Jeudi 20 mars 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Politique du handicap -Table ronde consacrée à la Polynésie française

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la politique du handicap outre-mer, après le focus sur La Réunion, nous abordons ce jour la situation dans le Pacifique avec deux tables rondes : l'une dédiée à la Polynésie française, et l'autre à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna. Nous adressons nos vifs remerciements à nos invités pour leur disponibilité - en visioconférence - compte tenu notamment du décalage horaire. Aux côtés de nos trois rapporteurs - Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion, Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, et Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne -, j'inaugure notre première séquence en accueillant : Nathalie Salmon-Hudry, déléguée interministérielle au handicap et à l'inclusion du gouvernement de la Polynésie française et Henriette Kamia, présidente de la fédération Te Niu O Te Huma. Minarii Galenon, ministre des Solidarités, vice-présidente du Conseil du handicap du gouvernement de la Polynésie française, a également été conviée mais nous a informés de son impossibilité à se connecter, en vous priant de l'excuser. Nous espérons qu'elle pourra nous faire parvenir sa contribution par écrit.

Nous vous avons fait parvenir, Mesdames, un questionnaire pour préparer votre exposé liminaire. Ainsi, vous disposerez d'une dizaine de minutes pour vous présenter et nous faire part de votre témoignage sur la politique du handicap sur votre territoire. Dans un second temps, nos rapporteurs vous interrogeront et solliciteront des précisions complémentaires. Enfin, nos autres collègues pourront également vous soumettre leurs questions.

Madame la Ministre, vous avez la parole.

Mme Nathalie Salmon-Hudry, déléguée interministérielle au handicap et à l'inclusion du Gouvernement de la Polynésie française. - Je vous remercie chaleureusement pour votre invitation. C'est à la fois un honneur et un plaisir de pouvoir échanger avec vous sur cette thématique. Le handicap fait l'objet de nombreuses discussions, toutefois il apparaît désormais essentiel d'accélérer le mouvement en faveur d'une inclusion véritable.

En Polynésie française, nous disposons de deux institutions : la Commission territoriale d'éducation spécialisée (CTES), compétente pour les enfants et jeunes de 0 à 20 ans, et, au-delà de cet âge, la COTOREP. Il m'est toutefois difficile de fournir des données précises concernant les personnes de plus de 20 ans, faute de visibilité suffisante.

Depuis quelques années, la question du handicap occupe une place croissante dans le débat public. Cependant, cette mobilisation reste, à mon sens, encore insuffisante. Des avancées sont possibles, mais il convient de faire évoluer les modalités d'action. Je fais de ce combat un véritable « cheval de bataille » au sein de ce gouvernement.

Dans cette perspective, il me semble fondamental de déconstruire les préjugés : briser les cadres rigides, s'attaquer aux sous-entendus et aux croyances ancrées. Cette lutte s'avère exigeante : elle se joue au quotidien, à toute heure, dans tous les espaces.

Mme Henriette Kamia, présidente de la Fédération Te Niu O Te Huma. - Je préside la fédération Te Niu O Te Huma ainsi que la fédération polynésienne des sports adaptés handisport, que j'ai fondée. J'occupe également un siège au sein du Conseil économique, social, environnemental et culturel de la Polynésie (CESEC), où je représente le monde du handicap.

J'ai perdu la vue à l'âge de vingt ans. Cet événement marque le début de mon combat, rejoint peu à peu par d'autres, eux aussi touchés par un handicap. Ensemble, nous nous sommes organisés pour faire entendre notre voix, en particulier celle des adultes, car à l'époque, en Polynésie française, la prise en charge du handicap reposait sur une délibération datant de 1982. Or les adultes ne bénéficiaient d'aucun dispositif spécifique.

La perte soudaine de la vue fut un choc douloureux, d'autant plus brutal que je venais d'obtenir mon diplôme d'institutrice. J'étais jeune diplômée, et tout s'effondrait. Pourtant, j'ai eu la chance d'être soutenue par les responsables de l'époque au ministère de l'Éducation nationale, qui m'ont permis de partir à Marseille, au centre « Arc-en-ciel », une structure spécialisée pour personnes déficientes visuelles.

Ce séjour a constitué une chance inestimable. Si j'étais restée en Polynésie, choyée et protégée par ma famille, je ne me serais pas battue pour cette vie. Ce départ m'a donné l'élan nécessaire pour reprendre pied, me reconstruire, et envisager une vie active malgré le handicap. Grâce à la formation reçue dans l'Hexagone, j'ai pu reprendre une activité professionnelle à mon retour, dans le domaine de l'éducation. Deux classes pour enfants déficients visuels ont alors été ouvertes. Je ne saurais dire pourquoi, mais après la perte de ma vue, les choses se sont enchaînées naturellement.

Malheureusement, à mon départ à la retraite, le centre a fermé. Ce lieu regroupait les enfants atteints de déficiences sensorielles, qu'il s'agisse de troubles de l'ouïe ou de la vue. Il constituait un repère précieux pour les familles, les proches, tous ceux qui cherchaient des informations ou un accompagnement. L'un de nos voeux les plus chers est de voir renaître un tel lieu.

Quand je suis entrée dans la vie active, le handicap faisait déjà partie de mon quotidien. J'ai refusé de me résigner à dépendre d'un homme. Il m'était également inconcevable de compter sur une allocation dérisoire pour vivre. Ce séjour dans l'Hexagone m'a donné la force d'agir, de devenir autonome, et m'a permis d'intégrer la vie professionnelle dès mon retour en Polynésie. J'ai exercé comme professeure de braille jusqu'à ma retraite en 2010. Depuis, je n'ai jamais autant travaillé. Si mon handicap visuel ne figurait pas dans l'intitulé du centre de l'éducation de l'ouïe et de la parole (CEDAP), j'y avais néanmoins toute ma place. Il n'a pas toujours été simple de faire coexister les deux types de handicaps, mais nous avons réussi, dans l'harmonie, à faire fonctionner cet espace d'apprentissage.

Ma vie personnelle fut elle aussi marquée par le handicap : mon mari étant paraplégique, j'évoluais ainsi dans un environnement où les défis liés aux différents handicaps se rencontraient quotidiennement, que ce soit au travail ou à la maison.

En 2015, toutes les associations polynésiennes oeuvrant dans le champ du handicap ont décidé de se fédérer. Nous avons choisi l'unité pour bâtir un partenariat constructif avec les pouvoirs publics, convaincus qu'il vaut mieux collaborer que s'opposer. Cette démarche nous a permis de porter des propositions concrètes aux gouvernements successifs. Notre slogan est sans équivoque : « Rien sans nous ». Nous souhaitons rester une force de proposition, ancrée dans le dialogue et la co-construction. Lorsqu'une difficulté survient, nous établissons un diagnostic, que nous soumettons ensuite au ministère concerné, à la déléguée ou au président du pays. Nous avons également tissé des liens solides avec les communes, créant un véritable réseau en Polynésie.

Je peux affirmer que, malgré les difficultés persistantes et les améliorations encore nécessaires, vivre en Polynésie reste une fierté. Nous ne disposons peut-être pas des ressources considérables de la France hexagonale - vous êtes 68 millions, contre 270 000 habitants en Polynésie française -, mais cette échelle réduite nous permet parfois d'aller plus vite, car ici, tout le monde se connaît.

Sur 270 000 habitants, environ 16 000 à 17 000 sont des personnes en situation de handicap, tous âges confondus. Il semble sans doute plus complexe de faire évoluer les choses dans un territoire comme la France hexagonale que dans une île, mais j'assume pleinement cette double appartenance : je suis française, et profondément fière d'être polynésienne.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie infiniment pour ce dynamisme remarquable. Vous représentez, sans nul doute, une figure de référence en Polynésie, mais également un exemple inspirant pour l'ensemble des territoires ultramarins.

Sans plus attendre, je cède la parole à nos rapporteurs.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Madame la Ministre a évoqué le travail mené autour de la déconstruction des préjugés, en particulier à travers l'éducation. Or j'ai observé que la fédération Te Niu O Te Huma mène, depuis plusieurs années, un grand nombre d'actions dans cette perspective. Cette année marque d'ailleurs la septième édition de vos initiatives en Polynésie française, dont l'objectif est précisément de favoriser les échanges et de permettre une meilleure compréhension du handicap.

