Mercredi 19 mars 2025

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 13 h 45.

Programme de travail de la Commission européenne pour 2025 - Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui afin d'examiner le programme de travail de la Commission européenne pour l'année 2025.

Je voudrais d'abord vous signaler que le calendrier stabilisé de nos travaux vous sera communiqué d'ici la fin de la journée. Nous explorons toujours la possibilité d'auditionner M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe, dès que possible. Nous nous réunirons le mercredi 2 avril pour examiner la proposition de résolution européenne de notre collègue Mme Vanina Paoli-Gagin sur l'ARN extracellulaire. Lors de cette réunion, nous entendrons aussi une communication de notre collègue Pascal Allizard concernant ses récentes activités en tant que président de la délégation française à l'AP-OSCE et représentant spécial pour la Méditerranée.

Enfin, le jeudi 3 avril au matin, nous ferons un point avec la direction générale du commerce et de la sécurité économique de la Commission européenne pour évoquer la réponse de l'Union européenne aux droits de douane annoncés par le président américain Donald Trump. Ce sujet, particulièrement sensible, suscite actuellement une attention accrue, notamment de la part de secteurs hautement concernés tels que les viticulteurs.

Je passe maintenant la parole à Didier Marie sur le programme de travail de la Commission européenne pour l'année 2025.

M. Didier Marie. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour examiner notre proposition de résolution européenne annuelle sur le programme de travail de la Commission européenne. En effet, le 11 février dernier, la Commission européenne a présenté son programme de travail pour 2025, intitulé « une Europe plus audacieuse, plus simple et plus rapide ». Il s'agit du premier programme de la Commission européenne « von der Leyen II » depuis sa désignation, le 1er décembre dernier.

Ce programme formalise, avec un calendrier normatif, les orientations politiques du second mandat de Mme Von der Leyen, ainsi que les lettres de missions des nouveaux commissaires européens. Il lance ainsi les grandes stratégies et les grands chantiers de la Commission von der Leyen II, principalement axé sur les aspects de compétitivité et de sécurité de l'Union européenne. Ce programme a été bâti sur plusieurs constats préoccupants : une récurrence des crises, le retour de la guerre sur le sol européen depuis l'agression de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, une montée d'acteurs étatiques et non étatiques souhaitant remettre en cause les règles internationales ou encore une hausse des prix de l'énergie...

Pour y répondre, le programme de la Commission européenne a pu puiser dans les réflexions structurelles des rapports remis à sa présidente par les deux anciens Premiers ministres italiens Enrico Letta et Mario Draghi, et par l'ancien Président de la République finlandaise, M. Sauli Niinistö. Les deux premiers ont appelé à l'achèvement du marché intérieur et à un « choc de compétitivité » tandis que le dernier a détaillé les moyens, pour l'Union européenne, de mieux répondre aux crises qui peuvent la frapper.

J'y ajoute le rapport 2024 sur le suivi de l'État de droit, dont les enseignements sont aussi très utiles. Il dessine une tendance positive puisque 68 % des recommandations émises par la Commission européenne en 2023 ont été suivies d'effet. Mais il pointe la fragilité de la protection des journalistes dans plusieurs États membres (Chypre, Malte, Slovaquie), souligne les efforts à poursuivre pour assurer l'indépendance de la justice en Hongrie, en Pologne, en Espagne et en Slovaquie, et appelle à une lutte plus efficace contre la corruption en Italie, en Roumanie ou en Irlande.

Cependant, la mise en oeuvre de ce programme va devoir s'adapter aux bouleversements géopolitiques que nous connaissons depuis le retour de M. Trump à la Maison Blanche qui ont rendu le contexte international particulièrement instable.

Je vous en rappelle les principaux : un rapprochement diplomatique russo-américain inédit et la volonté du président américain d'imposer un cessez-le-feu rapide en Ukraine, l'avertissement des autorités américaines aux chefs d'État et de gouvernement européens leur demandant de prendre en charge les garanties de sécurité de l'Ukraine ainsi que leur défense, les prétentions territoriales américaines sur le Groenland, ou encore la nouvelle guerre commerciale déclarée par Washington à ses alliés en relevant les tarifs douaniers sur les importations européennes...

La Commission européenne s'est donnée pour slogan dans son programme annuel une Europe plus rapide et c'est une orientation pertinente, tant les événements internationaux se succèdent et se multiplient à une vitesse incontrôlable. Au risque de fragiliser les orientations politiques établies par la présidente de la Commission européenne en juillet 2024, et l'exhaustivité du programme de travail qui date pourtant seulement du mois dernier.

Toutefois, pour relever ces défis, l'Europe doit renforcer sa capacité de réaction face aux évolutions de son environnement externe et interne. Il est crucial de préserver et de renforcer nos atouts, tels que le marché unique, la protection des consommateurs et des citoyens, ainsi que notre modèle d'État de droit, face aux pressions venues de l'intérieur ou de l'extérieur.

Malgré l'importance de ces bouleversements et des remises en cause qu'ils entraînent, l'Union européenne doit tenter de poursuivre et d'achever ses objectifs de long terme. Ceci pour garantir l'avenir du continent européen. J'entends par là la décarbonation de nos industries, la transition numérique, la neutralité carbone de notre continent d'ici 2050, l'élaboration de règles commerciales et de concurrence allant de pair avec une vraie politique industrielle européenne, la garantie et la protection des droits de chacun et la reconnaissance de l'économie sociale.

