- Mercredi 9 avril 2025
- Proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission
- Désignation d'un rapporteur sur le projet de loi d'habilitation à prendre par voie d'ordonnance les mesures permettant de transférer à l'État les personnels de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna
- Audition de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche
Mercredi 9 avril 2025
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi n° 140 (2024-2025) relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire, déposée le 14 novembre dernier sur le bureau du Sénat.
Lors de sa réunion du 19 mars, la conférence des présidents a accepté que ce texte soit examiné selon la procédure de législation en commission, prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat. Je vous rappelle qu'en vertu de cette procédure, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement sur le texte concerné ne peut s'exercer qu'en commission.
Sont seuls recevables en séance, dans les conditions fixées à l'article 44 ter, les amendements visant à assurer le respect de la Constitution, opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d'autres textes en cours d'examen ou avec les textes en vigueur, ou procéder à la correction d'une erreur matérielle.
Sous cette réserve, la séance publique, programmée lundi 28 avril prochain, sera par conséquent réservée aux explications de vote et au vote du texte que nous allons élaborer au cours de la présente réunion.
Je vous rappelle que celle-ci est ouverte à l'ensemble des sénateurs, mais que seuls les membres de la commission de la culture présents dans la salle sont autorisés à prendre part aux votes.
Cette réunion fait par ailleurs l'objet d'une captation audiovisuelle diffusée en direct sur le site Internet du Sénat.
M. Max Brisson, rapporteur. - La proposition de loi que nous examinons cet après-midi s'inscrit dans le cadre de travaux engagés de longue date par notre commission et par le Sénat. Depuis plus de vingt ans, la Haute Assemblée s'est en effet dotée d'une doctrine et d'une réelle expertise sur le sujet des restitutions d'oeuvres d'art.
Ce travail a été fortement renouvelé depuis cinq ans. J'ai moi-même, avec notre collègue Pierre Ouzoulias et sous la direction de Catherine Morin-Desailly, rapporté une mission d'information sur le sujet en 2020. Les principales recommandations en ont été reprises par le Sénat dans un texte législatif voté le 10 janvier 2021.Nous avons également adopté, au mois de décembre 2020, le projet de loi qui a permis la restitution de vingt-six pièces du trésor d'Abomey au Bénin et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall au Sénégal.
Dans le cadre de ces travaux, nous avons mis en avant, de manière constante, deux principes majeurs. D'une part, sur la chronologie des restitutions, nous souhaitons que l'engagement diplomatique et politique à la restitution ne précède pas l'expertise scientifique et le vote du Parlement. D'autre part, sur la méthode, nous nous sommes prononcés pour l'intervention systématique d'un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour d'oeuvres d'art extra-occidentales, qui serait chargé d'une expertise scientifique préalable au temps politique et diplomatique.
Une forme de consensus politique a par ailleurs existé pendant un moment sur la nécessité de mettre en place un cadre législatif général, au lieu de recourir à des lois d'espèce, qui peuvent nourrir le sentiment d'une forme de fait du prince.
Certes, le texte que nous examinons aujourd'hui ne satisfait à aucune de ces conditions. Pourtant, il est indispensable que nous l'adoptions. J'espère vous en convaincre par les éléments dont je m'apprête à vous faire part.
Nous devons tenir compte d'un contexte particulier nous obligeant à prendre quelques distances avec notre refus des lois d'espèce et notre volonté de l'élaboration par la loi d'un cadre méthodologique imposant, avant toute restitution, un éclairage scientifique sur l'origine de l'oeuvre, son entrée dans les collections nationales et son parcours muséographique.
Cette proposition de loi ne vient pas de nulle part. Elle a été préparée et déposée sous l'impulsion de notre président de commission, Laurent Lafon, au lendemain d'un déplacement que nous avons effectué en Côte d'Ivoire et au Bénin du 15 au 21 septembre. Elle est cosignée par l'ensemble des participants au déplacement, ce qui en fait un texte transpartisan, ainsi que par nos collègues Pierre Ouzoulias et Catherine Morin-Desailly.
Comme nous l'a exposé notre président la semaine passée, ce déplacement visait à mesurer, au-delà des enjeux juridiques et diplomatiques déjà connus du Parlement, la dynamique de coopération muséale et d'investissement suscitée par les restitutions dans les pays demandeurs. Nous avons ainsi étudié les situations respectives du Bénin, qui a bénéficié des restitutions de 2021, et de la Côte d'Ivoire, qui attend depuis plusieurs décennies le retour du tambour parleur Djidji Ayôkwê.
Ce tambour à fente, long de 3,50 mètres, a été confisqué en 1916 à l'ethnie atchan par l'administration coloniale française. Depuis 1930, date à laquelle sa présence dans le palais du gouverneur de Bingerville a été signalée par l'écrivain Paul Morand, il fait partie des collections françaises, aujourd'hui celles du musée du quai Branly-Jacques Chirac. La République de Côte d'Ivoire a formulé une demande officielle de restitution de ce tambour en 2019. Depuis lors, la perspective de son retour suscite une très forte attente, voire un engouement parmi la population ivoirienne, pour deux raisons.
La première tient à la nature du tambour, qui n'est pas un simple instrument de communication entre les populations - même si c'est certainement ce qui a motivé sa confiscation par l'administration française en 1916, désireuse de lutter contre la résistance de l'ethnie atchan à la pénétration française dans la région. Ce tambour est avant tout une entité spirituelle faisant partie intégrante de la communauté atchan.
La seconde résulte des engagements diplomatiques de notre pays. Le Président de la République a en effet clairement indiqué, lors du sommet Afrique-France d'octobre 2021, que le tambour avait vocation à être restitué à la République de Côte d'Ivoire.
Or, aucune concrétisation juridique de cette annonce n'est intervenue depuis cette date, alors que le Sénégal et le Bénin voisins ont bénéficié de restitutions en 2021, sur le fondement d'une loi votée par le Parlement. Cette situation est mal acceptée par les autorités du pays et alimente un ressentiment de sa population envers la France. La ministre de la culture ivoirienne, Françoise Remarck, nous l'a clairement exposé lors de l'entretien que nous avons eu avec elle le 17 septembre 2024. Une telle situation est éminemment dommageable, alors que notre pays entretient par ailleurs d'excellentes relations diplomatiques avec la Côte d'Ivoire.
L'absence de dispositif juridique de restitution contraste avec la célérité des opérations muséales préparatoires au retour du tambour sur le sol ivoirien, qui sont menées en étroite coopération avec les institutions françaises et ont progressé au point d'être déjà presque achevées. Nous avons pu constater que l'engagement de restitution pris par la France se traduit, depuis plusieurs années, par des investissements opérationnels et financiers très importants. Il y a donc un paradoxe : la France est engagée dans un étroit partenariat pour accompagner une restitution, sans qu'il y ait parallèlement d'avancée sur ses modalités juridiques.
Sur le territoire français, le musée du quai Branly-Jacques Chirac a mis en oeuvre, dès le second semestre 2022, un protocole de conservation et de restauration du tambour, rendu nécessaire par les conditions de son stockage par l'administration coloniale française. Ce protocole a été défini en partenariat scientifique entre le musée du quai Branly-Jacques Chirac et le musée des civilisations de Côte d'Ivoire (MCCI), et en lien avec la communauté atchan. La cérémonie de désacralisation préalable à la mise en oeuvre de ce traitement a eu lieu dans l'enceinte du musée en novembre 2022. La restauration du tambour a ensuite été achevée le 27 décembre 2022, de sorte qu'il est désormais prêt à quitter notre territoire.
Sur le territoire ivoirien, un projet muséal de grande ampleur a ensuite été engagé en octobre 2023, et devrait s'achever à l'été 2025, c'est-à-dire dans quelques semaines. Il vise à adapter les infrastructures du MCCI, qui accueillera le tambour à Abidjan, à sa conservation et à son exposition au public. Nous en avons pris connaissance en nous rendant sur le chantier en cours, mais aussi au travers de nos entretiens avec les équipes des opérateurs et entreprises français présents sur place.
D'un montant de 4,35 millions d'euros, ce projet partenarial associe en effet, sous le pilotage du MCCI, l'Agence française de développement (AFD), Expertise France et plusieurs entreprises françaises spécialisées en ingénierie culturelle. L'appui apporté par la France, qui est à la fois opérationnel et financier, mobilise des crédits du contrat de désendettement et de développement (C2D) passé en 2021 avec la Côte d'Ivoire, et dont le fonctionnement nous a été présenté la semaine dernière par notre président.
Les opérations programmées comportent plusieurs volets.
Le premier consiste en une conservation préventive, ce qui se traduit à la fois dans la conception des infrastructures et dans les modalités retenues pour la présentation du tambour au public.
Le deuxième est celui de la scénographie de l'exposition, qui est élaborée par une entreprise française, en lien avec la communauté atchan.
Le troisième est celui de la mise en récit de l'histoire du tambour, à laquelle cette communauté est également associée. Ce récit historique est construit avec l'appui d'une commission scientifique pour faire en sorte qu'il soit à la fois incontestable d'un point de vue historique, et partagé entre la France et la Côte d'Ivoire.
Le dernier volet est celui de la numérisation en trois dimensions du tambour, ainsi que de plusieurs pièces du musée, afin de favoriser la recherche scientifique sur ces oeuvres. Cette opération, également conduite par une entreprise française et en lien avec le musée de la Villette, a permis de former les équipes ivoiriennes à ce procédé. L'objectif de médiation me paraît déjà en partie atteint, puisque la version numérisée de Djidji Ayôkwê a été projetée en ouverture de la dernière Coupe d'Afrique des nations de football.
Ces quatre axes sont complétés par un projet global de valorisation du patrimoine ivoirien, qui permettra d'inscrire la dynamique initiée dans la durée. Celui-ci comprend la rédaction d'un livre blanc visant à structurer la politique muséale ivoirienne, le développement de partenariats institutionnels, notamment avec l'École du Louvre, ainsi que des opérations de formation et de professionnalisation des conservateurs africains à l'échelle régionale.
J'observe que les différentes méthodes mises en oeuvre correspondent largement aux préconisations formulées dans notre rapport de 2020, qu'il s'agisse de l'appui sur une expertise scientifique, de la formation des personnels muséaux du pays demandeur ou encore de la mise en oeuvre de partenariats institutionnels. Le projet muséal développé par la Côte d'Ivoire dans la perspective de la restitution du tambour me paraît donc tout à fait exemplaire et de nature à permettre une réappropriation de son patrimoine par ce pays, en même temps qu'une analyse de son passé colonial par le nôtre.
Cette exemplarité, conjuguée à l'importance des investissements déjà consentis par la France, doit nous conduire à apporter notre soutien à la demande du gouvernement ivoirien.
