Jeudi 13 mars 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Lutte contre la vie chère dans les outre-mer - Audition de M. Thibaut Fiévet, sous-directeur de la Direction générale des Douanes et des Droits indirects (DGDDI)

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la lutte contre la vie chère, en vue de présenter les recommandations de notre délégation début avril.

Après notre focus sur les collectivités du Pacifique la semaine dernière, nous accueillons aujourd'hui Thibaut Fiévet, sous-directeur de la fiscalité douanière à la Direction générale des Douanes et des Droits indirects (DGDDI) du ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Il est accompagné d'Inès Monteillet, cheffe du bureau Coordination, loi de finances, énergie et fiscalité frontalière.

Avec mes collègues rapporteurs, Évelyne Perrot et Jocelyne Guidez, nous souhaitons vous interroger sur plusieurs points. J'excuse l'absence de ma collègue Viviane Artigalas, retenue par une autre réunion, ainsi que celle de Dominique Théophile et Teva Rohfritsch, repartis dans leurs territoires. Nos questions porteront notamment sur l'impact des frais d'approche, de la réglementation douanière pour chaque outre-mer et de la fiscalité, en particulier de l'octroi de mer.

Notre objectif est de proposer des évolutions adaptées et les plus concrètes possibles. Le ministre chargé des outre-mer a également annoncé le dépôt d'un projet de loi sur le sujet.

M. Thibaut Fiévet, sous-directeur de la fiscalité douanière à la Direction générale des Douanes et des Droits indirects. - Au sein de la douane, notre sous-direction traite des sujets tels que la taxation du tabac, des alcools, des produits énergétiques et notamment l'octroi de mer.

De plus, la douane étant implantée dans les territoires ultramarins, nous participons activement aux politiques de l'État dans ces régions, tant sur le plan du commerce international que de la lutte contre les trafics.

La lutte contre la vie chère est un sujet d'actualité pour notre administration, à Paris, mais aussi naturellement pour nos collègues sur le terrain, en particulier au sein de la direction interrégionale Antilles-Guyane. Eu égard aux mouvements sociaux survenus en fin d'année 2024, nous avons travaillé à trouver des solutions, ou, a minima, à traduire les engagements de l'État, pour éclairer les décideurs et mettre rapidement en application les décisions prises. Nous avons également contribué à la prise de l'arrêté relatif aux taux de TVA.

Je vous propose de dérouler le questionnaire que vous nous avez transmis.

Sur la transparence, il faut noter que depuis 2019, de nombreuses données anonymisées sont disponibles en ligne. Elles permettent notamment d'analyser les flux entre les départements ultramarins et d'autres territoires, notamment l'Hexagone.

Dans le cadre du secret statistique, il est possible de donner accès, notamment pour des études économiques, aux données non anonymisées à des administrations ou instituts de recherche. Par exemple, la Direction générale des outre-mer (DGOM) est habilitée à utiliser ces données pour établir le rapport transmis à la Commission dans le cadre de la décision outre-mer.

L'article 59 duodecies du code des douanes permet également à la DGDDI, la direction générale des finances publiques (DGFIP) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de communiquer les données collectées sur l'ensemble de leurs missions.

Concernant les frais d'approche, du point de vue de la douane, le principal enjeu pour fluidifier les opérations réside dans le déploiement de téléservices performants. Un certain nombre de téléservices modernisés ont été récemment déployés pour faciliter les déclarations des opérateurs.

Il est important de préciser que déposer une déclaration en douane ne coûte rien. Des frais peuvent éventuellement advenir uniquement si l'opérateur choisit de passer par un tiers, en l'occurrence un représentant en douane, pour réaliser ses opérations douanières.

