Mardi 25 mars 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 15 h 05.

Audition de Mme Florence Peybernès, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente de la Haute Autorité de l'audit

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons aujourd'hui, en application de l'article 13 de la Constitution, tel que mis en oeuvre par la loi organique n° 2010-837 et la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, Mme Florence Peybernès, dont le Président de la République propose la nomination à la tête de la Haute Autorité de l'audit (H2A). Notre collègue Claude Nougein a été désigné rapporteur par notre commission pour préparer cette audition.

La création de la Haute Autorité de l'audit est récente, puisqu'elle a succédé au Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C) en tant qu'institution garante de la bonne application des normes d'audit et de la déontologie des commissaires aux comptes depuis le 1er janvier 2024.

Madame, votre candidature s'inscrit dans une certaine continuité, puisque vous occupez déjà les fonctions de présidente de la H2A depuis la création de cette institution et que vous étiez également présidente du H3C entre 2021 et 2024 ; notre commission s'était d'ailleurs prononcée favorablement sur votre candidature par deux fois déjà. Vous aurez certainement la possibilité de nous présenter, lors de votre propos liminaire, un bilan de vos mandats précédents.

La création de la Haute Autorité de l'audit a été motivée par l'introduction de nouvelles obligations de reporting de durabilité à destination des entreprises par la directive dite CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) du 14 décembre 2022. L'ordonnance du 6 décembre 2023 de transposition de cette directive a ainsi confié à l'autorité que vous présidez une nouvelle mission de contrôle des auditeurs chargés de la certification de ces informations de durabilité. Vous aurez probablement l'occasion de nous présenter au cours de cette audition les implications de cette nouvelle activité sur l'organisation de vos services.

Ce sujet est d'ailleurs au coeur de l'actualité, puisque le Sénat a voté, dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue), un report de quatre ans des obligations de reporting CSRD pour certaines entreprises. Cette disposition a fait l'objet de nombreux débats au sein de notre assemblée et je suppose que notre rapporteur Claude Nougein ne manquera pas de vous interroger sur ce point.

Je vous rappelle que, conformément à la loi précitée du 23 juillet 2010, cette audition est publique et retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

Les délégations de vote ne sont pas autorisées et seuls les sénateurs présents physiquement pourront prendre part au vote, qui aura lieu à bulletins secrets. Enfin, en vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les commissions des finances des deux assemblées représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Mme Peybernès sera entendue demain matin, mercredi 26 mars, à 9 h 30, par la commission des finances de l'Assemblée nationale ; le dépouillement simultané aura lieu à l'issue de leur scrutin en fin de matinée demain. Nos collègues Bruno Belin et Thomas Dossus m'assisteront pour ce dépouillement, comme scrutateurs.

Mme Florence Peybernès, candidate proposée par le Président de la République pour exercer les fonctions de présidente de la Haute Autorité de l'audit. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conseillère à la Cour de cassation, je suis mise à disposition de la H2A pour en présider le collège.

C'est effectivement la troisième fois que je me présente devant votre commission : la première fois, il s'agissait de terminer le mandat de ma prédécesseure, qui rejoignait la Cour de cassation avant la fin de son mandat ; la deuxième fois, le Président de la République proposait ma candidature à la tête du H3C pour un mandat de six années ; aujourd'hui, c'est parce que le H3C a été remplacé, à compter du 1er janvier 2024, par la H2A.

La création du H3C, qui a existé pendant vingt années, a été décidée à la suite de scandales internationaux systémiques, qui ont, pour partie, trouvé leurs causes dans un audit insuffisant des sociétés, dont les comptes n'étaient, en réalité, pas conformes à la réalité. Parmi toutes les réformes induites par ces scandales, il a été décidé, au niveau international, que la profession de commissaire aux comptes ne devait plus être régulée par elle-même. C'est dans ce cadre que le Haut Conseil du commissariat aux comptes a été créé.

Au fil des réformes successives, notamment la réforme européenne de l'audit et la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, les prérogatives du Haut Conseil ont été renforcées.

Ces prérogatives ont été intégralement transférées à la Haute Autorité pour ce qui concerne la certification des comptes, le changement d'appellation s'expliquant par l'attribution d'une nouvelle mission légale : la certification des informations de durabilité. Selon la directive CSRD, les États membres doivent être aussi exigeants dans la régulation de cette mission qu'ils le sont pour la régulation de la certification des comptes. Pour le législateur européen, ces informations de durabilité doivent donc présenter le même niveau de qualité que ce que l'on peut attendre des comptes.

La raison d'être du H3C comme de la H2A est de faire progresser la qualité de l'audit en France. En vingt ans, la manière de travailler des commissaires aux comptes s'est trouvée profondément modifiée par l'action du régulateur. Il faut dire que la France, dans le code de commerce, a donné des prérogatives étendues à ce régulateur : en plus de tenir les listes nationales des professions concernées, nous avons un rôle de normalisation.

S'agissant d'une mission légale, les commissaires aux comptes n'ont pas une liberté complète d'exercice lorsqu'ils certifient les comptes. Cette mission est guidée par des normes d'exercice professionnel qui relèvent d'articles du code de commerce. La loi a confié au régulateur la mission de rédiger ces normes, et nous le faisons dans une démarche paritaire.

Outre cette normalisation, notre principale mission est le contrôle qualité. Des collaborateurs du H3C, maintenant de la H2A, procèdent à ces contrôles pour ce qui concerne la certification des entités d'intérêt public (EIP).

Pour la certification des comptes des « non-EIP », une convention de délégation en confie la plus grande partie à la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, sous la surveillance et la direction de la Haute Autorité : nous validons le choix des contrôleurs délégués, nous indiquons sur quels sujets les contrôles doivent porter et nous donnons les outils d'élaboration de ces contrôles. C'est évidemment la Haute Autorité qui prend les décisions à la suite des contrôles lorsque ceux-ci ne se sont pas montrés satisfaisants.

Une autre mission de la H2A, ce sont les enquêtes. Nous avons un service des enquêtes, qui est dirigé par un magistrat de l'ordre judiciaire et qui regroupe environ une dizaine d'enquêteurs. Si les enquêtes révèlent des manquements soit aux règles d'audit, c'est-à-dire aux normes d'exercice professionnel dont je vous parlais, soit au code de déontologie, le collège prend la décision d'engager des poursuites contre le commissaire aux comptes. Ces poursuites sont présentées à la commission des sanctions, qui est composée de cinq personnalités, dont un magistrat de l'ordre judiciaire, conseiller à la Cour de cassation. C'est cette commission qui prononce des sanctions, qui vont d'un simple blâme à l'interdiction définitive d'exercer, en passant par des sanctions financières au profit du Trésor public.

Pour exercer ces missions, la Haute Autorité dispose de ressources propres : des cotisations versées par les commissaires aux comptes assises sur leur chiffre d'affaires lié à la certification des comptes et, depuis la modification de la loi, sur la certification des informations de durabilité.

Nous procédons, directement ou via la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, à un petit millier de contrôles chaque année.

Environ 18 000 commissaires aux comptes sont inscrits sur la liste que nous tenons, dont autour de 11 500 personnes physiques, le reste étant constitué de personnes morales. La profession de commissaire aux comptes est plutôt diversifiée en France, et elle est très hétérogène : cela va du cabinet de taille internationale à des commissaires aux comptes de taille plus modeste, adaptée à la certification des comptes d'entités de moindre importance.

Il y a environ 250 000 mandats de certification en France. Les entreprises ne sont pas les seules à faire l'objet d'une obligation de certification. Y sont aussi assujettis les associations qui perçoivent plus de 153 000 euros de fonds publics, des établissements relevant du droit public, comme les hôpitaux ou les universités, et des entités qui sollicitent la certification de leurs comptes même si elles n'y sont pas tenues légalement, leur souci étant de renforcer la confiance de leurs interlocuteurs.

Je le redis, je suis magistrate de l'ordre judiciaire, pas du tout commissaire aux comptes. Pour autant, quel regard puis-je porter sur la profession ? Cette profession, qui remonte au XIXe siècle, est chargée d'une mission d'intérêt général au service de la confiance dans l'économie. Dans le monde, peu d'économies sont reconnues comme ayant le niveau suffisant pour que cette confiance soit acquise, et seuls cinquante-sept États font partie du Forum international des régulateurs d'audit indépendants (International Forum of Independent Audit Regulators, ou Ifiar). Pour être membre de l'Ifiar, il faut disposer d'une profession suffisamment solide et dont la régulation est indépendante de la profession elle-même. Le dernier État à avoir intégré l'organisation est l'Inde - c'était en 2022. La Chine n'en est pas membre. Très peu d'États africains et un seul en Amérique du Sud - le Brésil - le sont.

En vingt ans, la profession de commissaire aux comptes a profondément modifié ses méthodes de travail.

Lorsqu'elle avait été sollicitée pour les travaux préparatoires à ce qui allait devenir la loi Pacte, l'inspection générale des finances avait estimé que l'intérêt de la certification des comptes n'était pas évident, puisque l'immense majorité des comptes sont certifiés et qu'il n'y a pas de différence dans le pourcentage d'entreprises qui font l'objet de procédures collectives selon qu'elles ont ou non un commissaire aux comptes.

Je ne suis pas convaincue par ces arguments. Je vois bien, comme régulateur, que, en réalité, avant de parvenir à la certification des comptes, les commissaires aux comptes demandent très souvent des rectifications à ceux qui les ont préparés - soit les directions financières des entreprises, soit les experts comptables. Avant de parvenir à son rapport, le commissaire aux comptes, qui connaît parfaitement le plan comptable applicable, fait des tests, prend connaissance de l'entité et demande des rectifications. C'est ensuite qu'il certifie les comptes, c'est-à-dire qu'il donne l'assurance qu'il n'y a pas d'anomalies significatives dans les comptes pris dans leur ensemble - c'est la définition légale et internationale. Il peut y avoir des erreurs, des approximations, mais elles ne sont pas d'une importance telle qu'elles pourraient influencer la décision de l'utilisateur des comptes.

La profession a été très heurtée par la promulgation de la loi Pacte, qui a rehaussé les seuils de l'exigence de disposer de comptes certifiés. Elle y voyait bien sûr une probable perte de chiffre d'affaires, mais elle s'interrogeait aussi sur l'utilité que le législateur reconnaissait ou pas au métier de commissaire aux comptes. Cette réforme a été ressentie avec beaucoup d'amertume par la profession prise dans son ensemble, quelle que soit la taille des structures d'exercice professionnel.

N'ayant pris mes fonctions que deux ans après son entrée en vigueur, je me suis donné comme première mission de renouer le dialogue entre cette profession et son régulateur. La promulgation de la loi avait fait perdre la confiance réciproque qu'il doit y avoir entre une profession et son régulateur, et le dialogue était relativement rompu.

Quatre ans plus tard, deux événements sont advenus.

D'abord, le risque de chute du nombre de commissaires aux comptes ne s'est pas réalisé. Certaines très petites structures ont effectivement disparu, mais la profession n'a pas notablement reculé.

Ensuite, le dialogue est désormais serein, comme il doit l'être entre une profession et son régulateur. La confiance est réciproque, même si nous avons chacun des prérogatives auxquelles nous sommes attachés. C'est ce qui a d'ailleurs permis une rédaction sereine, avec la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice, du projet de transposition de la directive CSRD, concrétisée par la promulgation de l'ordonnance de décembre 2023 entrée en vigueur le 1er janvier suivant.

Pendant cette année de préparation, le Haut Conseil a également commencé à dialoguer avec d'autres professionnels pouvant être concernés par les nouvelles obligations de reporting. En effet, la France a levé l'option que lui offrait le texte européen et autorise les entreprises à choisir d'autres professionnels que les commissaires aux comptes pour certifier les informations de durabilité. Nous avons ainsi préparé l'entrée dans notre champ de supervision de nouveaux professionnels, en particulier les sociétés adhérentes de la fédération Filiance - Bureau Veritas, Qualiconsult, Apave, Afnor, etc. -, qui ont fait connaître leur intérêt pour cette mission de certification des informations de durabilité, ou encore les avocats - le Conseil national des barreaux a voté une délibération en ce sens en mai 2022.

Nous avons dialogué avec ces nouveaux professionnels pour proposer deux choses.

D'abord, nous avons homologué une liste de formations pour que ces professionnels puissent, à l'issue de quatre-vingt-dix heures, avoir suffisamment de connaissances pour commencer à exercer cette nouvelle mission légale.

Ensuite, nous avons rédigé des lignes directrices qui permettent de guider ces professionnels, mais aussi les entreprises qui allaient avoir à rédiger pour la première fois des rapports de durabilité, sur les exigences du régulateur en termes de qualité. Nous avons publié ces lignes directrices à l'automne 2024.

La réforme a aussi été l'occasion de modifier la gouvernance de la Haute Autorité. Le collège a été profondément remanié. Le Conseil d'État y est maintenant représenté. Un représentant de la Cour des comptes préside le comité d'audit. Surtout, nous avons accueilli des personnalités compétentes sur les informations de durabilité des entreprises. Le monde de l'entreprise est très représenté à l'intérieur du collège de quatorze membres, mais seulement deux commissaires aux comptes en font partie, et ils doivent avoir cessé leur activité depuis au moins trois ans, toujours dans le souci de ne pas confier à la profession sa propre supervision.

Alors que nous n'avions qu'une formation restreinte, émanation du collège, nous avons créé une commission des sanctions, composée de cinq personnalités qui ne siègent pas au collège et qui se réunissent lorsqu'il y a lieu d'examiner les dossiers d'enquête que le collège a estimé suffisamment constitués pour avoir des griefs à reprocher à un commissaire aux comptes.

Ces modifications ont été opérées à moyens constants, puisque nous ne percevions pas encore les cotisations assises sur la mission de certification des informations de durabilité. Mais les comptes de l'institution ne sont pas inquiétants, puisqu'elle avait suffisamment de réserves pour faire face aux recrutements et à ces modifications.

Voilà ce que je pouvais vous dire en propos préliminaire. J'espère avoir été suffisamment complète pour que vous ayez une belle image de cette nouvelle institution de la République.

