Mardi 18 mars 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, contre toutes les fraudes aux aides publiques - Examen du rapport pour avis

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Antoine Lefèvre sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, contre toutes les fraudes aux aides publiques.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - L'Assemblée nationale a adopté le 27 janvier dernier une proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques, déposée par Thomas Cazenave. Celle-ci a été renvoyée à la commission des affaires économiques. Notre commission est saisie pour avis sur ce texte et examine plus particulièrement sept articles pour lesquels elle a reçu une délégation au fond. Il s'agit des articles 2 à 2 quater, 3 bis C, 3 ter et 3 quater.

Cette proposition de loi constitue en réalité l'aboutissement de travaux menés par notre collègue député Thomas Cazenave lorsqu'il était ministre des comptes publics. Elle s'inscrit dans la continuité de la feuille de route du plan de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques, présentée en mai 2023 par le ministre des comptes publics de l'époque, Gabriel Attal. Elle s'inscrit également dans un contexte d'accroissement de la fraude aux aides publiques en faveur de la rénovation énergétique.

J'insisterai sur un chiffre pour illustrer l'ampleur de ce phénomène : Tracfin a repéré en 2023 398 millions d'euros de mouvements financiers suspects sur des versements liés au dispositif MaPrimeRénov'. Pour le seul début d'année 2025, ces montants s'élèvent déjà à 74 millions d'euros, ce qui montre que ce phénomène ne pourra être enrayé sans une action résolue du législateur.

Ce type de fraude est en grande partie réalisé par des structures criminelles organisées, qui s'appuient sur des réseaux de sociétés éphémères et bien souvent fictives. Leur but est de percevoir les subventions puis de disparaître rapidement avant que les contrôles n'aient pu être opérés, ce qui complexifie considérablement le travail des enquêteurs.

J'en viens à la présentation des dispositions de la proposition de loi. Je m'attarderai uniquement sur les articles dont l'examen a été délégué à notre commission, en évoquant rapidement les neufs amendements que je vous présenterai tout à l'heure.

Pour résumer mon sentiment, je dirais, à l'instar de Nathalie Goulet, que ce texte n'est pas le « grand soir » de la lutte contre la fraude, mais qu'il contient plusieurs mesures intéressantes, qui permettront, je l'espère, de faciliter le travail des services enquêteurs et de mieux sanctionner les comportements frauduleux.

Plusieurs dispositions assez consensuelles visent à faciliter l'échange d'informations entre acteurs de la lutte contre la fraude. Au regard de la nature des fraudes dont il est question, il me semble important de renforcer la fluidité des échanges entre les différents services d'enquêtes pour identifier plus rapidement les organisations frauduleuses avant qu'elles ne disparaissent.

L'article 2 ouvre ainsi la possibilité à Tracfin de transmettre des informations à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et à la mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf). Il prévoit en outre une clause générale permettant à l'ensemble des administrations d'échanger librement des informations en cas de suspicion de fraude et plus spécifiquement aux agents préfectoraux de recevoir des informations des organismes de protection sociale. Enfin, il oblige les organismes de qualification des acteurs des travaux de rénovation énergétique à transmettre à l'Anah et à la Micaf les informations dont ils disposent qui les aideraient à lutter contre la fraude. Cet article me semble aller dans le bon sens. Je vous présenterai cependant deux amendements de précision technique pour en garantir la bonne application.

L'article 2 ter prévoit de donner accès au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) à l'Anah, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et à l'Agence de services et de paiement (ASP). Cet article est en partie satisfait par l'article 170 de la loi de finances pour 2025, qui a été adoptée en parallèle de l'examen de la PPL « Fraude » à l'Assemblée nationale. Je vous présenterai tout à l'heure un amendement visant à adapter l'article 2 ter en conséquence.

L'article 3 bis C permet aux administrations fiscales et aux organismes de sécurité sociale de se communiquer entre eux toutes les informations sur leurs usagers respectifs pour faciliter le recouvrement des impôts et des cotisations sociales. Cet article est pleinement satisfait depuis l'adoption de l'article 162 de la loi de finances initiale pour 2025. Je proposerai donc sa suppression.

D'autres dispositions de la PPL viennent renforcer les moyens d'enquête de Tracfin et de l'inspection générale des finances (IGF), grâce à l'extension de leur droit de communication.

L'article 2 bis étend le champ des entités auxquelles Tracfin peut demander la communication d'informations dans le cadre de l'exercice. Sont ainsi intégrés les conseillers en gestion d'affaires, les plateformes de facturation électronique et les plateformes de domiciliation d'entreprises, qui sont de nouveaux acteurs clés dans les schémas de fraude. Je vous présenterai tout à l'heure un amendement visant à assurer que ces nouvelles entités ne pourront pas divulguer à des tiers les informations que Tracfin leur demande.

L'article 2 quater renforce les moyens d'investigation des membres de l'IGF en leur permettant d'accéder à certaines informations sans que puisse leur être opposé un secret protégé par la loi. Il répond à plusieurs difficultés opérationnelles rencontrées récemment par les agents de l'IGF dans le cadre de leurs contrôles.

J'en viens maintenant aux articles 3 ter et 3 quater, qui prévoient des mesures d'encadrement de la sous-traitance sur le marché des travaux de rénovation qui, je pense, susciteront le plus de débats au sein de notre assemblée.

L'article 3 ter limite à deux rangs le niveau de sous-traitance pour pouvoir bénéficier de certaines aides à la rénovation énergétique telles que « MaPrimeRénov' » ou l'éco-prêt à taux zéro dit « éco-PTZ ». L'article 3 quater étend quant à lui cette limitation aux travaux ouvrant droit à MaPrimeAdapt'.

Je suis à titre personnel favorable à ce dispositif, qui apporte une vraie réponse aux risques de fraude impliqués par la sous-traitance en cascade. Toutefois, le dispositif de l'article 3 ter est en l'état partiellement inopérant, puisqu'il vise des dispositions du code général des impôts (CGI) qui concernent le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). Or ce crédit d'impôt est en voie d'extinction, dans la mesure où il ne concerne que des dépenses payées jusqu'en 2020, et a été progressivement remplacé par MaPrimeRénov'. L'amendement de réécriture de l'article 3 ter que je vous présenterai tout à l'heure a vocation à corriger cette erreur.

L'article 3 ter prévoit également l'obligation, pour l'entreprise qui réalise la facturation des travaux de rénovation énergétique, de disposer du label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) pour qu'un projet soit éligible aux aides publiques. Cette qualification, permettant de garantir la qualité et la durabilité des travaux de rénovation, n'est aujourd'hui obligatoire que pour les entreprises qui réalisent effectivement ces travaux.

Le but de cette mesure est de limiter l'émergence sur le marché de la rénovation énergétique de sociétés opportunistes, qui sous-traitent des marchés à des entreprises RGE, mais ne disposent elles-mêmes d'aucune qualification. Si je partage la philosophie de cette mesure, j'attire votre attention sur le fait que son introduction immédiate conduirait à exclure du marché certaines entreprises telles que les grandes enseignes de bricolage, qui, bien qu'elles n'aient pas la possibilité d'obtenir le label RGE, proposent à leurs clients des parcours de travaux de rénovation de qualité.

Il me semble donc utile de décaler l'entrée en vigueur de cette disposition au 1er janvier 2027, afin de laisser au Gouvernement le temps de prendre les mesures réglementaires nécessaires à la définition de critères de qualification spécifiques pour ces entreprises. C'est ce que je vous proposerai dans mon amendement de réécriture de l'article 3 ter.

Je souhaiterais enfin informer la commission de mon intention de travailler, en vue de la séance publique, sur le sujet de la fraude aux créances salariales versées dans le cadre du régime de garantie des salaires. Lorsqu'une entreprise connaît des difficultés économiques et engage une procédure collective, le régime de garantie des salaires, financé par des cotisations patronales, permet d'avancer les fonds nécessaires au paiement des créances salariales. Or il ressort de mes travaux que certaines créances salariales seraient réclamées indûment, par l'intermédiaire notamment de fausses déclarations. Si la commission m'en donne mandat, je serai peut-être amené à présenter en son nom un amendement de séance sur ce sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour cette présentation sur un sujet important, ayant conduit Thomas Cazenave à traduire dans une proposition de loi les intentions qu'il n'avait pu concrétiser lorsqu'il était ministre.

Je rappelle que la rénovation énergétique constitue un enjeu important : chacun doit, par conséquent, pouvoir y prendre sa part. À cet égard, l'application immédiate de la disposition obligeant les enseignes de bricolage à obtenir le label RGE conduirait de facto à les exclure du marché. La proposition du rapporteur de reporter au 1er janvier 2027 l'entrée en vigueur de cette disposition me paraît opportune.

Enfin, la question de la garantie des salaires est sur la table depuis longtemps car les avis divergent. Je souscris à la proposition du rapporteur pour avis car il serait souhaitable d'améliorer le dispositif d'ici à la séance.

Mme Nathalie Goulet. - Merci beaucoup, monsieur le rapporteur pour avis. Comme vous l'avez souligné, ce n'est pas le grand soir de la lutte contre la fraude... Le titre du texte lui-même est ambitieux - pour ne pas dire mensonger -, puisque les seules aides publiques auxquelles il est apporté une réponse ont trait à l'environnement, au réchauffement climatique, à l'urbanisme et à l'habitat. Cela limite le périmètre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le titre évoque toutes les fraudes !

Mme Nathalie Goulet. - Il manque un pan entier sur la prévention, car on reste presque toujours dans l'ex post. Cela ne relève peut-être pas de notre compétence, mais j'ai tout de même déposé des amendements - sur lesquels je ne me fais pas beaucoup d'illusions.

Je voudrais attirer l'attention de la commission sur le travail du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC). Dans un Livre blanc, il a formulé quinze propositions, notamment pour donner accès aux greffiers aux données cadastrales, faciliter la vérification des pièces d'identité fournies, permettre de censurer en cas de divergences de données, etc.

Les entreprises éphémères n'ont toujours pas été définies, en dépit des efforts consentis en ce sens lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Un certain nombre de dispositifs luttant contre les fraudes sociales vont pouvoir être proposés pour être intégrés à ce texte. Au nom de mon groupe, je donne volontiers mandat à Antoine Lefèvre pour avancer sur ces points.

Avec un périmètre aussi limité, nous ratons sûrement une occasion d'avoir un texte plus ambitieux. Il faudra y revenir et accorder aux greffes un pouvoir ex ante afin d'empêcher la création de ces sociétés éphémères, qui constituent un point névralgique de fragilité dans la chaîne des fraudes.

Sous ces petites réserves, nous voterons avec enthousiasme le rapport de notre collègue.

M. Marc Laménie. - Merci, monsieur le rapporteur pour avis, pour votre travail de qualité. Cette PPL a été saluée par la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), car elle va dans le bon sens pour soutenir les artisans et les entreprises certifiées. Je m'interroge néanmoins sur l'effectivité de l'article 3 ter pour limiter réellement les dérives et les arnaques en tout genre, y compris le démarchage téléphonique, en matière d'aides publiques. Par ailleurs, des mesures sont-elles prévues pour les auto-entrepreneurs ?

M. Stéphane Sautarel. - Je remercie M. le rapporteur pour avis de cette présentation, qui nous permet de bien appréhender ses propositions.

Nos travaux portent sur les fraudes à certaines aides publiques, notamment celles qui sont liées à l'environnement. Je voudrais élargir cette réflexion au principe même de ces aides publiques ainsi qu'à leur efficacité, eu égard aux surcoûts de travaux qui en résultent et à la sobriété budgétaire dont nous devons faire preuve.

S'agissant du rapport proprement dit, je souhaiterais avoir des éclaircissements sur l'article 3 ter. J'ai entendu les remarques du rapporteur pour avis et du rapporteur général. Néanmoins, comme mes collègues, je suis assailli de questionnements sur l'amendement proposé, dont la justification me laisse perplexe.

Mme Isabelle Briquet. - Le point sensible de la discussion sera certainement celui de la sous-traitance. Au-delà de la lutte contre la fraude, il nous faut aussi préserver les artisans et les PME qui sont éloignés des grandes enseignes, mais qui entrent en concurrence avec elles du fait de la sous-traitance.

Par ailleurs, je regrette que le sujet de la fraude fiscale soit absente de cette proposition de loi. Cela n'enlève rien à la pertinence de la lutte contre la fraude aux aides à la rénovation énergétique, mais nous verrons, au fil des débats, si nous conservons un a priori favorable sur ce texte.

M. Grégory Blanc. - Je partage pleinement la remarque de Nathalie Goulet quant au décalage entre l'intitulé de ce texte et les possibilités de l'amender. Cela pose la question d'une définition claire du périmètre.

Par ailleurs, nos débats sur l'article 3 ter font apparaître un paradoxe dans notre manière d'appréhender la lutte contre la fraude aux aides publiques : lors de l'examen du projet de loi de finances, le précédent ministre des comptes publics avait invoqué en permanence la nécessité de bien calibrer les aides, d'où nos débats sur les critères d'attribution en fonction des dimensions des fenêtres et des pièces ; mais, dans le même temps, certains de nos collègues proposent d'adopter une approche beaucoup plus libérale, avec le maintien de la possibilité pour des entreprises de recourir à des sous-traitants alors qu'elles ne disposent d'aucune qualification RGE.

Il n'est pas possible de rester au milieu du gué en cherchant à concilier une forme de libéralisation et une série de restrictions pour nos entreprises et artisans : clarifions donc nos orientations.

M. Albéric de Montgolfier. - Je m'interroge sur le caractère opérationnel des mesures envisagées compte tenu de l'immense écart entre le montant des fraudes détectées et le montant des recouvrements effectifs. Dans la pratique, dès lors qu'une entreprise de ce type est soupçonnée de fraude, elle disparaît et se place en liquidation, d'où l'absence d'actifs à récupérer.

Il est ainsi mentionné que Tracfin a détecté des mouvements frauduleux à hauteur de 74 millions d'euros depuis le début de l'année 2025, mais a-t-on une idée des montants effectivement recouvrés ? N'y aurait-il pas lieu d'instaurer un mécanisme qui garantirait la solvabilité des entreprises avant qu'elles ne disparaissent ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je souscris aux orientations présentées par le rapporteur sur cette proposition de loi, dont l'ambition est modeste. De manière générale, nous aurons moins besoin d'intervenir pour créer de nouveaux dispositifs ou pour reparamétrer les aides dès lors que l'État cessera de confier la distribution de milliards d'euros d'aides à des organismes dépourvus d'outils de lutte contre la fraude.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Dès lors qu'il est établi que l'argent public est généralement distribué à foison et que les modes de contrôle sont pour le moins discutables, pourquoi n'adopterions-nous pas une démarche inverse ? Au lieu de ponctionner les Français de façon exorbitante, l'État ferait ainsi bien de diminuer la pression fiscale et de réduire des aides qui s'apparentent à un catalogue de singeries, si vous me passez l'expression.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Il existe bien un décalage, assez décevant, entre l'intitulé du texte et son contenu.

Si j'en crois les remontées des territoires et des entreprises artisanales du bâtiment, il existe peut-être un problème de perspective concernant l'article 3 ter : le passage par de grandes enseignes n'est pas nécessairement synonyme d'un effet plus massif sur les opérations de rénovation et il est très aisé, pour une entreprise ne disposant pas du label RGE, d'aller chercher des sociétés sous-traitantes qui le détiendraient.

Il faudrait donc éviter d'instaurer une forme de droit de péage par ce biais et je ne suis pas persuadée qu'une démarche verticale permette d'obtenir l'effet le plus massif possible, à la fois pour instaurer la confiance, éviter la fraude et déployer concrètement les dispositifs.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - Je ne commenterai pas le titre de cette proposition de loi. Je regretterai simplement le caractère assez limité du champ du texte, même si toutes les avancées sont toujours bonnes à prendre.

Concernant la remarque de Marc Laménie à propos de l'article 3 ter, la limitation de la sous-traitance en cascade n'est pas l'unique dispositif permettant de limiter la fraude, même si elle joue un rôle central.

Je souscris, par ailleurs, à l'observation de Mme Briquet relative au nécessaire équilibre entre les différents opérateurs de la rénovation énergétique. Plus globalement, la grande distribution et les enseignes de bricolage ont été évoquées, parfois en mentionnant une forme de libéralisation : il me semble qu'il faut considérer l'ensemble des acteurs intervenant dans le champ de la rénovation énergétique. Ces enseignes, bien identifiées par nos concitoyens, fournissent des solutions « clé en main », ce qui facilite l'accès aux dispositifs.

Outre le fait que ce texte n'a pas pour objet la réorganisation du marché, je rappelle que ces entreprises ne commettent pas de fraudes : dans la mesure où elles engagent leur réputation, elles s'assurent que la sous-traitance, qu'elles délèguent souvent aux artisans, se déroule dans de bonnes conditions.

Notre débat porte essentiellement sur l'obligation pour l'entreprise réalisant la facturation des travaux d'être labellisée RGE. L'amendement que je vais vous présenter proposer de maintenir cette obligation, avec une entrée en vigueur différée. Cette mesure permettra d'assainir le marché, mais il convient de laisser au Gouvernement le temps de définir des critères de labellisation spécifiques pour les entreprises dont le modèle ne leur permet pas de disposer du label RGE dans l'immédiat.

En outre, monsieur de Montgolfier, l'efficacité de la lutte contre les fraudes aux aides publiques s'analyse plutôt au travers du prisme des montants d'aides non versées en amont que grâce aux versements indus recouvrés. Ainsi, en 2024, sur le dispositif MaPrimRénov', 229 millions d'euros n'ont pas été versés à la suite de contrôles, soit autant de fraude évitée.

Enfin, je rejoins l'opinion de Mme Carrère-Gée sur l'insuffisance des outils de contrôle de certains organismes et je souscris à la proposition de M. Hugonet visant à diminuer les aides, puisqu'elle permettrait de limiter la fraude.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le périmètre indicatif de la proposition de loi contre toutes les fraudes aux aides publiques n° 274 (2024-2025) comprend, pour les articles dont l'examen a été délégué à la commission des finances - articles 2, 2 bis, 2 ter, 2 quater, 3 bis C, 3 ter et 3 quater : les dispositions relatives au droit de communication des administrations dans le cadre de leur activité de lutte contre la fraude ; les dispositions relatives à l'échange d'informations entre les administrations, organismes de protection sociale, opérateurs et personnes privées chargées d'une mission de service public, à des fins de lutte contre la fraude ; les dispositions relatives à l'encadrement de la sous-traitance sur le marché de travaux éligibles à des aides publiques ou à des certificats d'économie d'énergie ; les dispositions relatives aux critères de qualification des entreprises réalisant la facturation des travaux et dépenses éligibles à des aides publiques.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 2 (délégué)

L'amendement rédactionnel COM-30 est adopté, de même que l'amendement de coordination COM-31.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-32 vise à décaler l'entrée en vigueur de la disposition modifiant la liste des entités publiques auxquelles Tracfin peut transmettre des informations.

L'amendement COM-32 est adopté.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 2 ainsi modifié.

Article 2 bis (nouveau) (délégué)

L'amendement de coordination COM-33 est adopté.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 2 bis ainsi modifié.

Article 2 ter (nouveau) (délégué)

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-34 vise à prendre en compte le fait que certaines dispositions sont satisfaites par l'adoption de la loi de finances initiale pour 2025.

L'amendement COM-34 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-35.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 2 ter ainsi modifié.

Article 2 quater (nouveau) (délégué)

L'amendement rédactionnel COM-36 est adopté.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 2 quater ainsi modifié.

Article 3 bis C (nouveau) (délégué)

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - L'amendement de suppression COM-37 tient compte du fait que l'article 3 bis C est satisfait depuis l'adoption de la loi de finances initiale pour 2025.

L'amendement COM-37 est adopté.

La commission propose à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 3 bis C.

Après l'article 3 bis C (nouveau) (délégué)

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-22 tend à prévoir une expérimentation visant à donner accès aux bases cadastrales aux greffiers de tribunaux de commerce.

La mesure n'est pas dénuée de fondement, car les greffiers de tribunaux de commerce peuvent être confrontés à des sociétés domiciliées à de fausses adresses. Il convient ainsi de prendre sérieusement en compte la difficulté actuelle à laquelle ils peuvent faire face pour vérifier l'existence de certaines sociétés fictives.

Néanmoins, il me semble que cette évolution aurait du mal à être intégrée par amendement, car elle nécessite une étude d'impact plus poussée.

D'une part, l'accès aux bases cadastrales ouvre un accès à une quantité massive de données à caractère personnel : il convient de vérifier la proportionnalité d'une telle mesure, afin de s'assurer qu'elle serait conforme aux exigences fortes du droit à la protection de ces données.

D'autre part, la question de l'efficacité se pose : les organisations criminelles utilisant de fausses adresses pourraient évoluer simplement en utilisant des adresses existantes, tenues par des hommes de paille.

Je propose donc que le travail se poursuive sur ce sujet, car il s'agit d'une problématique importante, mais je suis pour l'instant défavorable à cet amendement.

Mme Nathalie Goulet. - Je note qu'une étude d'impact est demandée pour évaluer l'efficacité de la mesure proposée, mais qu'aucune n'est exigée pour verser des subventions à tort et à travers.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-22.

