Jeudi 27 mars 2025

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

La réunion est ouverte à 09 heures.

Audition de Mme Sylvie Retailleau, ancienne ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, professeure à l'Université Paris Saclay-PSL

Mme Dominique Vérien, présidente. - Chers collègues, dans le cadre de nos travaux sur la thématique « Femmes et sciences », nous avons le plaisir d'accueillir Sylvie Retailleau, ancienne ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, ancienne présidente de l'Université Paris-Saclay, actuellement professeure d'université.

Madame la ministre, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie pour votre présence parmi nous ce matin.

Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat. La délégation aux droits des femmes y est très bien suivie.

Nous avons entamé nos travaux le 13 février dernier, à l'occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de sciences, avec la présentation du rapport de l'Académie des sciences publié en juin 2024 intitulé : « Sciences, où sont les femmes ? ».

Les femmes représentent moins d'un tiers des chercheurs scientifiques en France. Ce chiffre stagne ces dernières années. Elles sont encore moins nombreuses à occuper des postes à responsabilité au sein des laboratoires de recherche ou des départements R&D des entreprises.

Cette sous-représentation est la conséquence d'une orientation insuffisante des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée, puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques.

En 2023, la France ne comptait que 13 % d'étudiantes universitaires diplômées dans les domaines des Sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM), contre 40 % d'étudiants diplômés. Par ailleurs, 45 % des filles élèves de terminale n'avaient choisi aucun enseignement de spécialité en sciences, contre 28 % des garçons.

Il semblerait en outre que la moitié de celles qui se lancent dans des carrières scientifiques après leurs études quitte le monde scientifique au cours des dix années suivantes. S'il est très important de lutter contre les stéréotypes de genre dès le plus jeune âge, il faut également s'assurer ensuite que celles qui choisissent les filières scientifiques y trouvent durablement leur place.

Au cours de nos travaux, nous chercherons donc à répondre aux questions suivantes :

- comment amener davantage de filles vers les mathématiques et les sciences, dès le plus jeune âge et tout au long de leur scolarité ?

- Comment encourager les jeunes filles et femmes à poursuivre une carrière scientifique et à prendre des postes à responsabilité ?

- Comment mieux valoriser des rôles modèles de femmes scientifiques et lutter contre les stéréotypes à tous les niveaux ?

Avec les quatre rapporteures désignées par la délégation sur cette thématique, mes collègues Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, il nous a semblé important d'entendre Sylvie Retailleau, physicienne reconnue. En tant que ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche entre 2022 et 2024, elle a été au coeur des politiques publiques pouvant avoir un impact sur la place des filles dans les filières scientifiques.

Madame la ministre, vous aviez ainsi déclaré lorsque vous étiez en poste au Gouvernement : « en tant que ministre, je travaille à créer les conditions pour qu'il y ait plus de femmes qui choisissent les métiers des sciences et de la technologie. C'est essentiel, car avoir plus de femmes scientifiques permettrait de réduire les biais apportés par des modèles uniquement masculins. »

Mme Sylvie Retailleau, ancienne ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, professeure à l'Université Paris Saclay-PSL. - Merci de m'avoir invitée à intervenir sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Cette problématique existe en réalité depuis plusieurs décennies. La question de la place des femmes dans les sciences concerne non seulement la France, mais également de nombreux pays européens, et plus largement les nations occidentales. Il est donc impératif de poursuivre inlassablement la réflexion et l'action pour y apporter des réponses concrètes.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je précise que j'emploierai ici le terme « sciences » dans un sens restreint, en me concentrant sur les sciences naturelles dans les disciplines scientifiques et technologiques. En effet, c'est précisément dans ces domaines que la présence des jeunes filles et des femmes demeure insuffisante. Bien entendu, les sciences humaines et sociales sont tout aussi légitimes, mais nous pourrions plutôt nous y interroger sur la présence masculine.

Pour illustrer mon propos, je souhaiterais commencer par vous raconter une anecdote qui me semble particulièrement révélatrice. Un père et son fils sont victimes d'un grave accident de voiture. Le père décède sur le coup, tandis que l'enfant, grièvement blessé, est conduit d'urgence à l'hôpital. Au moment de l'opérer, le chirurgien, en le voyant, s'exclame : « Je ne peux pas l'opérer, c'est mon fils. » Instinctivement, beaucoup d'entre vous auront peut-être pensé : « C'est impossible, son père est mort. » Or, ce chirurgien est sa mère. Cette réaction spontanée met en lumière la force des stéréotypes de genre. Même lorsque l'on est sensibilisé à ces enjeux, même dans un cadre institutionnel consacré aux femmes et aux sciences, nous demeurons conditionnés par des schémas implicites.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Vous avez dit « chirurgien », et pas chirurgienne ».

Mme Sylvie Retailleau. - En effet ! Cette anecdote, largement diffusée, trouve son origine dans un ouvrage anglo-saxon dont je pourrais vous donner la référence, et est reprise par Emmanuelle Zolesio dans son livre « Chirurgien au féminin ». Or, en anglais, le terme « surgeon » est neutre. Pourtant, cette expérience révèle que, quelle que soit la langue, la question du genre dans les représentations professionnelles demeure prégnante. L'usage du masculin pour désigner certaines professions contribue à perpétuer ces stéréotypes, tandis que la féminisation des noms de métiers, que permet notre langue, peut constituer un levier pour en atténuer les effets. Toutefois, dans d'autres langues où cette flexibilité n'existe pas, la réflexion doit être menée différemment.

L'ouvrage d'Emmanuelle Zolesio, que je citais il y a quelques instants, illustre précisément ces mécanismes en mettant en lumière les obstacles auxquels sont confrontées les femmes dans le domaine de la chirurgie. Bien d'autres témoignages en attestent.

Vous avez évoqué brièvement mon parcours. Je m'appuierai avant tout sur mon expérience en tant que ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi que sur ma carrière d'enseignante-chercheuse-physicienne, dans les domaines de l'électronique et des nanosciences, orientés vers les sciences pour l'ingénieur. Dans ce secteur, j'ai souvent figuré parmi les rares femmes présentes. Lorsque j'ai exercé des responsabilités au sein de l'université ou de l'État, j'ai constaté le même phénomène d'absence de féminisation.

Les femmes sont encore fortement sous-représentées dans les métiers scientifiques et technologiques. Selon une étude de l'UNESCO, datant de 2018, moins de 30 % des chercheurs sont des femmes dans de nombreux pays occidentaux. Depuis lors, la situation n'a évolué que très faiblement.

Le même constat s'applique aux formations dans ces disciplines. En France, on ne comptait que 27 % de filles parmi les diplômés des écoles d'ingénieurs françaises en 2018. En 2022, elles étaient 29 %. À ce rythme, on pourrait envisager une parité dans ces écoles vers l'an 2150. Malheureusement, on observe actuellement une tendance à la baisse.

Il est pourtant primordial de souligner que les compétences nécessaires dans ces métiers n'ont absolument rien à voir avec le genre. Cette évidence doit être affirmée clairement et sans réserve. De plus, les talents féminins dans les métiers d'ingénieur ou de chercheur sont particulièrement recherchés et ce, de manière accrue.

Pourquoi cette demande est-elle si forte ? Ce n'est pas uniquement une question en lien avec des statistiques ou le risque de se priver de la moitié de la population, bien que cette raison soit déjà légitime. Notre présence, celle des femmes comme celle des hommes, est indispensable à une compréhension globale, sans biais sociaux. Si les secteurs scientifiques, comme la physique, les mathématiques, le numérique ou les sciences de l'ingénieur, étaient exclusivement dominés par les hommes, certaines recherches ne seraient pas menées et certaines découvertes ne verraient jamais le jour. Le monde serait alors construit par et pour les hommes.

Il existe de nombreux exemples de biais présents dans les technologies, comme celui des systèmes de climatisation qui, souvent programmés selon la température corporelle masculine, ne tiennent pas compte des spécificités physiologiques des femmes. Si ces dispositifs étaient adaptés aux différences physiologiques des deux sexes, on pourrait dire que les hommes ont souvent trop chaud, et non que les femmes sont « trop frileuses ». Ces ajustements pourraient avoir un impact significatif sur la santé et sur la manière dont nous concevons nos environnements.

Pourquoi, et comment résoudre ces constats ? Je pense que la situation géopolitique dans certains pays - aux États-Unis ou en Hongrie, par exemple - est à mettre en lien avec le sujet d'attractivité des sciences. Les jeunes sont de moins en moins attirés par les sciences et technologies. Pour cette raison, nous avons besoin de formation.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à des défis majeurs, qu'ils soient environnementaux, technologiques ou sociétaux, pour lesquels des solutions audacieuses sont nécessaires. Les scientifiques, les ingénieurs et les inventeurs doivent jouer un rôle clé dans ce contexte.

Il s'agit également d'une question de souveraineté nationale. La science et l'industrie sont les piliers de l'économie de demain. Sans progrès scientifique, il n'y aura pas d'industrie performante à l'avenir. L'influence de la France en Europe et au-delà dépend largement de ses avancées scientifiques et industrielles. Pourtant, nous ne tirons pas suffisamment parti de la diplomatie scientifique, qui constitue un levier précieux.

Ce sujet est également fondamental pour la cohésion sociale et territoriale. En effet, les laboratoires, les entreprises et les collectivités jouent un rôle essentiel dans le dynamisme des territoires, contribuant ainsi à leur développement et à leur cohésion.

Les études scientifiques, en particulier dans les domaines des mathématiques et de la physique, sont, selon moi, porteuses d'ascension sociale. Elles offrent des opportunités réelles de réussite, souvent plus facilement que d'autres disciplines telles que la littérature ou les sciences humaines et sociales, où il est parfois plus difficile de s'épanouir sans un « bagage » culturel et social favorable.

Cet enjeu prend également une dimension particulière au regard de la démocratie. À une époque où les crises, qu'elles soient politiques, climatiques, sanitaires ou sociales, perturbent profondément l'équilibre mondial et déplacent les exigences en matière de vérité, il me semble que la démarche scientifique constitue le meilleur moyen de préserver l'esprit critique. Elle participe également à la lutte contre la désinformation, et permet à chaque citoyen de faire des choix éclairés.

Le rapport « Sciences et société » est primordial dans ce contexte. Il est pertinent de tirer des enseignements de la position de la France sur la question de la confiance en la science, la place de la science dans notre société et, en particulier, la proportion de femmes dans les métiers scientifiques. À ce sujet, une enquête menée par l'OCDE offre des perspectives intéressantes, et permet de positionner notre pays par rapport à d'autres.