M. Claude Nougein, rapporteur. - Je vous remercie.

Je commencerai par évoquer la situation financière de la H2A. Dans un audit flash présenté en mai 2022, la Cour des comptes avait mis en évidence la « fragilité financière persistante » du H3C, auquel la H2A a succédé. La Cour préconisait notamment « une meilleure maîtrise des charges » et invitait l'institution à ne pas écarter la perspective d'une augmentation des cotisations des commissaires aux comptes.

Pouvez-vous nous présenter l'état des lieux de la situation financière de la H2A ? Les recommandations de la Cour ont-elles été prises en compte lors de la création de cette nouvelle entité ? Quel a été l'impact de la réforme de la loi Pacte, qui a entraîné une diminution du nombre d'entités obligatoirement certifiées, sur les recettes de l'institution ?

Je souhaiterais également aborder la mission de contrôle par la H2A des professionnels chargés de la certification des rapports de durabilité que doivent produire les entreprises en application de la directive CSRD. Les obligations de reporting CSRD ont récemment fait l'objet d'une remise en cause par plusieurs États membres de l'Union européenne. La Commission européenne a d'ailleurs proposé, le 26 février dernier, en réaction à cette levée de boucliers, de reporter et d'assouplir ces obligations dans son projet de législation dite Omnibus. Tirant les conséquences des annonces de la Commission, notre assemblée a voté, le 10 mars dernier, un report de quatre ans de ces obligations pour certaines entreprises, lors de l'examen du projet de loi dit Ddadue. Comment percevez-vous les assouplissements des obligations de reporting CSRD qui semblent se profiler ? Comment anticipez-vous l'impact de ces assouplissements sur l'activité de la H2A ?

Par ailleurs, alors que les premiers rapports CSRD seront publiés au premier semestre 2025, plusieurs entreprises ont exprimé leur mécontentement envers leurs auditeurs de durabilité. Ces derniers, essentiellement issus des grands cabinets d'audit, sont accusés d'avoir fait flamber leurs tarifs, peut-être aussi par manque de concurrence, sans pour autant être suffisamment montés en compétence sur les enjeux de durabilité. Comment la H2A compte-t-elle s'emparer de cette problématique ?

Enfin, je souhaiterais connaître votre sentiment sur un sujet qui intéresse particulièrement notre commission. Les commissaires aux comptes font partie des professionnels assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) et sont, dès lors, amenés à transmettre à Tracfin des déclarations de soupçon.

Comment s'exerce le contrôle de la H2A sur le respect de ces obligations ? Les commissaires aux comptes vous semblent-ils suffisamment sensibilisés sur ce sujet ? La H2A met-elle en place des actions à cet égard ?

M. Stéphane Sautarel. - Madame la présidente, comme vous l'avez évoqué, les collectivités territoriales peuvent aujourd'hui, à leur demande, voir leurs comptes certifiés. Certaines se sont engagées dans cette démarche. Quel regard portez-vous sur cette certification facultative ?

Mme Florence Peybernès. - Merci de vos questions.

Pour ce qui concerne, premièrement, les moyens financiers de la Haute Autorité, effectivement, juste avant ma prise de fonction, la Cour des comptes avait porté un regard sur les finances du H3C, qui, depuis plusieurs exercices, terminait avec un résultat négatif. Ce n'est plus le cas depuis que je préside cette institution : sur les trois exercices complets que j'ai conduits, nous avons terminé avec un résultat bénéficiaire.

Le résultat de l'exercice 2024, qui vient d'être calculé par mes collaborateurs, s'établit à 918 000 euros, alors que nous avions voté un budget déficitaire de 1,9 million d'euros. En 2023, nous avons terminé avec un résultat bénéficiaire de 492 000 euros, alors que le collège avait voté un budget déficitaire de 1,6 million d'euros.

Pourquoi ces résultats ? D'abord, parce que les produits de la Haute Autorité sont en hausse : au cours de l'exercice 2024, nous avons bénéficié d'une augmentation de ressources de 1,2 million d'euros par rapport aux prévisions budgétaires. Je rappelle qu'il y a une double cotisation des commissaires aux comptes, avec une cotisation assise sur la totalité des honoraires tous mandats et une surcotisation pour les mandats effectués sur des EIP, qui sont des mandats beaucoup plus complexes, nécessitant beaucoup plus de travail de notre part.

La disparition des difficultés financières ces trois dernières années s'explique aussi par une sous-exécution budgétaire, liée à nos difficultés à recruter des personnalités à la hauteur de nos besoins. Il n'est pas si simple de procéder au contrôle qualité de l'activité de cabinets de taille importante ou très importante ; il nous faut, pour ce faire, des professionnels de très haute qualité, ayant déjà une expérience de l'audit très solide et, sur ce terrain, nous sommes évidemment en concurrence avec les plus grands cabinets, qui recherchent les mêmes talents. Nous ne parvenons donc pas toujours à recruter tous les personnels dont nous avons besoin, même si, pour 2025, les perspectives de recrutement s'améliorent : nous pensons atteindre notre plafond d'emplois de 78 équivalents temps plein travaillé (ETPT) cette année.

Nous avons fait voter par le collège un budget dont le déficit n'est que de 243 000 euros pour 2025. Je n'ai donc pas d'inquiétude sur les aspects budgétaires. Je n'ai pas sollicité la modification de nos ressources ni l'augmentation du taux de cotisation, fixé au minimum par un arrêté du garde des sceaux.

J'en viens aux contrôles de durabilité, et d'abord au regard que je porte sur la directive. À ma place de présidente de la Haute Autorité, je n'ai qu'une légitimité réduite pour m'exprimer sur ce qu'il faudrait pour les entreprises. Je peux juste dire que cette directive marque une réforme de très grande ampleur.

La précédente directive, qui s'appelait NFRD (Non Financial Reporting Directive), donnait aux grandes entreprises l'obligation de publier une déclaration de performance extrafinancière (DPEF), laquelle faisait l'objet d'une simple relecture, la plupart du temps par le cabinet d'audit qui était aussi chargé de la certification des comptes. Cependant, la DPEF ne comportait pas de reporting obligatoire, ce qui veut dire que les entreprises y exprimaient ou divulguaient ce qu'elles souhaitaient. En plus, cette simple relecture n'était pas une certification : c'était une lecture de cohérence, qui n'avait pas la rigueur de ce qu'exige la CSRD.

Qu'en est-il résulté ? D'abord, une très grande surprise pour les entreprises, qui se sont aperçues que le montant des honoraires n'avait plus rien à voir avec celui que le cabinet demandait pour les travaux qu'il réalisait sur la DPEF. Le régulateur que je suis ne peut que comprendre cette différence dans le montant des honoraires : les travaux n'ont pas du tout la même importance et n'engagent pas du tout la même responsabilité pour le vérificateur.

Ensuite, les entreprises se sont étonnées de l'absence de concurrence et du fait que, dans la plupart des cas, c'est le commissaire qui certifiait déjà leurs comptes qui a répondu à l'appel d'offres qu'elles avaient lancé, les « auditeurs de durabilité » n'étant pas venus sur ce marché. Cette situation les a empêchées de faire valoir une comparaison avec d'autres professionnels. Elles ont donc effectivement, monsieur le rapporteur, soupçonné une entente. Ne présidant pas l'Autorité de la concurrence, j'ignore si ce soupçon est justifié. Je peux juste dire qu'il s'agit d'une nouvelle mission que les commissaires aux comptes n'avaient jamais exercée auparavant.

D'ailleurs, la déclaration de performance extrafinancière était confiée non pas à des commissaires aux comptes dans les cabinets d'audit, mais à des ingénieurs spécialisés sur ces questions de durabilité. Les cabinets ont eu des difficultés à constituer des équipes techniques en leur sein pour répondre à cette nouvelle mission légale. Ils se sont contentés de faire une proposition commerciale à leurs clients qu'ils connaissaient bien, dont ils connaissaient les risques et pour lesquels ils pouvaient à peu près comprendre l'étendue des travaux à accomplir.

Le dialogue entre les commissaires aux comptes et les directions financières est ancien, connu et presque routinier. La plupart du temps, les directions financières sont d'ailleurs occupées par des personnes qui ont fait de l'audit ; c'est le même monde qui parle le même vocabulaire. En 2024, les commissaires aux comptes se sont adressés à d'autres directions, chargées de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Or ces dernières n'ont pas la même culture ni la même façon de travailler, et les questions qui ont été posées par les commissaires aux comptes aux directeurs RSE ont été perçues comme intrusives, inappropriées et révélatrices d'un manque de compétence.

Voilà dix années que les responsables RSE rédigeaient des déclarations de performance extrafinancière. Ils n'avaient jamais ou quasiment jamais vu le commissaire aux comptes. Ils avaient seulement vu un ingénieur collaborateur, certes à un niveau élevé dans le même cabinet, mais qui ne faisait finalement qu'une lecture de cohérence.

La situation est devenue tout à fait différente : les travaux de certification ne sont pas des travaux de relecture, et les données figurant dans le projet de rapport de durabilité font l'objet d'un audit par les commissaires aux comptes. Les ESRS (European Sustainability Reporting Standards), corpus obligatoire de plus de 1 000 informations à produire, sous-jacent à ce rapport de durabilité, ne pouvaient pas non plus simplement être lues par le commissaire aux comptes sans faire l'objet d'un travail d'audit - sur la façon dont la donnée a été récoltée, la méthode de calcul, la matrice de matérialité... En réalité, ce que l'on a fait avec les responsables des RSE des grandes entreprises équivalait à dire à un directeur financier qu'il devait mettre l'ancien plan comptable à la poubelle et en utiliser un autre. Sauf exception, il n'y a pas de doute sur l'engagement sincère des responsables RSE à produire de l'information de qualité pour orienter la durabilité de l'entreprise dans laquelle ils travaillent, mais, quelle que soit la volonté de chacun des professionnels concernés par cette nouvelle mission, le dialogue avec les commissaires aux comptes ne pouvait pas tout de suite être serein et facile.

À la Haute Autorité, nous avons pensé que cette législation ambitieuse, utile, était peut-être mise en oeuvre trop rapidement. Nous avions proposé, sans avoir été écoutés, de faire plutôt des audits à blanc : les entreprises auraient rédigé les rapports de durabilité et engagé avec les commissaires aux comptes un dialogue qui n'aurait pas fait l'objet d'une publication pendant un, deux ou trois exercices, de manière que chacun ait bien compris quelles étaient ses prérogatives et ses obligations avant de s'engager dans une publication sereine.

Vous me parlez de compétence insuffisante. Mais comment faire autrement ? À qui confier l'application de cette nouvelle législation ? Comment trouver, dans les économies européennes, des professionnels qui connaissent parfaitement tous les sujets techniques abordés dans les ESRS ? Je vous rappelle qu'il y va de la biodiversité, de la pollution, du traitement de l'eau, du traitement des déchets, des questions climatiques, sans compter le social et la gouvernance. Il faut autant d'ingénieurs que de sujets ! Et je ne parle là que de la partie technique. Il faut aussi quelqu'un qui connaisse l'audit. L'audit, c'est un métier, qui s'apprend - on peut mettre cinq, six ou sept ans à devenir commissaire aux comptes. Un ingénieur ne sait pas auditer. Un commissaire aux comptes manque de compétences sur les sujets techniques.

Depuis ma place de juge, je trouve donc ce procès en incompétence un peu injuste. Personne n'est compétent, y compris les avocats, qui se présentent pourtant aussi sur ce marché. Encore une fois, les ingénieurs des entreprises comme QualiConsult ou Apave ont eu besoin de mieux comprendre ce qu'est une démarche d'audit. En revanche, ils sont effectivement excellents sur les plans de transition, à la condition qu'ils soient très au fait des processus industriels des entreprises, qui, comme vous le savez, sont très variables.

Par ailleurs, oui, les commissaires aux comptes sont assujettis à une obligation en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. D'ailleurs, la Haute Autorité a publié des lignes directrices, rédigées conjointement avec Tracfin, devenues un article du code de commerce qui s'impose aux commissaires aux comptes. Nous contrôlons l'action des commissaires aux comptes sur cette obligation légale et nous les sanctionnons lorsqu'ils ne la respectent pas. Nous avons déjà prononcé des sanctions à l'encontre de commissaires aux comptes qui auraient dû faire une déclaration de soupçon à Tracfin et qui ne l'ont pas fait, dans des situations où leur dossier d'audit mettait en évidence des flux financiers qui pouvaient être soupçonnés d'avoir une provenance illicite. Ces travaux, notamment l'élaboration du grief, ont été menés conjointement avec les services d'enquête de Tracfin.

Je pense avoir répondu à vos trois questions, monsieur le rapporteur.

Nous changeons complètement de sujet avec la certification facultative des collectivités territoriales. Merci de me poser cette question, monsieur le sénateur Stéphane Sautarel, d'autant que je participe aux travaux de Fondafip, qui a le projet d'organiser un colloque sur ce sujet au Sénat en mai ou en juin prochains. C'est la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) qui a prévu cette possibilité expérimentale, pour les collectivités territoriales qui le souhaitent, de faire certifier leurs comptes par des commissaires aux comptes. Cette expérimentation, qui avait une durée de six années, a fait l'objet d'une prolongation par le Sénat, et un rapport a été rédigé par le Gouvernement à destination de votre assemblée sur les suites de cette expérimentation, qui était évidemment plutôt entre les mains de la Cour des comptes que des miennes. Néanmoins, nous l'avons aussi suivie, puisqu'il s'agit d'une mission très nouvelle pour les commissaires aux comptes.

La première année fut difficile : aucun commissaire aux comptes n'a pu certifier les comptes des collectivités territoriales qui s'étaient portées candidates. Il y avait trop d'écart entre ce que le commissaire aux comptes comprenait de la situation financière et la comptabilité de la collectivité territoriale et ce qu'en disaient les normes de comptabilité publique.

Le dialogue a été repris entre les collectivités concernées et les commissaires aux comptes sous la houlette de la Cour des comptes. À l'issue de l'expérimentation, les comptes ont fini par être certifiés ou le nombre de réserves a été significativement réduit. Ce qui, selon les dires de leurs représentants, a beaucoup fait progresser les collectivités territoriales c'est le regard des commissaires aux comptes sur le contrôle interne des structures, permettant principalement aux élus, mais aussi aux directions financières de ces collectivités de comprendre les points de faiblesse qui pouvaient exister dans leurs structures pour l'élaboration des comptes.