Ces actions ont-elles contribué, selon vous, à une évolution tangible dans la prise de conscience et la prise en compte des personnes en situation de handicap au sein de la société polynésienne ?

Par ailleurs, quels dispositifs avez-vous mis en place pour favoriser l'accès aux pratiques sportives, notamment en matière de sensibilisation, d'aménagement des espaces et d'accueil des personnes handicapées ? Disposez-vous d'infrastructures adaptées ? Constatez-vous une évolution dans la participation sportive de vos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap ?

Mme Henriette Kamia. - Le sport occupe une place centrale dans notre démarche. En l'an 2000, nous avons fondé la fédération polynésienne du sport adapté handisport, dont je suis l'une des présidentes fondatrices. Cette création a été rendue possible grâce à un événement marquant : la venue de Zinedine Zidane en Polynésie, à l'occasion d'un match de football organisé localement. Sa participation a permis de collecter quatre millions de francs CFP une somme considérable pour nous, même si elle peut paraître modeste à l'échelle européenne.

Notre fédération regroupe aujourd'hui de nombreux clubs, souvent adossés à nos associations locales dans chaque commune. Dès l'origine, nous avons conçu le sport comme un levier d'insertion, de bien-être et d'inclusion. L'un de nos sports emblématiques est le va'a - la pirogue polynésienne. Dans cette pratique, le handicap s'efface, c'est pourquoi tous nos membres en sont passionnés. Nous oeuvrons intensivement pour que l'un de nos rameurs de canoë-kayak intègre l'équipe de France, dans l'espoir de le voir concourir aux Jeux paralympiques de 2028.

Dès la création de la fédération, nous avons fait le choix de privilégier un sport accessible à tous, dans une logique de sport de masse, avec un accent particulier sur l'activité physique adaptée. Il s'agit d'être bien dans son corps et dans son esprit, malgré le handicap. Or, le sport a joué, et continue de jouer, un rôle fondamental dans cet équilibre.

Pour mettre en oeuvre ces actions, nous avons engagé des partenariats étroits avec les communes dans lesquelles nos associations sont implantées. Ces liens prennent la forme de conventions, que nous appelons « chartes de l'accessibilité et du handicap ». À ce jour, plusieurs communes ont signé ces chartes : Mahina, Arue, Pîra'e, Papeete, et nous sommes en négociation avec Paea, Punaauia et Fa'a'â. Ce maillage territorial autour de la capitale nous permet de bénéficier d'un soutien logistique, notamment pour l'accès aux salles, aux équipements et à l'organisation de manifestations.

Par ailleurs, nous sommes régulièrement sollicités, tant par les communes que par les services du pays, pour intervenir comme référents en accessibilité. Notre fédération dispose en effet d'une chargée d'accessibilité qui intervient pour réaliser des audits sur les bâtiments publics, les équipements sportifs, et même sur des sites hôteliers.

Cette expertise, de plus en plus reconnue, concerne également les établissements de luxe, comme certains grands hôtels de Bora Bora. Nous recevons des demandes croissantes, ce qui témoigne de la prise de conscience progressive. Cependant, nos moyens financiers demeurent limités. Pour répondre à ces sollicitations, je suggère un modèle équilibré : nous proposons nos audits gratuitement, à condition que nos frais de déplacement et d'hébergement soient pris en charge !

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - En effet, on observe aujourd'hui une véritable évolution, passant d'une logique de sport de masse à celle d'un sport de haut niveau. Or la fédération Handisport ne peut, à elle seule, couvrir l'ensemble des disciplines ; c'est pourquoi nous oeuvrons à sensibiliser chaque fédération sportive, en respectant leurs spécificités et leur approche, afin qu'elles encouragent l'inclusion des personnes en situation de handicap. Notre engagement vise à promouvoir une pratique sportive réellement inclusive, portée collectivement.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Qu'en est-il de la prise en charge des tout-petits, jusqu'à l'âge de six ans ? Les structures telles que les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP) ou les instituts médico-éducatifs (IME) disposent-elles de capacités suffisantes pour assurer un accompagnement précoce, ou constate-t-on au contraire des délais d'attente importants ?

Par ailleurs, les entreprises et les administrations remplissent-elles leurs obligations et accueillent-elles effectivement des personnes en situation de handicap ?

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - Nous recensons actuellement 1 482 enfants en situation de handicap. Toutefois, ce chiffre doit être interprété avec prudence, car la CTES ne reconnaît officiellement un enfant handicapé qu'à partir d'un taux d'invalidité de 50 %. Ce seuil, à mon sens, reste particulièrement élevé, et de nombreux enfants en situation de handicap ne bénéficient d'aucune reconnaissance officielle.

Notre situation géographique complique considérablement l'organisation : nous ne sommes pas simplement une petite île, nous sommes un archipel immense - aussi vaste que l'Europe. La Polynésie française couvre un territoire de 5 millions de kilomètres carrés répartis sur cinq archipels. Cette configuration rend la mise en oeuvre d'une politique éducative cohérente et équitable extrêmement difficile.

Il convient également de rappeler que la scolarisation des enfants en situation de handicap est relativement récente sur notre territoire : elle n'a véritablement débuté qu'en 2005. Pour ma part, je fais partie de cette génération d'enfants pris en charge uniquement par des associations, car les établissements scolaires refusaient mon admission, estimant que mon handicap était trop lourd, malgré mes capacités intellectuelles.

Aujourd'hui, nous comptons 43 Unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) réparties sur l'ensemble du territoire, ce qui reste insuffisant au regard des besoins. La volonté politique, bien réelle, fait toutefois face à des défis colossaux, notamment logistiques et structurels.

S'agissant de l'accompagnement humain, nous disposons actuellement de 152 accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) pour 347 enfants. Le ministère de l'Éducation nationale a procédé, dès 2003, au recrutement de 26 AESH afin de pallier les manques. Malgré ces efforts, 16 % des enfants nécessitant un accompagnement quotidien demeurent sans soutien.

Voici quelques données plus précises : 130 élèves sont scolarisés en école maternelle ; 398 en école élémentaire ; 9 en centre pour jeunes adolescents (CJA) ; 342 au collège ; 152 au lycée ; 10 en post-bac ; 13 en Maisons familiales et rurales (MFR), où l'accompagnement dépasse le simple cadre scolaire pour inclure un véritable soutien global.

L'Éducation nationale demeure centrée sur une logique de diplôme, sans toujours prendre en compte les besoins d'un public qui devrait être davantage accompagné vers l'employabilité. De nombreux élèves en situation de handicap réussissent brillamment dans les filières professionnelles, mais échouent à valider les matières générales - telles que la grammaire ou l'orthographe - ce qui les prive d'une certification officielle. Ils quittent le système scolaire sans diplôme, munis d'une simple attestation sans réelle valeur sur le marché du travail.

Nous nous retrouvons ainsi face à une jeunesse qualifiée sur le terrain, mais écartée de l'emploi faute de reconnaissance administrative. Je peux, à titre personnel, témoigner de cette injustice : lors de nombreux entretiens d'embauche, mon CV a été discrètement écarté au profit d'un examen minutieux de ma notification de COTOREP. Cette attitude témoigne d'un biais profond, symptomatique d'un regard encore trop souvent focalisé sur le handicap plutôt que sur les compétences.

Or le changement de mentalité implique de reconnaître l'individu derrière le handicap, de voir le chemin parcouru plutôt que le diagnostic. Pardonnez-moi de m'être éloignée légèrement du sujet, mais je suis convaincue que ce débat s'impose.

Mme Henriette Kamia. - En tant que professeure des écoles, j'ai pu constater que la prise en charge des enfants débutait généralement vers l'âge de cinq ans, notamment au sein des CAMSP. Ensuite, les enfants étaient orientés soit vers le milieu ordinaire, soit vers des structures spécialisées. Il convient de reconnaître que l'Éducation nationale a accompli de réels progrès en mettant en place un classement systématique des différents types de handicaps à travers les maîtres d'application - catégories A, B, C, D, E, F - afin de mieux répondre à la diversité des situations rencontrées dans les établissements.

D'autres structures, telles que les IME, les Service d'Orientation Professionnelle (SEDOP), ou encore les dispositifs ULIS (anciennement CLIS) participent à cette dynamique. Ces dispositifs fonctionnent plutôt bien, grâce aux partenariats que nous avons noués avec eux, notamment dans le cadre des activités sportives. Nous collaborons étroitement sur ces volets.