Article 3 ter (nouveau) (délégué)

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - Nous entamons l'examen des amendements à l'article 3 ter, qui concentre nos débats. Cet article permet, d'une part, de lutter contre la sous-traitance en cascade sur les marchés de travaux de rénovation aidés et, d'autre part, d'obliger les entreprises donneuses d'ordre à être labellisées « RGE » pour que les travaux soient éligibles aux aides publiques, cette obligation ne concernant aujourd'hui que les entreprises sous-traitantes.

Les amendements de réécriture de l'article 3 ter déposés par nos collègues visent à étendre ces dispositions aux aides « certificats d'économie d'énergie (C2E) ».

L'avis sera défavorable sur ces amendements, à l'exception évidemment de celui que je vous présente.

Tout d'abord, les amendements identiques de réécriture COM-6 rectifié, COM-10, COM-19, COM-21 et COM-23 sous tous inopérants, puisqu'ils visent les dispositions du CGI relatives au CITE. Or ce crédit d'impôt est en voie d'extinction et ne concerne que des dépenses qui ont été payées jusqu'en 2020. La rédaction de mon amendement COM-38 rectifié est plus satisfaisante puisqu'elle vise les dispositions de la LFI pour 2020 concernant MaPrimeRénov'.

Surtout, mon amendement, contrairement à tous les autres amendements de réécriture, présente une solution d'équilibre sur la question de l'obligation pour les entreprises donneuses d'ordre de disposer de la qualification RGE. Je comprends l'intérêt de cette mesure, mais son adoption immédiate pourrait déstabiliser le marché de la rénovation énergétique en évinçant des entreprises telles que les enseignes de bricolage, alors que ces structures ne présentent pas, comme je le disais précédemment, de risques de fraude et proposent à leurs clients des parcours de travaux de rénovation de qualité.

Je propose donc de décaler l'entrée en vigueur de cette disposition au 1er janvier 2027, pour laisser le temps au Gouvernement de prendre les mesures réglementaires qui permettront de définir des critères de qualification spécifiques pour ces enseignes.

Je vous invite donc, à ce stade, à adopter mon amendement, qui présente le double avantage d'être opérant et de proposer une solution équilibrée sur le sujet de la labellisation RGE, en évitant de déstabiliser le marché à court terme.

Je vous invite, en outre, à rejeter les sous-amendements COM-57 et COM-59 qui sont inopérants, ainsi que le sous-amendement COM-56. Sur le fond, la solution proposée par ces sous-amendements me semble déséquilibrée puisqu'ils visent à appliquer l'obligation de labellisation RGE dès l'entrée en vigueur de la proposition de loi, ce qui, reviendrait, comme je l'ai déjà évoqué, à évincer directement toutes les enseignes de bricolage du marché. Naturellement, ce débat pourra se poursuivre en séance publique.

M. Michel Canévet. - Pourquoi ne pas prévoir une entrée en vigueur de la disposition dès le 1er janvier 2026 ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - Le Gouvernement indique qu'une période de dix-huit à vingt-quatre mois serait nécessaire pour définir des critères de RGE pour l'ensemble des entreprises. Nous pourrions demander davantage de célérité en séance, mais il me semble nécessaire de conserver un délai d'un an minimum après la promulgation de la loi.

Les sous-amendements identiques COM-56, COM-57 et COM-59 ne sont pas adoptés. L'amendement COM-38 rectifié est adopté.

En conséquence, l'amendement COM-20 rectifié, le sous-amendement COM-58, les amendements identiques COM-6 rectifié, COM-10, COM-19, COM-21 et COM-23 , les amendements identiques COM-26 et COM-27, les amendements COM-8, COM-12 et COM-29 deviennent sans objet et la commission émet un avis défavorable.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 3 ter ainsi rédigé.

Article 3 quater (nouveau) (délégué)

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 3 quater sans modification.

M. Claude Raynal, président. - Avant de clore l'examen du rapport pour avis, il revient à la commission de se prononcer sur le fait que le rapporteur puisse déposer, au nom de la commission, un amendement pour lutter contre la fraude aux créances salariales s'il parvient à trouver le bon dispositif d'ici là ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur pour avis. - En effet, je vous rappelle mon intention de travailler, en vue de la séance publique, sur le sujet de la fraude aux créances salariales versées dans le cadre du régime de garantie des salaires. Il ressort de mes travaux que certaines créances salariales sont réclamées indûment, par l'intermédiaire notamment de fausses déclarations. Si la commission m'en donne mandat, je serai peut-être amené à présenter en son nom un amendement de séance visant à permettre l'accès de l'AGS, qui est l'organisme en charge de la gestion de ce régime, aux informations de la DSN, pour faciliter le contrôle de la situation des personnes qui revendiquent les créances salariales.

M. Claude Raynal, président. - Êtes-vous d'accord, mes chers collègues ?

Il en est ainsi décidé.

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

Article 2

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-30

Amendement rédactionnel

Favorable

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-31

Amendement de coordination

Favorable

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-32

Décalage de l'entrée en vigueur de la disposition modifiant la liste des entités publiques auxquelles Tracfin peut transmettre des informations

Favorable

Article 2 bis (nouveau)

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-33

Interdiction de divulgation à des tiers des informations transmises à Tracfin par les nouvelles entités entrant dans le champ du droit de communication du service

Favorable

Article 2 ter (nouveau)

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-34

Prise en compte des dispositions satisfaites par l'adoption de la loi de finances pour 2025

Favorable

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-35

Amendement rédactionnel

Favorable

Article 2 quater (nouveau)

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-36

Amendement rédactionnel

Favorable

Article 3 bis C (nouveau)

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-37

Suppression de l'article 3 bis C déjà satisfait depuis l'adoption de la LFI 2025

Favorable

Article additionnel après Article 3 bis C (nouveau)

Auteur

Objet

Avis de la commission

Mme Nathalie GOULET

COM-22

Expérimentation visant à donner accès aux bases cadastrales aux greffiers de tribunaux de commerce

Défavorable

Article 3 ter (nouveau)

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. LEFÈVRE, rapporteur pour avis

COM-38 rect.

Réécriture de l'article 3 ter pour rendre opérant le dispositif d'encadrement du nombre de sous-traitants sur le marché de la rénovation énergétique et pour décaler l'entrée en vigueur de l'obligation pour les entreprises donneuses d'ordre de disposer de la qualification RGE

Favorable

Mme BRIQUET

COM-56 rect.

Rétablissement de l'obligation pour l'entreprise qui facture les travaux de rénovation d'être labellisée RGE

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

COM-57

Rétablissement de l'obligation pour l'entreprise qui facture les travaux de rénovation d'être labellisée RGE

Défavorable

M. CANÉVET

COM-59

Rétablissement de l'obligation pour l'entreprise qui facture les travaux de rénovation d'être labellisée RGE

Défavorable

Mme BRIQUET

COM-20 rect.

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

M. CANÉVET

COM-58

Garantir l'effectivité du dispositif d'encadrement de la sous-traitance en cascade

Défavorable

Mme MULLER-BRONN

COM-6 rect.

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

M. KHALIFÉ

COM-10

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

M. Daniel LAURENT

COM-19

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

Mme HOUSSEAU

COM-21

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

Mme GOSSELIN

COM-23

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

Mme BELLAMY

COM-26

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

M. CANÉVET

COM-27

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

M. PLA

COM-8

Extension aux aides CEE de la limitation de la sous-traitance en cascade et obligation pour les entreprises réalisant la facturation des travaux à être labellisée RGE

Défavorable

M. PLA

COM-12

Amendement rédactionnel

Défavorable

M. RAMBAUD

COM-29

Introduction d'une obligation de vigilance pour les entreprises donneuses d'ordres dans le cadre de travaux aidés

Défavorable

La réunion est close à 09 h 50.

La réunion est ouverte à 16 h 00.

Audition de M. Jean-Paul Faugère, candidat proposé aux fonctions de vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

M. Claude Raynal, président. - En application de l'article L. 612-5 du code monétaire et financier, nous auditionnons M. Jean-Paul Faugère, vice-président depuis juillet 2020 de l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR), proposé par le Gouvernement pour être renouvelé dans son mandat.

Le code monétaire et financier prévoit en effet que la nomination du vice-président de l'ACPR ou le renouvellement de son mandat d'une durée de cinq ans ne peut intervenir qu'après avis des commissions des finances des deux assemblées. En l'absence d'avis sous un délai de trente jours, celui-ci est réputé favorable.

La commission des finances du Sénat est la première à procéder à cette audition, celle de nos homologues de l'Assemblée nationale ayant lieu demain matin. Le dépouillement aura donc lieu demain, même si nous ne sommes pas soumis aux contraintes de l'article 13 de la Constitution. Les délégations de vote sont autorisées selon les procédures habituelles.

Je rappelle que l'ACPR est une autorité de supervision adossée à la Banque de France qui assure une mission transversale de préservation de la stabilité du système financier en exerçant un contrôle prudentiel des établissements du secteur bancaire et du secteur assurantiel.

Dans une logique de complémentarité avec la présidence de l'Autorité, qui est assurée ès qualité par le gouverneur de la Banque de France, le code monétaire et financier prévoit expressément que le vice-président de l'ACPR dispose d'une expérience particulière en matière d'assurance.

Lors de votre audition devant la commission le 1er juillet 2020 à l'occasion de votre nomination pour le premier mandat que vous avez exercé, vous aviez eu l'occasion de revenir sur votre parcours professionnel antérieur, et notamment sur votre expérience comme président du conseil d'administration de CNP Assurances.

Vous pourrez brièvement rappeler cette expérience, notamment à l'attention des membres de la commission qui n'étaient pas présents il y a cinq ans.

En vue d'éclairer l'avis que la commission doit rendre sur votre nomination, vous pourrez ensuite dresser le bilan que vous tirez des cinq années de votre premier mandat. Nous serons en particulier attentifs au bilan que vous tirez des évolutions récentes du secteur assurantiel que vous suivez plus particulièrement.

Nous serons enfin intéressés de connaître les priorités que vous identifiez, au regard de votre bilan, pour les cinq prochaines années en matière de régulation bancaire et assurantielle.

Sans plus attendre et après vous avoir rappelé que cette audition est diffusée en direct sur le site du Sénat, je vous cède la parole.

M. Jean-Paul Faugère, vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR). - Merci pour votre accueil. Je viens soumettre à votre appréciation le renouvellement de mon mandat de vice-président de l'ACPR.

En qualité de vice-président de l'ACPR, ma vocation première est de présider le sous-collège sectoriel de l'assurance. Mon expérience en matière d'assurance correspond à mon expérience professionnelle - j'ai commencé ma carrière comme commissaire contrôleur des assurances, et j'ai, bien plus tard, exercé pendant huit ans la fonction de président du conseil d'administration de CNP Assurances, une très belle entreprise.

J'ai commencé mon mandat à l'ACPR il y a cinq ans, en pleine crise sanitaire, à un moment où les taux d'intérêt étaient quasi nuls. Depuis, les crises et les chocs se sont succédés, touchant le monde de l'assurance, comme le reste de l'économie. Je mentionnerai brièvement le retour de l'inflation, la montée des taux, la guerre en Ukraine, la sécheresse en 2022, les émeutes en métropole et outre-mer, une nouvelle crise au Proche-Orient - et tout dernièrement ce choc de l'élection à la présidence américaine, avec les conséquences que l'on commence à voir sur le commerce international et les marchés. Ces rapprochements paraitront peu cohérents, mais ils ont en commun qu'ils modifient les risques auxquels nous faisons face, lesquels constituent la matière première de l'assurance.

Quelques exemples des conséquences pratiques de ces chocs. Face à l'inflation, il nous a fallu vérifier le calibrage de l'ensemble des provisions des assureurs pour régler les sinistres, puisque l'assurance fonctionne en cycle inversé, faisant payer des primes avant de rendre le service. Deuxième exemple : du fait d'une augmentation du risque de rachat en assurance-vie, il a fallu réévaluer le capital provisionné, l'expérience italienne de 2022-2023 ayant montré que ce risque n'était pas théorique, des milliards d'euros ont été mobilisés. Autre exemple, la sécheresse de 2022 a montré que le régime des catastrophes naturelles n'était pas soutenable, justifiant d'une part la revalorisation de la surprime catastrophe naturelle sur les primes perçues par les polices d'assurance multirisques, habitation et automobiles, et d'autre part d'engager une réflexion d'ensemble nourrie par le rapport remis par Thierry Langreney sur l'assurabilité des risques climatiques, par plusieurs propositions de loi émanant notamment du Sénat, puis par la présentation par le Gouvernement du Programme national d'adaptation au changement climatique.

L'ACPR a suivi, dans le cadre de la guerre en Ukraine, l'exposition des institutions financières du fait de leurs intérêts en Russie et en Biélorussie, voire en Ukraine, cette exposition ayant été rapidement réduite voire éliminée. Nous suivons également de manière méticuleuse les mesures de sanctions envers la Russie, elles ont une incidence directe sur les institutions financières et les assureurs en particulier.

Indépendamment des crises, l'ACPR a engagé une série d'actions de fond que je mentionne rapidement - certaines ont vocation à s'inscrire dans la durée. D'abord, l'ACPR a accompagné le marché dans le pilotage fin de la fixation du taux de participation bénéficiaire en assurance-vie sur les fonds en euros. Il était nécessaire de stimuler la constitution de réserves lorsque les taux étaient très bas pour faire face à un renversement - il s'est effectivement produit et les réserves constituées sont utiles face à l'augmentation des taux, pour lisser les mouvements, au bénéfice de la stabilité financière.

Autre exemple, l'ACPR a participé aux côtés du Trésor, en tant qu'expert, à la négociation sur la révision de la directive « Solvabilité 2 », qui sera applicable en 2027. Autre action de fond, nous avons analysé les frais facturés aux clients des assurances-vie et constaté des écarts excessifs ; en lien avec la profession, nous avons mis au point un dispositif pour éliminer les facturations excessives au regard du service rendu. Un premier bilan montre qu'à peu près 10 % des unités de compte, voire un peu plus, ont fait l'objet d'un déréférencement ou d'une baisse des frais de l'ordre de 25 à 30 points de base, ce n'est pas négligeable et c'est une action à poursuivre.

De même, dans le cadre de notre mission consistant à protéger la clientèle, nous avons identifié des produits en assurance dommage et en prévoyance dont le rapport sinistre à prime est faible, donc d'un faible intérêt pour l'assuré ; il s'agit souvent de marchés de niche tels que les assurances liées à l'achat d'un téléphone, les contrats obsèques, les contrats contre les accidents de la vie, les contrats assurance emprunteur sur des crédits de très court terme. Au nom de la protection de la clientèle qui n'est pas toujours très bien informée, et qui est parfois financièrement fragile, nous avons mis en évidence des situations anormales dénotant une commercialisation qui ne se réalisait pas dans l'intérêt du client à titre principal.

L'ACPR a, encore, émis deux recommandations en 2023 et 2024 pour actualiser sa doctrine sur la mise en oeuvre de la directive sur la distribution d'assurance, pour mettre en valeur les bonnes conditions d'application du devoir de conseil et prémunir les clients contre tout conflit d'intérêt que subirait le distributeur final. Cela vise en particulier les mécanismes de rémunération de ces distributeurs qui ne sont pas toujours des assureurs eux-mêmes mais parfois des courtiers ou des intermédiaires - il faut que ces mécanismes permettent d'éviter le biais dans le geste commercial.

Je mentionne en dernier lieu, la mise en oeuvre de la loi du 8 avril 2021 sur le courtage et la vente à distance. Vous le savez, les démarches se font inutilement agressives, nous travaillons avec des associations professionnelles créées par la loi pour aider les 25 000 courtiers à respecter mieux leurs obligations envers les clients et à améliorer leurs pratiques commerciales.

J'en viens aux orientations qui s'imposeront à l'ACPR dans les années qui viennent. Notre premier devoir sera de nous prémunir le plus possible contre les risques sur la stabilité financière. Les chocs que nous venons de traverser montrent que ce risque n'est pas abstrait, même s'il ne s'est pas matérialisé en France, où la résilience des assureurs est bonne, à la mesure des fonds propres qu'ils conservent et qui sont en moyenne à peu près deux fois supérieurs aux exigences réglementaires. Il reste que le contexte géopolitique est très incertain, que les risques de marché sont très élevés, avec des taux qui peuvent eux-mêmes varier très vite et fort. Les deux tiers des placements des assureurs étant constitués de placements obligataires et souvent à taux fixe, les portefeuilles peuvent subir une moins-value rapide, c'est une vulnérabilité. Nous y sommes très attentifs, cela justifie tout particulièrement les stress tests, ou tests de résilience, que nous imposons très régulièrement aux assureurs, comme d'ailleurs aux autres institutions financières. Les professionnels considèrent que ces exercices sont d'une facture un peu trop agressive, mais je crois que c'est vraiment l'intérêt du système que de tester sa résilience de manière assez forte - car la magnitude des crises surprend toujours, ceux qui ont vécu celle de 2008 le savent bien. Or, si nous n'avons pas eu de désastre dans l'industrie financière en France, cela doit beaucoup à la supervision intrusive que nous pratiquons et à l'exigence que nous imposons aux institutions financières de conserver des marges de prudence dûment contrôlées. A contrario, les quelques faillites dans le système bancaire américain il y a deux ans démontrent que les lacunes dans la supervision se payent très cher.

En second lieu, nous devrons suivre de manière approfondie les diverses composantes du modèle d'affaires de l'assurance. En automobile, par exemple, l'inflation des coûts de réparation se poursuit ; en trois ans, ils ont augmenté de 30 %, cette tendance peut s'accentuer avec l'amplification de l'électrification du parc. Autre exemple, la mutualisation en multirisques habitations devient plus difficile avec l'exposition accrue aux catastrophes naturelles, je n'y insiste pas. En santé, la dérive des coûts touche les assurances maladie complémentaires aussi bien que l'assurance maladie obligatoire - je ne m'y appesantis pas, puisque le Sénat s'est penché sur cette question de manière très approfondie. Les mutuelles, de manière générale, auront à gérer les conséquences de la mise en place du régime de protection sociale complémentaire des agents publics, soit quelque cinq millions d'assurés. Cela va changer considérablement les équilibres entre les contrats collectifs et les contrats individuels, ce qui posera des problèmes à des petits distributeurs.

Autre champ de la supervision, comment va évoluer la chaîne de valeur du réassureur jusqu'au distributeur final ? La réponse n'est pas simple. Je signale en passant l'apparition d'une nouvelle catégorie d'acteurs, les courtiers grossistes qui, de plus en plus, ont tendance à prendre une part de la valeur ajoutée dans la chaîne de valeur.

Autre sujet de supervision, la relation stratégique entre les assureurs et les gestionnaires d'actifs, dès lors que les premiers se reposent beaucoup sur les seconds. C'est un sujet sensible dans notre contexte de concurrence entre les gestionnaires d'actifs, dans la mesure où les plus importants sont américains et promeuvent en particulier la commercialisation des ETF, ces placements indiciels qui ont un niveau de frais très inférieur aux autres placements.

J'évoquerai pour finir trois sujets qui ont amené l'ACPR à élargir son champ de supervision. D'abord, le risque cyber. Les institutions financières vont appliquer le règlement « Dora », sur la résilience informatique des acteurs financiers, il vient d'entrer en vigueur et vous venez d'en débattre au Sénat. Ce règlement formalise des règles de droit souple que nous avions déjà recommandées, face à la vulnérabilité croissante des systèmes d'information. Il autorise le contrôle des sous-traitants critiques des institutions financières en matière informatique, l'ACPR devra donc s'investir davantage dans le contrôle de sécurité des systèmes d'information.

Ensuite et de manière connexe, nous devrons mettre en oeuvre à partir de l'an prochain le règlement européen sur l'intelligence artificielle : l'ACPR en sera le superviseur pour les institutions financières, donc les assurances, ce qui supposera de mettre en oeuvre une capacité technique pour maîtriser l'audit des systèmes d'intelligence artificielle. Ce sera le cas en assurance vie et en santé pour la tarification, les systèmes d'intelligence artificielle étant qualifiés de systèmes à haut risque dans ces champs, entrainant un niveau d'exigence beaucoup plus grande que pour les autres systèmes. Cela supposera de maîtriser les modèles, de vérifier l'absence de biais, de qualifier le contrôle humain de ces systèmes et leur fiabilité.

Enfin, je mentionne le chantier ESG, - pour environnement, social et gouvernance - qui est énorme et controversé. Je sais que la Commission européenne essaye de promouvoir une simplification qui est sans doute nécessaire. Nous verrons le résultat de la négociation sur la directive « omnibus » proposée par la Commission, mais, en tout état de cause, les assureurs vivent déjà au quotidien le réchauffement climatique, avec les catastrophes naturelles. La révision de la directive « Solvabilité 2 » a prévu que des plans de transition seraient élaborés par les assureurs, l'ACPR aura vocation à les contrôler. Le sujet climat ne va donc pas disparaître parce qu'un vent de dérégulation souffle outre-Atlantique. L'ACPR a mis en oeuvre deux stress tests climatiques qui nous ont livré beaucoup d'enseignements et nous continuerons à mobiliser les assureurs pour évaluer les risques liés à l'évolution du climat et préparer la transition.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cette audition est l'occasion d'entendre parler d'un thème méconnu, le contrôle micro-prudentiel qu'assure l'ACPR et qui est un volet structurant de notre politique de stabilité financière. Vous supervisez à ce titre quelque 600 entreprises bancaires et autant de compagnies d'assurance et mutuelles ; nous sommes donc très attentifs au bilan que vous faites de votre action depuis cinq ans, et aux orientations que vous souhaitez pour votre second mandat.