Le Haut Conseil a évidemment suivi cette expérimentation avec attention. Il ne faut pas négliger, dans la certification des comptes de collectivités, la difficulté que représentent les normes comptables publiques, qui sont très différentes des normes comptables de droit privé et laissent à ceux qui établissent les comptes une large marge de manoeuvre dans la présentation de ces derniers, ce qui rend toujours un peu délicat le travail du commissaire aux comptes.

Je comprends que la réflexion de la République sur cette question n'est pas achevée. Je comprends qu'elle doit encore progresser. Peut-être faut-il une situation politique plus stable sur une longue durée pour que nous continuions à progresser sur cette question. Votre question est un sujet en soi, monsieur le sénateur.

M. Claude Raynal, président. - Merci beaucoup, madame la présidente, pour la clarté de votre exposé et les réponses que vous avez pu apporter à nos collègues.

Je vais maintenant, comme le veut la tradition, vous raccompagner en dehors de la salle pour que nous puissions procéder au vote sur votre candidature, dont vous aurez le résultat demain, en fin de matinée.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le président de la République, de Mme Florence Peybernès aux fonctions de présidente de la Haute autorité de l'audit

La commission procède au vote sur la proposition de nomination de Mme Florence Peybernès aux fonctions de présidente de la Haute autorité de l'audit.

À l'issue du vote de la commission des finances de l'Assemblée nationale, la commission des finances du Sénat procède au dépouillement, simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, en présence de M. Claude Raynal, président, et MM. Bruno Belin et Thomas Dossus, secrétaires en leur qualité de scrutateurs.

Le résultat du vote, qui sera agrégé à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale, est le suivant :

Nombre de votants : 14, Blancs : 0, Pour : 14, Contre : 0.

La réunion est close à 15h 55.

Mercredi 26 mars 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 09 h 00.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, je salue la présence parmi nous d'une délégation de la commission des finances de l'Assemblée nationale du Bénin, dirigée par son président, et de la Cour des comptes de ce pays, représentée par son président et son procureur général. Mesdames, messieurs, chers collègues, nous sommes très heureux de vous accueillir.

Nous examinons ce matin le rapport de Sylvie Vermeillet sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales.

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure. - Notre commission est saisie d'un projet de loi prévoyant l'entrée en vigueur d'un avenant à la convention fiscale franco-suisse. Composé d'un article unique, ce texte a pour objet d'autoriser l'approbation de l'avenant du 27 juin 2023, modifiant la convention fiscale bilatérale du 9 septembre 1966.

En application de l'article 53 de la Constitution, l'entrée en vigueur de certains accords internationaux, dont les conventions fiscales, est subordonnée à l'autorisation du Parlement. Les projets de loi concernés, qui ne sauraient modifier le contenu des conventions, ont pour unique objet de valider, ou de rejeter, les solutions négociées par l'exécutif.

Le Sénat se trouve être la première assemblée saisie de ce projet loi. Son adoption par le Parlement est particulièrement attendue, dès lors que l'avenant a été définitivement approuvé par un vote final de l'Assemblée fédérale suisse le 14 juin 2024.

Avant de présenter en détail le contenu de l'avenant, je voudrais revenir un instant sur les relations fiscales bilatérales entre la France et la Suisse. Cet encadrement repose non pas sur une seule convention fiscale bilatérale, comme il est d'usage, mais sur une série d'accords fiscaux et budgétaires qui établissent plusieurs régimes spécifiques. Cet enchevêtrement de textes découle de la répartition des compétences, au sein de la Confédération helvétique, entre le niveau confédéral et les cantons.

Deux accords principaux déterminent les relations fiscales bilatérales franco-suisses.

D'une part, la convention fiscale du 9 septembre 1966 fixe les règles de partage des impositions entre la France et la Suisse s'agissant de l'impôt sur le revenu, de l'impôt sur les sociétés, de la taxe sur les salaires, de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), ainsi que des impôts suisses équivalents. Concernant l'imposition des travailleurs transfrontaliers, la convention retient, à son article 17, un principe d'imposition dans l'État d'exercice de l'activité. C'est ce texte que vient modifier l'avenant objet du projet de loi.

D'autre part, l'accord fiscal du 11 avril 1983 établit un régime frontalier entre la France et plusieurs cantons suisses. Comme vous le savez, les notions de travailleur frontalier et transfrontalier sont distinctes. Un travailleur frontalier réside et travaille dans une zone frontalière définie par une convention bilatérale et correspondant à un régime spécial.

Par dérogation aux principes du droit fiscal international et contrairement à la convention de 1966, l'accord de 1983 retient un principe d'imposition dans l'État de résidence des rémunérations des travailleurs frontaliers. Il est applicable à huit cantons suisses : Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, le Valais, Neuchâtel et le Jura.

À noter qu'un accord spécifique en date du 29 janvier 1973, de nature budgétaire et non plus fiscale, concerne le seul canton de Genève qui relève de la convention de 1966. Cet accord prévoit le versement aux deux départements frontaliers du canton de Genève, l'Ain et la Haute-Savoie, d'une compensation financière équivalente à 3,5 % de la masse salariale brute des travailleurs transfrontaliers afin de financer les infrastructures bénéficiant à ces derniers.

J'en viens maintenant au détail du contenu de la convention, en insistant sur les deux principaux volets de l'avenant.

Le premier volet concerne le traitement de la problématique du télétravail des transfrontaliers. La crise sanitaire du covid-19 a conduit à un fort développement du télétravail. Or l'exercice du télétravail a pour conséquence de modifier les modalités d'imposition pour les personnes résidant dans un État et travaillant habituellement pour un employeur situé dans l'autre État. L'État d'exercice de l'activité devient, de facto, l'État de résidence.

Dans le but de neutraliser les effets fiscaux de l'essor du télétravail, la France et la Suisse ont conclu, à compter de 2020, une série d'accords amiables. En l'état du droit, deux accords en date du 22 décembre 2022 fixent les règles de partage d'imposition des activités effectuées en télétravail.

D'une part, un premier accord traite de la situation des frontaliers relevant de l'accord de 1983. Il stipule que l'exercice du télétravail, dans la limite de 40 % du temps de travail, ne remet en cause ni le statut de frontalier ni les règles d'imposition à la résidence des revenus d'activité salariée qui en découlent. Cet accord a vocation à s'appliquer de manière pérenne et il continuera de s'appliquer après l'entrée en vigueur de l'avenant du 27 juin 2023.

D'autre part, un second accord concerne les transfrontaliers régis par la convention de 1966. Il prévoit de maintenir l'imposition dans l'État de l'employeur, si le travail effectué à distance depuis l'État de résidence n'excède pas 40 % du temps de travail. Au-delà de cette limite de 40 % du temps de travail, soit environ deux jours par semaine, la rémunération de l'activité en télétravail est imposée dans l'État de résidence, et ce dès le premier jour de télétravail.

Si l'on prend un exemple concret, un transfrontalier résidant dans le Jura et travaillant à Genève qui télétravaille 38 % de son temps de travail en France sera imposé pour l'ensemble de ses rémunérations en Suisse. En revanche, s'il télétravaille en France 50 % de son temps de travail, il dépasse le seuil de 40 % : ses rémunérations afférentes à son activité en télétravail seront donc imposées en France et la Suisse ne pourra imposer que la fraction de rémunération correspondant à l'activité exercée à Genève.

Les règles prévues par l'accord de décembre 2022 sont de nature temporaire et l'avenant du 27 juin 2023 vise précisément à les intégrer et les pérenniser dans la convention de 1966.

L'intégration de ce régime fiscal du télétravail à la convention de 1966 présente deux avantages principaux.

D'abord, l'avenant de 1966 prévoit que l'État d'exercice de l'activité verse à l'État de résidence des télétravailleurs une compensation fiscale. Il s'agit d'une contrepartie au renoncement par l'État de résidence à des recettes fiscales. La compensation s'élève à 40 % des impôts dus sur les rémunérations versées à raison des activités exercées en télétravail depuis l'État de résidence. Un montant spécifique de compensation est prévu pour le canton de Genève pour tenir compte des équilibres de l'accord budgétaire de 1973.

L'avenant à la convention franco-suisse est donc plus favorable à la France que l'avenant du 7 novembre 2022 à la convention fiscale bilatérale du 20 mars 2018 entre la France et le Luxembourg, qui ne prévoyait pas un tel mécanisme de compensation fiscale.

Ensuite, l'adoption de cet avenant devrait renforcer la sécurité juridique des contribuables transfrontaliers et simplifier les règles applicables en matière d'imposition des rémunérations. Il contribuera également à désengorger le trafic routier entre la France et la Suisse, alors que 236 219 travailleurs français sont considérés comme frontaliers.

Toutefois, je tiens à tempérer cette appréciation par deux points d'attention.

Premièrement, le Gouvernement n'a pas été en mesure de fournir une évaluation précise des conséquences de l'avenant pour nos recettes fiscales. La faiblesse de l'étude d'impact du projet de loi est d'autant plus regrettable que la Cour des comptes, dans un référé de 2017, soulignait déjà l'insuffisance de l'expertise économique préalable à la négociation des conventions fiscales.

Deuxièmement, l'application de l'avenant devra faire l'objet d'un suivi attentif quant à la mise en oeuvre du mécanisme d'échange automatique d'informations, prévue pour 2026, et de la règle des dix jours de mission temporaire assimilable à du télétravail, qui suscite quelques inquiétudes - légitimes - de la part des transfrontaliers.

Le second volet de l'avenant de juin 2023 consiste en une mise à jour partielle de la convention de 1966 aux derniers standards de l'OCDE. L'avenant poursuit ainsi le travail de modernisation du réseau conventionnel français.

Pour rappel, deux instruments de l'OCDE orientent désormais la politique conventionnelle française en matière fiscale. Il s'agit tout d'abord du modèle de convention fiscale de l'OCDE, mis à jour en 2017, d'une part, et de l'instrument multilatéral de l'OCDE, issu du plan d'action pour lutter contre l'évitement fiscal et moderniser le droit fiscal international, mieux connu sous son acronyme anglais Beps, d'autre part. La Suisse ne considérant pas la convention de 1966 comme étant couverte par l'instrument multilatéral de l'OCDE, il a été nécessaire d'inscrire ses apports directement dans la convention bilatérale.

En premier lieu, l'avenant reprend les principales stipulations du modèle de convention de l'OCDE. En particulier, il intègre : une mise à jour du préambule de la convention au regard de l'objectif de lutte contre l'évasion et la fraude fiscale ; une clause générale anti-abus pour lutter contre les montages fiscaux abusifs ; une modernisation de la procédure de règlement des différends : et un mécanisme d'ajustement corrélatif pour éviter les phénomènes de double imposition des bénéfices des entreprises. En dépit de cette mise à jour, la convention de 1966 conserve des stipulations qui diffèrent du modèle de convention de l'OCDE.

En second lieu, l'avenant intègre à la convention de 1966 un nouvel article, à la demande de la Suisse, permettant de garantir l'applicabilité des règles du « pilier 2 » de l'OCDE relatives à l'imposition minimale des entreprises.

Pour conclure, l'accord trouvé entre la France et la Suisse me paraît, modulo les réserves précédemment indiquées, équilibré et de nature à renforcer la sécurité juridique de nos contribuables transfrontaliers, d'une part, et à moderniser le cadre de nos relations fiscales bilatérales au regard des derniers standards internationaux, d'autre part.

Je vous propose par conséquent d'émettre un avis favorable à l'entrée en vigueur de l'avenant du 27 juin 2023 à la convention franco-suisse de 1966, c'est-à-dire d'adopter le présent projet de loi sans le modifier.

M. Claude Raynal, président. - On voit bien la complexité de ce type de convention et on touche clairement du doigt, avec ce texte et cette barre de 40 % de télétravail, la question des effets de seuil...

Sans être provocateur, quel pays choisir pour être imposé ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Si ce type de convention doit être formellement approuvé par le Parlement, on voit bien qu'il s'agit en fait d'une simple information...

La France a la particularité d'avoir des frontières avec de nombreux voisins, nous avons donc à gérer plusieurs bassins d'emploi qui sont à cheval sur plusieurs pays. En raison de l'histoire, les conventions fiscales avec ces voisins reposent sur des mécanismes différents ; pour la Suisse, la particularité supplémentaire est que ce pays n'appartient pas à l'Union européenne. Tout cela crée une segmentation et il faut bien reconnaître qu'il est difficile de s'y retrouver.

Cet avenant concerne principalement la question du télétravail, question que nous avons déjà évoquée pour ce qui concerne le Luxembourg. Il est important de disposer de règles claires en la matière aussi. J'ai deux questions.

À quoi correspond le seuil de télétravail de 15 % choisi pour la compensation versée par le canton de Genève sur le télétravail ?

Comment les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie gèrent-ils et répartissent-ils la compensation financière versée par le canton de Genève ?

M. Marc Laménie. - Je veux à mon tour saluer la présence de la délégation du Bénin.

Notre rapporteure a évoqué le nombre impressionnant de personnes habitant en France et travaillant en Suisse. Qu'en est-il, en sens inverse, du nombre de personnes habitant en Suisse et travaillant en France ? Quelles règles s'appliquent à elles ?

En ce qui concerne les retombées financières pour les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie, est-ce que la région et les intercommunalités en bénéficient également ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Cet avenant est nécessaire pour actualiser les règles et il est important de mettre à jour la convention de 1966, en y intégrant notamment des règles du « pilier 2 » de l'OCDE.

Cependant, pourquoi cette mise à jour est-elle partielle ? Quels sont les points d'achoppement ?

J'ai été alertée sur la question des dix jours de mission temporaire. Des employeurs suisses, notamment de petites ONG, semblent trouver ce dispositif complexe d'un point de vue administratif et envisagent par conséquent de moins recourir à des travailleurs transfrontaliers. Il y a certainement un besoin de simplification.

Enfin, je trouve regrettable que le Parlement ne dispose pas d'une étude d'impact satisfaisante sur les conséquences financières de ce texte, notamment pour les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie.

M. Vincent Capo-Canellas. - Est-ce que ce texte a une incidence sur la convention fiscale existante relative à l'aéroport de Bâle - Mulhouse ?