Notre pays doit en outre se montrer cohérent vis-à-vis de ses prises de position extérieures, mais également avec ses propres engagements opérationnels et financiers. Alors que la Côte d'Ivoire a présenté sa demande de restitution la même année que celle du Sénégal pour le sabre attribué à El Hadj Omar Tall, qui a déjà été satisfaite, alors que les conditions matérielles et méthodologiques de la restitution du tambour sont réunies, et alors que la perspective de la restitution mobilise sur le terrain, depuis plusieurs années, des professionnels de la culture et de la coopération de tout premier plan, nous devons aujourd'hui répondre dans les plus brefs délais à la demande ivoirienne. Dans la mesure où les travaux du musée d'Abidjan pourraient être achevés en juillet, je considère même qu'il y a urgence à avancer sur le sujet.
Madame la ministre de la culture a fait un premier pas dans cette direction en concluant avec son homologue Françoise Remarck, le 18 novembre dernier, une convention de dépôt du tambour pour une durée de cinq ans renouvelables. Cette démarche a été très largement saluée en Côte d'Ivoire et, au-delà, par plusieurs États d'Afrique de l'Ouest.
Compte tenu de l'ensemble des éléments que je viens d'exposer, il est cependant impératif d'aller plus loin et de rendre à la Côte d'Ivoire la pleine propriété du tambour Djidji Ayôkwê. Comme vous le savez, cette opération nécessite l'intervention du législateur, car elle suppose de déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques, prévu par l'article L. 451-5 du code du patrimoine.
Tel est l'objet de l'article unique de la proposition de loi, que je vous engage à voter, afin que le tambour sorte des collections publiques et soit remis au plus tôt à la République de Côte d'Ivoire.
Pour la suite, les réserves du Sénat sur la méthode aujourd'hui suivie par le Gouvernement pour restituer des oeuvres d'art à des pays tiers, que j'exposais en ouverture de mon propos, restent bien entendu entières. Quelle que soit la manière dont nous avancerons sur ce sujet, c'est-à-dire avec ou sans loi-cadre, la mise en place d'une expertise spécifique préalable à tout projet de restitution et la consultation du Parlement avant tout engagement politique et diplomatique constituent des impératifs pour notre commission.
Cette question reste à ce jour aussi urgente qu'entière, puisque nous avons constaté, lors de notre déplacement, que le mouvement de développement muséal en cours dans plusieurs États ne pourra que donner lieu à de nouvelles demandes de restitution à très court terme. Dans le cas du Bénin, je pense notamment à la statue du dieu Gou, que Guillaume Apollinaire qualifiait de « perle de la collection aboméenne » et qui est aujourd'hui exposée au pavillon des Sessions du musée du Louvre. Beaucoup de pays européens sont déjà engagés dans de tels processus et les attentes vis-à-vis de la France sont grandes.
L'heure est certainement venue de rouvrir le débat sur le cadre méthodologique permettant à la France de répondre à ces demandes en les appuyant sur une solide coopération culturelle bilatérale.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. - Le texte qui nous réunit cet après-midi s'inscrit dans la continuité d'un travail crucial qui a débuté depuis plusieurs années. Lorsque j'ai pris mes fonctions voilà un an, ce n'était pas gagné d'avance. Je salue l'engagement de la commission de la culture et de son président Laurent Lafon.
En matière de restitution, le Sénat a joué un rôle essentiel, contribuant largement et de manière très transpartisane à faire émerger le sujet, dans le cadre d'un débat public apaisé. Il fut un temps où le simple fait de parler de restitution de biens culturels suscitait immanquablement des polémiques.
Nous le voyons bien aujourd'hui, un certain nombre de dossiers ont besoin d'être traités. C'est d'ailleurs aussi un moyen aussi de rénover nos partenariats avec les pays africains.
Le ministère de la culture a pris toute sa part dans ce travail, avec la loi du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, puis avec la loi du 26 décembre 2023 relative à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques - je salue l'engagement de Mme la sénatrice Morin-Desailly sur ce texte -, qui a permis la publication la semaine dernière du décret autorisant la sortie des collections françaises de trois crânes sakalavas venant de Madagascar. Je voudrais également mentionner le rapport et la proposition de loi du député Marion sur les restes humains ultramarins.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui concerne la restitution du tambour parleur Djidji Ayôkwê à la République de Côte d'Ivoire. Bien qu'ayant un objet très circonscrit, elle s'insère dans une démarche beaucoup plus globale, celle qui, fidèle à l'engagement du Président de la République depuis son discours de Ouagadougou en 2017, vise à renouveler nos relations avec le continent africain. La restitution de biens culturels et, plus généralement, la circulation des oeuvres entre la France et ses partenaires africains étaient déjà des aspects majeurs de l'engagement du chef de l'État, donnant lieu à la loi du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
La présente proposition de loi nous permet de continuer sur cette dynamique. Elle répond à des enjeux de politique étrangère - le sujet des restitutions est de plus en plus présent dans les enceintes diplomatiques, notamment l'Union africaine, le G20, mais aussi l'Unesco -, mais aussi de réparation, terme qu'il faut accepter, pour des peuples ayant pu être privés de l'accès à leur patrimoine et à ce qui constitue aussi une composante fondamentale de leur mémoire.
En 2021, le Président de la République avait acté avec son homologue Alassane Ouattara la restitution du tambour parleur. Depuis, un travail partenarial a été mené, afin de tout mettre en oeuvre pour que ce tambour puisse retrouver son pays d'origine. Là encore, le ministère de la culture s'est totalement engagé.
Je veux saluer les équipes du musée du Quai Branly-Jacques Chirac, celles du MCCI, ainsi, évidemment, que les services de la direction générale du patrimoine et de l'architecture du ministère de la culture. Le dialogue scientifique est partie prenante du processus de restitution des biens culturels.
Ce travail collectif a permis d'aboutir à une solution pragmatique qui comporte deux dimensions : le dépôt et la restitution. Le 18 novembre dernier, j'ai signé avec mon homologue ivoirienne une convention de dépôt. C'était une première étape, importante, pour garantir le retour du tambour à Abidjan dans un futur très proche. Nous sommes en train d'examiner les modalités compatibles avec le calendrier de fin de travaux et de réouverture du MCCI.
Il ne s'agit pas de contourner le circuit législatif, mais bien d'envoyer un signal volontariste à nos partenaires ivoiriens. Les parlementaires impliqués sur le sujet ont d'ailleurs été pleinement associés à ce choix ; je souhaite les remercier.
Parallèlement, votre engagement sur le sujet a abouti au dépôt au Sénat d'une proposition de loi dont l'article unique permet de déroger au code du patrimoine, qui prévoit que les collections nationales sont inaliénables. Cette loi d'espèce est une bonne nouvelle. Je sais l'importance que le Sénat accorde à ce dossier. Nous devons continuer nos échanges.
La France apporte son soutien à la rénovation et à la modernisation du MCCI, dont l'ouverture est prévue d'ici à la fin de l'année 2025. Ce musée incarne parfaitement notre ambition en matière de politique de restitution, une ambition qui s'accompagne d'un dialogue scientifique et d'un travail de coopération muséale et patrimoniale. La Côte d'Ivoire illustre parfaitement les différents aspects de ce partenariat. C'est donc dans ce musée que le tambour parleur trouvera prochainement un nouvel écrin pour l'accueillir.
La proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui atteste de la volonté de la France d'écrire une nouvelle page de notre histoire, une histoire partagée avec l'Afrique. Cette page, nous l'écrivons avec le Sénat et sa commission de la culture. Aujourd'hui, nous franchissons une étape majeure.
C'est pourquoi vous pourrez compter sur mon plein et entier soutien à ce texte.
M. Pierre Ouzoulias. - Je me réjouis que notre réunion se tienne dans une salle où il est possible de projeter des images. Si cela pouvait inspirer nos travaux en séance publique...
Je résumerai ce que nous sommes en train de faire par une formule latine : Exceptio probat regulam in casibus non exceptis ; l'exception confirme la règle dans les cas non exceptés. Nous dérogeons à la règle que Max Brisson a rappelée pour répondre à une attente très forte de la partie ivoirienne, qu'il fallait satisfaire par un transfert de propriété total.
Ce qui sous-tend la position de notre commission - je rends hommage à Catherine Morin-Desailly, qui a initié nos actions sur les restitutions voilà plus de dix ans -, c'est le travail scientifique, qui est fondamental. Il est le prélude à toute autre démarche et requiert un récolement des oeuvres. Chaque fois que nous débattons des restitutions, nous insistons fortement sur la nécessité pour le ministère de la culture d'entreprendre un travail de récolement qui soit le plus complet possible. Nous devons savoir ce qui est restituable, comment on peut le restituer et quels États seraient intéressés, sans quoi on ne peut que naviguer à vue.
Ce qui est fait en matière de coopération culturelle à propos du tambour parleur est exemplaire en termes de partenariat et d'échanges mutuels de compétences - les conservateurs français ayant aussi à apprendre de ce qui se passe en Côte d'Ivoire dans le cadre de cette restitution. Nous donnons à la Côte d'Ivoire le socle d'une politique patrimoniale qui va être très importante pour le développement touristique du pays. C'est donc un acte de coopération. Ne voyons surtout pas le texte que nous allons voter comme un simple transfert de propriété ou une forme d'acte notarial : c'est tout un monde que nous allons transférer.
Je souhaite préciser un élément qui figure dans le rapport de Max Brisson. Le dieu Gou fait partie des demandes de restitution que nous n'avons pas entendues. C'est la France qui a fait le choix des oeuvres du trésor d'Abomey à restituer, selon des critères obscurs qui n'ont jamais été bien définis. Il y a là, je pense, un problème de méthode. Cela montre bien que le travail scientifique doit être préalable : c'est aux scientifiques de déterminer quelles sont les oeuvres qui peuvent être restituées.
Madame la ministre, il faut vraiment que l'on travaille sur la troisième loi-cadre. C'est une urgence absolue. Nous avons l'avis du Conseil d'État, mais pas le texte. Certes, on peut essayer de reconstituer le texte à partir de l'avis du Conseil d'État. Mais ce serait plus facile pour nous de travailler si vous nous le transmettiez. La grande expérience du Sénat sur ce sujet nous permettrait de trouver des solutions aux objections soulevées par le Conseil d'État, et je vous garantis qu'il nous sera possible de rassembler une majorité.
Encore une fois, j'insiste sur la nécessité d'avoir un récolement des oeuvres. Pour l'instant, nous disposons seulement du rapport Sarr-Savoy, qui fait un catalogue d'oeuvres. D'un point de vue scientifique, ce n'est absolument pas satisfaisant. Il faut que les conservateurs, mes anciens collègues, reprennent la main et dressent aujourd'hui un inventaire.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je souscris totalement aux conclusions du rapporteur Max Brisson, et je partage également les propos de notre collègue Pierre Ouzoulias. Nous avons cosigné cette proposition de loi, déposée à l'initiative de notre président de commission.
Avec Max Brisson et Pierre Ouzoulias, nous avons depuis quelques années un compagnonnage important sur la question des restitutions. C'est le cinquième texte initié par notre commission sur le sujet. C'est dire si le Sénat et sa commission de la culture disposent d'une grande et longue expérience en la matière.