Permettez-moi de m'arrêter sur quelques données extraites de cette enquête. En 2022, au Portugal, 37 % des diplômés dans les STIM étaient des femmes, contre 31 % en France. La moyenne des pays de l'OCDE se situe à 32 %. Le Portugal compte 42,6 % de femmes parmi ses chercheurs, contre moins de 30 % eu France. De plus, 36 % des Portugais souhaitent en savoir davantage sur les développements scientifiques, contre seulement 17 % des Français, la moyenne de l'OCDE étant de 16 %. Enfin, 64 % des Portugais fréquentent régulièrement ou occasionnellement des lieux de diffusion de culture scientifique, tels que des musées, contre 37 % des Français en 2022.

Ces chiffres suscitent la réflexion : le Portugal a-t-il toujours présenté ces statistiques ? Sachez qu'en 2005, seulement 5 % des Portugais fréquentaient ces lieux. Comment expliquer une telle progression ?

Si une solution unique existait, nous l'aurions sans doute identifiée et mise en oeuvre depuis longtemps. Il va sans dire que la question des femmes et des sciences constitue un problème complexe. Ce sujet doit être abordé à plusieurs niveaux et tout au long du parcours scolaire, voire tout au long de la vie, tant pour les femmes que pour les hommes.

Cependant, à mon sens, la principale raison du succès observé au Portugal réside dans la création, en 1996, de l'agence nationale pour la culture scientifique et technique, Ciência Viva. Elle a déployé un programme d'activités scientifiques extrascolaires novateur, particulièrement marquant. Le Portugal a fait le choix d'une politique publique ambitieuse, mise en oeuvre sur le long terme. Cet élément est fondamental. Il est évident que ce problème, qui persiste depuis de nombreuses années, ne pourra être résolu en quelques mois ou dans le cadre de mandats politiques. Il requiert une politique publique durable, portée par une vision à long terme, qui doit s'étendre sur plusieurs générations. Cette politique doit être interministérielle, englobant l'enseignement primaire, secondaire et supérieur, mais aussi la culture, et être pilotée non seulement à l'échelle nationale, mais aussi par un réseau territorial dense, avec des structures de gouvernance locales.

Au Portugal, l'interpénétration entre les sciences et la société se construit dès le plus jeune âge, dès l'école primaire, à travers une approche expérimentale et des expositions régulières de la population à la culture scientifique. Le pays prend en charge les jeunes très tôt et ne les abandonne jamais. Cette approche a généré un impact considérable, non seulement sur les biais de genre et l'autocensure des jeunes filles envers les sciences, mais aussi sur l'ouverture d'esprit critique au sein de la population et sur la confiance en la science.

Il est fondamental d'enseigner les sciences dès le plus jeune âge. L'étape de l'école primaire me semble essentielle dans ce contexte. En effet, l'enseignement des sciences doit commencer dès l'école primaire et être poursuivi tout au long du cursus secondaire.

À ce jour, 80 % des étudiants intégrant les masters MEEF, qui forment les futurs enseignants du primaire et du secondaire, sont issus de licences en sciences humaines et sociales, ou en droit, économie-gestion. Ils n'ont donc quasiment aucune culture en mathématiques, en sciences ou en techniques, matières absentes de leur parcours universitaire pendant les trois années précédentes. Pire, certains n'ont pas suivi d'enseignements scientifiques en première et terminale.

À cet égard, une réforme de la formation des enseignants, tant du premier que du second degré, doit permettre d'offrir aux professeurs des écoles une solide formation pluridisciplinaire. Celle-ci doit couvrir l'ensemble des matières enseignées à l'école primaire, y compris les sciences, et pas uniquement les mathématiques, bien que ces dernières constituent une base essentielle. Il est crucial de mentionner spécifiquement les sciences, car nous avons souvent tendance, dès le plus jeune âge, à accorder une attention excessive à la dimension théorique des mathématiques, ce qui tend à négliger d'autres domaines tout aussi importants.

C'est d'ailleurs dans ce cadre que nous avons travaillé, avec le ministère de l'Éducation nationale, sur la réforme qui devrait bientôt être mise en oeuvre. Celle-ci prévoit un programme de formation pluridisciplinaire dès le cycle de la licence. Il me semble primordial de porter une attention particulière à la manière dont les sciences sont enseignées, ainsi qu'à la façon dont elles sont introduites au cours de la formation des enseignants. Plus que l'apprentissage en soi, qui reste bien entendu fondamental, il est nécessaire de dépasser les blocages que l'on rencontre, en particulier en France, vis-à-vis des sciences. Ils sont souvent présents chez de nombreux professeurs des écoles qui, bien que compétents et passionnés, éprouvent une appréhension à enseigner les sciences, en raison de leur propre inconfort avec ce domaine depuis leur enfance. Nous devons nous attaquer à ces appréhensions.

Il est également fondamental d'inclure dans ces formations une sensibilisation aux biais de genre qui peuvent être présents, dès le primaire, chez les enseignants vis-à-vis de leurs élèves. Il s'agit de leur fournir les outils nécessaires pour identifier et surmonter ces biais. Je fais ici référence notamment aux attentes et aux encouragements formulés par les professeurs à l'égard de leurs élèves. Je parle aussi du temps d'attention et d'interaction accordé à chaque élève en classe, ainsi que de la manière dont les questions sont posées, tant aux filles qu'aux garçons, sur tous les sujets.

En ce qui concerne l'évaluation et la notation, il est regrettable de constater que, même aujourd'hui, des biais persistent. J'ai moi-même observé ces phénomènes, au cours des ateliers que j'anime dans les écoles primaires depuis quinze ans. En 2019, je constatais encore dans certains bulletins que les filles étaient qualifiées de « sérieuses et motivées », tandis que les garçons étaient décrits comme « intelligents et brillants ». De tels biais, qu'ils soient conscients ou inconscients, demeurent présents et doivent impérativement être identifiés.

Ces biais peuvent occasionner des conséquences importantes sur l'estime de soi des élèves, leur motivation, et donc sur leur orientation future. En adoptant une approche éducative équitable et inclusive, prenant en compte tous les aspects de cette problématique, nous permettons à chaque élève de réaliser son potentiel, et ce, indépendamment de son genre.

Bien entendu, l'orientation des élèves joue un rôle clé dans ce processus. Dès le plus jeune âge, il est essentiel de les orienter de manière appropriée, non seulement en leur présentant les différentes disciplines scientifiques, mais aussi en les sensibilisant aux métiers liés à ces domaines. L'attractivité des métiers scientifiques constitue ainsi un autre enjeu important, particulièrement au niveau du secondaire.

Il est peut-être pertinent, dans un premier temps, de poser directement la question aux jeunes : que conçoivent-ils lorsqu'ils pensent aux métiers d'ingénieur ou de chercheur ? Ces professions peuvent, à leurs yeux, sembler abstraites ou difficiles à appréhender. Elles souffrent souvent , chez les jeunes filles, de perceptions erronées, mais parfois justifiées, de milieux marqués par la compétition individuelle. Il est important de nuancer cette idée. Dire que les filles redoutent la compétition serait une vision réductrice. En effet, elles sont nombreuses en première année de médecine, études pourtant très compétitives. Le véritable enjeu réside peut-être dans la manière dont la compétition est vécue et perçue, notamment au sein des classes préparatoires.

Il est donc crucial de repenser la présentation de cette compétition individuelle, et peut-être de réorienter les objectifs pour mieux répondre aux aspirations des jeunes.

En parallèle, certains secteurs industriels restent aujourd'hui perçus comme des métiers du passé, associés au XXe siècle, dénués de sens ou en décalage avec la vision de l'avenir par les jeunes générations. De même, le métier de chercheur peut sembler, à tort ou à raison, solitaire, axé sur la recherche de réponses à des questions complexes sans but apparent. Il est donc primordial de donner du sens à ces métiers, d'une manière ou d'une autre.

Une manière de remédier à ce phénomène pourrait consister à introduire ces métiers dès le collège, notamment à travers des stages de découverte et des rencontres professionnelles. Le lien avec des modèles inspirants est fondamental ; les jeunes doivent être exposés à une diversité de rôles modèles, qu'ils soient présents dans les livres, les médias, ou dans la vie réelle. Ces métiers doivent être présentés comme des professions ayant un impact profond sur l'avenir de notre planète, la qualité de vie des individus et la réduction des inégalités sociales. Ils doivent être en résonance avec les aspirations des jeunes et les enjeux sociétaux.

Il est également essentiel de mettre en lumière les femmes en sciences, en tant que rôles modèles. Elles sont trop souvent ignorées malgré leur contribution historique. Des femmes telles qu'Ada Lovelace, qui écrivit les premières lignes de code informatiques dès 1842, Lise Meitner, pionnière de la fission nucléaire, Rosalind Franklin, qui participa à la découverte de l'ADN, et Jocelyn Bell, qui découvrit les premiers pulsars, ont marqué l'histoire scientifique, souvent sans recevoir la reconnaissance qu'elles méritaient. Parmi ces femmes, beaucoup ont été flouées de leur prix Nobel, malgré leurs découvertes majeures. La médaille Fields de mathématiques, une distinction prestigieuse, n'a été attribuée qu'à deux femmes jusqu'à présent, dont Maryam Mirzakhani, la première à la recevoir en 2014.

Dans le monde industriel, des femmes comme Christel Heydemann, PDG d'Orange, Catherine MacGregor, PDG d'Engie, et Sheryl Sandberg, ancienne dirigeante de Facebook, illustrent également des modèles de leadership féminin dans des secteurs traditionnellement dominés par les hommes. Sheryl Sandberg a d'ailleurs publié un ouvrage éclairant sur les défis rencontrés par les femmes occupant des postes à responsabilité et de leadership. S'appuyant sur une étude de la Harvard Business School, elle démontre que les femmes qui brisent les stéréotypes de genre et affichent leur réussite professionnelle sont souvent perçues de manière négative. Elles sont qualifiées d'autoritaire, voire agressive, ce qui n'arrive pas aux hommes dans des situations similaires. On observe fréquemment ce phénomène.

Je conclurais mon propos en évoquant quelques actions entreprises dans le cadre de mon mandat en tant que ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ces actions ont été mises en place dans le but d'améliorer la reconnaissance des compétences des femmes et leur visibilité, en particulier dans les secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Le premier levier a consisté en un renforcement progressif du cadre réglementaire des politiques d'égalité professionnelle au sein de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi, plusieurs lois ont été adoptées, telles que la loi Sauvadet de 2012, la loi Fioraso de 2013, la loi de transformation de la fonction publique en 2019, ainsi que la loi de programmation de la recherche en 2020. Ces textes, dont un bilan a été dressé sur trois ans, ont permis la mise en oeuvre d'actions visant à promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes, et à améliorer la progression des carrières féminines.