Le commerce en ligne est un enjeu majeur pour la douane. Bien que nous ne disposions pas de chiffres précis pour chaque territoire ultramarin, nous pouvons indiquer qu'au niveau national, le nombre de déclarations a été multiplié par cinq en quatre ans, principalement en raison du dynamisme du commerce en ligne. Ce sujet est crucial, tant en termes de gestion que de contrôle. Notre mission est de vérifier que le contenu des colis est bien conforme à la réglementation. Nos échanges avec La Poste sont fréquents et fluides. Cependant, nous n'avons pas identifié, dans le délai qui nous était imparti, d'interactions particulières avec les autres opérateurs mentionnés, Isleden et Dommarket.

Concernant l'état des infrastructures douanières, la situation est complexe et hétérogène selon les territoires. Plusieurs facteurs entrent en jeu :

- l'effort national impulsé par la DGDDI, notamment pour la dotation progressive en scanners de basse intensité ;

- la propriété et la localisation des bâtiments ;

- l'implication de la douane dans les projets de développement des opérateurs sur le terrain, comme l'expansion d'un port ou le déménagement d'un aéroport.

Je peux illustrer ces contrastes par deux exemples.

À La Réunion, Le Port dispose d'un bâtiment moderne, sécurisé, récemment rénové et doté d'un scanner basse intensité depuis 2023. Ce bâtiment appartient à l'État, offrant ainsi plus de flexibilité. À l'opposé, le site de Saint-Pierre est plus vétuste et dégradé. Il appartient à la communauté de communes, ce qui limite la marge de manoeuvre de l'État.

Un autre exemple se situe à Mayotte. Le poste de contrôle frontalier de Longoni a été agréé temporairement en 2014 sous réserve de la conduite de travaux par le gestionnaire du port. Ces travaux n'ayant pas été réalisés, l'État envisage désormais de porter un nouveau projet pour créer une infrastructure adaptée au sein du port.

Le sujet de l'octroi de mer est délicat. Vu de la douane, les principales difficultés résident dans le cadre législatif régissant nos relations avec les collectivités territoriales. Contrairement à la fiscalité locale, les collectivités peuvent délibérer à tout moment sur l'octroi de mer. Cette souplesse engendre des complications.

Les délibérations nous parviennent parfois tardivement, entraînant des retards dans la mise en oeuvre des nouveaux taux. Cela peut conduire à une sous-taxation ou une surtaxation temporaire des entreprises, nécessitant des procédures de remboursement et donc une certaine lourdeur administrative.

L'absence de délai fixe complique notre capacité à conseiller efficacement les décideurs politiques en matière de nomenclature douanière et à sécuriser juridiquement les décisions.

Pour améliorer cette situation, nos équipes se sont rendues à La Réunion pour rencontrer les collectivités afin d'optimiser notre collaboration.

Mme Inès Monteillet, cheffe du bureau Coordination, loi de finances, énergie et fiscalité frontalière (DGDDI). - L'accompagnement des collectivités dans l'élaboration des délibérations basées sur la nomenclature douanière - un sujet relativement technique - constitue un réel enjeu.

Il serait bénéfique d'institutionnaliser ce processus en prévoyant une transmission en amont de la délibération, avec une entrée en vigueur différée. Cela nous permettrait de l'intégrer dans les meilleurs délais dans notre Référentiel Intégré Tarifaire Automatisé (RITA), qui gère la liquidation des droits et taxes, et de sécuriser l'élaboration des délibérations par les collectivités.

M. Thibaut Fiévet. - Concernant les frais d'assiette et de recouvrement, nous vous fournirons une réponse plus détaillée par écrit. À première vue, le montant de ces frais peut sembler supérieur aux coûts réels d'administration, mais nous approfondirons ce point dans notre réponse écrite.

L'octroi de mer est actuellement déductible pour les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 500 000 euros. Une déductibilité totale ne poserait pas de difficultés majeures en termes juridiques, mais soulève deux points d'attention :

- S'agissant de l'impact budgétaire, une déductibilité accrue réduirait les recettes fiscales et supposerait donc en parallèle une augmentation des taux de taxes pour maintenir le même niveau de revenus. Il est à noter qu'une précédente baisse du seuil à 300 000 euros n'avait permis d'intégrer que quelques dizaines d'entreprises supplémentaires au dispositif, sans produire les effets escomptés.

