préjudice » comporte une dimension juridique qui pourrait, en conséquence, ouvrir la voie à des procédures judiciaires de compensation financière, alors que cela n'est pas prévu par le texte. Les auditions que nous avons menées nous ont également permis d'identifier une difficulté supplémentaire concernant les personnes ayant pratiqué l'avortement ; si certains agissaient dans le cadre de leur vocation médicale ou dans un but principalement humanitaire, d'autres ont pu tirer un avantage financier de la détresse de ces femmes, voire l'exploiter.

Afin de limiter l'incertitude juridique que cette notion de préjudice pourrait engendrer, je propose d'adopter un premier amendement, visant à reprendre la formulation de la proposition de loi concernant les personnes condamnées pour homosexualité. Nous pourrons ainsi supprimer la notion de préjudice tout en reconnaissant la souffrance et le traumatisme des victimes.

En second lieu, la commission prévue par la proposition de loi comprendrait deux parlementaires, un membre du Conseil d'État, un magistrat de la Cour de cassation, trois représentants de l'État, trois professionnels de la santé gynécologique des femmes et trois représentants d'associations oeuvrant pour le droit des femmes et l'accès à l'avortement. Cela porte le nombre de membres à une douzaine, ce qui en fait une structure relativement lourde. Par ailleurs, les auditions que nous avons menées avec des historiens spécialisés dans l'histoire des femmes et de l'avortement nous ont permis de saisir l'importance des travaux historiques engagés à ce sujet, notamment en partenariat avec l'INA.

Il paraît donc opportun de remplacer les représentants de l'État par des historiens et chercheurs spécialisés sur le sujet, qui seront plus à même d'évaluer les enjeux symboliques et historiques de la reconnaissance des victimes. Mon second amendement propose donc d'alléger la structure prévue, ainsi que la présence d'historiens et de chercheurs en son sein.

Vous l'aurez compris, cette proposition vise à réhabiliter les femmes contraintes à l'avortement clandestin. Leurs souffrances ne pourront pas être effacées, mais leur reconnaissance par l'État permettra d'entretenir la mémoire des victimes et de leur rendre hommage, alors que nous commémorons cette année les cinquante ans de la loi Veil.

Présentant des amendements dont l'objet est simplement de rendre le dispositif plus efficace et opérationnel, je vous propose d'adopter la proposition de loi ainsi modifiée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de cette présentation et de ce que nous comprenons être un soutien à ce texte. Quelques modulations dans la rédaction ont, en effet, été examinées avec son auteure et ont recueilli son accord.

Je vous remercie surtout d'être revenu sur ce qui, jusque voilà peu, était considéré en France comme une double transgression. Ainsi, en 1939, Édouard Daladier qualifiait l'IVG de « fléau social compromettant l'avenir de la race ». Le régime de Vichy en a fait un crime contre la sûreté de l'État, passible de la peine de mort. Le nombre de personnes condamnées se monte à 11 000. Il est donc important de reconnaître cette histoire.

Comme l'a indiqué le rapporteur, il n'est pas question d'indemnisation ; il s'agit de regarder cette période, assez longue, pendant laquelle la situation des femmes était traitée violemment sur le plan pénal et sur le plan social.

Je remercie donc le rapporteur et confirme l'accord de l'auteure, dont je ne suis que le porte-voix, sur les amendements proposés.

