Mardi 8 avril 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse
Mme Dominique Vérien, présidente. - Chers collègues, Nous recevons aujourd'hui Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale de mai 2017 à mai 2022, recteur d'académie (de Guyane et de Créteil) ainsi que Directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) de 2009 à 2012.
Cette audition s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur la thématique « Femmes et sciences », qui visent à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques, alors qu'elles ne représentent encore qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France.
Nos premières auditions ont souligné l'importance des choix de spécialité et d'orientation au lycée mais aussi le rôle clé des professeurs, de leur appropriation de la culture scientifique, de leurs représentations genrées et des encouragements qu'ils prodiguent, ou non, à leurs élèves filles, et ce dès l'école primaire.
Or, la réforme du bac et de l'organisation des enseignements au lycée, en 2018, a généré des biais de genre dans le choix des spécialités et eu des conséquences significatives en matière d'égalité puisque, dès la rentrée 2019, on observait une baisse de 60 % de l'effectif des filles poursuivant des enseignements de mathématiques et qu'en 2022 on constatait également une chute de 60 % des bachelières « scientifiques », selon l'association Femmes et mathématiques.
Aujourd'hui, les lycéennes recommencent progressivement à choisir la spécialité « mathématiques » - qui était leur second choix en 2023 - et les combinaisons de spécialités, et donc de parcours scientifiques, sont plus diversifiés. Cependant, les filles demeurent sous-représentées dans les spécialités scientifiques, à l'exception des sciences de la vie et de la terre (SVT). Alors qu'elles représentent 56 % des élèves de terminale générale, elles ne constituent que 42 % des élèves ayant choisi la spécialité « mathématiques », 15 % pour la spécialité « numérique et sciences informatiques » et 14 % pour la spécialité « sciences de l'ingénieur », selon des chiffres de 2023.
Certes, il semblerait qu'il s'agisse davantage d'une anticipation de choix qui se faisaient auparavant au moment de l'entrée dans l'enseignement supérieur : la proportion de filles inscrites dans les classes préparatoires scientifiques et dans les filières universitaires scientifiques est restée stable, c'est-à-dire tout aussi faible qu'auparavant - entre 20 et 30 % selon les spécialités.
Pour autant, cet abandon plus précoce des mathématiques et des sciences dès le lycée a des conséquences plus vastes, sur la culture scientifique des jeunes, et en particulier de celles et ceux qui deviendront professeurs des écoles et devront enseigner les mathématiques et les sciences aux enfants de l'école primaire.
Nous avons auditionné des chercheuses ayant souligné que sans professeurs les ayant incitées à poursuivre des études scientifiques en seconde ou en première, elle se seraient orientées vers d'autres filières, plutôt littéraires. Ce sont aujourd'hui de grandes chercheuses.
Monsieur le ministre, avec les quatre rapporteures Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, présentes à mes côtés, nous avons donc souhaité vous entendre pour évoquer ensemble les conséquences de la réforme du lycée que vous avez menée il y a sept ans.
Plus globalement, puisque vous avez été, pendant une quinzaine d'années, au coeur des politiques nationales d'éducation, nous souhaitons échanger avec vous sur les leviers qui sont de nature à amener davantage de filles vers les mathématiques et les sciences, dès le plus jeune âge et tout au long de leur scolarité.
Nous sommes particulièrement intéressées par les initiatives que vous avez pu mener ou dont vous avez eu connaissance en tant que recteur, DGESCO ou ministre, pour faire évoluer la pédagogie en classe, renforcer la formation des professeurs, ou encore améliorer les dispositifs de soutien à l'orientation des élèves.
Monsieur le ministre, je vous laisse donc sans plus tarder la parole. Je laisserai ensuite le soin à mes collègues rapporteures de vous poser des questions.
Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.
M. Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse. - Merci pour votre invitation. C'est avec un grand plaisir que je saisis cette opportunité d'un échange approfondi sur un sujet qui, précisément, le requiert. Il a été largement déformé par des slogans simplistes, des contrevérités et une désinformation proprement sidérante. J'ai été confronté à de nombreux exemples de désinformation au cours de ma carrière, mais celui concernant les sciences au lycée - et plus largement leur place dans notre système éducatif - a, depuis trois ou quatre ans, été au coeur d'une véritable campagne de manipulation de l'opinion.
C'est pourquoi je souhaiterais, en premier lieu, insister sur l'importance de poser un diagnostic clair et rigoureux. Je proposerai ensuite des pistes de réflexion en vue d'améliorer la situation. Mes propos ne visent nullement à affirmer que tout va pour le mieux et qu'aucune correction n'est nécessaire. Bien au contraire. Je crois néanmoins que la dynamique actuelle est globalement positive, et qu'il convient de l'accentuer fortement.
Permettez-moi de commencer par deux affirmations simples - qui, compte tenu du climat ambiant, pourront paraître provocatrices, mais qui reposent sur des faits aisément vérifiables.
Premièrement, à l'heure où je m'adresse à vous, jamais, dans l'histoire de notre pays, nous n'avons compté autant d'élèves inscrits en classes préparatoires scientifiques. Ce constat contredit directement l'un des discours récurrents, selon lequel la réforme du baccalauréat aurait conduit à une baisse du nombre d'ingénieurs et de chercheurs en devenir - affirmation que je réfute avec la plus grande fermeté.
Deuxièmement : jamais non plus il n'y a eu autant de jeunes femmes engagées dans des études supérieures scientifiques en France. Les chiffres sont sans équivoque : entre 2018 et 2023, nous sommes passés de 676 000 à 742 000 étudiantes dans les filières scientifiques. Pour une réforme que l'on accuse d'avoir nui aux sciences et à l'engagement des jeunes filles dans ces disciplines, ces résultats me paraissent satisfaisants.
Ce sujet cristallise à lui seul un degré de désinformation remarquable. Une campagne systématique s'est développée autour de cette question, au point que l'opinion publique elle-même en est profondément imprégnée. Aujourd'hui, une majorité de nos concitoyens est convaincue que la réforme du baccalauréat a porté atteinte à l'enseignement des mathématiques et des sciences, alors même que les données disponibles permettent d'en dresser un tableau sensiblement différent.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Ce n'est nullement ce que j'ai exprimé dans mon intervention liminaire. Je partage votre analyse quant à la présence des jeunes filles dans les filières scientifiques post-baccalauréat : il apparaît en effet que la réforme n'a fait que différer un choix qui, dans tous les cas, aurait été opéré à l'issue de la classe de terminale.
M. Jean-Michel Blanquer. - Vous avez tout à fait raison. Nous sommes ici confrontés à des enjeux complexes, où chaque nuance compte et où chaque affirmation a son importance. J'ai bien saisi que vous êtes imprégnée de l'idée que la réforme du baccalauréat et du lycée aurait altéré l'orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques.
Il est possible de soutenir que cette réforme a simplement déplacé plus en amont un choix qui, auparavant, s'opérait après la terminale. Autrefois, de nombreux élèves s'orientaient vers la série S sans nécessairement se destiner à des études scientifiques supérieures. Aujourd'hui, ils sont moins nombreux à choisir des enseignements scientifiques, mais ceux qui sélectionnent cette trajectoire le font avec une véritable intention de poursuivre dans cette voie. Là où environ 50 % des élèves issus de la série S poursuivaient dans des filières scientifiques, nous constatons désormais que près de 90 % des élèves ayant choisi les enseignements scientifiques s'y engagent effectivement dans l'enseignement supérieur.
Le véritable enjeu n'est plus tant l'orientation des élèves ayant fait ce choix, mais plutôt la manière d'élargir cette base initiale. Car si ce taux de 90 % est élevé et sans doute durable, il pourrait, au pire, diminuer légèrement - peut-être jusqu'à 80 % -, mais il est peu probable qu'il baisse davantage. À l'inverse, son augmentation au-delà de 90 % demeure incertaine. L'objectif est donc d'élargir le vivier de départ.
Le sujet se situe donc bien en amont de la réforme. Toutefois, avant de proposer un remède, encore faut-il poser un diagnostic juste. Or, à l'heure actuelle, celui qui prévaut dans la majorité des analyses médiatiques et commentateurs est, selon moi, erroné. Je suis prêt à en débattre. Je l'ai d'ailleurs fait récemment à l'École des Mines. Car dès que l'on commence à s'appuyer sur des données concrètes, que l'on examine les faits avec rigueur, la réalité apparaît bien différente.
Votre mission, j'en suis convaincu, a un rôle crucial à jouer. Elle peut même se révéler déterminante, à condition qu'elle choisisse de rétablir les faits avec exactitude. Je n'en attends pas davantage : simplement que la vérité soit dite.
Je tiens à partager une conviction née de mon expérience, notamment durant la crise sanitaire : même la parole scientifique ne doit pas être reçue comme indiscutable. Ce n'est pas parce qu'un propos émane d'une association de spécialistes qu'il doit être tenu pour vérité absolue. En la matière, nous sommes tous, en quelque sorte, à égalité.
Prenons, par exemple, la controverse autour de l'enseignement des mathématiques dans le tronc commun, ou encore vos remarques concernant la formation scientifique des futurs professeurs des écoles. Je me dois de déconstruire ces éléments afin d'aborder la suite de manière cohérente. Je me souviens notamment d'une pétition, relayée par un hebdomadaire en 2022, que l'on pourrait résumer ainsi : « Au secours, les mathématiques vont s'effondrer en France, et nous allons manquer des scientifiques et des ingénieurs dont notre pays a besoin, parce que les mathématiques ont été retirées du tronc commun ». Ce discours repose sur une contradiction manifeste, car la question des mathématiques dans le tronc commun est sans lien direct avec celle de la formation des futurs scientifiques.
Il faut ici distinguer deux axes fondamentaux, valables en tout temps et pour toute politique éducative en mathématiques :
1. Comment former une élite scientifique large, excellente et mixte, dans les meilleures conditions ;
2. Comment garantir un socle commun solide en mathématiques pour l'ensemble des élèves.
Or, le débat autour du tronc commun concerne exclusivement le second point. Quant au premier, les données montrent au contraire que l'on n'a jamais fait autant de mathématiques que dans le système actuel.
À ce propos, je tiens à rappeler que les programmes de mathématiques et de sciences - comme ceux d'autres disciplines - ont été intégralement revus, entraînant un relèvement notable du niveau d'exigence. Auparavant, chaque réforme des programmes en France les a édulcorés. La réforme récente a, elle, inversé cette tendance. Ce que j'avance ici est aisément vérifiable par toute personne prenant le temps de consulter les programmes officiels.
De plus, l'option dite « mathématiques expertes » en classe de terminale représente aujourd'hui neuf heures hebdomadaires, là où les élèves les plus engagés auparavant n'en suivaient que huit. Par ailleurs, le nombre d'élèves inscrits dans cette spécialité a augmenté depuis l'introduction de la réforme : de l'ordre de 40 000 au départ, ils sont aujourd'hui près de 60 000.
Je dois néanmoins reconnaître un bémol sur ce point : la proportion de jeunes filles inscrites à cette option est demeurée relativement stable, ce qui signifie, en effet, une légère baisse en proportion. Il s'agit là d'une nuance importante : il ne s'agit pas d'une diminution du nombre de filles, mais bien d'une augmentation globale du nombre d'élèves, notamment de ceux et celles qui se destinent aux classes préparatoires aux grandes écoles d'ingénieurs.
Ce constat corrobore l'affirmation faite en introduction : jamais nous n'avions compté autant d'élèves inscrits en classes préparatoires scientifiques qu'à présent. C'est un motif de satisfaction, mais nous vivons dans un pays où il semble parfois difficile de se réjouir, tant certains s'emploient à remettre en cause toute avancée positive. Ce que je viens de vous exposer, vous ne l'avez peut-être jamais entendu aussi clairement. Y compris au sein de ma propre majorité, il n'est pas courant -- voire pas populaire -- de défendre ce bilan. Et pourtant, ce sont là des faits. Je pourrais les répéter longuement, même si nombre de discours ambiants persistent à affirmer que la situation se dégrade. Ce n'est pas le cas sur ce sujet précis : la situation s'améliore, bien qu'elle ne soit pas totalement satisfaisante. Et c'est à partir de ce constat objectif qu'il convient d'élaborer la suite.
Vous avez évoqué les mathématiques dans le tronc commun et la formation scientifique des professeurs des écoles. À ce titre, j'aimerais rappeler que la culture mathématique générale des élèves se construit essentiellement entre l'âge de trois ans et la fin du collège, soit jusqu'en classe de troisième. C'est à ce moment-là que se joue véritablement l'acquisition commune des savoirs fondamentaux pour l'ensemble des jeunes Français.
Ensuite, nos discussions portent uniquement sur le baccalauréat général -- à l'exclusion du baccalauréat technologique et professionnel -- ce qui revient à concentrer notre attention sur seulement la moitié des élèves. Et parmi ces élèves du général, environ deux tiers choisissent les mathématiques en enseignement de spécialité. Autrement dit, seul un tiers de cette moitié ne suit plus de mathématiques dans le tronc commun. Ce constat relativise fortement la portée de cette polémique.
D'autant que, dans le système antérieur, il était déjà possible pour certains élèves d'échapper à l'enseignement des mathématiques en fin de parcours scolaire.
Enfin, si l'on souhaite réellement s'interroger sur la culture mathématique de l'ensemble des Français, il faut se demander de quoi elle devrait véritablement être composée. Est-ce la maîtrise des équations différentielles, que l'on aborde en première et terminale, qui permet à chacun de se repérer dans la vie quotidienne ? Ou ne serait-ce pas plutôt la capacité à effectuer des opérations de base, à comprendre des probabilités simples, ou encore à calculer un taux d'intérêt ? Demandons-nous honnêtement si l'on attend de chaque citoyen qu'il soit capable de résoudre une équation complexe ou s'il ne serait pas plus utile qu'il sache appliquer des raisonnements élémentaires et concrets.
En revanche, une maîtrise insuffisante des quatre opérations de base ou un faible niveau en calcul mental demeure un véritable enjeu. C'est précisément sur ces points que des efforts significatifs ont été déployés, en particulier à l'école primaire et au collège, afin d'impulser un redressement salutaire.
Ce débat a émergé à partir du constat qu'au lieu d'allouer, admettons, un million d'heures d'enseignement des mathématiques au lycée, on en aurait attribué 990 000, à peu de choses près. Une réduction marginale, mais qui a été interprétée comme symptomatique d'un désengagement. C'est un peu comme si l'on reprochait à un jardinier d'avoir remplacé le bombardement d'eau par canadair de son jardin par un système d'irrigation plus raisonné.
Ces décisions n'ont pas été prises à la légère, ni dans l'improvisation. Il ne s'agit pas d'une lubie, née d'un matin où je me serais exclamé : « Tiens, et si nous retirions les mathématiques du tronc commun sans la moindre considération pour l'avenir scientifique de notre pays ? ». Les réformes s'inscrivent dans une logique de long terme et s'appuient sur des analyses solides, à l'image du rapport Villani-Torossian, que tout le monde devrait lire. Celui-ci a donné lieu à une série de vingt recommandations dont la mise en oeuvre a été conduite avec méthode.
La réforme du baccalauréat, elle-même fruit d'un long travail de concertation, n'a suscité que peu de critiques initialement. Ce n'est que plus tard, dans un contexte de crise sanitaire, que les tensions sont apparues. Dans cette période compliquée, un certain « trou d'air » a été observé la première année. Nombre d'observateurs ont alors confondu les effets conjoncturels liés à la pandémie avec des conséquences structurelles de la réforme. Cette confusion a donné lieu à un diagnostic erroné et à un débat public largement biaisé.
Au-delà de la volonté légitime de rétablir des faits, il s'agit surtout de recentrer l'attention sur les véritables défis actuels. En persistant dans une lecture erronée de la situation, nous risquons de gaspiller une énergie précieuse sur des controverses artificielles au lieu de nous atteler aux véritables priorités.
J'aimerais conclure cette partie par un mot sur la culture scientifique des professeurs des écoles, qui constitue en effet un enjeu majeur. Environ 95 % d'entre eux proviennent d'un cursus initial à dominante littéraire et présentent souvent une faible maîtrise des savoirs mathématiques et scientifiques. Ce que nous observons aujourd'hui est en réalité l'héritage de trois ou quatre décennies de désintérêt progressif pour les sciences.
Dans ce contexte, il est paradoxal que ceux qui tentent aujourd'hui d'agir concrètement pour inverser cette tendance soient immédiatement la cible de critiques virulentes. Il est aisé de dénoncer un déclin, qui a certes bien eu lieu; il est plus exigeant d'y répondre avec constance. C'est précisément ce que nous avons entrepris. Pour la première fois, ce sujet est véritablement pris à bras-le-corps et commence à produire des effets tangibles -- certes encore fragiles, mais bien réels. Ces avancées naissantes doivent être protégées, encouragées, au lieu d'être attaquées prématurément.
Enfin, pour clore ce diagnostic, permettez-moi de partager quelques chiffres précis. Le nombre d'étudiantes inscrites en filières scientifiques, hors domaine de la santé, est passé de 676 000 en 2018 à 742 000 en 2023. La part des filles dans ces formations est ainsi passée de 31,5 % à 34 %, ce qui représente environ 40 000 étudiantes supplémentaires engagées dans des études scientifiques -- à l'exclusion des études médicales. Si l'on restreint le périmètre à un segment encore plus spécifique, les STEM (sciences, technologies ingénierie et mathématiques), la part des femmes descend à 25 %. Ce taux est resté globalement stable.
Sur ce point également, il me semble essentiel de replacer le débat dans une perspective de fond, qui dépasse largement les frontières françaises. Il est certes pertinent de distinguer les filières scientifiques dites « dures » des sciences de la vie, mais il serait absurde de considérer que la biologie, la botanique ou, a fortiori, la médecine, ne relèveraient pas des sciences. Or, la présence féminine y est très significative.
La progression du nombre de jeunes femmes engagées dans des études scientifiques tient donc, en bonne part, à la croissance constatée hors du champ médical stricto sensu. Cela témoigne d'une dynamique globale que nous devons observer avec attention.