M. Christian Bilhac. - L'étude d'impact est lacunaire, mais sait-on au moins si ce nouvel accord est favorable ou défavorable à nos finances publiques ?

Mme Ghislaine Senée. - Quels seront les mécanismes de surveillance et de contrôle de cet accord ? Je rappelle que la Cour des comptes a estimé qu'il fallait davantage de moyens de contrôle, si nous ne voulons pas que se développe une optimisation abusive.

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure. - Tout d'abord, c'est la résidence et le lieu d'emploi qui définissent le mode d'imposition, les gens n'ont pas le choix.

Si le nombre de frontaliers explose, c'est d'abord en raison de l'énorme différence de salaires entre la France et la Suisse : le salaire moyen côté français est de 2 300 euros contre 7 000 euros en Suisse ! Dans certains cantons, le nombre de frontaliers a été multiplié par cinq en très peu de temps et, côté français, la bande frontalière est de plus en plus large. Cela entraîne d'ailleurs des difficultés pour les employeurs français de conserver leur main-d'oeuvre ou de recruter. Face à ce phénomène, des employeurs suisses cherchent à imposer la résidence en Suisse.

Monsieur le rapporteur général, le fonctionnement des conventions fiscales est effectivement très différent selon les situations.

Avec le Luxembourg, l'accord ne prévoit pas de compensation en contrepartie d'un forfait de télétravail.

Pour les huit cantons frontaliers avec l'arc jurassien, les règles de droit international sont en fait inversées, puisque les frontaliers restent imposés en France, mais la France reverse à ces cantons une somme équivalant à 4,5 % de la masse salariale concernée, ce qui représente 320 millions d'euros par an.

Le canton de Genève a un statut plus classique : il reverse aux départements de l'Ain et de la Haute-Savoie, via le Trésor public français, l'équivalent de 3,5 % de la masse salariale. Cela résulte de l'histoire : les responsables du canton ont accepté de financer les infrastructures locales - les routes, le logement, etc. - de l'Ain et de la Haute-Savoie par le biais de ce reversement. Ce schéma est cependant assez étonnant : tant mieux pour ces deux départements, mais quid des autres territoires concernés dans la bande frontalière qui sont confrontés aux mêmes problèmes ?

Il n'y a donc pas d'homogénéité entre les cantons. Les responsables du canton de Genève sont bien conscients de la situation et ils ont tendance à vouloir grignoter le montant du reversement aux départements français.

Genève verse 346 millions d'euros par an aux deux départements au prorata du nombre de frontaliers. Si le canton ne verse rien à la région, ces deux départements répartissent une part de ces financements aux communes et aux intercommunalités. Il y a donc, vous vous en doutez, des discussions entre collectivités locales françaises pour le financement des infrastructures.

Par ailleurs, on compte quand même environ 200 000 Suisses qui travaillent en France.

La mise à jour de l'accord est partielle, parce que les négociations n'ont pas abouti.

En ce qui concerne la prise en compte du télétravail, les choses restent en fait les mêmes dans la limite de 40 % du temps de travail, sauf à Genève : là, considérant que le canton verse déjà une contribution, la nouvelle compensation ne s'appliquera que pour la seule fraction de télétravail comprise entre 15 % et 40 % du temps de travail. Ainsi, en dessous de 15 %, cette nouvelle compensation ne s'appliquera pas. La situation particulière actuelle de l'Ain et de la Haute-Savoie par rapport aux autres territoires explique certainement que ses responsables aient cédé sur ce point. J'aurais évidemment voulu avoir une estimation de ce que cela représente, parce que ce sont des sommes importantes, mais nous ne le saurons qu'a posteriori...

Par ailleurs, il n'y a pas d'incidence de ce nouvel accord sur la convention relative à l'aéroport de Bâle - Mulhouse.

Il est difficile de dire si cet accord est favorable ou non pour les finances publiques, mais je voudrais attirer votre attention sur un autre point très important : l'assurance chômage.

En Suisse, les règles de licenciement sont beaucoup plus souples qu'en France : on peut vous licencier du jour au lendemain et la compensation salariale dure au moins trois mois, mais au maximum cinq mois. Au-delà de cinq mois, la France prend en charge les allocations sur la base de l'ancien salaire du frontalier, avec un niveau moyen de salaire - je vous le disais - de 7 000 euros !

Des discussions sont en cours à ce sujet : la France envisage de continuer sur cette base, mais France Travail devrait proposer des emplois équivalents dans notre pays - avec des salaires français... - et, si le salarié en refusait un certain nombre, les allocations diminueraient. Il existe aussi des discussions sur ce sujet au niveau de l'Union européenne pour que, de manière générale, ce soit le pays de travail qui indemnise.

Or je vous rappelle que le financement de l'assurance chômage est uniquement assuré par une cotisation des employeurs de 4 %, ce qui est un peu la double peine pour les employeurs de la région qui ont déjà du mal à conserver leurs salariés ou à recruter.

J'ajoute que le manque à gagner pour la France, sur l'ensemble des États frontaliers, atteint quand même 9 milliards d'euros sur la période 2011-2023. Il faut donc faire bouger les choses !

En ce qui concerne les dix jours de mission temporaire, j'ai entendu la même chose que ce qu'a indiqué Florence Blatrix Contat. Beaucoup de salariés travaillent dans ou pour une organisation non gouvernementale, si bien que les missions à l'étranger sont fréquentes. Ce chiffre de dix jours est donc sûrement trop bas. Les stipulations de l'avenant sont claires : au-delà de dix jours, ce n'est plus du télétravail. C'est un point que je suivrai attentivement, parce que je suis certaine que cela posera des problèmes.

Cela m'amène à la question des moyens de contrôle. Je compte suivre les incidences financières de cette convention et les discussions relatives à la question de l'assurance chômage. Les négociations se font toujours à pas feutrés. Cela ne doit pas nous empêcher de procéder aux contrôles nécessaires. En tout cas, les employeurs du canton de Genève seront très vigilants sur le seuil de 15 % de télétravail, puisqu'il n'y a pas de compensation en dessous...

Mme Christine Lavarde. - Outre la question de l'assurance chômage, il me semble que se pose aussi celle de la fiscalité des revenus de placement. En effet, d'après des décisions de justice, il n'est pas possible d'imposer aux personnes qui ne bénéficient pas des prestations sociales de payer les cotisations afférentes. La fiscalité sur le patrimoine est donc réduite de moitié environ pour ces personnes par rapport à leurs voisins qui travaillent en France. Cela représente une perte de recettes qui se chiffre en milliards d'euros pour la France.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

La réunion est close à 9 h 45.

La réunion est ouverte à 10 h 00.

« Le financement bancaire des projets d'investissement des collectivités territoriales » - Audition de MM. Pierre Boileau, maire de Ludres, vice-président de la métropole du Grand Nancy et membre du conseil d'administration de l'Agence France Locale - Société Territoriale (AFL-ST), Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque postale et directeur général adjoint du groupe La Poste, Jacques-Olivier Hurbal, directeur du développement de la Caisse d'Épargne - Groupe BPCE et Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des Territoires par intérim et directeur des participations stratégiques à la Caisse des dépôts

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin les principaux acteurs bancaires, publics ou privés, qui contribuent au financement des projets d'investissement des collectivités territoriales.

Alors que les ministres de l'économie, des finances et des comptes publics nous ont récemment indiqué que l'on n'avait pas assisté au dérapage redouté par leurs services à l'automne passé, néanmoins nous ne pouvons que constater la détérioration en général de la capacité d'autofinancement des collectivités territoriales. Les besoins en termes d'investissement, entre autres pour faire face aux nouveaux enjeux tels que les risques climatiques, parallèlement à la raréfaction des subventions de l'État, conduisent à la nécessité de diversifier les modes de financement et de recourir davantage à l'endettement. La société Finance active vient de publier les chiffres de son observatoire pour l'année 2024 et a observé une progression de 24 % des montants empruntés sur le panel des collectivités retenues. Cette progression est assurément calquée sur le cycle électoral, avec une accélération des projets d'investissement dans la quatrième année du mandat municipal et reflète un comportement d'anticipation visant à sécuriser des projets dans un contexte plus qu'incertain.

La tendance à la hausse n'en est pas moins marquée et nous amène à nous interroger sur les conditions du financement bancaire des collectivités territoriales. L'un des enjeux est le coût de cette dette, avec un coût réel en hausse du fait de taux d'intérêt qui diminuent moins vite que l'inflation. J'invite donc nos intervenants à s'exprimer sur leur ressenti quant au coût de ce financement pour les collectivités territoriales, en le replaçant évidemment dans le contexte historique que nous traversons, mais aussi en se risquant à livrer des perspectives d'avenir.

L'autre enjeu est celui du volume de la dette des collectivités. Comme je viens de l'indiquer, l'encours de la dette des collectivités a connu une forte hausse en 2024. Or, les besoins de financement des collectivités devraient s'accroître dans les prochaines années. On estime à 11 milliards d'euros les investissements nécessaires en faveur de la transition écologique qui devront être réalisés chaque année jusqu'en 2030. Dans un contexte budgétaire contraint, il est peu probable que ces sommes soient financées par l'État et une hausse de l'endettement des collectivités est à prévoir. Je souhaiterais donc avoir le sentiment de nos intervenants sur la solvabilité de nos collectivités territoriales et sur la capacité des acteurs privés et institutionnels à assurer les financements nécessaires, à un coût acceptable.

Enfin, comme vous le savez, la loi de finances pour 2024 rend obligatoire à terme la constitution de budgets verts dans les communes de plus de 3 500 habitants. Pour que cet exercice, à ce stade un peu technocratique, ait un sens, il faut pouvoir valoriser cette information. Que pensez-vous, par exemple, du fait de prévoir des taux préférentiels pour les projets les plus vertueux d'un point de vue écologique ? Plusieurs de vos institutions ont une offre de prêts verts en faveur des collectivités. Considérez-vous que leur volume est significatif et que la législation permet leur plein essor ?

Je donnerai d'abord la parole à Stéphane Dedeyan, président du directoire de la Banque postale et directeur général adjoint du groupe La Poste. Nous poursuivrons avec Jacques-Olivier Hurbal, directeur du développement de la Caisse d'épargne, pour le groupe BPCE. Nous entendrons ensuite Antoine Saintoyant, directeur par intérim de la Banque des Territoires et directeur des participations stratégiques à la Caisse des dépôts. Nous conclurons ce tour de table par Pierre Boileau qui représente le Grand Nancy au conseil d'administration de l'Agence France locale - Société territoriale (AFL-ST).

M. Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque postale et directeur général adjoint du groupe La Poste. - C'est essentiel pour moi de venir vous rendre compte de l'activité de la Banque postale en matière de financement local et je vous remercie donc de cette heureuse initiative.

J'ai rejoint le groupe La Poste en avril 2021, juste après le projet « mandarine », une montée de la Caisse des dépôts au capital de La Poste en parallèle de l'intégration au groupe de CNP Assurances. J'ai un parcours d'assureur, de banquier et de postier et j'ai travaillé dans toutes sortes d'environnement, des environnements privés, mutualistes ou d'entreprises publiques comme aujourd'hui. Depuis que je suis président du directoire de la Banque postale, j'ai pu mesurer combien le financement local est au coeur de notre ADN et de nos priorités. Et en tant qu'assureur, puis banquier, j'ai pu comprendre à quel point les communes, les métropoles, les départements, les régions sont des acteurs centraux du lien social, du tissu économique et à quel point elles constituent une colonne vertébrale pour notre pays. En fait, en tant que filiale du groupe La Poste, la Banque postale a un attachement historique et, je crois, légitime aux territoires. C'est une banque complète qui accompagne les collectivités locales dans leurs besoins de financement et leur gestion.

Pour le financement des investissements, la Banque postale s'adapte aux besoins et à l'organisation de chaque collectivité en proposant du financement bancaire direct, du financement obligataire, des financements pour les opérateurs de la collectivité, qu'il s'agisse d'un bailleur, d'un Ehpad, d'une entreprise publique locale, mais aussi des financements pour les délégataires de service public.

Une caractéristique de la Banque postale qui est probablement un peu moins connue, c'est qu'elle permet aussi d'optimiser le plan de financement avec une offre de recherche et de gestion des subventions qui s'appelle « SUBZEN ». Depuis 2015, et cela a encore été le cas en 2024, la Banque postale est le premier prêteur bancaire des collectivités locales et des hôpitaux publics : elle apporte environ 25 % des financements bancaires annuels nécessaires à la réalisation des investissements des collectivités. Pour y parvenir, on met en oeuvre des moyens financiers qui sont complémentaires et variés. On mobilise notre propre bilan, qui est constitué de l'épargne de plus de 11 millions de Français, mais également le bilan de la SFIL - anciennement Société de financement local - qui nous refinance, et puis le bilan de notre assureur CNP Assurances. Ces différents moyens nous permettent de répondre aux besoins de liquidités des collectivités et de compétitivité des territoires. Depuis le lancement de l'activité en 2012, la Banque postale a apporté 50 milliards d'euros de financement à long terme et 30 milliards d'euros à court terme, à plus de 8 000 collectivités. Elle a également apporté 4 milliards d'euros aux délégataires des collectivités locales pour le financement d'infrastructures.

À l'intérieur de ces financements, nous avons développé une offre dédiée au financement des enjeux environnementaux, sociaux et territoriaux : ce sont 14 milliards d'euros de prêts sociaux à destination du secteur public qui ont permis de financer des projets qui contribuent aussi bien à l'accès à l'eau, aux mobilités décarbonées, à l'éducation ou encore à la santé. On apporte aussi un conseil et une expertise, assez unique, sur l'évolution des finances publiques locales grâce à une direction dédiée d'études et de recherches, cette direction publie régulièrement des analyses qui contribuent au débat public sur la situation financière sectorielle par strate, ou par enjeu comme la transition énergétique. Elle forme des nouveaux élus sur le budget et sur l'analyse financière en partenariat avec l'Association des maires de France.

En complément, nous nous sommes dotés dès 2012 d'un comité d'orientation qui est composé d'experts et d'élus des collectivités locales pour adapter notre accompagnement à l'actualité du secteur public local. On répond également aux attentes des collectivités sur l'amélioration des services d'encaissement et de paiement, en permettant, par exemple, aux régies du secteur public de venir déposer et récupérer des espèces dans nos bureaux de poste.