Par exemple, la loi de programmation de la recherche (LPR) pour les années 2021 à 2030 a introduit une initiative de « repyramidage », visant à rendre effective cette égalité entre hommes et femmes, notamment en matière de promotions, de progression de carrière et de rémunération. Cette nouvelle voie de promotion s'est avérée particulièrement bénéfique pour les femmes. En 2021 et 2022, 52 % des personnes promues étaient des femmes, alors qu'elles ne représentaient que 45 % des candidats, soit une proportion de promotions supérieure à celui des candidatures. En 2023, la part des femmes promues est montée à 54 %, tandis qu'elles constituaient seulement 44 % des candidats.

Le second levier a consisté à améliorer la reconnaissance et la connaissance de la situation professionnelle des femmes dans l'enseignement supérieur. Depuis 2016, le ministère publie chaque 8 mars une étude intitulée « Les chiffres de l'égalité », un recueil précieux mettant en lumière les disparités dans les choix d'orientation, mais aussi leurs conséquences, notamment la sous-représentation des femmes dans les filières scientifiques et dans les postes à responsabilité.

La loi Rixain de 2021 a permis d'aller plus loin, en levant certains obstacles à la mixité des filières et en accélérant l'égalité économique et professionnelle. Le ministère a élaboré trois décrets d'application imposant la production d'indicateurs relatifs à l'égalité des chances entre femmes et hommes, non seulement au sein des classes préparatoires, mais aussi dans tous les établissements publics de recherche et d'enseignement supérieur.

Le troisième levier a consisté dans la mise en place d'une approche globale et transversale des politiques publiques. Celle-ci s'est concrétisée, entre autres, par l'annonce d'Élisabeth Borne, alors Première ministre, en juin 2023, du lancement de l'initiative « Tech pour toutes ». Ce programme a pour objectif d'accompagner, d'ici 2026, 10 000 jeunes femmes désireuses de commencer ou de poursuivre des études d'ingénieur, en les soutenant tout au long de leur parcours, des études jusqu'à l'insertion au premier poste.

Enfin, des actions concrètes ont été entreprises pour améliorer les conditions de travail des femmes dans l'enseignement supérieur. Depuis 2019, le ministère a accompagné 181 établissements dans l'élaboration de leurs plans d'action pour l'égalité professionnelle. Chaque établissement est désormais tenu de se doter de ce plan d'action ou d'un schéma directeur. À partir d'octobre 2021, le ministère a également déployé un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur. Ce point me semble primordial pour l'épanouissement et les conditions de travail des femmes. L'objectif a été de franchir une nouvelle étape dans la lutte contre ces violences, en instaurant un changement de pratiques et une professionnalisation des établissements, tout en renouvelant les comportements à tous les niveaux.

À cette fin, nous avons également augmenté le budget alloué à ce combat. Des postes spécifiques ont été créés dans chaque rectorat afin d'accompagner les établissements dans leur professionnalisation sur cette thématique, et de suivre le développement des cellules dédiées au sein des établissements. Chaque année, une campagne de communication est lancée au début de l'année universitaire, visant à sensibiliser à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

L'attractivité des sciences et la présence des femmes dans ce domaine sont donc liées à l'action de multiples acteurs. Il s'agit d'un combat qui commence dès le plus jeune âge, se poursuit jusqu'à l'insertion professionnelle, et implique évidemment les entreprises et les employeurs. Bien que je n'aie pas abordé ce point en profondeur ici, car il ne relève pas directement de mon domaine d'intervention précédent, il est indéniable que ces acteurs ont un rôle primordial à jouer.

Ce défi nécessite une réponse globale, présentant un impact conséquent. Il nous faut aussi combiner différentes actions permettant de toucher un large public, incluant les jeunes, les familles - dont le rôle est fondamental -, ainsi que les employés dans l'Éducation nationale, l'enseignement supérieur, et, par la suite, les entreprises. Cette chaîne, indispensable et complémentaire, relie l'État aux acteurs de terrain, les pouvoirs publics aux entreprises, chacun ayant un pouvoir d'agir à son niveau tout en recherchant la meilleure coordination possible.

Je tiens à souligner l'importance du travail interministériel, ainsi que de l'engagement de l'État et des collectivités. Le travail de terrain réalisé par chaque acteur, quel qu'il soit, reste essentiel.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je vous remercie beaucoup pour votre intervention très intéressante et très complémentaire. En vous écoutant, j'ai réalisé que j'aurais pu être victime d'un biais de genre lorsque j'étais élève au collège. J'étais plutôt bonne élève, mais également assez turbulente, probablement pas « sérieuse et motivée ». À cette époque, on choisissait l'orientation en troisième. Le directeur, estimant que je ne correspondais pas aux critères, voulait m'empêcher de passer en seconde C, la seconde scientifique. C'est mon professeur de français, étonnamment, qui a pris ma défense en déclarant : « Si elle ne passe pas, je remets en cause toutes les autres orientations, et nous pouvons recommencer cette réunion à zéro ». C'est grâce à lui que j'ai pu continuer et, finalement, devenir ingénieure en travaux publics. Cela prouve qu'il s'agissait d'un problème de comportement et non de capacité. Je reconnais maintenant que ce comportement pouvait en effet être perçu comme typiquement masculin. Le fait d'avoir deux frères y a sans doute contribué.

Cette expérience me permet de rebondir sur un autre point. Lors de notre table ronde du 6 mars dernier qui réunissait plusieurs femmes de science aux parcours inspirants, nous avons eu la chance d'entendre Carole Mathelin, la première présidente de l'Académie nationale de chirurgie. Grâce à elle, nous pensons aujourd'hui aux chirurgiennes - je fais ici un clin d'oeil à votre anecdote introductive. En discutant, nous avons constaté que presque toutes les participantes avaient eu un professeur qui les avait orientées vers une filière scientifique, sinon elles auraient choisi une voie littéraire. Avez-vous vécu une expérience similaire ?

Par ailleurs, Françoise Combes, présidente de l'Académie des sciences, nous a fait part d'un phénomène relevé lors d'une étude menée par l'Académie des sciences, menée sur plusieurs années : le décalage observé entre les petites filles et les petits garçons dans les résultats d'évaluation en mathématiques, notamment entre le début et la fin du CP, n'a pas été remarqué lorsque l'école se faisait à la maison, durant la crise du covid. Cela semble indiquer que le biais provient davantage de l'école que de l'environnement familial. J'en ai été étonnée.

Puisque vous avez mentionné l'effet « Mathilda », j'aimerais porter à la connaissance de tous une pièce de théâtre intitulée « Le Prix », actuellement à l'affiche qui met en scène l'histoire de Lise Meitner, la physicienne ayant découvert la fission nucléaire flouée de son prix Nobel par un homme

Mme Laure Darcos, rapporteure. - Je connais Sylvie Retailleau depuis longtemps. Lorsqu'elle était présidente de l'Université Paris-Saclay, à une époque où les violences sexistes et sexuelles n'étaient pas encore abordées dans tous les secteurs, elle organisait régulièrement des jeux de rôle. Je me souviens d'une journée exceptionnelle à l'université, durant laquelle elle interrogeait de manière approfondie les professeurs, étudiants et chercheurs sur ce sujet. Vous avez été précurseure dans ce domaine.

Nous aurons sûrement l'occasion de revenir sur l'exemple du Portugal. D'après ce que j'ai compris, il s'agit d'une fête de la science ou d'une manifestation telle que « la main à la pâte » de grande ampleur, touchant les enfants dès le plus jeune âge. Chez nous, la fête de la science semble perdre un peu de son sens.

Je voudrais aussi rappeler que vous nous avez beaucoup soutenus, notamment lorsque vous étiez ministre, en interrogeant Pap Ndiaye sur la suppression des mathématiques dans la réforme du bac. Vous avez vous-même tenté d'alerter sur ce point.

Nous avons déjà trois ou quatre promotions de bacheliers qui n'ont pas fait de mathématiques depuis la seconde. Certains futurs enseignants du primaire n'auront pas la motivation nécessaire pour enseigner les mathématiques à leurs élèves.

Je me souviens également de nos échanges au moment de l'examen de la loi de programmation de la recherche, et des retours de certains chercheurs, notamment dans le domaine de la chimie et des sciences. Ne serait-il pas pertinent d'évoquer la question des quotas dans les concours ? À quel niveau faudrait-il les instaurer ? Est-ce ainsi que nous pourrions parvenir à une véritable égalité ?

J'ai récemment rencontré la nouvelle présidente du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), qui m'a indiqué que le Hcéres avait notamment pour mission d'effectuer des évaluations sur le genre, qui n'étaient toutefois pas publiées. Peut-être serait-il intéressant de l'interroger à ce sujet. Avez-vous connaissance de ces études ?

Mme Sylvie Retailleau. - Vous m'avez interrogée sur le rôle des enseignants dans le choix des carrières scientifiques. Pour ma part, je viens d'une famille qui n'était pas du tout orientée vers les sciences. Personne n'avait le bac. Je ne connaissais pas vraiment ce domaine. À l'origine, je souhaitais devenir chirurgienne. Je m'étais inscrite à la faculté proche de chez moi, car à l'époque, les forums d'orientation étaient très peu développés.

C'est mon professeur de mathématiques, en terminale, qui a convoqué mes parents et leur a dit que je devais m'orienter vers les mathématiques. Pour ma mère, il était préférable pour une femme d'être prof de maths que chirurgienne. À cette époque, j'étais une bonne élève en mathématiques, que je voyais comme un jeu. Je me suis donc dit « pourquoi pas ? » Je me suis donc orientée vers les classes préparatoires. Mon professeur de mathématiques m'y a inscrite à la dernière minute, en avril-mai, en prenant mon dossier en main.

Il m'a dit : « Tu as un an d'avance, si cela ne te plaît pas, ce n'est pas grave, après un an, tu reviendras à ton projet de devenir chirurgienne ». Quand on réussit, même partiellement, on continue ; c'est ce que j'ai fait. En classe préparatoire, j'étais donc déterminée à devenir professeur de mathématiques. Seulement, j'y ai découvert les mathématiques de haut niveau, notamment la topologie. Là, j'ai compris que cette discipline n'était pas faite pour moi. C'est ainsi que je me suis dirigée vers la physique, un domaine plus concret, qui me permettait de comprendre et de découvrir. Cette matière m'émerveillait et me fascinait. Elle était plus palpitante qu'un film de science-fiction.