Permettez-moi, à ce titre, de faire un focus sur un autre domaine : celui de l'informatique. J'ai parfois entendu, de manière assez caricaturale, que l'on aurait compromis l'avenir des ingénieurs informaticiens en France, et ce, en pleine révolution de l'intelligence artificielle. Or, au vu de ce que j'ai déjà mentionné concernant les classes préparatoires scientifiques, cette affirmation ne résiste pas à l'analyse.
Je me dois aussi de souligner la création de la discipline Numérique et Sciences Informatiques (NSI). Cette innovation, relativement peu médiatisée, constitue pourtant une évolution majeure. Elle s'est accompagnée de la création d'un CAPES et d'une agrégation en sciences de l'informatique, qui n'existait pas auparavant. Il s'agit là d'un levier essentiel pour favoriser la diversification des profils et notamment, pour encourager davantage de jeunes filles à s'orienter vers le numérique.
Rappelons qu'en 2017, la part des femmes dans les start-ups du secteur technologique ne dépassait pas 5 %. Il s'agit d'une problématique mondiale. On sait désormais que l'enjeu ne se situe pas en fin de parcours, mais bien en amont, dès les premières représentations que les jeunes filles se forment des carrières scientifiques. D'où l'importance de leur proposer des parcours accessibles, attractifs, et surtout porteurs de confiance en soi.
Depuis la création de la spécialité NSI, la proportion de filles inscrites est passée de 11 % à 19 %. Ce chiffre reste naturellement insuffisant - notre objectif doit être d'atteindre une parité -, mais il faut aussi rappeler que la discipline n'existait pas auparavant. Nous devons désormais poursuivre et amplifier cette dynamique.
Je souhaiterais également revenir sur la question de la culture scientifique au sens large. Je récuse fermement l'idée selon laquelle les élèves qui ne suivent plus d'enseignement mathématique dans le tronc commun disposeraient d'une culture scientifique moindre que leurs aînés. Là encore, certains éléments mériteraient d'être davantage mis en lumière. En effet, deux heures hebdomadaires de sciences ont été introduites dans le tronc commun. Pour schématiser, on pourrait dire qu'au lieu de rester passivement en fond de classe, désintéressés devant une équation différentielle, ces élèves bénéficient aujourd'hui d'un enseignement scientifique centré sur le développement durable. Ces heures ne relèvent pas d'un contenu superficiel : elles s'appuient sur des programmes conçus avec rigueur et exigence.
Cela étant dit, je reconnais que le suivi de la mise en oeuvre de cet enseignement par les services du ministère n'est pas encore totalement satisfaisant. Sur le terrain, il apparaît que ces deux heures sont parfois réparties de manière éclatée - une heure de SVT, une heure de physique - alors qu'elles devraient faire l'objet d'une approche plus intégrée, plus transversale. À mes yeux, il est désormais nécessaire de repenser cette organisation, afin d'en tirer pleinement parti.
À cadre constant, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une réforme d'ampleur, un travail pédagogique approfondi sur le contenu et les modalités des deux heures de sciences évoquées précédemment permettrait déjà de répondre partiellement à votre interrogation quant à la culture scientifique des futurs professeurs des écoles. Des évolutions plus structurelles dans la formation initiale au sein des INSPÉ (Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l'Éducation) sont également nécessaires.
Voilà pour ce qui concerne le diagnostic. Venons-en maintenant aux leviers d'action. Il est désormais bien établi que les déterminants des inégalités de genre en mathématiques et en sciences émergent très tôt, dès les premières années de la scolarité. Ce constat est d'ailleurs partagé à l'échelle internationale : la situation de la France, à cet égard, n'est ni particulièrement défavorable, ni exemplaire, même si, à titre personnel, je la juge plutôt encourageante au regard d'autres pays.
Ce phénomène mondial touche notamment au potentiel des filles en mathématiques et en sciences, souvent inhibé ou insuffisamment valorisé. Il s'agit, à mes yeux, d'un sujet majeur, au coeur des combats que je considère essentiels. C'est pourquoi je m'efforce d'apporter de la clarté dans ce débat, et que je déplore parfois que l'attention publique se focalise sur des polémiques secondaires plutôt que sur les vrais enjeux.
Parmi les leviers que je souhaiterais évoquer, notamment en me fondant sur mon expérience passée de recteur et de ministre, figurent deux outils auxquels on pense peut-être moins spontanément. Le premier concerne l'implication des familles dans ce combat pour une meilleure représentation des disciplines scientifiques, notamment auprès des jeunes filles, dès l'école primaire et le collège.
À cet égard, je me permets de rappeler une initiative que nous avions mise en place lorsque j'étais recteur de l'académie de Créteil : la mallette des parents. À l'époque, le ministre de l'Éducation nationale avait souhaité généraliser ce dispositif à l'échelle nationale. Il s'agissait d'un outil pédagogique destiné à renforcer le lien entre l'école et les familles, en particulier dans les milieux les plus défavorisés - même si son principe peut être transposé à tous les contextes.
Ce dispositif consistait à accueillir les parents en petits groupes - cinq à dix personnes - notamment au cours du premier trimestre de la classe de sixième, mais aussi à d'autres moments clés, pour échanger simplement sur les enjeux de la scolarité. Il ne s'agissait pas d'une réunion parents-professeurs classique, mais d'un espace de dialogue plus intime, intégrant une dimension psychologique essentielle. L'idée était de rappeler aux parents leur rôle de co-éducateurs, et de les associer pleinement aux objectifs poursuivis pour leurs enfants. Cette approche a montré de nombreuses vertus en matière de climat scolaire. Il serait tout à fait pertinent, me semble-t-il, d'y adjoindre une dimension spécifique autour des mathématiques et des sciences - et ce, en particulier pour les filles. Les bénéfices ne se limiteraient d'ailleurs pas à ces seules disciplines.
Le second levier, dans le même esprit, concerne le temps périscolaire et extrascolaire. N'oublions pas que le temps scolaire des enfants est déjà très dense, structuré autour de multiples ambitions éducatives. Il est parfois même surchargé de bonnes intentions. À l'inverse, le temps en dehors de l'école est souvent laissé au hasard, peu structuré. C'est ce temps-là qui, bien plus que le temps scolaire, contribue à creuser les inégalités.
C'est précisément pourquoi j'ai attaché une grande importance, durant mes fonctions, à pouvoir également intervenir sur ce champ en tant que ministre de la jeunesse et des sports. Nous avons agi sur ce vecteur essentiel, notamment à travers les cités éducatives ou encore le dispositif des vacances apprenantes. Il s'agit là d'une démarche portée par une volonté sincère d'agir pour le bien commun.
Rien n'est plus pertinent que de proposer des vacances apprenantes à dominante mathématiques et sciences, durant les congés scolaires, tout particulièrement à destination des enfants issus de milieux défavorisés. Nous savons en effet que la dimension ludique des apprentissages scientifiques, si riche en potentiel pédagogique, n'est pas toujours facile à développer pleinement dans le cadre strict du cursus scolaire - en dehors peut-être de l'école maternelle. Les périodes de vacances offrent, à cet égard, un terrain idéal pour laisser place à la curiosité, à l'expérimentation et au plaisir d'apprendre.
Il en va de même pour la culture informatique, qui aujourd'hui se diffuse souvent de manière désordonnée, sans véritable accompagnement. Or, des initiatives structurées, comme celles que je viens d'évoquer, permettraient de la canaliser de manière constructive.
Il me semble donc que le champ des temps périscolaires et extrascolaires recèle un potentiel immense. Bien sûr, nous devons poursuivre l'amélioration des contenus et pratiques pédagogiques dans le cadre scolaire, mais il serait réducteur de négliger l'impact décisif du temps familial et de l'éducation informelle dans la formation des esprits.
S'agissant ensuite des programmes scolaires eux-mêmes, ainsi que des manuels qui les accompagnent, il demeure un enjeu essentiel : celui de la motivation des jeunes filles, de leur représentation et de leur engagement dans les disciplines scientifiques. Il est extrêmement instructif d'analyser le contenu des manuels scolaires, d'examiner les instructions adressées aux enseignants, ou encore la manière dont certains modèles féminins ou certaines approches sont (ou non) valorisés. De réels progrès ont été accomplis dans ce domaine, et l'attention portée à ces enjeux est croissante.
Dans cette dynamique, nous avions d'ailleurs signé en 2019 une convention interministérielle qui couvrait la période 2019-2024. Il me semble qu'elle a été renouvelée l'an dernier. Elle réunissait plusieurs ministres, dont celui de l'Éducation nationale que j'étais alors, autour d'un engagement commun : agir sur l'ensemble des facteurs influant sur la représentation des métiers et leur découverte, en particulier pour les jeunes filles. Je pourrai, si vous le souhaitez, vous transmettre quelques extraits de ce texte. En relisant les différents axes qu'il contient, on constate qu'ils vont globalement dans le bon sens. La qualité de la mise en oeuvre peut en revanche être interrogée. Celle-ci a sans doute manqué, par endroits, d'ambition ou de coordination. Mais ce cadre pourrait tout à fait retrouver une dynamique nouvelle, d'autant plus qu'il s'agit d'un sujet sur lequel un consensus semble possible - et même souhaitable.
C'est d'ailleurs ma principale motivation : sur les enjeux scolaires, nous avons plus que jamais besoin de consensus. Le thème de l'accès des filles aux sciences se prête particulièrement bien à cette logique. Je n'ai encore jamais rencontré quiconque affirmant que les sciences seraient inutiles ou qu'il faudrait y réduire la place des femmes. Contrairement à d'autres sujets, sur lesquels les clivages sont vifs, celui-ci offre l'opportunité de concentrer nos efforts sur des problèmes réels, au lieu de nous diviser autour de faux débats.
La deuxième grande catégorie d'actions à mener relève, selon moi, de ce que l'on pourrait appeler un volontarisme de l'orientation. Le premier levier en est la qualité de l'information transmise aux élèves. Vous l'avez vous-même mentionné : les rôles modèles en sciences jouent un rôle fondamental. Il peut s'agir d'interventions ponctuelles, mais aussi de l'influence durable exercée par un enseignant, notamment lorsqu'il est professeur principal.
Les professeurs de mathématiques et de sciences, précisément parce qu'ils sont au coeur de la chaîne de transmission, peuvent être des acteurs de premier plan dans la construction des parcours d'orientation. Ce volontarisme peut - et doit - être soutenu par un pilotage institutionnel plus explicite. À partir de 2020, nous avons d'ailleurs introduit cette logique, en demandant aux établissements de se fixer des objectifs chiffrés en matière d'orientation, notamment pour inciter davantage de jeunes filles à choisir la spécialité mathématiques.
Cette mesure a sans doute contribué, après une période de stagnation, à l'inversion de la tendance : nous avons observé un redressement très net du nombre de filles s'orientant vers cette spécialité.
Si chaque lycée de France parvenait à faire en sorte qu'une élève supplémentaire, chaque année, choisisse la voie des mathématiques ou des sciences entre la classe de seconde et celle de première, alors, en cinq années à peine, nous aurions sensiblement transformé la donne. Si l'on devait retenir une action simple, mais efficace, ce serait celle-là. Naturellement, cela suppose tout un travail en amont ; il ne s'agit évidemment pas de contraindre qui que ce soit à s'engager dans une voie qu'il ou elle ne souhaiterait pas. Mais imaginez que l'on fixe à chaque chef d'établissement un objectif minimal : faire passer le nombre d'inscriptions féminines en spécialité mathématiques de 100 à 101, puis à 102 l'année suivante et ainsi de suite. Ce n'est pas un objectif insurmontable - et s'il peut être dépassé, tant mieux. L'essentiel est de ne pas régresser, mais de progresser chaque année.
C'est précisément à cela que sert un service public national de l'enseignement. La France a cette capacité d'organisation, cette force de cohésion qui permet de mener ce type de politiques ambitieuses. Le même raisonnement peut être tenu pour l'ensemble des disciplines scientifiques : nous avons souvent tendance à mettre en avant les associations disciplinaires les plus visibles, mais pensons aussi à la SVT, à la physique-chimie, à l'informatique, ou encore aux sciences de l'ingénieur. Chacune de ces spécialités mérite une attention particulière et un effort collectif en faveur d'une plus grande mixité.
Vient ensuite, en troisième lieu, la question de l'enseignement supérieur. Celui-ci doit jouer son rôle en envoyant les bons signaux et en adoptant les bonnes pratiques. C'était d'ailleurs l'un des fondements des réformes que nous avons conduites, en particulier celles du lycée, du baccalauréat et de Parcoursup. L'objectif était clair : favoriser un continuum plus fluide entre le lycée et le cycle universitaire, de bac -3 à bac +3. Cela suppose notamment que les établissements d'enseignement supérieur s'intéressent réellement à ce qui se passe en amont, dans les lycées, et qu'ils s'y impliquent. Il est essentiel, par exemple, que des universitaires - et notamment des femmes - viennent présenter leurs travaux, partager leurs parcours, incarner des modèles de réussite.
Il est tout aussi important que l'enseignement supérieur tienne compte de la diversité des profils. Je le dis avec clarté : il ne s'agit aucunement de relativiser l'importance des mathématiques, bien au contraire. La réforme en a d'ailleurs renforcé la place : aujourd'hui, les mathématiques demeurent, de très loin, l'enseignement de spécialité le plus choisi. C'est également la seule discipline offrant une telle diversité de formats : en terminale, les élèves peuvent opter pour trois, six ou neuf heures hebdomadaires. Les programmes eux-mêmes ont été rehaussés, ce qui témoigne de la place centrale que continue d'occuper cette matière dans notre système éducatif.
Pourtant, d'un point de vue symbolique, le retrait des mathématiques du tronc commun a pu être perçu comme une forme d'atteinte à leur statut. Dans les faits, cette discipline conserve son rôle de pilier. Il faut néanmoins oser affirmer que l'on peut réussir dans les sciences sans être nécessairement le meilleur en mathématiques. Cela aussi doit être dit clairement.
Beaucoup de jeunes filles choisissent aujourd'hui la spécialité SVT. Lorsqu'elles envisagent une orientation vers les études médicales, elles associent souvent SVT, physique-chimie et mathématiques complémentaires. Et elles deviennent, ensuite, d'excellentes médecins. Car, disons-le franchement, les médecins que nous connaissons n'utilisent pas des équations complexes au quotidien ; ils mobilisent bien davantage leurs connaissances en sciences de la vie. Il ne faut donc pas réduire les sciences aux seules mathématiques, ni entretenir l'idée qu'elles seraient un prérequis absolu pour toute réussite dans ce domaine.
Tenir de tels propos en France peut susciter des soupirs, et pourtant, il s'agit simplement de dire la vérité telle qu'elle est. D'ailleurs, de nombreux autres pays adoptent cette approche. Il est indispensable de maintenir une excellence en mathématiques, et cette excellence, nous la possédons. Je suis bien conscient que certaines de mes formulations peuvent être isolées de leur contexte et interprétées de manière biaisée ; je le dis avec prudence. Mais essayons de faire preuve d'honnêteté intellectuelle sur l'ensemble de ces questions. Rien dans ce que j'exprime ne remet en cause la qualité de la formation mathématique française.
Encore une fois, dans la filière la plus traditionnelle, à savoir les classes préparatoires scientifiques menant aux écoles d'ingénieurs, les effectifs n'ont jamais été aussi élevés. C'est là que se forment les très grands mathématiciens et les ingénieurs de demain. Mais il est tout aussi essentiel de reconnaître que d'autres scientifiques brillants s'épanouiront sans nécessairement avoir excellé en mathématiques, mais grâce à leurs compétences en physique, en SVT, en informatique, et dans bien d'autres domaines encore. Il convient de ne pas enfermer notre système dans un modèle monolithique à la française. Il faut, au contraire, favoriser une diversité de parcours, de canaux de réussite. Cette diversité est, de fait, favorable à une plus grande égalité entre les sexes, car elle permet à chacun et chacune, selon sa sensibilité et ses talents, de s'épanouir.
Ce changement de paradigme contribuera également à lever les complexes associés à une vision unique de la réussite, où l'on considérerait qu'un élève n'ayant pas intégré telle ou telle grande école serait nécessairement mal engagé dans la vie. Ce modèle hiérarchisé, où certaines écoles d'ingénieurs seraient perçues comme des voies de second rang, mérite d'être nuancé.
Comme le temps presse, je me contenterai, pour conclure, d'un mot à propos des INSPÉ et de la formation des futurs professeurs des écoles, qui gagneraient à acquérir une culture scientifique plus affirmée. J'ai déjà abordé partiellement ce point en évoquant le lycée, mais il me semble important d'insister, d'autant qu'une réforme de la formation est en cours.
D'abord, la loi pour une école de la confiance, adoptée en 2019, a posé le principe d'un équilibre clair : au moins 50 % du temps de formation doivent être consacrés aux savoirs fondamentaux, c'est-à-dire au français et aux mathématiques. Le respect rigoureux de cette exigence par les INSPÉ constitue, à lui seul, un premier levier de progression vers les objectifs que nous partageons.
Ensuite, nous avons mis en place les classes préparatoires au professorat des écoles. Il me semble que ce modèle constitue une base pertinente pour la réforme à venir : en petits groupes, les étudiants y consacrent la moitié de leur temps aux disciplines littéraires et aux sciences humaines, et l'autre moitié aux mathématiques et aux sciences. Ce dispositif, proposé dès la sortie du baccalauréat, permet d'initier une préparation solide et équilibrée. Si un futur enseignant bénéficie de trois années de formation dans ce cadre, on peut raisonnablement estimer qu'il deviendra un professeur des écoles compétent et bien formé.
Les deux années suivantes, intégrées à un parcours en alternance comprenant des stages, viendront renforcer encore cette formation.
À ce sujet, un rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale sur les femmes et les sciences est en cours de préparation. Je ne sais pas s'il vous est déjà parvenu - pour ma part, je n'ai pas encore pu le consulter -, mais je crois qu'il serait pertinent de le prendre en compte avant la conclusion de vos travaux.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour cette intervention. Nous accueillerons cette semaine les représentants des écoles d'ingénieurs et aurons l'occasion d'examiner la situation au niveau des classes préparatoires.