Ce sont 800 000 opérations que nous réalisons chaque année. Nous accompagnons les autorités organisatrices de mobilité et leurs exploitants dans la mise en place de solutions qui permettent d'utiliser la carte bancaire ou le smartphone comme titre de transport.

Ce qu'on ne sait pas forcément non plus, c'est que nous sommes le premier acteur des solutions de paiement des aides sociales des départements sous forme de CESU. Au fond, l'ensemble de ces offres nous rend, je crois, légitimes et experts. Et ces expertises, on les apporte au plus près de chaque collectivité grâce à la proximité de nos chargés d'affaires spécialisés sur le secteur public local. Ils sont répartis sur 45 implantations sur tout le territoire métropolitain et dans les outre-mer.

Un autre point sur lequel je souhaite insister, c'est le fait que nous finançons des collectivités de toute taille. On a notamment dédié une équipe aux collectivités de « petite » taille qui ont besoin d'un accompagnement spécifique dans le montage de leurs plans de financement : un financement sur deux est d'ailleurs proposé à des communes de moins de 10 000 habitants, c'est vraiment une priorité.

Vous l'aurez compris, la Banque postale qui est une banque à capitaux publics, offre une palette complète de services en pleine complémentarité avec les entités du pôle financier public, notamment la Banque des Territoires dont les financements sont tout à fait complémentaires en termes de durée ou de nature, et avec la SFIL, qui nous permet de refinancer notre bilan. Finalement, notre souhait est d'accompagner et de soutenir les collectivités locales dans la durée pour qu'elles puissent mener à bien leur projet de développement et les transitions que notre économie doit réaliser.

Pour conclure ce propos liminaire, je vous fais part des inflexions que j'ai souhaité donner depuis mon arrivée. D'abord, nous avons souhaité augmenter notre intervention, avec une croissance des financements locaux de plus de 25 %. J'ai souhaité aussi qu'on augmente la part ESG, c'est-à-dire tous les prêts verts et sociaux, dans une intervention qui a elle-même grossi. Une attention plus importante a été portée aux petites collectivités, avec cette idée qu'au fond, il n'y a pas de petits ou de grands projets pour la Banque postale, il n'y a que des projets utiles.

Puisque l'on parle de choses très concrètes, je souhaiterais donner quelques exemples : un prêt de 350 000 euros à Saint-Jory en Haute-Garonne pour l'extension de l'école maternelle et les équipements de la Maison de la culture ; la réouverture de la ligne ferroviaire Nancy-Contrexéville avec un financement à hauteur de 60 millions d'euros ; 550 000 euros dans la commune de Saint-Benoît dans la Vienne pour les énergies renouvelables ; 25 millions d'euros pour financer les subventions d'investissement versées au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de l'Hérault ; le renouvellement des équipements d'assainissement du territoire d'Auray Quiberon Terre-Atlantique dans le Morbihan, au sein d'un plan Marshall de 50 millions d'euros étalés sur quatre ans ; au Plessis-Bouchard dans le Val-d'Oise, le financement d'un gymnase via un prêt de 3 millions d'euros ; un prêt social de 6 millions d'euros au département de la Guadeloupe pour un collège.

M. Claude Raynal, président. - Merci monsieur Dedeyan. Quelques précisions pour votre reprise de parole, qui pourront aussi intéresser les trois autres intervenants. Nous souhaiterions que votre propos comporte une analyse de l'état des collectivités territoriales du point de vue de leur financement : en tant que banquier, considérez-vous que ce marché est sain ? Sentez-vous monter des difficultés aujourd'hui, et si oui de quelle nature ? La baisse de l'autofinancement des collectivités territoriales est-elle préoccupante ? M. Dedeyan, vous pourrez aborder ce sujet lorsque vous répondrez aux questions des commissaires.

M. Jacques-Olivier Hurbal, directeur du développement de la Caisse d'Épargne - Groupe BPCE -Je suis directeur du développement des Caisses d'épargne et suis présent au titre du groupe BPCE pour partager avec vous notre engagement en faveur des collectivités. J'ai un parcours quasi exclusivement bancaire, dans tous les métiers commerciaux. J'ai été dirigeant de la Caisse d'épargne Côte d'Azur. À partir de lundi prochain, je serai le patron de l'immobilier du groupe et président d'une banque de financement de la promotion immobilière . Je suis ici aujourd'hui en raison de ma connaissance du secteur public, finançant les collectivités depuis plus de 25 ans. Le groupe aujourd'hui est très présent et a réaffirmé dans son plan stratégique vision 2030, son engagement vis-à-vis des territoires. Ceci inclut, bien évidemment, le financement et l'accompagnement des collectivités. On a une chance importante, c'est d'assurer un lien très fort entre le privé et le public, lien que l'on est en train de renforcer.

Ce lien prend des formes multiples, que ce soit par notre rôle d'opérateur social, puisque nous sommes le premier banquier du social, mais aussi un des gros financiers privés du secteur public. Sachez qu'on a à peu près 55 milliards d'euros d'encours sur les collectivités de toute nature, de la petite commune jusqu'à la région, avec une production en quatre ans de plus de 30 milliards d'euros d'accompagnement des collectivités. On observe une forte accélération en 2024, qu'on retrouve d'ailleurs dans le montant financé.

S'agissant de la santé financière des collectivités, on a assisté avec les transferts de compétences à une accélération de l'endettement des gros porteurs, des grosses collectivités que sont les départements et les régions, collectivités que nous avons continué d'accompagner. Quant aux communes, elles ont pour nous une santé financière très acceptable.

S'il fallait évoquer des difficultés, peut-être, parmi les pistes que nous essayons de pousser, ce serait dans le fléchage des financements. Nous répondons aujourd'hui à des appels d'offres sur certaines enveloppes. Monsieur le président, vous évoquiez l'obligation de financer la transition énergétique : il serait pour nous important de pouvoir flécher davantage ces financements, du fait de partenariats de notre groupe avec notre société de crédit foncier (SCF) ou avec la banque européenne d'investissement (BEI). Ceci nous permettrait d'améliorer les conditions des prêts accordés aux collectivités. Nous venons également de racheter, en 2025, une structure qui nous permet d'aller chercher des subventions, au niveau européen ou français, pour accompagner les collectivités dans leur financement.

Nous n'avons pas le sentiment aujourd'hui qu'il y ait des difficultés à financer les collectivités. À chaque appel d'offres, nous sommes au moins quatre à répondre et il y a une vraie capacité, je pense, d'accompagnement des collectivités. Que ça soit les Banques populaires, les Caisses d'épargne ou Natixis, chacun à son niveau, chacun avec son niveau d'expertise, nous intervenons et nous continuerons de le faire dans les années à venir. Nous avons des partenariats avec l'Association des maires de France. Nous essayons d'être présents dans toutes les réunions ou lors des salons spécialisés pour répondre à ce besoin d'accompagnement, y compris pour les petites communes, pour lesquelles nous avons instauré des systèmes d'accompagnement spécifique à distance.

M. Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des Territoires par intérim et directeur des participations stratégiques à la Caisse des dépôts. - Le financement des projets d'investissement des collectivités territoriales est un sujet absolument prioritaire d'intervention pour le groupe Caisse des dépôts, à la fois pour la Banque des Territoires, dont j'assure aujourd'hui effectivement la direction par intérim, mais par ailleurs pour l'ensemble du groupe, puisque la Banque postale est une filiale de La Poste qui elle-même est une filiale de la Caisse des dépôts. Il en est de même pour la SFIL, qui, comme cela a été indiqué par Stéphane Dedeyan, intervient en lien avec la Banque postale sur le refinancement des prêts aux collectivités locales. Donc ensemble, la Banque des Territoires, la Banque postale et la SFIL accordent une place très importante dans leur stratégie au financement des projets d'investissement des collectivités locales.

En effet, pour la Caisse des dépôts, le financement du secteur public local est un métier historique que, forts de nos seize directions régionales et de nos trente-cinq implantations territoriales, nous avons souhaité renforcer. Pour cela, nous diversifions notre offre, qu'il s'agisse de notre offre de prêts - je vais y revenir car notre offre s'est diversifiée à la fois en termes de cible de projets financés, mais également en termes de volume - ou notre offre d'ingénierie et de conseil pour faciliter la réalisation de projets. Nous intervenons également en investissement sur les fonds propres de la Caisse des dépôts aux côtés des collectivités, notamment dans des sociétés d'économie mixte ou des sociétés de projets.

En tant qu'institution publique d'intérêt général, nous avons vocation à apporter ce que le marché lui-même ne peut pas nécessairement apporter. Je souhaite insister sur quatre de nos spécificités.

La première, c'est le principe d'universalité. Nous finançons l'ensemble des collectivités ; de grandes collectivités comme de toutes petites collectivités. Certes, Stéphane Dedeyan et Jacques-Olivier Hurbal ont expliqué qu'ils finançaient également des petites collectivités, mais à la Banque des Territoires, nous avons cette caractéristique d'avoir des prêts universels, c'est-à-dire que les mêmes conditions de prêt s'appliquent à l'ensemble des contreparties. Cela permet de financer des grands projets : en 2024, nous avons ainsi financé le matériel roulant de la SPL Mobilité Hauts-de-France pour 440 millions d'euros. Mais nous avons également financé beaucoup de tout petits projets, à moins de 100 000 euros, comme dans la commune de Ausseing en Haute-Garonne, petite commune de 90 habitants, qui a mobilisé un prêt de 49 000 euros en complément du fonds vert pour la rénovation énergétique de la mairie. Nous avons énormément de projets de ce type-là.

Deuxième spécificité : la longévité de nos prêts. Nous finançons en effet ces prêts majoritairement sur des ressources du fonds d'épargne. Nous utilisons parfois d'autres types de ressources - les ressources de la SFIL, les ressources de la BEI et parfois les ressources de la section générale de la Caisse des dépôts - mais la grande majorité de nos prêts sont financés sur fonds d'épargne. Ce financement permet de financer des projets à maturité très longue, allant de 25 à 80 ans s'agissant de projets de portage foncier, 50 ans pour des projets de rénovation de réseaux d'eau ou encore 35 ans pour des projets de rénovation d'écoles, de collèges, de lycées. Les maturités de nos prêts sont donc très longues et cela nous permet de nous coordonner, au sein du groupe Caisse des dépôts, avec l'intervention de la Banque postale, puisque celle-ci a vocation à intervenir sur des maturités allant jusqu'à 25 ans quand nous intervenons de notre côté au-delà de 25 ans.

Troisième spécificité : les marges que nous appliquons, donc le tarif de nos prêts, est cohérent avec le degré de contribution à l'intérêt général des projets qui sont financés et non pas avec le niveau de risque de la collectivité. Nous prêtons en effet avec des tarifs qui sont le taux du livret A avec une marge, et le niveau de cette marge dépend justement du caractère « vert » des projets. Pour tous les projets qui sont qualifiés de « verts », nous appliquons une marge de 40 points de base sur le taux du livret A, ce qui signifie, alors que le taux du livret A est aujourd'hui à 2,4 %, que nos taux sont fixés à 2,8 % sur des maturités qui, comme je l'ai indiqué, peuvent aller jusqu'à 35, voire 50 ans. Pour certains projets de cohésion sociale, nos marges s'établissent à 60 points de base et les marges croissent en fonction du niveau de contribution. Le principe est le même pour le logement, puisque plus le logement a un caractère social, plus notre marge est faible ; plus le logement est intermédiaire et se rapproche de logements moins abordables, plus nos marges sont élevées.

La quatrième et dernière spécificité est que nos financements ont vocation à s'inscrire de plus en plus dans des programmes ciblés sur des priorités de politiques publiques portées par les collectivités. Il peut s'agir de priorités de politiques publiques sectorielles : nous avons mis en place un programme spécifique dans le secteur de l'eau, la rénovation des réseaux d'eau, l'assainissement, avec une augmentation très forte des financements sur ce secteur, ou encore un programme sur la rénovation thermique des bâtiments publics et plus particulièrement des écoles, collèges et lycées. Ces programmes permettent de bénéficier de financements de la Banque des Territoires, mais également d'ingénierie, de conseils qui permettent de de faciliter la concrétisation des projets. Il peut également s'agir de programmes géographiques, notamment les programmes Action Coeur de Ville (ACV) et Petite Ville de Demain (PVD), auxquels nous contribuons fortement via nos financements. C'est notamment parce que nous sommes devenus un acteur important du programme PVD, que nous avons pu, en 2024, augmenter très fortement notre intervention auprès de petites villes qui étaient peut-être marginalisées précédemment.

Voilà pour les grandes spécificités de l'intervention de la Banque des Territoires.

S'agissant des dynamiques nous avons constaté en 2024 une forte croissance de l'investissement local : les dépenses d'investissement des collectivités locales sont estimées entre 80 et 85 milliards d'euros en 2024. Il s'agit d'une forte croissance par rapport à 2023, qui s'inscrit dans une dynamique de croissance qui avait commencé en 2021. Selon la DGFiP, ce niveau de 2024 est le niveau historiquement le plus élevé, jamais constaté depuis 40 ans en termes d'investissement local. Pourquoi constate-t-on une telle croissance ? De notre point de vue, les exécutifs locaux ont poursuivi, voire accéléré leurs projets, en mobilisant leur capacité à puiser en partie dans leur capacité d'autofinancement (CAF) et, par ailleurs, en recourant davantage à l'emprunt - ce que leur permet leur situation financière qui est globalement saine de notre point de vue.

En dépit d'une baisse de la capacité d'autofinancement constatée en 2024, la situation des collectivités demeure est globalement saine et permet de continuer de recourir à l'emprunt - avec une hétérogénéité tout de même entre les catégories de collectivité : un bloc communal qui reste dans une situation qui, de notre point de vue, est vraiment saine, des régions pour lesquelles la situation s'est un peu dégradée et des départements qui, eux, sont dans une situation plus compliquée du fait de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Dans ce contexte de forte croissance de l'investissement local en 2024, la Banque des territoires a sensiblement augmenté ses financements, puisqu'en plus des 6 milliards d'euros de financements accordés par la Banque postale et la SFIL en 2024, la Banque des Territoires a accordé 5,3 milliards d'euros de financements au secteur public local en 2024 et a permis de financer 1 300 projets territoriaux. Il s'agit d'une hausse très importante, à rapporter à environ 1 milliard d'euros de prêts qui étaient accordés annuellement jusqu'en 2022. Cette hausse avait débuté en 2023 et s'est fortement accélérée en 2024. Elle devrait se poursuivre, puisque les prêts au secteur public local durant le premier trimestre 2025 sont estimés en hausse de 20 % par rapport à 2024.