Je souhaiterais donc insister sur quelques éléments de contexte autour de la présentation de notre résolution sur le programme de travail de la Commission, avant que Jean-François Rapin détaille le contenu de ce programme et de notre résolution dans son intervention.

Je veux tout d'abord évoquer les grandes lignes du programme de travail 2025.

Lors de son discours de candidature à un second mandat à la tête de l'exécutif européen, le 18 juillet 2024, Ursula Von der Leyen présentait ses lignes politiques comme étant celles du « choix de l'Europe » face au monde incertain qui l'entoure et appelait à privilégier « l'union et l'action commune » pour s'adapter à la rapidité des changements plutôt que d'ignorer ces nouvelles réalités à l'échelle mondiale.

Dans cet esprit, le programme de travail pour l'année 2025 met l'accent sur la sécurité de l'Europe et sur la relance de la compétitivité des économies européennes. Ce programme est extrêmement dense avec pas moins de 51 nouvelles initiatives qui seront présentées au cours de l'année. Il faut cependant noter que deux tiers des nouvelles initiatives phares de la Commission européenne sont des textes non-législatifs.

Ces 51 nouveaux textes se répartissent au sein de 7 grandes orientations incluant, je les cite : 1) « Un nouveau plan pour une prospérité et une compétitivité durables de l'Europe » ; 2) « Une ère nouvelle pour la défense et la sécurité européennes » ; 3) « Soutenir les personnes et renforcer nos sociétés et notre modèle social » ; 4) « Préserver notre qualité de vie (sécurité alimentaire, eau et nature) » ; 5) « Protéger notre démocratie » et « défendre nos valeurs » ; 6) « L'Europe dans le monde : user de notre puissance et de nos partenariats » ; 7) « Atteindre les objectifs ensemble et (...) préparer notre Union pour l'avenir ». Cela fait beaucoup...

Il ne faut pas oublier non plus les 123 textes présentés les années précédentes, toujours en cours de négociation, dont certains sont d'une importance capitale. Ces textes concernent notamment les nouvelles ressources propres de l'Union européenne, le projet d'euro numérique ou la lutte contre les abus sexuels sur mineurs en ligne.

37 autres textes seront ou devraient être retirés. Il faut souligner l'ampleur de cet effort au regard des années précédentes (6 retraits en 2024, un retrait et une abrogation en 2023). Ces retraits concernent des textes devenus anachroniques (à l'exemple du projet d'accord Union européenne/Afghanistan, rendu obsolète par le retour des talibans au pouvoir) mais surtout des textes anciens qui demeuraient sans perspective d'accord politique.

En revanche, à notre grand étonnement, ces annonces de retrait concernent aussi la directive sur la responsabilité des systèmes d'intelligence artificielle, dite « directive IA ». Cette directive était censée intégrer un système de responsabilité civile pour les dommages créés par les systèmes d'IA et devait combler des lacunes légales en termes de poursuites judiciaires. Dans une période où la responsabilité des plateformes est au centre des enjeux de souveraineté numérique, évoquée pas plus tard que la semaine dernière dans notre cette commission, le choix de la Commission européenne de retirer la directive IA, au simple motif qu'un accord interinstitutionnel n'est pas « prévisible », nous interpelle.

L'Europe doit s'adapter aux changements du monde et se donner les moyens de réagir par le biais de priorités politiques rationalisées, claires et identifiées.

Vous l'avez constaté, le programme de la Commission européenne regorge de nouveaux textes et d'une multitude de propositions déjà existantes, toujours en négociations par les colégislateurs. Cette abondance de textes peut d'ailleurs nuire à la cohérence d'ensemble du projet de la Commission. Elle peut ainsi apparaître en contradiction avec l'objectif de simplification, pourtant placé au rang des grandes priorités de son mandat de la Commission. Je rappelle que le récent rapport de notre commission sur la dérive normative de l'Union européenne dressait un constat édifiant sur la complexité du droit européen.

La multiplication des initiatives européennes comporte également un risque élevé de « saupoudrage » des crédits européens, alors que le soutien à l'Ukraine, la décarbonation et la défense de notre fonctionnement démocratique vont exiger des moyens rapides et importants.

Vous l'aurez compris, l'Europe doit aujourd'hui faire des choix, qui seront parfois douloureux, et agir vite sur un certain nombre de priorités définies, consciente que le monde « a changé ».

Voilà pourquoi notre proposition de résolution recommande tout d'abord de diminuer le nombre de priorités politiques, de 7 à 3, en axant le programme sur les priorités suivantes : « le soutien à l'Ukraine, la sécurité des États membres de l'Union européenne et la protection de notre démocratie » ; « la relance de la compétitivité des économies et la préservation de la qualité de vie des citoyens » ; « la voix de l'Europe dans le monde ». Voilà pourquoi nous demandons également à la Commission européenne d'actualiser son programme « en tant que de besoin » en cours d'exécution, si les circonstances l'exigent.

Le programme de travail pour 2025 comprend plusieurs dispositifs importants.

Avant que le président Rapin décrive plus en détail le contenu du programme et nos propositions, permettez-moi d'insister sur plusieurs réformes et dispositifs qui me tiennent particulièrement à coeur.