La transposition dans l'Union européenne du cadre prudentiel dit « Bâle III finalisé », dont la négociation s'était achevée en 2017, prévoit notamment la revue FRTB - pour Fundamental Review of the Trading Book -, qui a pour conséquence de faire évoluer à la hausse les modalités de calcul des exigences en capitaux propres des banques françaises et européennes. Or, la Réserve fédérale américaine a renoncé, fin 2024, à une telle transposition et le Royaume-Uni a annoncé le report à 2027 de son entrée en vigueur. Dans ces conditions, ne fait-on pas perdre de la compétitivité au secteur ? Comment concilier la robustesse du cadre de régulation et la compétitivité de notre système bancaire et assurantiel ?

Les ministres des finances et de la défense, ensuite, doivent présenter ce jeudi des propositions pour faciliter la mobilisation de l'épargne des Français au service d'un nouvel impératif, celui du réarmement de l'Europe, alors même qu'il existe un consensus sur l'existence d'une épargne abondante en Europe et en France. Pensez-vous qu'une meilleure mobilisation de l'épargne passe par une évolution de la législation applicable aux établissements bancaires et assurantiels ? Si c'est le cas, quels sont les points d'attention pour que cette mobilisation ne se fasse pas au détriment de la protection des épargnants ?

Enfin, j'aimerais évoquer les problèmes assurantiels que rencontrent certaines collectivités territoriales. La mission d'information de notre commission a établi, il y a un an, un diagnostic complet des défaillances dans l'offre aux collectivités et de la dégradation progressive des relations entre les exécutifs locaux et les assureurs. Des auditions plus récentes montrent que les problèmes identifiés ne sont toujours pas réglés. Quels sont les pouvoirs de l'ACPR en qualité de régulateur du secteur de l'assurance - et comment comptez-vous les utiliser pour que des offres compétitives d'assurance soient faites aux collectivités territoriales ?

J'ai également une question subsidiaire sur l'assurance emprunteur. Nous avions proposé au Sénat de supprimer, dans certaines limites, le questionnaire de santé pour l'emprunt immobilier, ce que la proposition de loi de notre collègue députée Patricia Lemoine a inscrit dans notre droit, dans le sens d'une véritable mutualisation, ce qui est l'intérêt de la clientèle. Le Parlement a « poussé les feux » sur cette affaire et j'ai l'impression que l'ACPR, comme dans d'autres cas où il y a eu des difficultés, je pense aux collectivités, s'est tenue en retrait : quelle était la position de l'Autorité sur cette suppression limitée du questionnaire santé ?

M. Michel Canévet. - La presse s'est faite l'écho de ce que 75 000 clients auraient été laissés sans assurance par un courtier indélicat, Pilliot Assurances - appelant en conséquence l'ACPR à mieux superviser le secteur de l'assurance : y a-t-il eu, dans cette affaire, un défaut de supervision, et comment voyez-vous les choses ? En transcrivant la directive Dora, ensuite, nous avons fait de l'ACPR l'autorité de référence en matière de cybersécurité pour l'ensemble du secteur bancaire et assurantiel : comment allez-vous vous organiser, concrètement, pour faire face à cette nouvelle tâche ?

Mme Nathalie Goulet. - Contre les escroqueries financières, comment coopérez-vous avec la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), l'Autorité des marchés financiers (AMF) et le Parquet national financier (PNF) ? Comment coopérez-vous avec vos homologues européens - voyez-vous des améliorations à apporter à cette coopération ?

Quels risques font peser les cryptoactifs et comment pourriez-vous les prendre en compte ?

Enfin, quel est votre avis sur l'euro numérique ?

M. Grégory Blanc. - Que pensez-vous de la façon dont les établissements bancaires pratiquent le droit à l'oubli, que nous avons récemment renforcé ?

En tant que membre du conseil général de la Banque de France, vous savez que l'établissement ferme des succursales, ce qui lui fait perdre une connaissance du terrain, des interactions avec les acteurs locaux : n'est-ce pas une faiblesse, en particulier dans la lutte contre le blanchiment ?

Enfin, comment les assurances prennent-elles en compte l'évolution du risque environnemental - quel regard avez-vous sur nos règles prudentielles, à l'aune du dérèglement climatique et des enjeux à l'horizon 2050 tels qu'identifiés par le Giec ?

M. Jean-Paul Faugère. - Bâle III est un sujet, effectivement. Les Américains ont le don de promouvoir des réglementations qu'ils n'appliquent pas eux-mêmes et il ne faut pas oublier que les règles prudentielles de Bâle III ont été conçues pour prévenir des faillites bancaires - les deux grandes faillites bancaires américaines qui ont motivé ces nouvelles réglementations auraient été évitées si la supervision avait été exercée convenablement, le président de la Fed en a convenu. Dans les règles prudentielles de Bâle III, la revue du risque de marché - la revue FRTB - fait effectivement controverse, les institutions européennes et la Grande-Bretagne en ont retardé l'application, ce qui repousse d'autant le calendrier de Bâle III. Je reprendrai le propos du Gouverneur de la Banque de France : oui à la simplification, non à la dérégulation. L'expérience montre que les crises financières viennent des Etats-Unis, et que nous avons réussi jusqu'à présent à nous en prémunir, le continent européen n'a pas connu de grosses faillites bancaires comme il y en a eu outre-Atlantique, à l'exception du Crédit Suisse, qui relève d'un État, la Suisse, qui n'est pas membre de l'Union européenne. Nous voulons que Bâle III soit appliqué, il y a effectivement un problème de compétitivité avec des acteurs bancaires américains dont la concurrence est très agressive, mais nous continuons d'espérer que le bon sens et la prudence prévaudront.

Les assureurs ont déjà commencé à investir dans les industries de défense, pour un montant estimé à 5 milliards d'euros : ce pourrait être davantage, mais c'est un début, et la limite tient aussi aux modalités de constitution des fonds rassemblant les entreprises de défense, dès lors que notre base industrielle de défense est composée, au-delà de quelques grands groupes, de nombreuses ETI et PME qui peuvent avoir du mal à s'insérer dans le système financier. Il y a aussi l'ombre des normes ESG, c'est un point controversé puisque la taxonomie européenne ne mentionne pas les industries de défense - mais le débat se focalise sur les armes non-conventionnelles ou interdites, comme les mines antipersonnel. Il y a aussi le dispositif français de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) et la lutte contre la corruption. Tout ceci considéré, il n'y a aucun obstacle à ce que se constituent des fonds qui soutiennent le capital ou l'endettement des entreprises d'armement, et l'on devrait pouvoir offrir aux épargnants un rendement convenable : rien ne s'oppose à un développement du fléchage de l'épargne vers les industries de défense.

Sur l'assurance des collectivités territoriales, un sujet que vous connaissez bien et sur lequel je ne saurais vous apprendre grand-chose, votre commission avait saisi l'Autorité de la concurrence, laquelle a fait des recommandations qui ne me paraissent pas mises en oeuvre, ne serait-ce que sur la commande publique. Cela mérite qu'on s'en occupe et qu'on clarifie certaines choses, je crois comprendre que le Gouvernement va prendre une initiative dans ce sens. Il y a une ambiguïté sur les émeutes, en particulier, avec l'article L.211-10 code de la sécurité intérieure, et une difficulté avec le code des assurances puisqu'il ne couvre pas les émeutes, sauf convention contraire - les émeutes sont une partie du problème, elles sont un repoussoir pour les assurances. Le rapport d'Alain Chrétien et de Jean-Yves Dagès - « L'assurabilité des biens des collectivités locales et de leur groupement » - montre qu'il y a eu tendance à une sous-tarification jusqu'en 2022, du fait d'un dumping par certains opérateurs, puis un redressement des primes, dont on peut espérer qu'il produira une nouvelle attractivité de ce marché. La maîtrise des risques est centrale, des collectivités territoriales n'y avaient pas procédé suffisamment, les choses avancent dans le dialogue avec les assureurs. Que peut faire l'ACPR ? Nous touchons vite les limites de notre compétence, car l'ACPR n'est pas un régulateur mais un superviseur : nous n'édictons pas de normes, nous vérifions le respect des conditions propres à la stabilité financière et à la défense des intérêts de la clientèle. Nous sommes des experts et des gendarmes, mais les normes sont entre vos mains. Nous faisons des diagnostics, que nous partageons, nous travaillons avec la profession, je crois qu'elle est ouverte à l'idée de médiation en cas de difficulté, ce qui me semble pouvoir faire converger assez vite les demandes des collectivités et l'offre proposée par les assureurs.

Sur l'assurance emprunteur, la suppression du questionnaire santé pour les prêts immobiliers en dessous de 200 000 euros est un vrai succès. Le comité consultatif des services financiers a déjà établi une première vue d'ensemble et continuera de travailler sur le sujet. Il est possible qu'il y ait ici ou là quelques dérives, mais nous surveillons cela de très près, avec les assureurs et les associations d'emprunteurs et de consommateurs. Au total, j'ai le sentiment que cette loi a apporté un progrès et qu'elle n'a pas entrainé de biais dans la tarification.

Vous avez renforcé le droit à l'oubli, les assureurs respectent les nouvelles prescriptions, certains vont même au-delà -CNP Assurances l'a fait pour le cancer du sein, par exemple. Le mouvement est lancé, mais on ne peut pas demander aux assureurs d'ignorer les réalités médicales : le compromis a été défini par la loi, les assureurs se sont engagés, c'est un service rendu aux emprunteurs mais, encore une fois, on ne saurait ignorer complètement les réalités médicales.

L'affaire Pilliot Assurances est complexe. Nous avons fait une communication minimale, des articles de presse se sont emparé du sujet, mais je mets au défi quiconque de démontrer que nous n'avons pas fait ce que nous devions faire. Un assureur belge, filiale d'un assureur américain, a distribué les produits par un courtier dans le nord de la France, lequel courtier avait estimé pouvoir bénéficier de la libre prestation de services à l'intérieur de l'Union européenne. Sauf que les démarches pour bénéficier de cette libre prestation de services supposaient que la profession valide l'accès au fonds de garantie, puisque quand on offre des services en France, on bénéficie aussi du fonds de garantie. Or, cette démarche n'a pas abouti, ou plus exactement, le courtier a présumé qu'elle aboutirait alors que le juge a constaté qu'il n'avait pas accompli les formalités et qu'il avait distribué des cartes vertes sans être couvert par un assureur. L'affaire est donc dans les mains de la justice. Ce à quoi nous nous sommes employés, c'est obtenir de l'ancien assureur - l'assureur belge avait hérité du portefeuille en question - qu'il continue à couvrir les contrats souscrits. Les quatre-cinquièmes du portefeuille sont couverts et pour les autres, nous incitons fortement les assureurs de la place à prendre en considération les besoins des assurés.

Comment l'ACPR doit-elle s'organiser pour remplir ses nouvelles missions sur le risque cyber ? Nous allons devoir y mettre des moyens, donc redéployer et rationaliser, puisque nous ne pouvons pas augmenter nos effectifs, qui comptent aujourd'hui 1 060 agents. Cela suppose de faire évoluer nos méthodes, pourquoi pas en recourant davantage à l'intelligence artificielle.

Sur les escroqueries, nous travaillons bien sûr avec l'AMF, le PNF et la DGCCRF, nous signalons très régulièrement les sites d'arnaque en ligne, nous incitons les banques et les assurances à le faire. Nous collaborons avec nos homologues européens, même si l'action pénale est du ressort de chaque État et que, dans le domaine de l'assurance, la fraude est surtout nationale.

Le règlement européen sur les marchés de cryptoactifs (MiCA) me semble un succès, les rôles sont bien répartis entre l'AMF et l'ACPR. Nous nous occupons prioritairement de tout ce qui relève de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, la transposition de MiCA prévoit un agrément, c'est une modalité intéressante, exigeante, pour suivre les cryptoactifs. Je ne vous étonnerai pas en vous disant qu'à l'ACPR, pas plus qu'à la Banque de France, nous n'avons pas un goût immodéré pour les cryptoactifs, nous voyons bien les risques qui sont associés et toutes les transactions qui sont faites sur des rançons en cryptoactifs attirent notre attention. Même si notre avis n'est pas partagé outre-Atlantique, nous sommes pour une supervision très exigeante des cryptoactifs.

Nous essayons, en revanche, de promouvoir l'euro numérique, c'est un instrument de souveraineté : il est important pour l'Europe de ne pas dépendre du dollar numérique, la Banque de France y travaille à un rythme soutenu dans le cadre fixé par la Banque centrale européenne, je ne peux guère en dire davantage.

Comme membre du Conseil général de la Banque de France, je peux vous assurer que les fermetures de site sont concertées, je vois le soin du Gouverneur à faire en sorte que les choses se passent bien, dans le dialogue avec les organisations syndicales représentatives. Je vois aussi que les critères d'implantation résultent d'évaluations rationnelles - personne n'ignore la décroissance de l'usage des monnaies fiduciaires, ni le fait qu'on peut désormais rendre bien des services à distance. Cependant, la présence compte, y compris dans la relation avec les entreprises, je crois que la Banque de France fait de gros efforts pour aller au contact des chefs d'entreprises, le Gouverneur lui-même se déplace très régulièrement dans tous les départements. La question rejoint celle de l'implantation des services publics, celle du compromis difficile entre une forme de rationalisation qui est synonyme d'économies et le fait de répondre à la demande de service public de nos concitoyens dans les territoires.

Enfin, l'environnement est vraiment entré dans le cadre prudentiel, pour les assurances comme pour les banques. Nous disposons de stress tests depuis plusieurs années, ils ont une certaine fiabilité et nous considérons que le changement climatique représente un danger sérieux pour les bilans des assureurs et des banques. On ne lâchera donc pas sur ce terrain, les réglementations sont bienvenues, car dans le fond, nous savons qu'il faut faire pivoter l'ensemble du système pour prendre en compte ce risque. L'horizon 2050 parait très lointain mais en réalité, le temps qui passe nous met dans des scénarios qui seront plus heurtés et donc plus coûteux, y compris pour l'économie réelle. Nous devrons donc exercer une supervision exigeante sur les plans de transition des institutions financières.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour ces propos fort intéressants.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination de M. Jean-Paul Faugère aux fonctions de vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

M. Marc Laménie et Mme Frédérique Espagnac, secrétaires, sont désignés en qualité de scrutateurs et la commission procède ensuite au vote sur la proposition de nomination du vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et au dépouillement du scrutin.

La commission émet un avis favorable à la nomination de M. Jean-Paul Faugère en tant que vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution par 21 voix pour, 0 voix contre et 1 bulletin blanc.

La réunion est close à 17h 05.

Mercredi 19 mars 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire des 17 et 18 février 2025 à Bruxelles - Compte-rendu

M. Claude Raynal, président. - Comme de coutume, une délégation de la commission des finances s'est rendue, les 17 et 18 février, à la conférence interparlementaire semestrielle, plus communément appelée « conférence de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union européenne.

Cette conférence a lieu deux fois par an : une fois à l'automne, où elle se tient dans l'État qui assure la présidence du Conseil de l'Union européenne, dernièrement la Hongrie, et une fois en février à Bruxelles.

La délégation se composait, au-delà de moi-même, de Jean-François Rapin, membre de notre commission et président de la commission des affaires européennes, et de Florence Blatrix Contat, qui est aussi membre de ces deux commissions. L'Assemblée nationale était représentée par David Amiel.

Pour mémoire, ces conférences semestrielles visent à permettre aux parlements nationaux d'exercer un contrôle sur l'application des règles de gouvernance budgétaire et financière de l'Union européenne. Elles réunissent des délégations de parlementaires issus des parlements nationaux et du Parlement européen ainsi que des représentants des institutions européennes et des experts extérieurs.

Comme à l'automne, la question de la compétitivité de l'Union européenne a été retenue comme fil directeur de la conférence. Son attraction principale était la présence de l'ancien Président du conseil italien, Mario Draghi, dont le rapport remis à la commission européenne en septembre 2024 a fixé les termes du débat.

La conférence s'est ouverte sur des tables rondes organisées par les commissions du Parlement européen. La commission des affaires économiques et monétaires a retenu pour thème l'Union de l'épargne et de l'investissement, sujet sur lequel nous avons entendu récemment le gouverneur honoraire de la banque de France, Christian Noyer.

Sujet technique en apparence, cette problématique occupe une place de choix dans le rapport Draghi comme source de financement potentielle pour les près de 800 milliards d'euros qui devront être investis chaque année au sein de l'Union européenne pour réussir les transitions écologique et numérique et assurer la défense du continent. L'Union de l'épargne et de l'investissement doit permettre de mobiliser une épargne européenne, conséquente, mais dont l'allocation est très perfectible, avec une part bien trop importante tournée vers l'étranger ou vers des obligations souveraines.

Interrogé en amont de cette conférence, le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, Philippe Léglise-Costa, a rappelé que l'union des marchés de capitaux est un projet ancien, longtemps retardé par une commissaire irlandaise peu allante. Les cartes sont toutefois rebattues aujourd'hui, avec le renouvellement de la Commission européenne et, surtout, une convergence désormais possible avec l'Allemagne, qui souhaite sortir de son impasse de financement. Enfin, la nécessité de résister à une politique fiscale et tarifaire américaine risquant d'aspirer plus encore l'épargne européenne est désormais une évidence.

Partant de ce constat, j'ai mis l'accent dans mon intervention devant la Conférence sur l'urgence d'une mise en oeuvre effective de l'union des marchés de capitaux, par la recherche d'un meilleur contrôle de la fuite des capitaux vers les Etats-Unis et la définition d'aides fiscales appropriées.

Pour le reste, les débats ont principalement porté sur l'opportunité pour l'Autorité européenne des marchés financiers d'exercer une supervision unifiée au sein de l'Union européenne, défendue notamment par notre collègue député David Amiel, et les économies d'échelle attendues avec l'unification des normes applicables aux produits financiers sur le marché européen. Les avis étaient plus partagés sur le degré de dérégulation souhaitable, opposant les « partisans de la hache » à ceux rappelant les origines de la crise financière de 2009.

La commission des budgets a organisé pour sa part deux tables rondes sur le prochain cadre financier pluriannuel. Les échanges ont principalement porté sur la communication de la Commission européenne du 11 février sur le sujet, qui laisse entrevoir une réforme substantielle, avec le conditionnement notamment de l'attribution de fonds européens à la mise en place de plans nationaux de réforme, sur le modèle du plan de relance européen.

Florence Blatrix Contat, dans son intervention, a alerté sur les risques d'une telle démarche qui risquerait d'écarter les régions de l'attribution des fonds de cohésion et de les rendre tributaires de la réalisation effective de réformes à l'échelle nationale. La teneur même de ces plans de réforme nationaux décidés à Bruxelles peut par ailleurs être interrogée.

Enfin, la session plénière a permis à Mario Draghi de présenter les conclusions de son rapport et ses pistes pour relancer la compétitivité de notre continent. L'ancien gouverneur de la banque centrale européenne a indiqué que si son rapport avait été rédigé avec la menace chinoise en tête, son message était plus que jamais d'actualité pour faire face à une Amérique qui mène une politique agressive pour capter les investissements sur le plan douanier, fiscal et énergétique, et en supprimant toute entrave réglementaire.

Jean-François Rapin a inscrit son intervention dans cette lignée. S'appuyant sur les travaux de la mission d'information qu'il a récemment conduite sur le sujet au sein de la commission des affaires européennes, il a dénoncé la « dérive normative » de l'Union européenne et proposé que les Parlements nationaux soient mieux associés pour contrôler le principe de subsidiarité.

L'ensemble des participants s'est accordé sur le fait que l'Union européenne ne pouvait plus attendre pour achever son marché commun, accroître le taux de retour de ses entreprises et mieux capter l'épargne du continent. Mario Draghi n'a néanmoins pu retenir sa frustration sur la question du financement de ses propositions. Que ce soit par l'union de l'épargne et de l'investissement, la réforme du CFP ou l'émission de dette européenne, il est désormais de la responsabilité des États de prendre des décisions difficiles et de trancher.

La prochaine conférence aura lieu cette automne au Danemark. Je donne maintenant la parole à ceux qui le souhaitent et notamment aux deux commissaires qui m'accompagnaient.

M. Jean-François Rapin. - Vous avez déjà tout dit Monsieur le président, je voudrais apporter une note d'ambiance sur cette conférence. J'ai senti Mario Draghi très agacé dans sa présentation par les remarques des États membres. L'actualité est toutefois très tourmentée et il n'est pas aisé de donner des lignes directrices et d'assurer une certaine stabilité dans un tel contexte.

Ceci n'est pas sans risques pour l'année 2026. Comment produire un effort substantiel à l'échelle européenne de 800 milliards d'euros pour la défense européenne et, dans le même temps, mener un plan de compétitivité qui nécessite des investissements à hauteur de 850 milliards d'euros par an jusqu'à 2030 ? Par an ! Sur la seule année 2026, on devrait faire l'équivalent d'un cadre financier pluriannuel de 6 ans. C'est quasi-impossible.

