Mercredi 26 mars 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Cédric VIAL rapporteur sur la proposition de loi A.N. n° 118 relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.

Proposition de loi relative à l'organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Michel SAVIN rapporteur sur la proposition de loi n° 456 (2024-2025) relative à l'organisation, à la gestion et au financement du sport professionnel.

Audition de Mme Laurence Tison-Vuillaume, présidente de la SAS pass Culture

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Laurence Tison-Vuillaume, nouvelle présidente de la société par actions simplifiée (SAS) pass Culture.

Madame la présidente, vous avez été nommée le 14 février dernier par décret du Président de la République, en remplacement de Sébastien Cavalier que notre commission a régulièrement auditionné au cours des dernières années.

Votre prise de fonction coïncide avec la mise en oeuvre de la réforme du pass portée par la ministre de la culture. Reprenant le constat dressé par la Cour des comptes et l'Inspection générale des affaires culturelles selon lequel la part individuelle « reste encore, trop souvent, un instrument de consommation culturelle et de reproduction sociale », Rachida Dati avait fait part, en octobre dernier, de son souhait de « revoir en profondeur » le dispositif pour relever deux défis : diversifier les publics et diversifier leurs pratiques culturelles.

Son projet de réforme a fait l'objet de débats nourris au sein de notre commission et en séance publique à l'occasion de l'examen du budget 2025 et plus récemment lors d'un débat thématique consacré au pass Culture.

Nous sommes donc très heureux de vous recevoir aujourd'hui pour que vous nous détailliez les modalités de cette réforme, qui ont été rendues publiques par décret le 28 février dernier. Parmi les changements apportés au dispositif, les plus significatifs sont :

• la diminution du montant alloué aux jeunes âgés de 18 ans : 150 euros contre 300 euros auparavant ;

• pour ces mêmes jeunes, l'attribution d'un bonus de 50 euros en fonction de critères sociaux et pour les jeunes en situation de handicap ;

• la suppression de la part individuelle pour les 15-16 ans.

Qu'en est-il, en revanche, de la piste évoquée par la ministre de réserver au spectacle vivant une partie de la somme allouée aux jeunes ? Vous nous direz, Madame la présidente, si ce scénario a été ou non abandonné.

Ce recentrage de la part individuelle du pass Culture s'accompagne concomitamment d'une réduction de la voilure budgétaire, avec une enveloppe ramenée à 170,5 millions d'euros cette année, contre 210,5 millions d'euros en 2024. Cette baisse des moyens alloués suscite l'incompréhension et l'inquiétude chez certains acteurs culturels, notamment ceux du secteur du livre. Que leur répondez-vous ?

Nous aimerions également vous entendre sur la part collective du pass Culture, dont le gel en début d'année a pris de court les équipes pédagogiques. Quelle est votre vision personnelle de cette part collective, gérée et financée par l'Éducation nationale ? Notre commission a, pour sa part, toujours plaidé pour un meilleur continuum entre les deux volets du dispositif, rejoignant votre idée de « parcours d'éducation artistique et culturelle ». Comment comptez-vous mener, avec l'Éducation nationale, ce chantier ?

Enfin, la société que vous présidez deviendra cette année un opérateur de l'État : la représentation nationale le demandait depuis longtemps afin d'avoir un droit de regard sur son budget et ses emplois. Travaillez-vous d'ores et déjà à cette évolution de statut ? Quels sont vos objectifs en termes de gouvernance et de coûts de fonctionnement de la structure ?

Madame la présidente, vous avez la parole pour un propos liminaire. Je laisserai ensuite mes collègues vous interroger, notamment notre rapporteur budgétaire sur la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture, Karine Daniel.

Mme Laurence Tison-Vuillaume, présidente de la SAS pass Culture. - Je vous remercie, Monsieur le Président, Madame la rapporteure, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, pour l'honneur que vous me faites de m'auditionner ce matin sur le pass Culture et ses enjeux.

Le pass Culture a été conçu dès l'origine pour lutter contre les assignations sociales et culturelles en faisant confiance à la jeunesse. Il vise à mobiliser tous les acteurs culturels et territoriaux dans une politique globale de démocratisation de l'accès à la culture, s'insérant dans une démarche de sensibilisation et de découverte de la richesse culturelle de notre pays, au plus près des jeunes.

Quatre ans après la généralisation de la part individuelle du pass Culture et presque deux années scolaires après le déploiement de sa part collective, nous pouvons dresser un bilan positif. Près de 5 millions de jeunes ont bénéficié de la part individuelle, soit environ 85 % des jeunes concernés. De plus, près de 4 millions d'élèves ont participé à au moins un projet culturel par an dans le cadre scolaire.

D'un point de vue quantitatif, le pass Culture est un succès et fait désormais partie intégrante de la vie des jeunes. Il a constitué un tournant dans nos politiques publiques nationales en matière de culture, en visant à rendre accessible à tous les jeunes la richesse culturelle de notre pays, tout en prenant en compte leurs usages, leurs attentes et leurs besoins d'émancipation.

C'est également une source de fierté de constater que le savoir-faire et l'expertise du pass Culture sont aujourd'hui sollicités pour développer des dispositifs similaires dans d'autres pays européens. Je pense notamment au KulturPass, mis en place en Allemagne.

Je tiens à saluer le travail exemplaire des équipes du pass Culture qui ont relevé le défi considérable de mobiliser tant de jeunes et de partenaires culturels. Grâce à leur engagement, le pass Culture est aujourd'hui plébiscité par une grande partie de la jeunesse.

Nous devons maintenant ouvrir une nouvelle étape et donner au pass Culture sa pleine portée de mission fondamentale de service public culturel, en tenant compte du contexte économique et budgétaire. Des évaluations indépendantes, depuis le rapport des sénateurs Vincent Éblé et Didier Rambaud en juillet 2023 jusqu'au récent rapport de la Cour des comptes fin 2024, ont souligné le succès du dispositif tout en pointant certaines limites, notamment en matière de démocratisation culturelle.

Ma feuille de route à court et moyen terme vise à faire du pass Culture un véritable acteur d'une politique publique d'accès de tous les jeunes à la culture, de découverte de la richesse culturelle de notre pays, avec pour ambition de combattre les inégalités d'accès à la culture dans tous les territoires. Cet enjeu de démocratisation culturelle, bien qu'il ne soit pas nouveau, demeure une nécessité d'autant plus criante dans un monde en profonde mutation. L'accès à la culture apparaît comme un bien public commun essentiel.

Nous devons relever ce défi en structurant notre action et en jouant pleinement notre rôle d'acteur d'une politique publique culturelle globale, portée conjointement par les collectivités territoriales et l'État. Dans cette optique, nous allons mener une politique d'ouverture et de coopération.

Nous nous ouvrirons à tous les acteurs culturels, du national au très local, pour prendre en compte la grande diversité de l'offre culturelle sur l'ensemble du territoire. Nous collaborerons avec le monde associatif, qui connaît et accompagne les jeunes dans leur épanouissement ou leurs difficultés de tous ordres (décrochage scolaire, éloignement, problématiques socio-économiques, etc.). Nous mobiliserons l'ensemble des services déconcentrés de l'État et établirons des partenariats avec tous les niveaux de collectivités territoriales, qui déploient des efforts et des dispositifs d'accompagnement au plus près des jeunes.

L'enjeu est de donner une assise territoriale au pass Culture pour une politique effective d'accès à la diversité culturelle et une politique d'universalité réelle, visant à toucher les jeunes les plus éloignés. Nous nous ouvrirons également aux jeunes eux-mêmes, pour qu'ils deviennent non seulement bénéficiaires d'un crédit, mais puissent aussi avoir accès à une médiation en ligne et en présentiel. Nous les encouragerons à être des ambassadeurs, des relais et des acteurs à part entière, créateurs de projets avec l'accompagnement nécessaire.

Cette dernière étape en faveur d'un accès de toute la jeunesse à toute la diversité culturelle doit s'opérer en conservant l'esprit d'innovation à l'origine du pass Culture, dans le respect de la confiance nouée avec la jeunesse, de leurs choix et de la construction de leur liberté.

Pour incarner cette ambition, la gouvernance du pass Culture va s'ouvrir à la diversité des expertises et des partenaires. Un premier élargissement de son comité stratégique aura lieu dans les prochains jours, incluant des représentants des secteurs de l'éducation populaire, du handicap, de l'accompagnement social et de l'éducation nationale. Un second élargissement suivra d'ici la fin de l'année.

Nous allons également évoluer pour devenir un opérateur de l'État à part entière. Cette transformation mettra en cohérence notre statut et notre gouvernance avec notre mission de service public culturel et les moyens qui nous sont alloués. Nous travaillerons sur ce chantier avec pour horizon le prochain budget 2026.

L'évolution et la soutenabilité de notre modèle économique, ainsi que la maîtrise de notre budget et de nos coûts de fonctionnement, font partie intégrante de cette réforme. L'ensemble de ces impératifs fera l'objet d'un contrat d'objectifs et de performance que nous établirons avec le ministère de la Culture, le ministère de l'Éducation nationale et tous les ministères partenaires du pass Culture.

Nous appréhendons le pass Culture comme un parcours permettant une montée en puissance progressive des jeunes en termes d'autonomie et de découverte culturelle. Le modèle a été repensé avec la réforme de la part individuelle. En voici le principe : de la sixième à la terminale, les jeunes sont accompagnés par leurs enseignants à travers la part collective ; dès 15 ans, ils peuvent créer un compte individuel pour découvrir l'ensemble des établissements culturels et leurs propositions dont un grand nombre est accessible gratuitement ; à 17 ans, ils sont crédités de 50 euros, puis à 18 ans, ils bénéficient d'un crédit de 150 euros jusqu'à la veille de leurs 21 ans, auquel s'ajoute « un coup de pouce » de 50 euros pour ceux qui en ont le plus besoin.

Ce parcours d'accompagnement fait le pari de la continuité entre éducation artistique et culturelle, puis construction autonome des goûts et des pratiques. Cette logique est entrée en vigueur avec le décret du 27 février 2025.

À moyen terme, le pass Culture a le potentiel de devenir un service public culturel de proximité, ouvert à l'ensemble de la population française. Une expérimentation sera prochainement lancée dans le Grand Est, en collaboration avec tous les acteurs culturels et les élus de la région. Nous ferons évoluer l'application pour qu'elle joue pleinement son rôle de guide culturel, avec une géolocalisation fine de l'offre locale, une éditorialisation des contenus et des recommandations personnalisées.

Cette nouvelle étape se construit sur la réussite du lancement et du développement du pass Culture. Notre objectif est de l'ancrer durablement comme un acteur d'une politique de démocratisation culturelle effective, un acteur à part entière de la politique d'accès, de soutien et de sensibilisation à la culture, dans une logique partenariale et coopérative, pour être un levier d'égalité des chances et d'émancipation.

Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis des crédits de la création, de la transmission et de la démocratisation de la culture. - Je tiens tout d'abord à vous féliciter pour votre nomination. Il est important de souligner que le pass Culture a d'abord été considéré comme un outil de politique publique plutôt qu'un acteur à part entière, s'intégrant dans un paysage préexistant, celui de l'éducation artistique et culturelle (EAC) et des parcours associés.

Ma première interrogation porte sur votre perception de l'intégration de cet outil dans l'écosystème de l'EAC, où les collectivités et l'Éducation nationale jouent déjà un rôle prépondérant. Nous avons observé que, dans un contexte budgétaire contraint, le développement du pass Culture a parfois été utilisé par certaines collectivités comme prétexte pour se désengager de dispositifs d'EAC existants, ce qui constitue pour nous une préoccupation majeure.

Concernant la part collective du dispositif, des alertes ont été émises, comme l'a mentionné le Président Lafon, sur les difficultés de trésorerie rencontrées par certains acteurs culturels, notamment des compagnies de théâtre, à la suite de retards de paiement. Envisagez-vous de modifier le processus de paiement pour éviter de mettre en péril ces acteurs, déjà fragilisés par le contexte économique actuel ?

S'agissant de la part individuelle, comment comptez-vous poursuivre l'objectif de démocratisation culturelle tout en réduisant l'enveloppe allouée à chaque adolescent ? Il y a là une forme de contradiction. Le principe de majoration pour les jeunes les plus éloignés de l'offre culturelle ou issus de milieux moins favorisés est louable, mais sa mise en oeuvre soulève des questions. Pouvez-vous nous expliquer concrètement comment vous allez appliquer ce principe de majoration, sachant que, comme l'a souligné mon rapport budgétaire, il s'agit de donner plus à ceux qui, a priori, consomment le moins ? Cette mécanique nous semble complexe pour un différentiel de seulement 50 euros, qui risque de ne pas être entièrement utilisé.

Enfin, concernant les coûts de fonctionnement du pass Culture, nous nous inquiétons de leur potentielle augmentation par euro distribué. L'introduction de la géolocalisation et la différenciation des montants alloués vont vraisemblablement générer des coûts supplémentaires de traitement et de gestion de l'information. Comment comptez-vous maîtriser ces coûts dans un contexte de réduction budgétaire globale ?

Mme Laurence Tison-Vuillaume. - Je vous remercie, Madame la rapporteure, pour ces questions qui abordent de nombreux aspects cruciaux. Concernant le positionnement du pass Culture comme acteur d'une politique publique culturelle, je considère qu'il est effectivement temps de l'inscrire pleinement dans ce rôle. Cela implique que le pass Culture devienne un opérateur s'insérant dans une politique partenariale, collaborant étroitement avec l'ensemble des acteurs oeuvrant pour la découverte de la richesse culturelle et l'éducation artistique et culturelle. Cette approche est fondamentale et guidera mon action.