Je voudrais d'abord dire quelques mots de l'effort de simplification de la réglementation européenne, qui résulte de la « boussole pour la compétitivité ». La Commission européenne en attend une réduction de 25 % des charges administratives pesant sur les entreprises et de 35 % sur les petites et moyennes entreprises (PME) à échéance 2029.

En 2025, cette simplification doit être mise en oeuvre par trois paquets de textes dits « Omnibus », dont le premier vise à simplifier les textes instituant une « finance verte » : règlement sur la taxonomie verte, directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et directive sur le devoir de vigilance, dont j'ai assuré le suivi pour notre commission avec mes collègues Jacques Fernique et Christine Lavarde.

Or, concernant cette réforme, tout en dénonçant certains seuils et en constatant que certaines améliorations possibles du dispositif sont possibles, la résolution européenne du Sénat n° 143 du 1er août 2022, issue de nos travaux, en défendait l'objectif général, à savoir responsabiliser les entreprises sur les conséquences de leurs activités sur les droits de l'Homme et l'environnement. Notre présente proposition rappelle simplement qu'il est nécessaire de simplifier nos règlementations tout en conservant les objectifs que nous nous sommes fixés en matière de décarbonation et de devoir de vigilance des entreprises vis-à-vis de la protection des droits de l'Homme et de l'environnement.

Le deuxième sujet sur lequel je souhaite insister est le « bouclier européen de la démocratie ». C'est, selon moi, une réforme essentielle qui doit dégager des lignes directrices européennes contre les ingérences étrangères et la manipulation de l'information, dont nous avons déjà longuement débattu la semaine dernière, à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution présentée par mon groupe sur la souveraineté numérique européenne. Les récentes campagnes électorales en Moldavie et en Roumanie ont souligné l'importance de la menace et la nécessité de savoir détecter et combattre ces ingérences. L'audition, ce matin, par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de la Vice-première ministre pour l'intégration européenne de la République de Moldavie et de la présidente de la commission de la politique étrangère et de l'intégration européenne du Parlement de la République de Moldavie en a de nouveau démontré le besoin.

Le « bouclier européen de la démocratie » devrait ainsi prévoir des mesures d'éducation numérique et aux médias, proposer la création d'un réseau européen de vérificateurs de fait et réfléchir à la mise en place d'un réseau de détection des ingérences numériques étrangères autour de Viginum, le service français pionnier en la matière.

Enfin, je voudrais dire un dernier mot sur les enjeux sociaux. Sur ce point, la présidence hongroise sortante du Conseil s'est achevée sur une absence décevante d'accord sur les textes relatifs à l'Europe sociale. Or, la relance de la compétitivité européenne sera intrinsèquement liée à l'emploi, à la montée en compétence des travailleurs et à la formation. La Commission européenne a exprimé sa volonté de mettre en place une « Union des compétences » pour promouvoir l'apprentissage tout au long de la vie. Cela passera, entre autres, par un renforcement des alliances d'universités européennes et l'adoption de la directive « stages de qualité » avec des mesures ambitieuses.

Cependant, comme nous vous l'indiquions avec notre collègue Louis Vogel dans notre communication du 5 décembre dernier, les États membres ne se sont toujours pas mis d'accord à ce stade sur le projet de directive. La mise en oeuvre de ces initiatives reste donc incertaine. Il est crucial que les États membres trouvent un terrain d'entente ambitieux pour avancer sur ces questions essentielles, car elles sont déterminantes pour l'avenir social et économique de l'Europe.

Sur le fondement de ce panorama général, Jean-François Rapin va vous présenter les projets de résolution européenne et d'avis politique qui vous ont été soumis et que nous souhaitons consensuels.

Je vous remercie et je passe la parole au président Rapin.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Mes chers collègues, après la présentation générale de notre collègue Didier Marie, je voudrais d'abord faire une remarque générale. Aujourd'hui, l'Union européenne doit agir vite et fort : en priorité pour soutenir l'Ukraine et pour assurer sa propre défense ; pour relancer sa compétitivité ; pour faire entendre la voix de l'Europe dans le monde. Ces trois priorités politiques relèvent de l'urgence.

En revanche, certaines des 51 nouvelles initiatives du programme semblent désormais « accessoires » au regard du contexte international et il nous semble douteux qu'elles puissent toutes être financées et mises en oeuvre.

Ma deuxième observation concerne justement le financement des politiques européennes : sur ce point également, l'Europe doit « redescendre sur Terre ». En effet, il est louable de préconiser un « choc d'investissements » pour le numérique, la recherche, ou la défense mais encore faut-il disposer des ressources nécessaires.

Or, l'Union européenne va devoir faire des choix budgétaires car elle ne va pas pouvoir à la fois financer ses nombreuses nouvelles priorités et rembourser les emprunts contractés pour financer le plan de relance post-covid (NextGenerationEU), pour un montant oscillant entre 25 et 30 milliards d'euros par an à compter de 2028, tout en maintenant une stabilité des contributions des États membres au budget européen et en s'abstenant de mettre en place de nouvelles ressources propres pour ce budget.

À court terme, pour agir vite, la Commission a déjà « changé son logiciel » puisque, pour son plan de financement de 800 milliards d'euros annoncé pour « réarmer » l'Europe (ReArm Europe), elle a décidé d'activer la clause dérogatoire aux engagements du pacte de stabilité et de croissance et la mise en oeuvre d'une fongibilité inédite des budgets européens, puisque le plan serait partiellement financé par une réorientation des fonds de cohésion au profit de la défense. Soyons clairs sur ce point : les récents échanges avec le ministre Barrot et le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), indiquent que, du fait de l'endettement actuel de notre pays, ce plan pourrait n'avoir qu'un faible impact sur notre effort national de réarmement.

