Mercredi 2 avril 2025

- Présidence de M. Jean-François Rapin -

La réunion est ouverte à 13 h 35

ARN extracellulaires - Examen du rapport sur la proposition de résolution européenne et avis politique

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons ce midi pour aborder deux sujets. Nous examinerons tout d'abord la proposition de résolution européenne visant à promouvoir la recherche fondamentale et l'innovation de rupture dans le domaine des ARN extracellulaires et des véhicules extracellulaires, déposée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, dont je salue la présence parmi nous. Nous entendrons ensuite une communication de notre collègue Pascal Allizard, en sa qualité de président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Il nous rendra compte des derniers travaux de cette instance, en particulier de la session d'hiver qui s'est tenue à Vienne en février, ainsi que du déplacement qu'il a effectué en Israël et dans les territoires palestiniens en sa qualité de représentant spécial pour les affaires méditerranéennes au sein de cette assemblée parlementaire.

Cette communication pourrait être utile à nos collègues qui participeront la semaine prochaine à la partie de session de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), certains des thèmes abordés dans ces deux enceintes étant proches. Cela m'amène à vous indiquer que, grâce à notre collègue Claude Kern, nous auditionnerons jeudi prochain, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Vladimir Kara-Mourza, opposant russe et ancien prisonnier politique en Russie. Il nous fait le plaisir et l'honneur de venir s'exprimer librement ici.

Nous devions également nous retrouver demain matin pour une audition de M. Leopoldo Rubinacci, directeur général adjoint de la direction générale du commerce et de la sécurité économique (DG TRADE) de la Commission européenne, sur la réponse de l'Union européenne à la hausse des droits de douane annoncées par le Président des États-Unis. Le secrétariat m'indique toutefois que, compte tenu des annonces du président Trump concernant une nouvelle hausse des droits de douane, attendues ce soir, nous allons devoir reporter cette audition.

M. André Reichardt. - Si des annonces sont faites ce soir par M. Trump, je doute en effet que M. Rubinacci soit en mesure de les commenter demain matin et il est alors préférable de reporter cette audition pour lui permettre d'effectuer les consultations préalables nécessaires.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous nous retrouverons ensuite le mercredi 9 avril pour examiner un avis politique préparé par notre collègue Alain Cadec, en vue de contribuer à l'évaluation du règlement sur la politique commune de la pêche. C'est une commande que je lui avais faite puisque la Commission européenne avait ouvert une consultation et je pense qu'il est important que notre commission puisse formuler un avis à cette occasion.

Je vous rendrai également compte du déplacement récent que nous avons effectué en Estonie. Enfin, j'appelle votre attention sur le fait que le secrétariat de notre commission a saisi les groupes politiques afin de pouvoir composer les délégations de la commission qui effectueront les déplacements suivants : à Bruxelles le 15 mai avec une délégation de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, pour rencontrer des représentants de la Commission européenne ; à Bruxelles à nouveau, le 22 mai, dans le cadre d'un déplacement conjoint avec la délégation sénatoriale aux outre-mer afin de donner suite à la résolution européenne sur l'intégration régionale des régions ultra-périphériques ; et enfin, à La Haye, le 26 mai, dans le cadre d'un déplacement conjoint avec la commission des lois pour se rendre à Europol et Eurojust.

Pour chacun de ces déplacements, en accord avec mes homologues, la composition retenue sera la suivante : le président de la commission et un représentant par groupe politique. Je vous invite donc à vous rapprocher de vos groupes respectifs si vous souhaitez participer à l'un ou l'autre de ces déplacements.

J'en viens maintenant au premier point de notre ordre du jour.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Notre collègue Vanina Paoli-Gagin a déposé une proposition de résolution européenne visant à promouvoir la recherche fondamentale et l'innovation de rupture dans le domaine des ARN acides ribonucléiques extracellulaires et des vésicules extracellulaires.

L'ARN acide ribonucléique (ARN) est une molécule qui transmet les instructions contenues dans l'ADN à la cellule. Il est codant, c'est-à-dire qu'il permet la fabrication de protéines. Les ARN non codants, dits ARNi, peuvent se lier spécifiquement à des ARN messager pour moduler la fabrication des protéines ou l'empêcher. Ces molécules d'ARN sont particulièrement fragiles et peu stables. C'est pour cela qu'elles sont enveloppées d'une vésicule extracellulaire qui les protège et les transporte d'une cellule à l'autre, permettant ainsi une communication intercellulaire qui conditionne notamment la réponse immunitaire.

L'enjeu pour la recherche est de comprendre le processus de sélection des ARN chargés dans les vésicules, ainsi que les mécanismes qui permettent le ciblage des cellules réceptrices. De nombreuses applications seraient possibles dans le domaine de la santé et dans le domaine agricole. Dans le domaine de la santé, des solutions thérapeutiques sont en cours de développement pour lutter contre la maladie de Crohn ou l'hépatite C. De nouvelles avancées sont également espérées dans la lutte contre l'antibiorésistance. Les molécules d'ARN extracellulaire pourraient également être utilisées comme biomarqueurs non invasifs pour permettre des diagnostics précoces.

Dans le domaine agricole, des pesticides à base d'ARNi pourraient se substituer aux pesticides chimiques utilisés aujourd'hui, et qui restent nocifs pour la santé humaine et l'environnement. Un premier produit a été mis sur le marché aux États-Unis. Il s'agit de Calantha, qui permet de lutter contre le doryphore de la pomme de terre. De nouvelles avancées sont attendues dans la lutte contre certains champignons qui utilisent l'ARN extracellulaire pour réduire les capacités de défense immunitaire des plantes.

C'est pour cela qu'il nous apparaît essentiel de soutenir la recherche et le développement dans le domaine de l'ARN extracellulaire et des vésicules extracellulaires, tant sur le plan financier que sur le plan réglementaire. Les technologies reposant sur les propriétés de l'ARN extracellulaire et des vésicules extracellulaires sont assimilées à des biotechnologies. Elles peuvent bénéficier du label STEP, prévu par le règlement (UE) 2024/795, qui donne un accès préférentiel aux financements de l'Union aux technologies permettant de réduire ou de prévenir les dépendances stratégiques.