Mme Catherine Di Folco. - Le rapporteur a terminé son intervention en évoquant la nécessité de réhabiliter les femmes... Le terme « réhabiliter » - qui renvoie à une mesure individuelle, judiciaire ou légale, qui efface une condamnation pénale et ses conséquences - est-il le bon ? Les femmes dont nous parlons ont été victimes, non coupables.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur - Il fallait entendre ce terme dans son sens commun : je parlais de réhabiliter la mémoire de ces femmes. Par ailleurs, je l'ai employé dans mon intervention, mais il n'apparaît pas dans la proposition de loi.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Avant d'entamer l'examen des amendements, nous devons arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à la mémoire des avortements clandestins et à celle des personnes les ayant subis ou pratiqués.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - J'ai déjà exposé le sens de mon amendement COM-1. Du fait de l'importance de la reconnaissance symbolique et politique, il ne doit y avoir aucune ambiguïté, notamment sur ses conséquences en matière judiciaire. D'où la proposition de remplacer le terme « préjudice », qui pourrait prêter à confusion, par la reconnaissance des souffrances et traumatismes subis.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - S'agissant de l'amendement COM-2, j'ai également indiqué que la commission instituée à l'article 2, dont la vocation est essentiellement mémorielle, s'inscrit dans le prolongement d'importants travaux engagés par les historiens, notamment en partenariat avec l'INA. Il est donc proposé de prévoir explicitement la présence d'historiens dans cette commission.

M. François Bonhomme. - Nous connaissons, de par l'expérience que nous avons de ce type de textes, les difficultés pouvant découler des lois mémorielles. Nous aurions tout intérêt, lorsque c'est possible, de privilégier la notion de travail historique et historiographique par rapport à celle de mémoire. Le premier est soumis à quelques règles essentielles, alors que la seconde est labile et sujette à enjeux.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - C'est bien tout l'objet de cet amendement : remplacer les représentants de l'État par des historiens et chercheurs, pour indiquer l'importance des travaux de recherche historique.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. FRASSA, rapporteur

1

Reconnaissance des souffrances et traumatismes subis par des personnes condamnées pour avoir pratiqué des avortements

Adopté

Article 2

M. FRASSA, rapporteur

2

Présence d'historiens et chercheurs et allègement de la commission rattachée au Premier Ministre

Adopté

Proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues.

M. Louis Vogel, rapporteur. - Mes chers collègues, c'est pour mettre fin à une situation paradoxale, pour ne pas dire aberrante, que notre collègue Laure Darcos a déposé la proposition de loi soumise à notre examen ce matin. En effet, la volonté de favoriser le droit de vote des personnes détenues peut conduire, dans certains cas, à changer l'issue d'une élection, pour des raisons, non pas de choix démocratique, mais de pure logistique.

Permettez-moi de présenter brièvement l'état du droit.

Les personnes détenues remplissant les conditions prévues pour l'ensemble des citoyens disposent du droit de vote, sauf à avoir été déchues de leurs droits civiques par décision de justice. On en dénombre aujourd'hui environ 57 000. Jusqu'en 2019, ce droit pouvait s'exercer de deux manières : en obtenant une autorisation de sortie ou en votant par procuration.

Je vous rappelle que les conditions du vote par correspondance étaient, avant l'épidémie de covid, particulièrement restrictives et, à vrai dire, peu adaptées à des détenus parfois très isolés sur le plan social. Quant aux autorisations de sortie, elles étaient, et sont toujours, accordées de façon prudente, afin d'éviter les évasions.

Ces facteurs conduisaient à un faible taux de participation des détenus, avoisinant 2 %.

La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a cherché à faciliter l'exercice de leur droit de vote par les détenus.

Elle a ouvert la possibilité pour les personnes détenues de s'inscrire, non seulement dans leur commune de rattachement initiale, dans les conditions du droit commun, mais également dans les communes énumérées à l'article L. 12 du code électoral, qui sont celles dans lesquelles les Français établis hors de France peuvent demander à être inscrits en raison de leur expatriation. A été ajoutée à cette liste la commune d'inscription du conjoint de la personne détenue, de son partenaire de pacte civil de solidarité (Pacs) ou de son concubin.

Surtout, pour donner suite à une promesse faite par le Président de la République en 2018, la loi de décembre 2019 a créé un droit de vote par correspondance des personnes détenues.