Mais à moyen et long termes, les négociations du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne, qui doivent débuter l'été prochain, seront déterminantes pour trouver des solutions pérennes de financement.

Sur ce point essentiel, notre proposition de résolution européenne demande aux États membres de s'accorder rapidement sur l'entrée en vigueur de ces nouvelles ressources propres, mais aussi d'achever l'union de l'épargne et des investissements, ce qui impliquera d'autoriser de nouveau la titrisation, mais en ayant en tête les leçons de la crise financière de 2008. Nous demandons aussi au Gouvernement et à ses partenaires européens, en lien avec les institutions européennes, d'obtenir un accroissement de l'intervention de la Banque européenne d'investissement (BEI) afin que celle-ci renforce son soutien au financement des équipements de défense.

Enfin, j'attire votre attention sur les projets de la Commission européenne pour le prochain CFP. Elle veut d'abord réduire la durée des CFP, de 7 à 5 ans. Elle veut aussi centraliser les fonds dédiés aux politiques européennes « intérieures » en un seul budget et autoriser leur flexibilité maximale en cours d'exécution pour répondre aux crises. Enfin, elle projette de conditionner l'octroi des fonds européens à la mise en oeuvre de réformes préalables.

Le 4 mars dernier, le Gouvernement a réagi par une note exprimant sa position sur ce sujet essentiel : il a d'abord subordonné la défense des nouvelles priorités européennes à la mise en place préalable de nouvelles ressources propres. Par ailleurs, tout en soutenant l'objectif de simplification de l'architecture budgétaire et d'introduction de la notion de « performance » dans l'usage des fonds, il a demandé la sanctuarisation du budget de la politique agricole commune (PAC) et la préservation du rôle actuel des autorités nationales et locales. En revanche, disons-le, sa position est plus floue sur le devenir des fonds de cohésion. Il a aussi exprimé sa méfiance à l'égard de la « flexibilisation » des fonds européens, estimant qu'elle pouvait conduire à une certaine opacité sur l'utilisation des contributions des États membres, ce que l'on peut reconnaître facilement.

Dans ce contexte, notre proposition de résolution européenne demande à la France et à ses partenaires européens de s'opposer à toute tentative de « renationalisation » des budgets de la PAC et de la politique de cohésion, piliers de la souveraineté alimentaire et de la solidarité de l'Union européenne. Sur les autres points, je compte sur le travail à venir de nos collègues Christine Lavarde et Florence Blatrix Contat sur le prochain CFP pour éclairer notre commission.

J'en viens maintenant à notre première priorité, à savoir « le soutien à l'Ukraine, la sécurité des États membres de l'Union européenne et la protection de notre démocratie ». Sur ce point, notre proposition rappelle d'abord le soutien du Sénat à l'Ukraine et demande à la France et à l'Union européenne de poursuivre leur appui aux autorités ukrainiennes, tant dans la défense de leur pays que dans sa reconstruction.

Elle observe également avec étonnement la volonté insistante de la Commission européenne d'intervenir dans le champ de la défense avec la désignation d'un commissaire européen dédié, la présentation d'un programme pérenne pour l'industrie de défense et celle à venir d'un « livre blanc sur l'avenir de la défense européenne ». Étonnement car, aux termes des traités, les États membres demeurent responsables de la défense et ces initiatives ne peuvent avoir pour effet de modifier cette répartition des compétences.

Je veux d'ailleurs sur ce dossier remercier pour leur vigilance nos collègues Dominique de Legge, Gisèle Jourda et François Bonneau. Conformément à la résolution européenne du Sénat sur le programme pour l'industrie de défense européenne (EDIP), nous soulignons que les équipements militaires qui doivent être achetés via ce programme européen doivent être en majorité des équipements conçus en Europe et avec, a minima, 65 % de composants européens, tout en tendant vers les 80 %.

La PPRE accueille aussi avec intérêt le principe d'une stratégie européenne de préparation aux crises, en demandant la valorisation du Mécanisme européen de protection civile contre les catastrophes naturelles et la présentation d'une nouvelle directive européenne afin de reconnaître les spécificités de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires, conformément à la résolution du Sénat qui avait été adoptée l'été dernier, à l'initiative de notre collègue Cyril Pellevat.

Nous faisons également plusieurs propositions sur la santé et je me félicite que ces dernières résultent en partie de notre dialogue avec le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, qui est mobilisé dans le suivi de nos travaux. Ainsi, nous appuyons les efforts en faveur de la cybersécurité des hôpitaux et, surtout, nous vous proposons de soutenir, dans son principe, l'acte sur les médicaments critiques, qui doit encourager la diversification de la chaîne d'approvisionnement et stimuler la fabrication de produits pharmaceutiques dans l'Union européenne. Je compte sur nos collègues Cathy Apourceau-Poly, Pascale Gruny et Bernard Jomier pour examiner cette réforme de près.

Enfin, en cohérence avec les conclusions du groupe de travail sur la santé que j'avais présidé lors des travaux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, nous demandons à la Commission européenne de prendre des initiatives dans l'évaluation sanitaire des aliments transformés et en faveur de la santé mentale.