- La déductibilité implique l'existence d'une infrastructure comptable adéquate pour les entreprises concernées, laquelle peut s'avérer difficile à mettre en place dans les territoires où la TVA n'existe pas et où les professionnels de la comptabilité sont moins nombreux.

Enfin, selon nos informations, l'octroi de mer n'est pas intégré à la TVA, comme le stipule la loi.

Mme Inès Monteillet. - En effet, pour les importations, la liquidation de l'octroi de mer et de la TVA se font bien séparément. L'octroi de mer externe n'est pas pris en compte dans la base d'imposition de la TVA. Des difficultés peuvent éventuellement survenir pour identifier précisément l'octroi de mer dans le prix de l'opération, mais au niveau de l'importation, la distinction est claire.

Vous nous avez interrogé sur l'intégration économique régionale.

M. Thibaut Fiévet. - Nous n'avons pas identifié de situations où des marchandises provenant de l'espace régional proche des outre-mer devaient transiter par l'Union européenne avant d'être réexportées vers les territoires ultramarins. Du point de vue de la réglementation douanière et fiscale, il n'y a aucun intérêt à procéder ainsi. Certains logisticiens pourraient avoir leurs propres raisons organisationnelles, mais nous n'avons pas de schéma spécifique en tête.

Le poste frontalier communautaire au port de Dégrad des Cannes, en Guyane, a été mis en service en deux temps : en septembre 2024 pour les végétaux et en décembre 2024 pour les denrées animales. Si notre recul reste limité à ce stade, nous n'avons pour l'instant pas observé d'augmentation significative des volumes importés. Cependant, nous constatons que pour certains produits, les importations se font désormais directement depuis les pays tiers, sans passer par Le Havre ou Algésiras. Par exemple, les cargaisons de sardines du Maroc, de poulets britanniques et d'agneaux néo-zélandais sont maintenant directement acheminées vers la Guyane.

Concernant l'adhésion de la Martinique au CARICOM, la Douane n'a pas été particulièrement associée à ce processus. Néanmoins, il convient de rappeler que les accords entre l'Union européenne et le Cariforum datent de 2008, offrant certaines facilités d'importation aux États caribéens dans les territoires européens, notamment en termes de droits de douane. Par ailleurs, fin 2024, la Martinique a été retenue pour participer à un projet européen sur l'information électronique dans le transport de fret, impliquant 14 États membres. Ce projet vise à faciliter les interfaces informatiques entre les logisticiens. La Douane a été contactée pour y participer, bien que son rôle reste à définir.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Vous avez mentionné que les produits venant de l'espace régional proche des outre-mer ne seraient pas obligés de repasser par les ports de l'Hexagone. J'ai lu que dans les outre-mer ne font pas partie du territoire fiscal de l'Union européenne, ce qui permettrait d'ajouter une taxe lors du passage par les ports métropolitains. Lorsque ces produits retournent en outre-mer, sont-ils soumis à une taxation ?

Mme Inès Monteillet. - Une taxation sera toujours appliquée. Un produit venant d'un pays tiers, importé dans l'Hexagone puis exporté vers un DROM sera taxé à l'importation dans l'Hexagone, puis à nouveau lors de son introduction dans le DROM (octroi de mer et TVA).

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Éviter le passage par l'Hexagone permettrait déjà d'éliminer une taxe.

Mme Inès Monteillet. - Étant donné qu'il s'agit de la TVA, si le produit est importé, la TVA à l'importation sera déductible de celle qui sera in fine collectée. Pour un assujetti à la TVA, cela ne pose pas de problème. L'octroi de mer, lui, sera dû quelle que soit l'origine du flux.

Il peut y avoir d'autres taxes, comme les redevances sanitaires, qui ne sont prélevées qu'une seule fois.