Nous constatons que les filles ont souvent tendance à choisir leurs orientations plus tardivement que les garçons. Certaines chercheuses, bien qu'excellentes dans de multiples disciplines, y compris en lettres, ont souvent été incitées à poursuivre des études scientifiques. Si elles avaient été laissées libres de leurs choix, il est fort probable qu'elles se seraient arrêtées dès que l'opportunité leur en aurait été donnée. Ce n'est que plus tard qu'elles ont pris conscience de leur véritable intérêt pour cette discipline. Il existe, en outre, ce phénomène où les filles choisissent plus tardivement leur orientation, en particulier avec l'apparition de classes préparatoires en trois ans, dont une a vu le jour au lycée Henri IV. Celles-ci sont majoritairement prisées par les jeunes filles souhaitant poursuivre leurs études dans les sciences et la littérature sans avoir à faire un choix prématuré.
Je ne suis pas certaine que l'idée de choisir une spécialité trop tôt soit toujours appropriée, car garçons et filles ne prennent pas leurs décisions de la même manière, ni au même moment. En effet, les filles ont souvent la capacité d'exceller dans de nombreuses disciplines et tendent à vouloir repousser leur décision afin de prendre le temps de bien choisir.
Il existe donc une problématique liée à un choix prématuré. Pap Ndiaye, ancien ministre de l'éducation nationale qui vous a succédé, a d'ailleurs réintroduit les mathématiques dans le tronc commun. Il serait souhaitable que la réforme de la formation des professeurs des écoles en préparation tienne compte de la séparation entre les filles et les garçons vis-à-vis des sciences et des mathématiques qui s'opère de manière manifeste entre le début et la fin du CP. Cependant, il se trouve que durant l'année de la pandémie de Covid-19, cette différenciation de niveaux n'a pas eu lieu, car les élèves étaient à la maison. Il s'est donc avéré que le décrochage de niveaux se faisait, en réalité, au sein de l'école.
La véritable différence ne réside certainement pas dans votre réforme en particulier, mais dans la formation initiale des professeurs des écoles, qui eux-mêmes avaient suivi un cursus littéraire avant de devenir enseignants. Nombre d'entre eux se considéraient comme « mauvais en mathématiques », une discipline où il est socialement accepté de revendiquer, non sans une certaine fierté, son manque de compétence. Il est beaucoup moins courant de se déclarer « nul en français » avec fierté.
Ainsi, ces questions sont bien réelles et concernent de nombreux pays de l'OCDE. Il semblerait toutefois que le Portugal ait trouvé certaines solutions. Nous nous rendrons sur place pour observer leurs actions en la matière.
Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Je souhaiterais revenir brièvement sur la réintroduction des mathématiques dans le tronc commun, à la rentrée 2023, en classe de première. Permettez-moi de soumettre à votre réflexion un élément basé sur les chiffres de la DEPP qui, je pense, ne relèvent pas de « fake news », et qui tendent à confirmer que l'abandon des mathématiques continue de diminuer, ou, pour le dire autrement, que le choix de cette spécialité progresse.
Lors de la rentrée 2024, 31,5 % des élèves avaient abandonné la spécialité « mathématiques », contre 32,7 % en 2023, 38,4 % en 2022 et 41,7 % en 2021. Comme vous l'avez justement fait observer, on constate une évolution des chiffres, particulièrement notable en 2023. Peut-on réellement établir un lien de cause à effet entre le retour des mathématiques dans le tronc commun en première et cette inversion de tendance ? Il est légitime de s'interroger.
À l'époque où j'ai moi-même passé le bac, il se trouve que, même dans la filière A, les élèves suivaient des cours de mathématiques en terminale. À cette époque, nous représentions une proportion non négligeable d'élèves, filles et garçons, poursuivant cette discipline jusqu'au baccalauréat. Il est vrai que nous étions peut-être moins nombreux à passer cet examen, ce qui pourrait aussi en partie expliquer cette situation. Je souhaiterais connaître votre avis à ce sujet.
Ma soeur, bien qu'elle ne fût pas du tout orientée vers les sciences, a passé un bac A et a pourtant suivi une carrière brillante en tant qu'infirmière en réanimation. Elle le reconnaît elle-même, la formation qu'elle avait reçue lui a permis d'acquérir un schéma de pensée qui, d'une certaine manière, était influencé par sa poursuite des mathématiques jusqu'en terminale.
Ne serait-il donc pas pertinent de réfléchir à l'idée d'un tronc commun minimum, incluant les mathématiques, jusqu'au baccalauréat ? Cela permettrait, à mon sens, de garantir à chaque élève de se former à ces compétences, avant de se spécialiser. Il me semble que cette question mérite d'être posée, compte tenu du fait que les filles ont tendance à choisir leur orientation plus tardivement. Il est dit que nous serions naturellement plus aptes aux matières littéraires qu'aux disciplines scientifiques. Il est donc possible que le déclic pour les sciences ne survienne pas immédiatement durant l'adolescence, période de recherche de soi, mais plutôt lorsqu'on commence à mûrir.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Monsieur le ministre, permettez-moi de lever une ambiguïté qui m'a particulièrement interpellée. En effet, tout à l'heure, vous avez déclaré : « Finalement, si les filles ne font pas de mathématiques, elles peuvent se tourner vers d'autres sciences ». Cette remarque m'a profondément choquée et m'a fait réagir. La semaine dernière, nous avons eu l'occasion d'écouter une chercheuse qui expliquait précisément que cette attitude contribue à une dynamique où, dès leur plus jeune âge, les filles sont souvent incitées à ne pas se diriger vers les mathématiques. Cependant, nous avons un cerveau aussi capable que celui des hommes, et nous avons la même aptitude à aborder les mathématiques. Il ne s'agit donc en aucun cas d'une alternative ou d'un « lot de consolation » de se tourner vers d'autres disciplines scientifiques plutôt que vers les mathématiques.
Vous avez également souligné l'importance primordiale du premier degré. Vous avez insisté sur la nécessité de travailler sur les opérations. J'aimerais moi-même affirmer à quel point il est important de comprendre le sens des opérations. L'enjeu n'est pas seulement de réaliser une opération, mais de savoir laquelle choisir pour résoudre un problème donné. C'est en cela qu'il est fondamental d'offrir aux futurs enseignants du premier degré une formation solide et approfondie, incluant les mathématiques jusqu'en terminale. Une telle formation leur permettrait de maîtriser les concepts de manière concrète et rigoureuse, et ce, avant toute révision éventuelle des programmes de formation.
Je souhaite également mentionner un article du Monde qui rapporte que depuis deux ans, la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, alarmée par la stagnation des effectifs féminins dans ces établissements, a décidé de financer davantage d'initiatives de sensibilisation au niveau secondaire. Vous avez évoqué les réformes que vous avez mises en place, notamment celles qui ont réduit le nombre d'heures de mathématiques obligatoires. Toutefois, la question ne réside pas seulement dans l'instauration d'un tronc commun, mais aussi dans l'obligation pour tous les élèves, garçons comme filles, de poursuivre les mathématiques en première et en terminale. Cette matière est essentielle et tous les élèves doivent y être exposés.
Il est vrai que les mathématiques ont été réintroduites comme matière obligatoire en première, mais les retours de terrain indiquent que cette mesure n'a pas eu l'effet escompté. Au cours de nos auditions, qui se poursuivent depuis plusieurs semaines, il est clairement ressorti que la présence des filles dans ces filières demeure insuffisante. Il semble même que la situation se soit détériorée. Vous avez souligné que les chiffres ne montraient pas de baisse significative, mais concrètement, les retours que nous avons reçus sur le terrain vont dans une autre direction. Permettez-moi de citer une chercheuse, Mélanie Guenais, de l'Université Paris-Saclay. Elle a observé que, depuis la réforme du bac, les effectifs ont diminué de 30 % pour les garçons et de 60 % pour les filles. Ainsi, après la réforme de 2022, un garçon avait 2,3 fois plus de chances qu'une fille d'obtenir un bac scientifique, inégalité la plus marquée depuis le début de la Ve République.
Mme Dominique Vérien, présidente. - On le sait, les filles qui étaient bonnes à l'école allaient auparavant en première S, sans forcément faire des sciences par la suite. Nous ne pouvons pas accuser le système face à ce constat.
Mme Marie-Pierre Monier. - Au sein de la commission de la culture, nous avons élaboré un rapport sur le bilan des mesures éducatives mises en place durant le quinquennat, en collaboration avec mes collègues Annick Billon et Max Brisson. L'inspecteur général chargé du suivi des voeux sur la plateforme Parcoursup avait conclu que cette réforme n'avait fait que mettre en lumière une réalité qui existait déjà au sein des classes préparatoires. Selon vous, cette réforme n'a-t-elle donc pas eu d'impact significatif sur la poursuite des études supérieures dans les disciplines scientifiques ? Comment expliquer la baisse des inscriptions des filles dans les classes préparatoires scientifiques (-1,6 % en 2023) ?
L'inspection générale a présenté en juillet 2021 un rapport intitulé « Faire de l'égalité filles-garçons, une nouvelle étape de la mise en oeuvre du lycée du XXIe siècle », qui propose de nombreuses recommandations, notamment concernant la formation initiale des enseignants, une pédagogie plus inclusive dans les classes et une orientation plus volontariste. Avez-vous eu l'occasion de prendre en compte ces recommandations et de favoriser leur mise en oeuvre au sein du ministère avant votre départ ?
M. Jean-Michel Blanquer. - Je serais ravi si une séance comme celle-ci pouvait contribuer à instaurer un consensus, notamment concernant les chiffres. Si je cite des chiffres erronés, il sera facile de les vérifier. Je ne suis pas le meilleur mathématicien de France, mais il me semble qu'un passage de 676 000 à 742 000 filles suivant des études scientifiques reflète une augmentation de leur nombre. Bien entendu, il est possible que dans l'établissement X, une baisse soit observée. Le problème du débat réside souvent dans le fait que chacun cherche à mettre en avant l'élément qui illustre sa thèse. Néanmoins, il reste possible d'objectiver la situation à l'échelle nationale.
Il est également essentiel de reconnaître le creux observé en 2021, qui a indéniablement nui au débat public et a conduit à une situation complexe. Cependant, depuis lors, certains cherchent à tout prix à présenter des nouvelles comme étant mauvaises, même lorsqu'elles sont en réalité positives. Ne caricaturons pas mes propos : je ne dis pas que tout va pour le mieux. À l'heure actuelle, la part de filles s'élève à 34 %, ce qui signifie qu'il reste encore 16 % de progrès à accomplir pour atteindre la parité. Concentrons-nous sur cette conquête à venir.
Le sujet du choix tardif me semble mieux abordé depuis la réforme du baccalauréat, qui répond précisément à la problématique que vous soulevez, Madame la Présidente. Auparavant, il existait des voies très cloisonnées : en première, choisir la filière L signifiait souvent renoncer à une orientation scientifique. Il fallait absolument opter pour la série S afin de conserver ses chances. Cela explique en partie pourquoi de nombreuses filles étaient présentes en série S, mais se dirigeaient ensuite vers des filières non scientifiques. Aujourd'hui, prenons l'exemple typique de l'élève brillante, bonne dans toutes les matières, que vous avez mentionnée à plusieurs reprises. Cet archétype est effectivement très répandu. Si cette élève cherche à préserver ses options pour faire ses vrais choix en Licence 3 ou en Master 1, la réforme du baccalauréat lui permet désormais de le faire. Des statistiques montrent que la moitié des élèves compose avec les anciennes formules, par exemple en choisissant mathématiques et physique en spécialité, ce qui est leur droit. Pour autant, l'autre moitié opte pour des combinaisons nouvelles et originales.
Ces cas sont particulièrement intéressants à étudier, car ils permettent d'analyser les trajectoires de ces élèves et d'observer l'impact de la réforme sur leurs parcours. Ils incitent aussi l'enseignement supérieur à évoluer, répondant à l'une des idées sous-jacentes de la réforme. Il ne s'agit pas d'un changement instantané, mais d'un mouvement progressif et structurel, bien que profondément transformateur pour le pays, dans la bonne direction, en vue d'élever globalement le niveau, notamment en mathématiques et en sciences. Les effets secondaires, les ajustements et les périodes de transition sont inévitables, mais il convient de ne pas se décourager face à ces difficultés.
Je comprends que huit ans avant mon mandat de ministre, un président de la République ait décidé de suspendre la réforme du lycée, anticipant les difficultés que l'on rencontre dès que l'on cherche à introduire des changements. J'aimerais que l'on constate, au contraire, les potentialités et les opportunités offertes par cette réforme. Par exemple, dans le domaine du numérique et des sciences informatiques, un futur ministre de l'Éducation, ou toute autre autorité engagée, disposera des outils nécessaires pour ajuster les formations dans l'enseignement supérieur en tenant compte des nouvelles spécialités choisies par les élèves. Les acteurs impliqués devront alors sortir de la routine et adapter la manière dont se déroulent les classes préparatoires et les premiers cycles universitaires, pour mieux répondre à la diversité des étudiants. Ceux-ci n'ont pas attendu la réforme pour être déjà très diversifiés. La capacité de personnalisation de l'enseignement supérieur devient donc essentielle.
Nous recherchons cet ajustement constant, cette dynamique des acteurs, qui est mise en oeuvre de manière imparfaite.
Vous avez parfaitement raison de souligner que chaque pays n'est pas dans la même situation, certains s'en sortent mieux que d'autres et le Portugal est, en effet, un exemple intéressant. D'autres pays, en revanche s'intéressent à notre réforme du baccalauréat.
Vous avez également évoqué l'enseignement des mathématiques dans le tronc commun. Sa réintroduction a déjà été mise en place en première. Pourquoi ne pas en faire de même en terminale ? Nous ajouterions alors une ou deux heures supplémentaires pour des lycéens qui détiennent déjà le record européen du nombre d'heures passées à l'école. Nous devons également nous rendre à l'évidence : nous n'avons pas toujours tous les professeurs de mathématiques nécessaires pour garantir la qualité de l'enseignement, tant en termes de quantité que de qualité. C'est la métaphore de l'irrigation que j'employais tout à l'heure : je préfère 950 000 heures de mathématiques bien réalisées et bien placées, plutôt qu'un million d'heures mal réparties. Mieux rémunérer les enseignants serait également un objectif à soutenir.
Je précise que la simple réintroduction des mathématiques dans le tronc commun ne modifiera pas fondamentalement l'avenir des sciences en France. Elle pourra légèrement améliorer la culture mathématique des élèves, mais les deux questions - les mathématiques et l'avenir des sciences - sont distinctes.
En revanche, en l'absence des mathématiques dans le tronc commun, de nombreux élèves ont choisi la spécialité « mathématiques », une discipline plus exigeante que celle qui existait auparavant en première S. Ainsi, nous avons davantage d'élèves suivant un enseignement en mathématiques de haut niveau, mais un nombre réduit d'élèves littéraires étudiant cette discipline. Cette nouvelle équation pourrait ne pas nuire à l'avenir des sciences en France.
Je comprends votre proposition visant à introduire une petite portion de mathématiques en terminale. Je ne veux pas adopter une position qui serait hostile aux mathématiques. Je souhaite, comme vous tous, renforcer leur place en France. Mais je tente d'être pragmatique et rationnel sur la manière de procéder. S'il est admis depuis longtemps que le français, après la première, cesse d'être une matière obligatoire, sans que cela ne pose aucune difficulté, pourquoi serait-il aberrant de suspendre les mathématiques pendant une année ?
Il s'agit là de choisir des priorités, en évitant des semaines de 50 heures de travail pour les lycéens. Si, au lieu des deux heures de sciences, nous avions attribué ces deux heures à des mathématiques, cette polémique n'aurait sans doute pas eu lieu. Pour autant, cette décision n'aurait peut-être pas été aussi bénéfique pour le pays.
Peut-être est-ce là la solution pour apaiser les esprits, puisque, visiblement, cette question suscite des réactions viscérales. À mon sens, cette émotion n'est pas entièrement rationnelle.
Madame la Sénatrice Antoine, vous avez mentionné le rapport de la DEPP et souligné que l'abandon des mathématiques continue de reculer, comme si cela validait l'idée qu'il y avait un grand nombre d'abandons au départ. En d'autres termes, vous avez observé une augmentation du nombre d'élèves qui choisissent cette spécialité.
Le fait que 31 % des élèves ne sélectionnent pas cette option confirme que 69 % des élèves la choisissent. Ce pourcentage est significatif, surtout lorsqu'on prend en compte l'ampleur des heures d'enseignement que cela représente. Dans le système antérieur, certains élèves en filière littéraire n'avaient aucune possibilité d'étudier les mathématiques si ce n'était pas leur spécialité.
Si l'on raisonne en valeurs absolues, bien plus d'élèves suivent aujourd'hui des cours de mathématiques dans le cadre de l'enseignement général qu'auparavant. Il faut également souligner que nous ne parlons pas du même corpus d'élèves, ce qui va dans le sens de mon argument global.
Si je ne devais défendre qu'une seule idée, ce serait celle-ci : cessons ces polémiques inutiles et concentrons-nous sur ce que nous pouvons faire en amont de la classe de première pour encourager les filles à se diriger vers des spécialités scientifiques. L'enjeu réside dans la manière dont nous mobilisons l'ensemble des acteurs -- l'enseignement supérieur, les enseignants, les parents, la famille, et la société dans son ensemble -- en vue de cet objectif. C'est une véritable bataille. Pour la gagner, il faut savoir frapper là où cela compte.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Vous l'avez compris, nous cherchons à dresser un constat. Nous avons échangé un certain nombre de chiffres. Vous nous avez fait part de plusieurs propositions. Merci pour cet échange.
Je connais votre intérêt pour le jeu d'échecs et, comme vous le savez, je le partage. Vous avez largement contribué à sa diffusion à l'école, notamment lorsque vous étiez DGESCO. Le programme « Classe-échecs » a d'ailleurs été repris et soutenu par la Fédération française des échecs, avec, semble-t-il, un certain succès. Dans ma commune, à Asnières-sur-Seine, nous avons également développé cette pratique, sur le temps périscolaire, faute de convention avec l'Éducation nationale. Cette mesure nous a toutefois permis d'observer les progrès des enfants, notamment dans les domaines des mathématiques et des sciences, chez les plus jeunes, allant de la maternelle à l'élémentaire.