Notre proposition de résolution européenne soutient aussi la présentation à venir d'une nouvelle stratégie européenne pour la sécurité intérieure contre la criminalité organisée, en particulier contre le trafic de drogue, et contre la menace terroriste, ainsi que l'actualisation de la directive européenne 2008/115/CE sur le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, présentée le 11 mars dernier en réponse à une demande du Conseil européen afin d'améliorer l'effectivité des décisions de retour des intéressés dans leur pays d'origine.

Enfin, sur le numérique, nous insistons sur la nécessité de faire respecter notre cadre numérique européen par tous les acteurs qui veulent bénéficier du marché intérieur, surtout les grandes plateformes en ligne, en cohérence avec la proposition de résolution européenne adoptée la semaine dernière sur le rapport de Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly.

Concernant la deuxième priorité que nous tirons du programme de travail, à savoir « la relance de la compétitivité des économies européennes et la préservation de la qualité de vie des citoyens », nous vous proposons d'abord de suivre les travaux du groupe PAC, animé par nos collègues Daniel Gremillet et Karine Daniel, en approuvant les mesures de simplification des procédures européennes applicables aux agriculteurs et en réaffirmant la volonté du Sénat d'inscrire la PAC au rang des priorités stratégiques de l'Union européenne. Notre proposition s'oppose aussi à la conclusion de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur par la Commission européenne et appelle à des accords de libre-échange enfin conditionnés à une vraie réciprocité dans l'application des normes sanitaires et environnementales. On ne peut pas tout le temps se tirer une balle dans le pied !

Par ailleurs, nous souhaitons réaffirmer l'importance de la pêche artisanale et côtière pour l'économie des régions littorales et appelons l'Union européenne à ne pas supprimer le fonds d'aide européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (FEAMPA). En complément, notre commission répondra à la consultation publique ouverte par la Commission européenne sur l'évaluation de la politique commune de la pêche, sur le rapport de notre collègue Alain Cadec que je remercie.

Il nous faudra examiner sur le fond la « boussole pour la compétitivité » et l'effort de simplification du droit de l'Union européenne qui en résulte avec les paquets Omnibus. L'allègement des charges administratives qui pèsent sur nos entreprises est en effet un impératif alors que celles-ci font face à une concurrence déloyale de plus en plus forte, à la hausse du coût de l'énergie, et bien souvent, à des tracasseries administratives. Mais nous devons bien en évaluer les conséquences.

Notre position, à ce stade, est la même sur le pacte pour une industrie propre, qui vise à accélérer la décarbonation du secteur industriel et à en faire un avantage compétitif pour ce dernier. Nous attendons aussi avec impatience la refonte de la directive sur les marchés publics pour y imposer une « préférence européenne » dans les marchés liés aux secteurs stratégiques.

Au titre des secteurs stratégiques, je n'oublie pas le numérique, dont nous venons de parler, et notre proposition se félicite des initiatives annoncées par la Commission européenne pour le développement de « fabriques d'intelligence artificielle » et pour la mise en oeuvre d'une stratégie quantique, pour laquelle notre pays est chef de file.

Nous sommes aussi soucieux de faire émerger les talents en France et en Europe. Notre proposition s'inscrit ainsi dans le prolongement des travaux de notre commission rapportés par nos collègues Karine Daniel et Ronan Le Gleut sur le nécessaire renforcement des « alliances universitaires européennes ». Elle défend aussi la mise en place d'une « Union des compétences » afin de favoriser l'apprentissage tout au long de la vie.

Par ailleurs, la proposition relève l'importance de la stratégie sur la résilience de l'eau, qui doit être présentée afin de préserver les ressources, d'assurer un accès de tous à l'eau à des tarifs abordables, et d'améliorer la qualité des eaux. Elle rappelle également l'importance de nos travaux récents sur les microplastiques, sur le rapport de nos collègues Marta de Cidrac et Michaël Weber, et sur les « mégacamions », sur le rapport de Jacques Fernique et Pascale Gruny.

Enfin, pour faire entendre « la voix de l'Europe dans le monde », troisième priorité dégagée sur ce programme, notre proposition de résolution européenne se félicite tout d'abord des progrès de l'Ukraine, de la Moldavie et des pays des Balkans occidentaux dans leur processus d'adhésion à l'Union européenne tout en rappelant que chaque candidature devra être évaluée au cas par cas, en fonction des critères de Copenhague. Elle fait également part de notre préoccupation sur l'évolution de la situation en Bosnie-Herzégovine et en Serbie.

En complément, et je sais que cet impératif est particulièrement cher au coeur de nos collègues Gisèle Jourda et André Reichardt, la proposition de résolution appelle à réaffirmer l'importance du partenariat oriental et à le redéfinir, alors que l'Ukraine et la Moldavie avancent vers l'adhésion et que la Géorgie s'en éloigne malheureusement.

La proposition souligne aussi l'intérêt stratégique pour l'Union européenne de réinvestir le bassin méditerranéen, trop longtemps mis au second plan, et de réaffirmer sa vocation au dialogue avec les pays des rives Sud et Est de la Méditerranée par l'adoption prochaine d'un pacte pour la Méditerranée.

Nous soulignons également l'importance des échanges actuels entre l'Union européenne et l'Inde. Cette volonté de partenariat privilégié pourrait aboutir en fin d'année à la signature d'un accord bilatéral sur le commerce et la défense.