M. Thibaut Fiévet. - Les redevances sanitaires sont dues à la réalisation des contrôles au poste frontalier. Concernant la TVA, le mécanisme de déductibilité s'applique et l'octroi de mer est perçu in fine. Le passage par l'Hexagone ne change pas fondamentalement la problématique fiscale. Le prix n'est pas augmenté.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Cependant, les taxes viennent s'ajouter au prix.

M. Thibaut Fiévet. - Effectivement. Cependant, ces coûts supplémentaires sont dus au choix de l'opérateur de faire un détour et non à une quelconque obligation.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Je pensais que ce détour par l'Hexagone était obligatoire pour ajouter une taxe supplémentaire. Nous avons eu l'exemple de cargaisons de crevettes de Madagascar obligées de passer par la Bretagne avant d'être redistribuées à Mayotte.

M. Thibaut Fiévet. - Effectivement, il semble y avoir des cas particuliers. Nous nous renseignerons auprès de nos spécialistes pour obtenir plus de détails sur ces situations. La seule hypothèse plausible est que ces détours soient liés à un sujet sanitaire. En l'absence d'infrastructures adéquates, les marchandises pourraient être contraintes d'être contrôlées ailleurs avant de revenir. Cependant, un détour dans l'Atlantique m'apparaît excessif, des postes de contrôle plus proches existant certainement. Cette situation nous surprend et nous souhaitons approfondir ce point. Avec votre accord, nous reviendrons vers les administrateurs pour obtenir des exemples concrets, notamment celui que vous avez mentionné concernant les cargaisons de crevettes de Madagascar.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Concernant le narcotrafic, vos services ne sont-ils pas débordés, notamment aux Antilles, où la situation est particulièrement critique ?

M. Thibaut Fiévet. - Nos directions sont fortement impliquées dans cette lutte. Les dispositions prévues dans le projet de loi de lutte contre le narcotrafic sont d'une importance capitale. Le rôle crucial de la Douane à ce niveau a été récemment mis en lumière par la saisie effectuée à Dunkerque, impliquant une livraison en provenance des Caraïbes. Cette problématique est au coeur de nos préoccupations et fait partie intégrante des réflexions sur l'évolution de la stratégie douanière pour les années à venir.

M. Saïd Omar Oili. - Je souhaite aborder une problématique spécifique à Mayotte. Bien que nous ne payions pas de TVA, notre statut au sein de l'Union européenne soulève des questions relatives à certains droits de douane. Après le passage du cyclone Chido, une aide importante a été envoyée à Mayotte. Cependant, les associations se retrouvent confrontées à des frais de dédouanement de 5 000 ou 6 000 euros par conteneur. Cette situation est d'autant plus incompréhensible que l'envoi d'aide humanitaire vers l'Ukraine, par exemple, est exonéré de tels frais. Pourriez-vous nous éclairer sur cette disparité ?

Mme Inès Monteillet. - Les frais que vous mentionnez sont probablement ceux facturés par les représentants chargés des formalités de la douane. Suite au cyclone Chido, la Douane a publié une note aux opérateurs visant à simplifier au maximum la procédure pour l'expédition de biens destinés à l'aide d'urgence à Mayotte. Cette note, disponible sur le site de la Douane, réduit considérablement les formalités douanières. L'association doit simplement se faire connaître auprès de l'administration des Douanes et fournir un inventaire détaillé des biens se trouvant dans le conteneur. Notre objectif était précisément d'éviter le recours à des intermédiaires facturant des frais de représentation.

M. Saïd Omar Oili. - Actuellement, la situation à Mayotte est critique : nous manquons d'eau et de nourriture. J'ai interpellé le préfet à ce sujet, mais sa réponse indique que l'État n'a pas à réquisitionner des conteneurs et qu'il faut négocier avec les transitaires. Cette situation est incompréhensible. Pourriez-vous me transmettre la note dont vous parlez ?

Mme Inès Monteillet. - La note sur les formalités douanières se trouve en première page du site de la Douane.