Nous partons de loin. Lors du dépôt du texte sur la restitution des têtes maories ou de celui sur la Vénus hottentote d'Afrique du Sud, il n'était pas question de sortir les restes humains de nos collections publiques. Les choses ont considérablement évolué, grâce au dialogue au sein des instances internationales et à l'émergence de la conscience d'un patrimoine commun de l'Humanité à mieux partager. Le débat entre les tenants rigoristes de l'inaliénabilité et ceux qui ont une ouverture d'esprit peut-être un peu différente est marqué par certains progrès.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est le deuxième qui porte sur des oeuvres d'art ; ceux que nous avons précédemment votés traitaient des restes humains. Notre rapporteur Max Brisson a rappelé très clairement la doctrine qui est la nôtre quant à la nécessité d'une méthodologie, d'un travail préalable scientifique permettant une véritable authenticité de ces restitutions demandées par des États étrangers.
Dans le premier texte que nous avions déposé, à l'issue de la mission commune d'information sur les restes humains, nous suggérions la mise en place d'une commission d'experts scientifiques dédiés, nommés dans chaque cas de figure pour accompagner la décision politique. Cela me semble tout à fait essentiel.
Madame la ministre, nous attendons que vous ayez avancé sur la loi-cadre sur les oeuvres d'art. Il est vrai que nous avions rendez-vous avec votre prédécesseure, mais tout a été ajourné pour cause de dissolution. Nous sommes d'autant plus prêts que, comme l'a rappelé Pierre Ouzoulias, nous avions participé très activement à l'élaboration du texte. Je pense que le projet est mûr. Nous attendons tous le texte pour pouvoir avancer.
Mon groupe approuvera cette proposition de loi très utile, qui s'inscrit surtout dans un renouvellement du dialogue interculturel avec la Côte d'Ivoire et dans un projet partagé.
Qu'en est-il des restes aborigènes réclamés par l'Australie ? Je sais que ce sujet implique un travail important, mais nos amis australiens expriment une forme d'impatience. Il est également urgent d'apporter une réponse sur la question des restes guyanais.
Mme Monique de Marco. - À mes yeux, le retour d'objets tels que le tambour parleur n'est pas un simple transfert de biens matériels. Il s'agit aussi d'un acte de justice sociale, de reconnaissance de l'authenticité des cultures africaines, de la richesse et de la diversité de leur patrimoine, afin, certes, de permettre aux objets de retrouver leur place dans la mémoire collective des peuples d'Afrique, mais aussi de rendre à ces derniers la dignité de leur histoire.
Dans un dossier passionnant du National Geographic paru au mois de mars 2023, le président du musée du quai d'Orsay soulignait que les objets sont un formidable vecteur pour créer un lien, ajoutant que la culture ne peut pas être figée et entreposée dans un musée. Cette idée forte fait écho à la volonté politique exprimée par Emmanuel Macron en 2017, qui a affirmé la nécessité de transformer la relation entre la France et de nombreux pays d'Afrique. Le processus de restitution des biens culturels fait désormais partie intégrante de cette dynamique de réconciliation et de réparation. Madame la ministre, au sein de cette commission, nous sommes tous disposés à travailler de manière transpartisane sur une loi-cadre relative à la restitution des biens culturels.
M. Adel Ziane. - Je tiens à saluer le travail de nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias sur ce texte et sur les textes précédents, qui s'inscrivent dans la continuité des réflexions menées par le Sénat sur la restitution des biens culturels.
La proposition de loi que nous examinons n'est pas simplement un acte administratif : elle porte une exigence morale et la reconnaissance d'une vérité historique, retracée par Max Brisson. La restitution d'un bien culturel ne se résume pas à rendre l'objet à son propriétaire légitime : il s'agit aussi de reconnaître ce qu'il incarne, raconte et symbolise.
À ce titre, je souligne que ce tambour parleur, confisqué en 1916 par l'armée française, n'est pas un objet anodin. C'est le symbole d'un peuple, ainsi qu'un témoignage de la domination et des violences coloniales.
Avant d'être réduit au silence par la force, ce tambour « parlait », puisqu'il servait à convoquer l'ensemble de la communauté atchan lorsque des décisions importantes devaient être prises. Pendant la colonisation, le tambour est devenu un instrument de résistance servant à annoncer l'arrivée des troupes françaises, qui venaient réquisitionner des hommes pour le travail forcé. Lorsque le stratagème a été découvert, le tambour a été arraché à sa communauté d'origine, sous l'impulsion de l'administrateur Simon. Cet objet incarne donc à lui seul un pan de l'histoire coloniale, comme le résumait avec justesse la directrice générale de la culture ivoirienne, Silvie Memel Kassi, en affirmant : « Lorsqu'ils ont pris l'objet, cela a été la capitulation d'un peuple. »
Dès lors, on ne peut que saluer cette restitution, tout en regrettant l'inertie de notre pays dans ce dossier, comme cela a été relevé précédemment. La communauté atchan réclame en effet ce tambour depuis 1958, et le gouvernement ivoirien a déposé une demande officielle en 2019, le Président de la République s'étant engagé publiquement à procéder à cette restitution en 2021, lors du sommet Afrique-France.
En 2022, une cérémonie de désacralisation a eu lieu et le MCCI a lancé, avec le soutien de l'AFD, d'importants travaux pour préparer le retour du tambour. Malheureusement, le dossier n'a pas avancé ensuite, ce que je regrette au nom de notre groupe, car ce projet était censé marquer une nouvelle étape du partenariat scientifique et culturel avec les institutions ivoiriennes.
C'est le Sénat, aujourd'hui encore, qui permet à la France d'honorer sa parole au travers d'une proposition de loi transpartisane. C'est tout à l'honneur de notre assemblée : la parole de la France n'a de valeur que si elle est suivie d'effet.
Venant moi-même du secteur des musées, j'ai été ravi de constater, lors de mon arrivée au Sénat en 2023, que notre chambre était en pointe sur ces questions. Je souligne à nouveau que ce secteur attend un cadre législatif stable et clair, afin d'accompagner ces restitutions. Il est, me semble-t-il, grand temps que cette demande soit entendue.
C'est pourquoi cette proposition de loi doit être aussi l'occasion d'impulser suffisamment d'élan, afin d'adopter une loi-cadre qui permettrait, dans des conditions précises, de déclasser automatiquement certains biens publics en vue de leur restitution.
La proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, adoptée au Sénat au mois de janvier 2022, va dans ce sens. Il est temps que l'Assemblée nationale s'en saisisse.
Enfin, restituer le tambour au peuple ivoirien revient à rendre à un peuple un fragment d'histoire essentiel, mais aussi à reconnaître que la colonisation n'est pas qu'un passé : elle est une mémoire vivante et une blessure encore ouverte. La France montre aujourd'hui qu'elle peut y répondre avec lucidité et humanité.
Nous voterons évidemment en faveur de cette proposition de loi.
M. Bernard Fialaire. - Je tiens également à remercier les auteurs de cette proposition de loi, ainsi que notre rapporteur, pour la qualité de leur travail.
Le texte que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans un mouvement engagé de longue date pour la restitution de biens culturels spoliés ou indûment acquis, que notre groupe soutient avec constance. Depuis 2020, plusieurs lois ont été adoptées, afin de restituer des biens au Bénin et au Sénégal, de réparer des spoliations antisémites ou encore de proposer un cadre à certaines restitutions. Cette proposition de loi prolonge cet effort. Nous nous en félicitons.
Le tambour Djidji Ayôkwê, confisqué en 1916 par l'administration coloniale française, est bien plus qu'un simple tambour. Il était utilisé pour transmettre des messages sur plusieurs kilomètres. Conscient de son importance et du symbole qu'il représentait, le pouvoir colonial l'a saisi pour affaiblir la communication des populations colonisées. Au mois de novembre 2022, la cérémonie de désacralisation organisée en présence de dix chefs traditionnels ivoiriens a été émouvante, notamment lorsqu'ils ont entonné des chants et pratiqué des libations pour que l'esprit du tambour puisse quitter l'instrument, en vue de permettre sa manipulation et sa restitution.
Pour autant, nous ne pouvons pas éternellement légiférer au cas par cas. À ce jour, toute restitution définitive d'un bien appartenant aux collections publiques françaises doit encore faire l'objet d'une loi spécifique en vertu de l'article L. 451-5 du code du patrimoine, qui consacre le principe d'inaliénabilité.
Le rapport Sarr-Savoy de 2018 évaluait à 90 000 le nombre d'objets issus d'Afrique subsaharienne présents dans les collections publiques françaises, dont près de 70 000 objets au seul musée du quai Branly. S'ils ne sont pas tous appelés à être restitués, nous devons prendre conscience de l'ampleur du travail qu'il nous reste à accomplir.
Nous avons grandement besoin d'une loi-cadre, à la fois respectueuse de l'inaliénabilité des collections publiques et adaptée aux enjeux du XXIe siècle, afin d'éviter de « micro-légiférer ».
Nous voterons bien entendu ce texte, mais nous appelons le Gouvernement à présenter enfin la loi-cadre que notre commission attend avec impatience depuis plusieurs années.
Mme Béatrice Gosselin. - S'inscrivant dans la continuité des restitutions engagées ces dernières années, cette proposition de loi participe pleinement à l'élan de justice mémorielle.
J'ai eu l'honneur d'être rapporteure du texte relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945. Cette expérience m'a montré à quel point les objets culturels portent des blessures profondes : ils incarnent à la fois la mémoire des peuples et la violence de l'histoire.
Les spoliations liées à la guerre ou à la colonisation reposent sur des mécanismes de dépossession qui relèvent des mêmes logiques d'appropriation et d'effacement. Le droit à lui seul ne suffisant pas à répondre à ces enjeux, il revient au politique de prendre ses responsabilités, de reconnaître les blessures du passé et d'y répondre par des actes justes.
Je remercie vivement nos collègues Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias, qui ont oeuvré depuis plus de dix ans pour la restitution des oeuvres confisquées à des États étrangers. J'ajoute que la restitution du tambour Djidji Ayôkwê ne remet pas en cause l'inaliénabilité des collections : elle la dépasse au nom de la mémoire, de la dignité et du dialogue entre les peuples. Il s'agit d'un geste de reconnaissance, et non de retrait.
Je soutiens donc pleinement ce texte, tout en réitérant l'appel largement partagé visant à mettre fin à l'empilement des lois dérogatoires. Une loi-cadre est nécessaire pour rendre justice, en restituant des biens d'un patrimoine qui n'est pas le nôtre, mais celui de ces peuples spoliés.
Mme Rachida Dati, ministre. - Puisqu'il a été fait référence au récolement des oeuvres, je tiens à mettre en avant le travail du fonds franco-allemand de recherche de provenance des objets culturels originaires des pays d'Afrique subsaharienne, qui oeuvre en partenariat avec les musées et les scientifiques africains. La Journée internationale de la recherche de provenance se tient d'ailleurs aujourd'hui.