L'Union doit débloquer ses freins. S'agissant de l'organisation mondiale du commerce (OMC), il faut arrêter d'être les bons élèves en permanence et de se tirer des balles dans le pied : les Etats-Unis et la Chine ne s'imposent pas de telles contraintes.

Les freins doivent aussi être retirés en matière bancaire, afin qu'aboutisse enfin l'union des marchés des capitaux qui apparaît comme la seule solution en mesure de lever les fonds nécessaires.

Mme. Florence Blatrix Contat. - Depuis cette conférence, beaucoup d'événements se sont succédés. Hier, j'étais à Bruxelles dans le cadre de la conférence sur la taxation, EU tax symposium. On voit bien les divergences entre ceux qui veulent réduire les dépenses publiques et ceux qui prônent la définition de nouvelles ressources pour faire face à ces défis qui sont immenses.

La thématique de la transposition de la réforme du système fiscal international prévue par l'accord OCDE de 2021 a été abordée, réforme reposant sur deux piliers. Si en France, le pilier 2 a fait l'objet d'une transposition dans la loi de finances initiale pour 2024, certains pays comme les Etats-Unis rechignent toujours à l'appliquer complètement. Quant au pilier 1 qui peut aussi générer des ressources, les discussions sont apparues au point mort au moment de la conférence.

Il faudra donc une nouvelle dimension au niveau européen, où de nouvelles ressources propres devront être introduites pour prendre en charge ce que les budgets nationaux ne pourront pas supporter seuls.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comme évoqué par les uns et les autres, il va être demandé aux États membres de l'Union européenne de se mobiliser financièrement. Chacun d'entre nous mesure la situation budgétaire et financière de notre pays. L'effort de défense substantiel attendu dans un contexte géopolitique nouveau ne simplifiera pas l'équation budgétaire, ce qui pèsera assurément sur le prochain projet de loi de finances. Quant aux ressources propres tant attendues, elles peinent encore à se concrétiser. Le plus dur est à venir.

M. Claude Raynal, président. - Tous les six mois, nous poursuivons nos échanges. Nous sommes tous convaincus qu'il faut aller de l'avant, mais ensuite l'on attend les décisions concrètes, même si les échanges franco-allemands s'améliorent sur ces questions, avec un changement net de ton du chancelier allemand.

Questions diverses

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je vous informe du fait que la conférence des Présidents, qui se tient cet après-midi, devrait examiner une pétition déposée le 21 février dernier et demandant la suppression de la baisse de la franchise en base de TVA à 25 000 euros, qui a été adoptée dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2025. Cette pétition a dépassé les 100 000 signatures en quelques jours.

La Conférence des Présidents pourrait décider du renvoi de la pétition à la commission des finances, dans la mesure où elle concerne un dispositif fiscal applicable aux petites entreprises, aux entrepreneurs individuels et aux autoentrepreneurs, directement issu de la loi de finances récemment votée.

Dans ce cadre, nous proposons, avec le rapporteur général, que la commission des finances conduise très rapidement un cycle d'auditions afin de préparer en amont l'arrivée probable et prochaine d'une mesure législative nouvelle sur le sujet. La ministre Véronique Louwagie rencontre d'ailleurs l'ensemble des professionnels concernés pour faire des propositions. Il s'agirait ainsi d'aborder à la fois les enjeux économiques et juridiques qui l'entourent. En effet, l'abaissement de la franchise en base de TVA adoptée dans le cadre de la loi de finances devrait s'appliquer pleinement à compter du 1er juin, en vertu d'un simple rescrit fiscal du 3 mars dernier. Une disposition législative doit donc intervenir entretemps si l'on veut éviter que la réforme s'applique telle qu'elle a été votée.

Aussi, le rapporteur général ne manquera pas, tout d'abord, d'interroger Mme Verdier lors de son audition par notre commission ce matin, quant aux travaux menés par Bercy sur ce sujet. Il en sera de même cet après-midi, lors de l'audition des ministres. Il convient en effet de connaître clairement leurs intentions.

Ensuite, d'autres auditions seraient conduites par le rapporteur général, qui propose de les ouvrir à l'ensemble des membres de la commission des finances. Ces auditions pourraient notamment être l'occasion d'entendre les représentants des autoentrepreneurs et de plusieurs secteurs d'activités concernés et défendant des positions différentes. Cela permettra de faire le tour du sujet et d'expliquer les enjeux pour les différents secteurs d'activités et professions.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je rappelle qu'en première lecture j'avais défendu une position opposée à cette réforme au nom de notre commission. Nous avons une contrainte temporelle forte pour nous saisir de cette pétition puisqu'on nous annonce un possible amendement dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique, qui va être examiné en séance publique à l'Assemblée nationale à compter du 8 avril. Je propose donc d'associer tous ceux d'entre vous qui le souhaitent à mes travaux. Nous pourrions voir, d'une part, les acteurs qui contestent la réforme et, d'autre part, ceux qui la soutiennent. Et il faudrait aussi comprendre les questions juridiques que soulève cette réforme au regard du droit européen. Lorsque nous nous étions saisis de la pétition du président de la Fédération nationale des chasseurs intitulée « Pour la fin de la réduction fiscale pour les dons aux associations qui utilisent des moyens illégaux contre des activités légales », nous avions eu plus de temps. Là, il faut aller vite.

M. Claude Raynal, président. - Il n'y a pas d'observation ? Je considère cette proposition comme adoptée.

Audition de Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques (DGFiP). Même si nous avons pu souvent échanger depuis votre nomination en 2024, notamment à l'occasion de la mission d'information sur la dégradation des finances publiques, c'est la première fois que nous vous recevons seule en commission depuis que vous occupez ce poste. Je m'en réjouis et c'est pour moi l'occasion de souligner la contribution que votre administration apporte à nos travaux, législatifs comme de contrôle.

Cette audition a pour objectif de vous entendre et de vous interroger sur les activités très nombreuses qui sont couvertes par votre direction générale. En effet, les services de la DGFiP, ce sont plus de 90 000 agents et un budget de 8,1 milliards d'euros cette année, pour exercer des missions très vastes, qu'il s'agisse de prélever les impôts, mais aussi de gérer certaines dépenses publiques, ou encore d'assurer le contrôle fiscal ou la gestion comptable et financière de l'État, des collectivités locales et des hôpitaux publics. Je laisse de côté la capacité de votre administration, remarquable, à distribuer des fonds publics lorsque le Gouvernement estime que c'est nécessaire.

La DGFiP reste au coeur des enjeux et des évolutions auxquelles le Gouvernement doit faire face : fiabilité des recettes publiques qui permettent la mise en oeuvre de politiques publiques, efficacité des services administratifs, proximité des services publics, lutte contre la fraude fiscale... Votre administration a dû également faire face à d'importantes transformations dont M. Nougein, rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques » se fait l'écho dans ses travaux et il ne manquera pas de s'exprimer.

Votre administration est également concernée, évidemment, par l'actualité de fin 2023 et l'année 2024 s'agissant de la dégradation des finances publiques, en particulier du constat de l'écart entre les prévisions et la réalité des recettes encaissées.

Quelles sont les suites données aux travaux réalisés par notre commission mais aussi les deux missions de l'Inspection générale des finances du printemps 2024 sur les prévisions de recettes et de dépenses, ainsi que, très récemment, aux conclusions remises par le comité scientifique en février 2025 ?

Comme vous le savez, j'estime en particulier qu'une prévision prudente devrait être retenue concernant l'impôt sur les sociétés et surtout le 5e acompte. Je prends ici des risques, j'ai l'habitude de m'entendre dire que la sincérité budgétaire oblige, mais je vous pose tout de même la question - tout en pensant que vous allez me répondre poliment, par la négative... Même chose sur les demandes estimées de remboursement de TVA par les entreprises, une prévision compliquée à réaliser. Nous serions aussi intéressés de savoir si vous avez de nouveaux éléments sur la situation financière des collectivités locales. À l'automne 2024, les services de Bercy ont alerté sur le dynamisme des dépenses des collectivités territoriales, tant en matière d'investissement que de fonctionnement, suscitant d'ailleurs de nombreuses réactions en ces murs. Qu'en est-il aujourd'hui au vu des premières remontées comptables dont dispose la DGFiP ? Constate-t-on une inflexion de la trajectoire des comptes locaux en 2025 ?

Je vous cède la parole sans plus attendre, Madame la directrice générale, avant de prendre les questions du rapporteur général et de nos collègues. Cette audition est bien évidemment retransmise sur le site internet du Sénat.

Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques. - Merci pour votre invitation, elle me donne l'occasion de revenir sur la stratégie d'ensemble de la DGFiP, un peu plus d'un an après ma prise de fonctions.

La DGFiP a été créée en 2008 et elle regroupe deux familles de missions : la gestion fiscale, qui va de la gestion des avis d'encaissement des impôts, jusqu'au contrôle fiscal, et la gestion publique, soit l'encaissement des dépenses, des recettes, la production des comptes de l'État et des collectivités locales. La DGFiP encaisse à peu près la moitié des recettes publiques, les Urssaf encaissant pour l'essentiel l'autre moitié, et paye environ 80 % des dépenses publiques ; notre budget s'établit à un peu plus de 8 milliards d'euros, et sur les 93 000 agents de la DGFiP, à peu près 55 000 travaillent dans la sphère de la gestion fiscale, et 35 000 dans celle de la gestion publique.

Pour mémoire, nous avons aussi quelques autres missions, notamment le service des retraites de l'État, qui assure les pensions de l'ensemble des secteurs publics, la gestion des fonds déposés au nom de la Caisse des dépôts.

La DGFiP s'est dotée d'une stratégie à travers un cadre d'objectifs et de moyens, adopté en 2023 pour la période 2023-2027. Un premier objectif vise à consolider l'ensemble de nos missions régaliennes avec un accent particulier sur la lutte contre la fraude, - un bilan d'étape vient d'en être présenté par la ministre déléguée chargée des Comptes publics et la ministre chargée de la Sécurité sociale - et l'amélioration du recouvrement des amendes. Deuxième objectif, le développement de notre rôle de conseil, pour les usagers et pour les partenaires, y compris les usagers qui peuvent être loin du service ou même avoir peur du service des impôts, nous développons une stratégie d'accueil physique, de réponse au téléphone et par messagerie sécurisée. Nos missions de conseil s'adressent également à tous nos partenaires, bien sûr aux collectivités locales, nous déployons le nouveau réseau de proximité constitué par les conseillers aux décideurs locaux. Nous développons aussi le conseil aux entreprises, notamment aux entreprises en difficulté.

Au total, nous avons une centaine d'actions, nous les suivons de manière chiffrée et précise à l'échelle territoriale. Je ne saurais vous les présenter toutes, mais je veux mettre l'accent sur quelques avancées.

Les résultats en matière de lutte contre la fraude seront présentés ce vendredi, j'indique donc seulement que nous sommes revenus sur une dynamique importante de croissance, tant des droits et pénalités notifiées que des recouvrements. Notre objectif, formulé dans les projets annuels de performance, est de lutter contre la fraude mais aussi de favoriser le civisme fiscal - l'un de nos indicateurs de performance porte sur l'acceptation par le contribuable des résultats du contrôle, nous dépassons régulièrement les 40-45 % de taux d'acceptation pour des particuliers, ce qui démontre le souci de pédagogie porté par l'ensemble des équipes. Nous portons aussi une attention très forte à la lutte contre les fraudes les plus complexes.

En matière d'accueil du public, nous avons amélioré nos résultats sur la téléphonie, c'est important puisque la DGFiP avait des progrès à faire sur ce qu'on appelle le taux de décroché, qui mesure la proportion d'appels pris dans un temps donné. Les usagers sont très contents des échanges qu'ils ont au téléphone avec nos agents. Nous avons des pics de charges pendant la campagne de déclaration et la campagne des avis, mais nous sommes montés à un taux de décroché de 75 %, grâce au déploiement d'un numéro national. Même si on peut encore faire mieux, ce sont de bons résultats. La DGFiP est le premier service public d'après le baromètre Delouvrier - conduit de manière indépendante - avec 82 % de taux de satisfaction.

Je ne saurais présenter ici les résultats sur chacun de nos axes d'action, mais je signale que ces progrès sont réalisés tout en diminuant nos effectifs - nous avons réduit nos effectifs de 25 % depuis 2008, l'année 2024 n'a pas dérogé à cette trajectoire qui s'inscrit dans la durée, c'est une priorité assumée, elle se traduit par un investissement fort dans notre système d'information, nous révisons certaines procédures pour résorber ce qu'on appelle dans notre jargon la dette technique.

Je m'inscris donc pleinement dans le cadre d'objectifs et de moyens défini en 2023. J'aimerais y apporter cependant une inflexion, pour mettre la donnée de qualité au coeur de nos missions, ceci pour les partager au service des politiques publiques. Nous avons par exemple expérimenté cette année, avec l'accord des parents, la communication des revenus fiscaux de référence au service des bourses scolaires, géré par l'Éducation nationale - ce qui a facilité l'octroi de bourses, y compris pour des ménages qui n'en demandaient pas, ceci en assurant bien sûr la protection des données personnelles.

Pour finir, quelques éléments d'actualité, et d'abord sur les prévisions, puisque vous m'y invitez. Des communications ont été faites, nous avons eu l'année dernière des difficultés de prévision d'un certain nombre de grands impôts. Je reviens sur la TVA, où il est peu classique d'avoir des écarts importants, comme on en connait par exemple pour l'impôt sur les sociétés. Ce qu'on peut dire, c'est qu'on n'a pris que partiellement en compte les conditions de l'exécution 2023, avec des profils, y compris de croissance économique, qui ont été mal appréhendés entre la part des importations par rapport à la consommation intérieure et le rythme de la croissance. Il y a eu un effet Jeux olympiques, avec des surcroits de recettes de TVA au cours du troisième trimestre 2024, mais ensuite, un ralentissement qui a conduit à moins de TVA que prévue.

Nous continuons à faire des retours d'expérience pour bien comprendre ce qui s'est passé. La France n'est pas le seul pays où il y a eu des erreurs de prévision sur la TVA, il y a des effets macroéconomiques de renversement de l'inflation, mais aussi des évolutions potentielles de comportements de consommation. Nous allons accorder une attention toute particulière cette année à deux sujets : les remboursements de crédits de TVA - les ministres ont annoncé un audit en la matière pour comprendre pourquoi les entreprises nous demandent plus de remboursements de crédits de TVA - et les questions de fraude à la TVA. Le département statistique de la DGFiP, qui a le statut de service statistique ministériel, a publié en septembre dernier une étude sur l'écart de rendement de la TVA par rapport à ce qui serait attendu, qui n'est pas une mesure de la fraude en tant que telle puisqu'il faut tenir compte des déformations liées aux taux réduits, mais qui donne une indication utile : l'écart de rendement se situe entre 6 et 10 milliards d'euros, nous entendons en récupérer une partie par la facturation électronique.

S'agissant de l'impôt sur les sociétés, les ministres ont également annoncé une concertation avec les entreprises pour voir quelles seraient les informations qu'elles pourraient nous donner, ou que nous pourrions exiger sur une base éventuellement législative, en amont des versements, ce qui permettrait en particulier de mieux apprécier le 5ème acompte.

Concernant l'évaluation du 5ème acompte, je suis au regret d'avoir à vous décevoir, Monsieur le Président ; effectivement, je considère qu'en vertu du principe de sincérité posé par la loi organique relative aux lois de finances, il serait compliqué d'inscrire une prévision à zéro pour cet acompte. Cependant, si le législateur souhaitait changer cette disposition, nous nous y conformerions. Je retiens, et les ministres l'ont dit très nettement, qu'il faut faire toute la transparence sur le détail de nos prévisions et les raisons qui nous font choisir nos hypothèses.

La facturation électronique est un chantier important. Cette réforme a été engagée de longue date, elle a connu des difficultés, ce qui a motivé la mission de l'IGF ; puis des annonces ont été faites, le projet a été confirmé à l'automne dernier dans ses objectifs, ses modalités et son calendrier. Il a donc été en partie revu. Nous n'allons pas fournir un nouveau service public gratuit avec un portail public qui prendrait en charge les factures des entreprises : cette prestation sera assurée par des plateformes privées, l'écosystème de suivi de ces factures est très dynamique, nous avons homologué plus de 80 plateformes à ce jour. Nous nous concentrons sur les missions principales de l'État : assurer l'annuaire inter-entreprises, outil de vérification d'une entreprise qui adresse une facture électronique, et ce que nous appelons le concentrateur de factures, pour simplifier la chambre de compensation à la TVA et assurer un meilleur recouvrement de l'ensemble de nos recettes. Nous n'avons pas d'inquiétude particulière sur le calendrier tel qu'il a été annoncé à l'automne, avec deux échéances : en septembre 2026, toutes les entreprises devront être en situation de recevoir des factures électroniques et les plus grandes d'entre elles, d'en émettre ; en septembre 2027, généralisation de la facturation électronique. Nous en reparlerons en loi de finances mais je peux vous confirmer que, sur le plan technique, nous sommes bien dans le calendrier annoncé à l'automne dernier. Dans tous les pays où elle a été déployée, cette facturation électronique améliore les recettes de TVA. D'abord par civisme fiscal, puisque chacun sait alors que l'administration repère mieux les échanges, mais aussi du fait que le contrôle fiscal est facilité, puisqu'on est mieux à même de croiser les données.

Parmi les autres actualités, nous avons eu une deuxième année de campagne « Gérer mon bien immobilier », qui s'est beaucoup mieux déroulée que la première. Il y a une meilleure appréhension de la nouvelle obligation déclarative pour les propriétaires, même s'ils ne déclarent pas toujours bien les occupants des logements ; la prochaine campagne d'impôt sur le revenu sera l'occasion de rappeler ces obligations et d'améliorer la qualité de nos bases - vous avez lu le rapport de la Cour des comptes, nous avions, avant la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, une mauvaise connaissance globale et collective des biens immobiliers, ce qui explique qu'on a eu du mal, ensuite, à correctement les taxer. L'année 2024 s'est donc bien mieux passée sur ce plan - et c'est l'occasion de préciser qu'en 2023 comme en 2024, les collectivités ont bien sûr perçu le produit voté, sans difficulté particulière.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'aborderai trois sujets : la facturation électronique, la réforme de la franchise en base de TVA et la fiscalité locale.

Nous avons vu la DGFiP très réactive pendant la crise sanitaire pour distribuer des fonds publics, nous l'avons vue réussir le prélèvement à la source - ce dont certains commentateurs avaient douté - et considérant ces réussites, on se demande pourquoi la facturation électronique prend tant de temps. Vous dites que le calendrier sera tenu, mais qu'un certain nombre de plateformes doivent désormais être homologuées par la DGFiP : savez-vous quels effectifs seront mobilisés par ces travaux ? Quel est le montant de surplus de recettes attendu de cette réforme? Enfin, comment s'effectue concrètement le travail de pédagogie mené par la DGFiP auprès des ETI et des PME ?

Deuxième sujet, comment la réforme de la franchise en base de TVA a-t-elle été préparée par vos services ? Quelle place avez-vous fait aux petites entreprises, aux autoentrepreneurs ? Quels secteurs sont les plus affectés ? Quel est le montant attendu du rendement de cette réforme ? Il y aurait une alternative, avec une franchise unique à 37 500 euros, voire une deuxième pour le bâtiment à 25 000 euros : est-ce constitutionnel ?

Enfin, sur la fiscalité locale, je veux évoquer le projet, énoncé en 2020, d'une révision des valeurs locatives cadastrales pour les locaux d'habitation. Cette échéance est attendue autant par les contribuables que par les collectivités : comment comptez-vous procéder ? Quelles difficultés pensez-vous rencontrer ? Dans la révision des locaux commerciaux, on a augmenté les valeurs locatives dans les centres-villes, à rebours des politiques de soutien aux commerces de centre-ville. La révision pour les locaux d'habitation ne souffrira pas de cet écueil-là car elle valorisera moins les locaux où les services publics sont les moins denses. Qu'en pensez-vous ? Comment comptez-vous procéder ? Et quelles recettes supplémentaires escomptez-vous de cette réforme ?

M. Claude Nougein, rapporteur spécial de la mission « Gestion des finances publiques ». - La DGFiP fonctionne bien, elle est efficace, ceux qui paie des impôts le savent, la lutte contre la fraude est bien réelle, et votre direction est un exemple pour la baisse des effectifs publics : elle comptait 110 000 agents en 2008, vous êtes à 93 000 - tout en étant plus efficaces, ceci grâce au développement du numérique, au prélèvement à la source, demain à la facturation électronique. En 2023, le Premier ministre Gabriel Attal annonçait 1 500 agents de plus pour le contrôle fiscal en 2027, nous sommes à mi-parcours et on en est à 760 agents supplémentaires, le rythme est donc tenu. Voulez-vous aller plus loin ? Ne faut-il pas aussi mieux qualifier les agents, pour que les contrôles ciblent plus précisément les fraudeurs potentiels ? Avec la facturation électronique, il y aura moins de fraudes, donc on pourra limiter le nombre d'agents, mais il faudrait les spécialiser, en particulier sur les cryptoactifs : ceux qui gagnent des fortunes en cryptoactifs sont-ils contrôlés ? Paient-ils des impôts ? J'imagine qu'il faudrait déployer des agents spécialisés dans ces cryptoactifs : qu'en pensez-vous ?