Les données que je possède font état de 930 enfants reconnus par la CTES en 2023. Là encore, ce chiffre ne concerne que les enfants dont le taux d'invalidité atteint ou dépasse 50 %, ce qui constitue un seuil élevé. En Polynésie, ce pourcentage conditionne l'attribution de l'allocation ASH, versée jusqu'à l'âge de 20 ans. Je déplore que les enfants dont le handicap est évalué à moins de 50 % ne perçoivent aucune allocation. Pourtant, leur situation justifie souvent un accompagnement spécifique et des adaptations pédagogiques. Malgré certaines tensions avec la CTES, nous ne céderons pas : tous les enfants en situation de handicap doivent pouvoir bénéficier des mêmes prestations, quel que soit leur taux d'invalidité.

Par ailleurs, à partir de 20 ans, l'allocation ASH cesse. Pour bénéficier d'une prise en charge par la COTOREP, il faut atteindre un taux d'invalidité de 80 %. Nous dénonçons depuis longtemps cette rupture dans les droits, mais les évolutions sont lentes, même si les ministres successifs tentent d'apporter leur contribution. Toutefois, les progrès accomplis ne répondent pas encore à l'urgence des besoins.

En ce qui concerne l'accès à l'emploi, la loi instaurant une obligation d'embauche des personnes reconnues travailleurs handicapés a été adoptée en 2007. Ce texte fixait un quota de 4 %, qui n'a jamais été pleinement appliqué. Aujourd'hui encore, nous plafonnons à 2 %. Néanmoins, cette loi a tout de même permis des avancées significatives.

Je préside, depuis 1984, une autre association dédiée aux adultes en situation de handicap. Nous menons des actions de formation professionnelle, en lien avec le Service de l'Emploi, de la Formation et de l'Insertion professionnelle (SEFI) et le Groupement des établissements de Polynésie pour la formation continue (GREPFOC). Dès 2006, nous avons mis en place des préparations d'un an en vue de l'obtention d'un baccalauréat professionnel en secrétariat. Malgré le scepticisme initial, nos stagiaires ont fait preuve d'une volonté admirable. Je suis très fière d'avoir pu les accompagner dans ce parcours. Grâce à l'obligation d'emploi instaurée en 2007, toutes ont été recrutées et demeurent en poste aujourd'hui.

Cependant, les entreprises, notamment les employeurs privés, nous ont parfois reproché cette pression réglementaire. Pour surmonter les incompréhensions, nous avons pris l'initiative de rencontrer le MEDEF et d'autres représentants du monde économique afin d'expliquer notre démarche, et de construire un dialogue.

Ainsi, nous restons convaincus que cette obligation a permis de faire évoluer les mentalités et d'ouvrir des opportunités professionnelles. Il reste encore beaucoup à faire, et chaque gouvernement y contribue. Je crois sincèrement que notre avenir peut encore s'améliorer, grâce à l'engagement de tous.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Concernant les enfants porteurs de handicaps dans les écoles, selon vous, le taux d'inclusion observé aujourd'hui est-il réellement satisfaisant au regard des ambitions affichées ? L'Éducation nationale assure-t-elle une prise en charge suffisante et adaptée ?

À La Réunion, nous rencontrons des difficultés importantes, notamment concernant le nombre d'AESH, bien en deçà des besoins. Cette lacune entraîne des ruptures dans le parcours scolaire de nombreux enfants, qui se trouvent parfois privés d'un accompagnement continu.

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - Nous disposons du CAMSP et de l'IME, qui accomplissent un travail remarquable. Peut-on dire pour autant que l'éducation des enfants en situation de handicap est suffisante ? Bien sûr que non. Mon souhait, c'est que tous les enfants, quelle que soit la nature de leur handicap, puissent être scolarisés à l'école. Lorsqu'on parle d'humain, il n'existe pas de réponse pleinement satisfaisante.

Nous rencontrons, comme à La Réunion, une difficulté majeure liée au manque d'AESH. Ces personnels, recrutés par concours, sollicitent généralement une mutation au terme de leur affectation de trois ans sur un même poste. Ce fonctionnement engendre une instabilité dans l'accompagnement des élèves et révèle le manque d'attractivité de ces fonctions.

C'est pourquoi nous réévaluons l'ensemble du dispositif de prise en charge. L'un des plus grands défis consiste à garantir une politique d'inclusion homogène sur l'ensemble du territoire, que ce soit à Tahiti ou dans les zones les plus isolées. Ce travail s'annonce colossal.

Si, à Tahiti, certains parents déclarent leur enfant en situation de handicap, cette démarche n'est pas systématique. Ce matin encore, une mère me confiait qu'elle avait honte du handicap de son enfant. En outre, nous recensons encore 121 enfants maintenus à domicile, faute de solution d'accueil. Ces familles, isolées, restent livrées à elles-mêmes.

Je pense notamment à l'île d'Anaa, l'une des plus éloignées de l'archipel. Lors d'une mission gouvernementale, j'ai demandé à rencontrer des personnes en situation de handicap. Aucune n'est venue. Pourtant, je disposais des chiffres : quarante personnes y sont officiellement reconnues comme handicapées. Là-bas, la honte reste profondément ancrée.

Ce combat contre l'invisibilisation constitue mon engagement quotidien. En tant que personne porteuse d'un handicap lourd, je veux transmettre ce message : il est possible de vivre pleinement avec un handicap lourd. Cette démarche relève d'un choix, d'un combat, d'une volonté.

La distance entre Tahiti et certaines parties de l'archipel équivaut à un Paris-Tunis. Dans ces conditions, l'accès au personnel spécialisé devient extrêmement difficile. Faute d'aéroport, les trajets se font en bateau, et les moyens restent particulièrement limités. Nous menons ici une vie communautaire, loin des structures classiques. Et dans ces territoires, affirmer que l'inclusion fonctionne relèverait d'un optimisme déconnecté de la réalité.

Mme Henriette Kamia. - Soyons pragmatiques : un enjeu financier persiste. Nous manquons cruellement d'AESH. Ces postes, peu attractifs sur le plan salarial, peinent à être pourvus durablement. Beaucoup abandonnent après quelques mois, préférant se tourner vers d'autres secteurs mieux rémunérés. Seuls ceux qui n'ont véritablement aucune autre option passent le concours, suivent la formation, puis acceptent le poste. Néanmoins, une fois confrontés aux conditions de travail et à la rémunération, ils finissent souvent par renoncer. Or, sans moyens, il devient impossible de répondre efficacement aux besoins.

En 2023, nous comptions environ 900 enfants en situation de handicap. Parmi eux, certains cas très lourds nécessitent des accompagnements spécifiques, des aides au transport, et des adaptations scolaires.

Je tiens à rappeler que la fédération Te Niu O Te Huma a joué un rôle pionnier dans l'instauration des auxiliaires de vie scolaire (AVS). Bien avant moi, d'autres se sont battus ici pour faire entrer ces enfants à l'école. Ce sont les associations qui, les premières, ont accompagné ces parcours, formé les intervenants, soutenu les familles.

Je souhaitais également partager avec vous une conviction forgée au fil de plus de quarante années d'engagement associatif : si l'on souhaite que les choses avancent, il convient de travailler aux côtés des décideurs. Il fut un temps où je m'épuisais à interpeller, à manifester, à contester. On entrait dans les ministères, on nous faisait sortir aussitôt. C'est pourquoi j'ai décidé de m'engager en politique. Auparavant, je gesticulais, en vain. À l'Assemblée polynésienne, je pouvais réellement agir. Car, pour changer les choses, les personnes concernées doivent prendre la parole et participer à l'élaboration des politiques. Trop souvent, des lois sont votées sans lien réel avec nos besoins.

J'ai moi-même porté plainte contre l'Assemblée polynésienne, car on m'avait refusé un accompagnement spécifique, alors même que cette aide existait en métropole. Aujourd'hui, j'ai choisi de poursuivre mon engagement dans le tissu associatif. Je privilégie la collaboration à l'affrontement. Lorsque nous repérons des difficultés, nous réalisons des audits, que nous présentons ensuite aux institutions concernées. Ce travail est apprécié, tant par les services du pays que par les communes ou les partenaires privés. Il nous demande beaucoup d'efforts, mais il est utile, concret, et surtout bénéfique pour les personnes handicapées.