Je suis tout à fait favorable à une troisième loi-cadre. Je constate que nous avons avancé sur le sujet depuis mon entrée au Gouvernement, des oppositions s'étant d'ailleurs manifestées du côté de cette assemblée à un moment. Un tel texte aurait toute son utilité dans le contexte géopolitique très fracturé que nous connaissons. Il conviendra de trouver une majorité pour le soutenir ; nous y sommes prêts.
Par ailleurs, le récolement décennal se terminera à la fin de l'année 2025.
J'en viens à la question de la restitution des restes aborigènes. La commission scientifique est déjà au travail. La liste des restes humains aborigènes restituables devrait être prête au plus tard pour l'été.
M. Max Brisson, rapporteur. - Je concède à Pierre Ouzoulias que j'ai commis une imprécision sur la statue dédiée au dieu Gou : il ne s'agit effectivement pas d'une nouvelle demande, mais de la probable réitération de celle qui n'a pas été satisfaite lors du transfert du trésor d'Abomey.
Madame la ministre, vous devriez nous faire voyager plus souvent ! Nous sommes sur le point de régler un problème qui aurait pu être à l'origine d'un incident diplomatique avec la Côte d'Ivoire.
Le récolement des oeuvres a été évoqué avec force par Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je prends acte de la date butoir que vous avez mentionnée. Un tel inventaire est essentiel à l'objectivation des sujets concernée.
Le consensus sur l'idée d'une loi-cadre est solide au sein de notre commission. Nous pensons pouvoir aboutir à une construction plus large au Sénat. Les oppositions que vous avez évoquées ont sans doute découlé d'interférences avec l'Assemblée nationale. La composition de cette dernière ayant changé, tout est désormais possible.
Puisque vous y êtes disposée, nous sommes prêts à travailler sur ce texte, que vous aurez ensuite à défendre, avec la ténacité qui vous caractérise, devant l'Assemblée nationale. Nous relevons donc le défi. Ce chantier est absolument nécessaire. Les demandes vont se multiplier : nous ne pouvons pas prendre de retard. Mais nous devrons agir avec méthode et en respectant nos principes, dont, bien entendu, l'inaliénabilité.
Mme Rachida Dati, ministre. - Un projet de loi enverrait sans doute un signal plus fort à l'attention du continent africain. Le texte est prêt, même s'il doit être validé par le Conseil d'État.
Monsieur Ziane, vous avez déploré un certain retard des pouvoirs publics en matière de restitutions. Je tiens à le préciser, je n'ai jamais traîné des pieds - ce n'est pas mon style -, notamment pour examiner cette proposition de loi. Nous continuerons à aller de l'avant.
M. Max Brisson, rapporteur. - Mes chers collègues, le périmètre que je vous propose de retenir sur la proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire inclut les dispositions relatives à la sortie du tambour parleur Djidji Ayôkwê des collections nationales placées sous la garde du musée du quai Branly-Jacques Chirac, ainsi qu'à son transfert par la France sous un délai d'un an à la République de Côte d'Ivoire.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE SELON LA PROCÉDURE DE LA LÉGISLATION EN COMMISSION
Article unique
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté à l'unanimité des présents, sans modification.
La réunion est close à 14 h 30.
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Désignation d'un rapporteur sur le projet de loi d'habilitation à prendre par voie d'ordonnance les mesures permettant de transférer à l'État les personnels de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna
La commission désigne Mme Evelyne Corbière Naminzo rapporteure sur le projet de loi d'habilitation à prendre par voie d'ordonnance les mesures permettant de transférer à l'État les personnels de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna.
Audition de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le ministre, nous avons déjà eu l'occasion d'échanger avec vous au cours des derniers mois, lors du débat budgétaire de janvier, puis, il y a deux semaines, dans le cadre d'une audition commune avec la commission des affaires sociales sur les études de santé.
Nous ne vous avions cependant pas encore accueilli au sein de notre commission pour prendre connaissance de votre feuille de route générale sur l'enseignement supérieur et la recherche. Nous sommes donc très heureux de pouvoir le faire aujourd'hui.
Au-delà de ces perspectives générales, cette audition est également motivée par l'actualité particulièrement intense que connaît aujourd'hui votre secteur de compétence.
Sur l'enseignement supérieur privé tout d'abord, les pratiques du groupe Galileo Global Education ont récemment été dénoncées dans un ouvrage de la documentariste Claire Marchal, déclenchant une inspection interministérielle des établissements privés lucratifs. Notre rapporteur Stéphane Piednoir se penche régulièrement sur le sujet dans ses rapports budgétaires.
L'actualité de la recherche, ensuite, est marquée par les conséquences des attaques menées contre ce domaine par l'administration Trump, mais aussi par votre annonce de l'activation prochaine de la clause de revoyure de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (LPR), avec trois chantiers prioritaires : l'attractivité en matière de ressources humaines, les modes de financement de la recherche et la recherche partenariale entre le public et le privé.
Cette audition promettant d'être riche, je vous propose de l'organiser en plusieurs séquences, afin de favoriser la clarté de nos échanges.
Après vous avoir donné la parole pendant quelques minutes, pour vous permettre de nous présenter les grands axes de votre action à la tête de votre ministère, nous vous interrogerons successivement sur l'enseignement supérieur privé lucratif et sur les conséquences de la nouvelle donne politique américaine sur le secteur de la recherche. Nous terminerons par une dernière séquence portant sur les différents sujets que nous n'aurions pas encore abordés.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Mesdames, messieurs les sénateurs, cette audition, bien qu'elle soit introductive, intervient après nos échanges relatifs au budget, à l'accès aux études de santé ou encore à la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. C'est dans cet esprit de collaboration que je souhaite inscrire mon intervention.
Notre société est exposée aujourd'hui à des tensions et à des divisions que vous connaissez suffisamment bien.
L'avenir paraît susceptible de basculer d'un jour à l'autre, au gré de déclarations, ou d'actions, intempestives venues des confins de l'Europe ou d'outre-Atlantique. La situation américaine, qui me préoccupe particulièrement, représente un défi inédit pour la France et pour notre continent.
Le numérique, qui nous a donné des outils formidables, semble parfois se retourner contre nous en raison de la déstabilisation sociale liée à une utilisation délétère des réseaux sociaux, qui véhiculent leurs cohortes de fake news.
Des menaces, liées aux transformations de notre environnement que nous maîtrisons mal, pèsent aussi sur notre futur.
Dans ce contexte, l'enseignement supérieur et la recherche sont les lieux où se dessine notre chemin entre ces différents écueils.
À travers l'enseignement supérieur, nous formons les jeunes appelés à prendre en charge le pays, les cadres et les responsables économiques, politiques et sociaux de demain.
À travers la recherche, nous explorons la multiplicité des possibles, du numérique aux sciences du climat, de la géopolitique au spatial, sans avoir peur de la complexité ou de la difficulté.
Assumer la charge de l'enseignement supérieur et de la recherche, c'est regarder chaque jour résolument vers notre avenir. Permettez-moi, à ce titre, de citer Raymond Aron : « L'histoire est libre, parce qu'elle n'est pas écrite d'avance, ni déterminée comme une nature ou une fatalité, imprévisible, comme l'homme pour lui-même. »
Plutôt que de m'attarder sur la situation actuelle de l'enseignement supérieur et de la recherche en France, je m'attacherai à vous décrire l'horizon que je me suis fixé.
Ma feuille de route traduit ma conviction selon laquelle l'enseignement supérieur et la recherche sont des clés pour notre avenir et notre souveraineté. C'est ainsi que nous apprendrons à ne pas dépendre d'autrui pour nos intérêts stratégiques à l'avenir.
Souveraineté et jeunesse sont ainsi les deux mots-clés que j'ai fixés pour l'horizon de l'enseignement supérieur et de la recherche dans les prochaines années. Dans nos universités et nos laboratoires, pendant longtemps, la question de la souveraineté est restée absente. Pourtant, nous la revendiquons aujourd'hui avec force, sans que cela ne suscite, d'ailleurs, la moindre réaction négative.
Ces deux mots-clés ont vocation à s'inscrire également dans nos territoires, sans lesquels rien de durable n'est vraiment possible.
Pour construire notre avenir, nous devons nous donner les moyens de l'anticiper. Nous encourageons donc les sept nouvelles agences de programmes, positionnées sur les sujets majeurs de transformation de nos sociétés - l'énergie, le climat, le numérique, la microélectronique, le spatial, la santé et l'agriculture -, à jouer pleinement leur rôle.
Ces agences interviennent tout d'abord en matière de programmation de la recherche, que nous souhaitons à la fois libre et inscrite dans une démarche bottom-up. Ensuite, elles défendent des orientations nationales et européennes. Cette feuille de route reste à écrire, et elle doit s'articuler avec le monde de l'entreprise et de l'innovation. Il s'agit donc de faire converger la recherche académique traditionnelle et de grands enjeux verticaux assumés.
Ces priorités stratégiques dans les sciences dures, comme dans les sciences humaines et sociales, sont essentielles. Nous devons assumer des choix, afin d'éviter le saupoudrage de moyens et d'agir de façon efficace pour la recherche.
Défendre l'enseignement supérieur et la recherche, c'est aussi défendre des valeurs.
Nous ne pouvons pas transiger avec les libertés académiques ni accepter que des discours haineux empêchent ou restreignent la liberté académique. Celle-ci, bien que bornée par la loi, qui interdit les actes de violence, les actes racistes et antisémites ou encore les violences sexistes et sexuelles, reste essentielle. Il est important que tous les sujets puissent être abordés au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, dans un environnement où la contradiction doit pouvoir être assumée.
Le conflit israélo-palestinien, par exemple, doit pouvoir être abordé dans les établissements d'enseignement supérieur ; j'en suis profondément convaincu. Mais le dialogue est indispensable : il faut laisser s'affronter des points de vue contraires, à rebours des discours manichéens qui émergent ici ou là.
Sur ce dernier point, je salue la proposition de loi de Pierre-Antoine Levi et de Bernard Fialaire, adoptée à l'unanimité par le Sénat en février dernier et qui sera examinée le 6 mai prochain à l'Assemblée nationale. Son dispositif-clé est de permettre de déporter les commissions disciplinaires, à la demande du président de l'établissement, pour qu'elles se tiennent sous l'autorité du recteur de région académique, dans des conditions plus sereines. C'est un excellent texte.
La défense des valeurs passe aussi par un effort spécifique en faveur des femmes, encore trop peu nombreuses à s'engager dans les filières sélectives, en particulier dans les sciences dures et les formations d'ingénieurs.
L'enseignement supérieur et la recherche doivent avoir les moyens de remplir leurs missions. La loi de programmation de la recherche en est le principal véhicule. Depuis 2020, elle a permis d'injecter plus de 6 milliards d'euros dans le système. Cet investissement significatif a permis d'augmenter de manière significative la rémunération des enseignants-chercheurs, en particulier des jeunes, d'empêcher le recrutement de jeunes chercheurs en dessous de deux Smic, de créer des régimes indemnitaires, auparavant quasiment inexistants dans l'enseignement supérieur, de créer un certain nombre de chaires de professeur junior ou encore de développer des équipements.