M. Saïd Omar Oili. - De nombreuses personnes de l'Hexagone, désireuses de nous aider, renoncent à envoyer des conteneurs en raison des frais de douane exigés à Mayotte. Des conteneurs remplis de fournitures scolaires, dont nous avons un besoin urgent à la suite du cyclone, sont bloqués à cause de ces frais.

Mme Inès Monteillet. - Je vous encourage vivement à contacter les services locaux des Douanes. Ils pourront accompagner gratuitement les expéditeurs dans l'accomplissement de leurs formalités douanières.

M. Thibaut Fiévet. - L'État a activé le mécanisme d'urgence d'exonération des droits de douane dès fin décembre pour annuler tous frais sur ce type d'envois. En vertu de l'article 3 de la loi de 2004 sur l'octroi de mer, cette mesure entraîne une exonération totale d'octroi de mer. Ainsi, l'État a agi promptement pour supprimer tout prélèvement public sur ces envois. Les seuls frais restants sont ceux des opérateurs privés chargés des opérations douanières. Comme Inès Monteillet l'a mentionné, nous avons mis en place des mesures pour simplifier au maximum les démarches des opérateurs, tant en termes d'agréments que de documents à fournir. Nous sommes disposés à vous transmettre toute la documentation nécessaire et restons à l'écoute des cas spécifiques que vous pourriez nous signaler. Soyez assuré que l'État fait tout son possible pour éviter les situations que vous décrivez.

M. Stéphane Demilly. - Je souhaite aborder spécifiquement la question de l'octroi de mer, dont vous avez évoqué les difficultés d'application et les aspects techniques. Au-delà de la forme, je voudrais m'intéresser au fond de cette taxe, souvent pointée du doigt comme facteur de renchérissement des prix en outre-mer. La Cour des comptes l'a encore souligné dans son rapport du 5 mars 2024. Le Gouvernement avait annoncé l'an dernier son intention de réformer cette taxe sur les produits importés, considérant qu'elle contribuait à l'inflation des prix. Or, selon une étude menée par le cabinet Action Publique Conseil entre mars et octobre 2024, l'octroi de mer représenterait en moyenne 4,4 % du prix final. Cependant, les écarts de prix avec l'Hexagone varient de 9 % à La Réunion à 16 % en Guadeloupe, avec des pics allant jusqu'à 40 % sur les produits alimentaires, d'après l'INSEE. Cette cherté de la vie dans des territoires déjà touchés par une grande pauvreté est à l'origine de mouvements de colère récurrents, comme l'ont montré les nombreuses manifestations en Martinique, à La Réunion ou à Mayotte.

J'ai plusieurs questions à ce sujet.

Pouvez-vous nous indiquer l'impact réel de l'octroi de mer sur les prix payés par le consommateur ?

Par ailleurs, l'octroi de mer constitue une source essentielle de revenus pour les collectivités ultramarines. Son montant s'élevait à plus de 1,5 milliard d'euros en 2023 pour les territoires concernés (Guyane, Guadeloupe, Martinique, La Réunion et Mayotte), dont 44 millions d'euros pour le seul département de Mayotte, selon le dernier rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locale (OFGC).

Qu'en est-il de l'objectif initial de protection de la production locale ? En effet, force est de constater que les territoires ultramarins demeurent fortement dépendants des importations.

Ne serait-il pas plus pertinent d'agir directement sur les facteurs de renchérissement, notamment en luttant contre les oligopoles maritimes pour réduire le coût du fret, lequel a un impact significatif ?

Enfin, serait-il envisageable d'instaurer une taxe déductible de type TVA ? J'ai bien pris note des difficultés qu'une telle mesure pourrait poser aux petites entreprises. Elle permettrait néanmoins de diminuer le prix de revient et d'apporter plus de transparence aux consommateurs, sans pour autant nuire aux recettes des collectivités. Nos collègues ont d'ailleurs souligné le manque de transparence concernant ces taxes, parfois perçues comme des taxes sur les taxes.