Ce combat, nous le menons également pour les personnes âgées. Car même si toutes les personnes ne deviennent pas handicapées en vieillissant, un certain nombre rencontrent des fragilités importantes.

M. Teva Rohfritsch. - C'est une fierté de vous entendre, Madame la Ministre, ainsi que vous, Henriette. Nous avons mené ensemble de nombreux combats, notamment autour de la question de l'emploi. Merci d'avoir rappelé les avancées obtenues depuis le vote de la loi de 2007, malgré les obstacles rencontrés.

Je tiens également à saluer notre vice-présidente, Minarii Galenon, dont l'engagement constant sur ces sujets mérite d'être souligné.

Vous incarnez toutes les deux une source d'inspiration et de courage, et vos témoignages renforcent notre détermination à agir concrètement, chaque jour.

La question du vieillissement des personnes en situation de handicap prend en effet une importance croissante, y compris dans l'Hexagone. Comment cette problématique est-elle aujourd'hui appréhendée en Polynésie ? Comment pourrions-nous, depuis l'Hexagone, vous accompagner ou nous inspirer de vos démarches, au bénéfice de tous les outre-mer et du pays tout entier ?

Mme Lana Tetuanui. - Ia ora na à vous, présidente Henriette. Vous déployez toujours autant d'énergie et d'engagement sur ce sujet fondamental. Ia ora na également à notre ministre Nathalie Salmon-Hudry, que je salue chaleureusement.

Vous avez dressé un panorama très complet de la situation du handicap en Polynésie française, et je tenais à vous dire combien j'ai été fière de vous écouter ce matin. La Polynésie dispose d'une compétence propre, contrairement aux autres territoires ultramarins. Or, malgré les difficultés, vous avez accompli un travail colossal, à travers la méthode la plus efficace : travailler avec l'ensemble des partenaires.

Il convient de s'inspirer de ce modèle, et je pense que mes collègues sénateurs des autres départements gagneraient beaucoup à observer ce qui fonctionne au fenua.

Je souhaite attirer votre attention sur une problématique émergente : celle de l'autisme. Constituant un handicap à part entière, il vient aujourd'hui s'ajouter à nos priorités d'action.

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - Il me semble difficile de parler aujourd'hui d'une politique du vieillissement lorsque la prise en charge des personnes en situation de handicap demeure profondément lacunaire. Une fois adulte, il faut justifier d'un taux de 80 % pour percevoir une allocation. Plutôt que d'adopter une approche cloisonnée par tranche d'âge, il conviendrait d'harmoniser l'accompagnement sur l'ensemble du parcours de vie.

En Polynésie, nous ne disposons d'aucun EHPAD. Notre modèle repose sur un capital humain exceptionnel, ancré dans les solidarités familiales. Le dispositif « aidant feti'i » illustre cette philosophie, permettant à un proche de bénéficier d'un soutien du pays pour accompagner un membre de sa famille en situation de dépendance. Instaurer des établissements de type EHPAD reviendrait, en quelque sorte, à rompre cette dynamique profondément transgénérationnelle. La présence d'une personne âgée au sein du foyer, sa parole et son expérience s'avèrent essentielles à la transmission des valeurs polynésiennes.

Ainsi, dans un contexte où nous peinons déjà à structurer une prise en charge cohérente entre l'enfance et l'âge adulte, il m'est difficile de vous présenter des propositions concrètes. Toutefois, je reste convaincue que les politiques publiques doivent répondre, au-delà de l'âge, à l'enjeu de la dépendance.

Quant à l'autisme, il représente un sujet de plus en plus prégnant. Il a fallu livrer une véritable bataille pour que les troubles du spectre de l'autisme (TSA) soient reconnus dans le champ du handicap. Aujourd'hui, les troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) sont enfin identifiés comme tels, tandis que 46 cas d'autisme ont été officiellement recensés en Polynésie française. Une fois encore, ce chiffre doit être appréhendé avec précaution, les enfants au comportement atypique étant rapidement qualifiés d'« enfants terribles ». Dès lors, le diagnostic reste sous-développé, les outils encore insuffisants, et la reconnaissance du trouble souvent tardive.

Face à ce constat, un projet d'unité spécifique pour les enfants autistes est en cours, destiné à accueillir ceux qui ne parviennent pas à s'épanouir dans le cadre de l'école ordinaire. Il s'agit là d'un pas nécessaire vers une meilleure prise en charge, que nous entendons poursuivre et approfondir.

Mme Henriette Kamia. - Trois associations prennent en charge les enfants autistes aujourd'hui sur notre territoire. Malheureusement, elles ne parviennent pas toujours à collaborer de manière harmonieuse. Pourtant, il apparaît indispensable de remettre l'enfant au centre des préoccupations et de bâtir collectivement les solutions autour de ses besoins.

Les enfants autistes, « dys », ou ceux présentant des troubles du comportement, s'avèrent bien plus nombreux que ne le laisse penser le chiffre officiel. La plupart d'entre eux ne sont pas reconnus par la CTES, témoignant ainsi d'une sous-évaluation manifeste de ce phénomène.

Dans bien des cas, je laisse les services de l'Éducation et de la Direction des affaires sociales gérer, comme ils peuvent, les conflits ou les demandes urgentes. En outre, l'association Tama Ora assure à cet égard un travail remarquable depuis plusieurs années. Deux autres structures plus récentes ayant vu le jour, il convient désormais de créer un climat de coopération au service des enfants.

Je souhaite également attirer l'attention sur les difficultés récurrentes liées à l'obtention d'un extrait de casier judiciaire depuis la recentralisation de cette compétence en France en 2022. Dans le cadre du renouvellement de l'agrément de nos centres dédiés aux personnes en situation de handicap, la production de ce document est désormais exigée pour l'ensemble des membres du conseil d'administration. Or, malgré une demande effectuée selon la procédure en ligne, mon dossier n'apparaissait dans aucun registre. Plusieurs courriers ont été adressés à Nantes, sans réponse satisfaisante. Ce dysfonctionnement touche également de nombreux jeunes du territoire. Il serait opportun d'envisager une restitution de cette compétence sur le plan local, afin de garantir la continuité administrative de nos structures.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Madame Kamia. Madame la Ministre, vous avez évoqué la situation des enfants vivant dans les archipels les plus éloignés, où leur reconnaissance en tant que personnes en situation de handicap reste parfois difficile. Les familles rencontrent-elles des obstacles particuliers pour faire établir les bilans nécessaires à cette reconnaissance (orthophoniques, psychomoteurs, etc.) ? Au-delà de leur coût, l'absence de professionnels spécialisés sur place semble compliquer ces démarches.

Par ailleurs, votre cadre institutionnel spécifique vous permet-il de mettre en oeuvre des dispositifs innovants dans le champ du handicap ? Quels sont, selon vous, les principaux freins auxquels vous faites face ? Et enfin, quelles évolutions législatives ou réglementaires seraient, à votre sens, nécessaires pour adapter plus finement la politique du handicap aux réalités de votre territoire ?

Mme Nathalie Salmon-Hudry. - Vous soulevez des points essentiels. En effet, l'un des freins majeurs que nous rencontrons demeure l'insuffisance de personnel spécialisé, ainsi que l'absence de plateaux techniques capables d'intervenir de manière itinérante dans les archipels. Cette difficulté ne concerne pas uniquement les enfants, mais touche également les adultes, notamment en matière d'orientation professionnelle. Aujourd'hui, les parcours sont souvent définis uniquement à travers le prisme du handicap, ce qui conduit à enfermer les personnes dans leurs propres limites perçues. À mes yeux, il conviendrait d'évaluer le potentiel de chaque individu - enfant ou adulte - avant de s'intéresser à ses limitations. Cette approche valorisante apparaît d'autant plus pertinente que nous faisons face à un manque de main-d'oeuvre qualifiée.

Notre statut d'autonomie, bien qu'il nous confère une certaine liberté de décision, présente également des limites. Le régime du handicap appliqué en Polynésie reste largement calqué sur celui de la métropole, sans tenir compte de notre capacité financière beaucoup plus restreinte pour assurer une prise en charge équivalente. Cette inadéquation constitue un obstacle majeur.