Le ministre Gérald Darmanin s'était engagé à mobiliser 1 200 conseillers des décideurs locaux (CDL), ils sont très importants pour les petites communes ; or, vous dites qu'un millier de CDL suffiront : est-ce à dire que la parole de l'État change chaque année ?

Enfin, l'opération « Gérer mon bien immobilier » s'est mal passée en 2023, la Cour des comptes évoque une campagne déclarative chaotique, on peut parler d'un fiasco, il y a eu de nombreuses erreurs, nous connaissons tous des gens à qui l'administration a dit que leur maison était deux fois plus grande que dans la réalité, sans qu'on sache pourquoi... Les erreurs ont-elles pu être corrigées ?

M. Marc Laménie. - Dans les Ardennes, un centre d'appel téléphonique reçoit le numéro d'appel unique, les agents y font un travail remarquable : ce centre sera-t-il conforté ? Et les rendez-vous physiques seront-ils maintenus, malgré la diminution du nombre d'ETP ?

Certaines compétences des douanes en matière de recouvrement ont été transférées à la DGFiP. Combien d'agents consacrez-vous à ces nouvelles compétences ?

M. Pascal Savoldelli. - Le recouvrement fiscal progresse : quels impôts ont-ils été les plus ciblés par les contrôles ? Quels critères ont-ils guidé la répartition des contrôles et recouvrements ? Vous avez obtenu des crédits au titre du Fonds de transformation de l'action publique et on vous demande de la productivité ; comment avez-vous employé l'IA dans ce cadre ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Je souhaite vous interroger sur vos relations avec les préfectures dans le cadre du contrôle de légalité et du contrôle budgétaire. Pour le contrôle de légalité, l'expertise des services déconcentrés de la DGFiP est surtout mobilisée pour les actes relatifs à la commande publique : comment les choses se passent-elles ? Pour le contrôle budgétaire, une convention de 2013 vous relie à la DGCL, elle est déclinée localement - il y aurait 92 conventions locales, d'après mes informations. Cependant, un rapport de la Cour des comptes de 2022 sur le contrôle de légalité indique que de plus en plus de directions départementales et régionales des finances publiques arrêtent le contrôle des actes budgétaires, créant un report de charge sur les préfectures ; la Cour propose de rendre obligatoire la participation de la DGFiP au contrôle budgétaire par les préfectures, avec même une prise en charge du contrôle pour les délibérations fiscales : qu'en pensez-vous et où en est-on ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Connaissez-vous le taux de recouvrement de la taxe streaming ? Le compte financier unique a remplacé le compte administratif et le compte de gestion, quel en est le bilan ? Enfin, avez-vous une évaluation à l'échelle nationale de ce que l'administration classe en « admission en non-valeur », ce qu'elle fait de plus en plus dans la comptabilité des communes ? Peut-on envisager de rendre cette procédure un peu plus contraignante ?

Mme Christine Lavarde. - Le projet d'un centre de gestion Infinoé - pour INformation FINancière des Organismes de l'État - est censé améliorer la connaissance et le suivi des organismes publics nationaux : quels organismes seront-ils couverts ? Quel calendrier pour ce projet ? Et qu'en attendez-vous concrètement ?

Le rapport d'Alexandre Gardette sur la réforme du recouvrement fiscal et social, publié en juillet 2019, avait été suivi par une fusion des opérations de recouvrement aux mains de la DGFiP et des Douanes. Or, la sphère sociale est restée à l'écart. Par exemple, l'Urssaf recouvre la CSG des revenus d'activité et de remplacement, mais la DGFiP recouvre la CSG sur les revenus du capital ; l'Urssaf recouvre la taxe de solidarité additionnelle, la C3S ou encore la contribution autonomie sur les impôts de production, tandis que la DGFiP recouvre, elle, la taxe sur les salaires ; l'Urssaf recouvre la CRDS, tandis que la DGFiP recouvre les prélèvements de solidarité... chacun en conviendra : dans ces conditions, il est bien compliqué d'avoir une vision d'ensemble - et l'on cherche vainement la simplification annoncée après le rapport Gardette et les travaux de « Cap 22 » : où en est-on ?

M. Michel Canévet. - La restructuration du réseau de la DGFiP avait inquiété dans les départements, mais il faut reconnaitre que, dans le Finistère, les choses se passent bien, la réforme est plutôt appréciée et cela démontre qu'on peut encore mener à bien des réformes dans notre pays. Le ministre Darmanin s'était engagé à déconcentrer des effectifs : est-ce que le mouvement est terminé, ou bien peut-on compter sur plus d'effectifs dans notre département ?

Bien des entreprises, ensuite, s'inquiètent du projet de facturation électronique, on a en mémoire l'échec de la déclaration dématérialisée des formalités administratives : que leur répondez-vous ?

Enfin, concernant le contrôle fiscal, beaucoup reste à faire pour résorber l'écart entre les montants mis en recouvrement et les montants encaissés, nous espérons que le Gouvernement retiendra les propositions du Sénat en la matière. Entre 2020 et 2024, le montant des droits et pénalités pour mise en recouvrement a doublé, mais le total des encaissements n'augmente que de 50 % : on identifie la fraude, mais l'encaissement ne suit pas, que se passe-t-il entre les deux ? On dit aussi que le recouvrement des amendes n'est pas bon et nous constatons des défauts de recouvrement dans les territoires, parce que nous manquons d'huissiers de justice du Trésor : ne faudrait-il pas faire appel aux huissiers de justice pour renforcer ceux du Trésor ?

M. Vincent Delahaye. - Je partage l'avis de notre président sur la prudence dans les prévisions de recettes et cela fait des années que je me plains de l'indigence des documents budgétaires ; l'an passé, le ministre Laurent Saint-Martin nous avait promis des documents plus détaillés, qu'en est-il cette année ?

Nous avons voté 53,5 milliards d'euros en dépenses pour les intérêts de la dette, j'ai lu qu'ils s'élèveraient en réalité à 67 milliards d'euros : qu'en est-il ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Nous assistons à une déferlante de ventes en ligne depuis la Chine - le fabricant chinois Shein, par exemple, est devenu le premier vendeur de textiles en France, avec 23 millions de clients. Les plateformes vendent des biens de consommation sous la barre des 150 euros qui déclenchent le paiement de droits de douane, elles les envoient directement et gratuitement à leurs clients sans aucun contrôle. J'ai vérifié ce qu'il en était, en testant par un achat : la facture qui m'a été adressée indique un paiement de la TVA, mais l'entreprise qui me l'adressait, domiciliée en Irlande, n'avait pas de numéro d'identification de douane valide - et il s'agit de Shein. Ces plateformes posent un problème de concurrence, mais aussi de finances publiques, il ne faudrait pas attendre 2026 pour supprimer ce seuil de 150 euros pour le déclenchement du paiement des droits de douane : qu'en pensez-vous ?

M. Albéric de Montgolfier. - Considérez-vous que l'État est performant dans la gestion du parc immobilier dont il est propriétaire, en particulier pour les cessions ?

Ensuite, avez-vous des statistiques sur le non bis in idem, en l'occurrence sur l'orientation des dossiers entre le parquet et l'administration du Trésor ?

M. Thierry Cozic. - Une enquête de l'Association des maires de France (AMF) a relayé l'inquiétude des élus locaux face à la réorganisation territoriale des services fiscaux. Cette enquête montre que la DGFiP reste un partenaire privilégié des élus, mais souligne la complexité des procédures, la surcharge administrative et l'affaiblissement des liens personnalisés qui prévalaient avec les anciens trésoriers ; vous avez perdu 30 000 postes et les élus soulignent la difficulté face à la dématérialisation des procédures, qu'ils jugent complexe et peu accompagnée par la DGFiP. Vous dites que le déploiement des conseillers aux décideurs locaux n'est pas achevé : quelles sont vos orientations pour ces CDL, qui sont devenus si importants pour les élus locaux ?

M. Stéphane Sautarel. - Une remarque : je ne partage pas votre optimisme sur l'efficacité du service des réponses téléphoniques de la DGFiP - j'ai un témoignage de l'impossibilité de joindre un centre parisien depuis des mois...

Dans son rapport de janvier dernier sur l'application « Gérer mon bien immobilier », la Cour des comptes établit qu'en 2023, un million de contribuables ont reçu des avis d'imposition erronés, avec un manque à gagner pour l'État de 1,3 milliard d'euros. Quelles mesures avez-vous prises pour que ces erreurs regrettables ne se reproduisent pas ?

M. Claude Raynal, président. - Je reviens à ma question sur la sincérité budgétaire, puisque vous m'avez fait une réponse type. J'ai participé la semaine dernière à un colloque de droit, sur la sanction de l'insincérité en matière financière. J'y ai dit que l'insincérité budgétaire ne me semblait pas sanctionnée - et les juristes me l'ont confirmé. Pour résumer, l'insincérité ne pourrait être sanctionnée que s'il était prouvé qu'elle serait volontaire, intentionnelle. Or, on imagine mal Bercy vouloir être insincère - et c'est pourquoi le Conseil constitutionnel ne dit jamais qu'un budget est insincère. Or, je crois que la situation n'est pas la même quand on est à six points de déficit public dans l'année : alors, il faudrait pouvoir être un peu plus précautionneux, et dire que la prudence prend le dessus sur la stricte sincérité technique. Je continue donc de trouver anormal qu'on donne une valeur à un cinquième acompte dont on ne sait rien - et je ne vois pas en quoi il serait dangereux, insincère, d'inscrire la valeur zéro puisque, « au pire », on trouverait finalement une recette supplémentaire. Même chose pour le remboursement de crédit de TVA par les entreprises, dont on sait qu'elles font un peu ce qu'elles veulent : je ne vois pas en quoi ce serait insincère d'être précautionneux et d'inscrire un peu moins de remboursement. J'ai entendu votre réponse, Madame la directrice, mais je reste sur ma position.

Mme Amélie Verdier. - Merci pour ces questions nombreuses, qui témoignent de votre intérêt pour l'action des 93 000 agents de la DGFiP.

Sur la facturation électronique, nous avons déjà agréé 87 plateformes, ce nombre augmente rapidement. J'emploie le terme de plateforme mais il faudrait peut-être en trouver un autre, car l'administration est neutre sur le statut et l'agrément peut très bien concerner des experts-comptables au sens classique ; nous avançons dans les homologations, l'AFNOR vérifie que nous couvrons bien tous les cas d'usages et les configurations d'entreprises, il y a beaucoup à faire auprès des PME, c'est exact. Nous attendions confirmation du calendrier, c'est chose faite et nous disposons désormais d'un produit technique plus conforme aux attendus. Il est vrai qu'au départ une plateforme publique était prévue, mais nous avons mesuré sa complexité de gestion, liée en particulier à la diversité des situations. Il est donc préférable d'accompagner un écosystème qui répondra mieux aux besoins ; nous sommes raisonnablement confiants sur ce projet, même s'il faudra des textes législatifs et réglementaires pour qu'il voit le jour. Les organisations représentatives, patronales et consulaires, sont convaincues des bénéfices d'une telle réforme, pour le pilotage global des finances des entreprises, pour les relations inter-entreprises ; cependant, il y aura la phase de transition qui sera nécessairement difficile, nous allons nous efforcer de renforcer les partenariats avec les experts-comptables, avec les représentations d'entreprises car tous, globalement, nous demandent de maintenir la réforme et son calendrier. Quel en sera le rendement ? Je n'ai pas d'évaluation précise, mais si l'on en croit les exemples à l'étranger, le rendement se compte en milliards d'euros plutôt qu'en centaines de millions d'euros.

Sur la franchise en base de TVA, je rappelle qu'avant la dernière loi de finances, il y avait 8 seuils différents, en fonction du statut de l'entreprise et de l'activité, avec un risque sur la concurrence, dénoncé par ceux qui paient la TVA ; la réforme répond à un enjeu de simplification, pour l'administration mais aussi pour les entreprises, en plus de son objectif de rendement. Les options sont sur la table de la concertation, rien n'est demandé avant le 1er juin, puis il faudra choisir. Le fait de définir des seuils ne pose pas de problème de constitutionnalité, puisqu'il y en a déjà dans le dispositif actuel. Quant au rendement, il est difficile à évaluer, d'autant que l'ensemble va prendre plusieurs années à être à plein régime.

L'exécution 2024 montre que la santé financière des collectivités territoriales est satisfaisante, même si les départements sont en difficulté - les excédents en fonctionnement se trouvent du côté du bloc communal. Les dépenses totales ont progressé l'an passé de 4,5 %, - les chiffres ne sont pas encore consolidés -, contre + 6,7 % prévus en loi de finance. On observe une inflexion de ce dynamisme au deuxième semestre et surtout au dernier trimestre, peut-être liée aux mesures annoncées pour la loi de finances de cette année, nous regardons cela de près avec la DGCL. Les dépenses sociales des départements progressent de 3,6 %, c'est nettement au-dessus de ce qui était prévu en loi de programmation. La DGFiP publie des données mensuelles, nous attendons les derniers chiffres de l'Insee pour affiner notre analyse.

La révision des valeurs locatives des locaux d'habitation est un sujet très complexe dans son détail, chacun de vous le sait bien. Les bases historiques n'ont pas été revues depuis très longtemps, certaines collectivités ont souhaité le faire, nous les avons accompagnées, nous avons constaté des écarts importants entre la réalité des biens et la façon dont ils étaient enregistrés, en particulier sur les éléments de confort. Une révision complète fera plus de recettes pour les collectivités, et plus d'impôt, il est difficile de savoir dans quelle proportion. Le sujet n'est pas que technique, même s'il pose des questions techniques importantes, il est politique, il concerne la définition même des valeurs matérielles prises en compte par l'administration dans l'établissement de l'impôt, nous aurons l'occasion d'y revenir.

Merci, monsieur le rapporteur spécial, de votre soutien à l'action de la DGFiP, je vous remercie au nom des agents, il n'est pas facile d'améliorer la qualité du service tout en réduisant ses effectifs, nous sommes sensibles à vos mots de soutien. Depuis l'annonce faite par Gabriel Attal, nous sommes à 700 agents supplémentaires sur le contrôle fiscal ; nous ne cherchons pas à faire du chiffre mais de la qualité, en renforçant nos capacités d'analyse, nous plaçons plus d'agents à la direction nationale des enquêtes fiscales, qui fait la vérification des plus grandes entreprises et des particuliers les plus riches. Nous renforçons également l'administration centrale, en particulier la sous-direction chargée des affaires internationales, pour une action internationale plus soutenue. L'amélioration de la lutte contre la fraude tient aussi à ces moyens, nous avons une très bonne collaboration entre pays de l'Union européenne, nous sommes désormais en mesure, dans la déclaration préremplie, d'indiquer au contribuable que nous connaissons ses avoirs au sein de l'Union, ou encore ses revenus tirés des plateformes de e-commerce.

Je vous confirme que nous développons une action sur les cryptoactifs, une équipe cible ce sujet, en collaboration avec Tracfin, nous avons des actions de formation sur le sujet. Je sais que nous sommes loin de repérer tous les revenus tirés de ces actifs, mais nous nous y efforçons.

Nous sommes satisfaits du déploiement des conseillers aux décideurs locaux, la réforme permet qu'à côté de notre capacité de faire du traitement de masse et de cibler plus précisément des dépenses, nous puissions déployer ces agents qui conseillent les élus mais aussi les secrétaires de mairie. Nous en sommes à 900 CDL en place, c'est un métier important à la DGFiP et qui n'est pas facile, il est souvent exercé par d'anciens comptables, il faut connaitre la chaine de la dépense mais aussi conseiller les élus sur des opérations en fonction de leur fiscalité - les compétences attendues sont donc très larges, notre priorité n'est pas d'augmenter beaucoup le nombre de CDL, mais de s'assurer qu'ils sont en mesure de répondre aux demandes, en lien bien sûr avec les services de la DGFiP. La réforme nous a permis également de spécialiser les trésoreries hospitalières, c'est un progrès parce que nos ressources étaient un peu disséminées.

Le Cour des comptes évoque une campagne « chaotique » pour la première année de l'opération « Gérer mon bien immobilier », mais je m'inscris en faux contre le qualificatif de « fiasco ». Je reconnais nos difficultés importantes, - mon prédécesseur les avait également reconnues -, et les contribuables qui ont été taxés a tort ont été dégrevés. Le système informatique était fait de telle sorte que, quand il ne trouvait pas de redevable pour un bien, il cherchait un autre membre du foyer fiscal - c'est la raison pour laquelle des personnes mineures ont été taxées, pas parce que nous serions devenus fous au point d'imposer les moins de 18 ans... Nous avions des informations erronées dans nos bases, nous avons corrigé celles que nous avons repérées et nous allons continuer dans ce sens, en toute transparence ; nous avions émis 3,9 millions d'avis au titre de la taxe d'habitation sur la résidence secondaire en 2023, nous sommes à 3,24 millions en 2024, et le nombre de dégrèvements a baissé de 30 %, nous sommes en bonne voie.

La lutte contre la fraude fiscale passe par plusieurs approches. D'abord, le data mining, le croisement d'informations : environ la moitié des contrôles fiscaux des entreprises sont déclenchés par ce moyen, un peu moins pour les particuliers. Cependant, cela n'aide pas beaucoup contre la fraude complexe, il faut aller plus loin ; nous le faisons par un travail systématique sur toutes les incohérences de déclarations, ce travail est de plus en plus efficace, mais aussi par une approche ciblée sur les patrimoines les plus élevés - nous avons ciblé les successions en particulier, nous constations trop de successions vacantes et des contrôles insuffisants sur les valeurs. Nous avons amélioré le recouvrement de près de 20 %. Nous avons aussi des axes thématiques, d'appréhension économique et pas seulement ciblés sur l'impôt, nous travaillons par exemple avec les Urssaf pour mieux cibler nos interventions.

Je souscris au constat sur la fraude du e-commerce facilité par le seuil de 150 euros en-deçà duquel il n'y pas de recours possible dès lors qu'un numéro de TVA a été enregistré. Nous avons un plan, que je ne peux pas vous dévoiler publiquement, nous sommes bien conscients que le problème se pose effectivement.

L'écart de niveau entre notification et recouvrement tient pour partie au décalage dans le temps, puisqu'on recouvre des droits et pénalités des années précédentes. Il y a aussi le fait que des fraudeurs organisent leur insolvabilité, c'est d'autant plus le cas que les fraudes sont complexes. L'an passé, nous avons augmenté les recouvrements de 850 millions d'euros, nous utilisons une large gamme d'actions pour y parvenir. Contre les fraudes les plus graves, nous collaborons avec la justice pour obtenir des saisies conservatoires - la flagrance fiscale ne s'applique pas à tous les chefs d'incrimination, mais elle est possible en particulier pour le trafic de drogue et le financement du terrorisme. Nous coopérons aussi avec la police et la gendarmerie pour procéder à des saisies quand des personnes sont en garde à vue.

Notre objectif est le civisme fiscal, et nous sommes très satisfaits que la dernière loi de finances ait autorisé les centres d'impôts à faire ce qu'on a appelé des mini contrôles au stade de la déclaration des revenus : quand une déclaration parait très étonnante, par exemple sur les charges à déduire de crédits d'impôts, nous pouvons ne pas les intégrer à l'émission de l'impôt si le contribuable ne répond pas ou s'il répond de manière trop vague, nous pouvons ainsi agir en amont de tout redressement.

Sur le réseau de proximité, la DGFiP va continuer à faire de l'accueil physique, c'est un axe fort de notre réseau de proximité. Nous avons réduit le nombre d'emprises de la DGFiP, mais nous déployons notre capacité à intervenir dans les maisons France services et en mairie, selon les territoires - dans leur diversité.

Nous avons fait des progrès sur la joignabilité au téléphone, nous avons un objectif à 85 % et nous sommes à 75 %...

M. Albéric de Montgolfier. - J'en doute.

Mme Amélie Verdier. - Ce chiffre est établi, sur le numéro national, de manière indépendante. Nous n'avons pas les chiffres locaux, nous procédons alors par enquête - et comme je l'ai dit en toute transparence, nous avons encore des progrès à faire et nous nous y employons. Les centres de contact téléphonique sont déployés pour les particuliers, nous sommes à un bon niveau de déploiement et cela fonctionne bien. Nous allons, en revanche, les renforcer pour les entreprises et pour les amendes. Et nous savons bien que le centre de contact téléphonique ne fait pas tout, qu'il faut aussi pouvoir prendre rendez-vous avec le centre d'impôt, y compris au téléphone.

Sur la déconcentration de nos moyens, nous avons engagé un déploiement de service dans les villes moyennes, correspondant à des besoins métiers et aux possibilités de contrôle à distance, sur de nombreux sujets où le contrôle s'effectue sur pièces. Nous avons fait ce qui était prévu, mais nous avons encore des possibilités.

Sur les collectivités, j'ai répondu précisément au président de l'AMF sur l'étude que vous avez citée. Je pourrai vous communiquer ma réponse écrite, cette enquête de l'AMF nous avait parue assise sur une base statistique réduite, plus limitée que celle de la Cour des comptes qui a fait un rapport complet sur le déploiement du nouveau réseau de proximité. Cela dit, cette enquête met l'accent sur de nombreux points intéressants. D'abord, sur des réussites, en particulier le fait que l'esprit de la réforme est compris et qu'elle fonctionne plutôt bien. Ensuite, sur des difficultés, il est vrai que passer de petites équipes territorialisées à des unités plus grandes et plus professionnalisées, cela fait courir le risque d'une certaine uniformisation des pratiques ; mais il y a les conseillers aux décideurs locaux qui se mettent en place, il faut les faire connaître. Les relations ne seront pas les mêmes que dans les anciennes trésoreries, mais nous sommes à un taux de satisfaction élevé, supérieur à 90 ou 95 %, et nous sommes ouverts à toute proposition d'amélioration du service.