Votre commission a mené un travail d'évaluation de qualité sur la mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche, sous l'impulsion des rapporteurs Laure Darcos et Stéphane Piednoir. Cette loi prévoyait une clause de revoyure que j'ai souhaité activer, car il est nécessaire de redonner une trajectoire claire à l'enseignement supérieur et à la recherche.
Il faut d'abord réaffirmer cette trajectoire très ambitieuse pour les finances publiques, puisqu'elle prévoit des marches de 500 millions d'euros pour les cinq prochaines années. Ensuite, nous devons rediscuter du contenu et des priorités de cette loi, dans un environnement international qui a radicalement changé.
Il nous faut également continuer à progresser en matière d'attractivité.
Nous devons simplifier le système de financement de la recherche. Mettons fin, notamment, au recours systématique aux appels d'offres dans le monde de la recherche. Certes, la recherche doit se faire par des appels d'offres de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et du Conseil européen de la recherche (ERC, pour European research council). Mais dans le même temps, il faut que les organismes, voire les universités, assument leur programmation en faisant des choix, quitte à se tromper. Les crédits qui leur sont octroyés ne doivent pas être saupoudrés au gré d'appels d'offres qui sont, comme on le sait, arbitrés au prorata du nombre de publications...
Mon ministère est celui de toute la recherche, publique comme privée. Je veux accompagner la croissance de l'investissement privé. Nous accusons un certain retard sur les objectifs de dépense intérieure de recherche et développement des administrations (Dirda), comme l'ensemble de l'industrie. Il faut donc interroger les dispositifs existants qui n'atteignent par leur cible, y compris le crédit d'impôt recherche (CIR).
Mon ambition n'est ni d'en réduire le montant ni d'adopter une attitude dogmatique sur cet impôt, qui présente des vertus. Néanmoins, certains des dispositifs qui le composent pourraient être adaptés pour mieux encourager la recherche partenariale et la passation de contrats entre établissements privés et publics.
Enfin, j'ai fait de la relation au territoire le coeur de mon action. Dès mon arrivée, j'ai reçu des représentants des élus locaux.
Les besoins des territoires doivent être la boussole qui nous guide dans la définition des cartes de formation, pour donner de réelles perspectives d'études et d'emplois aux jeunes : la continuité territoriale entre le bac-3 et le bac+ 3 est un enjeu essentiel.
L'université doit offrir, partout sur le territoire, des formations dans tous les domaines. Il faut que chaque jeune qui souhaite suivre des études supérieures pour être philosophe ou astrophysicien puisse trouver une réponse à son besoin sur son territoire.
Cependant, la plupart des jeunes ne se projettent pas dans des métiers définis par le monde académique, mais dans des professions très concrètes, qui s'exercent sur leur territoire. Nous devons aussi apporter une réponse à ces envies.
Sans aller jusqu'à parler d'« adéquationnisme », tenons compte des réalités de terrain et des bassins d'emploi des territoires pour organiser la carte de formation du premier cycle. Je souhaite réunir chaque année l'État, les universités et les établissements d'enseignement supérieur ainsi que les régionspour discuter des enjeux budgétaires, et tous les cinq ans pour aborder les orientations stratégiques. Les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) et Nouvelle-Aquitaine seront les premières à en faire l'expérience cette année.
Ainsi, au lieu de reconduire les budgets des années précédentes ou d'utiliser un modèle mathématique, les financements seront arbitrés au travers d'une discussion au premier euro, en fonction des besoins des uns et des autres. C'est de cette manière que nous parviendrons à une véritable autonomie.
Je ne peux conclure mon propos sans évoquer la propédeutique. Le Premier ministre y est particulièrement attaché. De plus en plus de jeunes arrivent dans les établissements d'enseignement supérieur peu ou mal formés.
Le système actuel permet par exemple aux bacheliers professionnels d'entamer une licence de droit, quand bien même, en pratique, le taux d'échec - 95 % - est massif. Notre système n'a pas été conçu pour cela. Pourtant, des solutions existent. Proposons aux jeunes qui n'ont pas les bases suffisantes une année de sas intermédiaire, qui leur permettra une véritable remise à niveau et leur donnera une chance pour leur entrée dans l'enseignement supérieur.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement supérieur. - Après le Pass (parcours accès santé spécifique) et la Las (licence accès santé), c'est donc le sas qui se profile ! Je lui souhaite un meilleur avenir qu'aux deux premiers...
Notre président Laurent Lafon a évoqué, en ouverture de cette audition, l'ouvrage de Claire Marchal sur le groupe Galileo, qui dénonce les graves dérives d'un groupe d'enseignement supérieur privé lucratif, sans pour autant proposer d'analyse plus large de ce secteur.
Le sujet est bien documenté et avait déjà été identifié par le Parlement : la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale y a consacré un rapport paru il y a tout juste un an, le 10 avril 2024, dans lequel les rapporteures Béatrice Descamps et Estelle Folest formulaient vingt-deux recommandations. Notre commission a également travaillé sur le sujet dans le cadre du rapport budgétaire que nous avons publié le 21 novembre dernier, et dont j'étais le rapporteur. En outre, une proposition de loi d'Emmanuel Grégoire, déposée le 18 février, pourrait être prochainement examinée par l'Assemblée nationale. Par ailleurs, Laurent Batsch, ancien président de l'université de Paris-Dauphine, avait déjà publié un rapport d'information assorti de propositions sur le sujet dès 2023.
Depuis au moins un an, nous disposons donc de nombreux éléments d'analyse et de préconisations sur ce sujet qui appelle une régulation forte. C'est un impératif vis-à-vis des étudiants et de leurs familles, qui sont victimes de pratiques commerciales trompeuses et peuvent se retrouver dans des situations dramatiques après un passage dans l'une de ces officines.
Monsieur le ministre, comment entendez-vous vous emparer de ce sujet, au-delà de la mission d'inspection que vous avez diligentée au lendemain de la publication de l'ouvrage de Claire Marchal ?
Plusieurs travaux plaident pour une régulation de l'ouverture des établissements, qui ne fait aujourd'hui l'objet d'aucun contrôle administratif. Selon Laurent Batsch, il serait plus facile d'ouvrir une formation d'enseignement supérieur qu'un salon de coiffure ! Comment s'assurer, en particulier, que les établissements privés qui se multiplient dans certaines zones correspondent à des besoins réels de formation professionnelle au sein de leur territoire d'implantation ?
Il paraît ensuite crucial de réguler le recours aux contrats d'apprentissage et aux primes qui leur sont associées. Ce mécanisme, qui a permis de financer très largement le développement de ces établissements, constitue à mes yeux un gaspillage d'argent public très choquant.
Il me semble par ailleurs que toute ambition de régulation du secteur doit passer par un meilleur encadrement de la location de titres du répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). Avez-vous entrepris une réflexion avec le ministère du travail sur ce sujet ?
Enfin, on ne peut évoquer le sujet de l'enseignement supérieur privé sans mentionner le privé « de qualité », qui est représenté par les établissements d'enseignement supérieur privé d'intérêt général (Eespig). Nous alertons le Gouvernement depuis plusieurs années sur la décorrélation du financement public reçu par ces établissements au titre de leur subvention pour charges de service public (SCSP) et le nombre d'étudiants qu'ils accueillent.
Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, la solution ne passera sans doute pas par une revalorisation pure et simple de cette subvention. Il me semble cependant que nous disposerions d'une piste avec la remise à plat des financements de l'apprentissage, dont une partie des crédits pourrait être fléchée vers les établissements vertueux. Quelle est votre appréciation sur ce point ?
M. Yan Chantrel. - La paupérisation budgétaire de nos universités profite à l'enseignement supérieur privé lucratif. Avec Pierre Ouzoulias, nous étions hier auprès des enseignants, des doctorants et des étudiants de Paris I-Sorbonne, qui sont en grève depuis quatre semaines. Les enseignants ont dû se mettre au chômage technique, car l'université est totalement asphyxiée.
À force de ne pas compenser entièrement les transferts de charges de l'État, la Sorbonne, comme beaucoup d'autres universités en France, est dans le rouge. Mise sous tutelle, elle s'est vue imposer 13 millions d'euros de coupes budgétaires dans le cadre des 1,5 milliard d'euros de réductions de dépenses au secteur.
Les conséquences sont dramatiques. La bibliothèque n'a même plus de budget pour acheter des livres, tandis que l'école doctorale ne dispose que de 1 050 euros pour finir l'année, ce qui rend impossible l'organisation de colloques, de soutenance de thèses ou de missions sur le terrain. Les enseignants en viennent même à menacer de bloquer Parcoursup pour que vous entendiez enfin leur désarroi !
Le rayonnement de notre pays pâtit de la situation de nos prestigieuses universités, qui n'ont même plus les moyens d'assurer un fonctionnement minimum.
Cet appauvrissement profite à l'enseignement supérieur privé à but lucratif. Le rapporteur a évoqué plusieurs pistes, que nous partageons, visant notamment à renforcer la régulation de l'ouverture de ces établissements. Lors d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement, je vous avais demandé des réponses précises sur la mise en place de ces contrôles a priori et des sanctions pour mettre fin à ces pratiques commerciales abusives.
Trouvez-vous normal que la puissance publique, au travers de Bpifrance, soit toujours actionnaire de Galileo ?
Monsieur le ministre, vous engagez-vous à soutenir la proposition de loi de notre collègue député Emmanuel Grégoire, qui vise à mieux encadrer les pratiques commerciales abusives de ces établissements ?
M. Max Brisson. Si vous me le permettez, monsieur le président, je souhaite profiter de cette prise de parole pour faire une remarque sur le déroulement de cette réunion, dont je ne comprends pas l'organisation. Je ne vois pas pourquoi les questions devraient être posées par groupes thématiques prédéterminés, même s'il conviendrait sans doute de travailler sur la façon dont nous organisons les auditions de ministres.
Je poserai donc ma question lorsque je le souhaiterai, dans le désordre le plus absolu, car je n'ai pas l'habitude de me plier à une discipline qui m'est totalement étrangère.
M. Philippe Baptiste, ministre. - L'ouvrage de Claire Marchal sur le groupe Galileo n'est pas une enquête de police judiciaire ; il s'agit seulement d'un travail journalistique. En ce qui me concerne, je ne souhaite pas m'attarder sur le fait de savoir si ces allégations sont vraies ou fausses.
Au-delà de cette affaire, nous avons eu des remontées d'informations sur des pratiques de stretching en matière de RNCP, consistant à déléguer l'accréditation à des formations connexes. Nous avons également eu vent de frais immobiliers ou de marketing extrêmement élevés. Du reste, il arrive que certaines structures délivrent un diplôme en carton aux mauvais étudiants et un véritable diplôme aux meilleurs d'entre eux, simplement pour avoir de bonnes statistiques et ainsi obtenir l'accréditation RNCP.