Il est crucial que l'État et les élus s'accordent rapidement sur ces questions, car en 2027, Bruxelles devra se prononcer à nouveau sur la prolongation de cette règle d'exception pour ces territoires.

M. Thibaut Fiévet. - Je vous remercie pour ces questions, bien que je ne sois pas certain de pouvoir répondre à toutes immédiatement, notamment parce que certaines dépassent le champ de compétences de la Douane.

Concernant l'impact sur les prix payés par le consommateur, il est évident que la fiscalité indirecte a un effet, les opérateurs répercutant la taxe initiale tout au long de la chaîne de valeur.

La littérature économique et scientifique s'est beaucoup penchée sur ce sujet ces dernières années, cherchant à mesurer précisément l'impact de l'octroi de mer. La Direction générale du Trésor et la Direction générale des outre-mer ont travaillé sur cette question, mais nous n'avons pas nécessairement de données supplémentaires à apporter pour éclairer ce débat.

Pour ce qui est de l'aspect budgétaire, le chiffre mentionné pour Mayotte me semble légèrement sous-estimé. Nous vérifierons et vous communiquerons les niveaux de rendement précis par territoire. Il est important de garder à l'esprit les deux objectifs de l'octroi de mer : la protection du marché intérieur et une source de revenus pour les collectivités locales.

Le remplacement de l'octroi de mer par une TVA déductible est une piste évoquée notamment par la Cour des comptes. Cette option présenterait l'avantage d'une déductibilité totale, contrairement à l'octroi de mer actuel qui n'est déductible que jusqu'à un seuil de 500 000 euros pour les entreprises. Cependant, cette transition soulève plusieurs difficultés.

L'impact sur le coût de la vie serait difficile à évaluer précisément, la TVA s'appliquant à tous les secteurs contrairement à l'octroi de mer.

Cela nécessiterait une infrastructure comptable solide en termes de ressources humaines dans tous les territoires, ce qui n'est pas nécessairement le cas actuellement, notamment à Mayotte.

L'accord de la Commission européenne serait nécessaire, la décision actuelle sur l'octroi de mer arrivant à échéance en 2027.

Si les autorités françaises souhaitent maintenir un système de taux différentiel sur certains produits après 2027, une nouvelle autorisation de la Commission devra être sollicitée.

Mme Solanges Nadille. - Selon une revue de fiscalité, tout envoi depuis l'Hexagone vers un département d'outre-mer, Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion et Mayotte, ou à l'inverse d'un département d'outre-mer vers l'Hexagone est susceptible d'impliquer le paiement de taxes douanières, TVA et octroi de mer, à son arrivée. Les DOM ne sont en effet pas intégrés dans le territoire fiscal de l'Union européenne. Autrement dit, les envois de marchandises depuis ou vers les DOM sont considérés comme des importations ou des exportations et sont soumis à taxation. Ma question est la suivante : pourquoi les départements d'outre-mer ne sont-ils pas intégrés fiscalement à l'Union européenne comme les départements de l'Hexagone ? Cette intégration ne permettrait-elle pas la suppression de certaines taxes ?

Mme Inès Monteillet. - La distinction des DROM du territoire fiscal de l'Union européenne offre une certaine flexibilité dans l'application des mécanismes fiscaux. Cette différenciation leur permet notamment d'appliquer des taux de TVA plus bas que dans l'Hexagone et de bénéficier d'un régime d'exonération plus étendu.

Cependant, cette situation implique que les échanges entre l'Hexagone et les DROM soient considérés comme des flux import-export. Un régime de franchise s'applique pour les envois entre particuliers. Au-delà de 45 euros, ces flux sont soumis à la TVA à l'importation et à l'octroi de mer. Quelques adaptations sont néanmoins possibles. Par exemple, le seuil de franchise pour les flux entre l'Hexagone et les territoires ultramarins a été relevé à 400 euros.

En résumé, bien que cette situation crée des contraintes en termes de flux commerciaux, elle offre une flexibilité importante pour adapter la fiscalité aux réalités locales, tout en restant soumise à certaines règles du régime de TVA et aux seuils de franchise.