Plusieurs pays ont intégré le jeu d'échecs dans leur enseignement scolaire : l'Arménie, le Mexique, la Chine, l'Inde, l'Allemagne, etc. Les premiers résultats sont plutôt positifs : en Allemagne, le niveau moyen des élèves en mathématiques a augmenté de 30 % après avoir ajouté une heure d'échecs par semaine dans le programme scolaire.
C'est d'ailleurs ce que vous aviez mis en place lorsque vous étiez recteur de l'Académie de Créteil. Je pense que cette piste pourrait figurer parmi les solutions envisagées. Pensez-vous que la généralisation de l'enseignement du jeu d'échecs à l'école pourrait susciter un plus grand intérêt chez les jeunes filles et, plus généralement, chez les enfants, pour les matières scientifiques et mathématiques ? Si tel est le cas, selon vous, à quel âge devrait-on introduire ce dispositif ?
Par ailleurs, Madame la Présidente a évoqué le décrochage des filles en mathématiques, qui commence dès le CP. Ne serait-il pas pertinent de développer un accès aux mathématiques de manière plus ludique ? C'est exactement ce que permet le jeu d'échecs, qui est à la fois un sport et une activité agréable, tout en constituant un moyen de détente. De plus, ce jeu permet de développer des compétences utiles à l'apprentissage des mathématiques, telles que la concentration, la capacité d'abstraction, et la rigueur du raisonnement scientifique.
Dès lors, ne pensez-vous pas qu'un enseignement des mathématiques un peu plus ludique, qui pourrait être introduit dès la maternelle, voire dans les premières classes de primaire, permettrait de susciter davantage d'aisance, d'intérêt et d'appétence, tant chez les garçons que chez les filles, car tel est l'objectif de notre étude ? Dans le même temps, il pourrait peut-être également contribuer à mettre davantage à l'aise les enseignants, souvent des enseignantes, qui éprouvent parfois des difficultés avec les mathématiques. Ce dispositif, à travers le jeu d'échecs, pourrait ainsi leur permettre de se familiariser avec cette discipline exigeante, tout en mettant en lumière ses nombreux atouts pour l'accès de tous les jeunes à la maîtrise des savoirs scientifiques et mathématiques en particulier.
Mme Laure Darcos, rapporteure. - Je suis bien consciente de la difficulté résidant dans la mise en place des réformes, surtout au sein de l'Éducation nationale. Elles peuvent être perçues de façon ingrate, et en général, on ne se souvient que des aspects controversés. Je crois qu'il est important de souligner que, pendant cinq ans, avoir le même ministre a été bénéfique, surtout quand on considère que cinq ministres différents se sont ensuite succédés en une seule année.
Nous vous avons senti sur la défensive, à juste titre. Lorsque la délégation a décidé de lancer cette mission d'information, ce sujet était déjà sur la table depuis trois ans. Il n'est donc pas une réaction à votre réforme, mais davantage une observation générale. Dans le milieu scientifique, et plus particulièrement sur le plateau de Saclay, on ressentait déjà un déclin du domaine scientifique par rapport à d'autres pays.
J'identifie cependant, dans le contexte actuel, une opportunité de récupérer certains chercheurs américains et de faire revenir certains de nos chercheurs expatriés, bien qu'il faille les rémunérer de manière appropriée !
Mais au-delà de cette question, nous nous intéressons à la manière dont nous pourrions favoriser la réussite des femmes scientifiques et ingénieures, leur permettre de concilier carrière et vie personnelle, et leur offrir les moyens d'atteindre les plus hauts niveaux dans les établissements publics. Il est évident que plus la pyramide monte, plus elle se resserre pour elles.
Le sujet est vaste. Vous avez souligné l'importance d'avoir des modèles. Je pense que, tout comme les grandes écoles font leur possible pour inciter les jeunes filles, dès le lycée ou même le collège, à se tourner vers les mathématiques, nous devons trouver des modèles pour attirer des professeurs de mathématiques. Nous observons malheureusement un désintérêt pour la profession d'enseignant, notamment dans ces filières. Aujourd'hui, nous acceptons presque tous les candidats qui se présentent au concours, mais ce n'est pas suffisant. J'aimerais connaître votre avis sur la question, car je sais qu'avant de quitter votre ministère, vous aviez exploré des pistes pour permettre à des personnes en reconversion professionnelle, notamment des ingénieurs ou des scientifiques, de se tourner vers l'enseignement et de devenir professeurs de mathématiques. Cette voie pourrait être explorée pour combler ce déficit.
Je fais partie des stéréotypes, mais je l'assume pleinement. J'ai redoublé ma troisième, en commençant avec une moyenne de 0,5 en mathématiques, et en terminant à 3,5. Mon professeur a eu la gentillesse de souligner les progrès réalisés, tout en reconnaissant qu'il subsistait des lacunes importantes. Aujourd'hui, je suis fière de me retrouver sur le plateau de Saclay, où des scientifiques émérites évoluent.
Il pourrait être intéressant d'explorer quelques pistes pour enrichir le vivier de talents. L'Éducation nationale étant souvent perçue comme un système assez fermé, nous pourrions réfléchir à des moyens d'ouvrir de nouvelles perspectives dans ce domaine.
Par ailleurs, nous avons été interpellées par le constat d'une sociologue concernant le déterminisme dès le plus jeune âge. C'est sur ce point qu'il serait pertinent de concentrer nos efforts, notamment en ce qui concerne le cadre scolaire. Prenons, par exemple, un exercice classique de géométrie pour les élèves de primaire, en CE1 ou CP. Lorsque cet exercice est proposé, les filles réussissent moins bien que les garçons. Pourtant, si cet exercice est présenté comme une activité de dessin, les filles ont tendance à mieux performer.
Cela montre bien à quel point l'implication des parents peut être déterminante. Nous pensons que ce constat mérite d'être souligné dans notre rapport, car le déterminisme se construit en grande partie à la maison. Nous avons observé que parmi celles qui réussissent dans les études scientifiques, beaucoup ont été influencées par des modèles familiaux forts, tels que des mères ou des grands-mères ayant poursuivi des carrières scientifiques. Il est vrai que certaines se sont orientées vers des carrières scientifiques en réaction à ce modèle, mais il est également apparu que de nombreux exemples de réussite féminine dans ce domaine étaient en lien avec ces modèles familiaux. Ce déterminisme est un facteur que nous souhaitons mettre en évidence. Il faut intervenir dès l'école primaire et le collège pour initier ce changement.
M. Jean-Michel Blanquer. - Vous le savez, je suis résolument favorable à l'extension du jeu d'échecs à l'école. Pour être tout à fait précis, cette initiative a débuté en Guyane. Je tiens à rendre hommage à un professeur des écoles, Monsieur Daniel Bore, qui a sans doute été celui qui a appliqué de la manière la plus approfondie les préconisations relatives au jeu d'échecs. En tant qu'instituteur isolé dans un petit village amérindien sur l'Oyapock, il a réussi à transmettre à l'ensemble de la population locale sa passion pour ce jeu. Certains jeunes amérindiens et amérindiennes ont même eu l'opportunité de participer à des championnats en Europe. C'était une véritable aventure humaine, au travers du jeu d'échecs, par laquelle il a su allier enracinement culturel et ouverture au monde de manière remarquable.
Cette expérimentation a démontré les immenses vertus éducatives du jeu d'échecs, et a contribué à en faire, pour moi, une référence, que ce soit à Créteil, à la DGESCO ou en tant que ministre. J'ai moi-même oeuvré pour faire vivre des étapes d'élargissement de ce programme. Je suis convaincu que de nouvelles étapes peuvent encore être franchies à l'avenir.
Évoquer la généralisation de cette pratique est quelque peu délicat, car il est difficile d'imposer une telle approche. Toutefois, encourager une incitation généralisée à l'adopter me semble tout à fait envisageable, y compris dans le cadre des activités périscolaires, où de grandes avancées peuvent être réalisées. Michel Noir ou Garry Kasparov se sont longuement penchés sur ces sujets. Leurs conclusions corroborent parfaitement vos propos.
Il est également important de souligner que le jeu en général peut tenir un rôle déterminant dans ce processus. Il est fondamental, non seulement pour l'enfant, mais aussi pour l'adulte. La manipulation concrète d'objets, qui fait partie de la pédagogie Montessori, est également au coeur des recommandations de l'association « La Main à la pâte » et du modèle de Singapour. Ce principe est inscrit dans les travaux du Conseil scientifique de l'Éducation nationale. Ce dernier devrait d'ailleurs prochainement se pencher sur ces sujets pour démontrer leur pertinence, avec pour objectif de les intégrer dans l'ensemble du système éducatif. L'extension du jeu d'échecs pourrait également s'accompagner d'autres initiatives, comme les jeux de l'esprit en général, notamment le bridge, le go ou les dames. Le jeu d'échecs pourrait ainsi devenir la locomotive d'une approche pédagogique basée sur l'apprentissage par le jeu, une méthode extrêmement vertueuse.
Madame la sénatrice Laure Darcos, vous m'interrogiez quant au recrutement des professeurs de mathématiques, il s'agit là d'un problème mondial. Je rappelle ici ce que j'ai précédemment mentionné : « il vaut mieux 990 000 heures bien faites qu'1 million d'heures mal utilisées ». La ressource en enseignants est rare. Nous devons donc l'utiliser de manière optimale. De plus, il est primordial de travailler en amont pour enrichir cette ressource. Ce défi se pose différemment en fonction des régions de France, mais dans les zones où la tension est la plus forte, il est crucial de favoriser les reconversions professionnelles. Ce type de reconversion est d'ailleurs déjà en place. J'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux ingénieurs qui se tournent vers l'enseignement. Il existe aussi des initiatives, comme l'association « Le Choix de l'École », qui propose aux jeunes diplômés des universités et grandes écoles de devenir enseignants contractuels pendant quelques années. Certains d'entre eux passent ensuite les concours. Dans tous les cas, ce sont des jeunes avec un très bon niveau en mathématiques qui se retrouvent dans les écoles. Cette démarche mérite d'être institutionnalisée. L'État pourrait la soutenir afin de permettre à des jeunes de se lancer dans l'enseignement des mathématiques pendant quelques années, un peu comme un service civique, tout en contribuant à l'enrichissement de la profession.
Enfin, pour ce qui concerne le premier degré, des initiatives telles que les parcours professionnels pour les professeurs des écoles (PPPE) ont également été mises en place. Si vous en avez l'opportunité, je vous encourage vivement à visiter les lieux où elles existent, y compris là où elles ont vu le jour et se développent actuellement, notamment sur la montagne Sainte-Geneviève. Vous pouvez également vous rendre au lycée Léon Blum à Créteil. Elles ont un impact réel, d'autant plus que la réforme de la formation des enseignants n'est pas encore entièrement finalisée. Je suis convaincu qu'il serait pertinent de s'inspirer de ce qui se fait là, en tant qu'avant-garde, pour nourrir la future réforme que je soutiens pleinement et que j'aurais souhaité mettre en oeuvre si nous avions eu les ressources budgétaires nécessaires. En ce qui concerne les secondes carrières, de nombreuses actions peuvent encore être entreprises.
Il est clair que les enjeux du déterminisme se jouent dès les premières années de scolarité et au sein même des familles. Il s'agit d'un domaine dans lequel nous pouvons mettre en place une politique que je qualifierais d'« intégrale », visant à libérer les filles de certaines inhibitions dès leur plus jeune âge. Je suis convaincu que cet objectif est tout à fait à notre portée et qu'il représente un véritable enjeu pour la société. Je sais que je n'ai pas besoin de vous convaincre sur ce point.
En définitive, je ne me trouve par sur la défensive, mais j'estime que nous devons adopter une posture offensive en considérant que l'objectif est parfaitement clair, que les moyens pour l'atteindre sont relativement évidents, et que la situation ne s'est pas détériorée au cours des dernières années. Au contraire, elle s'est orientée dans la bonne direction.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le Ministre. Je pense qu'il est effectivement crucial de travailler sur ces biais de genre, notamment dès le cours préparatoire. Comme nous l'avons souligné, lorsque les exercices sont de nature géométrique, les filles échouent, alors qu'elles réussissent quand il s'agit du même exercice présenté comme une activité de dessin. Cette expérience démontre qu'il existe un biais et que ce phénomène est principalement lié à des préjugés inconscients. Il est évident que l'école joue un rôle central dans ce processus, comme l'a illustré l'absence d'aggravation de ce fossé durant la crise covid, lorsque les élèves étaient à la maison. La formation des enseignants est primordiale à ce titre. Il est essentiel de travailler également sur ces biais inconscients.
Je retiens particulièrement l'idée du jeu d'échecs. Je me souviens qu'en tant que maire, j'avais pris soin d'intégrer le jeu d'échecs dans les activités périscolaires. Ce jeu permet non seulement de renforcer la concentration des élèves, mais il a également de nombreux effets positifs sur leur développement scolaire.
Je suis tout à fait d'accord avec vous concernant l'idée d'une politique globale et intégrée. C'est d'ailleurs ce modèle que nous envisageons de découvrir lors de notre visite au Portugal, où une approche inclusive des sciences a été adoptée pour l'ensemble de la population. Une telle politique touchant l'ensemble de la société bénéficie évidemment également aux filles. Je vous remercie encore, Monsieur le Ministre.
Jeudi 10 avril 2025
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Table ronde avec des représentants de grandes écoles
Mme Dominique Vérien, présidente. - Chers collègues, Mesdames, Messieurs, nous recevons ce matin un panel de représentants et représentantes des directions de grandes écoles scientifiques nationales, parmi les plus prestigieuses du pays.
Cette table ronde s'inscrit dans le cadre de nos travaux sur la thématique « Femmes et sciences », qui visent à identifier les leviers d'action permettant de donner aux filles et aux femmes toute leur place dans les parcours et carrières scientifiques, alors qu'elles ne représentent encore qu'un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs en France.
Cette sous-représentation féminine dans les études et carrières scientifiques, que ce soit dans le domaine de l'ingénierie, de la recherche, de l'informatique ou du numérique, est la conséquence d'une insuffisante orientation des filles vers les filières et spécialités scientifiques au lycée puis dans les études supérieures, mais aussi de différences de représentations et de résultats entre filles et garçons dès l'école primaire, en particulier en mathématiques, voire même dès le cours préparatoire.
En 2023, la France ne comptait ainsi que 13 % d'étudiantes universitaires diplômées dans les domaines des Sciences, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM), contre 40 % d'étudiants diplômés. Par ailleurs, près de la moitié des filles élèves de terminale n'avaient choisi aucun enseignement de spécialité en sciences contre 28 % des garçons.
Comme le rappelait Sylvie Retailleau, ancienne ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, lors de son audition par la délégation le 27 mars dernier : « en 2010, nous avions 27 % de filles diplômées d'un titre d'ingénieur. En 2022, nous sommes passés à 29 %. À ce rythme-là, on atteindrait la parité dans les écoles d'ingénieurs en 2150 au moins ! »
Dès lors, il nous a semblé important, avec les quatre rapporteures Marie-Do Aeschlimann, Jocelyne Antoine, Laure Darcos et Marie-Pierre Monier, présentes à mes côtés, de recevoir ce matin des représentants et représentantes de plusieurs grandes écoles scientifiques, que ce soit dans le domaine de l'ingénierie ou celui de la recherche, pour faire le point sur la présence des filles au sein de leurs écoles, ainsi que sur les actions qui existent et sur celles à mettre en place pour les encourager à poursuivre des études scientifiques.
Je précise que cette table ronde fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.
J'ai le plaisir d'accueillir, par ordre alphabétique :
• Dominique Baillargeat, vice-présidente de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs et directrice de l'école 3iL Ingénieurs ;
• Denis Bertrand, directeur de l'École supérieure des techniques aéronautiques et de construction automobile (ESTACA) ;
• Joël Cuny, directeur général de l'École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie (ESTP) ;
• Romain Soubeyran, directeur de Centrale-Supélec ;
• et Emmanuel Trizac, président de l'École normale supérieure (ENS) de Lyon, qui interviendra en visioconférence.
Avant de vous laisser la parole, j'aimerais soumettre à votre appréciation quelques points déjà évoqués devant notre délégation par nos précédents interlocuteurs :
• tout d'abord, la question de la pertinence de quotas pour accélérer la mixité dans les études scientifiques : que ce soit au moment des concours d'entrée dans les écoles d'ingénieurs et les ENS ou, en amont, pour l'intégration dans les classes préparatoires en sortie de bac ;
• également, la mise en place de bourses ou d'allocations spécifiques pour encourager les jeunes femmes à s'engager dans des parcours scientifiques (c'est le cas par exemple de l'ENS-PSL qui a mis en place en 2023 des bourses « femmes et sciences » pour les étudiantes recrutées en mathématiques, physique et informatique, par le biais du concours normalien étudiant, ainsi que de l'ENS Rennes qui a annoncé fin février 2025 des « allocations normaliennes » pour les jeunes femmes boursières admises dans le cursus de formation informatique) ;
• enfin, l'importance d'une réelle politique de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) mise en oeuvre au sein des écoles : en effet, d'après un rapport publié par l'Unesco fin octobre 2024 et qui concerne l'ensemble des pays du G20, plus de 40 % des femmes qui étudient dans le domaine des STIM déclarent avoir été victimes de comportements sexistes.
Pour évoquer l'ensemble de ces sujets, je me tourne dans un premier temps vers Dominique Baillargeat, vice-présidente de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs et directrice de l'école 3iL Ingénieurs.
Mme Dominique Baillargeat vice-présidente de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs et directrice de l'école 3iL Ingénieurs. -Le rôle de l'ingénieur en France revêt une importance capitale pour le développement économique de notre pays. Nous manquons d'ingénieurs. Si nous parvenons à élargir notre vivier de talents en y intégrant davantage de femmes, nous y gagnerons à bien des égards -- en termes de créativité, d'innovation, mais aussi par tout ce que la mixité peut apporter de bénéfique.
