Mercredi 26 mars 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Cédric VIAL rapporteur sur la proposition de loi A.N. n° 118 relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.

Proposition de loi relative à l'organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Michel SAVIN rapporteur sur la proposition de loi n° 456 (2024-2025) relative à l'organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel.

Audition de Mme Laurence Tison-Vuillaume, présidente de la SAS pass Culture (sera publié ultérieurement)

Ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Déplacement d'une délégation de la commission au Bénin et en Côte d'Ivoire - Communication

M. Laurent Lafon. - Du 15 au 21 septembre 2024, une délégation de notre commission - à laquelle j'ai participé et qui était également composée de Max Brisson, Cédric Vial, Jean Hingray, Yan Chantrel et Mathilde Ollivier - s'est rendue en Côte d'Ivoire et au Bénin, deux pays d'Afrique occidentale qui se distinguent par la place centrale qu'ils accordent à leur politique culturelle, ainsi que par la relation de coopération approfondie qu'ils entretiennent avec notre pays.

Cette mission était prioritairement destinée à l'étude des enjeux associés aux restitutions d'oeuvres d'art, sur lesquelles notre commission est engagée de longue date. Notre déplacement, très riche, nous a cependant permis d'explorer plusieurs autres de nos sujets d'intérêt majeur, notamment l'enseignement français à l'étranger, la francophonie et l'audiovisuel extérieur.

Permettez-moi quelques propos introductifs sur les politiques culturelles menées par le Bénin et la Côte d'Ivoire, qui nous ont frappés par leur ambition. Alors que ces deux pays font face à d'importants défis économiques et sécuritaires, dans le contexte de la déstabilisation des États voisins du Sahel, ce volontarisme culturel ne peut qu'attirer l'attention.

Il découle, dans ces deux Républiques démocratiques, d'une impulsion politique au plus haut niveau. En Côte d'Ivoire, elle est portée par la ministre de la culture Françoise Remarck, qui pilote un ambitieux plan de développement des industries culturelles et créatives (ICC). Au Bénin, c'est le président de la République Patrice Talon qui a défini la culture comme le premier pilier de développement du pays, devant l'agriculture. Cette orientation vise notamment à développer le tourisme culturel, et passe par des investissements massifs dans les infrastructures muséales.

Pour mener à bien ces ambitions, les deux pays doivent surmonter des défis communs, notamment sur la structuration de leurs industries culturelles et la monétisation des contenus produits. En Côte d'Ivoire, la mise en place du deuxième bureau de droits d'auteur du continent constitue une première réponse. La France accompagne cet effort de transformation au travers d'un partenariat avec la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique française (Sacem).

Le Bénin comme la Côte d'Ivoire disposent cependant de nombreux atouts pour devenir des acteurs culturels de premier plan, à commencer par leur patrimoine culturel. Neuf sites et pratiques culturelles ivoiriens et trois sites béninois sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco. La Côte d'Ivoire met en avant la diversité de ses paysages pour se positionner comme une plaque tournante de l'industrie cinématographique. Au Bénin, plusieurs sites drainent déjà un flux touristique notable, notamment la statue de l'Amazone de Cotonou et le centre historique de Porto Novo.

La création contemporaine est également très riche dans les deux pays. La Côte d'Ivoire est internationalement reconnue pour sa scène musicale, et organise à Abidjan une biennale des arts vivants très porteuse. Le Bénin a participé pour la première fois en 2024 à la Biennale de Venise, où son pavillon a été très remarqué.

La France est un partenaire majeur dans cet effort de développement culturel, via les financements de l'agence française de développement (AFD) et l'accompagnement de projet assuré par Expertise France. La culture constitue un domaine d'intervention récent de l'AFD, qui est cependant appelé à monter en puissance. L'agenda transformationnel voulu par le Président de la République pour l'Afrique comporte en effet un important volet culturel. Sur le fond, la culture et notamment les ICC représentent effectivement un puissant levier de développement économique, ainsi qu'un vecteur efficace de promotion de la francophonie.

En Côte d'Ivoire, le soutien français passe par un contrat de désendettement et de développement (ou C2D), qui permet de convertir la dette des pays pauvres très endettés en programmes de développement. Le troisième C2D, passé le 4 novembre 2021, comporte 17 millions d'euros au titre de l'action culturelle. Au Bénin, la France finance un prêt public à la culture d'un montant total de 60 millions d'euros ; elle est le seul pays à intervenir sur des montants aussi élevés dans le champ culturel.

J'en viens aux restitutions d'oeuvre d'art. Vu du Parlement, ce sujet nous apparaît principalement sous son angle juridique et diplomatique, et ce qui se passe après la restitution constitue un angle mort. Nous avons constaté que les restitutions engendrent également un intense mouvement d'investissement et de coopération sur le terrain, et qu'elles agissent comme un catalyseur pour la structuration du secteur culturel des pays d'origine.

Au Bénin, nous avons dressé un premier bilan de la restitution par la France du trésor d'Abomey en novembre 2021, qui a eu d'importantes retombées positives et a accéléré les ambitions muséales du pays.

Initialement exposées dans le palais présidentiel de Cotonou, les 26 pièces restituées ont vocation à être présentées dans un musée dédié à l'héritage culturel du royaume du Dahomey, qui sera édifié sur le site palatial d'Abomey. La majorité du prêt de l'AFD porte sur ce projet, qui comporte un volet de transfert de compétences avec des collectivités françaises. Une coopération avec la chambre des métiers des Pays de la Loire permet ainsi de former les ouvriers béninois aux métiers du patrimoine.

La restitution a également permis d'améliorer la visibilité de l'art contemporain du Bénin. L'exposition au palais présidentiel a en effet été organisée en diptyque avec des oeuvres contemporaines ; ces oeuvres ont récemment été exposées à la Conciergerie de Paris, ce qui témoigne d'une réciprocité dans les échanges initiés par la restitution.

Le gouvernement béninois s'est enfin saisi de la restitution pour renforcer le sentiment d'appartenance nationale au Bénin. L'exposition au palais présidentiel a rencontré un large écho auprès de la population, avec 220 000 visiteurs en trois mois.

Si la dynamique ainsi initiée est incontestable, d'importants défis restent à relever, tout d'abord pour assurer l'accès pérenne de la population béninoise aux oeuvres restituées. Nous l'avons constaté lors de notre déplacement sur le site du futur musée : les aménagements projetés sont très ambitieux, et le chemin à parcourir pour y parvenir reste encore long. Nous avons également été alertés, lors de notre visite de l'école du patrimoine africain, sur le travail qui reste à déployer pour créer les conditions scientifiques d'une poursuite des restitutions, en ce qui concerne notamment la recherche de provenance. Les inquiétudes portent plus précisément sur la possibilité de parvenir à un dialogue égalitaire sur ce point entre scientifiques africains et européens.

La question des restitutions a également été au coeur de nos échanges en Côte d'Ivoire, où le retour du tambour parleur Djidji Ayôkwê, confisqué en 1916 à l'ethnie atchan par l'administrateur Simon, est attendu depuis 2019 et la demande de restitution officiellement formulée par la Côte d'Ivoire.

Alors que le Président de la République s'est engagé à satisfaire à cette demande en 2021, le processus de déclassement du tambour, qui relève des collections du Quai Branly, est au point mort dans l'attente de la loi-cadre. Pour des raisons à la fois juridiques et politiques, il semble que ce projet soit aujourd'hui différé sine die par le gouvernement. Le délai qui en résulte est mal accepté par les communautés d'origine du tambour comme par les autorités ivoiriennes, avec lesquelles la France entretient pourtant d'excellentes relations.

Notre déplacement a été l'occasion pour les autorités ivoiriennes de plaider la cause de cette restitution. Nous avons été reçus par la ministre de la culture ; nous nous sommes également rendus sur le chantier du musée des civilisations de Côte d'Ivoire, qui est réaménagé dans la perspective d'accueillir le tambour.

Nous avons été frappés de constater que l'engagement de restitution pris par la France donne déjà lieu à des retombées très concrètes, avec des investissements financiers de l'AFD et une coopération muséale de grande ampleur, qui mobilise des acteurs français et ivoiriens depuis plusieurs années. Je crois que tous les participants au déplacement seront d'accord pour considérer que cette coopération est exemplaire, notamment sur le plan scientifique.

Cette exemplarité, conjuguée à l'importance des investissements déjà consentis par la France, nous ont convaincus d'apporter notre soutien à la légitime demande du gouvernement ivoirien. Notre pays se doit en effet d'être cohérent vis-à-vis de ses prises de position extérieures, mais également au regard de ses propres engagements opérationnels et financiers.