Enfin, notre proposition de résolution insiste comme de coutume sur plusieurs priorités transversales.

Elle rappelle avec force que les institutions, agences et organes de l'Union européenne doivent respecter pleinement leurs obligations de multilinguisme et d'utilisation de la langue française, langue officielle de travail de l'Union européenne, dans la lignée de notre rapport sur la « dérive normative » de l'Union européenne. Nous insistons sur ce point chaque année mais c'est absolument nécessaire au regard de la fragilisation de ce multilinguisme.

Notre proposition de résolution demande aussi, la prise en considération, dans toutes les politiques européennes, des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM), ainsi que la présentation d'un « paquet normatif » destiné à adapter les règles européennes aux spécificités des RUP. Cette prise de position est la suite logique de la proposition de résolution européenne de la délégation aux outre-mer, adoptée par notre commission, sur le rapport que nous avions présenté Georges Patient et moi-même il y a quelques semaines.

Enfin, comme chaque année, notre proposition de résolution européenne réaffirme son attachement à la place de Strasbourg en tant que siège de la démocratie européenne.

Mes chers collègues, vous le voyez, les défis sont immenses et c'est un vrai « test de personnalité » que doit relever l'Union européenne.

Une chose est certaine : le statu quo n'est pas une option. La coopération européenne est plus essentielle que jamais. L'Union européenne « institutionnelle » ne doit pas se perdre dans des débats procéduraux car le reste du monde n'attendra pas les États membres s'ils choisissent l'inaction. Méditons l'alerte lancée par M. Mario Draghi dans son intervention du 19 février dernier devant les parlementaires européens et nationaux participant à la Conférence sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). M. Draghi appelait alors l'Europe à se réveiller et à agir, en regrettant que cinq mois après la remise de son rapport sur la compétitivité européenne, aucune réforme concrète n'ait été engagée. Entre temps, le monde change et change même très vite. Je vous remercie.

M. Ahmed Laouedj. - Mes chers collègues, cet exposé sur le programme de travail 2025 de la Commission européenne intervient à un moment crucial pour l'Union européenne. Face aux bouleversements géopolitiques, aux difficultés économiques et aux tensions internationales, il est impératif que l'Europe se dote des moyens nécessaires pour être unie et cohérente. La proposition de résolution européenne que nous soumettons apporte les ajustements indispensables pour rendre ce programme plus clair, plus efficace et mieux adapté aux réalités actuelles.

Nous devons viser une Europe qui protège et affirme sa souveraineté. L'instabilité mondiale, la guerre en Ukraine et l'évolution des relations transatlantiques nous imposent de prendre en main notre propre sécurité. La proposition de résolution soutient la nécessité d'un réarmement stratégique, tant sur le plan militaire qu'industriel. L'Europe ne peut plus se contenter d'être un acteur passif ; elle doit se doter des moyens nécessaires pour garantir sa sécurité collective et celle de ses citoyens.

Une Europe compétitive et innovante, avec l'intelligence artificielle comme levier stratégique, est essentielle pour notre prospérité. La capacité de l'Union européenne à renforcer ses données industrielles, à adopter des mesures pour une industrie propre, à soutenir les PME et à réduire les barrières administratives est cruciale pour préserver notre économie. L'intelligence artificielle représente un défi technologique majeur et l'Europe ne doit pas rester à la traîne face aux États-Unis. Le cadre législatif européen doit être accompagné d'une politique d'investissement massif pour que l'Europe ne soit pas seulement un régulateur, mais aussi un leader en matière d'innovation.

Cela concerne également les questions de défense et la place de l'Europe sur la scène internationale. Nous ne devons pas nous contenter d'être un simple acteur de marché ou un acteur secondaire. L'Europe doit compter dans les grandes décisions géopolitiques. Elle peut être un acteur diplomatique majeur dans les conflits internationaux, que ce soit en Ukraine ou dans d'autres régions. Nous ne devons pas subir les décisions prises par d'autres puissances, mais peser activement dans les négociations de paix et la stabilisation des régions en crise. Le récent rapprochement entre les États-Unis et la Russie montre que l'Europe doit être capable de défendre ses propres intérêts et de garantir la stabilité du continent.

Enfin, la proposition de résolution met en avant le principe fondamental de l'adaptabilité. Dans un monde en perpétuel changement, il est essentiel que l'Union européenne puisse ajuster ses priorités en fonction de l'évolution des situations. Cela passe par une meilleure réactivité, une capacité à redéfinir rapidement ses stratégies en cas de crise. Nous devons soutenir une approche stratégique, économique et diplomatique pour l'Europe, loin d'un programme trop ambitieux et irréaliste. La proposition de résolution permet de recentrer nos efforts sur trois axes fondamentaux : la sécurité et la défense, la compétitivité économique avec l'intelligence artificielle comme levier, et l'influence diplomatique.

L'Europe doit être audacieuse, forte, et faire entendre sa voix dans le monde. C'est à cette condition qu'elle pourra relever les défis du XXIe siècle. Je vous remercie pour votre attention et je soutiens cette proposition de résolution.

M. Jacques Fernique. - Ce programme de travail a été élaboré avec soin, et je suis convaincu que nous pouvons réussir à nous mettre d'accord pour une adoption commune. Dans ce contexte de bouleversements historiques, il est essentiel de fixer des priorités claires dans nos recommandations pour le programme de travail de la Commission européenne. Les trois priorités majeures que nous avons identifiées doivent être mises sur un pied d'égalité. En effet, il est essentiel de ne pas donner l'impression que nous abandonnons notre ambition sociale et notre volonté de durabilité.