Il est essentiel de reconnaître le travail de longue date des collectivités territoriales dans ce domaine. Notre objectif est de développer une collaboration qui permette une bonne articulation des actions, sans phénomène de substitution ou de désengagement. Les évaluations indépendantes, notamment celle de l'Inspection générale des affaires culturelles, n'ont pas relevé de tels phénomènes à ce stade, mais nous restons vigilants. La Cour des comptes a souligné l'importance des investissements conjoints de l'État et des collectivités territoriales, s'élevant à 3,6 milliards d'euros en matière d'éducation artistique et culturelle. Notre boussole doit être la pleine collaboration entre tous les acteurs.

Un chantier qui me tient particulièrement à coeur est celui du partage des données culturelles. Le pass Culture collecte de nombreuses données que nous exploiterons non seulement pour évaluer notre action et vous rendre des comptes, mais aussi pour les partager en toute transparence avec les collectivités territoriales. Notre ambition est de devenir un véritable observatoire des pratiques culturelles, en étroite collaboration avec les collectivités.

Concernant la part collective, je me réjouis de son fort développement en l'espace de deux années scolaires. Elle a significativement contribué à l'expansion de la politique d'éducation artistique et culturelle au sein des établissements scolaires. Environ 3,6 millions d'élèves ont bénéficié d'au moins un projet culturel en 2024, ce qui représente un progrès considérable. La ministre de l'Éducation nationale a réaffirmé son attachement à cette part collective du pass Culture, assurant que tous les projets pré-réservés cette année seront financés. Je tiens à rassurer sur le fait que l'intégralité de l'enveloppe de 72 millions d'euros sera utilisée.

Je rappelle aussi l'importance de l'enveloppe de crédits votée en loi de finances pour 2025. Cette décision garantit que des projets pourront à nouveau être proposés et retenus à la prochaine rentrée scolaire. La plateforme ADAGE rouvrira en temps voulu, permettant aux professeurs de soumettre leurs propositions de projets dès septembre.

En amont de cette réouverture, nous collaborons étroitement avec le ministère de l'Éducation nationale pour sécuriser le pilotage de la part collective. Notre objectif est d'éviter toute difficulté et d'assurer un cadrage efficace. Ce travail de mise à plat a déjà débuté, en coordination avec le ministère de la Culture.

Concernant l'effort de démocratisation et la majoration de crédit de 50 euros que vous avez évoquée, je confirme que cette mesure vise effectivement à soutenir ceux qui en ont le plus besoin. Le décret prévoit que cette majoration bénéficie aux jeunes en situation de handicap ainsi qu'aux jeunes issus de milieux moins favorisés. Nous entamons ce chantier en collaboration avec les opérateurs concernés, notamment la CNAF (Caisse Nationale d'Allocations Familiales), la MSA (Mutualité sociale agricole) et le CNOUS (Centre national des oeuvres universitaires et scolaires) ainsi qu'avec tous les acteurs pouvant nous fournir les informations nécessaires pour prendre en compte les différents types d'allocations, notamment celles liées au handicap. Notre objectif est de garantir que les jeunes éligibles bénéficient effectivement de cette majoration : c'est un signal fort de soutien envers ceux qui se trouvent dans une situation difficile. Les évaluations récentes ont mis en lumière une sous-utilisation du pass Culture par les jeunes issus de milieux moins favorisés. Pour remédier à cette situation, nous allons intensifier notre travail avec l'ensemble du réseau associatif. Les associations connaissent en effet les jeunes qui sont encore en marge du dispositif. Nous collaborerons étroitement avec elles sur le terrain, ainsi qu'avec les services déconcentrés de l'État et les collectivités territoriales, pour atteindre ce public.

Quant aux coûts de fonctionnement du pass Culture, je vous assure que c'est un point de vigilance extrême. Nous nous engageons à maîtriser notre budget tout en répondant aux besoins d'investissement, notamment dans le domaine technologique. Ces investissements sont nécessaires pour porter nos missions et rester à la pointe, comme c'est le cas pour tous les services de l'État ayant une dimension numérique. Nous procéderons à ces investissements avec une vigilance accrue, en étroite collaboration avec notre future tutelle au ministère de la Culture et l'ensemble des ministères partenaires, afin de garantir une gestion maîtrisée de nos coûts de fonctionnement et de nos investissements.

Mme Béatrice Gosselin. - Nous attendons effectivement que le pass Culture atteigne tout son public sans se diluer dans des frais de fonctionnement excessifs.

Ma première question porte sur l'équité territoriale. Dans nos territoires, l'organisation des sorties culturelles peut parfois se heurter à des difficultés logistiques et administratives. Je pense notamment à un musée consacré à la Seconde Guerre mondiale, particulièrement pertinent dans le contexte des commémorations du 80ème anniversaire du débarquement dans la Manche, et bientôt de la fin de la guerre en 2025. Ce musée, récemment ouvert et très pédagogique, est en attente du numéro ADAGE et ne peut donc pas accueillir de groupes scolaires. Ces difficultés administratives l'ont empêché d'ouvrir aux jeunes l'année dernière et il reste dans l'attente pour la rentrée prochaine.

Ma seconde question concerne la mobilité de nos jeunes, qui reste un frein majeur dans nos territoires ruraux. Quelles solutions de transport envisagez-vous ? Avez-vous aussi des propositions pour faciliter l'accès des établissements à ces sorties ? Enfin, existe-t-il une évaluation spécifique de l'impact du pass Culture dans les territoires ruraux ?

M. Pierre Ouzoulias. - J'aimerais aborder plusieurs points. Premièrement, j'ai toujours soutenu que la crise actuelle du pass Culture est avant tout une crise de la médiation. J'ai du mal à concevoir comment le dispositif, même dans sa version rénovée, peut assurer cette médiation, hormis peut-être dans sa part collective où l'enseignant joue ce rôle de médiateur en classe. Je ne crois pas qu'un individu, quel qu'il soit, puisse se constituer une culture artistique sans l'intermédiaire d'une médiation.

Deuxièmement, lors du débat du 30 janvier 2025, la ministre de la Culture nous avait annoncé que le pass Culture deviendrait un opérateur du ministère de la Culture. Or, si j'ai bien compris, vous conservez la structure de société par actions simplifiée (SAS). Dès lors, comment une telle société peut-elle être un opérateur de l'État ? Pour nous, un opérateur est une structure dont la commission de la culture peut examiner l'intégralité des comptes, ce qui n'est pas le cas d'une SAS, puisque seule la commission des finances a un droit de regard sur son fonctionnement.

Troisièmement, dans un contexte où les plateformes et les GAFAM, soutenus par l'administration américaine, mènent une lutte acharnée contre la singularité de la culture française, comment justifier que des dépenses pour Amazon ou Microsoft soient éligibles au pass Culture ?

Mme Laure Darcos. - Je vous félicite pour votre nomination et souhaite aborder deux points essentiels. Premièrement, concernant la gouvernance et le personnel du pass Culture, des critiques ont été émises lors du dernier budget sur le fonctionnement de l'entreprise. J'ai appris votre récent déménagement, ce qui laisse supposer une réduction des coûts. Pourriez-vous détailler les mesures que vous avez prises, en tant que nouvelle dirigeante, pour optimiser la gestion financière, notamment en termes de masse salariale ?

Deuxièmement, je voudrais évoquer un aspect crucial de la part collective du pass Culture : l'accompagnement des enseignants. Il me semble primordial d'améliorer la pédagogie à leur égard dans vos applications, afin de leur expliquer l'offre et de les guider dans le choix de spectacles, de lecture, de musique adapté à l'âge et au programme de leurs élèves. En effet, nombre d'entre eux ne sont pas nécessairement familiers du secteur culturel, et c'est pour eux aussi qu'il faut développer des outils appropriés.

M. Bernard Fialaire. - Je vous remercie, Madame la Présidente, pour votre présentation qui apporte un éclairage bienvenu sur la complexité des intervenants dans les missions de l'Éducation nationale et du ministère de la Culture. Dans un contexte où nous cherchons à simplifier et à rationaliser les structures administratives, je m'interroge sur la pertinence de la répartition actuelle des responsabilités. Ne serait-il pas plus logique que l'Éducation nationale assume pleinement l'éducation artistique et culturelle, composante essentielle de la formation de citoyens éclairés et innovants ?

Je propose une distinction plus nette entre deux aspects : d'une part, l'éducation artistique et culturelle, relevant de l'Éducation nationale, d'autre part, le pass Culture, qui pourrait se concentrer sur l'accès individuel à la culture. Cette séparation permettrait une meilleure lisibilité et éviterait les arbitrages parfois délicats entre ces deux dimensions.

Par ailleurs, je ne m'oppose pas à l'idée d'un pass Culture dont les montants varieraient en fonction des revenus familiaux ou de l'éloignement géographique de l'offre culturelle. Cependant, je plaide pour une clarification des rôles et des responsabilités entre les différentes institutions impliquées.

En conclusion, je m'interroge sur notre tendance à créer des structures complexes, qui nécessitent ensuite des efforts constants de correction et d'optimisation. Ne devrions-nous pas privilégier des approches plus simples et plus efficientes, tant sur le plan budgétaire que fonctionnel ?

Mme Monique de Marco. - Je souhaite revenir sur une préoccupation majeure concernant les départements ruraux : les disparités géographiques en matière d'offre culturelle. Ces inégalités, inhérentes à la moindre densité en acteurs culturels dans ces territoires, pénalisent les jeunes ruraux dans l'utilisation du pass Culture. Bien que la mise en place d'une géolocalisation soit prévue, cela ne résoudra pas entièrement le problème, intrinsèquement lié aux questions de transport et de mobilité des jeunes.

La ministre Rachida Dati a reconnu l'enjeu crucial de la mobilité en milieu rural et a évoqué des partenariats, notamment une convention signée avec l'Assemblée des Départements de France (ADF). Cependant, compte tenu des difficultés financières que connaissent les départements, est-ce la seule piste envisagée ?

Mme Sylvie Robert. - Madame la Présidente, je tiens à rappeler que notre commission a toujours exprimé des réserves sur le dispositif pass Culture depuis son lancement. Nous l'avions initialement qualifié « d'outil de consommation culturelle ». Les résultats ont confirmé nos inquiétudes : absence de diversification sociale et artistique, avec une concentration des achats sur le livre et le cinéma.

Nous avions suggéré que le pass Culture aurait plus de sens s'il était l'aboutissement d'une véritable politique d'éducation artistique et culturelle. Certes, des évolutions ont eu lieu, notamment avec l'introduction de la part collective, que nous avons saluée. Cependant, une question fondamentale persiste : quelle est la réelle plus-value du pass Culture par rapport à une politique d'éducation artistique renforcée ? Le dispositif a déjà coûté plus d'un milliard d'euros de fonds publics, et la Cour des comptes a documenté des errements de gestion.

Ne serait-il pas plus pertinent de concentrer nos efforts sur le renforcement des politiques d'éducation artistique, en soutenant les collectivités territoriales dans leur collaboration avec les enseignants, les compagnies et tous les acteurs culturels ?

Je constate une certaine confusion dans l'organisation actuelle : nomination d'un nouveau délégué interministériel à l'éducation artistique et culturelle, suppression prochaine du Haut conseil à l'éducation artistique et nouvelle orientation du pass Culture. Cette multiplicité d'acteurs et de changements nuit à la lisibilité et à l'efficacité de notre politique culturelle.

En conclusion, je maintiens que le pass Culture devrait rester un outil au service de la politique publique culturelle, et non devenir un acteur de celle-ci.

Mme Colombe Brossel. - Je tiens à exprimer ma circonspection quant à la stratégie présentée concernant la part collective du pass Culture. Bien que je comprenne l'intention de renforcer cette part pour les moins de 18 ans, les chiffres soulèvent des interrogations. En effet, passer d'un budget de plus de 90 millions d'euros en 2024 à 60 millions d'euros cette année compromet sérieusement la consolidation d'une politique efficace via la part collective.

Par ailleurs, je doute que les assurances données par le ministère de l'Éducation nationale aient véritablement rassuré l'ensemble des intervenants. La confusion et l'inquiétude persistent. Dans ce contexte, tous les intervenants, compagnies et artistes, ont-ils reçu les financements promis pour leurs projets, y compris ceux déjà engagés ? Cette question est d'autant plus pertinente que vous devenez un opérateur de l'État, ce qui implique une responsabilité accrue dans le respect des engagements financiers.

M. Jacques Grosperrin. - Je partage les inquiétudes exprimées concernant le gel de la part collective annoncée par les rectorats aux chefs d'établissement. Cette décision met en tension les établissements scolaires et, in fine, affecte directement les élèves. La méthode employée a été particulièrement brutale, ce que nous déplorons vivement.

Concernant la plateforme ADAGE que vous avez mentionnée, je peux attester des difficultés considérables rencontrées par les chefs d'établissement pour s'y connecter. Nous resterons extrêmement vigilants sur ce point.

Le bilan contrasté du pass Culture dressé par la Cour des comptes soulève également des questions. Notamment, le fait que seulement 68 % des classes populaires y aient accès mérite une attention particulière. Bien que l'achat de mangas représente 20 % des utilisations, il serait judicieux de développer davantage l'accès aux spectacles vivants pour toucher un nouveau public.

Enfin, je m'interroge sur la pertinence de la recommandation de la Cour des comptes d'intégrer la SAS pass Culture dans la liste des opérateurs d'État. Cependant, l'idée d'internaliser les équipes et les missions au sein du ministère de la Culture pourrait être intéressante. J'aimerais connaître votre position sur ce sujet.

Mme Catherine Belrhiti. - Je souhaite aborder plusieurs points cruciaux concernant le pass Culture. Premièrement, comment justifiez-vous la suppression du pass pour les moins de 17 ans et la baisse globale des crédits alloués, décisions qui suscitent un mécontentement largement partagé par les jeunes sur les réseaux sociaux ?