C'est pourquoi nous avons rapporté dans nos bagages une proposition de loi d'espèce. La ministre de la culture y a apporté son soutien en concluant avec son homologue ivoirienne, le 18 novembre dernier, une convention de dépôt du tambour, qui constitue la première étape du processus de restitution désormais enclenché. Nous examinerons le rapport de Max Brisson sur ce texte dans deux semaines ; alors que la fin des travaux du musée est prévue pour l'été prochain, il y a urgence à avancer sur ce sujet.

Pour la suite, le sujet de la loi-cadre reste bien entendu aussi urgent qu'entier. Il est en effet probable que, lorsque les infrastructures muséales aujourd'hui en chantier seront achevées, de nouvelles demandes de restitution nous parviennent.

Nous nous sommes également intéressés aux conditions de l'enseignement français à l'étranger. Nous nous sommes rendus dans trois établissements partenaires ou conventionnés avec l'AEFE et proposant une scolarisation de la maternelle au baccalauréat : les lycées Blaise Pascal et Jean Mermoz d'Abidjan (qui compte 12 établissements français au total), et le lycée Montaigne de Cotonou. Dans l'ensemble, l'enseignement français s'y porte bien, et les établissements font face à une forte demande qui les conduit à refuser des dossiers.

Sur la gestion des personnels, nous avons constaté de fortes différences entre les deux pays : tandis que le Bénin est très attractif, les établissements d'Abidjan rencontrent des difficultés pour recruter des enseignants détachés. Ils misent en conséquence sur la formation de personnels locaux, qui requiert un investissement financier de leur part. Ce système trouve par ailleurs ses limites pour la classe préparatoire proposée par le lycée Blaise Pascal.

Les trois lycées appliquent sans difficulté le principe de laïcité, dans le contexte d'une cohabitation harmonieuse entre communautés religieuses en Côte d'Ivoire comme au Bénin.

Nous avons surtout été frappés par les excellentes conditions d'enseignement dont bénéficient les élèves de ces établissements, dont la qualité des locaux et des équipements sportifs dépasse les standards de notre territoire national. Cette qualité est le corollaire de l'exigence des familles, qui s'acquittent de tarifs élevés. Elle suscite une concurrence entre les établissements : nous avons senti une inquiétude palpable au lycée de Cotonou, où un second lycée français vient de s'implanter.

Cette situation privilégiée contraste avec celle des élèves ivoiriens et béninois. Plus de la moitié des écoles publiques de Côte d'Ivoire ne disposent ni de l'eau courante ni de l'électricité, et ne sont pas même équipées de sanitaires ; les classes y comptent jusqu'à 80 élèves. L'éducation constitue d'ailleurs, dans les deux pays, l'un des principaux secteurs d'intervention de l'AFD, qui finance la création de collèges de proximité, l'acquisition de manuels scolaires et la réhabilitation de lycées techniques.

Ce contraste nous a conduits à nous interroger, lors de nos échanges avec l'ambassade, sur le positionnement d'excellence, voire élitiste des lycées visités, et l'image ainsi donnée de la France aux populations. Nous avons insisté sur la nécessité de répondre à la concurrence entre établissements en renforçant leur complémentarité pédagogique, plutôt qu'en cherchant à financer de nouveaux équipements prestigieux pour attirer les familles.

Dans le champ universitaire, nous avons constaté le très fort dynamisme de la relation de coopération avec la France. La France continue d'être un pays très attractif pour les étudiants de Côte d'Ivoire et du Bénin ; elle constitue même la première destination des étudiants béninois. Dans les deux pays, les demandes adressées à Campus France excèdent très largement le nombre de visas étudiants délivrés.

Nous avons pris connaissance de deux partenariats académiques, ou PeA, de l'université d'Abomey-Calavi avec celles de Limoges et de Lorraine, ainsi que l'institut Agro Montpellier. Ces coopérations, mises en place via un appel à projets de l'agence nationale de la recherche (ANR), visent à structurer les formations dans les secteurs prioritaires pour les pays africains, en l'occurrence l'agronomie et la santé publique.

Nous avons également abordé le sujet de la francophonie en rencontrant les équipes des Instituts français. Le cas de la Côte d'Ivoire est de ce point de vue très intéressant. Par le nombre de ses locuteurs, il s'agit du quatrième pays francophone au monde ; la plupart de ses médias sont en français ; du fait de la jeunesse de sa population et de son influence culturelle, elle constitue l'un des relais d'avenir de la francophonie. Pour autant, un tiers seulement des Ivoiriens sont considérés comme des locuteurs francophones selon les standards de l'organisation internationale de la francophonie (OIF).

Cette situation est à mettre en regard de la vitalité du nouchi. Ce parler mixte entre l'ivoirien et le français, mêlé d'anglais et de néologismes, tend à s'enraciner dans la population ivoirienne ; en sens inverse, il enrichit également le français, puisque plusieurs mots récemment entrés dans le Petit Robert, tels que « brouteur », « ambiancer » ou « s'enjailler », en sont issus. Une représentation de L'Avare de Molière en nouchi a connu un grand succès en Côte d'Ivoire, et une demande de programmation à la Cité internationale de la langue française (CILF) a été présentée.

Nous nous sommes enfin penchés sur la situation de l'audiovisuel français.

Les médias français, tout d'abord, sont très suivis en Côte d'Ivoire : France 24 y est la première chaîne d'information internationale, RFI est la radio la plus écoutée d'Abidjan, et Canal+ est présent au travers de sa chaîne A+. Cette solide implantation s'accompagne de frictions récurrentes sur le traitement éditorial de sujets de société par France 24, au point que le gouvernement ivoirien a pu faire publiquement connaître son mécontentement. Cette situation, qui nourrit une remise en cause de l'existence même de la chaîne au niveau régional, fait l'objet d'un suivi attentif par les services de l'ambassade, alors que les opérateurs français ont déjà quitté les États du Sahel.

Nous avons également pris connaissance de l'action menée par l'agence de développement des médias CFI, qui relève du groupe France Médias Monde et agit dans le cadre d'une convention avec le ministère des affaires étrangères. De l'avis général, le rôle institutionnel de cet opérateur mériterait d'être renforcé, tant ses résultats sur le terrain sont satisfaisants, notamment en matière de lutte contre la désinformation.

En ce qui concerne enfin la production des contenus de fiction, l'enjeu est celui de l'implantation des opérations de création sur les territoires béninois et ivoirien, au-delà de la captation d'images - ce qui suppose la structuration de plusieurs filières professionnelles. Nous avons étudié cette question en nous rendant dans les locaux de la série Le meilleur est à venir, dont la diffusion, qui aura lieu à partir de 2026, est pensée sur le modèle de Plus belle La vie. La coproduction de cette série, qui associe TV5 Monde, Mediawan et l'agence des arts du Bénin, est organisée pour assurer un transfert de compétences vers le Bénin sur l'ensemble de la filière de création, de l'écriture à la post-production.

Voici donc, mes chers collègues, les principaux enseignements que nous avons tirés de ce passionnant déplacement, et qui enrichiront sans aucun doute les travaux que nous conduirons à l'avenir sur ces différents sujets.

La réunion est close à 11 h 30.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, et de M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

L'accès aux études de santé - Audition de MM. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins, et Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, en commun avec la commission des affaires sociales

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. - Mes chers collègues, la Cour des comptes a présenté à la commission des affaires sociales, le 11 décembre dernier, les conclusions de l'enquête sur l'accès aux études de santé que nous lui avions commandée, en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.

Les conclusions de la Cour, très critiques, ont conduit la commission à désigner des rapporteurs - outre moi-même, Corinne Imbert, Khalifé Khalifé et Véronique Guillotin - et à poursuivre ces travaux, au travers de plusieurs auditions.

Nous avons notamment entendu notre collègue Sonia de la Provôté, auteure de deux rapports sur la mise en oeuvre de la réforme Pass/LAS (parcours accès santé spécifique/licence accès santé), avec qui nous avons repris l'historique de la réforme. Je salue le travail réalisé par la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, notamment par sa rapporteure, compétente en matière d'enseignement supérieur.

C'est dans ce cadre que nous accueillons aujourd'hui, avec cette commission, M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, et M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins.

Messieurs les ministres, merci de votre présence. Nous sommes impatients de vous entendre sur l'enquête de la Cour des comptes, sur le bilan que vous tirez de la réforme de l'accès aux études de santé et, le cas échéant, sur les évolutions qui vous semblent souhaitables.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. - Notre commission est engagée de longue date sur le sujet des études de santé, qui constituent un enjeu crucial pour la qualité de notre système de soins, mais aussi pour l'excellence de notre recherche en santé humaine.