En France, les parcours sont souvent très linéaires, comme si chaque individu devait suivre un chemin bien tracé. La reconnaissance de l'excellence se fait à travers des parcours strictement définis. À mon avis, c'est une erreur, notamment au XXIe siècle. Les parcours peuvent aussi se construire au gré des opportunités. C'est de plus en plus le cas. Je pense qu'il est important d'offrir aux jeunes, et aux filles en particulier, la possibilité de se tromper, de tester des voies différentes. Cela fait partie intégrante d'un parcours éducatif essentiel.

Ensuite, vous évoquiez le rôle de la famille ou de l'école dans le retard des filles observé en mathématiques. Je pense que chaque acteur a sa part de responsabilité.

Le rôle de la famille dans le développement culturel des individus est indéniable, mais il est évident que les biais présents à l'école en sont également une composante essentielle. Cela nous amène à questionner la manière dont la formation des enseignants, notamment dans les sciences dites « dures » et naturelles, se structure, car il est manifeste que ce sont principalement les garçons qui sont interrogés dans ces domaines. J'ai pu l'observer lors de mes ateliers en école primaire, où je me plaçais discrètement à l'arrière de la classe, prenant note de la façon dont les enseignants interrogeaient leurs élèves. En abordant des sujets tels que les trains ou l'énergie, ce sont généralement les garçons qui sont sollicités, tandis que les filles sont davantage interrogées sur des matières comme l'histoire. Ce phénomène se retrouve aussi dans la participation en classe, les garçons levant plus souvent la main que les filles.

Il est crucial de prendre conscience de ces biais, souvent inconscients. J'ignorais moi-même leur existence au départ. En raison d'un nombre d'élèves élevé, l'école ne permet pas d'accorder une attention individualisée aux enfants. Elle favorise, si l'on n'y prend garde, la perpétuation de ces biais de genre et de choix d'orientation genrés.

De plus, il est impératif de remettre les sciences et les mathématiques à leur juste place. Cependant, je suis convaincue que la réforme du lycée n'est pas la cause fondamentale du faible intérêt des filles pour les sciences après le bac. Elle a mis en lumière, plus tôt dans le cursus, le fait que les filles abandonnaient les mathématiques lorsqu'elles en avaient la possibilité. Toutefois, elles choisissaient ces mathématiques d'abord parce qu'elles excellaient souvent dans cette matière, et que ce choix leur offrait davantage d'opportunités. Mais elles les abandonnaient ensuite, car le choix de leur orientation avait déjà été pris bien avant. Ainsi, même si la réforme a mis ce phénomène en évidence, elle ne constitue pas la racine du problème. On observe que les filles se dirigent principalement vers des études en médecine ou en droit, mais encore trop peu vers des filières comme le numérique.

Évidemment, si ce choix précocement établi n'est pas corrigé et que les barrières persistent, en particulier dès le primaire, il pourrait créer des obstacles supplémentaires. Toutefois, je crois sincèrement que le véritable problème réside dans les étapes antérieures. La réforme l'a certes accentué, mais elle n'est pas la cause première de cette situation.

Vous me demandiez si le Portugal connaissait une sorte de Fête de la science perpétuelle. Oui et non. Elle repose sur une dynamique territoriale mêlant fête de la science et événements ponctuels. Il ne s'agit pas seulement d'une « fête », mais d'une véritable action participative, que l'on pourrait résumer par « Faites de la science », plus proche en effet de l'action de la Fondation « La main à la pâte » que vous évoquiez également. Les activités sont nombreuses : ateliers, musées, etc. En France aussi, nous avons mis en oeuvre diverses actions, mais elles ne sont pas assez nombreuses. Surtout, la différence majeure réside dans l'articulation et la collaboration entre les différents acteurs. Les associations, qui accomplissent un travail remarquable en matière de médiation scientifique, jouent un rôle clé. Au Portugal, ces associations, en lien avec l'Éducation nationale, organisent des visites obligatoires dans ces maisons des sciences pour les élèves, depuis le primaire jusqu'au lycée, et des doctorants et chercheurs y interviennent régulièrement. Cela permet une interaction directe avec les chercheurs et un partage de l'état des connaissances actuelles. Ce modèle de coopération est fondamental. Ce triptyque me semble constituer une différence majeure entre nos deux modèles.

Il nous faut également prendre en compte la notion de long terme. Ce n'est pas un simple événement ponctuel. D'ailleurs, il attire surtout des personnes déjà sensibilisées aux sciences. Le véritable enjeu réside dans l'accessibilité aux publics qui, autrement, ne se rendraient pas dans des lieux scientifiques. L'idée, c'est d'amener les enfants à découvrir ces lieux, et de les encourager à partager leurs découvertes avec leurs parents. En les impliquant de manière régulière, par exemple deux fois par an pendant 20 ans, cette démarche modifie progressivement la culture scientifique de la population.

Ensuite, je reste réticente à l'instauration de quotas à l'entrée des concours, faute d'un vivier suffisant. Il est évident que la solution réside dans une action menée en amont. Nous pouvons tout de même réfléchir aux critères de sélection, à la manière de réformer nos référentiels et de changer de paradigme. Cela vaut tant pour l'entrée dans les grandes écoles que pour la gestion des carrières, notamment pour lutter contre le « syndrome de l'imposteur ».

On encourage souvent les femmes à mieux se vendre et à moins douter, alors que le doute est en réalité une qualité précieuse. Peut-être les hommes devraient-ils douter davantage ? Le doute n'est pas incompatible avec la capacité à prendre des décisions. On peut douter et agir de manière décisive, allier intuition et rationalité. Ces qualités ne sont pas contradictoires, elles se complètent et forment des binômes efficaces. Le syndrome de l'imposteur découle surtout de la pression sociale et de modèles de leadership historiquement masculins. Il est important de revendiquer le droit de se questionner et de douter.

Cette réflexion s'applique également aux critères de sélection dans les écoles, qu'ils soient liés au genre ou à d'autres facteurs sociaux. Nous avons étudié l'adaptation de ces critères pour qu'ils reflètent davantage la diversité des parcours et des expériences. Nous avions envisagé d'introduire des quotas dès la sortie du bac, notamment en classe préparatoire, pour diversifier les profils en amont. Nous devons poursuivre ces discussions. Cette idée n'a pas abouti, car un problème d'inconstitutionnalité empêche toute expérimentation sur ces questions de quotas.

Enfin, je n'étais pas informée de la situation que vous portez à ma connaissance s'agissant du Hcéres. Cette autorité évalue la gouvernance des établissements, la qualité de leur recherche et leur fonctionnement global. Cette évaluation inclut aussi bien l'environnement scientifique que la qualité des formations proposées. Les critères relatifs à la gestion des formations, leur évolution et leur impact sont également pris en compte. Dans nos établissements d'enseignement supérieur et de recherche, nous faisons face à trois types d'évaluations, qui se déroulent à des périodes parfois distinctes : l'évaluation de l'établissement, des formations et de la recherche. Cette démarche est assez lourde, impliquant de nombreux tableaux à remplir. Des visites de comités sur site ont lieu. Un comité examine aussi bien les aspects opérationnels que stratégiques. Le Hcéres, en tant qu'organisme d'évaluation, ne juge pas la politique mise en oeuvre, mais la manière dont elle est développée, déployée et des résultats obtenus. Il s'agit là d'un travail considérable mené par les établissements, qui permet de réaliser un bilan complet tous les cinq ans et de préparer la négociation du contrat quinquennal avec l'État. Cette évaluation repose en partie sur une auto-évaluation réalisée par l'établissement lui-même.

Aujourd'hui, les évaluations dans ces trois domaines intègrent des critères liés à l'environnement, à la transition écologique et au genre. Ceux-ci sont intégrés dans nos dossiers de base. Par exemple, lorsqu'on évalue les formations, des retours peuvent parfois être faits sur ces points. Je ne savais pas qu'il existait des évaluations spécifiques sur le genre, peut-être plus ciblées, qui n'auraient pas été prises en compte jusqu'ici. Je l'apprends avec étonnement, car pour ma part, je considère ce critère comme faisant partie des évaluations que j'ai moi-même réalisées. J'interrogerai Madame Coralie Chevallier, la présidente du Hcéres, à ce sujet.

Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Si l'on parle beaucoup du caractère optionnel des mathématiques au lycée, on aborde moins fréquemment la disparition, depuis la rentrée 2023, de la technologie dans l'emploi du temps des élèves de sixième. Or, plus l'initiation à ces matières a lieu tôt, mieux c'est.

Il me semble que vous étiez au Gouvernement, en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche, lorsque cette réforme a été décidée. Quel est votre avis sur cette question ?

Interrogé sur cette réforme, le ministre de l'Éducation nationale a expliqué que des lacunes en français et en mathématiques avaient été relevées dans les classes primaires. Le choix a donc été fait de renforcer ces matières en sixième, au détriment de la technologie, pour libérer du temps. Cette réforme de l'enseignement technologique, qui concernera les classes de cinquième, quatrième et troisième, ne sera mise en place que progressivement, de 2024 à 2026. Ainsi, les élèves actuels de sixième n'ont pas d'enseignement de technologie, ce qui crée un vide générationnel dans l'apprentissage de cette matière au collège.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Je partage pleinement la préoccupation de ma collègue. Vous avez souligné à plusieurs reprises l'importance de l'enseignement des sciences et des mathématiques, tant au premier qu'au second degré. Il est indéniable que l'apprentissage des mathématiques constitue une base essentielle - je parle en tant qu'ancienne professeure de cette discipline. D'ailleurs, mes collègues et moi débattions souvent de la question du volume horaire de nos matières. Pour diverses raisons, notamment celle des moyens alloués, il nous a été expliqué qu'il n'était pas toujours possible d''augmenter les heures de cours de mathématiques.

Ensuite, si l'enseignement des mathématiques est désormais obligatoire en première, il ne l'est plus en terminale.

Par ailleurs, il est essentiel que les professeurs des écoles bénéficient, dans le cadre de leur formation initiale et continue, d'un enseignement solide en mathématiques. La réforme en cours devrait contribuer à cet objectif. Il convient également de veiller à susciter chez eux une véritable appétence pour cette discipline, tout en oeuvrant à sa « dédramatisation ». Il est primordial de donner confiance aux élèves, de leur montrer que les mathématiques sont accessibles et qu'ils peuvent non seulement les apprendre, mais aussi les comprendre.

Je souscris totalement à la nécessité de produire des indicateurs. Ceux-ci jouent un rôle essentiel, notamment en matière d'évaluation et d'argumentation.