Je suis actuellement vice-présidente de la CDEFI -- la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs. Il s'agit de l'une des deux conférences institutionnelles représentatives des établissements d'enseignement supérieur qui forment les ingénieurs en France. Cette institution défend et promeut les intérêts des quelque 200 écoles d'ingénieurs françaises auprès des pouvoirs publics. Elle oeuvre également à valoriser les métiers de l'ingénierie et les formations qui y mènent. Elle formule en outre des recommandations sur l'évolution de ces formations afin de répondre aux attentes et besoins du secteur industriel, ainsi qu'aux grands enjeux auxquels la France est aujourd'hui confrontée.
À l'échelle nationale, nous recensons environ 200 écoles d'ingénieurs, qu'elles soient publiques ou privées, rassemblant près de 250 000 étudiants dans l'ensemble des formations proposées. Parmi eux, environ 200 000 suivent un cursus d'ingénieur en trois ou cinq ans. Seulement 30 % de ces élèves sont des femmes.
Ce déséquilibre traduit une sous-représentation persistante des femmes dans les filières dites STIM -- sciences, technologies, ingénierie et mathématiques -- en grande partie imputable à des stéréotypes encore ancrés dans les processus d'orientation scolaire. Les jeunes filles sont moins incitées que leurs homologues masculins à s'engager dans des études scientifiques et techniques, notamment dans les domaines de l'ingénierie et du numérique.
La CDEFI est partenaire de l'enquête Gender Scan, dont les résultats sont édifiants. En 2025, plus de 40 % des étudiantes actuellement en école d'ingénieurs déclarent avoir été dissuadées, à un moment ou à un autre, de s'orienter vers les filières STIM. Ces réponses nous invitent à nous interroger : combien d'autres auraient pu nous rejoindre si elles n'avaient pas été découragées ? Ce constat est d'autant plus préoccupant dans un contexte de pénurie d'ingénieurs.
L'enquête identifie trois principales sources de découragement :
• les enseignants, qui demeurent des prescripteurs décisifs dans les choix d'orientation : la culture et les compétences scientifiques des jeunes filles sont encore insuffisamment reconnues et valorisées, et elles sont moins encouragées à se tourner vers les domaines techniques ;
• l'influence du cercle amical : les pairs jouent un rôle non négligeable, et on observe malheureusement une persistance, voire un renforcement, des biais genrés chez les plus jeunes ;
• l'entourage familial qui continue d'exercer une influence marquée.
Là où les garçons sont souvent félicités pour leurs talents, les jeunes filles, elles, sont plus fréquemment complimentées pour leurs efforts. Cette situation génère, chez bon nombre de jeunes femmes, un sentiment de doute, menant fréquemment à des mécanismes d'autocensure. Elle constitue un frein réel à leur orientation vers les filières scientifiques et techniques.
L'enquête révèle par ailleurs que 56 % des étudiants inscrits dans des formations numériques, et 32 % dans d'autres filières relevant des STIM (hors numérique), déclarent avoir subi des formes de découragement liées à leur genre.
Heureusement, certains résultats sont porteurs d'espoir. Tout d'abord, 96 % des étudiantes actuellement en école d'ingénieurs se déclarent satisfaites de leurs études.
Ensuite, la lutte contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuels (HVSS) a largement progressé, entre autres par le biais du dispositif « Ingénieuses ». Ainsi, 76 % des jeunes femmes engagées dans des parcours liés au numérique en ont aujourd'hui connaissance, contre seulement 27 % en 2021. Dans les autres filières STIM, ce taux est passé de 20 % à 78 %. Cette évolution est très encourageante.
Par ailleurs, les données montrent que les jeunes femmes manifestent un intérêt pour les sciences à un âge plus tardif que les garçons. Nous comprenons ici que nous devrions développer cette appétence bien plus tôt.
La désaffection des filles pour les filières scientifiques trouve largement son origine dans les stéréotypes de genre, qui s'enracinent dès le plus jeune âge, se perpétuent à l'adolescence et influencent profondément les trajectoires scolaires et professionnelles.
Ces stéréotypes, majoritairement véhiculés dans l'environnement scolaire, contribuent au maintien des inégalités d'orientation. Une étude conduite en 2005, puis renouvelée en 2013, a mis en lumière des tendances identiques : les jeunes filles se disent davantage attirées par la lecture et le français, tandis que les garçons expriment une préférence pour les mathématiques et les activités sportives. Ce constat, recueilli dès l'école primaire, demeure inchangé au fil du temps.
Un autre facteur à prendre en compte réside dans la formation des enseignants du premier degré, qui sont généralement plus à l'aise avec les disciplines littéraires qu'avec les matières scientifiques. Cette orientation pédagogique contribue à un moindre développement des compétences scientifiques dès le plus jeune âge.
Il convient également de mentionner le rôle central des familles dans la transmission, et parfois la reproduction, de choix d'orientation très traditionnels, en particulier dans les milieux les moins favorisés. Les écarts selon l'origine sociale restent, à ce titre, très marqués.
Enfin, les loisirs jouent un rôle tout aussi structurant : qu'il s'agisse des jouets, des lectures proposées, des contenus des manuels scolaires ou encore des jeux vidéo, les représentations genrées y sont omniprésentes. Les figures masculines y sont souvent dépeintes comme athlétiques, sportives, tandis que les figures féminines sont associées à l'émotion ou aux sentiments.
En conséquence, les femmes demeurent sous-représentées dans les filières STIM, ce qui alimente un sentiment d'infériorité, chez les jeunes filles, et limite leur projection vers ces carrières pourtant porteuses.
Il convient également de souligner le poids du sexisme ordinaire, qui marginalise ou infériorise les femmes au travers de paroles, d'attitudes ou de comportements, souvent perçus comme anodins, mais dont l'accumulation rend la situation particulièrement pesante et complexe à vivre.
Bien entendu, les femmes sont présentes dans les disciplines scientifiques en France. Toutefois, leur reconnaissance demeure faible, tout comme leur visibilité. Dans les médias, elles sont peu nombreuses à intervenir pour évoquer les sciences, ce qui complique considérablement l'identification pour les jeunes filles. Cette invisibilité constitue un obstacle supplémentaire à leur projection dans ces carrières.
Par ailleurs, le niveau en mathématiques à tous les stades de la scolarité obligatoire a chuté. Plusieurs études, tant nationales qu'internationales, convergent vers ce constat. En plus d'un recul du niveau moyen, on observe également une diminution inquiétante du nombre d'élèves les plus performants. Il s'agit donc d'un affaiblissement général.
Les évaluations menées, notamment à travers l'étude PISA ou celles de la Direction de l'Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) du ministère, mettent en lumière une plus grande anxiété des filles face aux mathématiques, ainsi qu'une moindre confiance dans leurs capacités à réussir dans cette discipline. Ces disparités apparaissent dès les premières années de la scolarité : les filles obtiennent des résultats légèrement inférieurs dès le CE1, et leur représentation parmi les meilleurs élèves diminue progressivement au collège, jusqu'à se traduire par une orientation plus faible vers les filières STIM.
Par ailleurs, on relève une forte méconnaissance de ce qu'est réellement le métier d'ingénieur, souvent perçu comme un domaine uniforme alors qu'il recouvre une grande diversité de spécialisations. Cette méconnaissance se double d'une catégorisation genrée très marquée des filières : certaines spécialités, telles que le numérique, ne comptent que 18 % de femmes, tandis que d'autres, comme la chimie, la biologie ou le génie civil, atteignent parfois jusqu'à 70 %. Ces écarts traduisent une répartition inégale profondément ancrée.
Cependant, cette situation n'est nullement une fatalité. Dans plusieurs pays, la proportion de femmes ingénieures est nettement plus élevée. Cette différence peut s'expliquer par plusieurs facteurs culturels et structurels. Dans ces contextes, les sciences et l'ingénierie sont perçues comme neutres du point de vue du genre ; il n'existe pas de représentation culturelle dominante selon laquelle ces disciplines seraient réservées aux hommes. De plus, l'enseignement scientifique y est valorisé dès le plus jeune âge, de manière égalitaire. Mathématiques, technologies et sciences sont enseignées de manière indifférenciée aux filles et aux garçons, ce qui favorise une meilleure identification et un sentiment de légitimité chez les jeunes filles.
En outre, les professions liées aux STIM jouissent d'un certain prestige social. Elles sont perçues comme permettant des carrières prometteuses, offrant une stabilité professionnelle et constituant un levier d'ascension sociale, tant pour les femmes que pour les hommes. Dans certaines régions, comme en Afrique du Nord, ces métiers permettent à de nombreuses femmes d'acquérir une indépendance économique. On peut également évoquer le cas de la Pologne, où l'héritage du modèle communiste a longtemps favorisé l'égalité dans le domaine du travail et dans l'accès à l'éducation. Dans ce contexte, la participation des femmes à la vie économique était encouragée et valorisée.
Ainsi, répétons-le, l'inégale répartition des femmes dans les filières scientifiques et techniques n'est pas une fatalité.
Au sein de la CDEFI et de nos établissements, qui rassemblent près de 200 écoles, de nombreuses initiatives ont été mises en place pour lutter contre l'autocensure des jeunes femmes et déconstruire l'approche genrée des métiers. Plusieurs leviers complémentaires ont été identifiés afin de favoriser une meilleure représentation des femmes dans les filières scientifiques et techniques.
Le premier levier est celui du récit inspirant, ou storytelling. À travers l'événement « Ingénieuse », la CDEFI valorise chaque année les parcours de jeunes étudiantes et de femmes ingénieures. Cette initiative vise à offrir des figures de rôle accessibles, à travers la remise de prix récompensant des parcours remarquables, afin de susciter l'adhésion et l'envie chez les plus jeunes.
La CDEFI est également partenaire de l'initiative Tech pour toutes, un appel à manifestation d'intérêt piloté par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA). L'objectif de ces actions est clair : démontrer que les études et les carrières scientifiques sont pleinement accessibles aux femmes, et encourager les jeunes filles à envisager ces parcours comme des espaces possibles d'épanouissement personnel et professionnel.
Des actions concrètes sont également menées sur le terrain, notamment dès le collège, grâce à des dispositifs comme Cap Ingénieuse. Ce programme de long terme, souvent déployé sur deux ou trois ans, permet à des élèves ingénieurs et à des membres du personnel pédagogique d'intervenir auprès de publics variés afin de sensibiliser à l'importance d'une représentation équilibrée dans ces métiers. Ces initiatives contribuent à briser les stéréotypes de genre et à instaurer une culture plus inclusive.
Il apparaît par ailleurs essentiel d'agir sur les supports pédagogiques : les manuels scolaires continuent, pour beaucoup, de véhiculer des représentations stéréotypées. Une révision de ces contenus est donc nécessaire pour offrir à toutes et à tous la possibilité de s'identifier aux disciplines scientifiques. Je me permets de témoigner personnellement : les manuels que j'ai utilisés au lycée sont, à bien des égards, identiques à ceux d'aujourd'hui - un constat pour le moins surprenant.
Former les enseignants et les personnels en charge de l'orientation est également une priorité. Actuellement, l'orientation au lycée est principalement assurée par des enseignants qui, bien souvent, ne sont ni formés à cet exercice, ni sensibilisés à la question de la mixité dans les filières. Pourtant, l'orientation constitue la première inégalité de genre dans le parcours scolaire.
Les parents représentent un autre levier d'action important. Il est essentiel de mieux les informer sur les débouchés offerts par les carrières scientifiques, de leur présenter des modèles féminins de réussite, et de les aider à projeter ces réussites sur leurs propres enfants. Montrer la diversité des métiers, leurs perspectives professionnelles, mais aussi les niveaux de rémunération, peut contribuer à changer les représentations familiales.
Enfin, il convient de multiplier les opérations de communication pour promouvoir nos formations, de renforcer les dispositifs de tutorat et de marrainage, d'introduire l'enseignement de l'égalité dans les cursus, et de lutter dès le plus jeune âge contre le harcèlement, les violences sexuelles et sexistes. Ces violences apparaissent bien en amont de la vie universitaire, parfois dès le collège, voire plus tôt. Il est donc indispensable d'agir en amont pour que les jeunes filles puissent envisager les disciplines scientifiques comme des espaces accueillants et valorisants.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour ce tableau très complet, sur lequel nous reviendrons tout à l'heure.
Je vais désormais laisser la parole à Denis Bertrand, directeur de l'ESTACA.
M. Denis Bertrand, directeur de l'École supérieure des techniques aéronautiques et de construction automobile (ESTACA). - Merci de me laisser m'exprimer sur un sujet si fondamental, tant pour l'avenir de nos écoles que pour celui de notre pays. En effet, derrière cette question se profile un enjeu crucial : celui de notre capacité à former, en nombre suffisant, les ingénieurs dont la France a besoin. Or, nous en manquons chaque année - et ce déficit se chiffre en milliers, voire en dizaines de milliers de diplômés.
Je ne suis pas issu du monde académique ni de l'enseignement supérieur au sens classique du terme. J'ai effectué l'essentiel de ma carrière au sein de la Marine nationale, que j'ai quittée il y a quelques mois avec le grade de vice-amiral. J'ai eu la chance d'être nommé à la direction de l'ESTACA, cette grande école d'ingénieurs spécialisée dans les techniques aéronautiques et la construction automobile.
Ce parcours m'apporte un regard neuf sur les enjeux auxquels nous faisons face. Tout au long de ma carrière militaire, j'ai tout de même été directement impliqué dans le développement des talents : que ce soit à travers l'enseignement à l'École navale, la responsabilité du Master 2 se déroulant à bord du porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, ou encore dans la gestion des carrières et des recrutements. J'ai ainsi été confronté, au sein de la Marine, à la question de l'attractivité des métiers auprès des femmes, dans un environnement perçu comme très technique, masculin, voire guerrier. Il nous a fallu repenser nos modes de communication, de recrutement et de gestion des carrières pour rendre ce milieu plus accessible et plus accueillant pour les filles, dans une logique d'égalité des chances.
L'ESTACA est un établissement spécialisé dans les domaines du transport et de la mobilité, comptant des filières en aéronautique, automobile, spatial, ferroviaire, et, depuis trois ans, en génie naval. C'est une école de passionnés, centenaire, qui demeure privée, indépendante. Comme le dit son slogan, elle a pour ambition d'être en avance sur son temps depuis 100 ans. Elle s'est engagée très radicalement dans l'évolution des transports durables, la transition énergétique, les mobilités intelligentes et connectées. Nous accueillons chaque année environ 500 étudiants directement après le baccalauréat, auxquels s'ajoutent environ 120 élèves issus des classes préparatoires.
Depuis son rachat en 1969 par ses anciens élèves, l'ESTACA est une association de loi 1901, à but non lucratif, indépendante, labellisée ESPIG (établissement d'enseignement supérieur privé d'intérêt général) : tous les résultats financiers sont réinvestis dans l'établissement, au profit exclusif des étudiants. D'ailleurs, j'aime rappeler à ces derniers - devenus alumni dès leur quatrième année - qu'ils sont, en quelque sorte, mes employeurs.
L'école est régulièrement confrontée, de manière très directe, à la problématique de l'attractivité des jeunes femmes. Cette difficulté repose sur deux constats : d'une part, la proportion de filles dans les filières scientifiques au lycée demeure faible ; d'autre part, l'imaginaire collectif associé à nos domaines d'expertise - la voiture, l'avion, le bateau - renvoie une image fortement genrée, perçue comme très masculine.
Les écoles d'ingénieurs recrutent, par définition, parmi des profils à dominante scientifique, où les femmes sont malheureusement encore en minorité. Dès lors, notre mission ne saurait être de renverser cette dynamique en amont, mais bien d'agir pour en atténuer les effets. Nous puisons dans un vivier déjà restreint, ce qui rend notre action d'autant plus stratégique.
Les jeunes filles représentent aujourd'hui environ 38 % des élèves de terminale ayant choisi l'option mathématiques, couplée à une autre spécialité scientifique. Il s'agit du vivier principal auquel nous nous adressons lors de nos campagnes de recrutement. Toutefois, parmi celles qui choisissent de poursuivre dans l'enseignement supérieur scientifique, nombre d'entre elles s'orientent vers des filières telles que la chimie, les sciences de la vie ou l'agroalimentaire, où elles constituent environ 60 % des effectifs. À l'autre extrémité du spectre, les filières en lien avec la mécanique, les transports, l'électricité ou encore l'informatique n'accueillent qu'entre 15 et 22 % de jeunes femmes.
L'ESTACA appartient au concours commun Avenir, qui regroupe plusieurs écoles d'ingénieurs. Or, seuls 22 % des candidats à ce concours sont des candidates. Pire encore, une fois le concours réussi, la proportion de jeunes filles qui choisissent effectivement de s'inscrire dans nos écoles diminue : parmi les 22,3 % de lauréates, seules 19,8 % s'inscrivent dans un des établissements du concours Avenir. Nous pouvons l'expliquer par le fait qu'elles passent également d'autres concours en parallèle et optent pour des établissements perçus comme plus accueillants.
À l'ESTACA, en raison notamment d'une certaine inertie et d'une image encore très marquée par la mécanique, les jeunes femmes ne représentent qu'environ 15 % de nos diplômés. D'autres écoles du concours, comme les écoles d'ingénieurs ECE ou EPF, attirent proportionnellement davantage d'étudiantes. Ce poids de l'histoire et des représentations continue de peser, et nous nous y attaquons avec détermination. Mais force est de constater que la proportion de jeunes filles dans nos rangs reste insuffisante.
Je me permets ici un parallèle avec mon ancienne vie d'officier de la Marine. Je me souviens parfaitement du moment où le chef d'état-major décida d'ouvrir les carrières embarquées aux femmes, en parallèle de l'admission à l'École navale. Son message était clair : « Nous ne pouvons pas nous priver des talents de la moitié d'une classe d'âge. » Tel est le défi qui se présente à nous aujourd'hui.