Dans le cadre de sa compétence législative, elle avait rendu un avis sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé de 2019, dans lequel nous avions souligné la complexité du nouveau système mis en place.

Dans le cadre de notre compétence de contrôle, nous nous sommes penchés à deux reprises sur l'application de la réforme, grâce à deux missions confiées à Sonia de La Provôté : une première mission flash en 2021, qui a conclu à l'insuffisance de la préparation et du pilotage de la nouvelle organisation dans la phase de lancement de la réforme ; un rapport de suivi en 2022, qui a pointé les différences de niveaux entre étudiants de LAS et de Pass, l'insuffisante communication auprès des étudiants, ainsi que les fortes disparités entre établissements.

Ces constats ayant été largement repris par la Cour des comptes, il me semble que nous parvenons aujourd'hui à une évaluation partagée de la nouvelle organisation des études de santé, ainsi que des évolutions qui pourraient permettre de remédier aux difficultés rencontrées depuis 2020.

La mission menée par la commission des affaires sociales contribuera certainement à tracer un chemin vers ces adaptations, et nous sommes bien entendu très désireux de recueillir vos orientations sur ce sujet.

M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Je vous remercie de me donner aujourd'hui la parole.

Les études médicales - médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie - suscitent l'intérêt de nos concitoyens. Ce sujet touche directement à l'égalité des chances entre étudiants et, en fonction des territoires, à l'égalité d'accès aux soins et à l'équilibre de notre système de santé. En effet, la manière dont sont formés les étudiants a aussi un impact sur l'endroit où ils s'installent.

Ce sujet me tient aussi à coeur, car les études de santé s'inscrivent pleinement dans le paysage des études universitaires en général, plus encore depuis la dernière réforme. Celle-ci a permis de construire un nouveau modèle, après la suppression de la première année commune aux études de santé (Paces).

La Paces présentait un certain nombre d'inconvénients : elle était très déterministe socialement ; elle ne répondait pas ou peu aux besoins des territoires, et du pays en général, au regard du nombre de personnes formées ; elle avait conduit à isoler de manière démesurée les étudiants de la Paces des autres filières universitaires, même de celles qui partageaient le plus d'éléments communs avec elle.

Enfin, elle entraînait des situations d'échecs, ce qui est probablement le point auquel je suis plus sensible, et un mal-être considérable chez un très grand nombre d'étudiants et d'étudiantes, notamment parmi ceux qui avaient les qualités requises mais ne passaient pas la barre. Mis en situation d'échec pendant deux ans, ils n'avaient finalement pas de moyens évidents de devenir des praticiens de santé, sans pour autant être médecins.

La réforme du modèle d'accès visait à répondre à ces insuffisances. Je crois qu'elle a en partie réussi, mais en partie seulement.

Les chances d'accès aux études de santé ont connu une amélioration significative. En effet, le nombre de places ouvertes a augmenté, en particulier en médecine, passant d'un contingent annuel de 8 700 places en 2017 à 11 000 actuellement, sans diminuer le niveau d'exigence. L'augmentation des capacités d'accueil en premier cycle a permis d'améliorer le taux d'accès en médecine, en maïeutique, en odontologie et en pharmacie. Ainsi, le taux d'accès des néo-bacheliers est passé de moins de 20 % à 30 %.

Par ailleurs, les redoublements ont chuté de manière drastique : avec la Paces, le taux de redoublement était excessivement élevé - près de quatre étudiants sur cinq. Maintenant, plus d'un néo-bachelier sur deux accède à une année supérieure, et les profils se sont diversifiés, en tout cas dans les LAS.

Cependant, la réforme a aussi trouvé ses limites. Vos travaux actuels sont nécessaires et bienvenus pour les objectiver.

Quelques points peuvent être déjà soulignés.

La réforme devait donner une certaine souplesse aux universités pour ce qui relève de son application. En la matière, la liberté a été au rendez-vous, mais pas forcément au bénéfice des étudiants. L'hétérogénéité entre établissements et la diversité du système sont devenues trop grandes, nuisant à sa lisibilité. Cela constitue probablement l'un des enjeux majeurs : il faudra corriger cette trop grande hétérogénéité des systèmes de formation. Cela vaut tant pour les modalités de sélection que pour l'organisation des parcours eux-mêmes, trop divers et trop complexes pour le commun des mortels qui doit choisir son université et son parcours en première année.

Par ailleurs, la place des épreuves orales ou les critères des algorithmes de sélection sont d'une grande variabilité d'une université à l'autre.

Enfin, la répartition des enseignements ou les possibilités de choix des disciplines hors santé dépendent complètement du lieu d'inscription. Idem, nous constatons une très forte hétérogénéité entre territoires. Cela pourrait n'être qu'un problème d'organisation pour nos esprits cartésiens, sans grande conséquence. Malheureusement, les étudiants souffrent de cette situation. Ils jugent le système inéquitable, du fait de cette difficulté de répartition.

Le modèle Pass/LAS a été adopté dans 29 universités, tandis que le modèle « tout LAS » ne l'a été que dans sept universités. Le Pass reste la voie majoritaire des études de santé. Ce schéma reproduit l'idée d'une voie royale, ce qu'on a beaucoup reproché à la Paces et ce que la réforme devait dépasser. De ce point de vue, cela n'a pas complètement fonctionné.

Les taux d'admission depuis les LAS dans les sites ayant adopté le système Pass/LAS sont demeurés insuffisants, contrairement aux objectifs fixés par la réforme.

Enfin, certains de nos étudiants continuent de partir pour l'étranger, un phénomène qu'il ne faut pas non plus dramatiser, mais qui est réel et qui pose question sur la logique générale du système.

Quatre ans après la suppression de la Paces, nous constatons que des marges de progression importantes demeurent. Pour y répondre, nous devons être à l'écoute de toutes les parties prenantes.

À titre personnel, il me semble que certaines pistes de progrès sont déjà identifiables.

D'abord, la simplification du système actuel. Cette demande est à peu près générale, elle a été énoncée par la Cour des comptes, par les doyens, par les représentants des étudiants, par certains présidents d'université, tandis qu'un grand nombre de parents sont du même avis. Je partage leur diagnostic et leur volonté de simplifier et d'harmoniser le système au niveau national.

Force est de constater, cependant, que les modalités de la voie unique sont aussi nombreuses que les parties prenantes qui viennent nous rencontrer. C'est sans doute le fantôme de la Paces qui nous hante, avec tous ses défauts. Ce système avait l'avantage d'une grande simplicité, du fait de son unicité et de sa rusticité.

Cependant, toutes les raisons que j'évoquais au début de mon intervention font qu'il est tout à fait exclu de revenir au système antérieur. Ce serait renoncer aux avancées qui ont été réalisées ces dernières années et continuer à « gâcher » un très grand nombre de bons étudiants, qui ne réussissaient pas et qui étaient mis dans une situation d'échec assez cruelle.

En revanche, nous devons améliorer le système pour simplifier et accroître sa lisibilité pour les étudiants et les familles. Nous devons le rendre plus équitable sur tout le territoire et au sein des universités. Nous devons faire en sorte qu'il favorise la réussite des étudiants en études de santé, mais aussi de ceux qui poursuivent d'autres parcours universitaires en même temps, tout cela en gardant les principes qui ont présidé à la suppression de la Paces. Plutôt qu'une voie unique, je souhaite donc que nous travaillions sur un modèle unique d'organisation de l'accès aux études de santé, en préservant le principe de parcours diversifiés.

Les modalités précises de tout cela doivent faire l'objet d'un travail qui prendra en compte, évidemment, vos conclusions.

Nous pouvons néanmoins dégager quelques grands principes, à la lumière de l'expérience des quatre dernières années.

Nous avons beaucoup à apprendre des modèles d'organisation mis en place dans les différents territoires. Je compte pour ma part poursuivre le travail d'identification des meilleures pratiques, et j'ai d'ailleurs prévu d'aller à la rencontre d'établissements dont l'organisation du premier cycle d'études de santé paraît avoir bien fonctionné. Je suis convaincu que nous avons tout à gagner à nous inspirer de ce qui a fonctionné sur le terrain, afin de proposer des solutions au niveau national. Forts de ces rencontres, forts des constats de la Cour des comptes, de vos travaux et des travaux des groupes de travail pilotés par nos deux ministères, nous serons en mesure de faire des propositions d'ajustement très rapidement.

Une phase de concertation va s'ouvrir avec toutes les parties prenantes, en s'appuyant sur les travaux des parlementaires et les expériences territoriales. Nous sommes très engagés, Yannick Neuder et moi-même, sous l'autorité du Premier ministre, pour faire aboutir une réforme rapidement, si possible à la rentrée 2026. Durant toute cette phase, je resterai présent et engagé pour que le nouveau modèle bénéficie à tous.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. - Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer sur ce sujet qui me passionne.