Le programme Horizon Europe finance déjà de nombreux projets dans le domaine de l'ARN extracellulaire et des vésicules extracellulaires, que ce soit en recherche fondamentale ou en soutien à l'innovation. Ainsi, le Conseil européen de la recherche finance actuellement trois projets en recherche fondamentale et la société EVerZom a bénéficié de fonds de l'Institut européen d'innovation et de technologie pour tenter de mettre sur le marché un traitement contre la maladie de Crohn. Enfin, l'action COST exRNA-PATH, réseau regroupant plusieurs chercheurs européens, a également bénéficié de fonds du programme Horizon Europe. Selon les personnes auditionnées, les possibilités de financement pour la recherche dans le domaine de l'ARN extracellulaire et des vésicules extracellulaires sont nombreuses. Toutefois, les fonds ne sont pas spécifiquement fléchés vers ce domaine de recherche.

En 2024, le programme Horizon Europe a fait l'objet d'une évaluation à mi-parcours par un groupe d'experts indépendants. Celui-ci a insisté sur la nécessité de mieux financer les innovations de rupture qui visent à remplacer les technologies existantes actuellement sur le marché. Les programmes de travail du programme Horizon Europe devraient spécifiquement soutenir les innovations reposant sur les propriétés de l'ARN extracellulaire et des vésicules extracellulaires, notamment les innovations de rupture.

Le vrai problème de l'Union européenne réside toutefois dans une insuffisance de l'investissement privé dans la recherche-développement. Pour permettre le passage à l'échelle qui correspond au passage du stade de l'innovation à celui de la commercialisation d'un produit, les entreprises ont besoin de fonds particulièrement importants qu'elles ont du mal à lever. Les marchés européens de capitaux restent cloisonnés et les fonds de capital-investissement investissent essentiellement sur leur marché national. Il est donc nécessaire de créer un marché de l'épargne et de l'investissement plus intégré avec des produits d'épargne adaptés. C'est la solution préconisée par les rapports de MM. Draghi et Letta, que nous soutenons ici. Nous encourageons en effet la Commission européenne à faire des propositions visant à permettre la mobilisation de l'investissement privé pour financer le développement des entreprises innovantes et leur passage à l'échelle.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Le développement de nouvelles technologies reposant sur l'ARN extracellulaire et les vésicules extracellulaires va nécessairement nous poser des questions d'ordre éthique, réglementaire et technique.

Sur le plan éthique, l'état des connaissances scientifiques et la diversité des applications potentielles ne permettent pas de formuler un avis définitif. Le faible nombre de demandes d'essais cliniques ou d'autorisations de mise sur le marché déposées limite de fait le champ de la réflexion.

Le comité consultatif national d'éthique et le comité éthique en commun n'ont pas été en mesure d'accepter une audition. Toutefois, je peux indiquer que l'ARN ne modifie pas l'ADN. Le génome des organismes cibles reste le même.

Le règlement de l'Union européenne relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain prévoit une évaluation des enjeux éthiques de l'essai clinique par chaque État membre concerné. Un avis défavorable des comités nationaux d'éthique permet à un État membre de refuser la demande d'autorisation sur son territoire.

Sur le plan technique, le passage au stade industriel nécessite des développements que la réglementation doit pouvoir faciliter mais aussi encadrer de manière à protéger la santé humaine et l'environnement.

Lors de son audition, le président de la société EVerZom nous a expliqué que les vésicules extracellulaires sont considérées comme des produits biologiques, alors que leur procédé de production ressemble davantage à celui des médicaments de thérapie génique. Les sites de fabrication qui sont autorisés à produire des médicaments de thérapie génique ne sont généralement pas habilités à fabriquer des médicaments biologiques. Dès lors, la société EVerZom doit faire appel à deux prestataires distincts.

En outre, les lignes directrices devant permettre d'autoriser la libération des lots produits sont encore en cours d'élaboration, ce qui peut compliquer le développement de la production pour les entreprises et les missions de contrôle pour les régulateurs.

Nous recommandons donc de créer des plateformes spécifiques disposant des autorisations adaptées pour produire des vésicules extracellulaires à l'échelle industrielle et de soutenir la définition de lignes directrices permettant un contrôle qualité adéquat de la production.

En effet, il est nécessaire d'informer au mieux les entreprises sur la réglementation en vigueur et d'adapter cette même réglementation aux spécificités des produits reposant sur les propriétés de l'ARN extracellulaire et des vésicules extracellulaires.

Il n'est pas toujours évident de déterminer quelle législation s'applique à une technologie donnée. Dans le domaine de la santé, certaines pourront s'apparenter à des médicaments biologiques et d'autres de ces techniques s'apparenteront à des thérapies géniques. Les exigences réglementaires ne sont pas les mêmes.

La Commission européenne a créé en janvier dernier un pôle biotechnologique de l'Union, qui vise à aider les entreprises de biotechnologie à trouver une information pertinente sur la réglementation en vigueur. Nous pensons qu'il est nécessaire d'aller plus loin en développant davantage les consultations préalables avec les autorités nationales compétentes et les agences de l'Union pour permettre aux entreprises de présenter au mieux leurs dossiers de demande d'autorisation.

En complément, une adaptation de la législation devrait également être envisagée pour permettre le développement de technologies reposant sur les propriétés de l'ARN extracellulaire et des vésicules extracellulaires. Lorsque nous avions examiné les dispositions du paquet pharmaceutique avec Pascale Gruny et Cathy Apourceau-Poly, notre commission avait soutenu la création de ce qu'on appelle des bacs à sable réglementaires dans le domaine du médicament afin de permettre la mise sur le marché de médicaments pour lesquels il n'existe pas d'alternative thérapeutique et de procédure d'évaluation adaptée. On peut raisonner un peu par analogie. Aujourd'hui, il s'agit d'adapter la procédure d'évaluation des produits phytopharmaceutiques pour les produits à base d'ARN. La Commission envisage une révision du règlement relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques afin de prévoir une procédure particulière pour les produits de biocontrôle. Dans le même temps, la définition d'une procédure mieux adaptée aux produits à base d'ARN pourrait être envisagée. Il ne s'agit pas nécessairement de diminuer les exigences, plutôt de prendre en compte les caractéristiques particulières de ces produits, notamment l'instabilité de ces molécules dans l'environnement et l'impact sur la santé humaine et l'environnement qu'elles peuvent avoir lorsqu'elles sont encapsulées.