Je crois savoir que vous avez été à l'initiative, à l'université Paris-Saclay, de la création d'une Maison d'initiation et de sensibilisation aux sciences (MISS), destinée aux écoliers et aux collégiens, avec pour objectif d'encourager les jeunes filles à s'orienter vers les sciences dès leur plus jeune âge. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Par ailleurs, ma collègue Laure Darcos a abordé la question des quotas. Pour ma part, je suis un pur produit de la parité : sans elle, je ne serais pas ici. Depuis que j'ai rejoint la délégation en 2014, j'ai pu mesurer à quel point les femmes rencontrent des difficultés dans presque tous les domaines. Pensez-vous que l'instauration de quotas à un niveau plus élevé pourrait être envisageable et bénéfique ?

Si je ne me trompe pas, votre domaine de recherche est lié à la physique et à l'ingénierie électronique, des disciplines majoritairement masculines. Avez-vous rencontré des obstacles dans votre carrière du fait de cette sous-représentation des femmes ?

Par ailleurs, nous avons recueilli des témoignages de l'Académie des sciences soulignant que les critères d'évaluation des publications scientifiques, qui sont déterminants pour l'évolution de carrière, pénalisaient les femmes. Partagez-vous cette analyse ?

Enfin, lors d'une table ronde organisée à l'été 2022 par l'Association des femmes dirigeantes de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, vous avez insisté sur un point fondamental : la nécessité d'apprendre à ne pas endosser certaines tâches administratives, souvent délaissées par les hommes. Comment faire en sorte que ce message soit mieux diffusé et compris ? Plus largement, comment lutter contre ce biais ?

Les stéréotypes de genre restent profondément ancrés, y compris dans la perception des métiers. Il persiste encore dans l'esprit de nombreux parents et élèves une répartition genrée des professions, certaines étant considérées comme féminines et d'autres comme masculines.

Mme Sylvie Retailleau. - Je n'ai pas directement pris part aux discussions relatives à l'enseignement de la technologie en classe de sixième. En revanche, j'ai été davantage impliquée dans les échanges relatifs aux mathématiques, en raison de leur impact sur l'orientation en première, en terminale et dans le supérieur. Cette réforme s'inscrivait dans une réflexion plus large sur Parcoursup et l'orientation des élèves, domaine dans lequel j'ai consacré une part importante de mon travail.

Je peux bien entendu vous faire part de mon opinion personnelle, mais il est important de distinguer celle-ci de la position officielle que je pourrais exprimer en tant que membre du Gouvernement. Je partage votre analyse : il est essentiel de concevoir l'apprentissage des sciences, des mathématiques et des technologies comme un continuum, sans rupture artificielle entre ces disciplines. Aujourd'hui, au XXI? siècle, il ne semble plus pertinent d'opérer une distinction stricte entre sciences, technologies et mathématiques, particulièrement avant l'entrée dans un cycle de spécialisation. Évidemment, plus on avance dans l'approfondissement des savoirs, plus les domaines se précisent, mais à un âge précoce, cette séparation n'a pas lieu d'être.

Si nous voulons susciter l'intérêt des jeunes pour les disciplines scientifiques - qu'il s'agisse des mathématiques, de l'informatique, du numérique, de la physique ou des technologies -, nous devons éviter une approche cloisonnée. Cette réflexion doit nous amener à repenser l'enseignement technologique dans son ensemble. Avant tout, il est impératif de fournir aux élèves des bases solides. Sans elles, aucun apprentissage durable n'est possible. Mon propos vaut tant pour les futurs spécialistes que pour l'ensemble des citoyens. L'acquisition d'une méthodologie scientifique constitue un élément clé de cette formation.

Dans l'enseignement supérieur, nous avons parfois tendance à vouloir transmettre trop de connaissances en un temps restreint, alors que l'essentiel réside dans la maîtrise des fondamentaux. Il est indispensable d'apprendre aux étudiants à apprendre. C'est cette compétence qui leur permettra de s'adapter aux évolutions rapides des sciences et des technologies. En réalité, ce sont avant tout les méthodes d'analyse et de raisonnement qui importent, bien plus que l'accumulation de connaissances figées.

Il me semble donc nécessaire de repenser notre approche, en mettant en avant une vision intégrée des sciences, des mathématiques et des technologies, notamment durant la période de sensibilisation et d'orientation. Si l'on impose aux élèves un enseignement trop théorique dès le départ, certains risquent de se désintéresser rapidement. D'autres, plus matures intellectuellement à ce stade, y trouveront leur compte. Or, chaque élève évolue différemment selon son âge et son développement cognitif, ce qui constitue un véritable défi pour notre système éducatif. C'est particulièrement vrai dans un contexte de massification de l'enseignement supérieur.

Il ne s'agit pas d'éliminer toute différenciation entre les parcours, mais de concevoir des passerelles, d'offrir des opportunités plutôt que d'ériger des barrières. L'objectif n'est pas de fermer des portes aux élèves, mais de leur proposer des itinéraires alternatifs qui, même s'ils nécessitent parfois un peu plus de temps, leur permettront d'atteindre leurs objectifs. Cette flexibilité de l'enseignement fait encore défaut en France. D'autres pays, comme ceux d'Europe du Nord ou le Canada, ont su développer une plus grande souplesse dans leurs systèmes éducatifs, en diversifiant les méthodes d'apprentissage et en favorisant des approches pédagogiques plus adaptées aux besoins des élèves.

Ensuite, je ne pense pas que nous devions rétablir l'enseignement technologique sous la forme qu'il avait autrefois. Il me semble plus opportun de réfléchir à une intégration plus cohérente des sciences et des technologies dans les parcours éducatifs. Les mathématiques constituent un socle fondamental des sciences dites « dures », mais tous les élèves ne deviendront pas mathématiciens ou physiciens. Nous devons leur donner des clés de compréhension leur permettant d'évoluer dans un monde où la science et la technologie jouent un rôle central. Former des citoyens éclairés passe par une meilleure maîtrise de ces disciplines. C'est dans cette optique que nous devons repenser leur enseignement.

Merci de m'interroger sur la MISS. Cette initiative me tient particulièrement à coeur. Lorsque j'ai pris la présidence de l'Université Paris-Sud en 2016, j'avais déjà une longue expérience en matière de médiation scientifique, puisque j'y étais engagée depuis 2005. J'ai animé de nombreux ateliers dans les écoles primaires, les collèges et les lycées, privilégiant une approche expérimentale de type « La main à la pâte » en primaire, et des présentations plus formelles au collège. J'ai repris ces activités avec grand plaisir en parallèle de mes nouvelles responsabilités.

Dans ce cadre, j'ai initié deux projets majeurs à l'Université Paris-Sud, puis à Paris-Saclay. Le premier est la Maison d'Initiation et de Sensibilisation aux Sciences, la MISS, un lieu d'apprentissage où nous accueillons quotidiennement deux classes pour leur proposer des ateliers scientifiques et technologiques interdisciplinaires. L'objectif n'est pas d'aborder isolément les mathématiques ou la physique, mais de traiter des thématiques transversales telles que l'énergie, les nanotechnologies, l'histoire des nombres, ou encore le lien entre mathématiques et cuisine. Nous cherchons ainsi à décloisonner les disciplines, à faire découvrir les métiers scientifiques et surtout à proposer une approche expérimentale où les élèves manipulent et expérimentent par eux-mêmes, dans une démarche scientifique active.

La particularité de cette initiative réside dans l'encadrement des ateliers : ils sont animés par des doctorants. D'une part, les élèves bénéficient d'un accompagnement par de jeunes chercheurs, ce qui favorise l'identification et la transmission des savoirs dans une dynamique plus accessible. D'autre part, nous formons ces doctorants à la médiation scientifique, un enjeu essentiel à mes yeux. Il est en effet fondamental qu'un chercheur, quelle que soit sa future carrière, soit capable d'expliquer son domaine de recherche de manière claire et accessible. Cette formation à la médiation commence dès le doctorat et s'appuie sur des collaborations avec des institutions et associations reconnues, telles que le « Palais de la découverte », « Les petits débrouillards » et « Planète sciences », qui nous accompagnent dans cette mission.

Le dispositif repose sur une organisation structurée : chaque classe est encadrée par quatre doctorants, sous la supervision d'un enseignant-chercheur, d'un ingénieur ou d'un chercheur issu d'un laboratoire, garantissant ainsi un contenu à la pointe des avancées scientifiques. Toutefois, ce dernier n'intervient pas systématiquement dans l'animation des séances, puisque l'institution accueille deux classes par jour tout au long de l'année.

Ce modèle s'inspire du système des moniteurs universitaires, qui permettaient à des doctorants d'exercer dans l'enseignement supérieur. Désormais, nous offrons aux doctorants la possibilité de consacrer une part de leur cursus à la médiation scientifique, en lieu et place de l'enseignement traditionnel.

Lorsque j'étais doyenne de la Faculté des sciences, nous avons été parmi les premiers à proposer aux doctorants d'intervenir auprès des scolaires plutôt que dans les amphithéâtres universitaires. Je suis convaincue que cette sensibilisation à la vulgarisation scientifique dès le doctorat est essentielle : nos chercheurs doivent acquérir cette capacité à transmettre leurs connaissances.

Le lien ainsi créé entre les doctorants et les jeunes élèves est particulièrement bénéfique. Un étudiant proche de leur âge incarne une figure accessible et inspirante, ce qui facilite l'identification et la réception du message. L'impact est considérable : à la fin des ateliers, il n'est pas rare que des enfants s'adressent à nos doctorants en leur demandant : « Pensez-vous que moi aussi, un jour, je pourrais devenir comme vous ? Comment avez-vous réussi ? » Ce type de question traduit une véritable transformation du regard porté sur les sciences, notamment par les jeunes filles.

À ce sujet, je travaille actuellement à la mise en place d'un atelier spécifique dédié à l'intelligence artificielle, destiné aux collégiennes. Ce projet est porté par deux doctorantes et se déroulera sur deux à trois jours. La question de la mixité dans ces ateliers se pose, et fait l'objet d'une réflexion approfondie. En effet, si je suis évidemment favorable à la mixité, j'ai pu constater que dans des ateliers sur des sujets technologiques, ce sont majoritairement les garçons qui prennent la parole en premier et s'impliquent davantage. Nous souhaitons donc expérimenter différentes approches : un atelier exclusivement réservé aux jeunes filles, ainsi qu'un autre en mixité, afin d'analyser les dynamiques d'apprentissage et d'interaction.

L'enjeu est crucial : dans un grand nombre de disciplines scientifiques et technologiques, les jeunes filles ont tendance à moins s'exprimer et à hésiter davantage à s'affirmer. Il est essentiel de comprendre ces mécanismes et d'adapter nos méthodes pour encourager leur participation active et leur engagement dans ces filières d'avenir.

La question de savoir comment organiser ces ateliers - en mixité ou en non-mixité - est un véritable sujet de réflexion. Il ne s'agit pas d'y répondre de manière tranchée : c'est une problématique que nous devons approfondir.