Nous avons tous pris connaissance du rapport de la Cour des comptes avec beaucoup d'attention. Je réaffirme que M. le ministre Baptiste et moi-même souhaitons aller le plus vite et le plus haut possible pour former plus et former mieux, ce dès la rentrée 2026.

Il est l'heure de dresser les constats. Ce n'est pas un secret, je n'ai jamais été fan de cette réforme. Pourquoi ? Je suis médecin, j'ai su vouloir faire médecine dès que j'étais lycéen, et je me suis donc beaucoup interrogé sur le symbole envoyé par la réforme. Naïvement, je pensais que quand on voulait faire médecine, on s'inscrivait à la faculté de médecine. Proposerait-on à un étudiant qui veut faire du droit ou de la comptabilité de faire médecine avec une mineure droit ou une mineure comptabilité ? Je n'en suis pas sûr...

Je comprends néanmoins les arguments sur l'absence de redoublement. Du point de vue du ministre de l'enseignement supérieur, un étudiant, redoublant ou non, reste un étudiant : autant ne pas perdre d'années. J'ai trop vu d'étudiants qui ont perdu deux années complètement ; j'ai même vu, en raison des dérogations qui existaient, des triplements ratés. Cela n'est pas satisfaisant.

Pour ma part, je me place plutôt du point de vue des étudiants et des soignants. Ne pas réussir une première année de médecine et avoir une chance de redoubler n'est pas forcément une mauvaise chose. De mon temps, 80 % des étudiants redoublaient.

Je souhaite remercier le Sénat, qui s'est beaucoup mobilisé, notamment grâce à Mme de La Provôté. En effet, ces sujets sont l'une des principales préoccupations de nos concitoyens.

Outre les outils de formation, je souhaite m'interroger sur la finalité de cette formation, pour savoir si elle répond aux besoins des Français en santé. Environ 67 % des Français renoncent à prendre un rendez-vous avec un généraliste. Nous formons un nombre de médecins guère différent par rapport aux années 1970, alors que nous comptons 15 millions de plus d'habitants, avec une comorbidité sévère, avec une population qui a vieilli.

Surtout, les rapports au travail, à la vie de famille ou à la vie sociale changent - il n'est pas rare de voir des professionnels de santé exercer quatre jours sur sept... - et nous devons en tenir compte.

Tel était l'objet de la proposition de loi que j'avais déposée en 2023 à l'Assemblée nationale, et que le Sénat, j'espère, pourra inscrire et adopter au mois de mai : nous devons définir les besoins des territoires, qui peuvent différer selon que l'on parle d'une métropole dotée d'une faculté et d'hôpitaux capables d'accueillir des stagiaires ou de départements ruraux sans faculté ni hôpitaux. Généralement, un jeune médecin ne s'installe pas dans un territoire qu'il ne connaît pas. Nous devons examiner comment, dès les premiers cycles d'études en santé, nous pourrions éviter que les étudiants ne fassent dix ans d'études à l'hôpital avant qu'on leur demande d'aller s'installer dans tel ou tel village. Ces jeunes professionnels ont déjà une vie familiale, et ils rencontrent des problématiques de logement, de transport et de crèches. Le système ne semble pas adapté.

Nous sommes aussi face à un enjeu de souveraineté de formation. J'étais présent au Conseil européen des ministres de la santé. Certains de mes homologues m'ont dit, aimablement, qu'il serait sympathique de récupérer nos étudiants, notamment le ministre belge ou la ministre espagnole. Cette réforme Pass/LAS a accéléré les départs à l'étranger. Une enquête du Quotidien du médecin de 2023 montrait que le nombre d'étudiants partis à l'étranger était important.

Ces problématiques de santé sont prégnantes en France, mais aussi au niveau européen et mondial. Les difficultés sont mondiales, et des pays n'hésitent à démarcher nos étudiants dans des facultés à l'étranger, comme en Roumanie.

L'Association des maires ruraux de France (AMRF) propose des financements - 25 000 ou 30 000 euros par an - pour la formation d'étudiants issus de leur territoire, rejetés par le système français, et qui partent étudier à l'étranger. Ils n'ont pas droit aux bourses, et tous ne sont pas des privilégiés ; certains rentrent travailler en France le week-end.

Certains pays font aussi une sorte de dumping, en contactant des étudiants français en Roumanie pour qu'ils viennent s'installer chez eux, par exemple la Suisse, l'Allemagne ou le Maroc. Ils rachètent à ces étudiants les bourses accordées par les collectivités territoriales. Certains mettent 200 000 euros sur la table pour rembourser les études et 100 000 euros pour qu'ils exercent pendant un certain nombre d'années sur place.

J'ai reçu ces étudiants français à l'Assemblée nationale. Ils seraient assez désireux de revenir en France, si nous avions un véhicule législatif adéquat et les moyens universitaires adaptés pour les accueillir. Certes, la question du niveau des étudiants se pose : nous pourrions solliciter les doyens pour faire les vérifications nécessaires.

Cependant, la situation devient très paradoxale, voire insoutenable. Dans mon service, j'ai trois types d'étudiants : les étudiants classiques, les étudiants Padhue (praticiens à diplôme hors Union européenne) et, enfin, des étudiants français, des petits Grenoblois qui étudient en Roumanie et viennent faire leur Erasmus dans mon service. Nous avons en fait un peu perdu le contrôle de notre système de formation.

Nous parlons aussi des autres formations - pharmacie, odontologie ou maïeutique. Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes précise que 54 % des dentistes inscrits à l'ordre ont fait leurs études à l'étranger. Ainsi, nous n'avons plus de souveraineté en matière de formation. Des places en deuxième année de pharmacie restent vacantes, pour différentes raisons, alors que nous connaissons une pénurie de pharmaciens. Enfin, en maïeutique, les chiffres ne sont pas au rendez-vous.

Le Pass/LAS présente une grande complexité administrative. L'appropriation par les étudiants eux-mêmes n'est pas bonne ; il est parfois difficile, sur Parcoursup, de trouver la bonne filière. Bref, on constate une mauvaise acculturation des étudiants, du monde médical et des enseignants eux-mêmes.

Il faut donc tirer les conséquences de cette réforme. Beaucoup de calendriers se percutent, il nous faudra rester pragmatiques. Les déserts médicaux sont un tel problème que la pression est très forte dans les territoires. Mais nous avons aussi, en même temps, des discussions sur les Padhue, pour les former et organiser une évaluation interne et externe - il faudra des mesures réglementaires et législatives.

Nous devons aussi préserver la quatrième année de médecine générale ; il nous faut prendre les décrets rapidement. Nous ferons des annonces dès vendredi lors du congrès de médecine générale. Nous avons bien mesuré le degré d'impatience des maîtres de stage, le degré d'impatience du Collège national des généralistes enseignants, mais depuis quatre-vingt-douze jours que je suis en fonction, nous avons mis les bouchées doubles pour prendre les décrets, pour que ce sujet qui a dix-huit mois d'âge soit traité avant l'été. Nous devons créer cette quatrième année dans de bonnes conditions, qui sera manifestement un plus pour les territoires, avec 3 700 docteurs juniors répartis dans une centaine de départements, soit 37 en moyenne par département.

Nous devons avancer vite, mais sans précipitation, pour réformer le système. Il nous faut construire cette réforme sur un terrain apaisé. Avant l'été, nous devons faire les réformes pour les Padhue et la quatrième année de médecine générale dans les meilleures conditions.

Nous devons donc repenser la formation initiale, récupérer nos étudiants à l'étranger, réformer le dispositif Padhue et mettre en oeuvre la quatrième année de médecine générale. Cela représente 57 000 nouveaux médecins d'ici à 2027, mais il faut prendre en compte les 11 800 départs à la retraite pour 11 400 nouveaux médecins par an. Si nous sommes numériquement à l'équilibre, il faut cependant comprendre que, quand un généraliste part, il faut 2,3 à 2,5 nouveaux médecins pour le remplacer. En termes de temps de présence, nous sommes déficitaires.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. - Nous allons passer aux questions des rapporteurs et, faisant partie de ceux que la commission des affaires sociales a désignés, je me permets d'entamer cette série en revenant sur la complexité du système. Simplement en Île-de-France, il existe aujourd'hui plus de 100 possibilités de parcours en Pass ou en LAS. Nous avons compris que cette difficulté est identifiée, mais les universités ont investi dans une organisation et communiqué sur le sujet. Dès lors, de quelles marges de manoeuvre disponsons-nous à court terme ?