Il ne semble pas que ces pratiques soient majoritaires dans l'enseignement supérieur privé lucratif. Le développement très rapide de ce secteur a répondu aux besoins non seulement des entreprises, mais aussi des jeunes et des familles.
L'enseignement supérieur public n'a pas su apporter de réponse de façon aussi rapide, ce qui nous conduit à nous interroger sur ses pratiques. Les formations publiques devraient avoir la même agilité que les formations privées, qui ont des bons taux d'insertion professionnelle.
Vous l'aurez compris, nous ne pouvons pas continuer à nous abriter derrière la critique et la dénonciation, nous devons aussi répondre aux besoins. Néanmoins, nous devons veiller à la qualité des formations. Le contrôle opéré en la matière est assez nouveau pour le ministère. Il doit être efficace et systématique, compte tenu du nombre de formations qui se sont développées de manière parfois anarchique et très rapide, grâce aux aides à l'apprentissage.
Dans cette perspective, nous devrons nous débarrasser des quelques moutons noirs dont les dérives sont avérées.
En matière de régulation, le ministère du travail oeuvre au développement du label Qualiopi, essentiellement construit sur la base des taux d'insertion professionnelle. En recourant à un label unique, nous souhaitons garantir à la fois l'insertion professionnelle et la qualité des formations. Ainsi, il devrait nous permettre d'éliminer de manière simple et rapide l'ensemble des formations problématiques que j'ai évoquées tout à l'heure.
Précisément, les établissements, via la plateforme Parcoursup, s'engagent à signer une charte qui permet d'évincer les formations indésirables. Cette plateforme accueille la très grande majorité des formations d'enseignement supérieur, privé comme public. Celles-ci ne sont pas toutes exceptionnelles, bien entendu, mais la plupart d'entre elles sont d'une grande qualité.
J'en viens à la question des coupes budgétaires. La baisse de crédits d'un montant de 1,5 milliard d'euros qui a été engagée ne porte pas sur le ministère ; elle correspond à l'évolution de toute la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires), qui porte aussi des crédits consacrés à l'armement ou encore au démantèlement desinstallations nucléaires du commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Les trois programmes de la Mires dont le ministère est partie prenante ne souffrent d'aucune réduction de crédits, bien au contraire. Le budget des universités augmente de 300 millions d'euros en 2025 par rapport à l'année précédente.
Le budget complet du ministère s'élève à près de 27 milliards d'euros annuels. Je pense que cela révèle un effort très significatif de la part de l'État. En outre, la LPR accorde 6 milliards d'euros supplémentaires à l'enseignement supérieur et à la recherche, ce qui permet de revaloriser le salaire des enseignants-chercheurs de 600 euros par mois. Évitons donc d'entretenir un discours misérabiliste.
Pour autant, nous devons aider les universités déficitaires à redresser leurs comptes. Beaucoup d'argent a été alloué aux établissements non pas directement sous la forme de subventions pour charges de service public (SCSP), mais au travers de contrats, ce qui a parfois créé des tensions. Ces sommes sont souvent tombées dans les fonds de roulement : ce n'est pas de l'argent perdu, mais il doit être décaissé au fur et à mesure, dans un cadre pluriannuel.
Nous devons porter un regard positif sur nos établissements universitaires. Pour s'en convaincre, il suffit d'aller visiter nos grands équipements de recherche et nos nombreux laboratoires de pointe. Certains de nos établissements d'enseignement supérieur dispensent des formations d'une grande qualité et figurent ainsi dans le classement de Shanghai.
Par ailleurs, nous suivons de près la situation de l'université Paris I. Sachez que le rectorat de Paris assure le contrôle budgétaire de l'établissement et s'attache à définir une trajectoire soutenable qui permet, tout en préservant la campagne d'emplois, de combler un déficit initial de 23 millions d'euros.
Au demeurant, Bpifrance est bien actionnaire de Galileo. Il faudra lui demander, en temps et en heure, d'éclaircir ses relations avec ce groupe. Celui-ci dispense des formations de grande qualité, mais les allégations de Claire Marchal nous interpellent. Il est nécessaire de prendre du recul et de mener un débat contradictoire sur la question, avant de nous emballer.
M. Laurent Lafon, président. - Nous en venons à notre deuxième série de questions sur les liens entre la situation internationale et la recherche. Je poserai les premières questions au nom de notre collègue Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis des crédits de la recherche.
Monsieur le ministre, vous avez appelé à développer l'autonomie stratégique en matière de recherche, tant en France qu'en Europe.
Vous avez évoqué l'hébergement des données de recherche à l'échelle européenne, les États-Unis ayant historiquement joué un rôle de plateforme internationale dans ce domaine. Comment l'Europe peut-elle venir en aide aux chercheurs américains dont les données scientifiques sont censurées ? Au-delà de cette première urgence, quelles pistes envisagez-vous pour développer une autonomie européenne pour l'hébergement des données scientifiques ?
Vous estimez aussi que l'Europe constitue le bon échelon pour établir un plan d'accueil des chercheurs installés aux États-Unis, américains ou non, qui se trouvent aujourd'hui empêchés de travailler. Où en est la discussion avec vos homologues européens et la Commission européenne sur ce sujet ? Quelle forme ce programme européen d'accueil pourrait-il prendre ?
Au début du mois de mars, vous avez demandé aux organismes nationaux de recherche, aux universités et aux grandes écoles de vous adresser des propositions d'accueil pour les chercheurs menacés. Avez-vous eu un retour de la part des personnes interrogées ? Combien de chercheurs sont-ils concernés et selon quelles modalités pourraient-ils être accueillis ?
Enfin, nous savons qu'un chercheur français envoyé en mission par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a été interdit d'entrée sur le territoire américain, après avoir exprimé son opinion sur la politique de recherche conduite par les États-Unis. Cette atteinte manifeste à la liberté d'expression et à la liberté de la recherche ne peut rester sans réponse, surtout qu'elle risque de se répéter. Quels sont les leviers de réaction dont vous disposez ?
M. Pierre Ouzoulias. - Il faut que nous prenions conscience du renversement de valeurs qui est en train de se produire. Notez que le président de l'université d'Aix-Marseille reçoit dix candidatures de chercheurs américains par heure. Pourtant, son établissement est au centième rang du classement de Shanghai, bien moins classé que les universités dont ces chercheurs sont issus.
Un changement radical est en train de s'opérer et durera plus longtemps que le mandat de Donald Trump. Le classement de Shanghai ne tient pas compte d'un élément fondamental, la liberté académique, car il est établi par le parti communiste chinois - c'est un élu du groupe CRCE-K qui vous le dit ! La liberté académique n'a aucune valeur aux yeux de la Chine ; ce qui compte, c'est l'attractivité.
Or, précisément, l'attractivité de nos universités va perdurer. Le modèle français, qu'on disait ancien et primitif, sert aujourd'hui de référence, car il offre aux chercheurs une liberté dont ils ne jouissent plus dans de nombreux pays du monde. Ce modèle doit être une fierté absolue pour la France, d'autant que, en 1215, nous avons décidé que la Sorbonne serait indépendante du pouvoir politique. Aujourd'hui, nous envoyons un message universaliste et humaniste à la planète entière. Il nous reste cependant à organiser la venue des chercheurs sur notre territoire.
Du reste, je retiens de votre discours et des propos du président Lafon l'idée selon laquelle l'université française est un service public qui garantit la liberté académique, en plus d'être un outil prodigieux d'aménagement du territoire.
M. Adel Ziane. - Dans la continuité des propos de mon collègue Ouzoulias, je souhaite vous interroger sur l'infléchissement de la liberté académique aux États-Unis et ses impacts concrets en France à moyen terme. La liberté académique garantit l'indépendance de la recherche et de l'enseignement ; elle constitue un rempart contre les discours idéologiques, démagogiques, et objective les politiques publiques. Malheureusement, elle est aujourd'hui en danger, comme le révèle l'Academic Freedom Index (AFI).
En 2006, dans le monde, un citoyen sur deux vivait dans une zone de liberté académique, contre un sur trois en 2023. Ce recul s'est accéléré mécaniquement avec la montée des autoritarismes en Argentine, en Hongrie et désormais aux États-Unis. L'administration Trump discrédite les chercheurs, sans parler des coupes budgétaires massives et des censures de certains mots ou concepts jugés trop progressistes, comme l'égalité femmes-hommes.
J'espère que la France est encore à l'abri de ces dérives autoritaires, même si elle n'en est pas moins fragilisée. Aujourd'hui, nos universités connaissent d'importantes difficultés financières. En outre, les entreprises leur imposent désormais leur vision.
Je ne veux pas remettre en cause la recherche de financements via les partenariats public-privé, comme ceux qui lient TotalEnergies à l'École Polytechnique et L'Oréal et BNP Paribas à l'université Paris Dauphine.
Je tiens néanmoins à vous alerter sur certains points, monsieur le ministre. Notamment, un contrat conclu entre l'École des Mines et le groupe TotalEnergies incluait une clause de non-dénigrement, pour un montant de 2 000 euros. Cela n'est pas anecdotique, il s'agit d'une tendance lourde qui menace la liberté académique sous ses trois dimensions : la liberté de recherche, la liberté d'enseignement et la liberté d'expression académique.
Dans ces conditions, peut-on encore parler de liberté académique lorsqu'elle est contrainte par le sous-financement public et soumise aux intérêts privés ? Si l'État demeure le principal financeur des universités, le secteur privé peut, dans des cas de plus en plus nombreux, dicter ses orientations. Dès lors, que reste-t-il du contrôle démocratique de la recherche publique ?
L'ampleur du phénomène est très difficile à mesurer, faute de données officielles sur le poids total des financements privés dans la recherche publique. On alimente ainsi la suspicion et la défiance, d'où la nécessité de combattre les phénomènes d'opacité.
En principe, la loi garantit l'accès aux documents administratifs, mais, en pratique, les universités invoquent très souvent le secret des affaires pour refuser toute transparence sur les contrats qui les lient aux entreprises privées. En cas de recours, les délais de traitement des dossiers - plusieurs mois devant la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) et jusqu'à deux ans devant la justice - dissuadent les tentatives de contestation.
Quelles actions le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour remédier à ces problèmes ? Êtes-vous favorable à une modification législative qui imposerait la publicité des contrats entre les universités et les entreprises privées, afin de garantir les libertés académiques ? Les contrats de mécénat en matière culturelle doivent bien être rendus publics pour révéler les contreparties offertes par un établissement culturel. Ainsi, nous pourrions nous en inspirer.
M. Jacques Grosperrin. - La fuite des cerveaux de la France vers l'étranger continue de s'accélérer. Ce matin, nous nous sommes rendus au Paris -Centre de recherche cardiovasculaire (Parcc) de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Certains chercheurs nous ont dit qu'ils avaient hésité à s'installer aux Pays-Bas ou à Singapour, où le système de recherche est plus simple, mais pas aux États-Unis.