Je me suis fortement réinvestie dans les domaines des sciences et de la société, en particulier sur les questions de la place des femmes dans les sciences, mais aussi dans la médiation scientifique. Plusieurs maisons de médiation existent déjà à travers le territoire, notamment à Grenoble et à Marseille. L'enjeu réside dans la manière de structurer ces initiatives à l'échelle locale, en assurant leur coordination et leur articulation avec le milieu scolaire et l'enseignement supérieur. Ce rôle devrait naturellement être celui des structures de CSTI (Culture scientifique, technique et industrielle), en lien avec des organismes comme Universcience.

Vous me demandiez si j'avais rencontré des obstacles du fait d'être une femme, notamment en tant que physicienne spécialisée en électronique, nanotechnologies et nanosciences, et ayant accédé à des responsabilités élevées. Tant que j'étais enseignante-chercheuse, j'ai eu la chance d'évoluer dans des équipes bienveillantes. J'ai également pu concilier ma vie professionnelle et personnelle : j'ai eu deux filles et, lorsque je suis devenue mère, elles ont été ma priorité. Je quittais le laboratoire à 18h30 pour être présente le soir, notamment pour les devoirs. Cela ne m'empêchait pas de reprendre mon travail après leur coucher, jusqu'à minuit ou une heure du matin, mais cette flexibilité m'a permis de maintenir un équilibre qui me semblait essentiel.

J'ai également bénéficié d'un partage équitable des tâches domestiques avec mon mari. Cet équilibre a perduré, y compris lorsque j'ai accédé à des responsabilités plus élevées. Je considère ce partage comme un élément fondamental : il existe bien sûr des périodes où l'un contribue davantage que l'autre, mais sur le long terme, c'est cette répartition équitable qui est fondamentale.

Sur le plan professionnel, bien que je n'aie pas personnellement souffert d'inégalités de genre dans ma carrière, j'ai pu observer ces différences autour de moi. Avec le recul, je me rends compte que mon investissement dans l'enseignement et le suivi des étudiants m'a naturellement orientée vers certaines responsabilités. Là où mes collègues masculins s'impliquaient davantage dans les conseils de laboratoire et les instances liées à la recherche et à l'innovation, j'ai, pour ma part, consacré beaucoup de temps aux questions d'accompagnement, de handicap, de réussite et d'orientation des étudiants.

Dans ces commissions à vocation pédagogique et sociale, les femmes étaient largement majoritaires. En revanche, lorsqu'il s'agissait de participer aux instances décisionnelles en matière de gouvernance universitaire, de finance ou de recherche, la tendance s'inversait : ces conseils étaient largement dominés par des hommes. Avant de devenir doyenne de la Faculté des sciences, je n'avais d'ailleurs jamais siégé dans un conseil d'université, étant toujours engagée dans les instances consacrées à la formation.

Cette répartition genrée des responsabilités au sein du monde académique mérite une réflexion approfondie. Elle illustre une division persistante des rôles, qui influence la trajectoire des carrières scientifiques et universitaires.

J'ai conservé une photo de ma toute première conférence de presse en tant que présidente de l'Université Paris-Saclay. C'était un moment marquant : nous étions quatorze représentants d'établissements. J'étais la seule femme au milieu de treize hommes. Le matin même, en me préparant, j'avais choisi une tenue sobre, bleu marine. Puis, en me regardant dans le miroir, j'ai eu une prise de conscience : je me suis imaginée au milieu de mes collègues et partenaires masculins, et j'ai finalement opté pour une veste rouge. Ce choix vestimentaire, anecdotique en apparence, était en réalité symbolique.

J'aime dire que l'égalité en matière de responsabilités se mesurera le jour où les hommes ressentiront eux aussi le besoin de porter une veste rouge. Ce sera alors un signe que nous aurons franchi une étape décisive.

En gravissant les échelons vers des postes à haute responsabilité, j'ai pris conscience d'un patriarcat bien ancré - parfois « bienveillant », mais omniprésent. Lorsque j'ai commencé à occuper des fonctions dirigeantes en 2011, j'étais relativement jeune, et femme, ce qui a souvent suscité des attitudes paternalistes. J'ai entendu des centaines, voire des milliers de fois, des remarques du type « Ne t'inquiète pas, Sylvie, on va t'expliquer comment faire, on va t'aider ». J'ai rencontré ce type de discours, aussi bien en tant que présidente qu'en tant que ministre.

L'un des défis majeurs pour une femme en position de leadership relève du fait qu'elle ne bénéficie jamais d'une légitimité acquise d'emblée. Un homme arrive avec un titre, qui lui confère une autorité immédiate, tant dans son propre esprit que dans la perception des autres, par sa posture et ses prises de parole. À l'inverse, une femme doit constamment faire ses preuves pour asseoir son autorité. Cette reconnaissance ne découle pas de son titre, mais de son travail et de ses compétences.

J'ai longtemps trouvé ce phénomène injuste, mais avec le recul, j'y vois un aspect positif : une légitimité bâtie sur la crédibilité et la confiance offre une assise plus solide et durable. Ces notions de crédibilité et de durabilité sont essentielles dans l'exercice du leadership. C'est sans doute parce que nous devons conquérir cette légitimité que nous l'intégrons de manière plus profonde et plus pérenne. Toutefois, cet état de fait demeure problématique, car il constitue un frein à l'ascension de nombreuses femmes.

C'est un véritable changement culturel qui est ici en jeu. Les femmes qui accèdent à des responsabilités y parviennent souvent au prix d'un travail bien plus intense que leurs homologues masculins. Pendant vingt ou trente ans, j'ai moi-même pris très peu de vacances. Je dormais quatre ou cinq heures par nuit, plutôt que sept ou huit.

Cette surcharge de travail est aussi liée à une répartition inégale des tâches dans le monde académique. Les femmes, davantage impliquées dans le suivi des étudiants et dans les missions d'accompagnement, cumulent souvent recherche, enseignement et responsabilités administratives. Or, ces engagements ont longtemps été sous-évalués dans l'évaluation des carrières universitaires.

Depuis plusieurs années, nous travaillons à une meilleure reconnaissance de l'ensemble des missions des enseignants-chercheurs, qu'il s'agisse de l'enseignement, du travail collectif ou des responsabilités transversales. Cette évolution est encore inachevée, mais elle est essentielle, car elle contribue à une reconnaissance plus équilibrée du travail académique, y compris sous l'angle de l'égalité femmes-hommes.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Merci pour ce témoignage à la fois vivant, accessible et profond. Vous nous proposez une relecture intéressante de certains concepts, notamment celui du doute, que vous présentez sous un jour positif. Cette approche, profondément cartésienne, s'inscrit pleinement dans notre culture à la fois littéraire et scientifique.

Merci également d'avoir mis en lumière l'importance de l'attractivité des métiers scientifiques et technologiques. Vous avez souligné que la manière dont nous parlons de ces métiers joue un rôle crucial dans l'intérêt que les jeunes filles peuvent leur porter. Cette réflexion est d'autant plus pertinente face aux défis de la transition écologique et numérique, qui offrent de nombreuses opportunités pour encourager davantage de jeunes filles à s'orienter vers ces carrières, notamment celles d'ingénieures.

Vous avez évoqué plusieurs pistes pour progresser sur ces enjeux. À ce titre, j'aimerais vous interroger sur la question de l'éga-conditionnalité, ce principe consistant à conditionner l'attribution d'aides publiques au respect de critères de parité et d'égalité, que ce soit en termes de moyens ou de résultats. Dans vos différentes fonctions - en tant que présidente de l'Université Paris-Saclay puis à la tête d'un ministère - avez-vous eu l'occasion d'expérimenter cette approche ? Quel est votre ressenti et votre analyse sur l'éga-conditionnalité, qui est aujourd'hui un sujet central, notamment au CNRS ?

Par ailleurs, vous avez évoqué votre carrière d'enseignante-chercheuse. Lors d'une audition avec l'Académie des sciences, nous avons abordé l'impact des exigences de parité sur la composition des jurys. Il apparaît que ces obligations peuvent parfois peser sur les femmes enseignantes-chercheuses, les éloignant de leur travail de recherche et risquant même, dans certains cas, de freiner leur progression.

C'est toute la complexité des quotas : s'ils visent un objectif positif, ils peuvent aussi générer des effets négatifs. Quelle est votre vision sur ce sujet ? Comment pouvons-nous, tout en renforçant la visibilité des femmes et en servant la cause de la parité, éviter ces biais qui risqueraient, paradoxalement, de les desservir ?

Mme Sylvie Retailleau. - Je pense que les deux questions - les conditions d'attribution des financements et les effets de ces mesures - doivent être abordées avec équilibre. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : si nous continuons au rythme actuel, la parité dans les filières d'ingénieurs ne sera atteinte qu'en 2150. Il est donc indispensable de mettre en place des incitations pour accélérer le changement.

Toute la difficulté réside dans le dosage de ces incitations. Par exemple, l'instauration de règles de parité dans les comités de sélection pour les recrutements ou dans d'autres instances décisionnelles a constitué une avancée majeure. Sans ces mesures, les critères d'évaluation seraient restés figés. Cependant, il faut aussi conserver une certaine marge de manoeuvre.

Prenons l'exemple des mathématiques. Dans l'enseignement supérieur, il est presque impossible d'assurer une parfaite parité dans les comités de sélection, faute de candidates en nombre suffisant. C'est aussi le cas dans le numérique et l'informatique. Dans mon propre domaine, c'est compliqué, mais nous y parvenons tant bien que mal.

J'ai moi-même été sollicitée en permanence pour participer à ces comités. Encore récemment, j'ai reçu un message me demandant de siéger dans un comité national, simplement parce qu'il y faut des femmes. Ce type de sollicitation excessive crée un véritable épuisement. Nous devons assurer notre charge d'enseignement et de recherche, tout en étant systématiquement mobilisées pour garantir la parité dans les instances.

Bien sûr, il faut agir pour faire bouger les choses. En tant que présidente d'université, j'ai toujours cherché à préserver cette parité dans les comités, car elle est essentielle. Pour autant, à l'impossible, nul n'est tenu. Lorsqu'un établissement a réellement tout mis en oeuvre pour respecter la parité, il faut aussi accepter qu'il puisse déroger à la règle, afin de ne pas pénaliser celles qui se retrouvent sursollicitées.

Les lois sont indispensables, mais leur application doit être intelligente et adaptée à la réalité du terrain. L'essentiel est de garantir une transparence totale : lorsque nous rendons compte de nos décisions devant les conseils d'université, nous devons expliquer comment et pourquoi nous avons appliqué ou ajusté ces règles. Cette approche permet de conjuguer engagement pour la parité et réalisme, sans créer de nouvelles formes d'inégalités.