Il ne s'agit pas, en vérité, d'un véritable vote par correspondance. En effet, la contrainte de faire parvenir aux détenus le matériel électoral de leur commune de rattachement, puis de renvoyer leur bulletin de vote sous double enveloppe dans les délais requis a paru trop difficile à surmonter. Il a donc été choisi de créer un bureau de vote virtuel au sein des établissements et de prévoir que les détenus votant par correspondance sont inscrits sur les listes électorales de la ville chef-lieu du département. À la fin des opérations de vote dans le lieu de détention, l'urne est transportée au chef-lieu, dans un bureau de vote où sont regroupées les urnes de tous les établissements pénitentiaires du département.

Cette procédure, qui se traduit, pour les détenus, par la possibilité de voter sur place, a fait accroître de manière importante leur participation : en 2024, leur taux de participation a atteint 22 % pour les élections européennes et 19 % pour les élections législatives. Ces résultats sont incontestablement importants, même s'ils ne sont pas à la hauteur de ce qu'un tel dispositif dérogatoire aurait pu laisser espérer.

Dans le même temps, ce dispositif dit de « vote par correspondance » des détenus suscite d'importantes difficultés, tant théoriques que pratiques.

D'abord, selon les termes utilisés par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi de décembre 2019, il conduit « à rompre tout lien personnel entre l'électeur et la commune d'inscription » et « méconnaît la tradition de notre droit électoral ». Pour que la dérogation soit acceptable, il faudrait que l'objectif de favoriser le droit de vote des détenus n'ait pas d'effet disproportionné du fait de la suppression du lien entre l'électeur et la commune où son vote est décompté. Or tel peut être le cas.

En 2019, le Conseil d'État relevait que, dans au moins six chefs-lieux - Tulle, Bar-le-Duc, Arras, Melun, Évry-Courcouronnes et Basse-Terre -, le nombre d'électeurs susceptibles d'être inscrits au titre du nouveau dispositif représentait 5 % du nombre des électeurs inscrits. Dans plusieurs autres communes, dont Alençon, Bordeaux, Pontoise et Bobigny, ce taux dépasse 2 %. À Évry, les détenus représentent plus de 9 % du corps électoral, soit 1 300 inscrits - le plus gros bureau de vote de la ville -, du fait de la présence dans le département de la prison de Fleury-Mérogis.

Le ministère de l'intérieur nous a même indiqué un cas où près de 11 % du corps électoral de la ville chef-lieu est constitué par les détenus du département, tous comptabilisés dans ce chef-lieu.

Chacun comprend que ces votes sont de nature à faire basculer les résultats des élections. Cette situation serait inadmissible tant pour les prochaines élections municipales que pour les élections locales dans leur ensemble, pour lesquelles les niveaux de participation peuvent être faibles et les écarts étroits.

Je veux insister sur un point : ce n'est pas le contenu du vote des détenus qui est déterminant. C'est la modalité qui est contraire au principe démocratique, dans le sens où ce vote peut déterminer l'issue des élections locales, alors même qu'il est sans portée démocratique, sans lien avec le territoire. Il s'agit, au sens propre, d'un vote hors sol !

Inversement, lorsque le vote des détenus s'exerce lors d'un scrutin pour lequel il existe une circonscription unique au niveau national, le vote par correspondance, quand bien même il est décompté dans la ville chef-lieu du département, ne pose aucune difficulté. Il en va ainsi des élections européennes et de l'élection présidentielle, dont je rappelle qu'elle relève d'une loi organique spécifique, et pas du code électoral. Il en va de même pour les référendums.

Reste une question qui nous a posé difficulté, celle des élections législatives. Dès lors qu'il s'agit d'élections nationales se déroulant dans le cadre d'une circonscription locale, les inconvénients du système demeurent. Je considère donc, eu égard notamment à la faiblesse de l'écart de voix qui caractérise certaines élections législatives, que, là encore, le lien avec la circonscription doit être réel, et non purement formel.

En résumé, face au risque de contestation des résultats de certaines élections municipales, il est nécessaire de faire évoluer dès à présent le système de vote par correspondance des détenus. Certains maires m'ont indiqué, au cours des auditions, qu'ils n'hésiteraient pas à saisir le juge en mettant en avant l'importance des résultats du bureau de vote centralisant les voix des détenus si l'issue du scrutin leur est défavorable.