De grandes figures scientifiques françaises qui exercent à l'étranger ont récemment reçu le prix Nobel. Il en est ainsi de Pierre Agostini et d'Anne L'Huillier.
Le phénomène de fuite des cerveaux peut affaiblir la France à l'échelle internationale. Néanmoins, vu le contexte géopolitique actuel et la pression qu'exercent les États-Unis sur les libertés académiques, certains talents français pourraient être tentés de revenir en France.
Ainsi, il serait temps d'envoyer un signal fort, monsieur le ministre : l'État doit prendre un engagement clair en faveur de l'excellence académique, de la recherche appliquée et de la formation des futures élites scientifiques. Comment comptez-vous vous y prendre exactement ? La question des moyens est importante, mais elle ne suffira pas à résoudre les difficultés.
Mme Sonia de La Provôté. - En France, la recherche publique est très largement soutenue par l'État et les collectivités locales, notamment les régions. Le problème, c'est que les travaux de recherche fondamentale menés dans ce cadre sont souvent rachetés par des spin-off ou des start-up privées étrangères, en particulier américaines.
Les nouveaux traitements mis au point grâce à la recherche française en matière de santé publique profitent au bien de tous, mais leur rachat se fait au détriment des contributions publiques qui l'ont soutenue.
Il est bon d'accueillir des chercheurs étrangers, mais encore faut-il définir une stratégie et des priorités à l'échelon européen, qui peuvent être ensuite déclinées à l'échelon national, notamment dans le cadre du plan France 2030.
J'y insiste, veillons à ce que les brevets des chercheurs américains installés en France ne soient pas rachetés par les grands fonds financiers américains, qui identifient et suivent de près les innovations. L'objectif est d'empêcher la recherche d'être rapatriée à l'étranger sans aucun retour sur investissement, alors que nous en avons assumé la part la plus difficile.
Selon vous, quelles règles pourrait-on mettre en place dès maintenant pour éviter que ce cercle vicieux ne s'accélère avec la venue de chercheurs étrangers, notamment américains, sur notre territoire ?
M. Bernard Fialaire. - Des jeunes chercheurs s'investissent dans des start-up, car ils savent que leur sacrifice sera probablement récompensé de manière différée par des actions. Or on vient d'augmenter encore les prélèvements sur les plus-values, ce qui réduit leurs perspectives de bénéfice. On les encourage ainsi à quitter la France pour travailler dans des entreprises situées à l'étranger qui leur verseront des salaires nettement supérieurs.
M. Philippe Baptiste, ministre. - Malheureusement, je partage intégralement les propos du sénateur Ouzoulias. Nous sommes aujourd'hui dans une situation que personne n'aurait imaginée voilà quelques années encore. Des pans entiers de la recherche sont menacés par l'administration Trump et de nombreuses agences sont réduites à la portion congrue. Je pense notamment à la National Oceanic and Atmospheric Administration (Noaa), qui constituait pourtant une référence absolue en matière de climat, d'environnement et de météorologie. Le National Institutes of Health (NIH), qui est l'équivalent américain de l'Inserm, a également subi d'importantes coupes programmatiques.
Au-delà des réductions de budget, les bases de données américaines nourries par la recherche internationale, parfois dans le cadre d'accords juridiques, sont menacées, ce qui inquiète les laboratoires.
L'émotion est très vive face aux politiques conduites par l'administration Trump. D'après un article publié dans la revue Nature, il y a une quinzaine de jours, 75 % des chercheurs résidant aux États-Unis envisagent de quitter le pays. Cela donne une idée de la rupture qui est en train de s'opérer là-bas, ainsi qu'à l'échelle internationale. Rétrospectivement, cette évolution renvoie les Européens à leur naïveté. Il faut dire que cela nous arrangeait de bénéficier des investissements américains dans le cadre de partenariats, notamment dans le domaine spatial. En effet, les Américains y consacrent 70 milliards de dollars chaque année, tandis que la France et l'Europe y affectent respectivement 3 milliards et 15 milliards d'euros.
Cela pose la question de notre autonomie stratégique en matière de données et de notre capacité à les stocker nous-mêmes. Les laboratoires s'inquiètent que les données relatives au climat puissent disparaître demain des bases où elles ont été stockées. Face à ce risque, la France et une quinzaine de pays européens, notamment l'Allemagne et l'Espagne, ont adressé un courrier à la commissaire européenne à la recherche.
Nous souhaitions, par ce procédé, appeler son attention sur la capacité des Européens à répondre aux problèmes qui se posent en matière de recherche et à accueillir les chercheurs actuellement installés aux États-Unis. Nous attendons encore des précisions de la Commission européenne sur ce sujet.
À l'échelon national, plusieurs universités ont mis en place des dispositifs d'accueil, notamment l'université d'Aix-Marseille, l'université Paris Sciences et Lettres (PSL) et le campus de Jussieu. Le Gouvernement soutiendra ces établissements dans leur démarche en leur distribuant des enveloppes budgétaires additionnelles.
L'accueil de chercheurs internationaux n'est pas un fait nouveau dans le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche : au CNRS, dans certaines disciplines, plus de la moitié des candidats recrutés ne sont pas originaires de l'Union européenne. La circulation des cerveaux est un phénomène normal, mais, de façon inédite, nous devrons accueillir les chercheurs installés aux États-Unis qui souhaitent exercer dans nos universités.
L'Italie, comme de nombreux autres pays, joue un rôle essentiel dans notre recherche, car, dans un mouvement de fuite des cerveaux, ses chercheurs nous offrent leurs compétences. Aujourd'hui, les pays d'Afrique du Nord nous fournissent énormément d'étudiants et de doctorants sans lesquels les laboratoires, les écoles d'ingénieurs et même certaines écoles de commerce ne feraient pas le plein et se trouveraient presque en situation critique.
Pour l'heure, j'ignore combien de chercheurs pourraient être concernés par le dispositif d'accueil et selon quelles modalités ils pourraient être pris en charge.
Nous constatons que la demande est significative. Ainsi, l'université d'Aix-Marseille et l'université PSL reçoivent des centaines de candidatures de la part de chercheurs américains. Beaucoup de ces candidats sont des postdoctorants installés aux États-Unis depuis peu qui souhaitent revenir en France.
Il conviendrait, à l'instar des pratiques qui ont cours au sein de l'European Research Council (ERC), d'accorder certains avantages aux chercheurs de 35 ans titulaires d'une academic tenure aux États-Unis, c'est-à-dire ceux qui souhaitent obtenir un poste de professeur. En leur offrant un package d'un million d'euros sur trois ans, nous pourrions les encourager à venir exercer en France avec leurs collaborateurs et leurs équipements. Au demeurant, il faudra sans doute faire un effort spécifique, au cas par cas, pour les grands noms de la recherche internationale qui voudront s'installer dans nos universités.
Notez que le dispositif d'accueil sera présenté dans les semaines à venir.
Par ailleurs, la question de la liberté académique est essentielle. Il est vrai qu'elle recule partout dans le monde, sauf en France et dans la très grande majorité des pays européens. Elle fait véritablement partie de notre culture ; à cet égard, le sénateur Ouzoulias a rappelé le principe d'indépendance de l'université de Paris, proclamé en 1215.
Il faut absolument préserver cette liberté : il y va de l'autonomie des chercheurs. Elle est, certes, menacée, mais les relations économiques entre les entreprises privées et les universités ne sont pas suffisantes pour justifier les craintes exprimées. Il faudrait, au contraire, que ces relations soient plus fortes. Nous devons toutefois faire preuve de vigilance et encadrer les partenariats.
Aujourd'hui, ce sont les extrémismes de tous bords qui menacent les libertés académiques. Ils ne rêvent que d'une seule chose : s'étriper au sein même de l'université. Cela donne une image déplorable du monde académique et de l'enseignement supérieur en général.
Les tensions sont essentiellement focalisées sur le conflit israélo-palestinien. On peut toujours évoquer cette question, pourvu que les uns et les autres soient respectés et qu'on ne fasse pas usage de la violence. Les échanges doivent avoir lieu dans le cadre d'un débat ouvert et contradictoire, qui s'appuie sur un certain nombre de principes élémentaires. Or ce n'est pas le cas aujourd'hui : les violences et les provocations se succèdent, ce qui nous inquiète grandement.
Je partage ce qui a été dit sur la complexité de notre organisation : plusieurs universités sur un même territoire, des structures très variées, etc. Elle est, certes, le fruit de l'histoire, mais nous devons simplifier les choses. Par exemple, les appels d'offres constituent aujourd'hui une véritable plaie pour les chercheurs et nous devons nous attaquer à ce problème. De même, les établissements devraient se concentrer sur autre chose que la lutte pour gérer des contrats de recherche.
Pour autant, je ne promets pas le grand soir, car cela a déjà été fait, et le grand soir ne s'est pas concrétisé...
M. Pierre Ouzoulias. - Effectivement, nous n'y croyons plus non plus !
M. Philippe Baptiste, ministre. - Je serai donc prudent, en ne promettant que des simplifications raisonnables.
En ce qui concerne l'innovation, les choses ont beaucoup progressé en quinze ans. Nous sommes devenus plutôt performants pour accompagner le démarrage de start-up, mais il existe un trou de financement pour la suite, au niveau tant français qu'européen d'ailleurs, si bien qu'elles se font parfois racheter. Ce sujet relève d'abord de la compétence du ministère de l'économie, mais nous nous y intéressons évidemment : on ne peut pas investir sur l'amont, puis laisser les start-up partir. Des acteurs européens commencent à répondre aux besoins de financement de telles start-up, mais nous sommes encore en retard.
Mme Catherine Belrhiti. - Le numérique joue un rôle croissant dans l'enseignement supérieur. Quelles sont les politiques mises en place pour accompagner les établissements dans leur transition numérique ? Comment garantir l'égalité d'accès aux technologies pour tous les étudiants ?
Comment améliorer la reconnaissance internationale des diplômes français et favoriser les échanges académiques avec d'autres pays ? Quelles actions le Gouvernement met-il en place pour encourager la mobilité étudiante et renforcer les partenariats avec des universités étrangères ?
Quelles actions sont mises en place pour renforcer l'égalité des chances dans l'accès à l'enseignement supérieur, notamment pour les étudiants issus de milieux modestes ? Il existe un blocage en termes de mobilité et de moyens, mais ces jeunes ont souvent l'impression - un a priori - que faire des études supérieures n'est pas pour eux. Pour changer cela, ne faudrait-il pas favoriser le développement d'établissements d'enseignement supérieur dans des villes moyennes ?
Mme Karine Daniel. - Le taux d'accès à l'enseignement supérieur est notamment lié à la présence d'établissements proches. Or les moyens des universités se dégradent, ce qui rend difficile le déploiement des sites secondaires. Les universités sous contraintes budgétaires peuvent être amenées à se désinvestir de ces sites pour renforcer les sites principaux. Pourtant, ces sites sont souvent le seul lieu d'enseignement supérieur public dans le département ou sur le territoire. Les décisions doivent être prises en considération d'une stratégie réfléchie plus que pour des raisons de restriction budgétaire.