Il est parfois impossible de respecter strictement des quotas. C'est tout le problème de vouloir en imposer partout.

J'ai été nommée professeure à l'université Paris-Sud, l'une des plus grandes de France, en 2000, après avoir passé un concours. J'ai été, pendant deux ou trois ans, la seule femme professeure dans la section 63. La deuxième femme est arrivée après quelques années.

Durant ces premières années, j'étais systématiquement sollicitée pour participer aux comités de sélection des professeurs. En théorie, ces comités incluent des membres extérieurs, mais à l'université, j'étais la seule femme disponible. Je devais siéger dans chaque instance. Ce n'était pas viable.

Bien sûr, il nous faut corriger ces biais et trouver un équilibre. Les quotas ne sont pas une solution universelle, mais ils restent parfois nécessaires pour provoquer un changement. C'est là que les lois et les décrets ont leur importance. Nous avons pu constater des avancées grâce à ces mesures.

Il est également essentiel de réfléchir aux critères d'admission. Plutôt que d'imposer systématiquement des quotas, on pourrait faire évoluer ces critères pour favoriser un accès plus équilibré sans avoir à forcer artificiellement la parité.

Quand j'étais présidente d'université, nous avons mis en place un suivi genré des postes et des promotions. Nous présentions régulièrement ces données devant le Conseil académique, et lorsque des déséquilibres flagrants apparaissaient, nous pouvions identifier des problèmes. Nous n'avons jamais imposé de sanctions directes, mais ces analyses servaient de levier d'incitation pour corriger les écarts constatés.

En matière de ressources humaines, ce suivi est essentiel. Les établissements doivent disposer d'un retour concret et de mécanismes incitatifs : favoriser les bonnes pratiques (la carotte) mais aussi pouvoir sanctionner si nécessaire (le bâton). Sans cette combinaison, rien ne bouge.

Du côté du ministère, les établissements signent des contrats d'objectifs, de moyens et de performance. J'aurai d'ailleurs bientôt l'occasion d'être auditionnée à ce sujet. Certaines informations circulent et ne sont pas exactes. Contrairement à ce qui a été dit, ces contrats visent une enveloppe de 0,8 % à 1 % supplémentaire, mais aussi 10 % de budget de fonctionnement en plus. La masse salariale, elle, étant figée, les marges de manoeuvre portaient sur d'autres aspects.

Ces contrats abordaient aussi des thématiques comme la transition écologique. Nous demandions aux établissements d'expliquer la façon dont ils formaient tous les étudiants de premier cycle à ces enjeux. Il y avait également une rubrique sur l'égalité et l'inclusion (parité, questions sociales, handicap, etc.).

Ces critères ne conditionnaient pas directement les financements, mais leur présence dans les contrats montre qu'ils pourraient, à terme, devenir des leviers pour ajuster les financements en fonction des engagements des établissements : plus d'argent si des progrès sont réalisés, moins si des déséquilibres persistent.

Malgré les contraintes budgétaires, j'ai décidé, lorsque j'étais ministre, d'allouer une somme significative à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur. L'objectif était d'accompagner les établissements dans la mise en place de cellules dédiées, d'encourager leur professionnalisation et de renforcer leur lien avec les postes spécialisés créés dans les rectorats. Ce type de financement constitue un levier d'action important. Il peut être intégré dans les comités de suivi et dans les contrats d'objectifs, de moyens et de performance, afin de garantir des avancées concrètes sur ces enjeux.

Mme Olivia Richard. - Je dois avouer que votre passion est remarquable. Je ne m'y attendais pas. Deuxième aveu : lorsque vous avez raconté l'anecdote sur la maman chirurgienne, j'ai, pour ma part, immédiatement pensé que l'enfant avait deux pères !

La diplomatie scientifique me semble être un enjeu stratégique. Vous avez mentionné les États-Unis. Hier encore, la présidente Dominique Vérien évoquait 5 000 scientifiques à accueillir en Europe. Nous devons impérativement trouver un moyen de nous coordonner dès maintenant.

Le week-end dernier, j'ai entendu parler d'un scientifique français qui a été refoulé à Houston après avoir exprimé des désaccords avec la politique du président des Etats-Unis, dans sa sphère privée, sur son ordinateur. Ce type de situation soulève la question de la souveraineté scientifique, qui est aussi cruciale que dans le domaine militaire.

La diplomatie scientifique repose en grande partie sur le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais nous faisons face à d'importants problèmes budgétaires. Lors d'un déplacement à Istanbul, j'ai découvert un institut français de recherche animé par des scientifiques passionnés, mais disposant d'un budget dérisoire. Ce n'est pas en asséchant ce ministère que nous pourrons soutenir l'effort de guerre.

Nous mesurons les conséquences de biais diplomatiques importants lorsque certains régimes autoritaires ferment des instituts français, comme ce fut récemment le cas en Iran, sans que cela ne suscite de réactions majeures.

Enfin, 14 % des étudiants du secondaire en France sont étrangers. J'y vois une opportunité considérable en matière de diplomatie. Former ces jeunes leur permet ensuite de diffuser nos valeurs à l'international, notamment en matière de droits des femmes et de libertés fondamentales.

Ces étudiants, après leur passage chez nous, repartent généralement dans leur pays d'origine, créant ainsi des ponts entre les nations. Ce levier diplomatique mérite d'être pleinement exploité.

M. Marc Laménie. - Vous avez mentionné l'exemple du Portugal, qui a compris très tôt qu'il était crucial de susciter des vocations scientifiques dès le plus jeune âge, en particulier chez les filles. Il est essentiel qu'en France, nous mettions en place des stratégies similaires pour féminiser les parcours scientifiques. Lorsque vous étiez ministre, vous étiez responsable d'un budget considérable, puisque la mission Enseignement supérieur et recherche représente l'un des plus gros postes ministériels.

La question que je soulève concerne la manière de susciter l'envie d'étudier les sciences dès les premières étapes de la scolarité, dans les écoles élémentaires, les collèges et les lycées. Par exemple, ma région des Ardennes a la chance de compter parmi ses figures locales une directrice de centrale nucléaire, un rôle peu commun. Ce type de témoignage concret peut véritablement inspirer les jeunes, et particulièrement les jeunes filles, à se lancer dans des parcours scientifiques.

Je pense que l'un des leviers réside dans le financement de programmes d'initiation scientifique dès le plus jeune âge.

M. Gilbert Favreau. - Je suis peut-être le doyen de cette salle, mais je tiens à vous remercier pour vos propos qui m'ont rappelé certaines contraintes que j'ai expérimentées, tant sur le plan familial que de la part du personnel de l'Éducation nationale. Je viens d'une famille de paysans, où ces contraintes étaient encore plus marquées qu'ailleurss.

Aujourd'hui encore, je m'interroge sur l'évolution de la parité entre garçons et filles, mais aussi sur des questions plus larges, telles que l'accès à l'enseignement supérieur. Je pense notamment au logiciel Parcoursup, que je considère comme une machine infernale. À mon avis, il ne nous donnera pas nécessairement les résultats que nous en attendons. Il me semble que nous avons encore des progrès à faire dans ce domaine.

En ce qui concerne les lourdeurs familiales, notre société évolue rapidement. Nous accueillons de plus en plus de personnes étrangères, ce qui me paraît positif. Pour autant, ce constat soulève également des questions qui méritent d'être explorées.

La question de l'égalité entre les femmes et les hommes est un sujet très intéressant, surtout dans une assemblée qui, bien que de plus en plus inclusive, reste majoritairement composée d'hommes. Cette audition m'a beaucoup intéressé, et je vous en remercie.

M. Jean-Michel Arnaud. - Merci pour votre témoignage, qui fait écho à de longues discussions que j'ai régulièrement avec mes deux filles. L'une est professeure des écoles, et l'autre enseigne les sciences économiques. Elles me parlent souvent du manque de confiance que ressentent certains de nos jeunes, quel que soit leur domaine d'études, ainsi que de leurs difficultés à s'émanciper du cadre familial d'origine.

Je pense également à leur attente d'interconnexion et de discussions concrètes sur des aspects de leur vie avec leurs enseignants. Les élèves ont besoin de retour d'expérience et de pouvoir échanger, des éléments essentiels à leur épanouissement.

Nous sommes tous un peu chamboulés par la situation internationale actuelle, qui remet en cause certains idéaux que nous portions lorsque nous étions plus jeunes : le projet européen, la mondialisation vertueuse, etc.

Dans ce cadre, avez-vous eu le sentiment de pouvoir vraiment peser sur les enjeux que vous défendez aujourd'hui avec force et conviction dans le cadre de votre engagement ministériel ? Ou bien avez-vous vécu les difficultés que vous constatez pour les femmes et en particulier pour nos filles, notamment dans les métiers plus techniques et scientifiques, en tant que femme venant de la société civile, puis en tant que ministre ?

Enfin, pensez-vous que la malédiction que vous avez rappelée, à savoir que nous devrions atteindre la parité en 2150, peut être contrariée uniquement par la force de l'idéal et des convictions que nous portons ?

Mme Sylvie Retailleau. - J'ai visité Istanbul dès ma première année en tant que ministre. J'ai demandé au président de l'Université Galatasaray de m'y rendre pour effectuer un discours sur la liberté académique devant le ministre turc de l'enseignement supérieur,. C'était un moment très significatif pour moi, surtout au regard de la situation difficile des universitaires sur place. J'ai soutenu l'Université Galatasaray financièrement, mais l'enjeu allait bien au-delà de cet aspect. C'était une question fondamentale de liberté. Je pense que la présence de la ministre française de l'enseignement supérieur et de la recherche, prononçant un discours sur la liberté académique, en face du ministre turc, a été bénéfique.

J'ai également visité un institut dépendant du CNRS, qui est en lien avec l'Université de Galatasaray. La liberté académique, notamment dans les domaines des sciences humaines et des sciences sociales (comme l'anthropologie), est fondamentale, en particulier dans certains contextes politiques. Il était crucial pour moi de me rendre sur le terrain pour soutenir cette cause.

Quand je suis arrivée au ministère, j'avais déjà été présidente d'université. J'étais convaincue que le ministère de l'enseignement supérieur devait agir en interministériel pour exister pleinement. Ce ministère doit être au coeur de tous les autres ministères, car la recherche touche des secteurs variés : agriculture, santé, culture, industrie, etc. Il est donc impératif qu'il soit en lien avec tous ces ministères et qu'il coordonne toutes ces actions.