Mme Solanges Nadille. - Selon vous, cette flexibilité pourrait-elle revêtir un intérêt pour les départements et régions d'outre-mer ? La perception au sein des territoires ultramarins est que la France choisit de ne pas les intégrer pleinement dans l'Union européenne afin de maintenir une balance commerciale favorable. Il faut en effet reconnaître que cette dernière demeure positive en grande partie grâce aux contributions des outre-mer.

Mme Inès Monteillet. - C'est un sujet différent de la question fiscale.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Je partage entièrement votre point de vue, car il me semble que nous sommes soumis à des taxes excessives. En tant que citoyens français, il est légitime de nous interroger sur cette situation.

Ma question est la suivante : les agents que nous rencontrons à la sortie des avions relèvent-ils de la même administration que la Douane ?

M. Thibaut Fiévet. - Oui.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour cette clarification.

Concernant les infrastructures portuaires, la Douane a-t-elle été associée à la nouvelle stratégie de déploiement de la CMA-CGM aux Antilles françaises consistant à développer le port de Pointe-à-Pitre ? Êtes-vous matériellement prêts à absorber tous ces flux ?

Je comprends les difficultés auxquelles vous êtes confrontés concernant les modifications liées aux délibérations des différents conseils municipaux. Pensez-vous qu'il serait judicieux de prévoir un document de type CERFA afin de sécuriser les arrêtés pris ?

Enfin, qu'en est-il des relations entre les opérateurs et les gestionnaires du port de Longoni à Mayotte ?

M. Thibaut Fiévet. - Concernant le projet de hub de la CMA-CGM, nos collègues nous ont confirmé être associés aux réflexions et au projet afin d'adapter notre fonctionnement et l'application de la réglementation sur place. La réponse à votre première question est donc positive.

Nous partageons totalement votre idée de la création d'un document unique en matière de délibération. Notre objectif est de nous positionner comme une offre de service pour l'autorité politique locale. Nous souhaitons faciliter sa tâche à plusieurs niveaux, notamment pour l'interprétation de la nomenclature douanière, qui est complexe et évolue chaque année. Nous estimons pouvoir apporter une réelle valeur ajoutée dans ce domaine, les services financiers des collectivités ultramarines n'ayant pas nécessairement les ressources pour suivre ces évolutions.

Nos collègues de la Martinique ont déjà pris des initiatives en ce sens, en développant des outils numériques pour simuler l'impact des baisses de taux d'octroi de mer. Nous aimerions généraliser cette approche pour soutenir les décideurs locaux.

Par ailleurs, la Cour des comptes nous recommande régulièrement d'améliorer la transparence des délibérations. Nous pourrions travailler collectivement avec les autorités locales et la DGOM pour publier les délibérations sur une page douanière dédiée, permettant aux entreprises d'accéder facilement à l'ensemble des taux. Notre objectif est d'assister à la fois les décideurs locaux et les entreprises face à une réglementation complexe.

Une autre recommandation de la Cour des comptes, qui nécessiterait une modification législative, serait de limiter le nombre de taux applicables. Cette approche a déjà été mise en oeuvre avec succès pour la taxation de l'électricité, simplifiant considérablement le paysage fiscal sans susciter de fortes oppositions. Nous pensons que cette piste pourrait être intéressante à explorer pour l'octroi de mer.

Concernant nos relations avec les gestionnaires de port, elles s'articulent autour de deux axes, d'une part, le contrôle des flux, pour lesquels nous entretenons des échanges étroits avec l'autorité portuaire afin d'optimiser la circulation des informations et, d'autre part, l'aspect financier, puisque la Douane est chargée de recouvrer le droit de port, une ressource importante pour l'autorité portuaire, composée de diverses redevances liées à la taille du navire, à la cargaison ou à la valeur des marchandises.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour ces éclaircissements. Nous avons bien compris votre rôle de partenaire des collectivités pour faciliter la gestion des questions douanières. Notre collègue Saïd Omar Oili souhaite poser une nouvelle question.