La force de notre statut réside cependant dans notre capacité à définir nos priorités. À ce titre, plusieurs projets sont en cours. Nous travaillons notamment à la mise en place de dispositifs pour accompagner les jeunes qui, faute de recours ou de solutions adaptées, sont sortis précocement du système. Nous souhaitons les former et leur offrir une réelle insertion professionnelle. Nous menons également une étude sur l'accessibilité, qui reste encore trop marginalisée sur notre territoire.

Par ailleurs, il nous faut dépasser le cadre associatif, certes remarquable, pour inscrire le handicap comme un axe transversal de la politique publique. Il s'agit de dépasser les représentations encore trop stigmatisantes et de faire émerger une société réellement inclusive, qui reconnaisse la différence comme une composante de la richesse collective.

Le handicap, lorsqu'il n'est pas reconnu ni intégré, produit un sentiment d'inutilité sociale profond. J'en ai moi-même fait l'expérience, ayant passé dix années en retrait, persuadée de ne pouvoir contribuer à mon pays. Un jour, le président est venu me dire : « Tu as des capacités. » Tel est le pouvoir de l'inclusion : donner à chacun la chance de se lever pour donner du sens à sa journée. Aujourd'hui, je milite pour que le handicap soit perçu comme une richesse.

Mme Micheline Jacques, président. - Je salue cette formidable leçon de vie et d'engagement que vous nous offrez. Cette audition marquera un temps fort, non seulement pour la Polynésie, mais également pour l'ensemble des territoires ultramarins. Votre témoignage incarne un véritable espoir pour toutes les personnes en situation de handicap.

Je remercie également Mme Kamia, dont l'intervention nous a profondément touchés et motivés. Nous sommes honorés d'avoir pu mener cette audition à vos côtés et de contribuer à mettre en lumière le travail remarquable que vous accomplissez.

À très bientôt, et mauruuru roa.

Jeudi 20 mars 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Politique du handicap -Table ronde consacrée à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, après la Polynésie française, nous poursuivons nos travaux sur la politique du handicap outre-mer, avec notre seconde séquence sur la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. Nous accueillons à présent, toujours en visioconférence : Marie-Laure Mestre, directrice des Affaires sanitaires et sociales (DASS) de la Nouvelle-Calédonie ; Karen N'G, conseillère auprès de Thierry Santa, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en charge de la politique du handicap ; Jean Saussay, président, et Ugo Klinghofer, responsable du Collectif Handicaps Nouvelle-Calédonie et Telesia Keletaona, présidente de l'Association d'aide aux personnes handicapées et défavorisées de Wallis-et-Futuna.

Mesdames et Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation et d'être disponibles pour répondre à nos questions. Comme pour vos prédécesseurs, nous vous avons adressé un questionnaire pour préparer votre propos liminaire, limité à une dizaine de minutes. Ensuite, nos rapporteurs vous interrogeront, suivis de nos autres collègues.

Mme Marie-Laure Mestre, directrice de la DASS de la Nouvelle-Calédonie. - En Nouvelle-Calédonie, l'organisation en matière de handicap et de dépendance diffère sensiblement de celle en vigueur en métropole. Depuis 2009, le territoire s'est doté d'une politique publique spécifique en la matière, accompagnée d'un corpus juridique novateur, qui s'est progressivement consolidé au cours des quinze dernières années. Ce cadre a permis une reconnaissance croissante du handicap et de la dépendance, tant au sein des institutions que du système scolaire et du monde du travail.

Dès l'origine, cette politique s'est articulée autour de quatre axes majeurs : une gouvernance dédiée (en cours de réévaluation), l'accès plein et entier à la société pour les personnes handicapées et les personnes âgées (le dispositif étant unifié en Nouvelle-Calédonie), l'insertion dans le monde du travail, ainsi que le soutien renforcé aux aidants.

Ce dispositif juridique comprend un volet réglementaire structurant, inspiré en partie de l'organisation métropolitaine, mais adapté aux spécificités locales. Il couvre à la fois le secteur public et le secteur privé. En 2009, la Nouvelle-Calédonie a mis en place le Conseil du handicap et de la dépendance (CHD), tandis que la DASS joue un rôle opérationnel, en coordination avec les trois provinces du territoire, via des commissions dédiées aux enfants, aux adultes et aux personnes âgées.

La DASS a pour mission de mettre en oeuvre le service public du handicap et de la dépendance : accueil des usagers, accompagnement dans les démarches de reconnaissance et transmission des dossiers au CHD, seul habilité à prendre les décisions. La DASS gère également la base de données relative aux personnes reconnues en situation de handicap et a publié en 2022 un rapport sanitaire contenant les dernières données statistiques disponibles pour les publics adultes et enfants. Ces éléments pourront être mis à votre disposition.

En parallèle, la DASS travaille en lien étroit avec la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs (CAFAT), organisme de protection sociale, auquel a été confiée la gestion financière des décisions du CHD. Le financement de la politique du handicap repose sur la fiscalité locale. Chaque année, la Nouvelle-Calédonie adopte un budget dédié, dont la mise en oeuvre est confiée à l'Agence sanitaire et sociale. Cette dernière alimente un fonds d'aide destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées, permettant de financer diverses allocations et prestations spécifiques, qui pourront également vous être communiquées.

En résumé, la DASS assure le pilotage administratif et opérationnel du dispositif, tandis que le CHD en constitue l'organe décisionnaire.

Mme Karen N'G, conseillère auprès de Thierry Santa, membre du gouvernement de la Nouvelle Calédonie en charge de la politique du handicap. - La politique du handicap et de la dépendance en Nouvelle-Calédonie s'appuie sur un schéma directeur, décliné en plans d'action et en objectifs opérationnels. Elle vise notamment une clarification de la gouvernance, ainsi qu'un pilotage plus lisible et cohérent de la stratégie en matière de handicap et de dépendance. Un autre objectif essentiel concerne la simplification des démarches pour les usagers.

Le CHD opère auprès du monde associatif, des institutions et des employeurs, traitant les demandes d'aides pour les personnes en situation de handicap (enfants et adultes), ainsi que pour les travailleurs handicapés.

Les missions du CHD incluent notamment :

- un rôle décisionnel, en matière d'attribution des aides relevant des régimes handicap et perte d'autonomie, ainsi que des dispositifs d'insertion professionnelle ;

- un rôle consultatif, pour émettre des avis sur les projets de réglementation ou de convention, notamment ceux relatifs à la gestion des fonds délégués à la CAFAT ;

- un rôle de proposition, en formulant des recommandations pour faire évoluer les politiques publiques et en entreprenant des études, comme cela a été le cas récemment sur la reconnaissance des entreprises adaptées -- une catégorie de structures qui ne bénéficie pas encore de statut juridique en Nouvelle-Calédonie.

S'agissant de l'offre de services, elle demeure inégalement répartie sur le territoire : la province Sud concentre l'essentiel des structures d'accompagnement, d'hébergement et d'accueil, au détriment des provinces Nord et des Îles. À titre d'illustration, la province Sud regroupe environ 75 % de la population reconnue en situation de handicap. Cette part représente environ 4 % de la population calédonienne, un taux bien inférieur à celui observé en métropole (autour de 18 %), principalement en raison du caractère non obligatoire de la démarche de reconnaissance du handicap, et de l'absence de dispositifs systématiques de repérage.

En réponse à cette situation, le Collectif Handicaps a formulé une proposition visant à intégrer une question spécifique sur le handicap dans le prochain recensement général.

M. Jean Saussay, président du Collectif Handicaps Nouvelle-Calédonie. - Nous intervenons en tant qu'acteurs de terrain. Le Collectif regroupe une quarantaine d'associations et de membres engagés directement auprès des personnes en situation de handicap. Nous travaillons en collaboration étroite avec les services du gouvernement qui nous proposent des orientations stratégiques que nous déclinons en actions concrètes sur le terrain.

Parmi les volets que nous souhaitons mettre en avant, celui de l'insertion professionnelle reste aujourd'hui primordial. En lien avec la DASS et le Fonds d'insertion professionnelle, nous avons élaboré un ensemble de référentiels destinés à accompagner les travailleurs handicapés dans leur parcours. Parmi les 4 500 personnes reconnues en situation de handicap aptes au travail, seulement 600 exercent une activité professionnelle.