Le financement de la recherche est souvent confondu avec celui de l'enseignement supérieur, mais ce sont deux périmètres distincts. Le ministère de l'enseignement supérieur ne doit pas être confondu avec le ministère de l'industrie, de la recherche et de l'enseignement supérieur. Il est essentiel de maintenir une coordination efficace entre tous ces acteurs.

Pour moi, le lien avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) est crucial pour deux raisons : d'une part, pour le développement international et européen, un domaine auquel je suis profondément attachée et dans lequel je me suis beaucoup investie. D'autre part, pour le développement de la diplomatie scientifique, un domaine que nous avons réactivé. Avant mon départ, nous avons nommé Thierry Damerval, en collaboration avec le MEAE, ambassadeur de la diplomatie scientifique, un poste qui n'avait pas été réactivé depuis de nombreuses années. C'était une avancée importante.

Je pense être la première ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche depuis longtemps à avoir prononcé un discours devant les conseillers culturels et coopération, les attachés scientifiques et les ambassadeurs, sur les grandes orientations et restructurations de l'enseignement supérieur. En juin ou juillet, lors de cette réunion, j'ai eu l'opportunité de présenter la vision de notre secteur devant les attachés scientifiques des ambassades. J'étais également censée prononcer ce discours devant les ambassadeurs, mais l'événement a été annulé après la dissolution de l'Assemblée nationale.

Il est essentiel de travailler avec le MEAE, car de nombreux instituts sont portés à l'international. Cette collaboration est primordiale, car ce travail ne serait pas possible sans l'implication du MESR. Nous avons cherché à coordonner nos efforts, surtout en période de moindres moyens.

Par exemple, nous avons travaillé de manière coordonnée pour développer l'université délocalisée de la Sorbonne. Il y a encore beaucoup à faire, mais je pense que ce travail est capital.

Vous avez également mentionné les étudiants étrangers. Je vous invite à écouter mon discours de voeux de 2024, prononcé avant mon départ, qui abordait la question de l'immigration et de l'accueil des étudiants étrangers. Je pense que ce discours répondra à beaucoup de vos préoccupations.

Selon moi, l'enseignement supérieur et la recherche sont, par nature, internationaux. Les étudiants étrangers jouent un rôle clé en tant qu'ambassadeurs de la France et de l'Europe, apportant une ouverture d'esprit et un lien constructif qui permet de créer des relations pacifiques et enrichissantes entre les pays.

Le budget de l'Éducation nationale n'était pas de ma responsabilité, mais il est important. Le MESR dispose également d'environ 25 milliards d'euros. Nous orientons ces fonds vers les opérateurs, tels que les organismes de recherche, ce qui est très positif. Je ne comprends pas ceux qui s'opposent à l'autonomie des établissements. L'autonomie est essentielle pour la performance des établissements et leur liberté académique, même si elle doit être régulée pour éviter tout excès.

Une grande partie du budget des établissements est consacrée aux dépenses incompressibles, telles que la masse salariale. Cependant, même avec des contrats quinquennaux et des contrats d'objectifs de moyens et de performance, il est difficile de dégager une marge de manoeuvre considérable, surtout lorsqu'on augmente le nombre d'étudiants. Ceux-ci présentent des profils de plus en plus variés, ce qui exige un enseignement plus personnalisé. Cela implique une gestion budgétaire rigoureuse, tant de la part du ministère que des établissements.

Il est important de souligner que, même avec ces contraintes, des fonds sont disponibles grâce aux appels à projets, bien que ces procédures puissent sembler complexes. Par exemple, nous avons fortement augmenté le financement pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, un domaine auquel nous avons accordé une attention particulière. Nous avons également porté la création du Prix Irène-Joliot-Curie.

Nous avons travaillé sur la formation des professeurs des écoles. En tant que ministre, et avec mon cabinet, je me suis battue pour maintenir cet enseignement dans les universités, et pour assurer un parcours pluridisciplinaire représentatif des professeurs des écoles du XXIe siècle. Nous n'avons pas fait beaucoup de bruit médiatique, mais nous avons mené un important travail de fond. Le Prix Irène-Joliot-Curie ou le projet « Tech pour toutes » ont été montés au sein de mon ministère, confiés à la fondation INRIA. Une planification a été élaborée, sur les études, mais aussi sur l'insertion et l'orientation.

Un travail important a également été mené avec le ministère de l'industrie. J'ai participé avec Bruno Le Maire et Roland Lescure à de nombreux forums où les industriels et les entreprises étaient invités à présenter des rôles modèles et à encourager les jeunes à s'engager dans des carrières scientifiques.

Je crois avoir constaté un réel portage politique sur ces questions, mais aussi une gestion des moyens et une prise en compte d'indicateurs pour orienter les actions. Par exemple, nous avons travaillé sur les décrets d'application de la loi Rixain, ce qui nous a permis d'aider les établissements à établir des schémas directeurs en matière d'égalité hommes-femmes. En tout, nous avons accompagné 180 établissements dans cette démarche. Il reste encore beaucoup à faire, mais je crois que nous avons réussi à avoir un impact significatif.

J'aimerais également rebondir sur vos propos concernant Parcoursup. Vous qualifiez cet outil de « machine infernale », affirmant qu'il nous reste des progrès à faire. Je ne partage pas votre avis. Je ne sais pas par quoi nous pourrions remplacer cet outil, que certains voudraient abandonner. J'ai connu APB en tant que mère, puis j'ai vécu l'évolution vers Parcoursup, en tant qu'enseignante et ministre, avec mon mari qui est aussi enseignant. Nous avons suivi de près l'évolution de la plateforme du côté opérationnel et de la transparence.

Je vous assure que c'est un outil très avancé. Avant sa mise en oeuvre, l'accès à l'information sur les formations était très limité et dépendait du lieu de résidence ou du milieu familial. Je sais de quoi je parle : mes parents ne connaissaient que la faculté locale, je ne savais pas qu'il existait d'autres écoles ou formations ailleurs.

Aujourd'hui, Parcoursup permet à tous les élèves et toutes les familles d'avoir un accès égal à l'information sur les formations. Je suis attristée de voir ce système transformé en bête noire politique, alors qu'au contraire, nous devons continuer à l'améliorer, à nous battre pour le rendre encore plus efficace. Parcoursup est déjà un outil d'égalité, et je suis convaincue qu'il faut le soutenir et l'améliorer. Depuis son lancement, des progrès significatifs ont été réalisés, notamment au niveau de la transparence, de l'ergonomie et de l'individualisation du parcours. Certes, il reste encore des ajustements à faire, mais entre 2018 et 2024, la différence est spectaculaire.

Les équipes derrière Parcoursup, dirigées par Jérôme Teillard, ont travaillé sans relâche pour améliorer le système, et je tiens à leur rendre hommage pour cela. Aujourd'hui, les informations sur chaque formation sont facilement accessibles : chaque programme décrit clairement les critères de sélection. Des rapports détaillés sont élaborés. Un comité d'éthique technique a vu le jour. Une mine de données a été transformée en un véritable outil d'orientation.

Parcoursup a, par ailleurs, évolué pour inclure l'outil Mon Projet Sup, disponible dès la seconde. Ce système permet aux élèves d'orienter leur parcours en fonction de leurs aspirations. Grâce à l'intelligence artificielle, il fournit des informations détaillées sur les métiers, les formations nécessaires pour y accéder, et aide à mieux comprendre les prérequis. Par exemple, un élève qui souhaite devenir professeur de mathématiques peut se rendre compte que les derniers admis dans cette filière avaient des moyennes bien plus élevées, ce qui lui permet d'anticiper ses efforts pour progresser. Ce développement permet une orientation active, où les élèves et leurs familles prennent conscience qu'il ne suffit pas de vouloir réussir. Il faut aussi avoir les prérequis nécessaires.

Nous ne pouvons pas « magiquement » faire réussir tous les étudiants, mais nous voulons permettre aux élèves de se préparer dès le début de leur parcours pour éviter des échecs dans l'enseignement supérieur. C'est pourquoi il est essentiel d'utiliser Parcoursup comme une véritable mine d'informations pour anticiper l'orientation, et même adapter les parcours si nécessaire.

Cela dit, je reconnais qu'il reste des améliorations à apporter à l'outil. Je fais partie de ceux qui ont constamment sollicité l'équipe pendant deux ans et demi pour améliorer la plateforme. Mais ce qui me semble primordial, c'est l'évolution continue et les progrès déjà réalisés. Si nous supprimons Parcoursup, quelle serait l'alternative ? On reviendrait en arrière. Il est possible de critiquer Parcoursup, et de pointer des aspects à améliorer, mais il faut aussi reconnaître les avancées qu'il a permises.

Enfin, je pense qu'il est crucial de mieux accompagner les élèves en amont, dès la seconde, et même avant. Parfois, la clé du succès réside moins dans l'insertion post-bac que dans l'orientation bien menée tout au long du parcours scolaire. Je voulais juste ajouter cette précision.

Mme Dominique Vérien. - J'aimerais revenir sur le chiffre des 5 000 chercheurs américains évoqués par Olivia Richard. Ce chiffre, donné par la présidente de l'Académie des sciences, Françoise Combes, est important. Il me semble que nous pouvons agir pour eux à l'échelle européenne. Ce serait une manière claire de marquer notre engagement, de choisir notre camp. Si le nôtre est celui de l'intelligence et de la performance, il serait vraiment dommage de s'en priver.

Françoise Combes affiche une vision plus ambitieuse encore. Elle nous a lancé un défi, à la ministre Aurore Bergé, chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, et à moi-même, lorsqu'elle nous a dit : « Puisque vous y croyez, pourquoi ne pas inclure la liberté académique dans la Constitution ? » Je ne suis pas certaine d'être prête à le relever immédiatement.

Mes chers collègues, avant de nous quitter, je vous rappelle que nous devons procéder à une modification de la composition du Bureau de notre délégation, conformément à ce que j'avais annoncé lors de la réunion constitutive de la délégation le 18 octobre 2023 après le renouvellement sénatorial de septembre 2023.

En effet, s'agissant des postes de secrétaires du Bureau, nous avions acté le principe d'un secrétariat tournant de 18 mois, à compter du 1er octobre 2023 :

- depuis le 1er octobre 2023 et jusqu'au 31 mars 2025, c'est notre collègue Annie Le Houérou qui occupait un des trois postes de secrétaire du Bureau au nom du groupe socialiste ;

- à compter du 1er avril 2025 et jusqu'au 30 septembre 2026, c'est notre collègue Jocelyne Antoine qui occupera ce poste au nom du groupe Union centriste, comme nous en étions convenus le 18 octobre 2023.

Acte est donc donné de cette modification de la composition du Bureau de notre délégation.

Merci à tous d'avoir été présents ce matin. Merci, Madame Retailleau, de la passion communiquée ce matin.