Deuxièmement, étant donné que le livre, en particulier le manga, domine largement les réservations depuis la généralisation du pass Culture, quelles stratégies envisagez-vous pour encourager une diversification des usages vers d'autres activités culturelles ?

Troisièmement, quelles mesures compensatoires prévoyez-vous pour pallier la suppression du pass pour les moins de 17 ans et la réduction globale des crédits, afin de continuer à promouvoir l'accès des jeunes à la culture ?

M. Georges Naturel. - Je souhaite m'enquérir des actions que vous menez dans les Outre-mer, territoires dotés d'un potentiel culturel considérable, comme l'a récemment souligné le ministre de l'Outre-mer. Il est crucial de revaloriser la visibilité de ces cultures ultramarines.

Par ailleurs, concernant spécifiquement les territoires du Pacifique, qui jouissent d'un statut particulier avec des compétences déléguées, ne serait-il pas judicieux d'envisager l'extension du dispositif pass Culture ? L'éloignement géographique de ces territoires rend d'autant plus importante la connaissance de leur propre culture, caractérisée par un multiculturalisme riche, ainsi que celle de la culture française métropolitaine.

À titre d'exemple, j'ai mis en place le dispositif Micro-Folie dans ma commune en Nouvelle-Calédonie. Ce type d'initiative s'avère essentiel pour nos territoires, permettant non seulement de découvrir le patrimoine culturel hexagonal, mais aussi potentiellement de numériser et partager des éléments de notre culture locale avec la métropole. Quelles sont vos perspectives pour développer de tels dispositifs dans l'ensemble des Outre-mer, et particulièrement dans le Pacifique ?

Mme Laurence Garnier. - Comme l'a souligné Jacques Grosperrin, les achats de livres se concentrent essentiellement sur les mangas et les best-sellers de Youtubeuses. Cette tendance doit nous interpeller quant à l'orientation de nos politiques publiques.

Je rejoins les propos de Sylvie Robert. Certes, le pass Culture permet l'achat d'oeuvres classiques de Balzac, Zola ou Dostoïevski, ainsi que des abonnements à la presse, ce qui est crucial pour l'éducation de nos jeunes à la distinction entre fake news et information vérifiée. Cependant, il autorise également l'acquisition de mangas, de jeux vidéo, et le financement partiel d'abonnements à des plateformes de streaming vidéo.

Je m'interroge sur la pertinence du ciblage de ces politiques publiques. Le pass Culture, conçu pour ouvrir nos jeunes à des pratiques culturelles nouvelles, ne devrait-il pas se concentrer sur des domaines où l'intervention publique est réellement nécessaire ? L'achat de mangas, de jeux vidéo ou l'accès aux plateformes de streaming ne nécessitent pas forcément le soutien de l'État.

Je souhaiterais savoir si une réflexion est en cours pour recentrer l'utilisation du pass afin d'en faire un véritable outil d'ouverture culturelle. Peu de jeunes lisent spontanément Ouest-France, Le Figaro ou Le Monde, ou s'intéressent d'eux-mêmes à Balzac et Zola. Pourtant, les enjeux culturels et éducatifs se situent probablement à ce niveau, sans oublier le spectacle vivant, la danse, ou les concerts de musique classique.

Ne devrions-nous pas orienter cet outil d'ouverture culturelle vers des domaines que nos jeunes n'exploreraient pas sans l'intervention des politiques publiques que vous menez ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Tout d'abord, je tiens à féliciter Laurence Tison-Vuillaume pour ses nouvelles fonctions et lui souhaite réussite et courage, car le chantier qui l'attend est considérable.

Au vu des questions soulevées, il est évident que nous restons dans l'expectative quant à l'avenir du pass Culture, ayant exprimé plusieurs réserves et critiques depuis sa mise en place en 2018. Nous étions initialement sceptiques, estimant que le projet était mal engagé, notamment en raison du manque d'implication des collectivités territoriales dès le départ.

Ma première question porte sur la réforme de la gouvernance : les collectivités seront-elles pleinement associées aux nouveaux organes décisionnels ?

Deuxièmement, comme l'a souligné notre collègue Bernard Fialaire, la situation actuelle manque de clarté. Malgré une volonté de reprise en main, il reste difficile de percevoir comment le pass Culture s'intègre dans un parcours global d'éducation artistique et culturelle. Nous aurions besoin d'une clarification du schéma global, allant de l'EAC au pass Culture, jusqu'à la formation artistique et culturelle dans les établissements spécialisés.

Le rapport de la Cour des comptes est particulièrement sévère, pointant des problèmes de frais de fonctionnement, de manque de transparence et remettant en question la philosophie même du pass Culture. Il souligne également l'absence d'impact sur les publics les plus défavorisés et les effets d'aubaine pour certaines structures privées au détriment d'opérateurs publics reconnus.

Dans ce contexte stratégique, un chantier plus large est-il prévu, peut-être à travers le Conseil national des collectivités pour la culture et les conseils territoriaux ? Est-il pertinent de maintenir un opérateur national, ou serait-il plus judicieux de décentraliser le pass Culture dans toutes les régions, impliquant davantage les collectivités ?

Je salue vos développements concernant le handicap, un point que j'avais soulevé lors de notre précédent débat. Les ESAT (établissements ou services d'aide par le travail) pourraient également être approchés, leurs politiques d'établissement comportant souvent un volet culturel permettant d'intégrer ces jeunes aux différents dispositifs.

Mme Annick Billon. - Madame la Présidente, je vous suis reconnaissante pour les nombreuses précisions que vous avez apportées. J'ai trois questions complémentaires.

Premièrement, au lycée, les arts plastiques, la musique et le patrimoine sont les domaines les moins sollicités. Avez-vous des explications à ce sujet ?

Deuxièmement, en tant que sénatrice de la Vendée, je souhaite aborder la polémique concernant l'inéligibilité du Puy du Fou au pass Culture. La ministre Rachida Dati avait évoqué l'éligibilité du spectacle, mais au-delà de cette controverse vendéenne, c'est la question des agréments et des référencements des structures éligibles qui se pose.

Pourriez-vous détailler la procédure d'agrément ? Je crains que certaines structures régionales ou départementales, comme des musées mentionnés par Béatrice Gosselin, ne soient pas intégrées alors qu'elles le mériteraient, faute d'une gestion de proximité efficace.

Troisièmement, concernant le décret de février 2025 modifiant les attributions de la part individuelle, je m'inquiète que les nouveaux critères complexifient davantage la gestion du pass Culture et n'augmentent les coûts de fonctionnement. Plus largement, en référence aux interventions précédentes sur l'achat de livres dans la part individuelle, quelle est la politique culturelle sous-jacente à ce pass Culture ? Il semble que nous touchions à de nombreux aspects sans véritable stratégie cohérente, alors que l'objectif principal devrait être de former les jeunes et de susciter leur intérêt pour un parcours culturel. La difficulté réside dans ce saupoudrage d'actions sans fil conducteur apparent.

Laurence Tison-Vuillaume. - Je vous remercie pour l'ensemble de vos questions et remarques.

Concernant la ruralité et la mobilité, ces enjeux sont effectivement cruciaux. La répartition des jeunes utilisant la part individuelle du pass Culture reflète globalement celle de la population française. Environ 30 % des utilisateurs vivent en zone rurale, ce qui correspond aux données de l'Insee. La situation est similaire pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Néanmoins, nous devons poursuivre nos efforts pour améliorer l'accessibilité de l'offre.

La mobilité est au coeur de nos réflexions. La ministre a signé une convention importante avec l'ADF pour réaffirmer notre engagement sur cette question. Je me rendrai prochainement dans le Grand Est pour signer une convention à l'initiative des élus locaux, impliquant tous les niveaux de collectivités territoriales. Notre objectif est de mobiliser un ensemble de solutions en matière de transport. Nous travaillerons de concert avec les collectivités territoriales et les opérateurs de transport pour développer et faire connaître les capacités de transport sur la plateforme du pass Culture. Ce chantier de développement vise à offrir un éventail de possibilités à nos jeunes.

Quant à la gouvernance du pass Culture, nous entamons le processus de transformation en opérateur de l'État. Nous examinerons tous les aspects liés à ce statut, bien que la structure juridique précise reste à déterminer. L'essentiel est de garantir une facilité et une agilité de fonctionnement, quelle que soit la forme finale de l'opérateur. Nous visons la simplicité d'action tout en luttant contre les cloisonnements, qui ne favorisent ni la simplicité ni la réduction des coûts.

La création du pass Culture visait à rassembler les forces et à travailler en articulation avec les collectivités territoriales, le monde associatif et l'ensemble des acteurs culturels. Cette approche contribue à la simplicité et à la lutte contre le cloisonnement.

Pour les structures non encore intégrées dans ADAGE, nous travaillons à simplifier le processus pour tous les acteurs, notamment la communauté éducative. Nous nous efforçons d'améliorer l'information et la compréhension des enseignants sur les possibilités offertes. La mise à plat prévue pour le budget 2025, en collaboration avec le ministère de l'Éducation nationale, vise à fluidifier les interactions et à optimiser l'information de tous les acteurs.

La médiation demeure un chantier prioritaire. Nous intensifierons nos efforts pour renforcer la médiation traditionnelle avec les acteurs culturels, en complément de la médiation numérique. Notre objectif est d'impliquer pleinement les acteurs culturels, experts en médiation, pour atteindre les jeunes actuellement en marge du pass Culture. Nous développerons une offre et une médiation spécifiques pour ces jeunes dès 2025.

Concernant la part collective, je tiens à rassurer sur les moyens mis à disposition par le ministère de l'Éducation nationale. Les chiffres démontrent que le pass Culture répond à une attente importante. Je rappelle que ces moyens s'articulent avec les autres dispositifs d'éducation artistique et culturelle, représentant un investissement total de 3,6 milliards d'euros entre l'État et les collectivités territoriales.

L'enveloppe votée en loi de finances initiale pour la part collective s'élève à 72 millions d'euros, soit 10 millions de plus qu'en 2024. Je confirme qu'aucun euro de cette enveloppe ne manquera. De nouveaux projets pourront être proposés et retenus à la rentrée, et la plateforme ADAGE rouvrira en temps voulu pour permettre aux professeurs de déposer leurs propositions.

En amont de cette réouverture, nous effectuons un travail de mise à plat pour garantir simplicité, fluidité et bonne information, en étroite collaboration avec le ministère de l'Éducation nationale.

Je souhaite réaffirmer la plus-value du pass Culture, tant dans sa part individuelle que collective, et son rôle crucial pour attirer la jeunesse vers la culture. Cet enjeu démocratique majeur répond à un défi auquel sont confrontés tous les acteurs culturels depuis des années : le vieillissement de leur public. Le pass Culture constitue une réponse parmi d'autres pour rajeunir les publics et faire découvrir à la jeunesse la richesse de notre patrimoine culturel. C'est notre boussole et notre mission fondamentale.

Concernant les coûts de fonctionnement, nous sommes pleinement conscients de la nécessité de maîtriser notre budget dans le contexte actuel. Nous nous engageons à une gestion rigoureuse et transparente, et nous vous tiendrons informés de nos avancées dans les prochains mois. Chaque aspect sera examiné et optimisé, y compris notre récent déménagement.

Quant aux territoires ultramarins, je tiens à souligner que le pass Culture les a intégrés dès sa phase d'expérimentation. Leur participation volontaire dès le début témoigne de l'importance accordée à l'inclusion de tous les territoires de la République. Nous travaillons actuellement sur un possible déploiement en Nouvelle-Calédonie. Notre objectif est d'assurer une articulation efficace entre part collective et part individuelle dans l'ensemble des territoires français.

Concernant la diversification de l'offre culturelle, nous nous réjouissons de l'engouement des jeunes pour le livre grâce au pass Culture. Cet élan bénéficie à toute la chaîne du livre, des éditeurs aux libraires. La lecture, cause nationale, trouve ici un vecteur précieux. Que l'entrée se fasse par le manga ou d'autres genres, l'essentiel est d'initier une pratique de lecture qui pourra ensuite se diversifier.

Nous continuerons à soutenir cette dynamique autour du livre tout en veillant à la diversification des pratiques culturelles. Il serait paradoxal de restreindre l'offre du pass Culture alors que son objectif est justement l'ouverture et la découverte. Les chiffres montrent que les jeunes ne se sont pas massivement tournés vers les offres numériques, restant bien en deçà des plafonds fixés. Cela prouve leur volonté de découvrir une variété d'expériences culturelles.

Notre ambition est de renforcer cette diversité, comme en témoigne notre récente initiative autour du Printemps des Poètes. Nous visons à créer un parcours cohérent, de l'école à l'utilisation autonome du pass, pour ancrer durablement des habitudes culturelles variées. L'objectif est d'étendre progressivement cette démarche à l'ensemble de la population française, en proposant un agenda culturel partagé et une offre locale fine dans tous les territoires.

Enfin, concernant le référencement, nous avons effectivement intégré le Puy du Fou à notre offre et travaillons sur d'autres acteurs comme la Cinémathèque. Nous révisons actuellement les textes réglementaires pour clarifier les procédures d'agrément et répondre aux éventuelles incompréhensions. Toute ambiguïté sera prise en compte et traitée dans cette mise à jour.

M. Laurent Lafon, président. - Pouvez-vous préciser les modalités de transformation en opérateur de l'État ? Le schéma SAS est-il définitivement écarté ou le pass Culture pourrait-il conserver ce statut ?

Laurence Tison-Vuillaume. - Toutes les possibilités seront examinées. Je ne suis pas en mesure de vous apporter une réponse définitive aujourd'hui, mais je peux vous assurer que cette question fera partie intégrante des points qui seront abordés et analysés en profondeur.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Ne serait-il pas pertinent d'ajouter un « e » à « pass » ? Cette question prend tout son sens alors que l'année dernière, la France a accueilli le XIXème Sommet de la Francophonie et fêté le trentième anniversaire de la loi Toubon.