Cette première question étant posée, je laisse d'abord la parole à notre collègue de la commission de la culture, Sonia de La Provôté.

Mme Sonia de La Provôté. - Merci d'avoir permis cette audition commune. Il est dit depuis le début que la concertation, la discussion est nécessaire, car la formation des médecins, comme, plus largement, celle de tous les professionnels de santé, s'inscrit dans une continuité et que ce qui se passe au moment de l'admission conditionne ce qui se passe ensuite. C'est donc une bonne chose.

Comme vous l'avez dit, on ne peut pas tout à fait considérer comme atteint l'objectif de répondre aux reproches qui étaient faits à la Paces concernant le bien-être et la réussite des étudiants. Nous en sommes à la cinquième promotion depuis la réforme et, on peut le dire assez sûrement, le constat est plutôt négatif.

Plusieurs sujets se posent.

L'orientation en première année de LAS est encore subie par les lycéens, faute de place dans les licences qu'ils choisissent. Une réflexion a-t-elle été engagée par rapport à cette difficulté, qui avait été identifiée dès le début ? Entend-on travailler sur l'étendue des licences concernées ?

Les étudiants en première année de LAS ont moins de chance de réussir l'examen d'entrée au Pass et, lorsqu'ils le réussissent, ils semblent avoir été moins bien préparés pour la suite. Un rattrapage des connaissances et des acquis est-il prévu, sachant que le bagage du médecin doit in fine être identique ?

Depuis l'entrée en vigueur de la réforme, un phénomène de vacances de places est apparu au sein des études de pharmacie et de maïeutique. Nous savons, de par les remontées de terrain, qu'il s'aggrave. Cette évolution survenant parallèlement à un accroissement des compétences demandées aux pharmaciens et des tâches qui leur sont déléguées, elle conduit indirectement à une moindre compensation de la pénurie de médecins sur le terrain et, donc, accentue les déséquilibres démographiques. Faut-il, comme le suggèrent la Cour des comptes et les étudiants, revenir sur la réforme pour privilégier une voie d'accès unique ? Seriez-vous favorables à l'expérimentation proposée par la Cour des comptes d'un accès direct après le bac aux études de pharmacie ?

Au regard du rapport, certaines questions se posent, notamment celle du cadrage. Toutes les difficultés concernant les examens ont-elles été réglées ? Reste-t-on définitivement sur deux chances d'accès ? Dès lors que des personnes, qui ont dû aller se former à l'étranger parce qu'elles n'avaient pas été acceptées dans le cursus en France, peuvent pratiquer à leur retour, n'y a-t-il pas un hiatus ? Avez-vous réfléchi au renforcement des passerelles et aux équivalences ?

Enfin, si la coopération entre vos ministères est essentielle, c'est parce qu'il ne suffit pas d'admettre des étudiants en médecine pour avoir, demain, des médecins sur les territoires qui en manquent !

Mme Véronique Guillotin, rapporteure de la commission des affaires sociales. - La réforme devait permettre une plus grande diversification des profils d'étudiant et des territoires géographiques dont ces derniers sont issus. D'après la Cour des comptes, cet objectif n'est pas atteint. Comment comptez-vous améliorer la situation, sachant que, comme cela a été dit, l'origine géographique compte pour le retour dans les territoires ruraux ou éloignés des centres urbains ?

La possibilité d'une option santé dans les lycées avait été inscrite dans la loi Valletoux. Je m'en étais fortement réjouie, notamment parce que des études canadiennes avaient montré l'importance d'une sensibilisation précoce pour permettre l'ouverture aux études de santé et éviter l'autocensure. La région Grand Est, dont je suis issue, a été choisie pour expérimenter cette option, mais j'ai pu constater que les quelques lycées repérés étaient des lycées nancéens - donc sans lien avec un territoire rural ou éloigné d'un centre urbain. Par ailleurs, le pilotage semble uniquement assuré par l'éducation nationale. Ne faudrait-il pas revoir ce pilotage pour tenter réellement d'atteindre les objectifs de diversification ?

M. Khalifé Khalifé, rapporteur de la commission des affaires sociales. - D'après le rapport, le nombre d'étudiants passant en deuxième année serait en augmentation de 18 %. Tout le monde s'accorde à dire, aujourd'hui, que ce chiffre doit être modulé selon les universités.

Je précise également que, si nous travaillons aujourd'hui sur la réforme Pass/LAS, nous allons très vite nous pencher sur la réforme de l'internat. Il me semble en effet que nous ne pouvons pas répondre aux enjeux d'aménagement du territoire en réfléchissant à des incitations en première année, et non plus tard. Je suis un peu plus âgé que Yannick Neuder et je me souviens qu'à l'époque de mes études, malgré un numerus clausus plus sévère, les territoires et les hôpitaux dits périphériques étaient enrichis par des internes régionaux, voire infrarégionaux. Ces internes apprenaient à connaître le territoire, s'y mariaient et finissaient pas y rester. Il faut donc bien réfléchir au-delà de la première année.

Pour revenir néanmoins à ce sujet, je rappelle que les cours sont tous donnés dans des amphithéâtres plus ou moins vides, du fait des possibilités de visioconférence. Que l'on ne vienne donc pas invoquer les capacités des universités !

Par ailleurs, cela a été dit, le niveau des LAS n'est pas à la hauteur des espérances. Quant aux étudiants qui partent à l'étranger, je n'ai pas de chiffre précis pour la médecine, mais, travaillant actuellement sur la profession de vétérinaire, je peux dire que 92 % des étudiants dans cette branche qui se forment à l'étranger ont fait ce choix par obligation. Je suis favorable au retour le plus précoce possible de ces étudiants.

Que pensez-vous de toutes ces remarques ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. - La loi de 2019 a remplacé le numerus clausus par un nouveau système de concertation régionale et nationale, censé faire remonter des territoires les besoins et capacités de formation. Ce système a été jugé insuffisant par la Cour des comptes. Mon sentiment à cet égard est que l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) n'est pas armé pour remplir ces missions, que les universités sont trop peu responsabilisées et les ARS insuffisamment accompagnées.

Il ne vous a pas échappé que nous sommes au Sénat... Comment les élus locaux pourraient-ils être mieux associés aux projections démographiques ? Entendez-vous améliorer, grâce à leur analyse plus fine des territoires, le pilotage démographique des professions de santé ?

Enfin, vous avez un fait pas de côté, monsieur le ministre de la santé, en évoquant les Padhue et la quatrième année d'internat de médecine générale, dont je rappelle qu'elle est le fruit d'une initiative sénatoriale. Au moment où nous parlons de formation et d'installation des professionnels, permettez-moi un conseil amical : écoutez le Sénat !

M. Philippe Baptiste, ministre. - De manière générale, nous écoutons le Sénat !

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. - Je n'en doutais pas.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Je reviens tout d'abord sur l'exemple qui a été donné : en effet, le nombre d'une centaine de parcours disponibles en Île-de-France est, en soi, anxiogène ; il démontre la nécessité de simplification qui s'impose. Pour beaucoup, la multiplicité de ces parcours s'explique par la liberté laissée aux établissements et universités en termes de majeures et de mineures. Dans nos éléments de réflexion, sans doute faudra-t-il limiter le nombre de doubles parcours possibles à quelques disciplines faisant vraiment sens...

La question du succès ou des insuccès a été abordée de différente manière. Le rapport de la Cour des compte montre qu'un travail important doit encore être mené. Mais rappelons-nous qu'en 2019, nous avions encore, avec la Paces, une usine à plier les étudiants qui échouaient - pardonnez-moi d'être un peu brutal... Cet examen présentait, par ailleurs, un taux de prédictibilité par rapport au baccalauréat proche de 100 %, soit une corrélation absolue démontrant que la préparation n'apportait rien en termes de sélection. Enfin, les résultats n'étaient pas au rendez-vous pour la diversification des parcours.

En la matière, les progrès ne sont pas spectaculaires. Néanmoins, une diversification des parcours plus forte est constatée chez les étudiants en LAS. On voit également que, si une même université dispose d'un cursus LAS et d'un cursus Pass, les meilleurs étudiants se dirigent vers le Pass.

Par ailleurs, certaines contraintes s'imposent bien aux parcours du fait des capacités d'accueil. C'est une réalité qui, malheureusement, ne se restreint pas aux seules études de santé, et une des grandes difficultés auxquelles l'enseignement est confronté du fait de la massification. Les dispositifs numériques apportent sans doute une certaine élasticité, mais cela fonctionne pour les premières années, pas forcément lorsque l'on progresse dans le cursus.