La proposition de loi de Laure Darcos vise donc à mettre en place un véritable vote par correspondance, en supprimant l'inscription sur les listes électorales de la ville chef-lieu du département et en permettant le vote par correspondance dans toutes les communes dans lesquelles il est possible pour les détenus de s'inscrire dans le cadre du vote par procuration. D'ailleurs, elle élargit encore cette liste. Ce sont là a priori des mesures de bon sens.

Mes auditions ont toutefois montré que les difficultés logistiques ayant conduit au choix de la centralisation des votes par correspondance au sein des bureaux des chefs-lieux de département demeurent.

Si la distribution du matériel de vote par l'intermédiaire des préfectures est susceptible d'être organisée, l'envoi et, surtout, la réception en temps utile des enveloppes du vote par correspondance restent problématiques. Il s'agit là d'une difficulté consubstantielle au vote par correspondance, qui, conjointement avec la possibilité de fraude, avait conduit à son abandon en 1975.

Je regrette vivement que des contraintes logistiques ne permettent pas de concilier vote par correspondance et rattachement territorial des électeurs détenus. J'admets cependant la réalité de ces difficultés, qui, si j'en crois les auditions des représentants de l'administration pénitentiaire et du ministère de l'intérieur que j'ai menées, sont permanentes.

Faute de pouvoir trouver un moyen de concilier ces deux objectifs, je vous propose donc, en accord avec l'auteure de la proposition de loi, de distinguer les élections se déroulant dans le cadre d'une circonscription locale - élections locales et législatives - des élections se déroulant dans le cadre d'une circonscription nationale - élections au Parlement européen et élection présidentielle, auxquelles s'ajoutent les référendums.

Le vote par correspondance des détenus serait ainsi maintenu dans ses modalités fixées par l'actuel article L. 12-1 du code électoral pour les élections à circonscription nationale unique et les référendums. En revanche, pour les élections locales et législatives, les détenus voteraient sur la base d'une autorisation de sortie ou d'une procuration.

Cette solution me paraît d'autant plus respectueuse de l'objectif de favoriser l'exercice du droit de vote par les détenus que les modalités du vote par procuration ont été sensiblement accrues en 2019, s'agissant des communes au sein desquelles il est possible pour les détenus de s'inscrire - cette possibilité étant élargie par la présente proposition de loi, à la commune de leurs descendants. Par ailleurs, il est désormais possible, pour les détenus comme pour tout citoyen, d'accorder une procuration à une personne résidant hors de la commune où ils sont inscrits. Enfin, les représentants de l'administration pénitentiaire m'ont indiqué que celle-ci était susceptible de se mobiliser pour favoriser le recours au vote par procuration pour les prochaines élections municipales.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vous soumettrai un amendement qui me paraît trouver le meilleur équilibre possible entre, d'une part, la volonté partagée par tous de favoriser l'exercice par les détenus de leur droit de vote et, d'autre part, le lien indispensable entre l'électeur et le territoire que son vote concerne.

Il ne faut pas encourager la participation pour elle-même : elle n'a de valeur que si le droit de vote conserve son sens démocratique.

Je vous propose d'adopter la présente proposition de loi, ainsi modifiée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cette proposition de loi peut laisser perplexe quant à ses effets. À l'exception de certains, qui en ont été privés, tous les détenus devraient pouvoir exercer leur droit de vote. Le taux de participation constaté montre que c'est loin d'être le cas ! Pourtant, cet aspect importe si l'on considère que les détenus devraient pouvoir s'insérer dans une vie normale.

Le code électoral prévoyant déjà les modalités d'exercice de leur droit de vote, est-il bien nécessaire d'apporter des modifications ? Sur ce sujet, je me réfère au rapport de Françoise Gatel et de Mathieu Darnaud sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, examiné en 2019 : nos collègues avaient constaté que très peu de communes étaient concernées et que le fait de se concentrer sur la commune chef-lieu de l'établissement pénitentiaire était sans doute la manière la plus efficace de prendre en compte les votes. Cette commune chef-lieu est d'ailleurs le lieu de domicile légal du détenu, même si cela peut paraître curieux.