M. Laurent Lafon, président. - Madame la Présidente, vous constatez que cette commission fait preuve d'une grande attention et d'une vigilance particulière concernant le pass Culture. Nous sommes évidemment très désireux de poursuivre et d'approfondir ce dialogue constructif avec vous.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 25.

Déplacement d'une délégation de la commission au Bénin et en Côte d'Ivoire - Communication

M. Laurent Lafon. - Du 15 au 21 septembre 2024, une délégation de notre commission - à laquelle j'ai participé et qui était également composée de Max Brisson, Cédric Vial, Jean Hingray, Yan Chantrel et Mathilde Ollivier - s'est rendue en Côte d'Ivoire et au Bénin, deux pays d'Afrique occidentale qui se distinguent par la place centrale qu'ils accordent à leur politique culturelle, ainsi que par la relation de coopération approfondie qu'ils entretiennent avec notre pays.

Cette mission était prioritairement destinée à l'étude des enjeux associés aux restitutions d'oeuvres d'art, sur lesquelles notre commission est engagée de longue date. Notre déplacement, très riche, nous a cependant permis d'explorer plusieurs autres de nos sujets d'intérêt majeur, notamment l'enseignement français à l'étranger, la francophonie et l'audiovisuel extérieur.

Permettez-moi quelques propos introductifs sur les politiques culturelles menées par le Bénin et la Côte d'Ivoire, qui nous ont frappés par leur ambition. Alors que ces deux pays font face à d'importants défis économiques et sécuritaires, dans le contexte de la déstabilisation des États voisins du Sahel, ce volontarisme culturel ne peut qu'attirer l'attention.

Il découle, dans ces deux Républiques démocratiques, d'une impulsion politique au plus haut niveau. En Côte d'Ivoire, elle est portée par la ministre de la culture Françoise Remarck, qui pilote un ambitieux plan de développement des industries culturelles et créatives (ICC). Au Bénin, c'est le président de la République Patrice Talon qui a défini la culture comme le premier pilier de développement du pays, devant l'agriculture. Cette orientation vise notamment à développer le tourisme culturel, et passe par des investissements massifs dans les infrastructures muséales.

Pour mener à bien ces ambitions, les deux pays doivent surmonter des défis communs, notamment sur la structuration de leurs industries culturelles et la monétisation des contenus produits. En Côte d'Ivoire, la mise en place du deuxième bureau de droits d'auteur du continent constitue une première réponse. La France accompagne cet effort de transformation au travers d'un partenariat avec la société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique française (Sacem).

Le Bénin comme la Côte d'Ivoire disposent cependant de nombreux atouts pour devenir des acteurs culturels de premier plan, à commencer par leur patrimoine culturel. Neuf sites et pratiques culturelles ivoiriens et trois sites béninois sont inscrits au patrimoine mondial de l'Unesco. La Côte d'Ivoire met en avant la diversité de ses paysages pour se positionner comme une plaque tournante de l'industrie cinématographique. Au Bénin, plusieurs sites drainent déjà un flux touristique notable, notamment la statue de l'Amazone de Cotonou et le centre historique de Porto Novo.

La création contemporaine est également très riche dans les deux pays. La Côte d'Ivoire est internationalement reconnue pour sa scène musicale, et organise à Abidjan une biennale des arts vivants très porteuse. Le Bénin a participé pour la première fois en 2024 à la Biennale de Venise, où son pavillon a été très remarqué.

La France est un partenaire majeur dans cet effort de développement culturel, via les financements de l'agence française de développement (AFD) et l'accompagnement de projet assuré par Expertise France. La culture constitue un domaine d'intervention récent de l'AFD, qui est cependant appelé à monter en puissance. L'agenda transformationnel voulu par le Président de la République pour l'Afrique comporte en effet un important volet culturel. Sur le fond, la culture et notamment les ICC représentent effectivement un puissant levier de développement économique, ainsi qu'un vecteur efficace de promotion de la francophonie.

En Côte d'Ivoire, le soutien français passe par un contrat de désendettement et de développement (ou C2D), qui permet de convertir la dette des pays pauvres très endettés en programmes de développement. Le troisième C2D, passé le 4 novembre 2021, comporte 17 millions d'euros au titre de l'action culturelle. Au Bénin, la France finance un prêt public à la culture d'un montant total de 60 millions d'euros ; elle est le seul pays à intervenir sur des montants aussi élevés dans le champ culturel.

J'en viens aux restitutions d'oeuvre d'art. Vu du Parlement, ce sujet nous apparaît principalement sous son angle juridique et diplomatique, et ce qui se passe après la restitution constitue un angle mort. Nous avons constaté que les restitutions engendrent également un intense mouvement d'investissement et de coopération sur le terrain, et qu'elles agissent comme un catalyseur pour la structuration du secteur culturel des pays d'origine.

Au Bénin, nous avons dressé un premier bilan de la restitution par la France du trésor d'Abomey en novembre 2021, qui a eu d'importantes retombées positives et a accéléré les ambitions muséales du pays.

Initialement exposées dans le palais présidentiel de Cotonou, les 26 pièces restituées ont vocation à être présentées dans un musée dédié à l'héritage culturel du royaume du Dahomey, qui sera édifié sur le site palatial d'Abomey. La majorité du prêt de l'AFD porte sur ce projet, qui comporte un volet de transfert de compétences avec des collectivités françaises. Une coopération avec la chambre des métiers des Pays de la Loire permet ainsi de former les ouvriers béninois aux métiers du patrimoine.

La restitution a également permis d'améliorer la visibilité de l'art contemporain du Bénin. L'exposition au palais présidentiel a en effet été organisée en diptyque avec des oeuvres contemporaines ; ces oeuvres ont récemment été exposées à la Conciergerie de Paris, ce qui témoigne d'une réciprocité dans les échanges initiés par la restitution.

Le gouvernement béninois s'est enfin saisi de la restitution pour renforcer le sentiment d'appartenance nationale au Bénin. L'exposition au palais présidentiel a rencontré un large écho auprès de la population, avec 220 000 visiteurs en trois mois.

Si la dynamique ainsi initiée est incontestable, d'importants défis restent à relever, tout d'abord pour assurer l'accès pérenne de la population béninoise aux oeuvres restituées. Nous l'avons constaté lors de notre déplacement sur le site du futur musée : les aménagements projetés sont très ambitieux, et le chemin à parcourir pour y parvenir reste encore long. Nous avons également été alertés, lors de notre visite de l'école du patrimoine africain, sur le travail qui reste à déployer pour créer les conditions scientifiques d'une poursuite des restitutions, en ce qui concerne notamment la recherche de provenance. Les inquiétudes portent plus précisément sur la possibilité de parvenir à un dialogue égalitaire sur ce point entre scientifiques africains et européens.

La question des restitutions a également été au coeur de nos échanges en Côte d'Ivoire, où le retour du tambour parleur Djidji Ayôkwê, confisqué en 1916 à l'ethnie atchan par l'administrateur Simon, est attendu depuis 2019 et la demande de restitution officiellement formulée par la Côte d'Ivoire.

Alors que le Président de la République s'est engagé à satisfaire à cette demande en 2021, le processus de déclassement du tambour, qui relève des collections du Quai Branly, est au point mort dans l'attente de la loi-cadre. Pour des raisons à la fois juridiques et politiques, il semble que ce projet soit aujourd'hui différé sine die par le gouvernement. Le délai qui en résulte est mal accepté par les communautés d'origine du tambour comme par les autorités ivoiriennes, avec lesquelles la France entretient pourtant d'excellentes relations.

Notre déplacement a été l'occasion pour les autorités ivoiriennes de plaider la cause de cette restitution. Nous avons été reçus par la ministre de la culture ; nous nous sommes également rendus sur le chantier du musée des civilisations de Côte d'Ivoire, qui est réaménagé dans la perspective d'accueillir le tambour.

Nous avons été frappés de constater que l'engagement de restitution pris par la France donne déjà lieu à des retombées très concrètes, avec des investissements financiers de l'AFD et une coopération muséale de grande ampleur, qui mobilise des acteurs français et ivoiriens depuis plusieurs années. Je crois que tous les participants au déplacement seront d'accord pour considérer que cette coopération est exemplaire, notamment sur le plan scientifique.

Cette exemplarité, conjuguée à l'importance des investissements déjà consentis par la France, nous ont convaincus d'apporter notre soutien à la légitime demande du gouvernement ivoirien. Notre pays se doit en effet d'être cohérent vis-à-vis de ses prises de position extérieures, mais également au regard de ses propres engagements opérationnels et financiers.

C'est pourquoi nous avons rapporté dans nos bagages une proposition de loi d'espèce. La ministre de la culture y a apporté son soutien en concluant avec son homologue ivoirienne, le 18 novembre dernier, une convention de dépôt du tambour, qui constitue la première étape du processus de restitution désormais enclenché. Nous examinerons le rapport de Max Brisson sur ce texte dans deux semaines ; alors que la fin des travaux du musée est prévue pour l'été prochain, il y a urgence à avancer sur ce sujet.

Pour la suite, le sujet de la loi-cadre reste bien entendu aussi urgent qu'entier. Il est en effet probable que, lorsque les infrastructures muséales aujourd'hui en chantier seront achevées, de nouvelles demandes de restitution nous parviennent.

Nous nous sommes également intéressés aux conditions de l'enseignement français à l'étranger. Nous nous sommes rendus dans trois établissements partenaires ou conventionnés avec l'AEFE et proposant une scolarisation de la maternelle au baccalauréat : les lycées Blaise Pascal et Jean Mermoz d'Abidjan (qui compte 12 établissements français au total), et le lycée Montaigne de Cotonou. Dans l'ensemble, l'enseignement français s'y porte bien, et les établissements font face à une forte demande qui les conduit à refuser des dossiers.

Sur la gestion des personnels, nous avons constaté de fortes différences entre les deux pays : tandis que le Bénin est très attractif, les établissements d'Abidjan rencontrent des difficultés pour recruter des enseignants détachés. Ils misent en conséquence sur la formation de personnels locaux, qui requiert un investissement financier de leur part. Ce système trouve par ailleurs ses limites pour la classe préparatoire proposée par le lycée Blaise Pascal.

Les trois lycées appliquent sans difficulté le principe de laïcité, dans le contexte d'une cohabitation harmonieuse entre communautés religieuses en Côte d'Ivoire comme au Bénin.

Nous avons surtout été frappés par les excellentes conditions d'enseignement dont bénéficient les élèves de ces établissements, dont la qualité des locaux et des équipements sportifs dépasse les standards de notre territoire national. Cette qualité est le corollaire de l'exigence des familles, qui s'acquittent de tarifs élevés. Elle suscite une concurrence entre les établissements : nous avons senti une inquiétude palpable au lycée de Cotonou, où un second lycée français vient de s'implanter.

Cette situation privilégiée contraste avec celle des élèves ivoiriens et béninois. Plus de la moitié des écoles publiques de Côte d'Ivoire ne disposent ni de l'eau courante ni de l'électricité, et ne sont pas même équipées de sanitaires ; les classes y comptent jusqu'à 80 élèves. L'éducation constitue d'ailleurs, dans les deux pays, l'un des principaux secteurs d'intervention de l'AFD, qui finance la création de collèges de proximité, l'acquisition de manuels scolaires et la réhabilitation de lycées techniques.

Ce contraste nous a conduits à nous interroger, lors de nos échanges avec l'ambassade, sur le positionnement d'excellence, voire élitiste des lycées visités, et l'image ainsi donnée de la France aux populations. Nous avons insisté sur la nécessité de répondre à la concurrence entre établissements en renforçant leur complémentarité pédagogique, plutôt qu'en cherchant à financer de nouveaux équipements prestigieux pour attirer les familles.

Dans le champ universitaire, nous avons constaté le très fort dynamisme de la relation de coopération avec la France. La France continue d'être un pays très attractif pour les étudiants de Côte d'Ivoire et du Bénin ; elle constitue même la première destination des étudiants béninois. Dans les deux pays, les demandes adressées à Campus France excèdent très largement le nombre de visas étudiants délivrés.

Nous avons pris connaissance de deux partenariats académiques, ou PeA, de l'université d'Abomey-Calavi avec celles de Limoges et de Lorraine, ainsi que l'institut Agro Montpellier. Ces coopérations, mises en place via un appel à projets de l'agence nationale de la recherche (ANR), visent à structurer les formations dans les secteurs prioritaires pour les pays africains, en l'occurrence l'agronomie et la santé publique.

Nous avons également abordé le sujet de la francophonie en rencontrant les équipes des Instituts français. Le cas de la Côte d'Ivoire est de ce point de vue très intéressant. Par le nombre de ses locuteurs, il s'agit du quatrième pays francophone au monde ; la plupart de ses médias sont en français ; du fait de la jeunesse de sa population et de son influence culturelle, elle constitue l'un des relais d'avenir de la francophonie. Pour autant, un tiers seulement des Ivoiriens sont considérés comme des locuteurs francophones selon les standards de l'organisation internationale de la francophonie (OIF).

Cette situation est à mettre en regard de la vitalité du nouchi. Ce parler mixte entre l'ivoirien et le français, mêlé d'anglais et de néologismes, tend à s'enraciner dans la population ivoirienne ; en sens inverse, il enrichit également le français, puisque plusieurs mots récemment entrés dans le Petit Robert, tels que « brouteur », « ambiancer » ou « s'enjailler », en sont issus. Une représentation de L'Avare de Molière en nouchi a connu un grand succès en Côte d'Ivoire, et une demande de programmation à la Cité internationale de la langue française (CILF) a été présentée.