La DGFiP ne dispose plus de crédits du Fonds de transformation de l'action publique et nous n'avons pas d'objectifs de réduction d'effectifs en recourant à l'IA ; nous cherchons plutôt une intelligence « augmentée », une aide aux agents - l'IA apporte à l'évidence des gains de productivité, nous avons prévu d'en faire bénéficier la qualité de service. Il y a des domaines comme le contrôle, où l'IA est déjà opérationnelle, d'autres où elle est en phase de test, comme l'interaction conversationnelle.

Je n'ai pas de chiffres sur les admissions en non-valeur à l'échelle nationale. Quand le comptable propose cette admission, c'est que toutes les actions en poursuites ont été épuisées. La réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, en abandonnant le principe de responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable, nous a conduit à arrêter de poursuivre quel que soit le montant du recouvrement, ce qui nous a fait faire un peu le clair sur ce qui restait à passer en non-valeur. Je regarderai ce qu'il en est à l'échelle nationale, si nous avons cette statistique, mais je pense qu'avec le nouveau régime de responsabilité, ce sujet doit plutôt s'examiner au cas par cas.

La taxe streaming a rapporté 14,3 millions d'euros sur les 15 millions prévus, en plus de la taxe numérique, qui rapporte près d'1 milliard d'euros.

Je suis peinée d'entendre M. Delahaye parler « d'indigence » à propos des documents budgétaires, c'est excessif - si nous pouvons toujours et si nous cherchons à faire mieux, il faut savoir que les documents budgétaires français sont qualifiés de très transparents et précis dans les comparaisons internationales. Je regarderai quelles informations pourraient être plus précises, par exemple en matière d'impôt sur les sociétés.

Sur l'unification du recouvrement et les suites données au rapport Gardette, je n'ai pas le nombre de personnels transférés à la DGFiP, mais je sais qu'il est moindre que celui des agents qui s'occupaient des recouvrements concernés aux Douanes. Nous vous en rendrons compte quand le mouvement sera achevé - vous savez qu'il est reporté à 2027 pour la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Cette réforme a beaucoup de sens, pour que les entreprises aient un interlocuteur unique. Nous travaillons beaucoup avec les Urssaf pour améliorer notre action et notre productivité collective. Le Portailpro est une suite du rapport Gardette, plus d'un million d'entreprises y sont inscrites, c'est une pierre à l'édifice qui donnera à l'entreprise la synthèse de ses dettes fiscales et sociales. Nous testons aussi ce qu'on appelle la « vue agent », une mutualisation entre administrations pour assurer le meilleur compte possible des actions de recouvrement. Nous travaillons aussi pour mieux partager les informations ; la dernière loi de finances nous a autorisé la levée du secret fiscal, qui n'était pas complète vis-à-vis des Urssaf, c'est utile.

Sur Infinoé, effectivement, le projet a pris du retard, j'ai décidé de ne pas forcer la bascule des opérateurs dans ce nouveau système qui, manifestement, n'était pas prêt. Je suis prudente sur le nouveau calendrier, nous attendons les derniers travaux pour le confirmer, sans perdre de vue l'intérêt pour la situation des opérateurs.

Je n'ai pas avec moi les statistiques sur le déploiement du compte financier unique, nous sommes très avancés, c'est un objectif que nous suivons de près, nous gagnons en lisibilité et en compréhension - je vous communiquerai les chiffres par écrit.

Je n'ai pas la réponse sur les intérêts de la dette, nous pourrons aussi revenir vers vous.

Pour apprécier l'efficacité de la politique immobilière de l'État, il faut tenir compte du marché - le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il était peu porteur l'an dernier. Nous poursuivons plusieurs objectifs : la réduction des surfaces, pour des motifs de transition énergétique ; la meilleure allocation des espaces : quand la DGFiP se relocalise et laisse un bâtiment, il est utile de se demander si un autre service public pourrait y être hébergé ; enfin, concernant le fait de disposer des produits de cession, il me semble qu'en la matière, les chiffres de l'an passé n'étaient pas mauvais.

Sur le contrôle de légalité, j'ai lu aussi ce rapport de la Cour des comptes qui, en 2022, avait jugé sévèrement notre action. Cependant, le contrôle de légalité relève bien des préfectures et, comme vous l'avez relevé, la DGFiP s'y associe localement, nous avons des échanges avec la DGCL pour déployer au mieux notre action. La DGFiP n'a pas de compétence en matière de commande publique, on passe donc par convention, nous examinons avec la DGCL la meilleure façon de relancer ce chantier.

Je n'ai pas de chiffres sur l'application du principe non bis in idem, mais nous avons ceux de la transmission obligatoire à la justice - en cas de pénalité à 80 % ou de pénalités répétées à 40 %. Nous collaborons très bien avec le parquet national financier (PNF), il y a des dossiers où nous nous saisissons concomitamment, par exemple le cas d'un blanchiment où nous enquêtons déjà pour fraude fiscale.

J'en termine par un supplément de réponse à votre question, Monsieur le Président. L'administration prend très au sérieux le principe de sincérité, il est utile pour l'établissement des documents budgétaires. J'accueille favorablement ce que vous dites du principe de prudence : il pourrait figurer aux côtés du principe de sincérité - c'est un débat non pas technique, mais politique, dans le meilleur sens du terme.

Dernière précision : nous avons transmis 2 176 dossiers à la justice l'an dernier, dont 314 pour fraude fiscale.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour toutes ces informations.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 45.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics

M. Claude Raynal, président. - Madame, monsieur les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir, pour la première fois dans ce rôle, M. le ministre Éric Lombard et Mme la ministre Amélie de Montchalin, pour une audition générale dans laquelle il sera essentiellement question de l'exécution du budget 2025, de la préparation du budget 2026 et de notre trajectoire de finances publiques, ce qui permet en réalité d'aborder à peu près la totalité de vos portefeuilles.

Vous avez pris vos fonctions à un moment très particulier, à savoir trois jours après la promulgation de la loi spéciale, en conséquence de la censure du gouvernement de Michel Barnier et, donc, de l'interruption immédiate de l'examen du projet de loi de finances. On peut donc dire que vous avez eu à exécuter, entre le début de l'année et le 13 février, un budget provisoire qui n'était pas le vôtre et, depuis la promulgation de la loi de finances pour 2025, un budget sur lequel vous n'avez pu intervenir qu'en bout de chaîne, avec sans doute un résultat assez éloigné des objectifs initiaux de vos prédécesseurs, puisqu'en 2025 le déficit public devrait représenter 5,4 % du PIB, alors qu'il était question qu'il soit limité à 5 %.

Cela dit, atteindre ces 5,4 % serait déjà en soi une réussite, quand on sait les dérapages majeurs qui ont été enregistrés en 2023 et 2024. Vous nous direz quels outils vous utilisez pour maintenir ce cap budgétaire, et dans quelle mesure la mise en oeuvre des services votés s'est bien déroulée et pourrait contribuer au respect de la prévision.

Cette audition doit aussi être l'occasion pour vous d'évoquer l'évolution de la situation économique et internationale et son impact prévisible sur les finances publiques de la France.

Les prévisions de croissance de l'Insee, publiées hier, sont moins bonnes que prévu pour les deux premiers trimestres, avec en particulier une croissance de 0,1 % au premier trimestre, contre une prévision de 0,2 % quelques mois auparavant : du fait de la loi spéciale, « le moteur de la dépense publique s'éteindrait », selon l'Insee.

L'acquis de croissance à la fin du deuxième trimestre serait de 0,4 % et il faudrait une croissance de 0,6 % sur chacun des deux derniers trimestres pour atteindre la prévision de 0,9 %. Estimez-vous cette prévision encore crédible ?

Dans la mesure où cette plus faible croissance entraînerait de plus faibles recettes et que la hausse attendue du taux de chômage engendrerait des dépenses d'indemnisation plus élevées que prévu, la prévision de déficit public à 5,4 % du PIB vous paraît-elle pouvoir être maintenue ?

Par ailleurs, le Président de la République a annoncé une évolution des dépenses de défense de 2 % à 3,5 % du PIB. Il est prévu un passage de ces dépenses de 50 milliards à 67 milliards d'euros en 2030, le ministre des armées souhaitant même que l'on se fixe un objectif de 100 milliards d'euros. Il n'est pas impossible, du moins si les pays européens évitent d'acheter américain, que le réarmement génère un effet multiplicateur renforçant la croissance ; mais sera-t-il suffisant pour financer cette hausse massive de dépenses ?

Quelles dépenses comptez-vous réduire par ailleurs ? Envisagez-vous une hausse des recettes pour financer cet effort de défense, voire un nouveau recours à la dette ? Au fond, n'est-il pas nécessaire de réviser le plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT) pour tenir compte de l'effort de défense qui sera fourni ?

S'agissant de la préparation du budget 2026, et peut-être des budgets à venir, vous avez déjà amorcé une évolution en matière de méthode, avec un plan d'action pour améliorer le pilotage des finances publiques. Élaboré à la suite de deux rapports de l'inspection générale des finances (IGF), il reprend également quelques-unes des propositions que nous avons formulées en juin dernier avec le rapporteur général, dans le cadre de la mission d'information de la commission des finances portant sur la dégradation des finances publiques. Comment envisagez-vous la préparation de ce budget pour 2026 ?

Nous nous interrogeons également sur l'articulation entre les nouvelles règles budgétaires européennes, le traité sur la stabilité, la coordination et gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG) et l'état actuel de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf). Les nouvelles règles budgétaires européennes prévoient ainsi que les indicateurs intégrés dans la Lolf et prévus par le TSCG soient remplacés par un nouvel indicateur de référence, l'indicateur de dépenses nettes.

Le TSCG continue-t-il de s'appliquer ? Les nouvelles règles budgétaires européennes sonnent-elles, à l'inverse, la disparition des lois de programmation des finances publiques (LPFP) ? Dans le cas contraire, quand prévoyez-vous de soumettre au Parlement une nouvelle LPFP ? Je rappelle en effet que celle qui est actuellement en vigueur est très largement caduque : elle prévoyait un déficit de 4,4 % du PIB en 2024 - il serait de 6 % - et de 3,7 % du PIB en 2025 - il serait de 5,4 %.

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui sur un sujet important dans un contexte économique et géopolitique troublé.

La stabilité des finances publiques demeure un impératif et nous rappelons souvent que la souveraineté financière est l'une des composantes essentielles de la souveraineté de la Nation.

Je commencerai en évoquant quelques éléments positifs, puisque, selon l'Insee, le climat des affaires se redresse légèrement depuis le mois de décembre 2024, tandis que la confiance des ménages dans la situation économique progresse de nouveau en février. L'inflation, quant à elle, a fortement reculé, atteignant 0,8 % en février 2025, ce qui, en lien avec la baisse des prix de l'électricité, améliore le pouvoir d'achat des ménages.

En outre, le taux d'épargne est historiquement élevé, ce qui peut apparaître comme une nouvelle médiocre, mais ce qui donne également les moyens de financer un éventuel rebond de la consommation. Enfin, l'incertitude a reculé grâce à l'adoption de la loi de finances, dans les conditions dont nous nous souvenons tous.

Le cadre économique est néanmoins sous tension.

Pour ce qui concerne les tensions commerciales, la France a entamé un dialogue à tous les niveaux : entre le Président de la République et le président Trump ; avec Laurent Saint-Martin, j'ai discuté avec mon homologue Scott Bessent, ainsi qu'avec Howard Lutnick et Jamieson Greer, le ministre du commerce et le représentant spécial sur le commerce ; les ministres des finances du G7 se sont déjà rencontrés à deux reprises.

Si les Américains ont confirmé qu'ils continueraient de s'inscrire dans le cadre de ces dialogues multinationaux, nous progressons peu. En réponse aux hausses de droits de douane américaines, la Commission européenne, en liaison étroite avec les États membres, notamment la France, prépare des mesures frappant les importations venant des États-Unis pour un montant équivalent. Si cela devait se poursuivre, cela aurait un impact défavorable sur la croissance.

La situation internationale, notamment ce qui se passe à l'Est, a évidemment une incidence sur la façon dont nous envisageons l'avenir de l'Union européenne. Le Président de la République a souhaité que l'Union européenne et ses alliés européens, Britanniques et Norvégiens, organisent une revue de notre organisation de défense, dans le cadre de l'Otan, certes, mais avec une dimension européenne autonome. L'objectif, qui passe par une augmentation de nos dépenses de défense, est évidemment de garantir la paix.

Il nous faudra un peu plus d'argent public et des entreprises plus fortes. L'Union européenne a officiellement donné son accord pour qu'une telle augmentation de dépenses bénéficie exclusivement à l'industrie européenne. Demain, à Bercy, avec le ministre Sébastien Lecornu, j'organise une rencontre des industriels de la défense et des acteurs de la finance, afin de soutenir un tel développement.

Par ailleurs, vous avez pris connaissance des dernières décisions des agences de notation. Nous conservons une très bonne note - AA- -, mais Standard & Poor's et Fitch dressent une perspective négative. Voilà une incitation très forte à veiller rigoureusement au respect de l'objectif de 5,4 %.

Il y a une mauvaise nouvelle liée à l'évolution des taux d'intérêt, qui ont brutalement augmenté en Europe. L'une des raisons, plutôt positive en réalité, c'est la décision révolutionnaire prise par nos amis allemands d'en finir avec le frein à la dette. Cela va leur permettre d'investir massivement, au prix d'une dégradation de leur déficit, afin de financer l'effort de défense commun. J'ai la conviction que ce qui est bon pour l'économie allemande est bon pour l'économie européenne et pour l'économie française.

Sur les marchés financiers, le taux à dix ans allemand a monté et le taux français a suivi, même si, grâce à la mise en place d'une politique très rigoureuse en matière de finances publiques, l'écart entre l'Allemagne et la France s'est réduit. Nous ne sommes d'ailleurs pas très éloignés de notre hypothèse de départ, puisque nous tablions sur des taux longs à 3,6 % à la fin de 2026.

La hausse des droits de douane aurait un impact négatif sur la croissance des États-Unis, donc sur la nôtre. Tout cela doit ainsi nous inciter à être extrêmement prudents dans l'exécution budgétaire.

L'exécution budgétaire de 2024 a été maîtrisée, après la constatation des dérapages. Notre déficit est un peu moindre que ce qui était attendu voilà encore quelques semaines : il devrait s'établir proche de 6 % du PIB. Du côté des dépenses des collectivités locales, les nouvelles, en attendant l'estimation officielle précise le 27 mars, sont assez bonnes.

Pour 2025, l'objectif que nous avons fixé est ambitieux : 5,4 % du PIB. Dans le cadre du pilotage des finances publiques, les réunions de travail que nous allons conduire avec l'ensemble des ministères concernés visent à mieux préparer le dialogue, tout à fait central, que nous avons ensemble.

Ce pilotage est structuré autour de trois axes. Premièrement, une meilleure gestion du risque et de l'incertitude, avec une première réunion « d'alerte des finances publiques » le 10 avril, pour suivre l'exécution et prendre éventuellement des mesures correctrices. Deuxièmement, une transparence et une redevabilité accrues à l'égard du Parlement. Troisièmement, le renforcement des outils de prévision et d'anticipation, avec la création d'un cercle des prévisionnistes.

Nous sommes en train de mettre à jour la trajectoire macroéconomique et budgétaire en vue de la présentation au Parlement, le 16 avril, du rapport annuel d'avancement du PSMT, lequel sera adressé à la Commission européenne.

La réduction du déficit à 5,4 % s'inscrit dans le cadre d'une trajectoire rigoureuse et nous visons, malgré l'effort accru en matière de défense, un taux inférieur à 3 % en 2029. C'est aussi un engagement européen. Les outils de pilotage mis en place, le dialogue fréquent engagé avec les parlementaires et, surtout, notre très forte volonté nous rendent confiants dans l'atteinte de cet objectif.

Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, c'est un honneur d'être devant vous aujourd'hui pour cette première audition devant votre commission. Ayant été membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale, je sais combien les prérogatives d'évaluation et de contrôle des parlementaires sont essentielles. Je viendrai aussi souvent que nécessaire devant vous pour partager la réalité de nos actions menées en vue de tenir les engagements pris et qui reflètent le compromis parlementaire exprimé dans la loi.

Le budget 2025 a donc été promulgué le 14 février, après un débat mené dans des circonstances politiques inédites et difficiles. En miroir du compromis trouvé, nous devons assurer une transparence totale sur son exécution, en associant évidemment les parlementaires, mais également d'autres acteurs, notamment les présidents des caisses de sécurité sociale ou les représentants des élus. Il nous faut refaire unité budgétaire là où notre pays a tant besoin d'unité nationale, en évitant de nous opposer sur tel ou tel chiffre.

Au regard des circonstances, la méthode doit elle aussi évoluer, pour tenir à la fois l'engagement du Premier ministre d'un déficit à 5,4 % et la trajectoire de réduction à moyen terme, en retrouvant une capacité à arrêter d'augmenter la dette et en amorçant un désendettement.

Il nous faut sortir de l'idée que le budget ne se discute qu'à l'automne, avec quelques éléments à l'été. Nous devons adopter un calendrier et une méthode qui nous permettent de faire des ajustements aussi souvent que nécessaire, pour passer d'un « quoi qu'il en coûte » des temps de crise à un « quoi qu'il arrive » des temps d'incertitude, c'est-à-dire à une méthode prudentielle qui nous permette de gérer les aléas.

Le 27 mars prochain, l'Insee présentera sa prévision finale de déficit. La loi de fin de gestion et les derniers éléments à notre disposition laissent à penser que le 6 % annoncé pourrait d'ailleurs être un peu meilleur que prévu.

Le déficit de la sécurité sociale s'établirait ainsi à 15,3 milliards d'euros, là où il était encore question lors de la discussion sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de 18,2 milliards d'euros. Outre un meilleur recouvrement des créances liées à la crise du covid, il y a eu, en fin d'année, un ralentissement de certaines dépenses de fonctionnement des collectivités, qui, en rythme annuel, vont croître de 4,5 % à 5 %, soit moins que les 8 % estimés à la fin du premier semestre 2024 mais toujours plus que la croissance du PIB nominal de 2024, établie à 3,4 %.

Le début de l'année 2025 a été marqué par la loi spéciale et les services votés. Nous avons envoyé très régulièrement au rapporteur général et au président la chronique des dépenses, dans ce monde inédit et assez peu pilotable.

Si nous avons fait au mieux, rendons-nous à l'évidence : un tel régime n'est ni souhaitable ni efficace. D'abord, il a beaucoup pesé sur la croissance des entreprises, des ménages, des agriculteurs. Ensuite, il a bloqué les collectivités dans leur capacité à établir elles-mêmes des budgets et à connaître les recettes qui leur seraient octroyées. Enfin, il a contrarié les gestionnaires publics : la campagne tarifaire hospitalière n'est pas encore close, du fait de la promulgation tardive du PLFSS, le 28 février dernier. De même, dans certains ministères, la programmation budgétaire, d'habitude établie en août et finalisée en janvier, est en train d'être close seulement maintenant.

Depuis le 14 février, nous avons retrouvé un cadre plus habituel de gestion des finances publiques. La gestion technique, au mois le mois, qui a pu prévaloir n'est plus tenable dans les circonstances politiques et budgétaires actuelles. D'où le plan d'action que nous avons présenté, qui nous semble une méthode très partenariale, particulièrement ouverte et qui tient compte, monsieur le rapporteur général, des très nombreuses préconisations que vous aviez établies dans le cadre de votre rapport d'information sur la dégradation des finances publiques.

Par votre recommandation n° 9, vous demandiez, pour sortir du déni collectif, la mise en place d'un système d'alerte du Parlement en cas de dépassement significatif de la prévision des finances publiques. Nous y avons répondu : cette nouvelle structure devrait tenir sa première réunion le 10 avril prochain, car nous entendons être transparents non seulement sur les chiffres, mais surtout sur nos décisions, sur les ajustements et sur les mesures prudentielles que nous mettons en oeuvre pour faire face à la réalité de la croissance et des recettes.

Évidemment, cette nouvelle structure n'amoindrit en rien vos compétences et les missions de contrôle et de suivi que vous menez. Elle va même les renforcer, puisque y seront associés les caisses de sécurité sociale et les élus locaux. Le déficit, c'est bien le déficit de toutes les administrations publiques, pas seulement celui de l'État. Nous devons en faire une affaire collective.

Par votre recommandation n° 4, vous souhaitiez que soient publiés beaucoup plus régulièrement des intervalles de confiance et des scénarios alternatifs. Vous avez raison, c'est une nouvelle culture de gestion du risque et des aléas qu'il nous faut instaurer avec l'État, la sécurité sociale et les collectivités. Désormais, les projets de loi de finances intégreront une prévision qui quantifiera nos aléas et nos incertitudes, plutôt que de se focaliser sur un chiffre parfois un peu totémique. Nous souhaitons avoir avec vous une estimation plus claire des aléas haussiers et baissiers que nous incluons dans nos prévisions, afin que les incertitudes soient partagées et transparentes.