Pour y répondre, nous agissons dans plusieurs directions. L'une des plus récentes porte sur une réflexion approfondie autour de notre concours, et de son caractère véritablement égalitaire - ou non - selon que l'on soit une candidate ou un candidat. En effet, les données montrent que les jeunes filles ont, en moyenne, un dossier scolaire meilleur que celui de leurs homologues masculins : elles se classent autour de la 3 700e place sur près de 10 000 candidats, contre la 4 800e place pour les garçons. Pourtant, lors des épreuves écrites, leurs résultats sont moins bons que ceux des garçons, inversant partiellement cette tendance : elles atteignent en moyenne la 4 000e place, contre la 3 500e pour les garçons.
Conscients de cet écart, nous avons lancé, au sein du concours Avenir, un groupe de travail en collaboration avec des experts externes, afin d'étudier les causes de cette disparité et de réfléchir à une évolution du concours vers une plus grande équité entre les sexes.
Je tiens à souligner à ce titre l'expérimentation conduite actuellement par l'EPF, membre du concours Avenir. Grâce à ses statuts spécifiques, cette école a pu mettre un concours distinct, exclusivement réservé aux jeunes filles, en parallèle de la voie d'admission classique. Les candidates peuvent ainsi choisir entre la voie mixte, qui demeure largement majoritaire, ou cette nouvelle voie spécifique. Nous suivons cette initiative avec beaucoup d'attention, car elle pourrait constituer une piste de transformation significative. Cette expérimentation porte le nom de ParityLab.
Un second axe de réflexion concerne la nature même des épreuves du concours Avenir. Comme vous le savez peut-être, de nombreuses études se sont penchées sur les différences de comportement entre filles et garçons face à certains types d'épreuves. Le concours Avenir repose en grande partie sur des questionnaires à choix multiples, réalisés dans un temps très limité. Il apparaît que ce format tend à désavantager les jeunes filles, malgré un niveau scolaire moyen souvent supérieur à celui de leurs homologues masculins.
Cette observation alimente des réflexions autour de la pondération entre les résultats scolaires et les épreuves écrites, ainsi que sur l'introduction éventuelle d'autres modalités d'évaluation.
Parallèlement, l'ESTACA mène de nombreuses actions pour renforcer son attractivité auprès des jeunes femmes. Une part importante de ces initiatives vise à valoriser la place des femmes dans les filières scientifiques et techniques. L'école est ainsi membre fondateur de l'association Elles bougent, créée en 2005, dont le nom - un clin d'oeil à l'univers des transports - fait écho à l'identité même de l'ESTACA. Cette association regroupe aujourd'hui de nombreux partenaires industriels, parmi lesquels Airbus, PSA, SNCF ou Dassault. Elle a pour vocation de favoriser les rencontres entre collégiennes, lycéennes, étudiantes et femmes ingénieures dans les secteurs des transports et de l'énergie, afin de susciter des vocations.
Ce travail se traduit concrètement par de nombreuses interventions dans les établissements scolaires, s'appuyant sur le principe du marrainage. Plus de 5 000 marraines sont aujourd'hui mobilisées dans cette dynamique, intervenant à l'occasion de salons professionnels, de visites de sites industriels, ou encore lors d'événements dédiés aux jeunes filles.
L'ESTACA est également membre de l'association Femmes Ingénieures, fondée en 1982, qui oeuvre à mieux faire connaître les métiers de l'ingénierie auprès des jeunes, en particulier des jeunes filles. Mon adjointe, Anne De Cagny, directrice Veille et Stratégie à l'ESTACA, y joue un rôle moteur en tant que vice-présidente. Elle y entraîne naturellement l'école dans de nombreuses actions de sensibilisation : remises de prix, festivals, interventions dans les établissements scolaires, témoignages, ateliers, rencontres informelles, etc.
Par ailleurs, l'ESTACA fait partie du groupe ISAE, réseau d'écoles d'ingénieurs aéronautiques, aux côtés notamment de SUPAERO et SUPMECA, et participe, depuis 2024, à l'opération « Féminisons les métiers de l'aéronautique et du spatial », pilotée par AéroMétiers. Nos étudiantes et nos salariés prennent part à des actions de sensibilisation auprès de collégiennes et lycéennes, organisées sur des sites variés : aéroports, bases aériennes, Salon du Bourget, etc.
Notre engagement s'inscrit également dans un ancrage territorial. L'ESTACA est présente à Saint-Quentin-en-Yvelines, à Laval et, depuis deux ans, à Bordeaux. Dans la Mayenne, nous sommes membres de l'association Femmes et Sciences 53, et contribuons aux rencontres organisées dans les collèges et lycées locaux. Enseignantes, chercheuses et étudiantes de l'ESTACA participent activement à ces échanges, souvent accompagnés de la diffusion de portraits vidéo inspirants, réalisés à cette occasion.
Nous sommes également engagés aux côtés de l'association Industri'Elles, qui oeuvre à la promotion des métiers scientifiques et techniques auprès des jeunes filles. Nos étudiantes, nos enseignantes, nos chercheuses et nos alumni sont mobilisées dans ces actions de marrainage, à Laval notamment, à travers des événements tels que Métiers scientifiques et techniques au féminin. Leur rôle est essentiel pour incarner, relayer et enrichir cette démarche d'ouverture et d'égalité.
Je souhaite également souligner l'importance des associations étudiantes au sein de l'ESTACA. Elles constituent l'une des plus belles vitrines de notre établissement, tant elles sont nombreuses, dynamiques et investies dans des projets scientifiques et techniques de haut niveau. Qu'il s'agisse de l'électrification de véhicules pour participer à des compétitions internationales, de la tentative de battre des records d'altitude avec des fusées étudiantes, ou encore de l'invention d'un vélo-rail, ces initiatives témoignent de l'excellence et de l'engagement de nos élèves.
Ces associations sont naturellement mixtes. Elles mettent en avant la participation active des étudiantes à leur gouvernance et à leurs projets. Fonctionnant avec une autonomie complète, elles gèrent elles-mêmes la communication, les levées de fonds, les partenariats industriels, et l'ensemble des dimensions logistiques et stratégiques de leurs activités.
L'association Pégase oeuvre dans le champ de la vulgarisation scientifique, en intervenant dans des écoles primaires et des collèges pour éveiller les plus jeunes - filles comme garçons - aux filières scientifiques. J'ai récemment assisté à une cérémonie de remise de prix qu'elle a organisée à l'ESTACA. Ce moment fut particulièrement inspirant, car ces actions touchent des enfants qui, sans provenir de milieux défavorisés à proprement parler, sont certainement éloignés des parcours d'excellence. Bien souvent, leurs parents n'imaginent pas spontanément qu'ils puissent un jour embrasser des carrières scientifiques.
Je ne m'attarderai pas sur l'ensemble des autres actions de communication que nous menons, telles que nos partenariats avec la Cité des sciences et de l'industrie, qui nous permettent notamment de participer aux Journées Femmes Ingénieures.
Toutes ces démarches traduisent une volonté affirmée d'agir en amont, afin de susciter des vocations. J'en suis intimement convaincu : les correctifs que nous pouvons apporter une fois que les trajectoires sont déjà tracées, à l'entrée dans le supérieur, ne peuvent agir qu'à la marge. C'est bien plus tôt, au collège et au lycée, qu'il faut intervenir.
Cela n'exclut bien entendu pas les autres chantiers, et notamment celui, fondamental, de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Dans chacun de nos établissements, des référents discriminations ont été désignés. Nous avons mis en place des actions de sensibilisation obligatoires dès la rentrée pour l'ensemble de nos étudiants, notamment sous la forme d'ateliers et de forums en petits groupes. Ces moments de partage, ancrés dans des situations concrètes, permettent de libérer la parole, de nourrir le débat et de co-construire des solutions.
Nous organisons également, avec l'appui de l'association étudiante RHEA - Rassemblement pour l'Humain, l'Environnement et l'Avenir - des événements spécifiquement destinés aux filles. Ces rencontres favorisent le développement de liens entre étudiantes, facilitent les échanges avec nos diplômées, et nourrissent un sentiment d'appartenance à un réseau solide et bienveillant.
Je suis bien conscient que cet inventaire à la Prévert ne saurait constituer une politique à lui seul. Mais il témoigne d'un engagement fort, et d'une conviction partagée quant à la nécessité d'agir à la fois en amont et au sein même de nos écoles, pour attirer, fidéliser et accompagner au mieux nos étudiants - filles comme garçons - dans leur entrée dans la vie professionnelle.
Je conclurai par un point symbolique mais fondamental : celui de l'exemplarité. L'ESTACA, fondée il y a cent ans, présente aujourd'hui une gouvernance engagée en ce sens. Notre directoire, composé de cinq membres bénévoles, compte deux femmes, représentant respectivement les filières navale et ferroviaire. Le comité de direction de l'école, que je préside, est quant à lui paritaire.
Nos actions montrent-elles des résultats ? Aujourd'hui, 15 % de nos diplômés sont des jeunes femmes. Ce chiffre peut sembler modeste. Pourtant, il témoigne d'une progression sensible, puisqu'elles n'étaient que 8,5 % en 2010. Le rythme reste lent, comme l'évoquait Madame Retailleau, mais il reflète une volonté constante. Et, au-delà des convictions personnelles que l'on peut avoir sur ce sujet, il en va de l'avenir même de nos écoles et de leur capacité à former les ingénieurs de demain.
Et ces efforts commencent à porter leurs fruits : nous avons été lauréats de plusieurs distinctions, notamment le Challenge Ingénieuses organisé par la CDEFI, pour lequel nous avons reçu un prix spécial en 2024. En 2025, nous avons également été classés troisièmes dans un palmarès réalisé par Choose My Company, concernant l'indice de bien-être et d'épanouissement des jeunes filles au sein des écoles d'ingénieurs.
Bien entendu, ce type de classement mérite d'être considéré avec un certain recul, dans la mesure où il repose sur des questionnaires soumis aux étudiantes, auxquels les établissements peuvent choisir ou non de participer. Néanmoins, il s'agit pour nous d'une réelle source de satisfaction : voir que les jeunes filles que nous accueillons expriment un sentiment de bien-être et de satisfaction quant à leur parcours nous conforte dans les actions entreprises.
Je conclurai par une anecdote significative. Lors de l'inauguration de notre campus agrandi à Laval - dont la superficie a été doublée - en janvier dernier, la présidente de région, présente pour l'occasion, s'adressait aux jeunes filles qu'elle croisait, leur posant deux questions : « Pourquoi avez-vous choisi cette école ? » et « Pourquoi n'êtes-vous pas plus nombreuses ? » Une jeune fille, présidente d'une association étudiante oeuvrant à la construction d'un bateau à foil particulièrement innovant, lui a répondu ceci : « Au lycée, je ne me sentais pas à ma place, nous n'étions que trois filles dans la classe. Ici, à l'ESTACA, tout se passe très bien. Nous sommes pleinement investies dans nos associations et dans nos études. »
Je souhaite réaffirmer avec force ma conviction : l'effort doit non seulement être poursuivi, mais renforcé. Les écoles d'ingénieurs ont un rôle fondamental à jouer dans cette dynamique, mais elles ne peuvent qu'atténuer, à la marge, des déséquilibres structurels qu'il faut commencer à corriger bien plus en amont.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup. Je me tourne vers Joël Cuny, directeur général de l'ESTP, école que je connais très bien pour en être moi-même issue, tout comme mon mari et mon beau-frère. Deux de mes neveux ont quant à eux étudié à l'ESTACA. Je suis donc bien entourée et me sens ici en terrain connu.
J'ai eu l'occasion de rencontrer Monsieur Cuny il y a quelque temps à l'occasion du Forum de l'ESTP, au cours duquel il m'avait présenté les actions engagées par l'établissement. C'est avec un grand plaisir que je l'ai invité à venir les partager avec nous aujourd'hui.
M. Joël Cuny, directeur général de l'École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie (ESTP). - En ma qualité de représentant de l'ESTP et de l'Union des Grandes Écoles Indépendantes, dont font partie 3iL ainsi que l'ESTACA et l'ESTP, je tiens à souligner notre engagement commun. Cette union regroupe 38 établissements, incluant des écoles de management, des écoles d'arts créatifs, et 21 écoles d'ingénieurs. Nous représentons la qualité de l'enseignement privé indépendant d'intérêt général, dûment évalué et reconnu par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous accueillons au total 110 000 étudiants.
Les écoles privées indépendantes représentent 25 % des écoles d'ingénieurs et forment 35 % des ingénieurs.
Ensuite, l'ESTP compte 31 % d'étudiantes, un chiffre qui, bien que situé au-dessus de la moyenne, reste modeste au regard de l'ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés. Nous évoluons dans un secteur fortement genré, dominé par des représentations et des biais. Nous nous efforçons, avec une approche proactive, d'augmenter la part des femmes dans nos établissements.
Il y a quelques semaines, nous avons eu l'occasion de visiter une école d'ingénieurs en chimie à Lyon, qui comptait 75 % d'étudiantes. Au sein de ce secteur, certaines écoles s'avèrent être des modèles exemplaires en termes de féminisation, alors que d'autres peinent à atteindre de tels résultats. Il conviendrait de s'interroger sur les clés de ce succès, au-delà des biais qui, certes, existent. Quels leviers pouvons-nous actionner pour favoriser une plus grande mixité ?
Permettez-moi de faire part d'une certaine déception quant à l'engagement collectif, bien que je sois pleinement convaincu de la dynamique présente ici. Nous sommes aujourd'hui présents à vos côtés non seulement pour partager ces enjeux, mais aussi pour les traduire en actions concrètes. Je souhaiterais également mettre en avant l'implication des associations d'anciens élèves, telles que ESTP au Féminin, qui mène une action spécifique au sein de la communauté alumni de l'ESTP, mais également celle des entreprises, qui s'interrogent de plus en plus sur la question de la mixité. De nombreuses sociétés nous sollicitent pour nouer des partenariats dans le cadre de formations accompagnées, tout comme les fédérations professionnelles.
Le secteur des travaux publics, en particulier, se distingue par son engagement dans la féminisation des métiers. Nous sommes en effet très actifs sur ce sujet, à travers deux axes essentiels : l'attractivité et le parcours de carrière. Ce dernier point n'a pas été abordé aujourd'hui, mais il est tout aussi important. Un autre débat, qui mériterait d'être ouvert, concerne la représentation des femmes dans les comités de direction et les comités exécutifs. À cet égard, la loi Rixain du 24 décembre 2021, qui impose des quotas, illustre un engagement concret. Les quotas permettent de fixer des indicateurs précis et contraignent les entreprises à suivre de près leur évolution en matière de parité.
Il est essentiel de suivre et de surveiller l'évolution de la situation à travers des chiffres objectifs, plutôt que par le prisme de la perception. L'introduction de quotas permet à chacun de fixer des objectifs précis et de suivre cette évolution. Une question qui se pose désormais concerne les classes préparatoires et les concours d'ingénieurs : faut-il y introduire des quotas ? Je pense que nous sommes confrontés à une problématique fondamentale liée à l'attractivité générale du secteur. En effet, nous devons attirer davantage d'étudiants.
Il est envisageable que nous formions entre 10 000 et 15 000 ingénieurs supplémentaires chaque année, ce qui met en lumière l'enjeu crucial de l'attractivité. La question des quotas se pose de manière différente selon qu'il s'agisse d'écoles particulièrement sélectives ou de celles qui, bien que collectivement engagées, forment les ingénieurs nécessaires à l'industrialisation et à la réindustrialisation, dans le cadre de projets prioritaires pour notre pays.
Ensuite, je ressens une certaine déception, car l'évolution des chiffres, bien que progressive, reste insuffisante. En 1991, nous n'avions que 11 % d'étudiantes à l'ESTP. Leur nombre a été multiplié par 3 en 35 ans. Si cela peut être considéré comme un succès, il est cependant évident qu'il reste encore un long chemin à parcourir. Pour atteindre la parité, nous estimons qu'il nous faudra encore une vingtaine d'années, soit jusqu'en 2050.
Je crains néanmoins que nous ayons atteint une forme d'asymptote, ou que la réforme du bac, loin de contribuer à une meilleure équité, ait généré des effets contre-productifs. En effet, les premières promotions, en particulier celles qui sont entrées dans l'enseignement supérieur, ont fait face à des choix complexes. La réforme a conduit davantage de jeunes filles à ne pas opter pour les séries scientifiques, ce qui a freiné la progression observée auparavant. En conséquence, les efforts fournis pour améliorer la situation ont été largement annulés.
L'argument selon lequel le secteur du BTP, par exemple, atteint 30 % d'étudiantes, mériterait d'être nuancé. Il est important de considérer les détails au sein de cette moyenne. L'ESTP forme des étudiants tout au long de la chaîne de valeur de la construction, incluant à la fois l'immobilier, le bâtiment, les travaux publics, l'énergie, les géodonnées, la maintenance et l'exploitation. Il apparaît clairement que la répartition n'est pas équilibrée : dans les travaux publics, la proportion d'étudiantes se situe autour de 20 %, voire en dessous, tandis que dans le bâtiment, elle atteint 40 %. Cette disparité mérite d'être analysée.
Je suis fermement convaincu que l'hybridation des formations, plutôt que la spécialisation précoce, constitue une réponse pertinente. À 18 ans, il me semble prématuré de forcer un choix. Si la classe préparatoire impose une certaine orientation, celle-ci reste néanmoins très spécialisée (MP, PC, PSI, etc.). L'ouverture à des études scientifiques plus générales apparaît donc comme une voie d'égal accès aux diverses disciplines, offrant une véritable opportunité d'orientation future.
Pourquoi ces résultats, me demanderez-vous ? Depuis 2002, nous avons mis en place des parcours alliant à la fois l'architecture et l'ingénierie, des parcours dits « architecte-ingénieur » et « ingénieur-architecte ». Ces parcours sont particulièrement intéressants, car ils favorisent une parité, voire une proportion de 60 % d'étudiantes pour 40 % d'étudiants. Je suis convaincu que cette hybridation est une approche fondamentale pour atteindre une véritable mixité. À mon sens, il est impératif de fusionner les domaines de l'ingénierie et de l'architecture, mais il subsiste des difficultés pour faire reconnaître ces diplômes. Il nous a fallu surmonter de nombreux obstacles pour faire reconnaître ces parcours, qui relèvent de deux ministères distincts. Nous sommes persuadés que c'est une manière efficace d'attirer davantage d'étudiantes. Un parallèle peut être dressé avec la réforme du bac STI 2D, qui a permis de transformer le bac F4 de génie civil pour valoriser le secteur de la construction.