Ainsi, nous entendons renforcer l'inclusion professionnelle et permettre à ces personnes de participer pleinement au tissu économique du territoire. Des actions ont été engagées en ce sens et des avancées notables ont été observées. Malheureusement, les événements survenus l'an dernier ont fortement impacté l'économie locale. De nombreuses entreprises ont été détruites, ce qui a freiné brutalement les dynamiques enclenchées. L'élan amorcé en matière d'insertion se trouve aujourd'hui ralenti, mais la volonté de le relancer demeure entière.

Par ailleurs, le régime en vigueur prévoit plusieurs aides à l'égard des personnes n'étant pas en situation d'insertion professionnelle. À partir de 50 % de reconnaissance de handicap, des solutions d'hébergement peuvent être proposées. Pour celles dont le taux dépasse 67 %, une allocation spécifique est versée : environ 95 000 francs CFP par mois pour les personnes sans activité, et 52 000 francs CFP pour celles qui disposent d'une capacité de travail.

Depuis l'instauration des lois de pays en 2009, le secteur du handicap bénéficie d'un encadrement réglementaire plus structuré, et la situation progresse.

M. Ugo Klinghofer, responsable du Collectif Handicaps Nouvelle-Calédonie. - La première loi de 2009 instaure un régime d'aide et de perte d'autonomie pour les personnes en situation de handicap. Elle regroupe l'ensemble des dispositions relatives aux prestations, à l'aide au transport, à l'hébergement, ainsi qu'aux aides financières, à partir d'un certain taux de reconnaissance du handicap.

La seconde transpose, avec des spécificités locales, le principe de l'obligation d'emploi applicable aux entreprises de plus de 20 salariés, fixant un taux de 2,5 % de travailleurs handicapés en Nouvelle-Calédonie. Lorsqu'elles ne remplissent pas cette obligation, les entreprises versent une contribution alimentant le Fonds pour l'insertion professionnelle, destiné à financer divers dispositifs favorisant l'embauche de personnes en situation de handicap. Un travail conséquent a été réalisé pour structurer les aides tant à destination des employeurs que des employés.

Le Collectif Handicaps, en tant qu'acteur de terrain, mène deux missions principales :

- la sensibilisation auprès des entreprises, des collectivités et des établissements scolaires sur les réalités du handicap ;

- le dialogue institutionnel, en tant qu'interlocuteur des associations auprès des pouvoirs publics ou des services de la DASS, afin de faire avancer les projets structurants autour de la mobilité, du transport, du logement, etc.

À cet égard, beaucoup de progrès ont été accomplis. Il convient également de relever une spécificité de la Nouvelle-Calédonie. En effet, alors que la politique nationale repose principalement sur le principe de compensation du handicap, la Nouvelle-Calédonie a développé une logique fondée sur l'aide sociale, avec des prestations ciblées.

Sur le plan scolaire, le Collectif siège dans les commissions relatives à l'inclusion scolaire. En primaire, les classes pour l'inclusion scolaire (CLIS) permettent l'accueil d'élèves dans des dispositifs spécialisés intégrés à des écoles ordinaires. Au collège, les ULIS, également incluses dans des établissements du secondaire, assurent une forme de scolarisation semi-inclusive.

Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie dispose d'une Ligue calédonienne de sport adapté et handisport (LCSAH), soutenue par plusieurs associations réparties sur l'ensemble du territoire. Récemment, huit athlètes calédoniens ont participé aux Jeux paralympiques organisés à Paris, représentant diverses disciplines. Cette implication témoigne de la vitalité du secteur et de l'engagement local en faveur du sport inclusif.

Mme Telesia Keletaona, présidente de l'Association d'aide aux personnes handicapées et défavorisées de Wallis-et-Futuna. - Je souhaite témoigner exclusivement de la situation à Wallis, l'île-soeur Futuna disposant de sa propre structure dédiée aux personnes en situation de handicap. Mon association se sent quelque peu lésée, à l'écoute de vos précédents échanges. En effet, depuis le début de notre mandat - le 6 mai 2024 -, mon équipe et moi-même rencontrons de grandes difficultés dans nos relations avec les institutions, élus, préfecture, inspection du travail, et avec les lois sociales. À Wallis, nous ne disposons d'aucun dispositif équivalant aux lois de pays instaurées en Nouvelle-Calédonie. À ce jour, les personnes en situation de handicap perçoivent une aide mensuelle de 400 euros, versée aux familles. S'agissant du handisport, il n'existe aucun cadre structuré. Les personnes handicapées restent à leur domicile, sans accès à des activités adaptées.

Lors de mon arrivée, nous avons tenté d'organiser la distribution de paniers de première nécessité à destination des familles les plus en difficulté. Avec les moyens dont nous disposons - une simple voiture et deux ou trois femmes de notre bureau -, nous nous rendons directement au domicile des bénéficiaires. Juste avant les fêtes de fin d'année, j'ai rencontré pour la première fois un jeune homme vivant avec un handicap lourd, alité sur une planche, sans aucun équipement médical. Une commerçante a répondu à notre appel aux dons en offrant, par un heureux hasard, un lit médicalisé, que nous avons aussitôt remis à ce jeune homme.

Ce que je souhaite souligner, Madame le Président, c'est l'absence de coordination entre les acteurs responsables du handicap à Wallis. En écoutant les témoignages venus de la Polynésie ou de la Nouvelle-Calédonie, je ne peux qu'exprimer mon admiration et mon envie. À Wallis, les personnes handicapées restent livrées à elles-mêmes.

Je souhaite également évoquer la situation des aidants. Ceux-ci perçoivent leur rémunération via le Service de l'inspection du travail et des affaires sociales (SITAS), mais seulement trois mois sur douze. Malgré mes démarches répétées auprès de l'inspecteur du travail, il m'a été répondu que les crédits disponibles ne permettaient pas d'assurer un paiement régulier sur l'ensemble de l'année.

Lorsque je dépose des dossiers afin de favoriser l'insertion professionnelle de personnes en situation de handicap, on m'oppose systématiquement l'absence de base légale à Wallis. Tant qu'aucune loi locale n'aura été adoptée, rien ne pourra être engagé, malgré la loi du 11 février 2005 applicable dans l'Hexagone.

Par ailleurs, notre association ne dispose d'aucun local. Nous sommes contraints de travailler dans des conditions particulièrement précaires. Nous assurons néanmoins chaque jour le transport de onze élèves en situation de handicap inscrits en classe ULIS dans le primaire. Pour cela, nous avons récupéré un autocar ancien, avec lequel nous assurons les trajets matin et soir. Aucun accompagnateur n'est formé pour cette mission, et aucune formation n'est proposée.

J'ai entendu évoquer, à plusieurs reprises, l'existence d'un dispositif d'aide à domicile. Encore faut-il savoir vers qui se tourner pour l'activer, car, dans les faits, personne ne nous oriente, ni au sein de l'Agence de santé ni ailleurs. Tel est le quotidien dans lequel nous tentons d'agir, au mieux, avec des moyens rudimentaires. Il nous arrive souvent d'être découragés.

J'ai rassemblé l'ensemble de ces éléments dans un écrit que je vous ai fait parvenir. Je vous remercie très sincèrement de m'avoir invitée à cette rencontre, et de m'avoir permis de partager ce que nous vivons concrètement sur le terrain.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci pour ce témoignage, qui illustre l'objectif de nos travaux : porter attention à la réalité de tous les territoires, sans exception.

Vous avez fait remonter un grand nombre d'informations concrètes et essentielles, et nous vous en remercions très sincèrement.

Sans plus tarder, je cède la parole à nos rapporteurs.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - En consultant les sites officiels de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna, on constate un accès limité à l'information, contrairement à ceux de la Polynésie française, particulièrement riches à cet égard.

S'agit-il d'une difficulté partagée localement ? Existe-t-il d'autres moyens d'informer les usagers, en particulier les plus éloignés ou isolés ?

Par ailleurs, vous avez évoqué le handisport de haut niveau, avec la participation récente de plusieurs athlètes calédoniens aux Jeux paralympiques, ce qui est remarquable.

Qu'en est-il du sport de proximité, notamment pour les enfants en situation de handicap, dans le cadre scolaire ou périscolaire ? Existe-t-il des dispositifs concrets pour favoriser leur accès au sport ? Travaillez-vous, comme cela a été mentionné pour la Polynésie, en partenariat avec les communes pour développer l'accessibilité des espaces sportifs ? Enfin, rencontrez-vous un manque d'infrastructures sportives accessibles ?