Nous nous demandons donc, à ce stade, si ce texte est bien justifié. Il me semble que seules deux communes pourraient être concernées, dont Évry-Courcouronnes, à laquelle est rattaché l'établissement de Fleury-Mérogis. En résumé, je ne peux qu'exprimer ma perplexité.

M. Jean-Michel Arnaud. - J'aimerais avoir des précisions sur les modalités de l'autorisation de sortie, notamment pour la commune susceptible d'accueillir le détenu désireux d'exercer son droit de vote.

M. Louis Vogel, rapporteur. - Les magistrats, après avis des directeurs des établissements pénitentiaires, accordent les autorisations de sortie afin que le détenu puisse aller voter, mais sont réticents compte tenu des risques d'évasion qu'elles créent.

Madame de La Gontrie, tous les chefs-lieux de département sont en principe concernés, même si c'est dans des proportions variables. Lorsque j'étais maire de Melun, les voix des détenus étaient au nombre de 500, ce qui n'était pas sans incidence sur le résultat du scrutin, alors que les intéressés n'avaient pas de lien avec la commune et n'étaient pas en mesure de se prononcer sur les programmes, qu'ils ne connaissaient pas. C'est un détournement complet du résultat électoral !

Ce constat d'un dysfonctionnement a été établi de manière tout à fait transpartisane au cours des auditions. À Évry, le bureau où votent les détenus est le plus fourni, alors même que la prison ne se situe même pas sur le territoire de la commune, ce qui est aberrant.

M. André Reichardt. - Je n'ai pas très bien compris en quoi cette proposition de loi améliorera le taux de participation pour le vote par procuration, l'extension à la commune des descendants me semblant être la seule modification concrète. Renvoyez-vous à un texte réglementaire le soin d'améliorer la situation ?

M. Louis Vogel, rapporteur. - Le vote par procuration était peu efficace jusqu'à la loi de 2019, qui en a considérablement élargi les modalités.

M. André Reichardt. - Les délais vont rester les mêmes...

M. Louis Vogel, rapporteur. - J'ai indiqué que les délais d'envoi du matériel électoral étaient trop longs pour le vote par correspondance, sans oublier un risque de fraude. Le vote par correspondance est donc volontairement restreint.

Au contraire, le vote par procuration ne pose aucun problème de délai. Ses conditions d'exercice, déjà assouplies par la loi de 2019, le sont encore davantage avec cette proposition de loi. Il sera donc possible pour un détenu de trouver un mandataire dans de bonnes conditions.

Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'exercice de leur droit de vote par les personnes détenues.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Louis Vogel, rapporteur. - L'amendement COM-1 tend à réserver le vote par correspondance aux seules élections dans lesquelles il existe une circonscription unique au niveau national, soit aujourd'hui l'élection présidentielle et les élections européennes.

Pour les élections dans lesquelles la circonscription est locale, il est proposé que les personnes détenues puissent voter dans le cadre d'une autorisation de sortie ou du vote par procuration, dont le recours a déjà été élargi en 2019 pour les détenus et que la proposition de loi prévoit d'élargir encore.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. Louis VOGEL, rapporteur

1

Vote par correspondance pour les seuls scrutins à circonscription unique et les référendums

Adopté

Proposition de loi visant à garantir le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Françoise Dumont, rapporteur. - Chers collègues, la proposition de loi que nous allons examiner aujourd'hui fait suite aux travaux de la mission d'information d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier, qui s'est achevée en mai dernier.

Comme le préconisait la mission d'information, le texte vise à renforcer le suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents toxiques pour leur santé, notamment afin de favoriser la reconnaissance des maladies professionnelles au sein de la profession. En effet, les progrès scientifiques récents ont permis de mieux identifier les risques encourus par les soldats du feu, sans que ces derniers fassent nécessairement l'objet d'un suivi renforcé.