En conclusion, je voudrais redire que le financement du secteur public local est une priorité très forte pour le groupe Caisse des dépôts. Nous avons la volonté de continuer à intervenir de manière significative, notamment sur les prêts liés à la transition écologique. En effet, nous sommes convaincus qu'il s'agit d'investissements indispensables qui peuvent permettre sur le moyen et le long terme de réaliser également des économies et qui se justifient donc d'un point de vue économique.

M. Claude Raynal, président. - Merci monsieur Saintoyant. Nous terminons ce tour de table avec Pierre Boileau qui, en plus d'être maire de Ludres, est membre du conseil d'administration de l'Agence France locale. Je me permets d'ailleurs de rappeler que j'avais moi-même participé, à l'époque, à la création de cette structure. C'était une période très particulière où, après la crise de 2008, avait été constatée une réduction des offres de financement bancaire. Après onze ans d'existence de l'Agence France locale, peut-être pourriez-vous nous renseigner sur la situation de cette dernière, sur son poids dans les prêts aux collectivités locales et sur la manière avec laquelle elle a pénétré le marché du financement local.

M. Pierre Boileau, maire de Ludres, vice-président de la métropole du Grand Nancy et membre du conseil d'administration de l'Agence France Locale - Société Territoriale (AFL-ST). - Merci monsieur le président, je commencerai par rappeler que mon cas est un peu particulier puisque je suis maire d'une ville, vice-président d'une métropole mais aussi ancien banquier, durant quinze ans. Mon parcours professionnel, en effet, s'est déroulé dans une banque, le Crédit Agricole, qui finançait les collectivités. Aujourd'hui, je suis maire d'une commune qui a la particularité de compter 6 000 habitants mais qui abrite plus de 8 000 emplois industriels sur son territoire : ces dernières années professionnelles me sont donc bien utiles dans la gestion d'une commune très dépendante et marquée par la présence de ces entreprises.

Je voudrais revenir sur la création de la banque pour faire un état des lieux de son activité, comme le président m'y a invité. Je rappelle qu'au début des années 2000, les grandes collectivités s'interrogeaient sur la meilleure méthode pour se regrouper et effectuer des emprunts obligataires sur les marchés. En effet, certaines grandes collectivités y parvenaient seules, comme par exemple la ville de Paris pour qui c'est toujours le cas aujourd'hui, mais d'autres n'avaient pas cette capacité.

Et puis, en 2008, la crise des subprimes a eu des conséquences graves sur le financement des collectivités locales en France, avec notamment la faillite de la banque Dexia. Dans ce contexte, les banquiers traditionnels se sont retirés petit à petit, mais pas totalement, du marché du financement des collectivités. En réponse à cette situation, à partir de 2012, nous avons créé un groupe de travail auquel j'ai participé. Sous l'égide de Jacques Pélissard et avec certains partenaires comme France Urbaine et l'Autorité des marchés financiers (AMF), les 11 membres du groupe avaient apporté 500 000 euros, somme qui avait permis la réalisation d'une étude nécessaire à la création éventuelle d'une banque dédiée au financement local. Cette étude a été approfondie et nous avons été aidés par des avocats, des banquiers, des experts comptables, des spécialistes de la finance et bien d'autres experts. Nous avons surmonté plusieurs difficultés au cours de ce processus, faisant face aux observations de Bercy ou des cabinets gouvernementaux et nous heurtant à la complexité de la réglementation bancaire. Finalement, en 2013, nous créons l'AFL, dont l'activité a démarré en 2015 après avoir reçu l'agrément de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui était nécessaire pour initier l'activité de prêt. La première émission obligataire et le premier prêt aux collectivités ont ainsi eu lieu en 2015 et nous fêtons ainsi cette année nos 10 ans.

La banque, aujourd'hui, ne prête qu'à des collectivités publiques et appartient en totalité à ses actionnaires, puisqu'il faut être actionnaire pour bénéficier d'un financement. Le premier constat que nous pouvons faire, c'est que nous avons évolué conformément au plan de charges qui avait été mis en place à cette époque. Nous allons voir l'ensemble des collectivités, petites, moyennes et grandes : nous servons les petites communes, les départements, les régions aussi, comme la région Nouvelle-Aquitaine. Nous finançons des projets de toute taille dont le plus petit était de 10 000 euros et le plus gros projet de financement est à ce jour de 100 millions d'euros. Nous ne tenons pas la comparaison avec la Banque des territoires, représentée par mon voisin, malgré tout la banque que je représente monte en puissance régulièrement. Nous avons réalisé cette année 2 milliards de prêts, soit environ 10 % de l'investissement global et 40 % chez nos actionnaires, ce qui montre notre progression régulière et aussi la qualité des 43 personnes qui travaillent dans cette banque. Enfin, je souhaite le mentionner, la banque est équipée d'un matériel informatique de très bonne qualité, qui permet de gérer tous ces actifs malgré le nombre réduit de collaborateurs.

Grâce à des personnes comme Philippe Rozier, sous le contrôle duquel je parle, nous aidons les collectivités, petites et grandes, en les accompagnant dans leurs projets, voire leurs avant-projets. Par exemple, je me souviens d'une collectivité de taille moyenne proche de Ludres, qui, il y a quelque temps, ne parvenait pas à faire financer sa piscine. Cependant, grâce à l'étude qui avait été faite par Philippe Rozier et aux mesures qui ont été prises ensuite, le financement a été rendu possible et la piscine a pu être construite. Cette illustration vous indique à quel point nous accompagnons les projets des collectivités très en amont. Cependant, nous restons mobilisés tout au long de l'instruction du dossier pour finalement financer au mieux le projet et selon les modalités les plus efficaces : lignes de trésorerie, financement relais, de court ou de moyen-terme.

Par ailleurs, après avoir écouté M. Saintoyant qui disait que les collectivités ont beaucoup investi, je confirme tout à fait que les investissements sont encore en augmentation, en lien avec la proximité de la fin du mandat municipal. En outre, dans un certain nombre de collectivités, l'appui de subventions telles le Fonds vert a permis de débloquer des fonds et de faire avancer des projets.

On peut cependant se poser des questions sur le devenir des financements des collectivités. En premier lieu, il est possible de constater une diminution des aides sur certains projets. En deuxième lieu, ce qui peut gêner à l'avenir les collectivités, c'est le manque de vision à moyen terme sur les dépenses de fonctionnement. Pour prendre un exemple parlant, les collectivités ont aujourd'hui l'obligation de financer la prévoyance et, depuis le 1?? janvier 2026, de financer la santé. En supplément, l'augmentation du taux employeur pour financer la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) accroît fortement les charges. Par conséquent, une part du financement disponible est consommée en fonctionnement, ce qui réduit l'apport en fonds propres sur les projets et accroît le besoin de financement futur, qui est toujours limité dans la mesure où il faut bien rembourser les montants empruntés à terme.

Ceci dit, je constate que nous avons créé près de 10 milliards d'euros d'encours depuis l'instauration de la banque et nous n'avons rencontré aucun problème particulier. Les collectivités sont globalement saines et bien gérées, avec cependant des disparités entre les échelons. Qu'il s'agisse des petites, des moyennes ou des grandes communes, leur santé financière est assez correcte. La situation est plus compliquée pour les départements. Enfin, au niveau des régions, on observe une légère dépréciation de leurs capacités financières, en lien avec les charges supplémentaires qu'elles doivent assumer.

Peut-être un dernier point pour vous dire qu'aujourd'hui, nous finançons tout type d'investissement. Nous n'avons pas de prêt bonifié spécifique. Nous essayons simplement d'offrir le meilleur taux pour l'emprunteur.

M. Claude Raynal, président. - Merci monsieur Boileau. Nous avons donc avec vous quatre une vision assez complète de l'offre pour les territoires.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cette table ronde, dans une période correspondant à la fin du mandat pour le bloc communal, est la bienvenue : elle permet de faire le point sur ces réseaux de financement, qui ont chacun leurs spécificités. Je suis marqué, comme certains de mes collègues, par la musique lancinante, qui est devenue une rengaine désagréable aux oreilles et teintée de contrevérités, diffusée pendant un certain nombre d'années par l'exécutif, expliquant qu'une partie non négligeable des difficultés du pays tenait à l'inconséquence des collectivités sur leurs dépenses de fonctionnement. L'État porte sa part de responsabilité en alourdissant les dépenses de fonctionnement des collectivités au fil du temps. Évidemment, certaines collectivités font des choix qui conduisent également à laisser gonfler les dépenses de fonctionnement.

L'Agence France locale a souligné son modèle de gestion de prudence avec une attention portée à chaque projet et un souci de ne pas se disperser. Ce qui est intéressant, c'est que les différentes stratégies des différents acteurs répondent à la diversité des besoins et permettent d'avoir une variété d'interlocuteurs. Quand on connaît l'historique de l'Agence France locale, le temps qu'il a fallu pour la porter sur les fonds-baptismaux, on apprécie le chemin parcouru : 10 milliards d'euros d'encours aujourd'hui, sans problème de gestion, avec des petites équipes, donc des frais de fonctionnement réduits.

Ce qui m'intéresserait aussi, c'est d'avoir des informations sur les taux de marge que vous faites dans votre activité avec les collectivités. Ce n'est pas un gros mot, après tout c'est un marché. Évidemment, de notre point de vue, il est préférable de viser du « gagnant-gagnant », sans que le taux de marge soit trop important.

Je pense que nous sommes à une période charnière parce que la question du financement des collectivités pour des maturités de très long terme, au-delà de 25 ans, m'interroge. Ce type de financement n'était pas autorisé il y a moins d'une décennie. Aujourd'hui, il apparaît comme étant la solution magique. On arrive à un moment où beaucoup d'équipements structurants sont en fin de vie : réseaux d'eau, écoles, collèges, lycées, gendarmeries, salles de sport, salles de spectacles, centres culturels. On pourrait céder à une facilité, dans le même moment, consistant à contracter beaucoup de financements de long terme. Or, cela risque de réduire durablement la capacité des collectivités à supporter des investissements nouveaux. C'était l'une de mes questions, la Banque des Territoires y a apporté des éléments de réponse, mais je la pose aux autres. Est-ce qu'il n'est pas temps d'avoir une vision prospective consolidée du niveau d'investissement public ? Je parle des investissements structurants : on pourrait rajouter à la liste tout ce qui est ferroviaire, routier, autoroutier, avec l'état de dégradation de ces réseaux et l'extension continue liée à l'urbanisation. Est-ce que vous n'avez pas, collectivement, une offre à faire pour venir donner un coup d'accélérateur qui permette de rénover et de redonner du moral et de la confiance dans les territoires ?

On entend du côté de l'État qu'il y a un vieillissement des écoles dans les communes, parfois dans les grandes villes, notamment parce qu'on n'ose pas fermer les établissements. Est-ce qu'on ne devrait pas mener une réflexion pour avoir une meilleure réponse en termes de dépense publique, mieux ciblée, plus efficace, moins chère, s'inscrivant dans un temps un peu moins long, à travers une action collective ? À cela s'ajoute la perspective d'une chute de la démographie, qui aura une incidence sur l'utilisation d'un certain nombre de grands équipements. Aucun acteur ne pourra tout faire tout seul : ni l'État, ni les régions, ni les départements.

Concernant l'Agence France Locale, la Cour des comptes a livré quelques observations récemment. En particulier, la Cour souligne la nécessité d'un lien plus marqué entre le capital injecté par chaque collectivité actionnaire et sa capacité d'emprunt. Comment est-ce que vous analysez cette recommandation ? Est-ce que vous envisagez de prendre des mesures en ce sens et, si oui, lesquelles, pour répondre aux préoccupations soulignées par la Cour sans freiner le recours à l'emprunt ?

M. Bernard Delcros. - Monsieur Dedeyan pour la Banque postale comme monsieur Saintoyant pour la Banque des Territoires, vous avez souligné une croissance importante des prêts en 2024 et, visiblement, on est sur la même trajectoire pour 2025. Pour expliquer cela, vous avez évoqué un supplément d'investissement des collectivités, ainsi que l'arrivée de nouvelles enveloppes de soutien à l'investissement comme le Fonds vert. Mais au-delà, est-ce que vous avez le sentiment qu'il y a une baisse de la capacité d'autofinancement des collectivités qui les amène à avoir davantage recours à l'emprunt ? Par ailleurs, pouvez-vous nous dire un mot sur les taux d'intérêt, leurs perspectives d'évolution ? Enfin, j'aurai une question plus particulière pour monsieur Dedeyan : il y a un problème d'actualité sur l'assurabilité des collectivités. Est-ce que la filière assurance de la Banque postale peut envisager, à moyen terme, de venir accompagner les collectivités et contribuer à résoudre ce problème d'assurabilité des collectivités ?

M. Marc Laménie. - Je souhaiterais vous interroger sur les délais d'instruction et sur la complexité de la constitution des dossiers de prêts, en particulier pour les plus petites communes et les maires de villages.

J'aimerais aussi savoir si vous réalisez des analyses financières conjointement avec la direction générale des finances publiques.

Ma dernière question s'adresse au président de la Banque postale qui a cité l'exemple du financement de la voie ferrée que je connais bien, à savoir Nancy-Contrexéville. Vous avez évoqué un prêt de 60 millions d'euros. J'aimerais savoir comment s'articule ce financement et quelles collectivités ont contracté ce prêt.

Mme Ghislaine Senée. - Les collectivités s'inquiètent de la baisse de leur capacité d'autofinancement liée aux évolutions de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et aux nouveaux transferts de compétences. Vous nous expliquez néanmoins systématiquement que la situation reste saine, au moins pour les communes. C'est moins vrai pour les départements. La situation des régions se dégrade même si certaines d'entre elles disposaient de capacités leur permettant d'absorber cette dégradation.