Nous nous sommes enfin penchés sur la situation de l'audiovisuel français.

Les médias français, tout d'abord, sont très suivis en Côte d'Ivoire : France 24 y est la première chaîne d'information internationale, RFI est la radio la plus écoutée d'Abidjan, et Canal+ est présent au travers de sa chaîne A+. Cette solide implantation s'accompagne de frictions récurrentes sur le traitement éditorial de sujets de société par France 24, au point que le gouvernement ivoirien a pu faire publiquement connaître son mécontentement. Cette situation, qui nourrit une remise en cause de l'existence même de la chaîne au niveau régional, fait l'objet d'un suivi attentif par les services de l'ambassade, alors que les opérateurs français ont déjà quitté les États du Sahel.

Nous avons également pris connaissance de l'action menée par l'agence de développement des médias CFI, qui relève du groupe France Médias Monde et agit dans le cadre d'une convention avec le ministère des affaires étrangères. De l'avis général, le rôle institutionnel de cet opérateur mériterait d'être renforcé, tant ses résultats sur le terrain sont satisfaisants, notamment en matière de lutte contre la désinformation.

En ce qui concerne enfin la production des contenus de fiction, l'enjeu est celui de l'implantation des opérations de création sur les territoires béninois et ivoirien, au-delà de la captation d'images - ce qui suppose la structuration de plusieurs filières professionnelles. Nous avons étudié cette question en nous rendant dans les locaux de la série Le meilleur est à venir, dont la diffusion, qui aura lieu à partir de 2026, est pensée sur le modèle de Plus belle La vie. La coproduction de cette série, qui associe TV5 Monde, Mediawan et l'agence des arts du Bénin, est organisée pour assurer un transfert de compétences vers le Bénin sur l'ensemble de la filière de création, de l'écriture à la post-production.

Voici donc, mes chers collègues, les principaux enseignements que nous avons tirés de ce passionnant déplacement, et qui enrichiront sans aucun doute les travaux que nous conduirons à l'avenir sur ces différents sujets.

La réunion est close à 11 h 30.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, et de M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

L'accès aux études de santé - Audition de MM. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins, et Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, en commun avec la commission des affaires sociales

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. - Mes chers collègues, la Cour des comptes a présenté à la commission des affaires sociales, le 11 décembre dernier, les conclusions de l'enquête sur l'accès aux études de santé que nous lui avions commandée, en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.

Les conclusions de la Cour, très critiques, ont conduit la commission à désigner des rapporteurs - outre moi-même, Corinne Imbert, Khalifé Khalifé et Véronique Guillotin - et à poursuivre ces travaux, au travers de plusieurs auditions.

Nous avons notamment entendu notre collègue Sonia de la Provôté, auteure de deux rapports sur la mise en oeuvre de la réforme Pass/LAS (parcours accès santé spécifique/licence accès santé), avec qui nous avons repris l'historique de la réforme. Je salue le travail réalisé par la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, notamment par sa rapporteure, compétente en matière d'enseignement supérieur.

C'est dans ce cadre que nous accueillons aujourd'hui, avec cette commission, M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, et M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins.

Messieurs les ministres, merci de votre présence. Nous sommes impatients de vous entendre sur l'enquête de la Cour des comptes, sur le bilan que vous tirez de la réforme de l'accès aux études de santé et, le cas échéant, sur les évolutions qui vous semblent souhaitables.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. - Notre commission est engagée de longue date sur le sujet des études de santé, qui constituent un enjeu crucial pour la qualité de notre système de soins, mais aussi pour l'excellence de notre recherche en santé humaine.

Dans le cadre de sa compétence législative, elle avait rendu un avis sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé de 2019, dans lequel nous avions souligné la complexité du nouveau système mis en place.

Dans le cadre de notre compétence de contrôle, nous nous sommes penchés à deux reprises sur l'application de la réforme, grâce à deux missions confiées à Sonia de La Provôté : une première mission flash en 2021, qui a conclu à l'insuffisance de la préparation et du pilotage de la nouvelle organisation dans la phase de lancement de la réforme ; un rapport de suivi en 2022, qui a pointé les différences de niveaux entre étudiants de LAS et de Pass, l'insuffisante communication auprès des étudiants, ainsi que les fortes disparités entre établissements.

Ces constats ayant été largement repris par la Cour des comptes, il me semble que nous parvenons aujourd'hui à une évaluation partagée de la nouvelle organisation des études de santé, ainsi que des évolutions qui pourraient permettre de remédier aux difficultés rencontrées depuis 2020.

La mission menée par la commission des affaires sociales contribuera certainement à tracer un chemin vers ces adaptations, et nous sommes bien entendu très désireux de recueillir vos orientations sur ce sujet.

M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Je vous remercie de me donner aujourd'hui la parole.

Les études médicales - médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie - suscitent l'intérêt de nos concitoyens. Ce sujet touche directement à l'égalité des chances entre étudiants et, en fonction des territoires, à l'égalité d'accès aux soins et à l'équilibre de notre système de santé. En effet, la manière dont sont formés les étudiants a aussi un impact sur l'endroit où ils s'installent.

Ce sujet me tient aussi à coeur, car les études de santé s'inscrivent pleinement dans le paysage des études universitaires en général, plus encore depuis la dernière réforme. Celle-ci a permis de construire un nouveau modèle, après la suppression de la première année commune aux études de santé (Paces).

La Paces présentait un certain nombre d'inconvénients : elle était très déterministe socialement ; elle ne répondait pas ou peu aux besoins des territoires, et du pays en général, au regard du nombre de personnes formées ; elle avait conduit à isoler de manière démesurée les étudiants de la Paces des autres filières universitaires, même de celles qui partageaient le plus d'éléments communs avec elle.

Enfin, elle entraînait des situations d'échecs, ce qui est probablement le point auquel je suis plus sensible, et un mal-être considérable chez un très grand nombre d'étudiants et d'étudiantes, notamment parmi ceux qui avaient les qualités requises mais ne passaient pas la barre. Mis en situation d'échec pendant deux ans, ils n'avaient finalement pas de moyens évidents de devenir des praticiens de santé, sans pour autant être médecins.

La réforme du modèle d'accès visait à répondre à ces insuffisances. Je crois qu'elle a en partie réussi, mais en partie seulement.

Les chances d'accès aux études de santé ont connu une amélioration significative. En effet, le nombre de places ouvertes a augmenté, en particulier en médecine, passant d'un contingent annuel de 8 700 places en 2017 à 11 000 actuellement, sans diminuer le niveau d'exigence. L'augmentation des capacités d'accueil en premier cycle a permis d'améliorer le taux d'accès en médecine, en maïeutique, en odontologie et en pharmacie. Ainsi, le taux d'accès des néo-bacheliers est passé de moins de 20 % à 30 %.

Par ailleurs, les redoublements ont chuté de manière drastique : avec la Paces, le taux de redoublement était excessivement élevé - près de quatre étudiants sur cinq. Maintenant, plus d'un néo-bachelier sur deux accède à une année supérieure, et les profils se sont diversifiés, en tout cas dans les LAS.

Cependant, la réforme a aussi trouvé ses limites. Vos travaux actuels sont nécessaires et bienvenus pour les objectiver.

Quelques points peuvent être déjà soulignés.

La réforme devait donner une certaine souplesse aux universités pour ce qui relève de son application. En la matière, la liberté a été au rendez-vous, mais pas forcément au bénéfice des étudiants. L'hétérogénéité entre établissements et la diversité du système sont devenues trop grandes, nuisant à sa lisibilité. Cela constitue probablement l'un des enjeux majeurs : il faudra corriger cette trop grande hétérogénéité des systèmes de formation. Cela vaut tant pour les modalités de sélection que pour l'organisation des parcours eux-mêmes, trop divers et trop complexes pour le commun des mortels qui doit choisir son université et son parcours en première année.

Par ailleurs, la place des épreuves orales ou les critères des algorithmes de sélection sont d'une grande variabilité d'une université à l'autre.

Enfin, la répartition des enseignements ou les possibilités de choix des disciplines hors santé dépendent complètement du lieu d'inscription. Idem, nous constatons une très forte hétérogénéité entre territoires. Cela pourrait n'être qu'un problème d'organisation pour nos esprits cartésiens, sans grande conséquence. Malheureusement, les étudiants souffrent de cette situation. Ils jugent le système inéquitable, du fait de cette difficulté de répartition.

Le modèle Pass/LAS a été adopté dans 29 universités, tandis que le modèle « tout LAS » ne l'a été que dans sept universités. Le Pass reste la voie majoritaire des études de santé. Ce schéma reproduit l'idée d'une voie royale, ce qu'on a beaucoup reproché à la Paces et ce que la réforme devait dépasser. De ce point de vue, cela n'a pas complètement fonctionné.

Les taux d'admission depuis les LAS dans les sites ayant adopté le système Pass/LAS sont demeurés insuffisants, contrairement aux objectifs fixés par la réforme.

Enfin, certains de nos étudiants continuent de partir pour l'étranger, un phénomène qu'il ne faut pas non plus dramatiser, mais qui est réel et qui pose question sur la logique générale du système.

Quatre ans après la suppression de la Paces, nous constatons que des marges de progression importantes demeurent. Pour y répondre, nous devons être à l'écoute de toutes les parties prenantes.

À titre personnel, il me semble que certaines pistes de progrès sont déjà identifiables.

D'abord, la simplification du système actuel. Cette demande est à peu près générale, elle a été énoncée par la Cour des comptes, par les doyens, par les représentants des étudiants, par certains présidents d'université, tandis qu'un grand nombre de parents sont du même avis. Je partage leur diagnostic et leur volonté de simplifier et d'harmoniser le système au niveau national.

Force est de constater, cependant, que les modalités de la voie unique sont aussi nombreuses que les parties prenantes qui viennent nous rencontrer. C'est sans doute le fantôme de la Paces qui nous hante, avec tous ses défauts. Ce système avait l'avantage d'une grande simplicité, du fait de son unicité et de sa rusticité.

Cependant, toutes les raisons que j'évoquais au début de mon intervention font qu'il est tout à fait exclu de revenir au système antérieur. Ce serait renoncer aux avancées qui ont été réalisées ces dernières années et continuer à « gâcher » un très grand nombre de bons étudiants, qui ne réussissaient pas et qui étaient mis dans une situation d'échec assez cruelle.

En revanche, nous devons améliorer le système pour simplifier et accroître sa lisibilité pour les étudiants et les familles. Nous devons le rendre plus équitable sur tout le territoire et au sein des universités. Nous devons faire en sorte qu'il favorise la réussite des étudiants en études de santé, mais aussi de ceux qui poursuivent d'autres parcours universitaires en même temps, tout cela en gardant les principes qui ont présidé à la suppression de la Paces. Plutôt qu'une voie unique, je souhaite donc que nous travaillions sur un modèle unique d'organisation de l'accès aux études de santé, en préservant le principe de parcours diversifiés.

Les modalités précises de tout cela doivent faire l'objet d'un travail qui prendra en compte, évidemment, vos conclusions.

Nous pouvons néanmoins dégager quelques grands principes, à la lumière de l'expérience des quatre dernières années.

Nous avons beaucoup à apprendre des modèles d'organisation mis en place dans les différents territoires. Je compte pour ma part poursuivre le travail d'identification des meilleures pratiques, et j'ai d'ailleurs prévu d'aller à la rencontre d'établissements dont l'organisation du premier cycle d'études de santé paraît avoir bien fonctionné. Je suis convaincu que nous avons tout à gagner à nous inspirer de ce qui a fonctionné sur le terrain, afin de proposer des solutions au niveau national. Forts de ces rencontres, forts des constats de la Cour des comptes, de vos travaux et des travaux des groupes de travail pilotés par nos deux ministères, nous serons en mesure de faire des propositions d'ajustement très rapidement.

Une phase de concertation va s'ouvrir avec toutes les parties prenantes, en s'appuyant sur les travaux des parlementaires et les expériences territoriales. Nous sommes très engagés, Yannick Neuder et moi-même, sous l'autorité du Premier ministre, pour faire aboutir une réforme rapidement, si possible à la rentrée 2026. Durant toute cette phase, je resterai présent et engagé pour que le nouveau modèle bénéficie à tous.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. - Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer sur ce sujet qui me passionne.

Nous avons tous pris connaissance du rapport de la Cour des comptes avec beaucoup d'attention. Je réaffirme que M. le ministre Baptiste et moi-même souhaitons aller le plus vite et le plus haut possible pour former plus et former mieux, ce dès la rentrée 2026.

Il est l'heure de dresser les constats. Ce n'est pas un secret, je n'ai jamais été fan de cette réforme. Pourquoi ? Je suis médecin, j'ai su vouloir faire médecine dès que j'étais lycéen, et je me suis donc beaucoup interrogé sur le symbole envoyé par la réforme. Naïvement, je pensais que quand on voulait faire médecine, on s'inscrivait à la faculté de médecine. Proposerait-on à un étudiant qui veut faire du droit ou de la comptabilité de faire médecine avec une mineure droit ou une mineure comptabilité ? Je n'en suis pas sûr...

Je comprends néanmoins les arguments sur l'absence de redoublement. Du point de vue du ministre de l'enseignement supérieur, un étudiant, redoublant ou non, reste un étudiant : autant ne pas perdre d'années. J'ai trop vu d'étudiants qui ont perdu deux années complètement ; j'ai même vu, en raison des dérogations qui existaient, des triplements ratés. Cela n'est pas satisfaisant.

Pour ma part, je me place plutôt du point de vue des étudiants et des soignants. Ne pas réussir une première année de médecine et avoir une chance de redoubler n'est pas forcément une mauvaise chose. De mon temps, 80 % des étudiants redoublaient.