Il n'est nul besoin de rappeler les multiples dangers auxquels les sapeurs-pompiers font face, au quotidien, pour assurer le secours et la protection de leurs concitoyens. Les risques d'accidents du travail, qui représentent 99 % de la sinistralité déclarée chez les agents des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), sont désormais largement documentés.

Ces dernières années, la recherche internationale a également permis de mieux expertiser les risques de maladies professionnelles consécutives aux expositions répétées des sapeurs-pompiers à des substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.

Il est ainsi désormais avéré que le contact quotidien avec les produits de combustion des incendies, les matériaux de construction - dont l'amiante - ou encore les produits chimiques contenus dans les mousses anti-incendie et les retardateurs de flamme est susceptible de conduire au développement de pathologies graves, y compris des années après l'exposition.

Aussi, depuis 2022, le Centre international de recherche sur le cancer catégorise l'activité de sapeur-pompier comme cancérogène. Il relève notamment un risque d'apparition plus élevé de 58 % que pour la population générale pour le cancer du mésothéliome, et de 16 % pour le cancer de la vessie. Des preuves plus limitées existent s'agissant d'une prévalence accrue des cancers du côlon, de la prostate ou du mélanome.

Or, si les risques médicaux sont désormais mieux documentés à l'échelle internationale, le nombre de maladies professionnelles déclarées chez les sapeurs-pompiers demeure à un niveau particulièrement faible en France. Loin d'être réjouissant, ce constat pourrait, selon le rapport d'information de nos collègues, refléter un phénomène de sous-déclaration d'ampleur des pathologies imputables au service.

De fait, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) n'a recensé que vingt-quatre déclarations de maladies professionnelles pour les sapeurs-pompiers professionnels en 2023, représentant 0,5 % de la sinistralité pour cette catégorie d'emploi. La Caisse indique, en outre, qu'aucun cancer professionnel n'a été détecté chez ces agents entre 2013 et 2025.

La faiblesse de ces chiffres ne peut qu'interpeller au regard des connaissances scientifiques récentes dont je viens de vous faire part, et nous amener à nous interroger quant aux obstacles scientifiques, administratifs ou humains à la reconnaissance de l'origine professionnelle de certaines pathologies.

Cette question est primordiale, puisque, en l'absence de la reconnaissance d'une maladie professionnelle, l'agent ne peut ni voir ses frais médicaux pris en charge par le Sdis, ni bénéficier du congé pour invalidité temporaire imputable au service assurant un niveau de revenu équivalent, ni percevoir l'allocation temporaire d'invalidité.

À cette question primordiale, nos deux collègues auteures de la proposition de loi répondent en pointant du doigt les difficultés des sapeurs-pompiers à démontrer le lien entre leur pathologie et les missions exercées dans le cadre de leur fonction.

En effet, hormis pour certaines maladies figurant dans les tableaux annexés au code de la sécurité sociale et disposant, en conséquence, d'une présomption d'imputabilité au service, il revient à l'agent d'établir que sa pathologie est essentiellement et directement causée par son activité afin d'obtenir la reconnaissance de la maladie professionnelle.

Or, comme l'a démontré la mission d'information, bien trop souvent, le malade ne dispose pas de preuves matérielles recensant les expositions à des agents toxiques année après année et n'est donc pas en mesure d'objectiver l'origine professionnelle de sa maladie.

Pourtant, le cadre réglementaire impose une telle traçabilité : l'obligation de réaliser un relevé d'exposition à des substances nocives figure, en effet, dans un décret en date du 5 novembre 2015. Celui-ci prévoit que l'autorité territoriale réalise annuellement une synthèse relevant l'ensemble des activités potentiellement exposantes de l'agent, et délivre, lorsque ce dernier quitte le Sdis, un document cumulant toutes les synthèses annuelles. Ces documents sont, en théorie, conservés pour une durée de cinquante ans.