Je propose donc de reformuler le point 21, qui est l'un des points essentiels, en ajoutant le mot « durabilité ». Ainsi, dans la définition des priorités européennes au considérant 21, nous suggérons de compléter la priorité relative à la relance de « la compétitivité des économies européennes » pour qu'elle devienne « la compétitivité et la durabilité des économies européennes ». Dans le même alinéa, nous souhaitons que l'accent mis sur la nécessité de « préserver la qualité de vie des citoyens » soit étendu à la protection de « notre modèle social ». Cela permettrait de ne pas perdre de vue nos engagements sociaux, tout en nous demeurant concentrés sur les trois priorités majeures énoncées par les rapporteurs.

Il est évident que si le groupe écologiste avait rédigé ce texte seul, la rédaction de la proposition aurait été différente, notamment les points 53 sur Frontex, 67 sur la Politique Agricole Commune (PAC) et 74 sur les paquets Omnibus. Mais ces points sont, je crois, largement acceptés dans leur rédaction actuelle au sein de notre commission.

Je souhaite également souligner l'importance du considérant 91, qui traite de la nécessité de réguler la fast fashion. En effet, les textiles à bas coût engorgent nos décharges et détruisent notre industrie textile européenne ainsi que nos emplois. Nous sommes également satisfaits que la proposition de résolution reprenne l'essence de la résolution européenne du Sénat sur la limitation de la circulation des camions de 44 tonnes en transit transfrontalier et des méga-camions. Ces autorisations de circulation ne sont pas une solution pertinente pour limiter les émissions de carbone alors que nous cherchons plutôt à promouvoir le fret non-routier et ferroviaire.

Enfin, nous prenons acte de la référence à nos travaux récents sur les microplastiques, mais je voudrais savoir si la proposition de résolution fait référence à l'initiative lancée par cinq pays européens, soutenue par la France, visant une interdiction progressive des « polluants éternels.

Pour conclure, je suis particulièrement satisfait du dernier point, qui affirme et soutient Strasbourg comme capitale de la démocratie européenne.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je tiens à remercier chaleureusement les deux intervenants pour cette présentation riche et exhaustive, qui couvre un ensemble de sujets sur lesquels je n'aurais pas la prétention de m'exprimer en détail.

Permettez-moi de formuler, à mon tour, quelques remarques générales.

Je trouve que le ton de la résolution est très volontariste et qu'elle fixe des priorités qui vont dans le sens des orientations géopolitiques de la Commission européenne. Je suis entièrement d'accord avec l'idée d'un choc d'efficacité et de compétitivité. Cela rejoint d'ailleurs ce que nous avons entendu hier dans l'hémicycle, où nous avons affirmé la nécessité pour l'Union européenne d'être unie, solidaire, volontaire et directement efficace. C'est dans cet esprit que nous avons réalisé, sous l'impulsion de Jean-François Rapin, un rapport sur la dérive normative, soulignant l'importance de disposer d'une Europe stratégique plutôt que bureaucratique.

Je pense qu'il est crucial de répondre à la concurrence des États-Unis par un choc industriel et par la mise en oeuvre résolue d'une politique industrielle. À cet égard, je pense que nous pourrions compléter le considérant 19 de la résolution lorsqu'il évoque légitimement la revitalisation de la base industrielle, par une demande de « mise en oeuvre d'une politique industrielle numérique ». Il ne s'agit pas seulement de parler du numérique, mais de mettre en oeuvre des politiques industrielles concrètes dans ce domaine, englobant les infrastructures numériques, les data centers, les câbles et les logiciels de traitement. Pour certains secteurs, il est pertinent de mettre en place une politique industrielle éthique et ambitieuse.

Cela ne remet pas en cause le sens général de la proposition de résolution ni notre soutien. Notre collègue Didier Marie a d'ailleurs très bien souligné, au considérant 25, la nécessité d'un choc d'investissement pour le développement du numérique. Il est important de préciser qu'il ne s'agit pas seulement de développer les usages du numérique, mais bien de développer une industrie du numérique. Les mots ont leur importance, surtout lorsqu'il s'agit de réaliser des choix stratégiques.

Je souhaite aussi préciser que la cyber-résilience et la cybersécurité doivent être intégrées dans notre politique de défense. Pour autant, la cybersécurité ne se limite pas à la défense militaire ; elle est essentielle pour protéger nos infrastructures et nos données. Il est crucial que nous soyons prêts à affronter les défis cybernétiques.

Ma deuxième remarque concerne le « bouclier européen de la démocratie ». Je tiens à souligner la fragilité des médias et audiovisuels publics et la nécessité de soutenir la liberté des médias. Avec ma collègue Florence Blatrix Contat, nous avons auditionné récemment M. Bruno Patino, le président d'Arte. L'État le sollicite pour accompagner certains pays limitrophes à la Russie afin de renforcer leur environnement médiatique face aux ingérences russes. Toutefois, il est extrêmement compliqué pour Arte de mener à bien ces missions sans les ressources financières suffisantes. Les crédits d'Arte ont d'ailleurs diminué de 13 millions d'euros cette année. Il est essentiel de leur fournir les moyens nécessaires pour lutter contre la désinformation. Le programme « Creative Europe », par exemple, pourrait inclure des dispositifs financiers pour soutenir les médias audiovisuels publics européens dans leur stratégie de vérification des faits et de lutte contre la désinformation.