Je souhaite remercier le Sénat, qui s'est beaucoup mobilisé, notamment grâce à Mme de La Provôté. En effet, ces sujets sont l'une des principales préoccupations de nos concitoyens.

Outre les outils de formation, je souhaite m'interroger sur la finalité de cette formation, pour savoir si elle répond aux besoins des Français en santé. Environ 67 % des Français renoncent à prendre un rendez-vous avec un généraliste. Nous formons un nombre de médecins guère différent par rapport aux années 1970, alors que nous comptons 15 millions de plus d'habitants, avec une comorbidité sévère, avec une population qui a vieilli.

Surtout, les rapports au travail, à la vie de famille ou à la vie sociale changent - il n'est pas rare de voir des professionnels de santé exercer quatre jours sur sept... - et nous devons en tenir compte.

Tel était l'objet de la proposition de loi que j'avais déposée en 2023 à l'Assemblée nationale, et que le Sénat, j'espère, pourra inscrire et adopter au mois de mai : nous devons définir les besoins des territoires, qui peuvent différer selon que l'on parle d'une métropole dotée d'une faculté et d'hôpitaux capables d'accueillir des stagiaires ou de départements ruraux sans faculté ni hôpitaux. Généralement, un jeune médecin ne s'installe pas dans un territoire qu'il ne connaît pas. Nous devons examiner comment, dès les premiers cycles d'études en santé, nous pourrions éviter que les étudiants ne fassent dix ans d'études à l'hôpital avant qu'on leur demande d'aller s'installer dans tel ou tel village. Ces jeunes professionnels ont déjà une vie familiale, et ils rencontrent des problématiques de logement, de transport et de crèches. Le système ne semble pas adapté.

Nous sommes aussi face à un enjeu de souveraineté de formation. J'étais présent au Conseil européen des ministres de la santé. Certains de mes homologues m'ont dit, aimablement, qu'il serait sympathique de récupérer nos étudiants, notamment le ministre belge ou la ministre espagnole. Cette réforme Pass/LAS a accéléré les départs à l'étranger. Une enquête du Quotidien du médecin de 2023 montrait que le nombre d'étudiants partis à l'étranger était important.

Ces problématiques de santé sont prégnantes en France, mais aussi au niveau européen et mondial. Les difficultés sont mondiales, et des pays n'hésitent à démarcher nos étudiants dans des facultés à l'étranger, comme en Roumanie.

L'Association des maires ruraux de France (AMRF) propose des financements - 25 000 ou 30 000 euros par an - pour la formation d'étudiants issus de leur territoire, rejetés par le système français, et qui partent étudier à l'étranger. Ils n'ont pas droit aux bourses, et tous ne sont pas des privilégiés ; certains rentrent travailler en France le week-end.

Certains pays font aussi une sorte de dumping, en contactant des étudiants français en Roumanie pour qu'ils viennent s'installer chez eux, par exemple la Suisse, l'Allemagne ou le Maroc. Ils rachètent à ces étudiants les bourses accordées par les collectivités territoriales. Certains mettent 200 000 euros sur la table pour rembourser les études et 100 000 euros pour qu'ils exercent pendant un certain nombre d'années sur place.

J'ai reçu ces étudiants français à l'Assemblée nationale. Ils seraient assez désireux de revenir en France, si nous avions un véhicule législatif adéquat et les moyens universitaires adaptés pour les accueillir. Certes, la question du niveau des étudiants se pose : nous pourrions solliciter les doyens pour faire les vérifications nécessaires.

Cependant, la situation devient très paradoxale, voire insoutenable. Dans mon service, j'ai trois types d'étudiants : les étudiants classiques, les étudiants Padhue (praticiens à diplôme hors Union européenne) et, enfin, des étudiants français, des petits Grenoblois qui étudient en Roumanie et viennent faire leur Erasmus dans mon service. Nous avons en fait un peu perdu le contrôle de notre système de formation.

Nous parlons aussi des autres formations - pharmacie, odontologie ou maïeutique. Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes précise que 54 % des dentistes inscrits à l'ordre ont fait leurs études à l'étranger. Ainsi, nous n'avons plus de souveraineté en matière de formation. Des places en deuxième année de pharmacie restent vacantes, pour différentes raisons, alors que nous connaissons une pénurie de pharmaciens. Enfin, en maïeutique, les chiffres ne sont pas au rendez-vous.

Le Pass/LAS présente une grande complexité administrative. L'appropriation par les étudiants eux-mêmes n'est pas bonne ; il est parfois difficile, sur Parcoursup, de trouver la bonne filière. Bref, on constate une mauvaise acculturation des étudiants, du monde médical et des enseignants eux-mêmes.

Il faut donc tirer les conséquences de cette réforme. Beaucoup de calendriers se percutent, il nous faudra rester pragmatiques. Les déserts médicaux sont un tel problème que la pression est très forte dans les territoires. Mais nous avons aussi, en même temps, des discussions sur les Padhue, pour les former et organiser une évaluation interne et externe - il faudra des mesures réglementaires et législatives.

Nous devons aussi préserver la quatrième année de médecine générale ; il nous faut prendre les décrets rapidement. Nous ferons des annonces dès vendredi lors du congrès de médecine générale. Nous avons bien mesuré le degré d'impatience des maîtres de stage, le degré d'impatience du Collège national des généralistes enseignants, mais depuis quatre-vingt-douze jours que je suis en fonction, nous avons mis les bouchées doubles pour prendre les décrets, pour que ce sujet qui a dix-huit mois d'âge soit traité avant l'été. Nous devons créer cette quatrième année dans de bonnes conditions, qui sera manifestement un plus pour les territoires, avec 3 700 docteurs juniors répartis dans une centaine de départements, soit 37 en moyenne par département.

Nous devons avancer vite, mais sans précipitation, pour réformer le système. Il nous faut construire cette réforme sur un terrain apaisé. Avant l'été, nous devons faire les réformes pour les Padhue et la quatrième année de médecine générale dans les meilleures conditions.

Nous devons donc repenser la formation initiale, récupérer nos étudiants à l'étranger, réformer le dispositif Padhue et mettre en oeuvre la quatrième année de médecine générale. Cela représente 57 000 nouveaux médecins d'ici à 2027, mais il faut prendre en compte les 11 800 départs à la retraite pour 11 400 nouveaux médecins par an. Si nous sommes numériquement à l'équilibre, il faut cependant comprendre que, quand un généraliste part, il faut 2,3 à 2,5 nouveaux médecins pour le remplacer. En termes de temps de présence, nous sommes déficitaires.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, rapporteur. - Nous allons passer aux questions des rapporteurs et, faisant partie de ceux que la commission des affaires sociales a désignés, je me permets d'entamer cette série en revenant sur la complexité du système. Simplement en Île-de-France, il existe aujourd'hui plus de 100 possibilités de parcours en Pass ou en LAS. Nous avons compris que cette difficulté est identifiée, mais les universités ont investi dans une organisation et communiqué sur le sujet. Dès lors, de quelles marges de manoeuvre disponsons-nous à court terme ?

Cette première question étant posée, je laisse d'abord la parole à notre collègue de la commission de la culture, Sonia de La Provôté.

Mme Sonia de La Provôté. - Merci d'avoir permis cette audition commune. Il est dit depuis le début que la concertation, la discussion est nécessaire, car la formation des médecins, comme, plus largement, celle de tous les professionnels de santé, s'inscrit dans une continuité et que ce qui se passe au moment de l'admission conditionne ce qui se passe ensuite. C'est donc une bonne chose.

Comme vous l'avez dit, on ne peut pas tout à fait considérer comme atteint l'objectif de répondre aux reproches qui étaient faits à la Paces concernant le bien-être et la réussite des étudiants. Nous en sommes à la cinquième promotion depuis la réforme et, on peut le dire assez sûrement, le constat est plutôt négatif.

Plusieurs sujets se posent.

L'orientation en première année de LAS est encore subie par les lycéens, faute de place dans les licences qu'ils choisissent. Une réflexion a-t-elle été engagée par rapport à cette difficulté, qui avait été identifiée dès le début ? Entend-on travailler sur l'étendue des licences concernées ?

Les étudiants en première année de LAS ont moins de chance de réussir l'examen d'entrée au Pass et, lorsqu'ils le réussissent, ils semblent avoir été moins bien préparés pour la suite. Un rattrapage des connaissances et des acquis est-il prévu, sachant que le bagage du médecin doit in fine être identique ?

Depuis l'entrée en vigueur de la réforme, un phénomène de vacances de places est apparu au sein des études de pharmacie et de maïeutique. Nous savons, de par les remontées de terrain, qu'il s'aggrave. Cette évolution survenant parallèlement à un accroissement des compétences demandées aux pharmaciens et des tâches qui leur sont déléguées, elle conduit indirectement à une moindre compensation de la pénurie de médecins sur le terrain et, donc, accentue les déséquilibres démographiques. Faut-il, comme le suggèrent la Cour des comptes et les étudiants, revenir sur la réforme pour privilégier une voie d'accès unique ? Seriez-vous favorables à l'expérimentation proposée par la Cour des comptes d'un accès direct après le bac aux études de pharmacie ?

Au regard du rapport, certaines questions se posent, notamment celle du cadrage. Toutes les difficultés concernant les examens ont-elles été réglées ? Reste-t-on définitivement sur deux chances d'accès ? Dès lors que des personnes, qui ont dû aller se former à l'étranger parce qu'elles n'avaient pas été acceptées dans le cursus en France, peuvent pratiquer à leur retour, n'y a-t-il pas un hiatus ? Avez-vous réfléchi au renforcement des passerelles et aux équivalences ?

Enfin, si la coopération entre vos ministères est essentielle, c'est parce qu'il ne suffit pas d'admettre des étudiants en médecine pour avoir, demain, des médecins sur les territoires qui en manquent !

Mme Véronique Guillotin, rapporteure de la commission des affaires sociales. - La réforme devait permettre une plus grande diversification des profils d'étudiant et des territoires géographiques dont ces derniers sont issus. D'après la Cour des comptes, cet objectif n'est pas atteint. Comment comptez-vous améliorer la situation, sachant que, comme cela a été dit, l'origine géographique compte pour le retour dans les territoires ruraux ou éloignés des centres urbains ?

La possibilité d'une option santé dans les lycées avait été inscrite dans la loi Valletoux. Je m'en étais fortement réjouie, notamment parce que des études canadiennes avaient montré l'importance d'une sensibilisation précoce pour permettre l'ouverture aux études de santé et éviter l'autocensure. La région Grand Est, dont je suis issue, a été choisie pour expérimenter cette option, mais j'ai pu constater que les quelques lycées repérés étaient des lycées nancéens - donc sans lien avec un territoire rural ou éloigné d'un centre urbain. Par ailleurs, le pilotage semble uniquement assuré par l'éducation nationale. Ne faudrait-il pas revoir ce pilotage pour tenter réellement d'atteindre les objectifs de diversification ?

M. Khalifé Khalifé, rapporteur de la commission des affaires sociales. - D'après le rapport, le nombre d'étudiants passant en deuxième année serait en augmentation de 18 %. Tout le monde s'accorde à dire, aujourd'hui, que ce chiffre doit être modulé selon les universités.

Je précise également que, si nous travaillons aujourd'hui sur la réforme Pass/LAS, nous allons très vite nous pencher sur la réforme de l'internat. Il me semble en effet que nous ne pouvons pas répondre aux enjeux d'aménagement du territoire en réfléchissant à des incitations en première année, et non plus tard. Je suis un peu plus âgé que Yannick Neuder et je me souviens qu'à l'époque de mes études, malgré un numerus clausus plus sévère, les territoires et les hôpitaux dits périphériques étaient enrichis par des internes régionaux, voire infrarégionaux. Ces internes apprenaient à connaître le territoire, s'y mariaient et finissaient pas y rester. Il faut donc bien réfléchir au-delà de la première année.

Pour revenir néanmoins à ce sujet, je rappelle que les cours sont tous donnés dans des amphithéâtres plus ou moins vides, du fait des possibilités de visioconférence. Que l'on ne vienne donc pas invoquer les capacités des universités !

Par ailleurs, cela a été dit, le niveau des LAS n'est pas à la hauteur des espérances. Quant aux étudiants qui partent à l'étranger, je n'ai pas de chiffre précis pour la médecine, mais, travaillant actuellement sur la profession de vétérinaire, je peux dire que 92 % des étudiants dans cette branche qui se forment à l'étranger ont fait ce choix par obligation. Je suis favorable au retour le plus précoce possible de ces étudiants.

Que pensez-vous de toutes ces remarques ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. - La loi de 2019 a remplacé le numerus clausus par un nouveau système de concertation régionale et nationale, censé faire remonter des territoires les besoins et capacités de formation. Ce système a été jugé insuffisant par la Cour des comptes. Mon sentiment à cet égard est que l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) n'est pas armé pour remplir ces missions, que les universités sont trop peu responsabilisées et les ARS insuffisamment accompagnées.

Il ne vous a pas échappé que nous sommes au Sénat... Comment les élus locaux pourraient-ils être mieux associés aux projections démographiques ? Entendez-vous améliorer, grâce à leur analyse plus fine des territoires, le pilotage démographique des professions de santé ?

Enfin, vous avez un fait pas de côté, monsieur le ministre de la santé, en évoquant les Padhue et la quatrième année d'internat de médecine générale, dont je rappelle qu'elle est le fruit d'une initiative sénatoriale. Au moment où nous parlons de formation et d'installation des professionnels, permettez-moi un conseil amical : écoutez le Sénat !