Je m'interroge enfin sur l'impact du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités (DILICO) qui affecte notamment leur autofinancement. Je sais que la Banque postale a réalisé un très gros travail territoire par territoire pour expliquer les incidences du dispositif. Beaucoup de communes rurales ont découvert qu'elles seraient concernées et devraient abonder le fonds de réserve.

M. Georges Patient. - J'ai trois questions. La première concerne la banque des collectivités, l'agence France locale (AFL). Il me semble qu'elle intervient partout dans l'hexagone, dans quelques collectivités d'outre-mer mais ni à Mayotte, ni en Guyane. Est-ce un choix délibéré ? Ces collectivités n'ont pas été démarchées ?

Ma deuxième question concerne la Banque postale. Il me semble qu'elle n'intervient pas dans le secteur public local en outre-mer alors qu'elle y est pourtant installée. Est-ce en raison de la forte implantation de l'Agence française de développement (AFD), de la Banque des territoires ou encore de la Banque publique d'investissement (BPI) ? Est-ce un problème relatif au groupe auquel appartient la Banque postale ?

Ma troisième question est plus générale. Est-ce qu'une banque française a le droit de refuser d'octroyer des crédits à des clients qui ne seraient pas domiciliés fiscalement en France métropolitaine, ce qui exclue les outre-mer ? Est-ce que c'est légal ?

M. Grégory Blanc. - L'État fait le choix de financer les différents murs d'investissement qui se présentent par la dette. Il y avait celui du vieillissement, celui de la transition écologique, désormais aussi le mur d'investissement militaire. L'Etat adopte ici une position contradictoire en se reposant implicitement sur l'endettement des collectivités pour surmonter ces défis tout en les sermonnant sur le niveau de leur endettement.

À partir de ce constat, ma question est simple. Tous les jours un article de presse est consacré aux enjeux d'accès au financement et aux hausses de taux d'intérêt notamment liées au contexte international, une situation qui aura forcément un impact sur les collectivités. Est-ce que dans vos ratios, dans vos analyses - je le dis notamment pour les départements qui n'ont plus de pouvoir de taux ainsi que pour les régions - le fait d'avoir un pouvoir de taux est un élément d'analyse des capacités d'autofinancement ? Est-ce que demain, cela pourrait être un élément préjudiciable ou favorable, s'agissant du taux d'intérêt proposé, pour les collectivités selon qu'elles en sont pourvues ou non ? Dit autrement, est-ce que pour un département, le coût de financement serait plus élevé parce qu'il n'a pas la possibilité d'augmenter ces recettes ?

Mme Isabelle Briquet. - Les propos des intervenants soulignent qu'il n'y a pas d'inquiétudes à avoir sur le financement des collectivités moyennant des situations différentes selon les niveaux de collectivités : des communes dont la situation financière est satisfaisante, des régions qui commencent à souffrir et des départements qui sont déjà pour beaucoup d'entre eux en grande difficulté.

Je rejoins les propos qu'a tenu le rapporteur général. Si l'on n'observe pas de difficultés actuellement concernant les financements, compte tenu des durées d'endettement des collectivités, des charges croissantes qui pèsent sur les collectivités et qui ne sont pas de leur fait, je pense notamment à la revalorisation du point d'indice de la fonction publique ou à celle des cotisations de la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qu'en sera-t-il à plus long terme de leur capacité de désendettement ?

Plus particulièrement sur le champ communal, j'aimerais savoir si vous mesurez l'effet levier des dotations sur les projets pour lesquels vous apportez un complément de financement par prêt.

Dernière question, est-ce qu'en matière de financement vous appréhendez différemment les collectivités qui ont mis en place un budget vert ?

M. Arnaud Bazin. - Ma première question s'adresse à la Banque postale. Quelles sont les prescriptions de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en matière de prise en compte du risque crédit dans le cadre des prêts aux collectivités ? Comment ce risque est-il apprécié ? Quelles sont les conséquences pratiques ?

Par ailleurs, j'ai bien entendu un certain nombre de précisions sur les emplois, mais quelles sont les ressources principales de l'AFL ? Quelles sont les conséquences de son mode de financement sur sa compétitivité vis-à-vis de ses concurrents ? Enfin, nous avons évoqué les prêts de longue durée qui s'étendent au-delà de 25 ans, qui sont une spécificité de la Caisse des dépôts à travers la Banque des territoires. Y a-t-il une bonne adaptation entre la durée de ces prêts et les durées admises en matière de comptabilité publique pour l'amortissement des équipements qu'ils financent ?

M. Laurent Somon. - Je remercie tous les intervenants pour la clarté des exposés et les capacités qu'ils déploient pour soutenir l'investissement local, étant donnée l'importance majeure de l'ingénierie financière qui manque aujourd'hui dans la plupart des collectivités. Je voudrais évoquer quatre points.

Premièrement, s'agissant de l'épargne brute, au-delà des différences entre collectivités que tout le monde constate et que vous avez confirmées, certains continuent à dire qu'elle resterait à un niveau élevé. Partagez-vous cette analyse, qui revient à dire que les collectivités se portent bien, abstraction faite des départements qui restent effectivement les collectivités les plus impactées ?

Deuxièmement, vous avez mentionné « l'effet starter » des subventions, en particulier des fonds verts. Pour autant, la baisse des dotations n'a-t-elle pas également pour conséquence d'augmenter le recours à l'emprunt ? N'est-ce pas contradictoire avec l'objectif qui est fixé aux collectivités locales dans la participation au désendettement du pays et à la diminution du déficit ? Ne manque-t-il pas dans le dispositif de lissage conjoncturel (Dilico) une prise en compte de la capacité de désendettement des collectivités ? J'en ai parlé bien sûr avec son initiateur, Stéphane Sautarel.

Enfin, comment peut-on solliciter la Banque européenne d'investissement (BEI) au travers de la Banque des Territoires pour financer les investissements des plus petites collectivités, dont les projets sont inférieurs à 50 millions d'euros ?

M. Pierre Barros. - Je suis toujours un peu interrogatif sur l'appréciation de la santé des collectivités locales, notamment parce que j'ai le sentiment qu'il faut distinguer les communes des intercommunalités, ces dernières pouvant améliorer positivement les résultats par rapport aux communes qui sont davantage en difficulté.

Je m'interroge par rapport à des collectivités que nous avons pu recevoir ici, qui ont subi des dégradations phénoménales dans le cas d'aléas climatiques, d'inondations, de coulées de boue, etc. Ces collectivités pouvaient d'ailleurs se trouver dans une situation financière tendue, avec une capacité limitée à lever de l'emprunt. Face à cette situation assurantielle complexe, disposez-vous de dispositifs spécifiques ? Ces communes doivent en effet faire face à un mur d'investissements comme toutes les autres collectivités, et s'y ajoutent les dommages climatiques dont elles ne sont pas responsables.

M. Claude Raynal, président. - Ma première question concerne d'abord le groupe Caisse des dépôts. Je constate toujours des injonctions contradictoires dans la façon dont l'État parle aux collectivités territoriales de leur possibilité de se développer, d'emprunter, de mener des projets, etc.

On ne peut pas, d'une part, constater que les collectivités locales empruntent davantage, l'encourager en mettant en place des fonds comme le fonds vert qui nécessitent en complément des soutiens sous forme de prêts de la Banque des territoires ou de la Banque postale et, d'autre part, entendre ces mêmes organismes recommander aux collectivités de moins emprunter. L'État est donc prêteur et voudrait pourtant prêter moins. Il faudrait sans doute un arbitrage du ministre des finances, sans parler d'ailleurs des enjeux de libre administration des collectivités. Je vous interroge donc sur ce paradoxe. Comment la Caisse des dépôts répond à cette question à travers ses différents outils ?

Concernant la Banque postale, l'année dernière a été un peu compliquée. Était-ce lié aux prêts aux collectivités locales, qui ont peut-être pesé sur les résultats de la banque ? Ou était-ce simplement lié aux taux d'intérêt de manière générale et aux prêts fixes ?

Enfin, la Cour des comptes préconise le renforcement du capital de l'AFL. Allez-vous demander à vos adhérents, c'est-à-dire aux collectivités locales, de renforcer leur participation en capital à la Banque ?

M. Pierre Boileau, maire de Ludres, vice-président de la métropole du Grand Nancy et membre du conseil d'administration de l'Agence France Locale - Société Territoriale (AFL-ST). - Je ne vais répondre qu'à moitié sur ce dernier point, qui va être abordé cet après-midi en conseil d'administration. Nous avons en effet reçu le rapport définitif de la Cour des comptes il y a seulement quelques jours. Nous avons cependant déjà prévu d'augmenter le capital par le biais de fonds propres additionnels dits « AT1 » : nous sommes allés chercher 50 millions à la fin de l'année, après le passage de la Cour des comptes. Deuxièmement, nous continuons d'engranger de façon assez rapide des nouveaux actionnaires, qui apportent du capital et notamment du capital libéré.

Je voudrais revenir sur le fait que moins il y a de subventions, plus il y a d'emprunt. Sur un projet, lorsqu'il n'y a plus d'autofinancement ou d'aide de l'État, on emprunte davantage. À titre personnel, je pense que ça ne permettra pas de régler le problème du déficit de l'État.

Je souhaite dire qu'aujourd'hui, ce qui nous manque au regard des collectivités, c'est la prévisibilité, par exemple en ce qui concerne les charges nouvelles qui arrivent comme le DILICO, ou la hausse des cotisations à la CNRACL qui pèse encore plus pour beaucoup. Ceci étant, cette addition de charges affecte la capacité d'autofinancement, et ce faisant le niveau d'investissement. On pourrait donc constater un petit ralentissement à venir sur ce point au niveau des collectivités. En ce qui nous concerne, nous adaptons le financement et la durée, surtout, au projet. Le rapporteur général a abordé la question de la durée des emprunts. Nous allons jusqu'à 40 ans sur l'investissement : je précise qu'il ne s'agit pas d'investissements informatiques, mais plutôt du financement de l'adduction d'eau, de l'assainissement, et de travaux de gros oeuvre dans le bâtiment pour l'essentiel. Pour certaines écoles, nous allons au moins jusqu'à 25 ans, voire 30 ans, pour pouvoir faire passer le projet, parce que l'important est qu'il soit réalisé. Dans l'ensemble, les collectivités ne vont pas trop mal, encore aujourd'hui, en termes de finances. Les intercommunalités, quant à elles, ont plus d'autofinancement que les communes, mais elles ont aussi plus de dette. On retrouve donc un phénomène un peu plus amplifié.

Si vous le permettez, je vais reprendre les questions les unes après les autres. Vous signalez que l'AFL est encore un cas particulier puisque l'intégralité des résultats reste présente dans le capital et restera là pour ses actionnaires. Dans un temps futur, peut-être, les actionnaires seront récompensés du capital qu'ils avaient apporté. Tout ceci montre bien notre volonté de faire, d'une part, le meilleur prix, d'autre part, d'adapter la durée, et enfin, d'aider les collectivités. Et pour répondre à la question sur la longueur ou la lenteur de l'étude des dossiers, la collectivité obtient sa réponse dans les dix jours, qu'elle soit positive ou négative, et potentiellement assortie d'une demande de complément d'informations. Ceci étant, on ne demande pas obligatoirement tous les papiers le jour de la réponse, mais au moment où on réalise. On laisse donc un temps aux collectivités et on comprend bien les différentes contraintes des uns et des autres pour pouvoir réaliser. Mais la réponse arrive très vite, afin que le projet puisse s'enclencher.

M. Antoine Saintoyant, directeur de la Banque des Territoires par intérim et directeur des participations stratégiques à la Caisse des dépôts. - Je vais essayer de répondre au mieux aux questions qui me concernent. Sur le premier point, à savoir finalement comment concilier le soutien aux investissements des collectivités avec l'estimation de leur situation financière, il est important peut-être de rappeler que du côté de la Banque des Territoires, nous ne faisons que des financements de projets d'investissement, pas de dépenses de fonctionnement. Ce sont très majoritairement des projets en lien avec la transformation écologique. Ceux-ci représentaient 90 % des financements de la Banque des territoires aux collectivités locales en 2024. Ces deux caractéristiques permettent d'être en accord avec les discours que l'État peut porter sur la situation des collectivités, et d'atteindre un certain niveau de cohérence. D'ailleurs, la plupart de nos financements interviennent dans des programmes d'investissement qui sont totalement endossés par l'État. Par exemple, nous avons mis en place des financements très importants sur l'eau, qui ont permis de venir en soutien au « plan Eau » porté par le gouvernement. Nous avons octroyé des financements dans le cadre du programme « Action coeur de ville » porté, là aussi, par le gouvernement. Ainsi, l'ensemble de ces investissements, financés grâce à nos prêts à long terme de la Banque des Territoires, sont des investissements qui sont indispensables et qui rentrent dans des politiques publiques totalement assumées. Nous les soutenons, en tant que Caisse des dépôts ou Banque des Territoires, puisqu'elles rentrent dans des politiques publiques qui sont également portées par le gouvernement.

Ensuite, pour revenir sur une remarque de monsieur le rapporteur général, l'objectif est justement, sur un certain nombre de projets et de politiques publiques ciblés, d'avoir des actions très fortes pour accélérer l'impact de ces investissements. C'est ce qu'on a fait, notamment, avec le programme « EduRénov » qui vise la rénovation des bâtiments scolaires. On considère que, sur les 50 000 bâtiments scolaires en France, au moins 10 000 présentent un besoin de rénovation très fort. On a prévu un programme, composé d'ingénierie et de prêts dans des conditions favorables, ciblé pour accompagner les communes, les départements et les régions sur la rénovation de ces bâtiments. Nous nous sommes donc fixés la cible de 10 000 au niveau de la Banque des Territoires et nous en sommes déjà à 4 000, bientôt 5 000. Ça avance très fortement parce qu'on a vraiment un programme d'accompagnement avec des solutions assez simples qui permettent de rénover écoles, collèges et lycées. Nous avons lancé un programme similaire sur l'eau, le programme « Aqua Prêt », et une plateforme avec des solutions d'ingénierie « aquagir.fr » qui ont également permis d'accélérer très fortement la rénovation des réseaux d'eau et d'assainissement. On veut le faire également sur les problématiques de rénovation de bâtiments comme les maisons de retraite et tout ce qui concerne le secteur du grand âge, ainsi que sur les questions liées à l'adaptation au changement climatique. On est vraiment dans une logique de cibler les financements de la Banque des Territoires sur les investissements qui sont le plus directement indispensables.