Mme Béatrice Gosselin. - Vous avez évoqué le risque de perte de données numériques, notamment sur le climat. Est-ce que nous avons sur le sol européen la capacité de conserver ces données, qui sont essentielles pour la recherche ?
Mme Monique de Marco. - Un rapport de l'Igas a montré que les jeunes issus de la ruralité rencontrent des difficultés dans leur parcours universitaire. Vous avez évoqué une contractualisation et une expérimentation en Paca et en Nouvelle-Aquitaine, mais il y a d'abord un problème de ressources financières. Les responsables de l'université Bordeaux-Montaigne m'ont notamment alertée sur leurs difficultés à assurer le maintien de sites secondaires. Comment mieux accompagner les établissements en la matière ?
M. Pierre Ouzoulias. - Laure Darcos, Agnès Evren et moi-même menons une mission d'information, au nom de la commission, sur l'intelligence artificielle et la création. Nos premières auditions ont révélé que le moissonnage des données par les géants du numérique était titanesque - il dépasse l'entendement ! Dans ce contexte, la politique de la science ouverte ne constitue-t-elle pas un cheval de Troie pour les Gafam ? Ne faudrait-il pas réfléchir à une réorientation de cette politique ?
Par ailleurs, l'article 53 du règlement européen du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l'intelligence artificielle garantit aux chercheurs une forme de droit de retrait pour leurs données. Est-ce que cette disposition fonctionne ? Je rappelle qu'une grande majorité de la recherche est financée par de l'argent public. Il ne faudrait pas que le contribuable paye deux fois : une fois avec ses impôts, une fois en payant un service rendu par un Gafam à partir des données ouvertes de recherche.
Je crois que nous devons sortir de l'angélisme sur ces sujets. Le contexte a évolué depuis qu'a été mise en place la politique de science ouverte.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je voudrais d'abord vous apporter un témoignage : j'étais aux États-Unis il y a quelques semaines et des chercheurs m'expliquaient qu'ils revoyaient tous leurs programmes de recherche pour en enlever les mots qui ont été cités tout à l'heure par Adel Ziane. C'était très violent !
La délégation aux droits des femmes du Sénat a lancé une mission sur la place des femmes dans la science. Il apparaît clairement que les femmes y sont aujourd'hui peu présentes de manière générale. Cette question concerne d'abord le ministère de l'éducation nationale, parce que l'appétence pour les sciences, en particulier pour les mathématiques, doit être suscitée dès les premier et second degrés. Mais votre ministère doit également prendre sa part.
Je terminerai par un point complètement différent. Je veux vous alerter sur la maladie de Charcot. La recherche avance peu, alors que le nombre de personnes touchées est de plus en plus important. Comptez-vous en faire une priorité ?
M. Laurent Lafon, président. - Est-ce que le Parlement sera associé d'une manière ou d'une autre à la mise en oeuvre de la clause de revoyure prévue par la loi de programmation de la recherche ?
M. Philippe Baptiste, ministre. - Je n'ai pas d'information particulière sur la maladie de Charcot, mais je vous ferai parvenir des chiffres précis.
Pour autant, je veux vous répondre de manière générale. Il est vrai que la recherche médicale est largement financée par mon ministère et je peux comprendre la tentation du Parlement ou d'autres acteurs d'essayer de la focaliser sur tel ou tel sujet : ici la maladie de Charcot, à un autre moment les cancers pédiatriques... autant de cas dramatiques. Mais nous devons être prudents et faire confiance aux communautés scientifiques et académiques pour identifier les priorités de financement.
Nous ne devons pas entrer dans une démarche de fléchage, parce qu'à notre place nous sommes loin des réalités scientifiques et des évolutions technologiques, si bien que nous risquons de rater des questions transversales ou des interactions. Nous devons faire confiance aux professionnels, tout en évaluant et en validant les choix qui sont faits. Lors du dernier projet de loi de finances, un amendement a été adopté pour flécher quelques dizaines de millions d'euros sur une maladie particulière, mais ce n'est pas ainsi qu'on résout les problèmes, parce que ce type de recherche nécessite des années et des centaines de millions d'investissement. Je suis désolé si je ne suis pas assez politique ou si je peux donner l'impression de ne pas faire preuve de suffisamment d'empathie, mais il me semble que c'est la réponse la plus juste à votre question.
La question de la mobilité des étudiants est essentielle. Je crois qu'il y a au fond trois grandes réussites européennes pour le grand public : Ariane, l'euro et Erasmus. Ce dernier programme permet à de nombreux jeunes de découvrir dans la durée d'autres cultures. Nous devons donc veiller à sa pérennité. D'ailleurs, alors que le programme Fulbright mis en place par les États-Unis est quasiment à l'arrêt, nous devons réfléchir au développement d'Erasmus Mundus, un programme d'accueil pour des étudiants en master de très haut niveau.
Est-ce que tous les étudiants ou tous les bacheliers ont les mêmes chances dans tous les territoires ? La réponse est malheureusement non. Notre système reste profondément inégalitaire et ce n'est pas nouveau. Les choix proposés à un lycéen dans un établissement rural éloigné d'une métropole sont extraordinairement limités, qui plus est lorsqu'il est issu d'une famille modeste. Les destins sont souvent scellés pour des raisons sociales et géographiques. On le voit très bien lorsque les lycéens remplissent Parcoursup. C'est à tous les meilleurs étudiants scientifiques et techniques qu'on doit faire miroiter l'école normale supérieure ou l'école polytechnique ! Il nous reste un travail titanesque à réaliser pour accomplir cela.
En ce sens, nous devons favoriser l'implantation de sites universitaires dans des villes moyennes, mais cela coûte très cher. Les collectivités locales investissent souvent pour les locaux, ce qui est très bien, mais cela ne suffit pas : par exemple, il y a aussi les coûts de transport.
Par ailleurs, les chercheurs vont logiquement plaider pour une concentration des ressources dans les métropoles pour avoir facilement accès à de gros laboratoires interdisciplinaires et aux équipements dont ils ont besoin. Il nous faut trouver un équilibre entre différents objectifs qui peuvent apparaître en contradiction.
Nous ne pourrons pas avoir des masters pluridisciplinaires de haut niveau dans toutes les villes moyennes, mais nous pouvons travailler sur la question du premier cycle, en commençant peut-être par le déploiement plus large dans les territoires de la première année de l'enseignement supérieur. Des dispositifs existent, par exemple la propédeutique ou des campus connectés ; nous devons les développer.
Mme Catherine Belrhiti. - Le frein, c'est aussi la mobilité des jeunes.
Mme Monique de Marco. - Et le logement !
M. Philippe Baptiste, ministre. - Le logement est évidemment un frein important. Notre budget consacré à la vie étudiante atteint 2,7 milliards d'euros. La promesse, ambitieuse, de créer 15 000 logements par an n'a pas été tenue - je ne blâme personne, c'est un fait. Il est notamment difficile de trouver du foncier. Je me suis engagé à suivre cette question de manière extrêmement rigoureuse et régulière.
Je voudrais ajouter que, si la démographie a commencé à diminuer à l'école, au collège et au lycée, ce n'est pas encore le cas dans l'enseignement supérieur et ce ne sera pas le cas avant quelques années. Ainsi, cette année, environ 35 000 personnes supplémentaires ont formulé des voeux dans Parcoursup. Il s'agit surtout, mais pas uniquement, de bacheliers professionnels qui décident de poursuivre leurs études et que nous avons d'ailleurs le plus grand mal à accueillir. Il y a aussi un autre phénomène - l'allongement de la durée des études -, si bien que les étudiants restent plus longtemps dans le système.
Sur la question de M. Ouzoulias, je crois que nous devons garder le principe des données ouvertes. Cela correspond à nos valeurs : la libre circulation des idées, l'universalisme, etc.
Pour autant, ce que vous avez dit est juste : les Gafam ont siphonné nos données. Je vais donner, de nouveau, un exemple concernant le spatial : l'Europe est leader en matière de fourniture de données d'observation de la Terre - c'est Copernicus -, mais ce sont les Gafam qui, après avoir aspiré ces données gratuites et disponibles pour tous, les exploitent et les valorisent. Ce sont ces entreprises qui réalisent ce que j'appelle le dernier kilomètre, pas des entreprises européennes. Est-ce que cela veut dire que nous devons arrêter de fournir gratuitement ces données ? Je ne le crois pas.
En ce qui concerne la place des femmes dans les sciences, il est vrai que l'effort doit être fourni dès le début de la scolarité. Pour autant, l'enseignement supérieur et la recherche ne doivent pas s'exonérer d'une réflexion sur ce sujet tant on y constate aussi, au fur et à mesure de la montée en responsabilités, une attrition de femmes. J'ai d'ailleurs été frappé d'une remarque que j'ai entendue : le jour où l'école normale supérieure réservée aux femmes a disparu, la proportion de mathématiciennes normaliennes a dramatiquement chuté... Le Gouvernement n'a pas de position sur la question des quotas ; je suis moi-même ambivalent sur cette question, mais en tout cas, elle mérite d'être posée.
En ce qui concerne la clause de revoyure, nous allons travailler avec les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche pour travailler aux évolutions nécessaires, en particulier au regard des bouleversements internationaux. Je ne sais pas si nous devrons changer la loi ensuite. En tout cas, je suis à l'entière disposition du Parlement pour présenter le résultat de nos travaux à votre commission, à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ou à toute autre commission.
M. Bernard Fialaire. - Est-ce que les locaux de Lyon-II sont toujours occupés ? Que savez-vous de cette affaire ?
M. Philippe Baptiste, ministre. - L'amphithéâtre en question n'a jamais été occupé. Des individus y ont fait irruption avec violence et ont interrompu le cours d'un maître de conférences en géographie qui est sorti de la salle. Tout s'est passé très vite et la sécurité n'a pas eu le temps d'intervenir. Les responsables de l'université ont condamné cette intervention de manière très claire, ils ont signalé l'affaire au procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale et l'enseignant a lui-même déposé plainte.
Par ailleurs, si des étudiants sont mis en cause, il reviendra à l'établissement de convoquer une commission disciplinaire. Je n'ai guère de doute sur le fait que ce sera fait.
Cela rejoint ce que je disais tout à l'heure : je suis très inquiet de l'hystérisation du débat. Les « raisons » avancées par ces perturbateurs n'ont aucun sens. On nage dans l'absurde ! Tout cela est, au fond, en totale opposition avec ce qui définit l'université : les libertés académiques.
M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le ministre, nous vous remercions pour cet échange nourri sur des sujets cruciaux pour l'avenir de notre pays, dans un contexte international très troublé. Nous ne manquerons pas de suivre de près les travaux menés dans le cadre de la clause de revoyure de la loi de programmation de la recherche.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 15.