Par les recommandations nos 14 et 15, vous entendiez que soit renforcé le rôle du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), garant essentiel de la qualité de nos prévisions, de notre crédibilité budgétaire et de la bonne tenue des comptes publics. Nous renforçons son rôle puisque nous nous engageons à lui transmettre l'ensemble des documents budgétaires, notamment dans le cadre du PSMT. Nous associerons évidemment le HCFP et la Cour des comptes à tous les travaux, de manière proactive, dès qu'ils le souhaiteront.

Par la recommandation n° 1, vous proposiez d'instaurer un suivi régulier des recettes de l'ensemble des administrations. Là aussi, nous suivons vos recommandations puisque deux missions internes, l'une portant sur les remboursements de TVA, l'autre sur la prévision de l'acompte d'impôt sur les sociétés (IS), ont été lancées pour gagner en fiabilité - du moins, nous l'espérons.

Vous connaissez peut-être mieux que quiconque le sempiternel débat sur le tendanciel, c'est-à-dire les économies que nous aurions pu réaliser par rapport, non pas à un chiffre, mais à ce qui se serait passé si nous n'avions rien fait. Ce tendanciel est, sans mauvais jeu de mots, parfois tendancieux : il n'est pas consensuel et de nombreuses hypothèses peuvent alimenter une polémique à l'instant où le projet de loi de finances est présenté. Nous souhaitons là aussi mettre en place une méthodologie transparente et vous la présenter, afin de partager l'ensemble des éléments sous-jacents.

Voilà donc pour les changements de méthode que nous mettons en oeuvre dès maintenant. J'en viens désormais à l'exécution de la loi de finances pour 2025.

Éric Lombard l'a dit : nous faisons face à de nombreux aléas.

En matière de recettes, tout d'abord : la croissance est, par définition, soumise à de multiples aléas. Actuellement, ils sont négatifs, compte tenu du contexte international, comme l'a montré la Banque de France dans ses prévisions.

En matière de dépenses, ensuite : au vu de l'évolution des menaces, et comme l'a annoncé le Président de la République, nous devrons très certainement augmenter nos dépenses de défense ; nous pourrons revenir sur le détail et l'ampleur de ces mesures. Il nous semble important, là aussi, d'être extrêmement transparents.

Néanmoins, ces aléas ne sont pas des excuses. Ces incertitudes ne peuvent pas devenir un prétexte pour ne pas tenir notre engagement sur la cible de déficit. Au contraire, elles nous contraignent à contenir nos déficits pour être en mesure de faire face à de nouvelles menaces et d'assurer le maintien de notre souveraineté : notre crédibilité internationale tient à notre capacité à financer de manière rapide et crédible les annonces qui pourraient être faites.

Ainsi, nous avons commencé à mettre en place une gestion prudentielle pour l'ensemble de nos administrations, afin d'être capables de financer nos priorités. Je souhaite vous présenter les actions qu'Éric Lombard et moi-même avons déjà mises en oeuvre.

Premièrement, nous avons mis en réserve un peu plus de 8 milliards d'euros sur la base des quantums et ratios de mise en réserve que vous connaissez - ce sont les mêmes que l'année dernière. La nouveauté réside dans le fait que cette réserve est désormais interministérielle, ce qui permet de créer de la solidarité entre les ministères. Certains d'entre eux, dont le budget est important, doivent faire face à peu d'aléas. D'autres, dont le budget est plus modeste, subissent nombre d'aléas : c'est le cas de l'outre-mer et de l'agriculture. La réserve interministérielle permet justement de gérer de tels aléas. Autre novation : nous avons créé une réserve au sein de la sécurité sociale pour les dépenses d'assurance maladie.

Deuxièmement, nous avons mis fin à la pratique abusive de reports de crédits constatée depuis 2021. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, vous aviez raison de souligner que ces reports, qui se sont élevés jusqu'à 43 milliards d'euros en 2021, empêchaient de respecter l'exécution budgétaire. Ceux-ci constituent un aléa de gestion très important : par définition, les montants reportés n'ont pas été inscrits en loi de finances initiale (LFI). Résultat : ils aggravent le déficit.

Nous avons décidé d'abaisser le montant des reports à 16,8 milliards d'euros en 2025, contre 23,5 milliards d'euros en 2024. Nous avons presque divisé par deux les reports des ministères, puisque nous sommes passés de 7,8 milliards à 4,4 milliards d'euros. D'autres reports sont plus techniques, comme ceux qui sont liés aux fonds de concours ou au plan de relance, qui s'éteindra dans les prochains mois. Ces reports sont d'ailleurs publics et publiés au Journal officiel.

La seule exception porte sur les reports du ministère de la défense, avec des reports en autorisations d'engagement (AE) exceptionnellement majorés de 7,8 milliards d'euros, au vu des nouvelles commandes que le ministère pourrait mettre en oeuvre dès 2025. Cela ne se traduira pas nécessairement par des dépenses supplémentaires de 7,8 milliards d'euros : il s'agit d'une autorisation à passer des commandes si le besoin s'en fait sentir, notamment pour de nouveaux contrats d'armement.

Troisièmement, nous avons souhaité une programmation budgétaire exigeante pour que les économies soient réellement documentées. En outre, celle-ci doit respecter vos votes ; je vous sais très sensible à cette question, monsieur le rapporteur général, et vous êtes parfaitement dans votre rôle, puisqu'il s'agit de respecter la loi, les accords politiques et les intentions exprimées au sein des commissions mixtes paritaires (CMP). Ainsi, un débat avait eu lieu sur la manière de mettre en place les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Mais ce débat n'a pas lieu d'être : il faut mettre en oeuvre le vote du Parlement, qui a prévu 200 millions d'euros pour ces plans. Je remercie Agnès Pannier-Runacher qui a fait en sorte que la loi soit bien respectée : c'est, je pense, la condition nécessaire pour trouver de nouveaux compromis à l'avenir.

Quatrièmement, nous avons mis fin à la pratique historique consistant à allouer les crédits aux services déconcentrés et aux opérateurs dès le 1er janvier. Une partie de ces crédits, réservée au domaine interministériel, ne sera décaissée que si les circonstances le permettent et que si les dépenses sont effectives. Là encore, il s'agit de faire montre de prudence, à l'instar des élus locaux : nous aurons l'occasion d'échanger avec eux sur ce sujet lors de la réunion du 10 avril. Cette prudence est de nature à rendre crédible l'engagement de maintenir le déficit à 5,4 %, alors que nous devrons peut-être composer avec les aléas que j'ai mentionnés plus tôt.

Je terminerai en évoquant le projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Si nous voulons mener des actions importantes et ambitieuses, il faut nous donner un minimum de temps. Ce temps n'est pas perdu : il est essentiel pour échanger avec les Français sur la situation de nos finances publiques et sur les choix à faire. Nous nous y attellerons d'avril à juin : nous voulons aboutir à un constat, puis à des choix collectifs et démocratiques sur les missions de l'État, sur ce qu'il doit assumer ou pas.

Il s'agit d'une étape essentielle. Nous entendons sortir d'une logique binaire de construction budgétaire oscillant entre deux écueils : se fonder sur le budget de l'année précédente en se contentant d'ajouter l'inflation, d'une part, ou en ajoutant de nouvelles priorités sans jamais revenir sur les priorités précédentes, d'autre part. Nous devons sortir de la logique de rabot pour nous interroger, prioriser, sans avoir l'obligation de reconduire les crédits d'une année à l'autre. Comme je le dis souvent, la dépense publique, ce n'est pas automatique ! Ce n'est pas un dû, cela doit rester un outil efficace : c'est pourquoi nous devons réfléchir à notre organisation et à notre façon de conduire les affaires de l'État.

Je remercie sincèrement Mme Lavarde et M. Barros, qui conduisent actuellement au Sénat une commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Ces travaux doivent nous guider dans notre recherche honnête d'efficacité, source d'économies.

Nous devons sortir de la logique d'opposition prévalant entre les sous-secteurs, c'est-à-dire entre l'État et les collectivités ou l'État et la sécurité sociale. Par définition, les politiques publiques telles que l'éducation ou le logement sont partagées : de leur bonne coordination dépend leur efficacité.

Nous avons le culte de la subvention de l'État. Or, pour de nombreux projets, le moyen le plus efficace pour agir n'est pas la subvention : cela peut être un prêt bonifié, une garantie, un mécanisme de fonds européen. Nous devrions examiner la pertinence de ces instruments complémentaires pour chaque projet, notamment les grands projets d'investissement, et utiliser uniquement la subvention publique pour son effet déclencheur : c'est là son rôle le plus utile.

Je déplore l'existence de nombreux doublons : de nombreux fonds européens sont sous-exécutés, alors que nous avons créé des fonds nationaux pour faire strictement la même chose. Nous payons alors deux fois : une fois à l'occasion du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne (PSR-UE), une autre pour le fonds national.

Vous l'aurez compris : la transparence et la co-construction, avec vous, guident notre démarche.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Madame, monsieur les ministres, nous sommes heureux de vous recevoir. Vous pouvez compter sur nous pour faire notre travail de contrôle et de suivi. Dans les responsabilités qui sont les miennes, je serai loyal, mais exigeant. À en juger par la dégradation accélérée de nos comptes publics, l'heure est grave. Il va nous falloir du temps et des efforts pour y arriver.

Je note avec satisfaction un changement de climat, avec la reconnaissance du travail de la mission flash que nous avons conduite avec le président Claude Raynal. Nos observations, qui ont pu être mal reçues par vos prédécesseurs alors en exercice, se trouvent aujourd'hui corroborées par vos dires.

Je vous remercie des bonnes intentions que vous avez affichées. Il faut à présent passer aux actes. Faisons en sorte que nos concitoyens retrouvent confiance dans les institutions, les élus et le Parlement. Les élus locaux, qui ont été dans des temps récents mis en cause, se retrouvent aujourd'hui plus en difficulté que jamais.

Sur l'exercice 2024, la situation est cocasse. On nous avait annoncé un déficit très faible, à 4,4 %. Aujourd'hui, vous nous dites que nous serions un peu au-dessous de 6 % cette année. Il va falloir accentuer l'effort pour atteindre les 3 % en 2029. Dans une note du Trésor, il est fait référence à un effort de 35 milliards d'euros par an. Vous-même, monsieur le ministre, avez parlé de 40 milliards d'euros par an. Ce sont des niveaux très importants, dans un contexte où les prévisions de croissance pour 2025 sont déjà révisées à la baisse et où un effort de défense exceptionnel s'impose au regard de la situation géopolitique. Pour obtenir la confiance des Français, nous n'avons, je pense, pas le droit à l'erreur.

Monsieur le ministre, vous indiquez qu'il n'y aura ni hausse des impôts, ni augmentation de la dette, ni remise en cause des dépenses sociales, tout en nous invitant, à l'instar du Président de la République, à participer à un effort supplémentaire sur la défense, ce à quoi je souscris. Mais nous avons un déficit chronique et élevé du commerce extérieur, et les taux d'intérêt augmentent. Avouez que cela fait beaucoup de handicaps. Comment comptez-vous atteindre les objectifs affichés ?

Les dépenses locales ont été très fortement critiquées, mais vous avez indiqué qu'elles ne seraient finalement pas si élevées. Pour nous, ce n'est pas une surprise.

Sur la TVA, nous avions rejeté la mesure relative à la réforme de la franchise en base. Les arguments que j'avais avancés se sont révélés exacts. Vous avez annoncé une suspension, que vous avez ensuite prolongée. Quelles sont aujourd'hui vos intentions ?

Madame la ministre, je ne souscris pas à la totalité de ce que vous avez imaginé dans ce que je qualifierais de « budget participatif à l'échelle nationale ». Vous aurez sûrement l'occasion de nous apporter des précisions en la matière.

M. Éric Lombard, ministre. - Monsieur le rapporteur général, nous partageons votre souhait de rétablir la confiance des Françaises et des Français. C'est le sens de l'exercice de transparence que nous présenterons pour 2025 et de celui que nous avons voulu faire sur l'écart entre la prévision de budget pour 2024 et l'exécution. D'autres pays européens ont eu ces écarts.

La note du Trésor à laquelle vous faites allusion va nourrir la réunion d'alerte qui aura lieu au mois d'avril. Si la croissance est plus faible que prévu, ce qui est effectivement possible, nous devrons procéder à des ajustements.

Permettez-moi de vous faire part de quelques éléments de méthode.

Vous le savez, nos dépenses publiques sont supérieures de dix points à la moyenne européenne, pour une qualité de services publics qui, visiblement, ne donne pas entièrement satisfaction à nos concitoyens. Nous recherchons donc l'efficacité de l'action publique, qu'il s'agisse de la sécurité sociale, des collectivités locales ou de l'État. Cela passe par l'obligation d'avoir, dans tous les segments de la sphère publique, une augmentation des dépenses inférieure à celle, nominale, de la richesse nationale. D'ailleurs, c'est parfois l'empilement de couches de contrôle ou d'administration qui empêche l'efficacité de l'action publique.

La méthode, ce sera le dialogue. Nous avons réussi avec vous à faire adopter le projet de loi de finances pour 2025 par un dialogue très ouvert, dans un espace de temps réduit. Nous ferons de même, dans un espace de temps plus large. Les idées en matière de finances publiques découleront de ce dialogue. Si le débat est un peu vif aujourd'hui, notamment sur les retraites, les partenaires sociaux savent exactement dans quel cadre ils doivent travailler. C'est par le dialogue, nous semble-t-il, que nous trouverons des solutions qui pourront être présentées aux deux assemblées et - pourquoi pas ? - aboutir à un consensus.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - D'abord, il n'est pas question de faire un « budget participatif ». Ce ne serait ni réaliste ni adapté. La démocratie représentative permet une prise de décision organisée et transparente.

Cela dit, beaucoup de choses ont changé en matière budgétaire, notamment au cours des cinq dernières années. Je pense notamment aux transferts entre l'État et la sécurité sociale ou au financement des collectivités.

Il nous faut un point de départ partagé sur la réalité et l'ampleur du défi. Il n'y a ni impôt magique ni volonté du Gouvernement d'écarter une solution évidente qui serait sous nos yeux. L'idée est non pas de rechercher l'unanimité - ce ne serait guère réaliste -, mais de trouver des points de départ communs. Il n'y a pas de débat public possible sans accord préalable sur quelques éléments factuels. Convenons-en, le débat public est parfois empreint d'un certain nombre de polémiques qui n'aident pas à trouver ces points de départ partagés. Nous ferons donc dans les semaines à venir un exercice de transparence à l'égard du grand public. Vous y serez évidemment associés.

La Nation, c'est un groupe qui a un passé et des projets communs. Mais elle tient par la solidarité, notamment financière. Je pense en particulier au consentement à l'impôt.

Les crises du covid puis de l'inflation ont chamboulé la gouvernance et le pilotage de nos politiques publiques. Il existe des gisements d'économies et de renforcement de l'efficacité, qu'il s'agisse de l'État ou de la protection sociale. Une part non négligeable de l'effort financier que nous devons fournir réside certainement dans notre capacité à reprendre en main certaines dépenses.

Plus concrètement, nous devons réaligner la croissance de nos dépenses sur la croissance nominale du PIB dans un premier temps, puis sur un peu moins que la croissance nominale du PIB. Le rythme de croissance de certains postes de dépenses est aujourd'hui très supérieur à celui de la croissance du PIB. S'il s'agit de priorités politiques assumées, cela ne pose aucun problème. Mais s'il s'agit d'un phénomène subi, nous devons nous interroger.

Sur la TVA, il y a un projet de loi de simplification. J'ai effectivement signé un nouveau report d'application de la mesure relative à la franchise. La réforme concerne tous les acteurs, pas seulement les autoentrepreneurs. Le problème, pour être honnête avec vous, est que certains sont très satisfaits des règles actuelles quand d'autres nous invitent à examiner, par exemple, le modèle espagnol, où il n'y a pas de franchise du tout. Étant donné que les franchises de TVA sont maintenant ouvertes à des acteurs d'autres pays européens, il faut aussi protéger nos entreprises. La difficulté réside dans le fait qu'il n'y a aucune unanimité ; les positions sont très divergentes. Votre contribution sera très utile pour trouver un chemin pour avancer.

Enfin, je souligne combien les violences aux élus sont dommageables non seulement, évidemment, pour les personnes, mais aussi pour la démocratie. Il y a, vous le savez, un budget de soutien aux élus qui font face à des violences. Nous avons reporté 3,6 millions d'euros de cette ligne budgétaire, afin qu'il y ait toujours des fonds pour soutenir ceux qui s'engagent pour les autres.

Mme Nathalie Goulet. - Vous n'avez pas prononcé le mot « fraude ». Le ministre Darmanin s'était engagé à mettre en place un logiciel de détection précoce de la fraude à la TVA. Où en est-on ? Évidemment, nous préférerions un logiciel franco-français.

Avez-vous l'intention de nous présenter un projet de loi de lutte contre la fraude plus ambitieux que le texte actuellement en navette ?

Vous parlez d'« adhésion à l'impôt ». Nos concitoyens aimeraient, me semble-t-il, que nous régulions quelque peu la fraude et l'évasion fiscales.

M. Hervé Maurey. - Nous avons beaucoup de plaisir à vous recevoir, même si je trouve un peu surprenant d'avoir dû attendre trois mois pour pouvoir vous auditionner.

Je n'ai pas bien compris comment vous comptiez procéder pour véritablement réduire les dépenses dans le projet de loi de finances pour 2026. En France, nous sommes très forts pour dresser des constats. À présent, il faudrait passer à l'action.

Selon le Comité des finances locales (CFL), l'effort demandé aux collectivités locales serait non pas de 2,2 milliards d'euros, mais de 7,4 milliards d'euros. Maintenez-vous votre chiffre de 2,2 milliards d'euros ?

Dans mon département, comme dans d'autres, de nombreuses agences bancaires ferment. Certes, vous n'avez pas autorité sur des entreprises privées. Mais ne pourrait-on pas envisager un moratoire et une concertation avec les élus ? En milieu rural, ces fermetures brutales ont des conséquences sur le commerce et l'activité économique.

M. Pascal Savoldelli. - Les mesures de redressement prévues dans ce que vous appelez « l'économie de guerre » représentent 100 milliards d'euros. N'y a-t-il pas aussi des injustices sociales à corriger ? Envisagez un vote de la représentation nationale ? Un projet de loi de finances rectificative ? Comment peut-on garantir notre souveraineté nationale quand notre financement dépend des marchés financiers, dont je doute quelque peu du patriotisme ?

Je rencontrerai demain les salariés de Thales, dont l'État est le premier actionnaire, à Bordeaux. Le groupe a annoncé des suppressions de postes en Europe, dont 1 124 en France. Or ses résultats, publiés le 7 mars, sont historiques. Le nouveau contexte annule-t-il ces suppressions ? L'effort demandé permettra-t-il de répondre aux demandes des salariés, qui sont fortement mis à contribution en matière de conditions de travail et de salaires ?

M. Bernard Delcros. - Le recouvrement de la taxe sur les transactions financières est opéré non pas par l'administration fiscale, mais par une société privée. Selon la Cour des comptes et le Centre d'économie de la Sorbonne, le contrôle des déclarations est largement insuffisant, ce qui favorise la fraude. Ne serait-il pas opportun et plus efficace que ce recouvrement réintègre les services de l'administration fiscale ?

Les collectivités locales sont-elles concernées par la mise en réserve globale de 8 milliards d'euros, madame la ministre ? Dans le projet de loi de finances pour 2025, nous avons voté une enveloppe de dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) équivalente à celle de 2024. À ce jour, les notifications aux préfets de département ne sont pas faites, ce qui conduit à annuler des réunions de répartition de la dotation. Pouvez-vous nous donner les raisons de ce retard ? La totalité de l'enveloppe votée par le Parlement sera-t-elle bien notifiée à tous les départements dans un délai raisonnable ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Sur le financement des universités, de nombreux projets ont été mis à l'arrêt. Estimez-vous le financement des établissements suffisant ? À la veille du dix-huitième anniversaire de l'autonomie des universités, l'organisation actuelle est-elle satisfaisante ?

L'éducation nationale commande pour 74 millions d'euros de logiciels à Microsoft, et Polytechnique migre ses données sur le cloud de cette entreprise. N'avons-nous pas la capacité de garder cet argent public, soit plus de 100 millions d'euros, « à la maison » ?

M. Dominique de Legge. - Je n'ai pas entendu comment vous comptiez renforcer l'effort de défense sans augmenter les impôts, la dette, ou remettre en cause notre modèle social.

Le Président de la République a expliqué qu'il fallait porter l'effort de défense de 2 % à 3,5 % du PIB. Or 1,5 point de PIB, c'est la marge qui résulterait de la sortie des dépenses de défense du pacte de stabilité. S'il faut augmenter la dette pour financer l'effort supplémentaire, comment rembourserons-nous ?

La machine à fabriquer des milliards - je pense, entre autres, aux 800 milliards d'euros qui viennent de l'Europe - est ressortie. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Vous avez expliqué qu'on allait augmenter les reports des charges en autorisations d'engagement. Quid des crédits de paiement ? Le ministère des armées a une dette de 8 milliards d'euros : je ne suis pas certain que ce soit la meilleure manière de mobiliser les entreprises.