Enfin, la Commission européenne a annoncé fin 2024 qu'elle préparait un acte législatif visant à stimuler le développement des biotechnologies au sein de l'Union. Si cette proposition était initialement annoncée pour fin 2025, ce ne sera finalement pas avant 2026 et nous ne le regrettons pas, nous le saluons même, car nous souhaitons que la Commission européenne prenne le temps d'organiser une large consultation et tienne compte de l'ensemble des études lancées à la suite de sa communication du 20 mars 2024 sur les biotechnologies. Par ailleurs, la lettre de mission du nouveau commissaire européen à la santé et au bien-être animal, M. Oliver Varhelyi, mentionne ce futur règlement de l'Union sur les biotechnologies et indique la nécessité d'un nouvel environnement réglementaire propice à l'innovation dans les domaines de l'évaluation des technologies de santé et des essais cliniques. Il nous apparaît dès lors nécessaire de rappeler que les règles relatives aux dépenses de santé relèvent de la compétence des États membres et que ces compétences doivent être respectées. En effet, il faut éviter que, sous couvert de vouloir simplifier ou adapter la réglementation, la Commission européenne n'empiète sur les compétences des États membres.

Voilà l'objet de la proposition de résolution que nous avons modifiée et de l'avis politique qui en reprend les termes, que nous vous présentons de concert aujourd'hui.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Ce sujet n'est pas commun. Nous avons eu du mal au départ. Merci à Vanina Paoli-Gagin de nous avoir laissé le temps nécessaire pour examiner cette proposition de résolution. Nous avons essayé d'être les plus pédagogues possibles. C'est un sujet particulièrement pointu, même pour nous qui sommes scientifiques. L'expertise sur ce sujet à l'échelle européenne n'est pas si poussée que ça. Nous l'avons constaté. Il a été difficile de trouver des interlocuteurs même si, au fil du temps, nous avons pu rencontrer quelques experts.

Nous avons largement modifié le texte pour qu'il soit en phase avec l'état des connaissances actuelles et mettre l'accent sur les questions de santé car, au départ, le texte visait davantage les développements en cours dans le domaine agricole. Nous sentons très bien les potentialités dans le domaine de la santé. Il s'agit d'un sujet d'avenir, bien que l'ARN messager ait été découvert depuis de nombreuses années

M. Jacques Fernique. - Je remercie l'auteur de la proposition de résolution et nos rapporteurs. Leur rapport nous permet de mieux comprendre les enjeux de ce dossier. Mon groupe se serait sans doute opposé à la proposition initiale qui exprimait un enthousiasme marqué pour une réglementation moins contraignante.

Notre groupe ne se retrouve pas dans cet enthousiasme, notamment pour ce qui concerne les pesticides utilisant la génomique. Ceux-ci sont intéressants, mais aussi préoccupants, car leur impact sur la biodiversité n'a pas fait l'objet de travaux d'évaluation suffisants.

En effet, il est nécessaire de mieux connaître les risques pour la biodiversité, pour les invertébrés notamment, comme le rapport le souligne. Il est nécessaire de mener un effort de recherche conséquent pour mieux connaître leurs mécanismes d'action, leurs implications et leurs effets sur la santé humaine et la biodiversité. En ce sens, je me retrouve pleinement dans l'alinéa 21 de la proposition de résolution modifiée.

Sur les interrogations d'ordre éthique, le rapport nous rappelle que, pour le moment, l'état des connaissances et la diversité des applications potentielles ne permettent pas de formuler un avis éthique spécifique. Je mesure l'équilibre qu'essaie d'établir la proposition de résolution telle que modifiée par les rapporteurs. Cet équilibre tient entre la volonté de simplifier, de faciliter et d'accélérer la recherche, et la volonté mentionnée à l'alinéa 45 de s'assurer que la réglementation, simplifiée ou adaptée, permette de préserver la santé humaine et l'environnement. C'est cet impératif qui, à mon sens, est absolument nécessaire.

M. Michaël Weber. - Je découvre ce sujet qui me semble très technique. Je remercie tous ceux qui ont contribué à ce que nous puissions avoir ce débat.

Je voudrais revenir sur deux ou trois éléments, en m'excusant de mon manque de connaissances. Ils ont été plus ou moins abordés. Vous évoquez la création d'un pôle biotechnologique de l'Union mais, si je comprends bien, il n'existe pas à l'heure actuelle de législation propre aux biotechnologies. Ne devrait-on pas encourager le développement d'une législation plus ciblée pour soutenir la recherche ?

Je note également que la Commission envisage une proposition législative concernant les substances actives de biocontrôle, qui serait incluse dans le paquet de simplification du dernier trimestre 2025. Je suis inquiet de l'expression « paquet de simplification », même si j'ai bien noté que vous recommandiez davantage une adaptation, ce qui ne signifie pas nécessairement une simplification mais la mise en oeuvre d'une procédure mieux à même d'intégrer les spécificités des produits à base d'ARN. Pensez-vous que le paquet de simplification soit le bon véhicule législatif pour cette adaptation ? Y a-t-il des éléments pour nous rassurer à ce sujet ?

Enfin, je rejoins ce que disait Jacques Fernique à l'instant. Je pense que nous n'avons pas suffisamment de recul pour évaluer au mieux l'impact des biotechnologies sur la biodiversité. Il est nécessaire de poursuivre les recherches dans ce domaine. Nous devons également pouvoir réagir de façon suffisamment prompte si l'on découvrait des impacts négatifs sur la santé humaine ou la biodiversité, déjà fragilisée.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Merci de vos remarques. Nous nous sommes posé les mêmes questions que vous. Nous avons compris que nos interlocuteurs étaient gênés par la réglementation ou plutôt l'absence de réglementation adaptée qui encadre leurs activités. La génétique soulève toujours beaucoup de questions. Nous avions eu un débat sur les nouvelles techniques génomiques qui a permis de lever certains préjugés. Au fil de la discussion, nous sommes arrivés à des conclusions qui nous ont permis de mieux prendre en compte les réalités de ces technologies et de constater la nécessité d'une réglementation plus adaptée.

Sur les aspects financiers, nous comprenons qu'il est difficile de flécher les fonds. Le programme Horizon Europe définit des objectifs et c'est à chaque porteur de projet de présenter des solutions. Les objectifs en matière de santé sont bien intégrés dans le programme Horizon Europe. Didier Marie et moi-même avons insisté sur la nécessité d'intégrer un volet santé dans le programme de travail de la Commission pour 2025.