M. Saïd Omar Oili. - Je vous remercie, Madame la présidente. Je suis récemment rentré à Mayotte avec ma famille. À notre arrivée à l'aéroport, on nous a informés que, venant de l'Hexagone, la valeur des marchandises que nous pouvions apporter ne devait pas excéder 1 000 euros. Malheureusement, nous avions dépassé ce montant : ma petite-fille avait un jouet acheté à 430 euros, l'autre également, ce qui, multiplié par quatre, donnait un total d'environ 1 700 euros. On nous a donc dit que nous devions payer des droits de douane pour le dépassement.

J'ai demandé ce qu'il en serait si nous venions du Kenya, et on m'a répondu que les conditions sont encore plus strictes, avec des règles basées sur l'âge des enfants. Pour un enfant de moins de 15 ans, la valeur des marchandises ne doit pas dépasser 150 euros, et pour un enfant de plus de 15 ans, 430 euros. Cela me semble excessif alors que Mayotte est un département français. Ne pourrait-on pas modifier ces règles ? J'aimerais avoir votre avis sur cette situation.

M. Thibaut Fiévet. - Je ne suis pas certain de pouvoir apporter beaucoup d'éclaircissements sur ce sujet. J'entends parfaitement le point que vous soulevez. Nous n'avons pas nécessairement connaissance de la règle liée à l'âge que vous mentionnez. Nous vérifierons la base juridique qui permet une telle discrimination en fonction de l'âge, ne serait-ce que pour notre information personnelle. Quoi qu'il en soit, nous prenons note de votre remarque et nous transmettrons à nos autorités le sujet que vous soulevez, ainsi que votre souhait de voir cette situation simplifiée. Je comprends tout à fait votre point de vue.

M. Saïd Omar Oili. - Ces informations devraient au moins être affichées à l'aéroport pour les voyageurs venant de l'Hexagone.

Mme Inès Monteillet. - Je pense en effet qu'un effort de communication est nécessaire.

M. Thibaut Fiévet. - Les biens saisis sont stockés dans des entrepôts sécurisés. Nous sommes d'ailleurs confrontés à un véritable enjeu de sécurisation face à l'audace croissante des trafiquants, lesquels n'hésitent plus à surveiller nos dépôts, avec parfois l'intention de récupérer ce qu'ils considèrent comme leur propriété, comme cela a été constaté dans d'autres pays.

Concernant le devenir des biens saisis, les produits stupéfiants sont systématiquement détruits. Les autres biens, tels que les voitures de luxe, sont remis au service des domaines qui procède à leur vente. Certaines sont particulièrement médiatisées. Une vente annuelle se déroule dans l'enceinte de Bercy, présentant les lots les plus représentatifs. La dernière s'est tenue fin 2024. On pouvait trouver de nombreuses pièces d'or et des voitures de sport, toutes issues des saisies douanières.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Qu'en est-il des petites marchandises ?

M. Thibaut Fiévet. - Bien que nous devions vérifier ce point, il me semble que le service des domaines a la possibilité de refuser la mise en vente d'un bien dont la valeur est jugée insuffisante. Dans ce cas, le bien est mis au rebut. Je ne suis cependant pas certain qu'un objet tel qu'une bouteille de rhum soit détruit. Sauf erreur de ma part, il est plus probable que des lots regroupant plusieurs objets de faible valeur soient constitués afin de trouver preneur lors d'une vente aux enchères.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons clore cette audition. Pour faire écho à ce qui a été dit, nous sommes ouverts à toute suggestion d'adaptation législative pouvant permettre d'améliorer le traitement des données.

Nous vous remercions également pour votre implication auprès des collectivités. Il est vrai que ce sujet est extrêmement technique et que parfois, même les entreprises rencontrent des difficultés de compréhension. Votre accompagnement permet de fluidifier les processus et d'anticiper les incompréhensions.