Toutefois, de l'aveu même des directeurs de Sdis, ces dispositions sont aujourd'hui très imparfaitement mises en oeuvre. Cela est particulièrement préjudiciable, puisque des relevés d'exposition incomplets, voire inexistants, rendent presque impossible la démonstration de l'imputabilité au service, le conseil médical ne disposant alors d'aucun élément factuel.

En conséquence, la présente proposition de loi entend répondre à ces défaillances par deux leviers. D'une part, elle prévoit l'inscription dans la loi de l'obligation, pour le Sdis, de réaliser une fiche d'exposition dès lors qu'un sapeur-pompier a, dans le cadre de ses fonctions, été au contact d'agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. La production effective de ces fiches d'exposition doit faciliter la démonstration du lien entre la pathologie d'un pompier et son activité, y compris si cette dernière a pris fin il y a plusieurs années.

D'autre part, la proposition de loi prévoit la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition, dont les Sdis pourraient se saisir afin de garantir une traçabilité exhaustive et standardisée entre tous les départements.

L'inscription de cette obligation - aujourd'hui réglementaire - dans la loi doit entraîner un réel sursaut de la part des employeurs pour se conformer aux normes en vigueur. Si certains Sdis sont proactifs et ont adopté des dispositifs de suivi mieux-disants que les obligations réglementaires, d'autres sont malheureusement en situation de décrochage. Le renforcement de la portée de ces obligations par l'adoption du présent texte doit permettre de mettre fin à cette inégalité. En outre, l'octroi d'une valeur législative à ces dispositions leur garantit une protection plus forte, puisqu'elles ne pourront être amoindries par de futurs décrets et feront l'objet d'un suivi attentif et régulier par le Parlement.

La proposition de loi prévoit, en complément, la publication d'un modèle national de fiche d'exposition à des facteurs de risques spécifiques à l'activité des sapeurs-pompiers, afin de faciliter le respect des obligations de suivi par les employeurs. En effet, comme l'ont indiqué les directeurs de Sdis, les spécificités de l'exposition des pompiers rendent très difficile l'évaluation exacte des risques de contamination, puisque ceux-ci varient pour chaque intervention, en fonction du type d'incident ainsi que du port ou non des équipements de protection. En l'absence d'instructions nationales, les modalités de traçabilité s'avèrent très disparates et souvent incomplètes, donc inutilisables par le patient et le médecin agréé.

Faisant suite aux recommandations de la mission d'information et anticipant ainsi quelque peu l'examen de ce texte, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a publié, le 14 janvier dernier, des modèles nationaux de synthèse annuelle d'exposition et d'attestation d'activités potentiellement exposantes.

L'utilisation de ces modèles nationaux par l'ensemble des Sdis doit garantir la standardisation de la traçabilité des activités potentiellement exposantes, permettre une meilleure orientation individuelle des agents vers des examens médicaux de dépistage, ainsi que favoriser la reconnaissance en maladie professionnelle des pathologies, y compris lorsque celles-ci surviennent à distance des expositions.

Dans sa rédaction actuelle, la proposition de loi de nos collègues prévoit que ces modèles soient publiés par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de la fonction publique. Or, les modèles publiés il y a un mois par le ministère de l'intérieur semblent satisfaisants en tous points et ont déjà été communiqués à l'ensemble des Sdis. Par souci de lisibilité et de cohérence, je vous propose donc d'adopter un amendement prenant acte de la publication des documents par la DGSCGC depuis le dépôt du texte, afin de ne pas exiger la parution d'un nouvel arrêté.

Avant de conclure, mes chers collègues, je tiens tout de même à souligner que le renforcement de la traçabilité des expositions à des substances nocives prévu par ce texte doit impérativement se conjuguer avec l'amélioration des dispositifs de prévention à destination des sapeurs-pompiers.

Je pense notamment à la nécessité de garantir une meilleure application des protocoles de sécurité au sein de l'ensemble des établissements, de poursuivre les progrès dans le développement des équipements de protection et, enfin, d'assurer un suivi médical rigoureux des agents ayant été au contact d'éléments polluants ou toxiques pour la santé.