Enfin, dans le domaine de la recherche et de l'innovation sur lequel je travaille au sein de la commission des finances, ce que nous faisons aujourd'hui prépare les innovations dont nous pourrions bénéficier dans 20, 25, 30 ans.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je remercie l'autrice de la proposition de résolution de nous avoir permis de nous pencher sur une question très avant-gardiste. Sur les interrogations que vous avez relevées en termes de risque ou d'éthique, notre réflexe, avec Jean-François Rapin, a été de solliciter les instances concernées. Elles n'ont malheureusement pas travaillé sur cette question spécifique parce que la recherche n'en est qu'à ses débuts. Beaucoup de projets de recherches sont en cours. On a listé dans le rapport le nombre de projets de recherche en France, ainsi que les montants alloués. Par ailleurs, les États membres conservent des compétences, notamment en ce qui concerne les autorisations d'essais cliniques sur la base de critères éthiques. Sur ce sujet, nous devons assumer nos responsabilités. Je rappelle l'existence de lois de bioéthique en France, que le Parlement révise régulièrement. Lors de la dernière révision, nous n'avons pas du tout traité de ce sujet, le Gouvernement n'a pas souhaité inclure les questions liées aux biotechnologies dans la révision de 2021, estimant qu'il n'y avait pas lieu de le faire. Nous devons adapter notre cadre national sur ces questions si nous voulons pouvoir intervenir.

J'en profite pour rappeler que les ARN extracellulaires n'entraînent pas de modifications du génome. De folles rumeurs ont circulé sur Internet durant la pandémie de Covid-19 sur l'ARN et les vaccins à ARN. Nous ne captons toujours pas la 5G, même si nous nous sommes fait vacciner ! Et notre génome n'a pas été modifié. Si ces applications sont récentes, les ARN extracellulaires ont été découverts il y a plus de vingt ans. Ce n'est pas une découverte fondamentale d'aujourd'hui. Des prix Nobel ont été décernés il y a deux décennies pour ces découvertes.

Nous proposons de simplifier le cadre juridique avec pour objectif d'aider les industriels à savoir quelle législation s'applique à leur domaine. Nous devons avoir le volontarisme nécessaire pour soutenir des technologies qui sont potentiellement porteuses de très grands progrès en santé humaine et peut-être aussi dans le monde agricole, tout en garantissant le respect de nos règles éthiques qui limitent les possibilités de modifier le génome.

Une fois qu'on a dit cela, on se rend compte que la recherche, tout comme la réglementation, sont en train de se faire. Avec beaucoup d'humilité, nous vous proposons un texte en marchant, c'est-à-dire sur un domaine qui n'est pas du tout stabilisé. Il nous semble que le cadre que nous vous proposons respecte les différentes valeurs que doit respecter la recherche sur le vivant.

M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Je ne vois pas d'autres demandes de parole. Je mets aux voix la proposition de résolution. Elle est adoptée avec une abstention. Je mets également aux voix l'avis politique qui reprend les termes de la proposition de résolution. Même vote. Je vous remercie. Je vais maintenant donner la parole à notre collègue Vanina Paoli-Gagin, auteur du texte initial, que nous avons profondément remanié pour tenir compte de nos auditions.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Merci du travail effectué sur ce texte, qui est un acte volontariste de ma part. Je ne suis absolument pas une scientifique ni un médecin spécialiste des ARN. En revanche, je connais assez bien les innovations de rupture dans d'autres domaines. J'observe sur le temps long qu'en Europe, très souvent, on rate un coche à cause d'un nombre d'appréhensions qui sont souvent exagérées et au final, au bout d'un moment, les nouvelles technologies nous arrivent de l'extérieur, souvent issues de notre meilleure recherche académique, soit française, soit européenne. Il faut que cela cesse. Le fait de ne pas vouloir explorer de nouveaux territoires que nos amis chinois et américains sont en train de développer me gêne en tant qu'élue de la nation. Si nous voulons préparer l'avenir, il faut que nous changions de posture par rapport à ce type d'innovation.

Comme vous l'avez rappelé, M. le Président, M. le rapporteur, ce sont des recherches qui existent depuis plus d'une vingtaine d'années. J'ai été saisie par un collectif de 120 chercheurs européens qui font partie de cette Action COST pour rappeler que les travaux menés n'impliquent pas de modification du génome. Le problème, c'est qu'au bout d'un moment, ces craintes bloquent l'innovation de rupture en Europe et notre capacité à créer de la valeur.

Finalement, l'approche européenne « One Health » que nous avons choisie est la plus pertinente. Plus nous avançons dans les découvertes scientifiques, plus nous comprenons que seule une approche holistique de la santé humaine doit être privilégiée. Je suis, comme pour la plupart d'entre vous, élue d'une région très agricole. Je vois bien que nos agriculteurs, nos viticulteurs, d'année en année, ont des problématiques liées à l'utilisation des produits phytosanitaires qui, au bout d'un moment, finissent par épuiser les sols. Il y a des produits de biocontrôle qui peuvent être intéressants à utiliser en substitut aux produits phytosanitaires. Il me paraît souhaitable que l'Europe soit aux avant-gardes sur ces sujets. Il y a la santé humaine, la santé végétale et la santé animale et elles doivent être envisagées comme une seule.

Je ne milite pas pour l'absence de réglementation, chers collègues. Mais il s'agit d'essayer de changer de paradigme et de comprendre qu'on ne peut pas bloquer ce type d'innovation : au contraire, il s'agit de s'investir pleinement dans ce domaine parce que nous avons les meilleurs chercheurs au monde en ce moment. On a un temps d'avance aujourd'hui. Si on ne le garde pas, si on ne s'inscrit pas dans une dynamique et qu'on ne se donne pas les moyens de transformer ces résultats de recherche et ces innovations en produits de marché, je vous garantis que demain, on achètera des produits de marché qui viendront de partout, sauf de l'Union.

Aujourd'hui, le rapport Draghi ne fait que confirmer cette analyse et rappelle la nécessité de travailler à assurer notre autonomie dans les domaines de l'alimentation et de la santé. Je vous remercie beaucoup pour ces améliorations et je remercie les membres de la commission.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie. Nous allons maintenant poursuivre notre réunion et je passe la parole à Pascal Allizard pour le second point inscrit à notre ordre du jour.