S'agissant de la filière pharmacie, nous avons en effet constaté une réticence à entrer dans cette formation, avec un métier qui semble mal connu des plus jeunes. Des corrections, notamment le reversement de places entre universités pour s'ajuster aux offres et aux demandes, ont permis de ramener le nombre de places vacantes à 200. Nous avons aussi ouvert, dès cette année, une possibilité d'admission via des passerelles pour des étudiants en troisième année de chimie ou de sciences de la vie et de la terre (SVT). J'espère qu'en ajoutant ce dispositif aux autres, nous parviendrons à régler ce problème.

M. Yannick Neuder, ministre. - La mise à niveau des étudiants issus de LAS doit à mon sens relever de chaque faculté de médecine et je me fie pleinement aux doyens et à leurs équipes pédagogiques pour dépister les étudiants qui seraient concernés et apporter des solutions. Je ne sais pas si le législateur doit aller jusqu'à ce niveau de détail. En tout cas, c'est un sujet qui m'a bien été remonté.

Selon les études de la direction générale de l'offre de soins (DGOS), la diversification des profils est très faible. Les ratios sur le genre ou l'origine socioprofessionnelle ont bougé de quelques points, mais ce n'est pas significatif. En revanche, je crois plus à des solutions comme les campus connectés ou l'installation de formations de première année dans les départements n'ayant pas la chance d'accueillir de faculté de médecine. L'expérience que nous avons de ces installations montre que les étudiants n'en réussissent pas moins. Dans certains territoires, comme la Nièvre, les taux de réussite montent jusqu'à 75 %.

Concernant l'orientation dans les lycées, des études ont été menées sur le sujet dans le cadre de France Ruralités. L'orientation, je le rappelle, est à la charge des régions, qui se saisissent progressivement de ces questions liées aux études en santé.

M. Khalifé a évoqué un temps plus ancien où prévalait la régionalisation dans le cadre de l'internat. Peut-être faudrait-il, tout en tenant compte des nouvelles grandes régions, envisager des systèmes mixtes : il serait possible, à la fois, de rester dans sa région et d'intégrer, pour certaines formations spécifiques, des structures resserrées autour d'un niveau d'excellence, qui auraient, elles, une dimension nationale.

Nous avons déjà certains outils permettant de travailler à la territorialisation. Je pense en particulier à certaines maisons de santé pluridisciplinaires qui, employant des assistants spécialistes liés à la faculté de médecine, sont en capacité d'accueillir des étudiants dès le deuxième cycle. J'étais dans le Jura récemment, j'y ai visité une magnifique maison médicale qui a tout pour entrer dans ce cadre. J'ai donc invité ses représentants à se rapprocher de la faculté de médecine pour envisager la possibilité d'évoluer vers une universitarisation.

Un dernier clin d'oeil à l'attention de Mme Imbert, pour dire que je ne fais que cela, d'écouter le Sénat ! Nous écoutons les deux chambres sur ces sujets, qui, nous le savons, rencontrent les préoccupations de nos concitoyens.

M. Stéphane Piednoir. - Depuis le début, je ne suis pas favorable à cette réforme, je n'ai pas changé d'avis et le rapport de la Cour des comptes ne me pousse pas à le faire.

De plus, la réforme du bac a considérablement brouillé les cartes en amont. Il me semble qu'il faut un socle scientifique minimal pour envisager des études de santé. Or cette réforme a éclaté l'ancien système et les recruteurs des formations supérieures ne s'y retrouvent plus.

L'un des objectifs visés était la diversification des profils. Cela ne doit pas se faire au détriment des compétences médicales - j'aime parler d'histoire avec mon médecin, mais je souhaite avant tout qu'il me soigne. Aussi, que comptez-vous faire pour garantir un socle scientifique solide aux futurs médecins ?

Un autre des objectifs était de réduire les situations d'échec. Ancien enseignant, je n'ai jamais vu un lycéen renoncer aux études de médecine par peur d'échouer. Le véritable problème, c'est l'absence de sélection. Avez-vous envisagé d'instaurer une moyenne éliminatoire dès la première année, pour éviter que certains étudiants ne s'engagent dans une voie qui n'est pas faite pour eux ?

Enfin, M. le ministre de l'enseignement supérieur a évoqué une simplification du parcours d'accès aux études de santé. En quoi consistera concrètement cette modalité unique ?

Mme Annie Le Houerou. - Vous avez abordé le sujet des antennes délocalisées. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions ?

Selon moi, la diversité des profils doit avant tout être sociologique, car la majorité des étudiants sont issus de familles aisées. La diversification du recrutement, notamment via les études de santé au lycée, me semble essentielle. De plus, une diversité géographique permettrait d'encourager l'installation des médecins dans les territoires dont ils sont originaires.

Monsieur le ministre de la santé, je partage votre diagnostic et trouve vos pistes de travail intéressantes, mais nous attendons des résultats concrets avant l'été. Quelles propositions précises comptez-vous nous soumettre ?

Comment envisagez-vous de réintégrer au cursus français les étudiants partis à l'étranger - et non pas les étudiants Erasmus - qui souhaitent revenir et qui n'ont pas cédé aux sirènes des offres très attractives de la Suisse ou de l'Allemagne ?

Il faut élargir les possibilités de stage d'internat et d'externat de sorte qu'elles concernent tous les territoires, c'est-à-dire non seulement les centres hospitaliers universitaires (CHU), mais aussi les centres hospitaliers de proximité, la médecine de ville, la médecine du travail, ou encore la protection maternelle et infantile (PMI). Ces spécialités manquent cruellement de praticiens ; or leur attractivité passe par une meilleure offre de stages.

Enfin, les régions sont les mieux placées pour évaluer les besoins en santé et recruter les futurs étudiants en médecine. Quelle sera leur place dans votre réforme ?

M. Adel Ziane. - Le rapport de la Cour des comptes l'a montré, la diversité sociale et territoriale des étudiants en santé est essentielle pour l'égalité des chances et pour la lutte contre les déserts médicaux.

Le rapport souligne que l'accès aux études médicales reste marqué par de forts déterminismes sociaux et territoriaux. Près de 45 % des médecins sont des enfants de cadres supérieurs et sont majoritairement issus de zones urbaines favorisées. Les jeunes des classes populaires, des zones rurales et des quartiers défavorisés sont largement sous-représentés. Or l'origine sociale et territoriale des médecins influe directement sur leur choix d'installation, comme l'a montré la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) dans un rapport de 2021. En Seine-Saint-Denis, l'un des premiers déserts médicaux du pays, cette inégalité est criante : les cadres ne représentent que 10 % des actifs, le manque de remplaçants pénalise fortement les élèves, le territoire est sous-doté, et ce d'autant plus que les facultés de médecine, quoiqu'excellentes, n'irriguent pas assez le territoire.

La réforme de 2020 devait diversifier les profils grâce au Pass/LAS, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Selon la Cour des comptes, près de la moitié des étudiants en santé ont recours à des préparations privées, coûtant entre 4 800 euros et 6 800 euros, ce qui constitue une barrière supplémentaire pour les plus modestes.

Pourtant, des initiatives locales existent. À Bobigny, l'université Sorbonne Paris Nord propose depuis 2012 une année préparatoire axée sur les connaissances scientifiques et méthodologiques pour maximiser les chances de réussite des bacheliers du département et y favoriser leur installation. Dans ma ville de Saint-Ouen, un programme expérimental sera lancé en 2025-2026 avec l'université Paris Cité et l'éducation nationale, proposant un tutorat dès le lycée et un accompagnement renforcé l'été précédant l'entrée en études de santé.

Aussi, comment le Gouvernement entend-il soutenir et généraliser ces partenariats entre les universités, les lycées et les collectivités, afin de démocratiser l'accès aux études de santé et assurer une meilleure répartition des médecins sur le territoire ?

Mme Pascale Gruny. - Dans l'Aisne, les étudiants évitent notre département pour leurs stages. Nous avons tenté d'échanger avec les doyens de Reims et d'Amiens, mais la situation persiste. Quelles solutions pouvez-vous proposer pour remédier à cette difficulté ?

Par ailleurs, je m'inquiète de la santé des patients soignés par des Padhue qui ont eu huit de moyenne...

M. David Ros. - J'ai adressé deux questions écrites aux ministres de la santé et de l'enseignement supérieur en novembre 2024 et en janvier 2025, mais elles sont restées sans réponse. Comme vous êtes en fonction depuis quatre-vingt-douze jours et que l'on sait que les cent premiers jours sont décisifs, peut-être pourrais-je enfin obtenir des éclaircissements. La première question avait pour objet le rôle des pharmaciens en zone rurale dans le cadre du troisième cycle ; la deuxième portait sur l'arrêt de la réforme instaurant une quatrième année en médecine générale, laquelle visait à améliorer l'accès aux soins dans les zones sous-dotées.