Mme Marie-Laure Mestre. - Effectivement, la production et la centralisation des données constituent un véritable enjeu pour la Nouvelle-Calédonie. À ce jour, il n'existe pas d'observatoire unique rassemblant les informations disponibles, qui demeurent éparses. Certaines données sont accessibles sur le site de la DASS, ou relayées par les provinces, qui jouent un rôle actif de proximité, notamment à travers les commissions de reconnaissance du handicap.

Des relais d'information existent également au niveau des centres médico-sociaux (CMS) et des services sociaux communaux. Par ailleurs, le site Handicap.nc a vocation à devenir un guichet unique pour les personnes en situation de handicap et les personnes âgées.

S'agissant de l'accès au sport, 95 % des enfants reconnus en situation de handicap sont scolarisés et bénéficient d'un accompagnement par des AVS, y compris pour certaines activités extrascolaires. Des aides spécifiques peuvent être octroyées à cet effet. La Fédération des oeuvres laïques (FOL) propose également des centres de vacances, avec une offre adaptée, bien qu'elle reste concentrée sur Nouméa.

De nombreux établissements de la petite enfance intègrent désormais l'inclusion d'enfants en situation de handicap, notamment via des activités sportives. La Nouvelle-Calédonie dispose de plateaux sportifs accessibles, et bénéficie de l'engagement d'un champion du monde, Pierre Fairbank, pour promouvoir le handisport. Ces équipements sont toutefois en nombre limité et leur accès a été partiellement perturbé depuis les événements de mai dernier.

Enfin, cet accompagnement à la pratique sportive peut être intégré directement dans les reconnaissances de handicap, sur demande des familles.

Mme Karen N'G. - La centralisation des actions et des données concernant le handicap et le « bien vieillir » constituent précisément l'objectif du projet de Maison calédonienne de l'autonomie, conçu comme un guichet unique. Cette structure visera à regrouper l'ensemble des informations et des services relatifs à l'accompagnement et à l'accueil des personnes concernées, tout en simplifiant les démarches administratives et en fluidifiant les parcours usagers.

Dans ce cadre, une refonte complète des systèmes d'information est prévue, avec la mise en place d'un outil permettant une interconnexion entre les différents acteurs du secteur. Cette approche permettra également de disposer d'une base de données centralisée, indispensable pour un pilotage efficace des politiques publiques. Par ailleurs, le site Handicap.nc fera l'objet d'une amélioration significative, afin d'offrir davantage de contenus sur les parcours « senior » et « handicap ».

Ce travail s'accompagnera d'un renforcement des liens avec les provinces et les centres médico-sociaux, grâce à la désignation de référents locaux qui assureront le relais territorial avec le guichet unique. Il s'agit de réduire les inégalités d'accès à l'information, en particulier dans les zones éloignées.

M. Ugo Klinghofer. - Si les installations existantes sont effectivement de qualité, la pratique du sport adapté en Nouvelle-Calédonie s'appuie également sur une histoire ancienne et structurée. La première association dédiée au sport adapté remonte à 1929, et la Ligue calédonienne de sport adapté a été créée en 1991, disposant ainsi de plus de trente ans d'existence.

Cette longévité a permis de développer une véritable expertise, notamment dans plusieurs disciplines comme l'athlétisme, la natation, ou encore le basketball en fauteuil. La pratique concerne différents types de handicaps : mental, psychique et moteur.

Il existe ainsi un tissu associatif solide, expérimenté, qui permet une offre sportive adaptée et inclusive, avec des résultats concrets sur le terrain.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Un point a particulièrement retenu mon attention : il semble qu'en Nouvelle-Calédonie, des aides ou indemnités au logement soient attribuées aux personnes en situation de handicap, en fonction de leur taux d'invalidité. C'est une mesure remarquable, qui, à ma connaissance, reste encore rare dans les autres territoires ultramarins.

Par ailleurs, disposez-vous, en Nouvelle-Calédonie, d'un circuit fluide pour l'accès aux structures comme les CAMSP ou les IME ?

Mme Marie-Laure Mestre. - Effectivement, la Nouvelle-Calédonie bénéficie d'un Dispositif d'action médico-sociale précoce (DAMSP), installé au sein du Médipôle, c'est-à-dire du Centre Hospitalier Territorial Gaston-Bourret. Cette structure, en place depuis de nombreuses années, assure un accompagnement global des enfants en situation de handicap sur l'ensemble du territoire. Sa localisation au Médipôle, qui regroupe également une des trois maternités du territoire, facilite la détection et la prise en charge dès la naissance.

Cependant, comme partout, l'efficacité du dispositif dépend fortement de la présence de professionnels de santé spécialisés. L'attractivité de ces métiers reste un défi majeur, d'autant plus accentué depuis les événements récents qui ont fragilisé l'organisation générale du système de soins. Si la centralisation à Nouméa permet une prise en charge cohérente et rapide pour ceux qui y résident, elle révèle toutefois des inégalités géographiques majeures.

Par ailleurs, le territoire dispose d'un IME, et, depuis février 2024, d'une classe maternelle spécialisée pour enfants autistes, intégrée au sein d'une école ordinaire. Cette nouvelle structure vise à accompagner les tout-petits dans un cadre inclusif, tout en leur offrant un environnement pédagogique adapté à leurs besoins spécifiques.

Mme Audrey Bélim, rapporteure. - Concernant l'inclusion des enfants en situation de handicap au sein des établissements scolaires, rencontrez-vous des difficultés liées à la reconnaissance des droits des enfants, avec des délais longs pour l'évaluation et des retards dans les notifications d'accompagnement ?

Avez-vous le sentiment qu'un nombre significatif d'enfants se retrouvent sans solution, parfois sans accompagnement adapté, voire en dehors du système scolaire ?

Ressentez-vous également un manque d'établissements ou de structures capables d'accueillir les enfants dont le handicap ne permet pas une scolarisation en milieu ordinaire ?

Mme Karen N'G. - L'un des freins identifiés tient à la multiplicité des commissions qui interviennent actuellement : au-delà de la commission de reconnaissance du handicap, d'autres instances, propres au secteur de l'enseignement, sont également sollicitées en amont, ce qui allonge considérablement les délais de traitement des dossiers.

C'est précisément l'un des objectifs du projet de guichet unique que nous portons : mettre en place une commission unique, composée d'une équipe pluridisciplinaire, capable de traiter à la fois les situations de handicap et de dépendance, et d'en fluidifier l'évaluation.

S'agissant de l'accompagnement en milieu scolaire, les crédits consacrés aux AVS ont fortement augmenté : quelques années plus tôt, ils s'élevaient à environ 500 millions de francs CFP, contre plus d'un milliard aujourd'hui. Cet effort témoigne de l'engagement en faveur de l'inclusion scolaire.

Enfin, pour ce qui est des structures d'accueil spécialisées, en plus de l'IME, il existe d'autres dispositifs portés par des associations comme l'Institut spécialisé autisme (ISA), que le Collectif Handicaps pourra présenter plus en détail.

M. Ugo Klinghofer. - Il existe effectivement un IME en Nouvelle-Calédonie depuis les années 1970, ainsi qu'une structure spécifique, l'ISA, qui accueille des enfants avec des troubles du spectre autistique.

Concernant l'inclusion scolaire, les retours que nous recevons de la part des familles font état de délais de traitement parfois longs, notamment pour l'instruction des dossiers liés à l'accompagnement des enfants. Le projet de guichet unique, évoqué par Karen N'G, devrait permettre d'améliorer ces délais en simplifiant les procédures et en assurant une meilleure coordination entre les acteurs.

Il convient également de souligner l'impact des événements récents sur la scolarisation. En province Sud, compétente pour l'enseignement primaire, six écoles ont été détruites. Cette perte d'infrastructures a entraîné une réorganisation d'urgence des effectifs, avec des difficultés supplémentaires pour maintenir l'accueil des enfants en situation de handicap dans des conditions adaptées, notamment au sein des CLIS.