Bilan semestriel de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE) - Communication

M. Pascal Allizard, président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE). - L'OSCE commémorera cette année le cinquantenaire de l'Acte final d'Helsinki, sous présidence finlandaise, dans des conditions relativement apaisées. Cette organisation internationale présente la particularité de compter 57 États membres de l'hémisphère nord et d'être la seule à associer les États-Unis, la Russie, l'Asie centrale et la Turquie.

Le contexte international de nouvelle « guerre froide » et de guerre réelle en Ukraine est profondément marqué par les déclarations et les initiatives de la nouvelle administration américaine, ainsi que par une relance un peu désordonnée et peu lisible du dialogue américano-russe. Le fait que nous ayons encore les Russes au sein de cette assemblée peut être intéressant. Ce forum de dialogue, de négociations et d'échanges pourrait en effet connaître un regain d'intérêt an cas de cessez-le-feu en Ukraine.

Dans ce climat de tensions internationales sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'Assemblée parlementaire de l'OSCE fonctionne et se porte bien, dans le sens où elle fait entendre sa voix et peut témoigner d'actions qui ont une certaine influence. Ce constat vaut pour la session d'hiver de Vienne, qui s'est concentrée sur deux jours pleins, les 20 et 21 février derniers, en l'absence des parlementaires russes, en présence d'une délégation biélorusse. La délégation française que j'ai conduite comportait 9 membres, sur 13 au total, nos collègues Gisèle Jourda et Ludovic Haye, ainsi que les députés Pascal Lecamp, Liliana Tanguy, Anna Pic, Pouria Amirshahi, Thomas Portes et Alexandre Sabatou offrant ainsi une palette diversifiée du spectre politique et parlementaire français.

Nous avons été reçus la veille au soir par l'ambassadrice, représentante permanente de la France à l'OSCE, avec laquelle nous avions tenu, deux semaines auparavant, une réunion préparatoire à distance. Je voudrais souligner l'attention particulière dont a fait preuve l'ambassadrice et son équipe à notre égard, ainsi que la qualité et la densité des échanges, tout à fait remarquables. Sur ces sujets internationaux, de diplomatie pour les diplomates et de diplomatie parlementaire pour les parlementaires, il est nécessaire de se coordonner.

La première session du 21 février a été ouverte par un discours du nouveau président du Conseil national autrichien, qui est aussi le nouveau président de la délégation autrichienne, ainsi que par des discussions sur la formation d'une nouvelle coalition en Autriche. Le nouveau secrétaire général de l'OSCE, ancien ministre des Affaires étrangères turc, a ensuite pris la parole pour vanter les mérites du multilatéralisme dans le monde d'aujourd'hui. La présidente de l'AP-OSCE a insisté sur les violations par la Russie des principes d'Helsinki et sur les menaces multiformes, y compris hybrides et cyber, qui devaient ensuite faire l'objet de nombreuses interventions de spécialistes de l'OSCE.

Les réunions des trois commissions, correspondant aux trois dimensions de la sécurité selon la matrice d'Helsinki, ont été suivies. La troisième commission, en charge de la démocratie, des droits de l'homme et des questions humanitaires, a consacré l'essentiel de ses travaux au défi de l'intelligence artificielle, avec une intervention remarquée de notre collègue Ludovic Haye. Pendant que la deuxième commission, chargée des affaires économiques, de la science et de la technologie, revisitait les enjeux climatiques et ceux liés aux migrations, j'ai participé à plusieurs réunions concomitantes de groupes de travail.

L'un d'eux était consacré au soutien à l'Ukraine. J'ai pu m'entretenir avec le président de la délégation ukrainienne et la présidente de la commission des droits de l'enfant et des droits de l'homme de la Rada, qui ont relayé les témoignages poignants des femmes et enfants ukrainiens victimes de violences et d'exactions de la part des forces armées russes en violation du droit humanitaire, ainsi que les efforts réalisés par la justice ukrainienne pour ne pas laisser ces crimes impunis. Un autre groupe était consacré au sort des prisonniers politiques en Russie et en Biélorussie. Nous entendions Vladimir Kara-Mourza et son épouse, qui devaient s'adresser le lendemain à la plénière, ainsi que Svletana Tikhanovskaïa. Je me réjouis, Monsieur le Président, que nous puissions auditionner prochainement Vladimir Kara-Mourza qui nous a fait part à Vienne de ses préoccupations quant à l'emprisonnement des personnes qui ont osé manifester en Russie contre la guerre en Ukraine.

Notre collègue autrichienne, Gudrun Kugler, a tenu ensuite une réunion consacrée à un sujet qui concerne toutes nos sociétés et qui est trop peu abordé, à mon sens, dans les enceintes parlementaires : les enjeux politiques et sécuritaires à moyen et long terme des évolutions démographiques. Le 22 février, dans le cadre de la commission des affaires politiques et de la sécurité, avec pour ordre du jour, là aussi, un thème que les parlementaires laissent souvent aux experts, mais qui correspond au coeur de la mission de sécurité de l'OSCE : la sécurité nucléaire, les risques d'escalade et la protection des infrastructures critiques en cas de conflit.

Parmi les interventions remarquées, je souligne celle de notre collègue Gisèle Jourda sur la nécessité de construire une nouvelle architecture de sécurité européenne à l'échelle de notre continent, qui tienne compte de la nouvelle donne géostratégique.

Au cours de la commission permanente, j'ai présenté un rapport détaillé sur la mission d'observation électorale que j'ai effectuée en Géorgie en octobre dernier. J'ai rendu compte de cette mission devant la délégation géorgienne officielle, réduite à des membres du parti au pouvoir élus fin octobre 2024.

J'ai pu, en marge des réunions officielles, m'entretenir avec les principaux représentants de l'opposition géorgienne, notamment George Tsereteli et Tina Bokuchava du mouvement national unifié. J'ai pu constater durant ces échanges très intéressants que, jusqu'à présent en tout cas, les esprits n'étaient pas encore mûrs pour la reprise d'un dialogue que je persiste à appeler de mes voeux pour permettre à la Géorgie de revenir sur la voie européenne. C'est une situation que je continue à suivre.

Parmi les autres entretiens bilatéraux, en tant que représentant spécial pour les affaires méditerranéennes, j'ai rencontré les représentants de la délégation israélienne pour préparer la mission dont je vous parlerai dans quelques instants, ainsi que la délégation marocaine, toujours présente et très active comme à l'accoutumée. Nous aurons un déplacement au Maroc pour une prochaine mission. J'ai tenté un dialogue avec les représentants de la délégation algérienne. Les échanges ont été courtois mais il a été impossible d'avoir une vraie discussion sur les sujets du moment. C'était fin février, il y a un peu plus d'un mois. Peut-être les choses se passeront-elles mieux la fois prochaine, compte tenu des nouveaux accords entre les présidents des deux pays.