Concernant la situation des collectivités locales, oui, il y a effectivement une baisse de la capacité d'autofinancement constatée en 2024. Cela conduit effectivement les collectivités à avoir un recours supplémentaire à l'emprunt. Cependant, et comme ça a été effectivement relevé, il nous semble que la situation reste globalement satisfaisante en termes de santé financière pour la grande majorité des collectivités, sauf évidemment pour certains cas particuliers et pour les départements dont la situation est plus complexe. Concernant les délais pour l'octroi de prêt, on a essayé, au niveau de la Banque des territoires, d'accélérer au maximum. Pour des dossiers classiques, les délais sont d'environ trois semaines. Et concernant la simplicité de l'octroi de prêt, on a déconcentré très fortement les prises de décisions. Maintenant, elles sont prises au niveau des directions régionales dans 95 % des cas, ce qui permet effectivement d'accélérer. On a allégé les demandes de pièces à fournir pour les petites collectivités, concernant beaucoup de petits crédits de l'ordre de quelques dizaines de milliers d'euros.

La Banque des territoires est également présente dans les outre-mer, de manière assez importante. Nous avons ainsi augmenté nos prêts en outre-mer de près de 50 % en 2024, pour un total de 170 millions d'euros de crédits.

Concernant le budget vert des collectivités territoriales, il s'agit d'un élément qui peut justifier la qualification du caractère vert d'un prêt, et donc permettre d'obtenir un tarif préférentiel de 40 points de base au-dessus du taux du livret A. Disposer d'un budget vert permet d'accélérer la constitution des dossiers et de faciliter l'octroi de ces prêts. Toutefois, disposer d'un budget vert n'est pas indispensable pour obtenir un prêt vert. Ce qui compte, c'est de pouvoir remplir le dossier pour justifier du caractère vert du prêt.

Vous avez évoqué la nécessité d'aligner la durée des prêts avec les durées d'amortissement. Il s'agit d'un principe porté également par la Banque des Territoires. Pour donner quelques exemples, nous considérons qu'un prêt destiné à financer la rénovation d'une école peut être amorti sur 35 à 40 ans. Un prêt pour financer des réseaux d'eau peut être étendu sur 50 ans. Pour des infrastructures ferroviaires ou plus généralement de transports, un amortissement sur une période allant jusqu'à 50 ans est justifié. L'objectif est de rendre possibles ces projets indispensables, tout en allégeant les charges annuelles de remboursement.

Enfin, je voulais signaler que la Banque des Territoires a un partenariat avec la BEI depuis une dizaine d'années. Il s'agit d'un canal important de refinancement de nos prêts, à hauteur de 1,5 milliard d'euros aujourd'hui. En effet, la Banque des territoires prête majoritairement à taux variable indexé sur le livret A. Grâce à la BEI, nous pouvons offrir des solutions à taux fixe.

M. Jacques-Olivier Hurbal, directeur du développement de la Caisse d'Épargne - Groupe BPCE. - Concernant le délai d'instruction, notre dispositif nous permet de prendre des décisions rapides, grâce à un niveau de délégation dans les banques et dans les caisses régionales très fort. Je rappelle que la quasi-totalité des décisions sont prises sur le terrain dans le groupe BPCE.

Une piste d'amélioration concernant l'octroi des prêts pourrait être de ne plus subordonner le caractère exécutoire d'une décision d'emprunt à sa publication, mais que celle-ci soit faite a posteriori. Même si cela peut sembler un point de détail, cette contrainte a une incidence sur le prix. Certaines collectivités prennent également un peu de temps à faire la déclaration à la préfecture.

Les collectivités sont financées sur tous les territoires par le groupe BPCE, en outre-mer comme en Ile-de-France avec les Caisses d'épargnes ou à Marseille grâce à la BRED et aux CPAC.

Sur les subventions, je soulignais justement dans mon propos introductif que le groupe BPCE avait racheté une société pour aider les collectivités à trouver des subventions. Nous avons également un partenariat avec la BEI. La question que j'avais soulevée sur le fléchage se pose dans cette situation. Une plus grande précision dans le fléchage des enveloppes permettrait de réunir une ressource moins coûteuse, cela au profit des collectivités. Nous avons besoin d'avoir une destination précise de la demande de financement, pour diminuer les prix.

Il n'y a aujourd'hui que de petites marges sur le financement des collectivités, même s'il y a eu une période où on constatait des marges beaucoup plus importantes, notamment en 2008.

Je vous précise par ailleurs qu'une réflexion est en cours au groupe BPCE pour prêter sur du plus long terme, au vu des besoins que nous constatons. C'est une difficulté aujourd'hui.

Concernant le budget vert, c'est un aspect que nous pouvons prendre en compte dans l'attribution des prêts. Toutefois, même si toutes les collectivités ne disposent pas de budget vert, nous ne constatons pas de diminution de l'offre de prêts : je rappelle qu'à chaque fois qu'il y a un appel d'offres, il y a au moins quatre répondants. Je pense qu'il y a suffisamment de concurrence pour permettre aujourd'hui à l'emprunteur d'avoir une offre la plus adaptée possible et la plus réduite possible.

M. Stéphane Dedeyan, président du directoire de La Banque postale et directeur général adjoint du groupe La Poste. - Pour répondre en premier lieu à la question de savoir si les difficultés rencontrées par la Banque postale il y a quelques années étaient liées de près ou de loin à un sujet relatif aux collectivités territoriales, la réponse est : en aucune façon. Simplement, dans le contexte d'un marché français qui prête majoritairement à taux fixe et d'un établissement qui est sans doute moins diversifié que d'autres, la hausse des taux a mécaniquement provoqué un effet ciseaux.

Par ailleurs, pour compléter les précédentes interventions relatives aux conditions d'accès des collectivités au crédit bancaire, celles-ci me semblent bonnes, à la fois en volume et en prix. J'en veux pour preuve le fait que dans la situation d'un financement bancaire classique, les propositions des banques représentent généralement trois à quatre fois le montant demandé. L'accès au financement est donc véritablement fluide. À mon sens, plusieurs paramètres expliquent cela, notamment le niveau de risque limité par la nature même des collectivités locales et, dans le cas de la Banque postale, un dispositif entre notre propre bilan et la SFIL apportant une liquidité importante. En 2012, ce dispositif a d'ailleurs permis de répondre à la défaillance de marché à la suite des difficultés rencontrées par Dexia. Je pense que les interventions de ce matin démontrent que nous sommes à la fois complémentaires et concurrents. Cette concurrence active et cette complémentarité favorisent notre capacité à répondre aux besoins. La mise à disposition des comptes par la DGFiP constitue un autre élément important, en nous permettant d'analyser de façon précise les situations et d'être ainsi en mesure d'apporter les réponses adéquates.

Concernant la capacité d'autofinancement des collectivités territoriales, mon sentiment est qu'elles présentent globalement une situation financière saine. En 2022, l'autofinancement des collectivités territoriales atteignait un niveau record de 45 milliards d'euros. Cependant, depuis 2023 une légère décroissance est observée. La dégradation de la situation s'est ensuite confirmée en 2024, l'autofinancement baissant alors de 8,2 % dans toutes les catégories. Cette baisse a été très marquée pour les départements, de - 31 %, alors qu'elle était modeste pour les groupements à fiscalité propre, seulement - 0,6 %. Dans le même temps, nous avons constaté une accélération de l'investissement liée au cycle électoral. Cela étant dit, la capacité de désendettement des collectivités territoriales demeure très satisfaisante. En outre, le recours à une dette financière peut être une façon de traiter d'autres types d'endettement. Par exemple, une dette financière qui remplace une dette climatique et qui permet de réaliser des économies d'énergie futures ne peut pas être considérée comme du mauvais endettement. L'endettement financier est ainsi un outil auquel les collectivités savent recourir. Notre métier consiste à financer des projets sensés contribuer à un équilibre économique en maintenant une situation suffisamment saine pour ne pas mettre en danger la collectivité.

Cela me permet de faire le lien avec votre question portant sur l'articulation entre le local et le national. Je pense qu'Antoine Saintoyant a apporté une première réponse : sur le terrain, nous accompagnons un certain nombre de projets d'investissement qui sont soutenus par le gouvernement. J'ajouterais que, lorsque, sur le terrain, nous identifions un projet porteur de sens et à même de trouver son équilibre économique par l'endettement, il nous incombe de soutenir des investissements qui, à terme, seront source d'économies. Qui plus est, lorsque la situation de la collectivité est saine, cela nous semble juste être une manière de faire notre métier correctement et d'être utile pour le pays.

Vous nous avez également demandé des perspectives concernant les taux d'intérêt. Très sincèrement, je ne vais pas me lancer dans des paris. On observe une courbe des taux qui est redevenue très pentue. Cela signifie que les taux courts sont beaucoup plus bas que les taux longs, situation qui n'était pas arrivée depuis très longtemps. D'une part, les tensions géopolitiques ont tendance à maintenir les taux longs un peu haut, tandis que, d'autre part, la volonté de relancer l'économie face à des forces contraires amène les banques centrales à poursuivre une légère baisse des taux. Ainsi, nous sommes en ce moment dans une forme d'équilibre appelé à se prolonger. Cependant, dans un contexte marqué à la fois par l'augmentation des tarifs douaniers américains décidée par l'administration Trump, l'union des gouvernements européens sur les questions de défense et de souveraineté, et la décision de l'Allemagne de lever son frein budgétaire à l'endettement, la véritable question est peut-être de savoir si ce sont des phénomènes conjoncturels ou bien des phénomènes très structurels qui nous amènent à rompre avec trois anciens paradigmes. Voilà probablement la question à se poser, et à laquelle il est difficile de répondre.

Concernant la question des délais d'instruction des dossiers, nous avons mis en place une équipe qui aide les collectivités à les constituer. Nous répondons généralement sous trois jours, et sommes capables de décaisser sous dix jours. Je tiens à souligner que nos équipes sont disponibles six jours sur sept tout le mois de décembre, y compris le 31 décembre, cela pour permettre de faire face au petit rush qui a généralement lieu en fin d'année. En effet, c'est souvent durant cette période que sont bouclées des opérations. Il est donc important d'être disponibles et présents au moment où les collectivités en ont le plus besoin.

Concernant les outre-mer, je suis navré si la perception est que nous ne sommes pas suffisamment présents, alors que nous y avons réalisé 700 millions d'euros de financement au cours des dernières années. Nous finançons notamment de la trésorerie d'hôpitaux. J'ai également le souvenir de financements de projets de recyclage de déchets. Les outre-mer ne sont absolument pas exclues de notre politique. N'hésitez pas à me solliciter si vous souhaitez que nous facilitions la mise en relation.

Pour ce qui est du pouvoir de taux, nous ne faisons pas de différences de prix liées à la situation financière de l'emprunteur : nous disons « oui » ou nous disons « non ». Cela doit être très clair.

Par ailleurs, pour répondre à la question relative au DILICO, cela ne nous affecte pas dans la mesure où il s'agit d'un mécanisme de lissage. Nous en tenons compte dans l'appréciation que nous faisons de la santé financière et de la capacité de remboursement des collectivités, mais cela ne change pas fondamentalement nos décisions de financement.

Bien que la santé financière des collectivités territoriales soit globalement satisfaisante, il existe des cas de figure plus complexes et des disparités individuelles qu'il est intéressant d'évoquer. Tout d'abord, les départements présentent une situation financière qui s'est légèrement dégradée à partir de 2023, et a continué dans le même sens en 2024. Cela est lié à la diminution, qui se poursuit, des recettes de droits de mutation à titre onéreux, mais également à l'augmentation subie des dépenses de fonctionnement dont le pilotage n'est pas évident. Par ailleurs, on distingue des cas complexes résultant du risque « neige » qui concerne de nombreux syndicats mixtes gestionnaire d'équipements liés à l'exploitation des stations de ski. Enfin, nous observons dans les outre-mer, des soldes financiers qui sont moins favorables qu'en métropole. Cela peut s'expliquer par le fait que les outre-mer sont fortement dépendantes de l'octroi de mer qui est régulièrement requestionné par les règlements européens. Cela étant, je répète que nous avons la volonté de les accompagner. En ce sens, nous avons ouvert un centre d'affaires à la Réunion en 2021, puis en 2023 à la Guadeloupe pour couvrir les Antilles et la Guyane. En outre, comme je l'ai dit précédemment, nous avons apporté 700 millions d'euros de financement dans les outre-mer ces dernières années.

Concernant la prescription de l'ACPR, est effectivement intervenu un changement de la pondération des engagements pour les collectivités locales. Sans entrer dans la technique bancaire, cela est favorable au maintien d'une présence significative des banques sur ce marché. Cela doit être salué à un moment où le besoin est celui d'un fort accompagnement.

Concernant le recours à la BEI, tout comme nos homologues, nous disposons d'un partenariat qui permet indirectement de vous donner accès à ses financements privilégiés.

Concernant l'assurabilité des collectivités, je vous remercie de prêter à la Banque postale beaucoup de possibilités. Cependant, en matière d'assurance dommage, nous sommes un « petit » acteur, essentiellement concentré sur la multirisque habitation et l'automobile pour accompagner les cycles de vie de nos clients particuliers. Nous ne faisons pas d'assurance de personnes morales. En effet, il s'agit d'un type de risque très particulier pour lequel, je crois, nous ne disposons tout simplement pas des compétences techniques adéquates.

Enfin, pour répondre à la question visant à savoir l'identité de la collectivité portant l'emprunt pour la réouverture de la ligne ferroviaire de Nancy : c'est la région Grand-Est.

M. Pierre Boileau, maire de Ludres, vice-président de la métropole du Grand Nancy et membre du conseil d'administration de l'Agence France Locale - Société Territoriale (AFL-ST). - Nous sommes présents à Mayotte avec sept communes qui sont aujourd'hui financées et trois intercommunalités. En revanche, nous n'avons pas reçu de demande en Guyane, pas plus qu'ailleurs. Aucun grief pour dire que nous n'irons pas là-bas.

M. Claude Raynal, président. - Voilà, il n'y a plus qu'à demander. Merci de votre participation à tous.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11h45.