Mme Telesia Keletaona. - Permettez-moi d'insister sur un point particulièrement préoccupant concernant le transport scolaire à Wallis. L'autocar actuellement utilisé pour transporter les onze élèves en situation de handicap dans le sud de l'île est en état de déliquescence. En période de pluie, la situation devient particulièrement inconfortable, voire risquée, pour les élèves.

Sur le plan scolaire, ces enfants sont accueillis dans la seule classe ULIS située à Mala'etoli.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci pour cette alerte, et pour la photo que vous nous avez transmise, illustrant la gravité de la situation. Il ne fait aucun doute qu'un tel dysfonctionnement constitue un risque avéré pour la sécurité des enfants. Nous lançons un appel aux autorités compétentes afin qu'une solution rapide soit envisagée.

M. Georges Naturel. - Vous avez mis en lumière le rôle central du monde associatif dans nos collectivités, les inégalités territoriales persistantes, ainsi que la complexité institutionnelle qui peut freiner l'efficacité des politiques publiques. Je tiens à souligner également l'importance des commissions communales d'accessibilité, souvent méconnues, mais cruciales pour garantir l'inclusion.

Deux points d'alerte méritent toute notre attention : d'une part, l'insertion professionnelle, dans un contexte où le passage à l'âge adulte induit une rupture de l'accompagnement, malgré quelques initiatives comme l'association Handijob ; d'autre part, le risque pesant sur le tissu associatif, dans un contexte budgétaire contraint, alors que ces structures sont au coeur de la mise en oeuvre des politiques du handicap.

M. Ugo Klinghofer. - En matière d'insertion professionnelle, la Nouvelle-Calédonie dispose de plusieurs acteurs engagés, parmi lesquels l'association Handijob, spécialisée dans l'accompagnement des personnes en situation de handicap intellectuel, ainsi qu'une entreprise sociale s'apparentant à un Centre d'aide par le travail (CAT), qui accueille des publics aux profils variés. Malgré ces dispositifs, un écart important subsiste : sur les 4 500 personnes reconnues comme travailleurs handicapés, seules environ 600 ont actuellement un emploi, soit un taux d'insertion de 13 %, témoignant des difficultés persistantes.

Le tissu associatif calédonien, historiquement l'un des plus dynamiques de France, joue un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des politiques publiques, notamment dans le champ du handicap. Toutefois, les difficultés budgétaires actuelles et les conséquences des récents événements ont fragilisé un grand nombre d'associations, en particulier celles qui assurent des missions de service public ou d'intérêt général, et qui sont également employeuses. Or ces structures n'ont pas pu bénéficier des dispositifs d'aide d'urgence mis en place pour les entreprises, bien qu'elles remplissent les mêmes obligations fiscales et sociales. Cette situation crée une inquiétude réelle quant à leur pérennité, alors même qu'elles constituent un maillon essentiel de l'offre médico-sociale sur le territoire.

Mme Marie-Laure Mestre. - Le passage des jeunes en situation de handicap vers le monde du travail constitue un axe fort du Fonds d'insertion pour les personnes handicapées (FIPH), qui a permis, en lien avec la direction du travail, les partenaires institutionnels et les employeurs, de renforcer la visibilité des dispositifs existants et de favoriser une approche inclusive de l'emploi. Des efforts importants ont été déployés pour faire connaître les aides à l'employabilité et encourager l'accueil des jeunes issus du système scolaire, même si le chantier reste ouvert.

Les difficultés rencontrées par le tissu économique, notamment les petites entreprises et artisans touchés par les événements récents, fragilisent cependant les perspectives d'embauche. La nécessité de renforcer les entreprises adaptées et de structurer l'offre d'insertion s'avère plus que jamais d'actualité. Le Collectif Handicaps joue à cet égard un rôle précieux, aux côtés des acteurs publics.

S'agissant de l'accompagnement des jeunes durant leur parcours scolaire, le fonctionnement local diffère de celui observé en métropole. En Nouvelle-Calédonie, il n'existe pas d'AESH, mais un système de reconnaissance du handicap géré par la DASS, qui s'articule avec le secteur éducatif. Cette dualité de compétences, entre santé et enseignement, nécessite un travail de coordination, encore en cours de structuration, pour fluidifier les parcours et garantir une meilleure continuité.

La question du basculement à l'âge adulte est récurrente : nombre de jeunes accompagnés durant toute leur scolarité se retrouvent, à 18 ans, face à un vide institutionnel. L'enjeu porte sur leur autonomisation et leur insertion dans le monde professionnel, avec un accompagnement encore trop limité à ce stade. De nombreux dispositifs existent déjà, notamment des structures de type CAT, mais ceux-ci demeurent concentrés en province Sud. Il apparaît nécessaire de poursuivre le développement d'initiatives plus largement réparties sur le territoire.

Enfin, un projet d'Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) avait été envisagé afin de renforcer les capacités d'inclusion, notamment pour les jeunes présentant des troubles du comportement. L'idée d'un ITEP mobile, souple et déployé au plus près des territoires, notamment dans les provinces, avait suscité un intérêt marqué. Faute de moyens humains et du fait des départs dans le secteur sanitaire et social, ce projet n'a pu avancer comme prévu en 2024, mais reste une priorité inscrite à l'agenda des prochaines actions de la DASS.

Mme Micheline Jacques, président. - Avez-vous évalué, ou du moins envisagé, les conséquences de la crise actuelle sur deux volets essentiels : d'une part, la prise en charge financière du handicap ; d'autre part, l'intégration des personnes concernées, notamment dans le monde du travail ?

Dans ce contexte de fragilisation sociale généralisée, il est à craindre que les personnes en situation de handicap soient parmi les plus durement touchées.

Avez-vous pu mesurer cette dégradation de leur situation sociale ? Et, au-delà du constat, avez-vous engagé une réflexion sur les leviers à mobiliser pour en limiter les effets et mieux accompagner cette population dans les mois à venir ?

Mme Marie-Laure Mestre. - Effectivement, il s'agit d'une évaluation particulièrement complexe. Concernant le financement du régime, la Nouvelle-Calédonie a sécurisé pour l'année 2025 la pérennité de la prise en charge du handicap, par l'intermédiaire de l'Agence sanitaire et sociale. Le gouvernement a exprimé une volonté forte de maintenir ce régime, en l'inscrivant clairement dans les priorités budgétaires, malgré un contexte économique très contraint. Ce régime, en constante évolution, connaît une dynamique importante, notamment sur la prise en charge des jeunes. Des éléments complémentaires pourront vous être transmis à ce sujet à l'issue de cette audition.

S'agissant de l'impact de la crise sur l'emploi, les personnes en situation de handicap qui étaient en activité ont pu bénéficier, comme les autres travailleurs, des dispositifs de chômage partiel ou total mis en place dans le cadre exceptionnel des exactions. Il s'agit de régimes dérogatoires, spécifiques au contexte calédonien. À ce jour, la DASS ne dispose pas d'un suivi individualisé de ces travailleurs handicapés, mais les associations ont clairement fait remonter les difficultés rencontrées sur le terrain.

Un autre volet a été ouvert concernant la vulnérabilité des personnes handicapées en situation de crise. Un projet de géolocalisation a été amorcé, en lien avec la sécurité civile et la CPS, afin de mieux identifier les personnes concernées, notamment en cas de catastrophes naturelles.

Mme Micheline Jacques, président. - Une partie de la communauté wallisienne vivant en Nouvelle-Calédonie est retournée à Wallis-et-Futuna à la suite des événements récents.

Madame Telesia Keletaona, avez-vous observé parmi ces retours des situations de précarité sociale, et plus précisément, des difficultés touchant des personnes en situation de handicap ? Ces retours ont-ils eu un effet tangible sur les capacités locales d'accompagnement et de prise en charge ?

Mme Telesia Keletaona. - À ce stade, je peux simplement confirmer que certaines familles wallisiennes et futuniennes sont revenues s'installer définitivement sur le territoire. En ce qui concerne plus spécifiquement les personnes en situation de handicap, seuls deux enfants, auparavant suivis à Nouméa, ont rejoint le groupe d'élèves actuellement transportés chaque matin.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci à vous pour cette audition, riche en enseignements et en échanges constructifs. Nous restons bien entendu à votre disposition pour recevoir vos contributions écrites au questionnaire transmis, ainsi que toute remarque complémentaire que vous souhaiteriez nous faire parvenir. Merci encore pour votre mobilisation, malgré l'heure tardive.