Au total, une session d'hiver dense, presque trois ans après le début de l'invasion russe de l'Ukraine, marquée par l'absence des Russes et une très faible présence américaine. J'en viens à la mission effectuée du 7 au 11 mars en Israël et dans les territoires palestiniens, en ma qualité de représentant spécial pour la Méditerranée, avec la présidente de l'Assemblée parlementaire et quelques vice-présidents. Cette mission répondait à une invitation de la délégation israélienne auprès de l'AP-OSCE, qui est une délégation extrêmement assidue parmi celles des pays partenaires de la Méditerranée. Ceux-ci sont au nombre de six : le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Égypte, la Jordanie et Israël. Lors du forum méditerranéen, nous invitions les délégations des parlements de ces six pays, en tout cas ceux avec lesquels nous avons des relations suivies. Tel est le cas de la Knesset qui, cette fois-ci, nous a invités, mais aussi de façon plus ou moins intermittente, du Conseil national palestinien qui siège à Ramallah. Je souligne néanmoins qu'il n'y a pas eu d'élections législatives dans les territoires palestiniens depuis 2005, c'est-à-dire 20 ans ! Lors de notre mission, les contacts à Ramallah ont été traités et facilités par la représentation chypriote, mais aussi par la représentation finlandaise.

Je voudrais remercier le Consul général de France à Jérusalem pour son accueil et ses conseils, et rappeler que ce consulat joue un rôle tout à fait particulier qui est triple. Outre une tâche consulaire classique, il assume une mission originale et particulièrement importante, comme nous l'a souligné le patriarche grec orthodoxe, à savoir la protection des établissements et communautés religieuses, dont plusieurs domaines nationaux français, à Jérusalem ou tout autour. Cette mission est importante car elle illustre le rôle particulier de la France sur place dans le dialogue interreligieux et la protection des chrétiens, en particulier. Nous avons d'ailleurs eu un long échange avec le patriarche orthodoxe grec qui a la garde notamment d'une partie du Saint-Sépulcre.

Enfin, le consulat général, totalement autonome de l'ambassade de France à Tel Aviv, gère exclusivement les contacts diplomatiques avec les Palestiniens, ce qui en fait une véritable ambassade de facto. Ce cadre étant rappelé, nous avons en quelques jours rencontré une grande diversité de responsables politiques de haut niveau, en Israël comme dans les territoires palestiniens, mais aussi des acteurs des sociétés civiles palestiniennes et israéliennes, des responsables de l'armée israélienne et des habitants des kibboutzim bordant Gaza, ainsi que des personnes visant à la frontière libanaise au nord, dévastés par les attaques du Hezbollah.

Nous ne sommes pas allés à Gaza, même avant la rupture du cessez-le-feu, mais avons traversé une bonne partie de la Cisjordanie. Cette mission de terrain me semblait utile et nécessaire, même si elle est située en périphérie de la zone OSCE. Cela affecte de façon importante l'ensemble de la zone et les rapports entre les différents pays. Mon premier souci en tant que représentant spécial, c'est effectivement de maintenir le dialogue avec chacune des parties au conflit, du côté de l'État d'Israël et de la société civile, mais aussi du côté palestinien, où se pose clairement la question de la qualité étatique de l'Autorité palestinienne et de ses structures.

Nous avons eu de longs échanges avec le Croissant-Rouge palestinien, qui contrôle ou supervise l'ensemble des opérations humanitaires et sanitaires, y compris à Gaza, au moyen de matériel sophistiqué et d'équipes humanitaires dévouées. Nous n'avons pas pu rencontrer de représentants de l'UNRWA (l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), qui a été complètement démantelée par les opérations israéliennes et dont une bonne partie des employés serait, selon les autorités israéliennes, affiliée au Hamas. Des preuves des actions dualistes ou de double appartenance nous ont été montrées et ont été abondamment documentées par les services israéliens, qui jettent une suspicion sur l'action de cette agence des Nations Unies devenue en fait persona non grata.

Au-delà de cette agence dédiée, c'est le système des Nations Unies lui-même qui pourrait être discrédité par ces dérives, selon les représentants du ministère israélien des affaires étrangères. Il y a une question de légitimité qui est clairement posée. L'accès des ONG et des travailleurs humanitaires à Gaza est là aussi posé avec d'autant plus d'acuité et d'urgence que le cessez-le-feu a été rompu par l'armée israélienne le 17 mars, six jours après notre retour. L'accès de l'aide humanitaire avait été suspendu dès le 2 mars en plein coeur de Gaza. L'armée israélienne soupçonnait le Hamas d'utiliser la logistique humanitaire pour se réarmer. Chacun produit des preuves contraires, bien évidemment, mais le sujet est réel et sérieux.

L'UNRWA demeurerait néanmoins très active en Cisjordanie, en particulier dans les camps de réfugiés qui sont la cible de frappes israéliennes récurrentes. Les responsables du Croissant-Rouge que nous avons rencontrés continuent inlassablement leurs tâches sans dissimuler un certain découragement. L'armée israélienne tire sur ses ambulances. Il y a encore eu plusieurs morts hier dans la journée. De son côté, l'armée israélienne accuse le Hamas d'avoir dissimulé, sous couvert de transports sanitaires, des armes voire des otages. La société israélienne demeure à l'évidence profondément traumatisée par l'extrême violence de ces attaques du 7 octobre, filmées par les terroristes eux-mêmes.

Nous avons vu, mais cela avait été présenté ici même à l'époque, des images absolument insoutenables. Nous avons entendu des enregistrements issus des téléphones portables des jeunes terroristes se vantant de leurs abominables exactions auprès de leur famille. Nous avons visité les maisons de certains otages et de certaines victimes, rencontré leurs proches, leurs familles, leurs voisins. Nous avons arpenté le site du festival Nova, entre les photos des jeunes massacrés par centaines le 7 octobre et des dizaines d'otages dont certains sont encore retenus, vivants ou morts, parmi les familles endeuillées qui entretiennent la mémoire sur ce lieu, en plantant des eucalyptus parmi les coquelicots couleur de sang.