M. Philippe Baptiste, ministre. - De manière générale, nous écoutons le Sénat !

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. - Je n'en doutais pas.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Je reviens tout d'abord sur l'exemple qui a été donné : en effet, le nombre d'une centaine de parcours disponibles en Île-de-France est, en soi, anxiogène ; il démontre la nécessité de simplification qui s'impose. Pour beaucoup, la multiplicité de ces parcours s'explique par la liberté laissée aux établissements et universités en termes de majeures et de mineures. Dans nos éléments de réflexion, sans doute faudra-t-il limiter le nombre de doubles parcours possibles à quelques disciplines faisant vraiment sens...

La question du succès ou des insuccès a été abordée de différente manière. Le rapport de la Cour des compte montre qu'un travail important doit encore être mené. Mais rappelons-nous qu'en 2019, nous avions encore, avec la Paces, une usine à plier les étudiants qui échouaient - pardonnez-moi d'être un peu brutal... Cet examen présentait, par ailleurs, un taux de prédictibilité par rapport au baccalauréat proche de 100 %, soit une corrélation absolue démontrant que la préparation n'apportait rien en termes de sélection. Enfin, les résultats n'étaient pas au rendez-vous pour la diversification des parcours.

En la matière, les progrès ne sont pas spectaculaires. Néanmoins, une diversification des parcours plus forte est constatée chez les étudiants en LAS. On voit également que, si une même université dispose d'un cursus LAS et d'un cursus Pass, les meilleurs étudiants se dirigent vers le Pass.

Par ailleurs, certaines contraintes s'imposent bien aux parcours du fait des capacités d'accueil. C'est une réalité qui, malheureusement, ne se restreint pas aux seules études de santé, et une des grandes difficultés auxquelles l'enseignement est confronté du fait de la massification. Les dispositifs numériques apportent sans doute une certaine élasticité, mais cela fonctionne pour les premières années, pas forcément lorsque l'on progresse dans le cursus.

S'agissant de la filière pharmacie, nous avons en effet constaté une réticence à entrer dans cette formation, avec un métier qui semble mal connu des plus jeunes. Des corrections, notamment le reversement de places entre universités pour s'ajuster aux offres et aux demandes, ont permis de ramener le nombre de places vacantes à 200. Nous avons aussi ouvert, dès cette année, une possibilité d'admission via des passerelles pour des étudiants en troisième année de chimie ou de sciences de la vie et de la terre (SVT). J'espère qu'en ajoutant ce dispositif aux autres, nous parviendrons à régler ce problème.

M. Yannick Neuder, ministre. - La mise à niveau des étudiants issus de LAS doit à mon sens relever de chaque faculté de médecine et je me fie pleinement aux doyens et à leurs équipes pédagogiques pour dépister les étudiants qui seraient concernés et apporter des solutions. Je ne sais pas si le législateur doit aller jusqu'à ce niveau de détail. En tout cas, c'est un sujet qui m'a bien été remonté.

Selon les études de la direction générale de l'offre de soins (DGOS), la diversification des profils est très faible. Les ratios sur le genre ou l'origine socioprofessionnelle ont bougé de quelques points, mais ce n'est pas significatif. En revanche, je crois plus à des solutions comme les campus connectés ou l'installation de formations de première année dans les départements n'ayant pas la chance d'accueillir de faculté de médecine. L'expérience que nous avons de ces installations montre que les étudiants n'en réussissent pas moins. Dans certains territoires, comme la Nièvre, les taux de réussite montent jusqu'à 75 %.

Concernant l'orientation dans les lycées, des études ont été menées sur le sujet dans le cadre de France Ruralités. L'orientation, je le rappelle, est à la charge des régions, qui se saisissent progressivement de ces questions liées aux études en santé.

M. Khalifé a évoqué un temps plus ancien où prévalait la régionalisation dans le cadre de l'internat. Peut-être faudrait-il, tout en tenant compte des nouvelles grandes régions, envisager des systèmes mixtes : il serait possible, à la fois, de rester dans sa région et d'intégrer, pour certaines formations spécifiques, des structures resserrées autour d'un niveau d'excellence, qui auraient, elles, une dimension nationale.

Nous avons déjà certains outils permettant de travailler à la territorialisation. Je pense en particulier à certaines maisons de santé pluridisciplinaires qui, employant des assistants spécialistes liés à la faculté de médecine, sont en capacité d'accueillir des étudiants dès le deuxième cycle. J'étais dans le Jura récemment, j'y ai visité une magnifique maison médicale qui a tout pour entrer dans ce cadre. J'ai donc invité ses représentants à se rapprocher de la faculté de médecine pour envisager la possibilité d'évoluer vers une universitarisation.

Un dernier clin d'oeil à l'attention de Mme Imbert, pour dire que je ne fais que cela, d'écouter le Sénat ! Nous écoutons les deux chambres sur ces sujets, qui, nous le savons, rencontrent les préoccupations de nos concitoyens.

M. Stéphane Piednoir. - Depuis le début, je ne suis pas favorable à cette réforme, je n'ai pas changé d'avis et le rapport de la Cour des comptes ne me pousse pas à le faire.

De plus, la réforme du bac a considérablement brouillé les cartes en amont. Il me semble qu'il faut un socle scientifique minimal pour envisager des études de santé. Or cette réforme a éclaté l'ancien système et les recruteurs des formations supérieures ne s'y retrouvent plus.

L'un des objectifs visés était la diversification des profils. Cela ne doit pas se faire au détriment des compétences médicales - j'aime parler d'histoire avec mon médecin, mais je souhaite avant tout qu'il me soigne. Aussi, que comptez-vous faire pour garantir un socle scientifique solide aux futurs médecins ?

Un autre des objectifs était de réduire les situations d'échec. Ancien enseignant, je n'ai jamais vu un lycéen renoncer aux études de médecine par peur d'échouer. Le véritable problème, c'est l'absence de sélection. Avez-vous envisagé d'instaurer une moyenne éliminatoire dès la première année, pour éviter que certains étudiants ne s'engagent dans une voie qui n'est pas faite pour eux ?

Enfin, M. le ministre de l'enseignement supérieur a évoqué une simplification du parcours d'accès aux études de santé. En quoi consistera concrètement cette modalité unique ?

Mme Annie Le Houerou. - Vous avez abordé le sujet des antennes délocalisées. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions ?

Selon moi, la diversité des profils doit avant tout être sociologique, car la majorité des étudiants sont issus de familles aisées. La diversification du recrutement, notamment via les études de santé au lycée, me semble essentielle. De plus, une diversité géographique permettrait d'encourager l'installation des médecins dans les territoires dont ils sont originaires.

Monsieur le ministre de la santé, je partage votre diagnostic et trouve vos pistes de travail intéressantes, mais nous attendons des résultats concrets avant l'été. Quelles propositions précises comptez-vous nous soumettre ?

Comment envisagez-vous de réintégrer au cursus français les étudiants partis à l'étranger - et non pas les étudiants Erasmus - qui souhaitent revenir et qui n'ont pas cédé aux sirènes des offres très attractives de la Suisse ou de l'Allemagne ?

Il faut élargir les possibilités de stage d'internat et d'externat de sorte qu'elles concernent tous les territoires, c'est-à-dire non seulement les centres hospitaliers universitaires (CHU), mais aussi les centres hospitaliers de proximité, la médecine de ville, la médecine du travail, ou encore la protection maternelle et infantile (PMI). Ces spécialités manquent cruellement de praticiens ; or leur attractivité passe par une meilleure offre de stages.

Enfin, les régions sont les mieux placées pour évaluer les besoins en santé et recruter les futurs étudiants en médecine. Quelle sera leur place dans votre réforme ?

M. Adel Ziane. - Le rapport de la Cour des comptes l'a montré, la diversité sociale et territoriale des étudiants en santé est essentielle pour l'égalité des chances et pour la lutte contre les déserts médicaux.

Le rapport souligne que l'accès aux études médicales reste marqué par de forts déterminismes sociaux et territoriaux. Près de 45 % des médecins sont des enfants de cadres supérieurs et sont majoritairement issus de zones urbaines favorisées. Les jeunes des classes populaires, des zones rurales et des quartiers défavorisés sont largement sous-représentés. Or l'origine sociale et territoriale des médecins influe directement sur leur choix d'installation, comme l'a montré la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) dans un rapport de 2021. En Seine-Saint-Denis, l'un des premiers déserts médicaux du pays, cette inégalité est criante : les cadres ne représentent que 10 % des actifs, le manque de remplaçants pénalise fortement les élèves, le territoire est sous-doté, et ce d'autant plus que les facultés de médecine, quoiqu'excellentes, n'irriguent pas assez le territoire.

La réforme de 2020 devait diversifier les profils grâce au Pass/LAS, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Selon la Cour des comptes, près de la moitié des étudiants en santé ont recours à des préparations privées, coûtant entre 4 800 euros et 6 800 euros, ce qui constitue une barrière supplémentaire pour les plus modestes.

Pourtant, des initiatives locales existent. À Bobigny, l'université Sorbonne Paris Nord propose depuis 2012 une année préparatoire axée sur les connaissances scientifiques et méthodologiques pour maximiser les chances de réussite des bacheliers du département et y favoriser leur installation. Dans ma ville de Saint-Ouen, un programme expérimental sera lancé en 2025-2026 avec l'université Paris Cité et l'éducation nationale, proposant un tutorat dès le lycée et un accompagnement renforcé l'été précédant l'entrée en études de santé.

Aussi, comment le Gouvernement entend-il soutenir et généraliser ces partenariats entre les universités, les lycées et les collectivités, afin de démocratiser l'accès aux études de santé et assurer une meilleure répartition des médecins sur le territoire ?

Mme Pascale Gruny. - Dans l'Aisne, les étudiants évitent notre département pour leurs stages. Nous avons tenté d'échanger avec les doyens de Reims et d'Amiens, mais la situation persiste. Quelles solutions pouvez-vous proposer pour remédier à cette difficulté ?

Par ailleurs, je m'inquiète de la santé des patients soignés par des Padhue qui ont eu huit de moyenne...

M. David Ros. - J'ai adressé deux questions écrites aux ministres de la santé et de l'enseignement supérieur en novembre 2024 et en janvier 2025, mais elles sont restées sans réponse. Comme vous êtes en fonction depuis quatre-vingt-douze jours et que l'on sait que les cent premiers jours sont décisifs, peut-être pourrais-je enfin obtenir des éclaircissements. La première question avait pour objet le rôle des pharmaciens en zone rurale dans le cadre du troisième cycle ; la deuxième portait sur l'arrêt de la réforme instaurant une quatrième année en médecine générale, laquelle visait à améliorer l'accès aux soins dans les zones sous-dotées.

Monsieur le ministre de la santé, vous avez évoqué le 24 mars dernier l'objectif de 3 700 docteurs juniors supplémentaires par an d'ici à 2026. Pouvez-vous détailler la montée en charge de ce dispositif ?

Monsieur le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, je constate également une forte baisse du choix de la SVT en terminale. Cela affecte-t-il la formation des futurs étudiants en santé ? Si l'on veut éviter que les étudiants se passent de LAS ou se lassent de Pass, ne faudrait-il pas revoir l'attrait de ces disciplines dès le lycée ?

Mme Anne Souyris. - Comment intégrez-vous l'approche One Health, c'est-à-dire la santé environnementale, dans les études de santé ? C'est un enjeu de prévention.

Par ailleurs, est-il pertinent de proposer une passerelle entre des disciplines très éloignées, comme la philosophie et la médecine ? Un étudiant qui échoue en première année de médecine doit-il vraiment être orienté vers un cursus qui n'a rien à voir ?

Ensuite, certains élèves ne choisissent pas les bonnes spécialités en terminale, si bien qu'ils doivent faire une passerelle pour poursuivre des études de médecine. Or les LAS imposent des matières annexes - avec des cours parfois en distanciel, comme à la Sorbonne -, alors que ces étudiants auraient besoin d'un renforcement scientifique intensif. Ce dispositif est-il réellement adapté ? Avez-vous envisagé de créer des prépas publiques pour aider ces étudiants à rattraper leur niveau sans passer par des structures privées coûteuses ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Je parlerai avec mon coeur, en tant qu'élue d'une petite commune rurale, où tant de patients se trouvent sans médecin référent, où des femmes attendent un an pour une mammographie.

En 2021, la délégation aux droits des femmes a publié un rapport sur la situation des femmes dans les territoires ruraux, dans lequel nous avons abordé la question de la santé. Je rappelle que près de 88 % de nos communes sont rurales et qu'un tiers de la population y réside. Pourtant, on compte 2,6 gynécologues pour 100 000 habitants en moyenne. Dans soixante-dix-sept départements, le taux est inférieur à la moyenne nationale et dans treize, il n'y a tout simplement aucun gynécologue. Aussi, 40 % des femmes vivant en milieu rural ne bénéficient pas du dépistage du cancer du col de l'utérus. L'injustice est criante, d'où l'intitulé de notre rapport : Femmes et ruralité : en finir avec les zones blanches de l'égalité.

Nous avons donc recommandé d'imposer aux jeunes médecins trois années de service en zone sous-dotée ou rurale. Quelle est votre position sur ce point ?

Par ailleurs, lors d'une mission d'information présidée par Mme Corinne Imbert, nous avons étudié la formation des médecins en herboristerie. Le nombre d'heures a-t-il augmenté ?

Enfin, l'intelligence artificielle bouleverse l'exercice médical. Comment anticipez-vous ces évolutions ?

Mme Élisabeth Doineau. - Nous faisons tous le même diagnostic sur l'accès aux études de santé ; reste à savoir quelles solutions mettre en oeuvre.

J'ai apprécié la volonté du ministre de la santé d'explorer toutes les pistes pour recruter un maximum de futurs de professionnels de santé, parmi ceux qui partent étudier à l'étranger ou parmi ceux qui peuvent être intéressés, dans nos territoires par ces études. Par exemple, les premières années de médecine dans des départements sans faculté fonctionnent très bien, que ce soit dans la Nièvre ou à Laval.