Monsieur le ministre de la santé, vous avez évoqué le 24 mars dernier l'objectif de 3 700 docteurs juniors supplémentaires par an d'ici à 2026. Pouvez-vous détailler la montée en charge de ce dispositif ?

Monsieur le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, je constate également une forte baisse du choix de la SVT en terminale. Cela affecte-t-il la formation des futurs étudiants en santé ? Si l'on veut éviter que les étudiants se passent de LAS ou se lassent de Pass, ne faudrait-il pas revoir l'attrait de ces disciplines dès le lycée ?

Mme Anne Souyris. - Comment intégrez-vous l'approche One Health, c'est-à-dire la santé environnementale, dans les études de santé ? C'est un enjeu de prévention.

Par ailleurs, est-il pertinent de proposer une passerelle entre des disciplines très éloignées, comme la philosophie et la médecine ? Un étudiant qui échoue en première année de médecine doit-il vraiment être orienté vers un cursus qui n'a rien à voir ?

Ensuite, certains élèves ne choisissent pas les bonnes spécialités en terminale, si bien qu'ils doivent faire une passerelle pour poursuivre des études de médecine. Or les LAS imposent des matières annexes - avec des cours parfois en distanciel, comme à la Sorbonne -, alors que ces étudiants auraient besoin d'un renforcement scientifique intensif. Ce dispositif est-il réellement adapté ? Avez-vous envisagé de créer des prépas publiques pour aider ces étudiants à rattraper leur niveau sans passer par des structures privées coûteuses ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Je parlerai avec mon coeur, en tant qu'élue d'une petite commune rurale, où tant de patients se trouvent sans médecin référent, où des femmes attendent un an pour une mammographie.

En 2021, la délégation aux droits des femmes a publié un rapport sur la situation des femmes dans les territoires ruraux, dans lequel nous avons abordé la question de la santé. Je rappelle que près de 88 % de nos communes sont rurales et qu'un tiers de la population y réside. Pourtant, on compte 2,6 gynécologues pour 100 000 habitants en moyenne. Dans soixante-dix-sept départements, le taux est inférieur à la moyenne nationale et dans treize, il n'y a tout simplement aucun gynécologue. Aussi, 40 % des femmes vivant en milieu rural ne bénéficient pas du dépistage du cancer du col de l'utérus. L'injustice est criante, d'où l'intitulé de notre rapport : Femmes et ruralité : en finir avec les zones blanches de l'égalité.

Nous avons donc recommandé d'imposer aux jeunes médecins trois années de service en zone sous-dotée ou rurale. Quelle est votre position sur ce point ?

Par ailleurs, lors d'une mission d'information présidée par Mme Corinne Imbert, nous avons étudié la formation des médecins en herboristerie. Le nombre d'heures a-t-il augmenté ?

Enfin, l'intelligence artificielle bouleverse l'exercice médical. Comment anticipez-vous ces évolutions ?

Mme Élisabeth Doineau. - Nous faisons tous le même diagnostic sur l'accès aux études de santé ; reste à savoir quelles solutions mettre en oeuvre.

J'ai apprécié la volonté du ministre de la santé d'explorer toutes les pistes pour recruter un maximum de futurs de professionnels de santé, parmi ceux qui partent étudier à l'étranger ou parmi ceux qui peuvent être intéressés, dans nos territoires par ces études. Par exemple, les premières années de médecine dans des départements sans faculté fonctionnent très bien, que ce soit dans la Nièvre ou à Laval.

Mais avons-nous réellement exploré toutes les possibilités ? Je pense notamment aux étudiants qui, il y a cinq ans ou plus, ont échoué en première année de médecine malgré de bonnes notes. Beaucoup se sont réorientés vers des masters ou d'autres professions, sans pour autant être pleinement épanouis dans leur choix. Pourquoi ne pas investir dans ces personnes qui ont peut-être envie de reprendre des études de médecine ? Comme l'a dit M. Neuder, certains pays proposent jusqu'à 200 000 euros pour les convaincre ! Une analyse approfondie de cette question pourrait être précieuse.

Qu'en est-il également des jeunes qui, faute de moyens, n'ont pas pu partir à l'étranger ?

Je propose d'engager une étude prospective à ce sujet.

M. Pierre Ouzoulias. - L'analyse des études médicales doit être systémique. Or les internes connaissent l'un des taux de suicide les plus élevés ; beaucoup se sentent surexploités à l'hôpital, ce qui les conduit parfois à des actes désespérés. Il faut donc veiller à ne pas leur imposer de nouvelles obligations, notamment d'affectation territoriale, alors qu'ils ont déjà l'impression d'être lourdement mobilisés par l'État.

Je rappelle également une vérité souvent oubliée : les étudiants en médecine sont les seuls étudiants qui rapportent de l'argent à l'État. Ils fournissent un travail largement supérieur au coût de leur formation. Il est essentiel de ne pas les pressurer indéfiniment, sous peine d'atteindre un point de rupture.

Enfin, je voudrais évoquer la territorialisation des universités. Un excellent rapport du président Lafon l'a démontré : la surmétropolisation des études supérieures a vidé certains territoires. Or, en France, les universités sont aussi des outils d'aménagement du territoire. Peut-être serait-il temps d'oublier un instant le classement de Shanghai et revenir sur le plateau de Millevaches, si vous me permettez l'expression.

M. Bernard Fialaire. - La première discrimination sociale, c'est l'interdiction du redoublement. Hier encore, le doyen de la faculté de médecine de Lyon m'a dit que de nombreux étudiants des quartiers réussissaient en deuxième année après un premier échec. Ces étudiants avaient besoin d'une année d'acculturation. La sélection se fait dès le lycée, on le sait : les enfants de CSP+ se retrouvent dans les lycées d'excellence des grandes villes.

Autre problème : les officines privées qui accompagnent les étudiants. Certaines familles - toutes n'en ont pas les moyens ! - paient des prépas privées dès la première ou la terminale pour préparer l'entrée de leurs enfants en médecine. Cela pose une véritable question sur l'enseignement universitaire : si celui-ci est censé être gratuit, pourquoi faut-il payer des cours privés à côté pour réussir ? À Lyon, le doyen a évalué à 2 millions d'euros le chiffre d'affaires de ces structures, désormais convoitées par des fonds d'investissement.

Certains avancent qu'une seconde chance en première année serait une perte de temps. Pourtant, nombre d'étudiants en classes préparatoires ne réussissent pas du premier coup et ne voient pas leur avenir compromis pour autant. Par exemple, la présidente de l'Association des maires du Rhône a raté sa première année de médecine ; après son redoublement, elle a été major de promo chaque année.

Enfin, l'Allemagne, qui est confrontée aux mêmes difficultés de désertification médicale, réserve désormais un nombre de places en médecine aux étudiants recalés, en leur proposant de s'engager pour dix ou quinze ans en zone rurale, sur le modèle de l'école de santé des armées. Plutôt que d'écarter définitivement de brillants étudiants pour quelques dixièmes de point, pourquoi ne pas explorer cette piste ?

M. Jacques Grosperrin. - Les prochaines années seront décisives. N'ayez pas la main qui tremble ! C'est ubuesque que des étudiants refusent d'exercer dans un territoire au prétexte qu'ils ne le connaissent pas. Cela illustre les difficultés que pose le principe de la liberté d'installation.

Les chiffres que vous avancez sont effrayants : près de 54 % des dentistes feraient leurs études à l'étranger... Je pense aussi à une étudiante vétérinaire lyonnaise partie à Turin, qui revient grâce à Erasmus. Si nous facilitons encore plus les passerelles pour ces étudiants, nous favorisons, non pas la triche, mais un système qui profite aux CSP+, à ceux qui ont les moyens d'aller étudier ailleurs. Pourquoi ne pas plutôt augmenter le nombre d'étudiants en médecine en France, qui est actuellement de 11 000 ? La démographie lycéenne baisse, et bientôt, nous manquerons même de candidats.

Il faut partir des territoires. Mme la ministre Vautrin a inauguré, dans le Doubs, un institut de formation en santé financé par la région uniquement à hauteur de 30 millions d'euros. Pourquoi ne pas davantage impliquer les collectivités territoriales dans la formation des professionnels de santé ? Je crois qu'elles seraient nombreuses à vous suivre.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Le baccalauréat et la réforme de l'accès aux études médicales soulèvent une question plus large : le désintérêt croissant des lycéens pour les sciences. Ce phénomène, que l'on trouve aussi dans l'enseignement supérieur, pose un véritable problème. Il est essentiel qu'une grande majorité de médecins aient une solide formation scientifique, même si l'excellence en mathématiques n'est pas une condition absolue.