Nous avons été reçus par le président de la Knesset, la ministre déléguée aux affaires étrangères, le président de la délégation israélienne et les conseillers du Premier ministre. J'en retire le sentiment d'une certaine unité, à l'ensemble de l'échelon politique israélien, face à ce qui est perçu comme une menace constante pour la sécurité d'un pays dont le 7 octobre a prouvé la vulnérabilité, en dépit de la violence et du caractère massivement meurtrier des ripostes qui ont suivi.

Très clairement, 80 % de la société israélienne approuvaient la politique de M. Netanyahou lors de notre mission.

Du côté palestinien, nous avons échangé avec la ministre des Affaires étrangères, d'origine arménienne et chrétienne, ainsi qu'avec le vice-président du Conseil national palestinien. Sous les portraits de Yasser Arafat et de Mahmoud Abbas, nous nous sommes demandé quelle autorité représentait le Fatah auprès de la jeunesse palestinienne. Les récentes manifestations contre le Hamas à Gaza sont à suivre de près. Les choses sont-elles en train de bouger ? On le saura dans quelque temps.

Nous n'avons guère perçu de frémissement d'une offre politique structurée et construite qui pourrait laisser entrevoir un avenir institutionnel et démocratique véritablement crédible, pour rebâtir un ordre durable sur les ruines de l'urgence. Nous nous sommes longuement entretenus avec un médecin polyglotte, humaniste, souriant et confiant qui, malgré tout, depuis 25 ans, attend d'hypothétiques élections. Il n'en demeure pas moins une lueur d'espoir, un optimisme affiché, face aux bombes qui déferlent à nouveau, face aux déclarations du président des États-Unis sur la bande de Gaza, face aux impasses apparentes des tractations sur les otages, concédées à demi-mot et qui se dérouleraient à deux voix dans une médiation entre des émissaires américains et du Hamas, sous le regard attentif des spécialistes israéliens.

La perspective de reconstruction existe, à laquelle tous nos interlocuteurs palestiniens paraissent vouloir s'accrocher. C'est le fameux plan égyptien, le plan arabe, préparé par l'Égypte, soutenu par les dirigeants arabes, en réponse au projet du président Trump. La France le soutient, c'est ce que m'a répondu en tout cas le ministre délégué lors de ma question au gouvernement la semaine dernière. L'Europe paraît, pour le moment, la grande absente, la grande muette selon tous nos interlocuteurs sur place, y compris des diplomates européens eux-mêmes en privé, qui paraissent plus spectateurs qu'acteurs d'un processus pouvant conduire à une solution.

Notre mission a eu lieu avant le tout récent déplacement de la haute représentante et vice-présidente de la Commission européenne, Kaja Kallas, en fin de semaine dernière. L'Union européenne persiste à investir plusieurs dizaines de millions d'euros dans l'aide humanitaire, de plus en plus difficile à acheminer et obstruée par de multiples obstacles. L'Autorité palestinienne attend le soutien financier direct de l'Europe, dont on n'entend pas la voix là-bas mais dont on attend malgré tout l'action, cette région ayant tant besoin de stabilité et de paix !

Le 7 octobre et ses conséquences ont, semble-t-il, étouffé le pacifisme israélien et l'opposition au cours guerrier actuel. Mais il n'a pas définitivement anéanti l'espoir d'une solution à deux États qui demeure, malgré tout, audible. Si cette solution demeure crédible, elle le demeure à moyen et long termes. Certains Israéliens évoquent la possibilité d'une solution à « un État et demi ». Il me semble important de ne pas transiger sur une solution politique où la France et l'Union européenne ont leur mot à dire, au-delà même des urgences humanitaires qui sont criantes.

Lors de la réunion que nous avons tenue la semaine dernière avec l'autre vice-présidente chypriote de l'AP-OSCE, à l'occasion de sa participation à la conférence de l'OCDE à Paris sur la corruption, nous avons évoqué la reprise récente des pourparlers qui se sont tenus à Genève, sous l'égide des Nations Unies, entre les représentants turcs et chypriotes de cette île divisée. C'est un vrai sujet puisque c'est le pays européen le plus proche de la zone dont on parle, Israël et Palestine.

M. Jean-François Rapin, président. - Le pays européen le plus proche de cette région est effectivement Chypre. Nous y sommes allés il n'y a pas si longtemps. Les Chypriotes nous ont indiqué qu'il était dommage de ne pas utiliser leur compétence et leur proximité avec ces États pour assurer quelques fonctions diplomatiques ou remplir des chaises qui sont parfois vides. Je plaide à chaque fois que je rencontre des autorités pour dire qu'il faut s'appuyer sur les Chypriotes, car ils se plaignent que les chaises européennes sont trop vides dans ces territoires. Cela corrobore la présentation qui vient d'être faite.

La situation est trop complexe pour beaucoup d'entre nous. Les manifestations récentes du peuple à Gaza contre le Hamas remettent en course le Fatah, dont on sait très bien que les Israéliens ne l'avaient pas soutenu à une certaine époque. Tout cela est d'une complexité majeure.

M. Pascal Allizard, président de la délégation française à l'AP-OSCE. - La situation est effectivement extrêmement complexe. J'ai indiqué tout à l'heure que 80 % de l'opinion publique israélienne soutenait, non pas M. Netanyahou, mais la politique du gouvernement Netanyahou. Il y a un effet miroir : nous sommes allés à Ramallah et les représentants arabes ont le même sentiment. Ils nous disent que si demain M. Netanyahou n'est plus Premier ministre et qu'un travailliste prend la suite, la politique israélienne sera la même. Je n'ai pas détaillé la proposition de M. Trump.

Celle-ci n'est pas acceptable mais elle nous oblige à raisonner out of the box. Toutes les solutions traditionnelles et classiques qui ont été mises sur la table jusqu'à présent et qui n'ont pas marché doivent probablement être évacuées. Il faut trouver une solution nouvelle et originale que personne n'a encore envisagée et qui ne soit pas celle de M. Trump. À la création d'Israël, 800 000 Palestiniens ont été déplacés. Aujourd'hui, avec le plan Trump, ce serait un peu plus de 2 millions.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - On revit la même chose aujourd'hui.

M. Pascal Allizard, président de la délégation française à l'AP-OSCE. - Absolument. Les solutions ne peuvent pas être hors sol.