Mais avons-nous réellement exploré toutes les possibilités ? Je pense notamment aux étudiants qui, il y a cinq ans ou plus, ont échoué en première année de médecine malgré de bonnes notes. Beaucoup se sont réorientés vers des masters ou d'autres professions, sans pour autant être pleinement épanouis dans leur choix. Pourquoi ne pas investir dans ces personnes qui ont peut-être envie de reprendre des études de médecine ? Comme l'a dit M. Neuder, certains pays proposent jusqu'à 200 000 euros pour les convaincre ! Une analyse approfondie de cette question pourrait être précieuse.

Qu'en est-il également des jeunes qui, faute de moyens, n'ont pas pu partir à l'étranger ?

Je propose d'engager une étude prospective à ce sujet.

M. Pierre Ouzoulias. - L'analyse des études médicales doit être systémique. Or les internes connaissent l'un des taux de suicide les plus élevés ; beaucoup se sentent surexploités à l'hôpital, ce qui les conduit parfois à des actes désespérés. Il faut donc veiller à ne pas leur imposer de nouvelles obligations, notamment d'affectation territoriale, alors qu'ils ont déjà l'impression d'être lourdement mobilisés par l'État.

Je rappelle également une vérité souvent oubliée : les étudiants en médecine sont les seuls étudiants qui rapportent de l'argent à l'État. Ils fournissent un travail largement supérieur au coût de leur formation. Il est essentiel de ne pas les pressurer indéfiniment, sous peine d'atteindre un point de rupture.

Enfin, je voudrais évoquer la territorialisation des universités. Un excellent rapport du président Lafon l'a démontré : la surmétropolisation des études supérieures a vidé certains territoires. Or, en France, les universités sont aussi des outils d'aménagement du territoire. Peut-être serait-il temps d'oublier un instant le classement de Shanghai et revenir sur le plateau de Millevaches, si vous me permettez l'expression.

M. Bernard Fialaire. - La première discrimination sociale, c'est l'interdiction du redoublement. Hier encore, le doyen de la faculté de médecine de Lyon m'a dit que de nombreux étudiants des quartiers réussissaient en deuxième année après un premier échec. Ces étudiants avaient besoin d'une année d'acculturation. La sélection se fait dès le lycée, on le sait : les enfants de CSP+ se retrouvent dans les lycées d'excellence des grandes villes.

Autre problème : les officines privées qui accompagnent les étudiants. Certaines familles - toutes n'en ont pas les moyens ! - paient des prépas privées dès la première ou la terminale pour préparer l'entrée de leurs enfants en médecine. Cela pose une véritable question sur l'enseignement universitaire : si celui-ci est censé être gratuit, pourquoi faut-il payer des cours privés à côté pour réussir ? À Lyon, le doyen a évalué à 2 millions d'euros le chiffre d'affaires de ces structures, désormais convoitées par des fonds d'investissement.

Certains avancent qu'une seconde chance en première année serait une perte de temps. Pourtant, nombre d'étudiants en classes préparatoires ne réussissent pas du premier coup et ne voient pas leur avenir compromis pour autant. Par exemple, la présidente de l'Association des maires du Rhône a raté sa première année de médecine ; après son redoublement, elle a été major de promo chaque année.

Enfin, l'Allemagne, qui est confrontée aux mêmes difficultés de désertification médicale, réserve désormais un nombre de places en médecine aux étudiants recalés, en leur proposant de s'engager pour dix ou quinze ans en zone rurale, sur le modèle de l'école de santé des armées. Plutôt que d'écarter définitivement de brillants étudiants pour quelques dixièmes de point, pourquoi ne pas explorer cette piste ?

M. Jacques Grosperrin. - Les prochaines années seront décisives. N'ayez pas la main qui tremble ! C'est ubuesque que des étudiants refusent d'exercer dans un territoire au prétexte qu'ils ne le connaissent pas. Cela illustre les difficultés que pose le principe de la liberté d'installation.

Les chiffres que vous avancez sont effrayants : près de 54 % des dentistes feraient leurs études à l'étranger... Je pense aussi à une étudiante vétérinaire lyonnaise partie à Turin, qui revient grâce à Erasmus. Si nous facilitons encore plus les passerelles pour ces étudiants, nous favorisons, non pas la triche, mais un système qui profite aux CSP+, à ceux qui ont les moyens d'aller étudier ailleurs. Pourquoi ne pas plutôt augmenter le nombre d'étudiants en médecine en France, qui est actuellement de 11 000 ? La démographie lycéenne baisse, et bientôt, nous manquerons même de candidats.

Il faut partir des territoires. Mme la ministre Vautrin a inauguré, dans le Doubs, un institut de formation en santé financé par la région uniquement à hauteur de 30 millions d'euros. Pourquoi ne pas davantage impliquer les collectivités territoriales dans la formation des professionnels de santé ? Je crois qu'elles seraient nombreuses à vous suivre.

M. Philippe Baptiste, ministre. - Le baccalauréat et la réforme de l'accès aux études médicales soulèvent une question plus large : le désintérêt croissant des lycéens pour les sciences. Ce phénomène, que l'on trouve aussi dans l'enseignement supérieur, pose un véritable problème. Il est essentiel qu'une grande majorité de médecins aient une solide formation scientifique, même si l'excellence en mathématiques n'est pas une condition absolue.

Les passerelles vers les études médicales sont marginales : seulement 5 % des places en médecine sont attribuées à des étudiants ayant validé un master ou un diplôme d'ingénieur, soit 1 000 étudiants. Si cette diversité des parcours est précieuse, elle allonge néanmoins la durée des études. Faut-il élargir ces dispositifs ? C'est une piste intéressante, mais la durée des études serait significativement allongée.

Le déterminisme social et géographique est une réalité. Selon la Drees, en 2006, 40 % des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes étaient issus de familles de cadres supérieurs, contre seulement 13 % pour les infirmières. De plus, les étudiants venant de milieux ruraux sont statistiquement plus enclins à s'installer en zones sous-dotées. Réduire ces inégalités est un enjeu majeur.

Un effet positif de la réforme est l'augmentation du nombre d'antennes universitaires avec une composante santé. Aujourd'hui, 75 % des départements proposent une première année de formation médicale. Il reste des efforts à faire, mais ce maillage territorial permet de diversifier les profils d'étudiants et de toucher tous les bassins de formation.

Il est aussi crucial de mieux informer les lycéens sur les études de santé, notamment en dehors des grands lycées urbains. Les cordées de la réussite sont un dispositif efficace : des étudiants en médecine de deuxième ou troisième année accompagnent des élèves de leur ancien lycée pour leur montrer que ce parcours est accessible.

L'intelligence artificielle est une rupture pour les praticiens de demain. Elle affectera profondément leur métier et leur manière de poser un diagnostic. Il est donc essentiel que la formation en santé intègre des enseignements en mathématiques et en informatique.

Je suis favorable à l'idée d'offrir plusieurs chances d'accéder aux études médicales. Dire à un étudiant qu'il n'a qu'une seule chance et qu'il ne pourra jamais la retenter n'est pas acceptable. Il faut réfléchir aux modalités : un redoublement strict ou une possibilité d'intégration à d'autres moments du cursus. C'est un sujet que les doyens et présidents d'université examinent déjà, et il mérite une attention particulière.

M. Yannick Neuder, ministre. - Il est important de réaffirmer la dimension scientifique des études de santé. L'enjeu est de maintenir un équilibre : diversifier les profils sans négliger l'excellence scientifique.

Madame Le Houerou, la régionalisation est une préoccupation majeure. Retisser du lien avec les territoires répond aux préoccupations des étudiants, confrontés aux coûts de la vie estudiantine, comme à celles des élus et des régions qui financent ces formations.

Je suis favorable à toutes les initiatives locales ; je les ai moi-même encouragées lorsque j'étais vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, monsieur Ziane.

Madame Gruny, nous ferons passer quelques messages aux différents doyens.

Par ailleurs, je rappelle que le jury évaluant les Padhue est souverain. De plus, au-delà de l'origine ethnique ou du lieu de formation des médecins, la priorité doit être de savoir s'ils ont les compétences pour soigner la population.

Au reste, notre système génère ses propres praticiens diplômés hors Union européenne, comme en témoigne le fait que 54 % des dentistes inscrits en France ont suivi leurs études à l'étranger. Le président du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes réfléchit à ce sujet, au vu de l'existence de déserts médicaux en odontologie.

La question centrale est donc celle de l'évaluation des compétences et des connaissances. Selon les retours des professionnels, les Padhue obtiennent souvent des résultats satisfaisants sur le plan théorique, mais nécessitent un accompagnement sur la pratique. C'est pourquoi il est fondamental de les intégrer en stage, afin d'évaluer leur maîtrise des gestes médicaux.

Qu'il s'agisse des Padhue ou de tout autre étudiant en santé, il ne saurait être question de valider un parcours sans un niveau de compétences et de connaissances suffisant. La responsabilité envers les patients et la sécurité des soins imposent cette exigence. Les Padhue qui n'ont pas obtenu une validation satisfaisante bénéficient actuellement d'une autorisation transitoire d'exercer et d'un statut de praticien hospitalier contractuel. Ils ont aussi la possibilité de se représenter pour une nouvelle évaluation.

Nous travaillons à une réforme qui permettra une évaluation locale de leurs compétences, tout en veillant à garantir un niveau strict pour exercer comme médecin en France.

Monsieur Ros, il ne faut pas confondre les 3 700 docteurs juniors en médecine générale pour lesquels nous devons trouver des lieux de stage d'une part, l'augmentation du nombre d'étudiants en médecine due à la réforme du numerus apertus d'autre part. Cette dernière date de 2019 et ne concerne pas les docteurs juniors actuels.

Je partage le point de vue de Mme Souyris : près de 40 % à 60 % des maladies de demain seront liées à des contaminations animales, souvent dues aux dérèglements climatiques. Tout est interconnecté, et l'approche One Health doit être intégrée dans les études de santé. Toutefois, ce sujet dépasse le cadre de la réforme actuelle.

Sur la santé mentale, plus nous aurons d'étudiants en santé, plus nous espérons qu'un nombre croissant s'orientera vers la psychiatrie. Aujourd'hui, 60 % des étudiants considèrent cette spécialité comme moins attractive et 30 % des internes appréhendent d'exercer en psychiatrie. C'est un enjeu à prendre en compte.

Il est important de préciser que l'herboristerie relève des pharmaciens. Il n'existe pas de formation spécifique en herboristerie dans les études de santé, sauf erreur de ma part.

Par ailleurs, j'ai annoncé un plan lors du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle : dès septembre 2025, 100 000 étudiants par an, soit 500 000 au total sur cinq ans, bénéficieront de modules de formation sur l'intelligence artificielle en santé. L'objectif est d'optimiser le diagnostic, par exemple via des outils de lecture accélérée et sécurisée des radiographies.

Mme Doineau a raison, la Mayenne affiche de bons résultats en première année de médecine. Concernant les passerelles vers les études médicales, nous devons mieux comprendre le parcours des étudiants qui, bien que n'ayant pas atteint le seuil requis pour poursuivre leurs études de médecine, disposent d'un bon niveau. Une passerelle existe aujourd'hui pour les professionnels de santé qui souhaitent reprendre des études médicales après plusieurs années de pratique. Il convient de déterminer à quel niveau les intégrer. Cela dit, dans le cadre des reconversions post-covid, on constate que des ingénieurs ou d'autres professionnels qui sont en quête de sens envisagent des études de santé. Il serait pertinent d'imaginer une passerelle pour qu'ils puissent intégrer le deuxième cycle après une remise à niveau d'un ou deux ans. Nous allons travailler sur ce sujet avec la conférence des doyens de médecine.

Il faut faire attention à la surexploitation des étudiants en santé à l'hôpital, où leur charge de travail est très élevée ; cela dit, convertir tous les postes d'internes en médecins hospitaliers représenterait une dépense supplémentaire. Le dédommagement des études intervient justement durant l'internat.

Concernant les classes préparatoires, je voulais souligner qu'un étudiant en prépa qui ne réussit pas son concours peut souvent se réorienter vers une autre formation grâce aux compétences acquises. En revanche, un étudiant ayant effectué deux premières années de médecine sans réussite n'obtient aucune équivalence. Ce n'est pas une perte, mais cela rend la réorientation plus difficile. C'est pourquoi je défends l'idée du redoublement en première année, qui doit être intégré dans la réforme que nous préparons avec le ministère de l'enseignement supérieur. Certains estiment que son interdiction actuelle est discriminante. Je partage cette vision : près de 80 % des médecins de ma promotion n'auraient pas pu exercer sans cette deuxième chance, et ils sont aujourd'hui d'excellents praticiens.

Monsieur Fialaire, je comprends votre proposition d'offrir une seconde chance à ceux qui ont échoué de peu, en les incitant à exercer en milieu rural. Toutefois, il faut éviter de créer un clivage entre des médecins mieux classés en ville et d'autres moins bien classés en campagne. Nous devons trouver un équilibre pour ne pas instaurer une médecine à deux vitesses.

Enfin, l'enjeu de la réforme que nous proposons est d'augmenter le nombre de médecins. Le passage du numerus clausus au numerus apertus montre ses limites : le rapport de la Cour des comptes et vos retours le confirment. Mon souhait est de remplacer la sélection actuelle par un examen, permettant de fixer un seuil de compétence à atteindre, en fonction des besoins des territoires et des capacités universitaires.

C'est tout l'objet de l'article 1er de la proposition de loi, qui, je l'espère, sera examinée avec attention par le Sénat au cours de la semaine du 19 mai prochain. Nous comptons aussi sur l'appui des collectivités territoriales dans ce projet.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 25.