Les passerelles vers les études médicales sont marginales : seulement 5 % des places en médecine sont attribuées à des étudiants ayant validé un master ou un diplôme d'ingénieur, soit 1 000 étudiants. Si cette diversité des parcours est précieuse, elle allonge néanmoins la durée des études. Faut-il élargir ces dispositifs ? C'est une piste intéressante, mais la durée des études serait significativement allongée.

Le déterminisme social et géographique est une réalité. Selon la Drees, en 2006, 40 % des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes étaient issus de familles de cadres supérieurs, contre seulement 13 % pour les infirmières. De plus, les étudiants venant de milieux ruraux sont statistiquement plus enclins à s'installer en zones sous-dotées. Réduire ces inégalités est un enjeu majeur.

Un effet positif de la réforme est l'augmentation du nombre d'antennes universitaires avec une composante santé. Aujourd'hui, 75 % des départements proposent une première année de formation médicale. Il reste des efforts à faire, mais ce maillage territorial permet de diversifier les profils d'étudiants et de toucher tous les bassins de formation.

Il est aussi crucial de mieux informer les lycéens sur les études de santé, notamment en dehors des grands lycées urbains. Les cordées de la réussite sont un dispositif efficace : des étudiants en médecine de deuxième ou troisième année accompagnent des élèves de leur ancien lycée pour leur montrer que ce parcours est accessible.

L'intelligence artificielle est une rupture pour les praticiens de demain. Elle affectera profondément leur métier et leur manière de poser un diagnostic. Il est donc essentiel que la formation en santé intègre des enseignements en mathématiques et en informatique.

Je suis favorable à l'idée d'offrir plusieurs chances d'accéder aux études médicales. Dire à un étudiant qu'il n'a qu'une seule chance et qu'il ne pourra jamais la retenter n'est pas acceptable. Il faut réfléchir aux modalités : un redoublement strict ou une possibilité d'intégration à d'autres moments du cursus. C'est un sujet que les doyens et présidents d'université examinent déjà, et il mérite une attention particulière.

M. Yannick Neuder, ministre. - Il est important de réaffirmer la dimension scientifique des études de santé. L'enjeu est de maintenir un équilibre : diversifier les profils sans négliger l'excellence scientifique.

Madame Le Houerou, la régionalisation est une préoccupation majeure. Retisser du lien avec les territoires répond aux préoccupations des étudiants, confrontés aux coûts de la vie estudiantine, comme à celles des élus et des régions qui financent ces formations.

Je suis favorable à toutes les initiatives locales ; je les ai moi-même encouragées lorsque j'étais vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, monsieur Ziane.

Madame Gruny, nous ferons passer quelques messages aux différents doyens.

Par ailleurs, je rappelle que le jury évaluant les Padhue est souverain. De plus, au-delà de l'origine ethnique ou du lieu de formation des médecins, la priorité doit être de savoir s'ils ont les compétences pour soigner la population.

Au reste, notre système génère ses propres praticiens diplômés hors Union européenne, comme en témoigne le fait que 54 % des dentistes inscrits en France ont suivi leurs études à l'étranger. Le président du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes réfléchit à ce sujet, au vu de l'existence de déserts médicaux en odontologie.

La question centrale est donc celle de l'évaluation des compétences et des connaissances. Selon les retours des professionnels, les Padhue obtiennent souvent des résultats satisfaisants sur le plan théorique, mais nécessitent un accompagnement sur la pratique. C'est pourquoi il est fondamental de les intégrer en stage, afin d'évaluer leur maîtrise des gestes médicaux.

Qu'il s'agisse des Padhue ou de tout autre étudiant en santé, il ne saurait être question de valider un parcours sans un niveau de compétences et de connaissances suffisant. La responsabilité envers les patients et la sécurité des soins imposent cette exigence. Les Padhue qui n'ont pas obtenu une validation satisfaisante bénéficient actuellement d'une autorisation transitoire d'exercer et d'un statut de praticien hospitalier contractuel. Ils ont aussi la possibilité de se représenter pour une nouvelle évaluation.

Nous travaillons à une réforme qui permettra une évaluation locale de leurs compétences, tout en veillant à garantir un niveau strict pour exercer comme médecin en France.

Monsieur Ros, il ne faut pas confondre les 3 700 docteurs juniors en médecine générale pour lesquels nous devons trouver des lieux de stage d'une part, l'augmentation du nombre d'étudiants en médecine due à la réforme du numerus apertus d'autre part. Cette dernière date de 2019 et ne concerne pas les docteurs juniors actuels.

Je partage le point de vue de Mme Souyris : près de 40 % à 60 % des maladies de demain seront liées à des contaminations animales, souvent dues aux dérèglements climatiques. Tout est interconnecté, et l'approche One Health doit être intégrée dans les études de santé. Toutefois, ce sujet dépasse le cadre de la réforme actuelle.

Sur la santé mentale, plus nous aurons d'étudiants en santé, plus nous espérons qu'un nombre croissant s'orientera vers la psychiatrie. Aujourd'hui, 60 % des étudiants considèrent cette spécialité comme moins attractive et 30 % des internes appréhendent d'exercer en psychiatrie. C'est un enjeu à prendre en compte.

Il est important de préciser que l'herboristerie relève des pharmaciens. Il n'existe pas de formation spécifique en herboristerie dans les études de santé, sauf erreur de ma part.

Par ailleurs, j'ai annoncé un plan lors du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle : dès septembre 2025, 100 000 étudiants par an, soit 500 000 au total sur cinq ans, bénéficieront de modules de formation sur l'intelligence artificielle en santé. L'objectif est d'optimiser le diagnostic, par exemple via des outils de lecture accélérée et sécurisée des radiographies.

Mme Doineau a raison, la Mayenne affiche de bons résultats en première année de médecine. Concernant les passerelles vers les études médicales, nous devons mieux comprendre le parcours des étudiants qui, bien que n'ayant pas atteint le seuil requis pour poursuivre leurs études de médecine, disposent d'un bon niveau. Une passerelle existe aujourd'hui pour les professionnels de santé qui souhaitent reprendre des études médicales après plusieurs années de pratique. Il convient de déterminer à quel niveau les intégrer. Cela dit, dans le cadre des reconversions post-covid, on constate que des ingénieurs ou d'autres professionnels qui sont en quête de sens envisagent des études de santé. Il serait pertinent d'imaginer une passerelle pour qu'ils puissent intégrer le deuxième cycle après une remise à niveau d'un ou deux ans. Nous allons travailler sur ce sujet avec la conférence des doyens de médecine.

Il faut faire attention à la surexploitation des étudiants en santé à l'hôpital, où leur charge de travail est très élevée ; cela dit, convertir tous les postes d'internes en médecins hospitaliers représenterait une dépense supplémentaire. Le dédommagement des études intervient justement durant l'internat.

Concernant les classes préparatoires, je voulais souligner qu'un étudiant en prépa qui ne réussit pas son concours peut souvent se réorienter vers une autre formation grâce aux compétences acquises. En revanche, un étudiant ayant effectué deux premières années de médecine sans réussite n'obtient aucune équivalence. Ce n'est pas une perte, mais cela rend la réorientation plus difficile. C'est pourquoi je défends l'idée du redoublement en première année, qui doit être intégré dans la réforme que nous préparons avec le ministère de l'enseignement supérieur. Certains estiment que son interdiction actuelle est discriminante. Je partage cette vision : près de 80 % des médecins de ma promotion n'auraient pas pu exercer sans cette deuxième chance, et ils sont aujourd'hui d'excellents praticiens.

Monsieur Fialaire, je comprends votre proposition d'offrir une seconde chance à ceux qui ont échoué de peu, en les incitant à exercer en milieu rural. Toutefois, il faut éviter de créer un clivage entre des médecins mieux classés en ville et d'autres moins bien classés en campagne. Nous devons trouver un équilibre pour ne pas instaurer une médecine à deux vitesses.

Enfin, l'enjeu de la réforme que nous proposons est d'augmenter le nombre de médecins. Le passage du numerus clausus au numerus apertus montre ses limites : le rapport de la Cour des comptes et vos retours le confirment. Mon souhait est de remplacer la sélection actuelle par un examen, permettant de fixer un seuil de compétence à atteindre, en fonction des besoins des territoires et des capacités universitaires.

C'est tout l'objet de l'article 1er de la proposition de loi, qui, je l'espère, sera examinée avec attention par le Sénat au cours de la semaine du 19 mai prochain. Nous comptons aussi sur l'appui des collectivités territoriales dans ce projet.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 25.