M. Didier Marie. - La situation est si compliquée que nous avons bien conscience qu'il n'y a pas de solution toute faite. Cela est sans doute lié à la genèse du conflit et à la répartition qui s'est faite à l'origine.

Il est beaucoup question des problèmes judiciaires potentiels de M. Netanyahou. Est-on au bout de l'ère Netanyahou ou pas ? Sa situation personnelle a-t-elle un impact sur la gestion du conflit ?

M. Pascal Allizard, président de la délégation française à l'AP-OSCE. - Je ne peux pas répondre à cette question. Ce n'était pas le coeur de notre déplacement.

Toutefois, je peux vous dire que les événements du 7 octobre n'ont pas été anticipés par l'armée, par les services de renseignements ou de sécurité. Des destitutions ont eu lieu depuis et certains responsables ont été remplacés.

Quand nous y étions, le Shin Bet était dans la tourmente. Nous avons eu un entretien très intéressant avec un général qui commande la région militaire nord, c'est-à-dire tout ce qui se situe le long de la frontière libanaise. Il nous a indiqué qu'une purge, entre guillemets, est en cours. Cela fait penser à ce qui s'était passé après la crise du Golan en 1973, qui avait conduit à la démission de Golda Meir.

Quant à l'impact de la situation personnelle de M. Netanyahou, je ne puis me prononcer. Les Israéliens, au-delà de Netanyahou, veulent une réponse contre le Hamas. Nous avons entendu partout qu'il n'y a pas de solution possible avec le Hamas.

La crainte des habitants et des représentants que nous avons rencontrés à Ramallah est que des membres du Hamas soient plus nombreux dans cette région et que cela provoque une réaction israélienne forte, en conséquence, dans les mois à venir. Cette zone de Cisjordanie qui était à peu près tranquille est en train d'être noyautée par le Hamas.

Mme Gisèle Jourda. - Je souhaite évoquer le blocage exercé à Jérusalem pour l'organisation d'élections. On remet souvent en cause la légitimité de l'Autorité palestinienne. Si des élections ne sont pas organisées en raison d'un blocage israélien, nous n'aurons jamais de légitimation des représentants palestiniens.

Il est évident que Gaza vit un drame humain. Gaza est encore sous les bombardements. On comprend que l'on veut éradiquer les forces terroristes. Étant élue d'un département où le terrorisme a frappé, je sais qu'on ne l'éradique jamais. Il y a une sorte de « course à l'échalote » pour faire table rase des terroristes, mais c'est des Palestiniens dont on fait table rase aujourd'hui.

Actuellement, des déplacements en masse ont lieu. Que vont faire les Palestiniens en Indonésie ? Comment répondre à la situation des orphelins palestiniens ?

Je félicite Pascal Allizard pour son travail. On ne peut pas porter de solution à tout. Je souhaite néanmoins que nous ayons en tête que la solution n'est pas dans des déclarations tonitruantes, dans la création d'un Disneyland à Gaza ou autre. Tout cela est un plâtre sur une jambe de bois. On n'a rien fait avancer. Je ne pouvais pas me taire sur le sujet.

M. Jean-François Rapin, président. - Oui, tout à fait.

M. André Reichardt. - La situation dramatique que vivent la bande de Gaza ainsi que les Israéliens est indigne. Les images de Rafah, où 370 personnes ont trouvé la mort, sont particulièrement douloureuses. Il est indispensable qu'une nouvelle trêve, ou la deuxième phase de celle-ci, intervienne au plus vite, que les otages soient libérés et que les bombardements sur Gaza cessent.

Comme vous l'avez mentionné, Monsieur le Président, il est nécessaire de s'intéresser aux manifestations hostiles au Hamas, très peu relayées dans les médias nationaux français. C'est nouveau et plutôt singulier alors que le Hamas y fait régner sa loi. On me dit même qu'il a détourné l'aide alimentaire. Des personnes, semble-t-il en masse, sont sorties dans la rue pour dire qu'elles ne sont pas d'accord avec le Hamas. C'est un élément très fort à examiner de près.

J'étais en Israël la semaine dernière dans un autre cadre. J'ai entendu le colonel Olivier Rafowicz, porte-parole de Tsahal dans le monde occidental, que l'on voit souvent à la télévision. À la question que je lui posais, pour savoir s'il était capable de distinguer le Hamas de l'Autorité palestinienne, il me répondit oui. J'en doute un peu, puisque l'on remarque une perméabilité très forte, notamment en Cisjordanie, entre les membres du Hamas et les membres de l'Autorité palestinienne. Il me soutient pourtant que des discussions ont lieu avec l'Autorité palestinienne, dont on peut contester la légitimité démocratique.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Mahmoud Abbas n'a plus vu un électeur depuis longtemps. Des informations d'ordre militaire seraient échangées entre l'État d'Israël et l'Autorité palestinienne, si j'en crois Olivier Rafowicz.

Il faut naturellement que cela s'arrête très vite, que cette situation s'assainisse. Il faut voir comment elle va évoluer, avec la dichotomie très forte qui apparaît à l'heure actuelle, au moins aux yeux d'Israël, entre le Hamas et l'Autorité palestinienne.

Je termine en posant une question à Pascal Allizard. Dans les contacts que vous avez eus à Ramallah, avez-vous eu ce sentiment aussi que, désormais, l'État d'Israël n'était peut-être plus l'ennemi numéro un ?

M. Pascal Allizard, président de la délégation française à l'AP-OSCE. - Je partage totalement l'analyse que vous venez de faire.

Les habitants et les dirigeants de Ramallah ont bien compris qu'aujourd'hui, le Hamas les mettait eux aussi en difficulté. Ils sont en difficulté dans la sécurité du quotidien, avec des membres du Hamas de plus en plus nombreux dans cette partie-là de la Palestine. Ils sont également en difficulté vis-à-vis d'une possible réaction israélienne, compte tenu du renforcement du Hamas sur le territoire de Cisjordanie occupé.

Il n'y a pas de solution avec le Hamas. À un moment donné, celles et ceux qui veulent aboutir doivent se retrouver là-dessus, et comme vous venez de le dire, il faudra se donner les moyens d'agir ensemble contre le Hamas.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci à vous tous. Je confirme l'annulation de la réunion de demain matin. Le prochain rendez-vous est prévu mercredi à 13 h 45. André Reichardt présidera cette séance.

La réunion est close à 14 h 55.