M. Thomas Dossus. - Il y a sans doute besoin d'une augmentation des crédits militaires, mais il faut que nous en débattions dans l'hémicycle. Envisagez-vous un projet de loi de finances rectificative ?

Madame la ministre, vous indiquez qu'une forme de suroptimisation fiscale permettrait aux plus hauts revenus d'échapper à l'égalité devant l'impôt. Comptez-vous prendre des mesures pour y remédier et apporter un peu de justice fiscale ?

La baisse du prix du baril aura-t-elle des conséquences sur le rendement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ?

M. Michel Canévet. - En Bretagne, la situation économique est relativement inquiétante, avec une baisse d'activité marquée, sans doute liée au contexte international.

Nous souscrivons à vos propos sur la nécessaire maîtrise des dépenses. Il nous semble important que la dépense publique soit la plus exemplaire possible. Quelles suites comptez-vous donner à la mesure visant à supprimer les avantages dont bénéficient les anciens Premiers ministres, que nous avons votée au Sénat ?

Parmi les formes d'interventions autres que les subventions, je souligne l'intérêt des dispositifs tels que les cautions aux garanties d'emprunt.

En loi de finances, le paiement annuel des intérêts de la dette est fixé à 53,4 milliards d'euros. Selon certains bruits, ce serait plutôt 67 milliards d'euros. Qu'en est-il ?

Sur les dotations aux collectivités territoriales, les notifications seront-elles adressées rapidement aux préfets ? La responsabilisation des collectivités passe notamment par l'autonomie financière.

M. Thierry Cozic. - Parler d'« économie de guerre », comme le font certains à l'envi dans les médias, est un abus de langage. Nous ne sommes pas en guerre.

Comment allons-nous porter les dépenses militaires à plus de 3 % du PIB, comme l'a annoncé le Président de la République, tout en ramenant le déficit public à 3 % en 2029 ? Nous assistons depuis quelques jours à un concours Lépine de mesures toutes plus antisociales les uns que les autres. Vous-même, monsieur le ministre, avez indiqué qu'il faudrait « travailler plus ». Pourtant, dans le contexte actuel, il me paraît essentiel de préserver l'adhésion de nos concitoyens. Il y a des propositions, dont le livret sur la souveraineté envisagé par le groupe socialiste, qui n'entament pas la cohésion sociale. Comment comptez-vous agir pour que l'effort militaire n'oblige pas nos concitoyens à devoir choisir entre les canons et les pensions ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Il y aurait, dit-on, 5 milliards d'euros à trouver pour respecter la trajectoire de nos finances publiques avec une croissance maintenue à 0,9 %, sachant que les prévisions ont été abaissées par l'Insee et la Banque de France. Confirmez-vous ce montant ? Comment comptez-vous faire, étant donné que nous ne serons pas à 0,9 % de croissance ? Le gel de 8 milliards d'euros suffira-t-il ? Quid de la solidité des recettes de TVA et d'IS ?

Sur quelles bases juridiques avez-vous prononcé la suspension de l'abaissement du seuil de franchise de TVA ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Monsieur le ministre, j'ai examiné votre décret d'attribution : c'est un « décret XXL », qui fait de vous un quasi-Premier ministre bis. Même si les finances sont une matière très technique, un budget est avant tout un acte politique. Comment pouvez-vous construire, maîtriser et suivre un budget sans majorité politique ni cap ? Est-ce un exercice purement technique ? Où est la politique dans tout cela ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Pour nous, il est très important que l'effort de guerre ne s'effectue pas au détriment de notre modèle social. Quelles mesures comptez-vous prendre face au risque d'envol des cours boursiers de la défense ? Je pense en particulier à une taxe sur la valorisation boursière ou sur les superprofits.

Madame la ministre, vous avez indiqué hier que la méthode retenue pour le deuxième pilier de l'accord OCDE pourrait aussi s'appliquer aux grandes fortunes et que la lutte contre l'évasion fiscale des plus riches était une priorité du G20. Nous savons très bien que nous sommes loin d'un accord OCDE sur la taxation des plus gros patrimoines. La France est-elle prête à agir dès maintenant ? Une taxe incluant les biens professionnels est-elle envisagée ? Quid d'un rehaussement de l'exit tax pour éviter la mobilité des capitaux ?

Mme Isabelle Briquet. - Je suis inquiète. La mise en réserve de 8 milliards d'euros que vous avez annoncée peut-elle remettre en cause les dotations allouées aux collectivités territoriales, qui sont déjà mises à contribution dans la loi de finances pour 2025 ?

M. Jean-Baptiste Blanc. - Hervé Maurey et moi-même travaillons sur les conséquences financières et fiscales de la mise en oeuvre du zéro artificialisation nette (ZAN), que nous appellerons désormais « trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux » (Trace), au regard du vote qui vient d'intervenir au Sénat.

Nous avons sollicité Matignon à deux reprises, afin d'avoir un appui pour nous aider à chiffrer ces conséquences. Une lettre de mission a été adressée à l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), ainsi qu'à l'IGF. La mission ne pourrait-elle pas être un peu plus partenariale ? La lettre de mission précise que, dans le cadre de leurs travaux, les inspections doivent consulter notre mission d'information. Or c'est nous qui souhaitons vous consulter, en tant que partenaires.

M. Hervé Maurey. - Nous n'avons jamais réussi à obtenir une évaluation du coût du ZAN. Au mois d'août, Bruno Le Maire, ministre démissionnaire, nous a indiqué qu'il n'y avait effectivement eu aucun chiffrage de la part de l'État.

M. Stéphane Sautarel. - Les Français ont, me semble-t-il, compris l'ampleur du défi auquel nous sommes confrontés. Mais le fait que le Gouvernement regarde en direction de leur épargne les inquiète. Certaines décisions contribuent à rompre la confiance. C'est le cas lorsque nous observons des suppressions de postes dans l'éducation nationale dans nos territoires alors que nous avons voté pour qu'il n'y en ait aucune. Idem si, demain, les crédits que nous avons adoptés pour la DETR ne sont pas au rendez-vous. Pour que l'ensemble des Français renouent avec la confiance, il convient avant tout de tenir un certain nombre d'engagements.

Seriez-vous disposés à envisager une réforme systémique de la relation entre l'État et les collectivités concernant à la fois les dotations et la fiscalité ? Le calendrier et la situation politique le permettent-ils ?

Nous avons du mal à voir comment il sera possible de revenir sous les 3 % de déficit public d'ici à 2029, à plus forte raison en écartant tout effort en matière sociale.

Mme Christine Lavarde. - La circulaire du 30 décembre 2024 a précisé les conditions de régulation budgétaire s'appliquant au début de l'année 2025. Comment cette régulation a-t-elle été mise en place pour les organismes publics nationaux, notamment pour les opérateurs de l'État ?

J'ai bien compris que les grandes lignes du système de financement du programme du nouveau réacteur nucléaire d'EDF reposeraient sur un prêt bonifié pour au moins 50 % des coûts de construction. Pouvez-vous nous apporter des informations sur le degré de bonification du prêt ? Comment la répartition des risques et des surcoûts entre l'État et EDF va-t-elle s'opérer ?

La loi du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement a prévu un contrat décennal actualisable tous les trois ans entre l'État et EDF pour déterminer la trajectoire financière de l'entreprise. Voilà un an que la loi a été promulguée, et je n'ai toujours pas vu passer d'ébauche d'un tel contrat.

M. Raphaël Daubet. - Pour moi, la dépense publique a un rôle majeur dans l'économie. Le logement est le grand absent de nos politiques publiques. La hausse des taux d'intérêt va évidemment aggraver la situation. Quelles mesures d'urgence prévoyez-vous pour venir en soutien de ce secteur ?

Les annonces sur la contractualisation entre l'État et les collectivités locales sont un peu floues. Cette contractualisation concernerait-elle les recettes de fonctionnement, les dotations d'investissement ? Envisagez-vous des pénalités de retard, comme dans les contrats de Cahors ?

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Maurey, si nous auditionnons M. le ministre et Mme la ministre seulement aujourd'hui, c'est parce que nous avons été pris par l'examen du projet de loi de finances jusqu'au début du mois de février. Nous devions les auditionner le 12 mars, mais ils ont finalement dû se rendre à l'Élysée ce jour-là.

- Présidence de M. Michel Canévet, vice-président -

M. Éric Lombard, ministre. - Mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, nous allons vous répondre à deux voix, en essayant d'être exhaustifs.

Monsieur Maurey, après avoir passé sept ans à maintenir les 17 000 points de contact de La Poste dans nos territoires, je suis attentif à ce que les banques, qui ne dépendent effectivement pas du ministère, soient incitées à faire de la concertation.

Nous ne pensons pas qu'un projet de loi de finances rectificative soit utile. Certes, l'effort en matière de défense aura des effets sur la trajectoire budgétaire. Toutefois, cela va s'appliquer dans le temps. C'est à partir de 2026 que cet effort coûtera vraiment.

Nous parlons non pas d'« économie de guerre », mais d'« économie de paix ». Nous sommes convaincus que cet effort européen permettra de garantir la paix, par la dissuasion. Le PIB cumulé de l'Union européenne et du Royaume-Uni, c'est 20 000 milliards d'euros, contre 2 000 milliards d'euros pour la Russie. Nous pensons donc qu'une bonne organisation suffira à dissuader. Mais les menaces actuelles et l'évolution du monde nous obligent à devenir plus autonomes dans notre défense.

Peut-on être souverain en dépendant des marchés financiers ? Nous avons 3 300 milliards d'euros de dette. L'épargne des Français, qui est supérieure à 6 000 milliards d'euros, ne finance pas intégralement notre dette. Comme tous les pays développés, nous empruntons auprès d'investisseurs internationaux. Indépendamment de l'identité des détenteurs de nos titres de dette, la bonne tenue de nos finances publiques est un impératif ; nous le devons à nos enfants et à nos petits-enfants.

Sur Thales, nous devons prendre en compte l'évolution technologique qui conduit à une réorganisation industrielle au sein du groupe. La souveraineté inclut aussi la souveraineté spatiale, notamment les systèmes de satellites. L'évolution nécessaire s'effectue dans le respect des personnes, de leurs compétences, sans départ contraint. C'est la réalité de la vie économique.

Le recouvrement de la taxe sur les transactions financières est assuré par une société bien connue. Il est beaucoup plus simple de continuer ainsi. La Cour des comptes a reconnu que c'était une bonne méthode. Le transfert du prélèvement à la direction générale des finances publiques (DGFiP) serait coûteux, pour des gains quasi nuls.

Si l'objectif de 3,5 % du PIB pour les dépenses en matière de défense a bien été évoqué, M. le ministre des armées a indiqué que l'essentiel était la revue de la programmation. Nous devons revoir la loi de programmation militaire (LPM), sous l'autorité du Président de la République, chef des armées, et du Premier ministre, responsable de la défense nationale.

Cette année, la charge des intérêts de la dette atteint 53 milliards d'euros. Malgré la trajectoire de baisse impérative des déficits, la dette va malheureusement continuer de s'accroître dans les années à venir, jusqu'à ce que nous ayons atteint les 3 %. Le chiffre de 53 milliards d'euros est donc - hélas ! - voué à augmenter.

Si nous ne sommes pas en guerre, il y a des menaces que nous devons assumer. Le parapluie américain est plus aléatoire qu'auparavant. Nous ne voulons pas nous lancer dans un « concours Lépine » des réformes ; nous préférons laisser le débat avoir lieu. J'ai effectivement parlé de « travailler plus », en précisant que la première manière de le faire était de faciliter l'accès à l'emploi des jeunes et de favoriser le maintien dans l'emploi des seniors ; la ministre Astrid Panosyan-Bouvet est très mobilisée à cet égard.

Je remercie le sénateur Hugonet de ses commentaires sur mon décret d'attribution, en précisant que nous sommes six ministres à Bercy. Notre ligne politique est extrêmement simple : favoriser le développement économique sur la base d'une politique budgétaire rigoureuse, afin de protéger notre modèle social, de créer du pouvoir d'achat partagé et d'assurer notre sécurité et notre souveraineté dans un cadre européen. Le budget que nous préparons pour 2026 s'inscrit dans cette perspective.

Nous ne voulons pas taxer plus des entreprises qui réussissent. Nous souhaitons que les entreprises agissent aussi en entreprises citoyennes. Le nouveau contexte va leur assurer plus de travail, ce qui bénéficiera aussi aux salariés.

Nous devons être attentifs aux effets du ZAN sur les ressources des collectivités locales.

Sur EDF, le prêt sera bonifié ; pendant la phase de construction, ce sera un prêt à taux zéro. Ensuite, des opérations de financement de marché ou auprès des banques seront assurées par EDF. Le reste sera financé par la Caisse des dépôts et bonifié par le Trésor public. Nous avons fixé l'essentiel du partage entre ce qui sera dans le tarif, ce qui sera dans la rentabilité courante d'EDF et ce qui sera un partage de risque entre EDF et l'État.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - En préalable, je précise qu'il n'est pas question de choisir entre les canons et les pensions. Si nous en étions réduits à devoir choisir entre la défense et le modèle social, nous ne serions plus une grande puissance ; ce serait une forme de défaite.

Nous ne voulons pas remettre en cause les principes établis voilà quatre-vingts ans en matière sociale : les biens portants payent pour les malades, les jeunes payent pour les personnes âgées, ceux qui n'ont pas d'enfants à charge payent pour les familles. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 prévoit un déficit de 22,1 milliards d'euros. Nous devons donc, tout en conservant le modèle, retrouver des marges de manoeuvre. Ce qui met le plus en danger la sécurité sociale, c'est son déficit.

Où est la politique, demandez-vous, monsieur le sénateur Hugonet ? Une nation existe avant tout parce qu'elle a un projet commun. Dans quoi voulons-nous investir ? Je vois trois priorités : d'abord, notre protection au sens large, c'est-à-dire la défense ; ensuite, notre avenir en tant qu'êtres humains, c'est-à-dire la transition écologique ; enfin, le bien-être de nos concitoyens, en particulier des plus âgés, avec le défi démographique. Si nous sommes capables d'y répondre, nous sommes, me semble-t-il, un pays qui a un projet politique.

Le corollaire d'une telle ambition est d'être capables de réinterroger ce qui n'est pas prioritaire. Il nous appartient donc d'examiner ligne par ligne si chaque euro dépensé correspond bien à une priorité. C'est la revue de mission que le Premier ministre a lancée. Elle va nous permettre, je pense, de garder un cap clair.

Le sénateur Hugonet l'a rappelé : un budget, ce n'est pas un tableau de chiffres ; c'est une somme de choix. Nous nous remettons en capacité de faire des choix. Il y a un inventaire très mécanique à effectuer : certaines dépenses sont encore pilotées comme pendant le covid ou lorsque nous avions 6 % d'inflation. Et puis, il faut également faire un inventaire des priorités.

Les collectivités locales sont des acteurs essentiels de la cohésion, donc de la Nation. Néanmoins, ce ne sont pas des filiales de l'État. En 2024, les dépenses de fonctionnement augmentent d'à peu près 4,5 %, alors que le PIB de la Nation augmente de 3,4 %. Elles continuent donc d'augmenter plus vite que le PIB nominal.

François Rebsamen, Éric Lombard et moi-même allons ouvrir une conférence de financement, avec un mot clé : la prévisibilité. Il est essentiel que les collectivités aient de la prévisibilité alors qu'un nouveau cycle communal va s'ouvrir en 2026. Il est essentiel que nous, État, ayons aussi de la prévisibilité sur le rythme et la nature des dépenses des collectivités.

La DETR est sanctuarisée. S'il y a un délai d'attente, c'est parce que la loi de finances a été promulguée le 14 février. La programmation est en cours. Il n'y a évidemment pas d'agenda caché de réduction de la DETR.

Madame Goulet, vous l'avez vu, nous avons publié les chiffres de la fraude. Il y a eu 20 milliards d'euros de fraude constatés et 13 milliards d'euros encaissés. Les pays ayant mis en place le logiciel d'auto-certification que vous évoquez reviennent en arrière, car cela ne marche pas très bien. En revanche, la France a lancé un projet de facturation électronique, qui permet d'éviter la fraude à la racine. Nous prévoyons 3 milliards d'euros de récupération sur la TVA d'ici à 2027. Nous allons continuer d'agir, avec constance et persévérance.

La réserve de 8 milliards d'euros que j'ai évoquée concerne l'État. Les collectivités sont libres de faire les réserves qu'elles souhaitent.

Sur les universités, je rappelle que nous avons ajouté au total 200 millions d'euros en loi de finances. Cela leur redonne, je pense, des capacités de financement importantes. En matière d'allocation des ressources, les universités fonctionnent selon des paradigmes assez anciens, qui ne correspondent pas toujours au nombre d'étudiants ou aux besoins locaux.

La commande publique est une question essentielle. Vous connaissez mon engagement historique sur le sujet. Le référentiel SecNumCloud - je le connais bien, puisque je l'avais négocié en tant que ministre de la fonction publique - doit pleinement s'appliquer. Sur les achats de l'État, le préalable absolu doit être de protéger nos données de toute ingérence ou interférence étrangère. Il faut que nous achetions européen et souverain. Nous avons le cadre juridique pour cela. Nous avons parlé des choix budgétaires ; il y a aussi des choix de souveraineté.

Il est normal qu'il y ait des reports de charges dans les armées. Les programmes d'armement sont construits à partir de cycles longs d'autorisations d'engagement. Il sera évidemment précieux que les parlementaires puissent en être informés.

Monsieur Dossus, ne vous inquiétez pas ; il n'y a pas d'agenda caché et il ne peut pas y avoir d'augmentation des crédits militaires sans aval parlementaire. Il y aura bien un débat, que j'espère large, afin que l'ensemble de la Nation comprenne bien ce qui est en jeu. Il y a trois temps : celui de l'aide à l'Ukraine dès maintenant ; celui de notre protection cyber, notamment contre la désinformation ; celui de l'accélération de notre capacité à nous défendre, à nous protéger et à dissuader.

Sur la TICPE, quand le prix du baril baisse, on observe souvent une hausse des volumes d'achat. Rien aujourd'hui ne laisse à penser qu'il y aurait un trou dans les recettes.

J'ai été interrogée sur la fiscalité, notamment sur la lutte sur le contournement abusif des impôts. Avec le Premier ministre et l'ensemble du Gouvernement, nous voulons non pas créer de nouveaux impôts, mais nous assurer que ceux qui existent, comme le prélèvement forfaitaire unique (PFU), l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), soient bien acquittés. Mais il n'est pas question d'avoir des effets de bord et de faire fuir les plus grandes entreprises ou les plus grands entrepreneurs.

De même, nous n'avons pas pour projet d'augmenter l'exit tax. En effet, avec l'exit tax, si les 2 000 entrepreneurs les plus fortunés de notre pays partaient, il serait possible de récupérer les recettes pendant cinq ans, mais, ensuite, nous n'aurions plus ni les recettes ni les entrepreneurs !

Les engagements du Premier ministre en matière de lutte contre la suroptimisation fiscale seront tenus. Encore une fois, l'objectif n'est pas de créer de nouveaux impôts ou d'inventer une nouvelle fiscalité sur le patrimoine ; il est d'éviter les contournements.

Monsieur Canévet, si l'exemplarité de la dépense publique est essentielle, nous avons aussi le devoir de rappeler les montants. La mesure dont vous parlez relative aux frais des anciens Premiers ministres, c'est 2,8 millions d'euros. Cela ne suffit pas à combler les déficits auxquels nous sommes confrontés. Ne donnons pas le sentiment qu'il existerait des solutions magiques et que nous les aurions écartées.

Monsieur Capo-Canellas, la décision relative à la franchise de TVA a été prise sur la base d'un élément très pragmatique. Pour payer la TVA, il faut avoir un numéro de TVA. Obtenir un numéro de TVA, ce n'est pas instantané. La loi de finances ayant été promulguée le 14 février, une application du dispositif au 1er mars n'était pas envisageable. L'idée est de remettre les choses d'équerre sitôt que le Parlement aura fait connaître ses choix dans le cadre du texte sur la simplification.

Sur les postes d'enseignants, monsieur Sautarel, il n'y a pas d'agenda caché. Vous le savez, l'établissement de la carte scolaire est un exercice collectif très complexe. La ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, passe beaucoup de temps avec les parlementaires et les acteurs concernés à trouver les meilleurs compromis. Mais nous sommes confrontés à une réalité : la déprise démographique.

Madame Lavarde, les agences ont eu exactement les mêmes règles de gestion que l'État : elles devaient n'appliquer que les services votés et ne pas lancer des programmes qui n'étaient pas essentiels. Nous leur demandons aujourd'hui d'appliquer les mêmes principes.

Monsieur Daubet, nous avons eu une hausse de 13 % des mises en chantier résidentiel à la fin de l'année 2024. Si tout ne va pas bien dans le logement, il y a tout de même quelques signaux positifs. Un certain nombre de mesures, comme le prêt à taux zéro (PTZ) ou le PTZ élargi, sont utiles.

M. Michel Canévet, président. - Madame, monsieur les ministres, nous vous remercions de vos réponses. Cette audition a été riche. Nous espérons qu'elle sera suivie d'autres, car il importe que nous soyons très attentifs à la situation des finances publiques.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.