D'autres évolutions sont envisageables, telles que l'ouverture de la construction et du bâtiment aux domaines du génie civil et du génie écologique. Ce sont des enjeux dans lesquels l'ESTP est pleinement engagé, notamment en ce qui concerne les nouveaux usages, les modes de vie, la conception et la transition écologique. Ce sont là des axes qui devraient revêtir une forte capacité d'attraction.
Par exemple, je soutiens pleinement l'initiative du cercle des femmes de l'immobilier, qui défend l'idée selon laquelle celles et ceux qui conçoivent nos habitats, nos usages et nos villes de demain doivent refléter la diversité de celles et ceux qui les habiteront. La logique de cette démarche est implacable.
Concernant l'attractivité, nous avons abordé de nombreux sujets, et en particulier les biais issus de l'enfance. Cependant, je dirais que l'enjeu commence dès l'école primaire, au collège et au lycée, dans les choix d'orientation des élèves et dans leur orientation vers l'enseignement supérieur. Cette dynamique s'étend jusqu'au doctorat. Il est également pertinent de se poser la question de la féminisation des écoles doctorales.
À ce sujet, la représentation féminine dans le corps enseignant joue un rôle déterminant dans les résultats. En effet, lorsque l'une de nos collaboratrices est responsable pédagogique d'un programme, les résultats sont généralement meilleurs que lorsqu'il s'agit d'un collaborateur masculin. Il est donc important que notre corps professoral reflète cette diversité.
Dans l'école doctorale de Paris-Est Sup, 46 % des doctorants sont des femmes, tandis que 54 % sont des hommes. Cependant, si l'on se concentre sur des disciplines spécifiques telles que les mathématiques, ce pourcentage de femmes chute à seulement 28 %. Ce phénomène est récurrent et souligne l'importance de l'engagement collectif de tous les acteurs, notamment en ce qui concerne les actions menées en amont de l'enseignement supérieur.
Je souhaite maintenant revenir sur la réforme du bac, qui mérite également une attention particulière. Je me suis penché sur certains chiffres concernant la répartition des baccalauréats scientifiques. Dans les années 1990, on comptait 70 % d'hommes et 38 % de femmes parmi les bacheliers scientifiques. Cette proportion a peu changé au fil des années, bien qu'une certaine évolution ait eu lieu jusqu'aux années 2000-2020.
En 2020, 63 % des bacheliers généraux étaient issus de la filière scientifique, et parmi eux, 44 % étaient des hommes. En reconstituant les statistiques sur les baccalauréats scientifiques en prenant en compte les matières telles que les mathématiques, la physique, les sciences de la vie et de la Terre (SVT) et la chimie, il ressort qu'en 2020, 41 % des bacheliers scientifiques étaient des hommes, contre 17 % de femmes.
Cette baisse est globale, mais elle est particulièrement marquée chez les étudiantes. Comment réagir face à cette évolution ?
Mme Dominique Vérien, présidente. - Il s'agit là d'un débat important, que nous avons eu avec Jean-Michel Blanquer, l'ancien ministre de l'éducation nationale. Nombreuses étaient les jeunes filles qui suivaient des parcours scientifiques, comme en série S ou en série C, sans s'orienter dans le domaine des sciences après le bac. Elles choisissaient d'autres disciplines, telles que le droit ou Sciences Po, mais elles étaient dirigées vers ces filières scientifiques en raison de leurs bonnes performances académiques, ce qui leur offrait une véritable ouverture. Ainsi, existe-t-il véritablement une perte d'opportunités après le bac ?
Mme Dominique Baillargeat. - Oui, en termes de connaissance : désormais, nous ne disposons plus des enseignements de spécialité que nous avions auparavant. De ce fait, nous avons été contraints de nous réinventer. En ce qui me concerne, j'accueille des étudiants post-bac, et lorsqu'ils ne possèdent pas les bases en physique, nous devons recommencer l'enseignement depuis les fondamentaux. Il me semble que les classes préparatoires et ceux qui les accueillent pourront en parler plus en détail. Elles ont également remodelé leur approche pédagogique. Nous sommes dans l'obligation de nous adapter, au prix d'une diminution de nos exigences. Ce que nous accomplissions auparavant en deux ans, nous devons maintenant le réaliser tout en incluant des prérequis supplémentaires.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous n'avons pas perçu ce point. Jean-Michel Blanquer nous indiquait que le niveau en mathématiques avait augmenté, mais il est en effet compliqué de rejoindre une de vos écoles en ayant suivi cette matière, mais pas la physique, par exemple.
M. Joël Cuny. - Nous reviendrons peut-être sur ces chiffres, mais un effet a bel et bien été constaté. De mémoire, après la première session du nouveau baccalauréat, nous avons observé une diminution de quelques pourcents d'étudiantes dans l'enseignement supérieur scientifique, que ce soit en classe préparatoire, dans nos formations ou au sein de nos écoles d'ingénieurs.
Mme Dominique Vérien, présidnete. - Les avez-vous retrouvés après ?
M. Joël Cuny. - Non.
Sans paraphraser ce qui a déjà été dit, je souhaiterais apporter quelques éclairages complémentaires concernant la tolérance zéro face aux violences, ainsi qu'aux comportements sexistes et discriminatoires. Il s'agit véritablement d'un engagement collectif.
Dominique Baillargeat a évoqué des résultats extrêmement encourageants en ce qui concerne la connaissance du dispositif mis en place. Cependant, bien que les statistiques indiquent une évolution positive en termes d'identification des événements, elles restent encore insuffisantes à mon sens.
Cet engagement ne saurait être négociable. C'est une responsabilité fondamentale que nous devons assumer pleinement. Bien sûr, ce n'est pas le seul facteur à prendre en compte, mais il est essentiel de l'intégrer à un ensemble de démarches. Il me semble pertinent de dresser un parallèle avec certains secteurs, comme celui de la médecine, qui a connu une féminisation importante, et sur lequel il serait intéressant de faire le lien avec la situation actuelle.
Ainsi, je considère que la tolérance zéro vis-à-vis des violences n'est pas une cause suffisante à elle seule, mais elle est une condition sine qua non pour garantir l'accueil et l'accompagnement de nos jeunes filles dans nos écoles en toute sécurité. Il est indéniable que la violence, même si elle peut se manifester dans les deux sens, reste majoritairement le fait des hommes. Nous devons traduire cette réalité par un engagement affirmé, qui doit être porté tant par des femmes que par des hommes.
Par ailleurs, les femmes portent cet engagement, mais les hommes doivent également prendre une part active dans ce combat pour la mixité.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour votre intervention. Nous y reviendrons.
Je vais sans plus tarder laisser la parole à Romain Soubeyran, directeur de Centrale-Supélec, qui a mis en place, fin 2023, un plan stratégique sur dix ans pour recruter davantage de femmes et d'élèves issus de milieux modestes.
M. Romain Soubeyran, directeur de Centrale-Supélec. - Merci pour cette invitation et pour l'attention que vous portez à ce sujet. Il constitue un véritable enjeu, notamment pour toutes les écoles d'ingénieurs, et en particulier pour nous à Centrale-Supélec. Lorsque je parle de « nous », je fais référence non seulement à la direction, mais aussi au conseil d'administration, aux élèves eux-mêmes et aux anciens élèves.
Pourquoi ce problème est-il si significatif pour nous ? Depuis mon arrivée à la direction de Centrale-Supélec il y a six ans et demi, nous oscillons entre 17 et 21 % de femmes parmi nos élèves du cycle ingénieur. Nous recrutons après la classe préparatoire, et nous accueillons des promotions de 1 000 élèves. Lors des années plus favorables, nous avons atteint 21 % de femmes, mais l'an passé, ce taux s'élevait à 20 %, et en 2023, à seulement 17 %. Il est insatisfaisant pour plusieurs raisons.
D'abord, il soulève une question morale d'égalité et d'équité. Nous laissons passer une quantité importante de talents féminins, alors même que la France connaît une pénurie d'ingénieurs, un problème largement documenté. Il pose aussi un problème d'adéquation avec les besoins du monde socio-économique. Aujourd'hui, les entreprises sont fortement demandeuses de femmes ingénieures. Ce n'était pas le cas dix ans plus tôt. Nous ne répondons pas encore à cette demande, alors que notre rôle est justement de satisfaire les besoins du secteur. Enfin, des promotions plus équilibrées en termes de genre ont également l'avantage de créer un environnement plus stable et performant, avec une meilleure dynamique de groupe et moins de dérives, notamment au sein de la vie de campus.
C'est un problème qui existe depuis longtemps, un enjeu que nous traitons parallèlement au sujet de l'ouverture sociale.
Dans notre plan stratégique 2023-2032, nous avons l'ambition de doubler le nombre de nos diplômées, mais pas en augmentant simplement la taille de notre formation d'ingénieurs, sans quoi nous ne changerions pas le flux global. Nous comptons doubler ce flux en recrutant des talents internationaux via des bachelors et des masters of science internationaux, qui les attirent en France et les mettent en relation avec nos entreprises. Nous recrutons après le bac ou son équivalent dans d'autres pays, ce qui nous permet de mieux contrôler le contenu des cursus.
Nous avons ouvert nos premiers bachelors en 2023 et prévoyons d'en ouvrir deux autres à la rentrée 2025. En 2024, nous avons accueilli 43 % de femmes dans nos masters of science et bachelors, sans recourir à la discrimination positive, mais uniquement sur la base de la qualité des dossiers. Nous avons fixé un objectif dans notre plan stratégique : atteindre 30 % de femmes parmi nos diplômés d'ici 2032. Il peut sembler modeste, mais il demeure ambitieux au regard de nos taux actuels de 17 à 20 % de femmes dans le cycle ingénieur.
Cependant, malgré l'attrait que suscitent nos bachelors et masters of science, qui offrent des diplômes de très haute qualité, nous avons aussi pour volonté d'augmenter la proportion de femmes dans le cycle ingénieur. Pour y parvenir, nous avons mis en place plusieurs plans successifs depuis 2019, axés sur trois grands objectifs. Le premier relève de l'attractivité dès le lycée. Nos associations étudiantes organisent des actions de sensibilisation auprès des élèves défavorisés. Une association est spécifiquement dédiée à l'accompagnement des jeunes femmes. Environ 1 500 collégiens et lycéens, issus des environs de Centrale-Supélec, bénéficient chaque année de ces initiatives.
Celles-ci sont louables, mais demeurent insuffisantes. Nous nous sommes donc interrogés rapidement sur ce que nous pouvions entreprendre, et avons mis en place un « summer camp ». Ce camp d'été se déroule sur notre campus début juillet et vise à accueillir le plus grand nombre possible de lycéennes et lycéens, qui, après avoir terminé leur seconde, s'apprêtent à entrer en première. Ces élèves présentent de bons résultats scientifiques, et le groupe est équilibré à 50 % de femmes et 50 % d'hommes, ainsi qu'à 50 % de boursiers et 50 % de non-boursiers. Les non-boursiers financent les boursiers.
Ce modèle économique nous permet de garantir un équilibre. Il nous restait 900 chambres vacantes pendant l'été, réservées pour l'accueil des élèves de première année en septembre, ce qui nous a permis de concevoir un dispositif d'accueil très vaste pour ces élèves de seconde, en amont de leur entrée en première. L'objectif était d'améliorer l'orientation de ces jeunes et de leur fournir des informations qu'ils n'auraient pas obtenues autrement. Toutefois, après un an d'expérimentation, nous avons dû faire face à des obstacles administratifs qui rendent l'hébergement de mineurs dans les résidences étudiantes plus complexe. Grâce au soutien total du préfet, j'ai réussi à obtenir l'autorisation d'accueillir deux promotions de 75 élèves. Chaque année, ce sont donc 150 lycéennes et lycéens qui participent à cette semaine sur notre campus, où nous avons la possibilité de les éclairer sur leur avenir.
Ce summer camp ne se limite pas à la région de Centrale-Supélec, mais recrute des élèves venant de toute la France, en particulier de la France périphérique, souvent ignorée. Ces jeunes viennent de lycées où la prépa leur est complètement inconnue, et il est rare qu'ils y rencontrent des pairs venant de ces milieux.
Par ailleurs, afin d'améliorer la visibilité de notre établissement, nous avons lancé une campagne sur la plateforme vidéo Brut, un média très populaire parmi les jeunes, en parfaite adéquation avec les codes de leur génération. L'année dernière, nous avons investi dans six vidéos, axées spécifiquement sur les filles et les élèves issus de milieux défavorisés. Cette campagne a généré 9,5 millions de vues, un chiffre largement supérieur à celui convenu initialement. Pour la première fois, nous avons eu le sentiment d'atteindre un large public, et nous envisageons déjà de renouveler cette campagne, bien que son coût soit relativement élevé. Elle semble avoir eu un impact systémique notable.
Le premier axe de notre stratégie concerne donc l'attractivité au lycée, avec toutes les actions possibles pour sensibiliser et orienter les élèves. D'autres initiatives ont également été mises en place, mais leur développement serait un peu long à détailler. Par exemple, en collaboration avec le rectorat, nous avons organisé une journée d'accueil pour 50 professeurs de l'Académie de Versailles, afin de leur présenter les classes préparatoires et les métiers d'ingénieur. Un questionnaire de sortie a permis de constater que ces concepts étaient complètement inconnus pour beaucoup de ces professeurs. Il est dès lors difficile de s'attendre à ce qu'ils fournissent des informations appropriées aux élèves. Nous avons organisé cette journée pour l'Académie de Versailles, l'École des Ponts l'a fait pour l'Académie de Créteil, et celle des Mines s'apprête à le faire pour l'Académie de Paris. Par la suite, nous avons tenu une réunion de débriefing avec le rectorat sous l'égide des inspecteurs d'académie, très impliqués dans ce sujet. Nous espérons élargir et pérenniser cette initiative à l'échelle nationale.
Ainsi, le premier grand axe demeure l'attractivité au lycée, un sujet que d'autres collègues ont déjà souligné comme étant majeur. Le deuxième axe consiste à favoriser l'intégration des femmes à Centrale-Supélec. Cette démarche commence par le concours d'entrée. Dès 2019, nous en avons mené une analyse approfondie afin d'identifier les biais éventuels et les leviers sur lesquels nous pourrions agir pour améliorer la présence féminine.
En résumé, les garçons réussissent légèrement mieux dans les matières scientifiques, tandis que les filles obtiennent de meilleurs résultats dans les matières littéraires. Ce constat nous a conduit à une réflexion sur l'augmentation du coefficient du français au concours. Ce point demeure complexe. Le conseil d'administration se prononcera à ce sujet en juin, mais il est difficile de prédire si cette proposition sera adoptée. Quoi qu'il en soit, l'impact de cette mesure serait marginal : si nous parvenons à intégrer cinq ou six filles supplémentaires, ce serait déjà un grand succès. Il existe peu de leviers au niveau du concours, tel qu'il est actuellement organisé.
Pour attirer davantage de femmes à Centrale-Supélec, il est essentiel de proposer des cursus plus attractifs. Certaines disciplines en ingénierie sont très genrées. Par exemple, dans le domaine de l'agronomie, les femmes représentent 65 à 70 % des effectifs. Le secteur du BTP semble également relativement attractif pour elles. En revanche, nous nous positionnons sur des sciences de l'ingénieur plus classiques et traditionnelles, telles que la mécanique, l'électronique, et l'informatique. Les domaines numériques, en particulier, sont plutôt perçus comme répulsifs pour les femmes. Nous ne sommes donc pas particulièrement bien positionnés dans ce domaine.
Afin d'attirer davantage de femmes, nous avons développé une politique de double diplôme avec Chimie ParisTech, des écoles d'agronomie et Sciences Po. Ces offres s'adressent à l'ensemble des élèves, tout en répondant spécifiquement à la demande de certaines étudiantes. Nous leur donnons la possibilité de se spécialiser dans des domaines comme la chimie ou l'environnement, domaines dans lesquels nous ne disposons pas d'un niveau de laboratoire aussi développé. En élargissant ainsi les possibilités offertes par notre cursus, nous cherchons à rendre notre école plus attractive.
Nous avons également mis en place un système de bourses et d'allocations spécifiques, particulièrement destiné aux femmes issues de milieux défavorisés. Ces bourses, dites Sébastienne Guyot, équivalent à 8 000 euros par an pendant trois ans, et sont financées par des entreprises. Nous en attribuons entre cinq et dix chaque année, en fonction de ce que nous parvenons à obtenir de nos partenaires. Elles viennent compléter les aides du Crous. Par ailleurs, grâce à notre Fondation, nous nous assurons qu'aucun étudiant, qu'il soit homme ou femme, ne manque de ressources financières pour poursuivre ses études. À chaque fois qu'un problème financier est signalé, nous nous efforçons d'y répondre de manière appropriée.
Cependant, l'enjeu principal reste l'identification rapide des étudiants en difficulté financière. Malheureusement, nous avons souvent tendance à ne détecter ces problèmes qu'au moment où les résultats académiques chutent, parfois après que l'étudiant a commencé à travailler le dimanche matin pour subvenir à ses besoins.
Nous estimons devoir répondre aux besoins, mais nous ne mettons pas en place une politique selon laquelle une femme, même issue d'un milieu très favorisé, bénéficierait d'une allocation simplement en raison de son sexe. Nous ne suivons pas cette logique.