En effet, les dispositions que nous examinons aujourd'hui demeureront dénuées d'intérêt si les pouvoirs publics n'agissent pas en amont pour limiter au maximum l'exposition des agents aux substances susceptibles de les blesser et pour détecter les pathologies au plus tôt.

À cet égard et pour conclure, je salue la création, en 2024, d'un observatoire de la santé des agents des Sdis, qui a pour objet l'amélioration de la connaissance des risques encourus par les pompiers et l'élaboration de consensus sociaux autour de leur prise en charge. Cette nouvelle instance est toute désignée pour assurer le suivi de la mise en oeuvre des dispositions que nous examinons aujourd'hui, en maintenant un dialogue et un accompagnement utile de l'ensemble des parties prenantes.

M. Michel Masset. - Je remercie la rapporteure pour cette présentation. N'était-il pas envisageable d'intégrer un volet dédié à la santé des sapeurs-pompiers dans le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) ?

Par ailleurs, vous avez souvent parlé de sapeurs-pompiers professionnels, mais j'espère que les sapeurs-pompiers volontaires sont eux aussi pris en compte.

M. Pierre-Alain Roiron. - Ce texte s'inscrit dans la continuité de la mission d'information consacrée aux cancers professionnels des sapeurs-pompiers et répond à un enjeu majeur de santé publique : la protection de ceux qui sont en première ligne afin de protéger nos concitoyens.

Les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels sont exposés à des risques graves et souvent invisibles, le Centre international de recherche sur le cancer ayant classé leur exposition aux fumées et aux substances toxiques comme cancérogène, avec des risques avérés de cancers divers. Pourtant, force est de constater que la reconnaissance des maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers reste insuffisante en France, seuls deux types de cancers étant reconnus, contre une vingtaine dans d'autres pays, dont le Canada.

Ce texte vise à combler ce retard en renforçant la traçabilité des expositions aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction. Nous saluons la proposition visant à instaurer un modèle national de fiche d'exposition à remplir pour chaque intervention à risque : elle permettra de documenter précisément les expositions et, ce faisant, facilitera la reconnaissance des maladies professionnelles. La fiche constitue un outil indispensable pour établir un lien entre les pathologies et l'activité professionnelle, notamment pour les cancers qui ne bénéficient pas encore d'une présomption d'imputabilité.

Cette proposition de loi ne doit pas être une fin en soi. Elle doit s'inscrire dans une politique globale de prévention et de protection, incluant notamment l'élargissement de la présomption d'imputabilité, le renforcement du suivi médical post-professionnel et une dotation en équipements de protection individuelle efficaces et certifiés, tels que des cagoules filtrantes, dont le déploiement nous semble encore trop lent.

Par ailleurs, il convient de ne pas minorer les lacunes actuelles en matière de prévention : la gestion fragmentée des risques entre les différents services départementaux, l'absence, jusqu'il y a peu, d'un modèle national de fiche d'exposition et les fortes contraintes budgétaires qui pèsent sur les Sdis ont rendu la traçabilité des expositions inefficace et inégale selon les départements.

Cette proposition de loi va dans le bon sens ; nous la soutiendrons.

Mme Françoise Dumont, rapporteur. - Monsieur Masset, les Sdacr concernent l'échelon départemental, alors que la proposition de loi de nos collègues vise justement une harmonisation de la traçabilité des expositions au niveau national.

Les sapeurs-pompiers volontaires sont bien évidemment concernés par les dispositions envisagées.

Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux modalités de suivi de l'exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Françoise Dumont, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à ne pas imposer la prise d'un nouvel arrêté relatif à la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition, puisque ces documents existent déjà.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme DUMONT, rapporteure

1

Ne pas imposer la parution d'un nouvel arrêté pour la publication de modèles nationaux de fiche d'exposition

Adopté

La réunion est close à 10 h 30.