Enfin, je voudrais souligner l'importance de la révision à venir de la directive sur les services de médias audiovisuels sans frontières, ainsi que de la directive sur le droit d'auteur. Face à l'offensive américaine, il est crucial que les obligations faites aux plateformes de financer la création européenne soient respectées. Il serait pertinent d'ajouter dans la résolution que la Commission doit veiller à l'application des lois européennes et des règlements, et que l'investissement imposé aux acteurs des plateformes agissant sur notre territoire soit une priorité.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Je vais répondre immédiatement à Catherine Morin-Desailly concernant le mode de financement d'Arte. En septembre dernier, nous avions effectué un déplacement de deux jours en Allemagne et à Strasbourg, au cours duquel nous avons visité les locaux d'Arte. Vous avez effectivement soulevé des préoccupations légitimes quant à leurs difficultés financières. Arte bénéficie d'un financement substantiel de la part de l'Allemagne et de la France, ainsi que d'une part de financement européen. Cependant, la répartition de ces financements est souvent complexe à définir. Le fait qu'Arte soit une entité européenne rend la situation encore plus délicate. S'agissant du « bouclier européen de la démocratie », qui vise à prévoir des lignes directrices européennes pour lutter contre les ingérences étrangères et la désinformation, notre commission travaillera sur ce dossier lors de sa présentation à l'automne prochain.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Dernier point, dans le cadre de cette stratégie de reconquête de notre souveraineté et d'une autonomie stratégique, ne faudrait-il pas « remettre sur la table », par exemple en l'intégrant si possible dans cette résolution, la question de la refonte de la certification européenne du cloud (EU Cloud Certification Scheme - EUCS), qui a été abandonnée jusque-là et qui impose un degré de certification faible des données, à la différence de ce que réclamait la France ? Nous avons réellement l'occasion de remettre sur la table la nécessité d'un haut degré d'exigence pour s'assurer de l'immunité des données que l'on confie à nos entreprises face aux lois extraterritoriales.

M. Didier Marie, rapporteur. - Concernant le renforcement des moyens des audiovisuels publics des États membres, c'est d'autant plus important que les États-Unis retirent leur soutien financier aux médias publics indépendants, comme par exemple Radio Free Europe. Si l'Europe ne se substitue pas aux États-Unis, alors Radio Free Europe mettra la clé sous la porte et il n'y aura plus rien pour porter la voix de l'État de droit. S'agissant de la nécessité de veiller à l'application des textes européens par les plateformes numériques, ce point est satisfait au considérant 61.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Mes chers collègues, je vous remercie pour vos observations et pour vos suggestions. En accord avec Didier Marie, je vous indique que nous acceptons vos propositions de rédactions complémentaires car elles ne dénaturent pas l'équilibre général de notre résolution mais, au contraire, l'enrichissent.

Les amendements de Jacques Fernique peuvent être intégrés au considérant 21. L'ajout d'une référence à l'industrie du numérique, suggéré par Catherine Morin-Desailly, me semble particulièrement pertinent au point 19. Il s'agit en effet pour l'Europe de promouvoir le développement de logiciels numériques et de mettre en oeuvre une politique industrielle disciplinée et cohérente. Je suis d'accord avec cette proposition, tout comme l'intégration de l'EUCS à la fin du considérant 61.

Je tiens également à souligner une nouvelle fois, à l'attention notamment des membres de la commission des affaires sociales, la démarche de « co-production » menée avec le président Philippe Mouiller, qui a souhaité appeler notre attention sur les priorités européennes de sa commission sur la santé pour que nous puissions, autant que possible, les intégrer dans notre proposition de résolution. Nous parvenons ainsi à réaliser un travail de qualité au bénéfice du Sénat dans son ensemble.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je voulais remercier les rapporteurs pour cette proposition de résolution exhaustive. Je souhaite par ailleurs appeler votre attention sur une institution que Didier Marie connaît bien, à savoir l'Union interparlementaire (UIP). La semaine prochaine, nous aurons l'assemblée générale à Tachkent, en Ouzbékistan, où différentes résolutions seront discutées en présence de nombreux pays européens. Je me demande s'il n'y aurait pas là une opportunité de rassembler les pays européens autour d'une position commune. La France pourrait jouer un rôle de leader dans cette initiative, en proposant une position qui unirait les Européens autour d'une vision commune pour l'avenir de l'Europe.

M. Didier Marie, rapporteur. - Je ne sais pas encore si cette idée pourrait se concrétiser sous la forme d'une résolution à l'UIP mais les représentants des États membres de l'Union européenne pourraient effectivement porter une proposition forte et unifiée sur la scène internationale pour défendre notre conception de l'État de droit, son respect et la liberté d'expression. Je n'ai pas encore approfondi cette réflexion mais je tiendrai compte de votre sollicitation.

M. Jean-François Rapin, président. - Je mets donc aux voix la proposition de résolution européenne sur le programme de travail de la Commission européenne pour 2025. Elle est adoptée à l'unanimité.

Puis-je considérer que ce vote est le même pour le projet d'avis politique ? Il en est ainsi décidé, je vous remercie.

La commission autorise la publication du rapport et adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne modifiée ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

La réunion est close à 14 h 45.