Enfin, l'idée des quotas ou des points de bonification au concours a été écartée par le conseil d'administration pour plusieurs raisons. Premièrement, nous craignons qu'elle ne génère un retour de sexisme au quotidien. Traditionnellement, la discrimination positive est absente de Centrale-Supélec, mais les filles ont souvent été confrontées à des remarques suggérant qu'elles étaient présentes dans l'établissement uniquement parce qu'elles étaient des filles, ce qui a régulièrement servi de support à des comportements sexistes. Deuxièmement, le fameux syndrome de l'imposteur, qui touche les garçons, est encore plus marqué chez les filles dans nos promotions. Des enquêtes et données statistiques le confirment. L'idée d'attribuer des points ou d'introduire des quotas risquerait de nuire à la confiance en soi des étudiantes. Notre objectif, au contraire, est de renforcer cette confiance et d'encourager celles qui en manquent à oser se lancer.
Un autre élément qui nous a poussés à écarter l'idée de quotas ou de points supplémentaires réside dans le rejet violent exprimé par de nombreuses étudiantes. Elles nous affirment que si de tels dispositifs de discrimination positive avaient existé, elles n'auraient pas intégré Centrale-Supélec, car elles souhaitent être reconnues pour leur mérite, et non en raison de leur genre.
Mme Laure Darcos, rapporteure. - En politique, nous avons dû en passer par là.
M. Romain Soubeyran. - La mise en place de quotas ne modifierait pas véritablement le flux des diplômés. Si nous attribuions des points supplémentaires pour les femmes, nous ferions peut-être en sorte que quelques étudiantes choisissent Centrale-Supélec plutôt qu'une autre école comme Centrale-Lyon, l'ENSTA ou Télécom. Le nombre total de diplômées n'augmenterait pas. Cette solution n'entraînerait pas de changement systémique. Les effets seraient donc minimes. En fin de compte, elle créerait de vifs débats et des tensions au sein des promotions pour un gain marginal, aboutissant à l'octroi d'un diplôme légèrement plus attractif pour quelques femmes, mais sans réel impact sur leur parcours.
Pour l'admission en classes préparatoires, certains professeurs soulignent que des quotas existent déjà. Les rectorats exigent des lycées qu'ils respectent des pourcentages de filles. Par exemple, dans une classe de mathématiques-physiques, 25 % des candidates avaient été admises, mais seulement 20 % étaient effectivement présentes à la rentrée. Ce phénomène s'explique par le fait que de nombreuses jeunes femmes, même en présentant de très bons dossiers scientifiques, choisissent finalement des voies comme la médecine ou Sciences Po, malgré leurs admissions en prépa. Ce phénomène soulève la question de la cohérence des quotas entre différentes formations : si l'on impose des quotas en prépa, il serait également pertinent de les introduire dans d'autres filières, comme la médecine, où de nombreuses jeunes femmes brillantes choisissent de s'orienter.
Le troisième axe concerne l'amélioration de la convivialité du campus pour les femmes. Il inclut une communication renforcée, avec des supports de communication adaptés, ainsi qu'un affichage valorisant des modèles inspirants, comme la présence systématique d'un parrain et d'une marraine lors des cérémonies de remise de diplômes. Le campus convivial passe aussi par un travail avec les associations étudiantes, afin de les encourager à inclure davantage de femmes dans leurs bureaux, notamment en veillant à ce qu'elles occupent des postes de présidence, et non uniquement des fonctions de secrétariat. La démarche engagée vise à inciter les femmes à occuper des rôles de leadership dans les grandes associations de l'école, dont l'engagement et l'importance sont particulièrement marqués.
Chaque année, nous avons une ou plusieurs présidentes dans des associations de grande envergure. La féminisation de ces associations a été activement encouragée par un dialogue continu avec les élèves. Nous avons mis l'accent sur ce travail avec les associations.
Ensuite, nous avons identifié la problématique des violences sexuelles et sexistes (VSS) dès 2019, en considérant l'importance d'offrir un espace où la parole puisse être librement exprimée. Ainsi, nous avons nommé une référente égalité femmes/hommes pour élaborer un plan et recueillir les témoignages. Une cellule psychologique a également été mise en place, composée de psychologues soumis au secret médical, afin d'assurer l'anonymat des témoignages. Cependant, nous avons constaté qu'aucun signalement n'était remonté, ce qui nous a amenés à établir un partenariat avec l'association France Victimes. Bien que coûteux, celui-ci visait à garantir une totale indépendance, en veillant à ce que les signalements soient traités par une entité extérieure. Malheureusement, il n'a pas permis de libérer davantage la parole, et aucun témoignage n'a été signalé.
Néanmoins, en mars 2021, le conseil d'administration a approuvé un premier plan égalité femmes/hommes, en particulier pour aborder la question des VSS, malgré l'absence de signalements. Ce plan incluait l'organisation d'une enquête annuelle auprès de tous les étudiants afin d'identifier les cas de VSS. Nous avons envisagé de réaliser cette enquête en interne, mais les étudiantes ont exprimé des réserves, nous précisant que si la direction en était responsable, les résultats risqueraient d'être minimisés. Nous avons donc confié sa réalisation à une association étudiante, qui l'a conduite chaque année depuis 2021, généralement entre juin et juillet. Cette enquête a rencontré un véritable succès médiatique en 2021.
Les résultats ont eu un impact considérable, non seulement en révélant des faits inattendus pour les étudiants, mais également en suscitant une prise de conscience au sein de l'école. Ils ont permis d'ouvrir un dialogue sur la manière de lutter plus efficacement contre le sexisme au quotidien. Nous avons insisté sur le fait que les comportements qui choquent le plus sont généralement liés à deux facteurs : le sexisme ordinaire, qui banalise l'infériorisation des femmes, et l'alcool, qui exacerbe souvent ces comportements. Ces deux enjeux constituent désormais des axes de travail prioritaires.
Jusqu'à ce point, il était difficile de lutter contre le sexisme quotidien, car il était souvent minimisé sous forme de « blagues » ou de comportements prétendument innocents. Cependant, la mise en évidence du lien entre ces comportements et l'alcool nous a permis de prendre le sujet davantage au sérieux et de faire des progrès notables. Depuis, nous poursuivons cette enquête chaque année. Bien que les résultats soient encourageants, avec une diminution progressive des signalements, nous restons prudents dans leur interprétation. En effet, ces résultats concernent un échantillon de répondants relativement faible (moins de 20 %), ce qui soulève la question : est-ce dû à un manque de signalements ou à l'absence de problèmes significatifs, ce qui expliquerait le faible intérêt à répondre à un questionnaire sur un sujet non vécu comme problématique ?
Nous restons très prudents dans l'analyse des chiffres, bien qu'ils indiquent des progrès encourageants, ce qui nous incite à poursuivre nos efforts. Il est essentiel d'adopter une politique de prévention forte. Ainsi, lors du discours de rentrée, pour chaque promotion, je souligne la politique de tolérance zéro de l'école, précisant que tout signalement fait l'objet d'un article 40, et que l'école se constitue systématiquement partie civile dans les procédures judiciaires lorsque cela est possible. De plus, un amphithéâtre de sensibilisation est organisé pour les étudiants de première année. Ceux de deuxième année assistent à la projection d'un film réalisé par des élèves de notre campus de Metz, mettant en scène les conséquences d'un viol étudiant.
La question du sexisme quotidien a pu être abordée de manière plus ouverte, ce qui a libéré la parole. Pour la première fois, à partir de 2021, des signalements ont commencé à remonter, ainsi que des dépôts de plainte. Ce fut un changement radical, qui nous a permis de confronter la réalité des procédures juridiques, lesquelles présentent de nombreuses difficultés et ne nous aident pas toujours.
Pourquoi ? Tout d'abord, la lenteur de la justice rend impossible d'attendre une décision judiciaire avant d'agir. Ainsi, lorsqu'un signalement remonte, nous cherchons rapidement à évaluer la situation et prenons souvent une mesure conservatoire d'éloignement de la personne mise en cause. Ainsi, elle ne pourra accéder aux locaux de l'école que pour suivre les cours, devant les quitter immédiatement après, sans accès aux infrastructures communes ni aux associations, puisque celles-ci se trouvent au sein de l'établissement. Cette mesure immédiate, conservatoire et temporaire, peut être renouvelée tous les 30 jours.
Ensuite, une enquête administrative est menée, suivant la procédure définie par le ministère, avec la désignation de trois membres du personnel de l'école et, si possible, d'une personne extérieure pour interroger toutes les parties concernées et établir un rapport détaillant les faits et le contexte, ce qui n'est pas toujours simple en ce qui concerne les événements survenus en fin de soirée. À l'issue de l'enquête, le dossier est soumis à la section disciplinaire, composée d'élus, qui peut prononcer des sanctions allant de l'avertissement à l'exclusion définitive.
En fin d'année 2023, début d'année 2024, nous avons rencontré un cas où les présomptions pesaient contre l'accusé. Des mesures conservatoires avaient été prises et la section disciplinaire a décidé de l'exclure pour une durée de 24 mois, dont 6 avec sursis. L'objectif était d'éviter tout contact entre l'accusé et la plaignante. Cependant, cette décision a été annulée par le tribunal administratif, qui a jugé que l'enquête administrative ne devait pas être utilisée par la section disciplinaire. Cette dernière devait, selon le tribunal, réaliser un rapport d'instruction distinct. Cette décision rallonge considérablement la procédure et risque de décourager les victimes de se manifester. En effet, certains témoignages reçus indiquent que les victimes hésitent à signaler les faits ou à porter plainte, car le processus est trop éprouvant. L'ajout d'une enquête administrative, suivie d'une enquête judiciaire et d'un rapport d'instruction pour la section disciplinaire, envoie un signal négatif, selon elles. Cependant, cette procédure reste désormais nécessaire, en raison de la décision du tribunal administratif qui a annulé notre précédente démarche.
Nous ne bénéficions pas toujours du soutien nécessaire. À titre d'anecdote, nous avons eu un cas de dépôt de plainte, à la suite duquel une enquête a été menée. Une enquête administrative a été réalisée, et la procédure judiciaire a été lancée. J'ai moi-même été interrogé par la gendarmerie, et à cette occasion, l'officier en charge m'a informé que le juge n'était pas du tout satisfait. En effet, le mis en cause avait eu accès à certains éléments du dossier, ce qui lui a permis d'ajuster sa défense en fonction des informations obtenues. Il a eu accès à ces éléments dans le cadre de l'enquête administrative. Or, dans une telle procédure, il est nécessaire de notifier au mis en cause les raisons pour lesquelles il fait l'objet de cette enquête. Sinon, la situation deviendrait kafkaïenne. Si nous ne pouvons rien dire et que nous recevons une personne pour lui demander de s'expliquer sans lui indiquer les motifs de la suspicion, cela soulève un véritable problème. La question se pose donc : devons-nous divulguer certains éléments et conduire une enquête administrative dans un cadre aussi contraignant, ou bien éviter cette approche ? Il apparaît que les procédures juridiques nécessitent des améliorations pour traiter ce genre de sujet de manière adéquate. C'était le troisième point de notre réflexion, celui concernant la qualité de l'accueil sur le campus, ainsi que les sujets de travail et les préoccupations actuelles.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour cette intervention.
Enfin, je me tourne vers notre dernier intervenant de la matinée, connecté en visioconférence, Emmanuel Trizac, président de l'ENS Lyon, qui lui-même est très engagé dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
M. Emmanuel Trizac, président de l'École normale supérieure (ENS) de Lyon. - Merci pour cette invitation à aborder ce sujet important, qui m'est particulièrement cher.
L'ENS Lyon est l'une des quatre écoles normales supérieures : celle de la rue d'Ulm et celle de Rennes, celle de Paris-Saclay et celle de Lyon. Ces quatre établissements, tout en étant des grandes écoles par leur mode de recrutement, remplissent des missions similaires à celles des universités, en particulier dans les domaines de la formation et de la production de connaissances. Au sein de nos établissements, la recherche occupe une place centrale, étroitement liée à une formation de pointe. À Lyon, nous comptons ainsi douze départements disciplinaires qui couvrent l'ensemble des champs de la connaissance, ainsi qu'une trentaine d'unités de recherche, avec une valorisation marquée du doctorat. Il s'agit du débouché principal pour nos élèves.
Il existe deux voies d'accès principales aux écoles normales supérieures : un concours post-classe préparatoire, par lequel les élèves deviennent fonctionnaires stagiaires rémunérés, et une voie étudiante, à la fois pour des étudiants issus des classes préparatoires et des universités. Bien que suivant les mêmes études et préparant le même diplôme, les étudiants suivant cette seconde voie ne sont pas rémunérés.
Nos études sont longues. En effet, après les deux ou trois années préparatoires, le diplôme se prépare sur quatre ans, ce qui diffère de la structure classique des écoles d'ingénieurs qui prévoient trois années. Ce parcours comprend ensuite généralement trois années de doctorat, parfois davantage, ce qui conduit à un engagement de neuf à onze ans après le baccalauréat.
Je tiens aussi à souligner que, bien que le terme « science » soit souvent utilisé de manière restreinte, nous ne nions pas les critères et les méthodes scientifiques de nos collègues en sciences humaines et sociales. Je m'exprimerai principalement sur les domaines des mathématiques et de l'informatique, qui font l'objet d'une attention particulière dans notre établissement.
Permettez-moi de poser un constat : nous faisons face à un paradoxe frappant. D'un côté, au sein de nos laboratoires, nous comptons plusieurs mathématiciennes et informaticiennes parmi les plus remarquables au niveau national et international, telles qu'Alice Guionnet et Laure Saint-Raymond, deux des neuf académiciennes dans le domaine des mathématiques. Nous comptons aussi dans nos rangs la première femme à qui a été proposé un poste de professeure à Harvard, Sophie Morel, ce qui témoigne de notre compétitivité, même face aux meilleurs établissements aux États-Unis. Toutefois, parallèlement, nous constatons un véritable déficit de femmes à l'entrée de notre établissement.
Globalement, notre établissement présente une parité, avec un nombre égal d'hommes et de femmes parmi nos étudiants. Cependant, cette parité est en grande partie le résultat de la présence importante de femmes dans des disciplines telles que les langues, la littérature, les sciences humaines et sociales, qui compensent un déficit très marqué dans les sciences exactes et formelles.
Dans les classes préparatoires les plus sélectives au sein desquelles nous recrutons, environ 20 % des étudiants en mathématiques et informatique sont des femmes. Parmi ces 20 %, 16 % se présentent à nos concours.
Ce taux réduit conduit à une perte significative au fil des années. Au final, sur les deux voies en mathématiques et informatique, et sur les quatre années cumulées, nous comptons un peu moins de 10 % de femmes. L'année dernière, pour la rentrée 2024, nous sommes même tombés en dessous de 5 % dans le flux d'entrée. Les fluctuations peuvent être importantes en raison des petits effectifs, car une promotion en mathématiques et informatique pour les deux voies représente environ 60 étudiants. Néanmoins, cette situation soulève une alerte préoccupante. J'en viens maintenant à questionner les raisons de ce déficit.
Il existe à la fois des causes de long terme, profondément ancrées, et des facteurs plus conjoncturels. Lorsque nous abordons cette question, nous interrogeons les relations complexes entre genre, savoir et pouvoir, lesquelles conduisent à des orientations inégalitaires. Nous avons déjà largement évoqué les biais inconscients dont nous sommes toutes et tous porteurs en matière de genre, les stéréotypes et les idées reçues qui façonnent notre perception, ancrées dans notre socialisation, notre éducation et notre enfance. Ce sont des normes culturelles qui conditionnent nos comportements.
Pour résumer, les garçons sont valorisés dans des activités associées à la compétition et à la performance, y compris sur le plan conceptuel, des domaines proches de ceux des mathématiques et de l'informatique. À l'inverse, les filles sont davantage valorisées dans des activités axées sur la responsabilité, l'attention à l'autre et la sollicitude. Cette dichotomie influence non seulement la manière dont les femmes se perçoivent elles-mêmes, mais aussi la façon dont la société les perçoit et leur attribue des compétences, comme la capacité à diriger une équipe. Cette réalité conditionne de manière décisive les choix d'orientation vers certaines études et métiers.
De plus, ce phénomène tend à s'auto-renforcer, notamment dans des établissements comme le nôtre, où la faible présence de femmes dans ces disciplines crée un environnement dans lequel celles qui pourraient être intéressées à nous rejoindre ne se sentent pas bienvenues. Elles hésitent à poursuivre une voie perçue comme trop masculine, et se retrouvent souvent confrontées au syndrome de l'imposteur, qui nourrit ce sentiment d'inadéquation. Il convient également de souligner que les stéréotypes se manifestent plus intensément sous pression. L'écart entre la compétence des filles et leurs performances mesurées par les concours reflète bien cette dynamique.
Ce point est essentiel pour comprendre l'expression des stéréotypes dans des situations contraintes. Il affecte non seulement les candidates aux concours, mais aussi les membres des jurys, qui doivent prendre des décisions difficiles et irréversibles, en particulier dans le cadre des comités de sélection pour les postes d'enseignants-chercheurs. C'est aussi un enjeu majeur dans l'application des principes au travail. En résumé, il existe une inégalité d'accès à compétences égales, qui affecte particulièrement les femmes.
Enfin, il est essentiel de considérer la question de la visibilité des modèles féminins, qui souffre d'un véritable phénomène d'éclipse. Ce phénomène, que nous avons qualifié par le passé d'« effet Mathilda », désigne la minimisation des contributions des grandes scientifiques dans l'histoire. Un exemple notable est celui de Lise Meitner, physicienne pionnière dans le domaine de la fission nucléaire. Le prix Nobel a été attribué à son collaborateur, Otto Hahn, alors qu'elle en était également co-découvreuse. Cet exemple flagrant illustre le manque de reconnaissance accordée aux femmes scientifiques. Ce phénomène d'éclipse conduit à des asymétries de représentation importantes. Il est lié à la fois à l'histoire même des disciplines scientifiques et à la rareté des modèles féminins.
Parfois, les meilleures intentions peuvent se révéler contre-productives. Il existe notamment un effet repoussoir lié à la rhétorique de l'exceptionnalité. Bien que Marie Curie soit une figure extrêmement inspirante, et que nous lui témoignions un profond respect, il est possible que ce type de personnalités, mises en avant de manière excessive, finisse par intimider.
Par ailleurs, de manière plus conjoncturelle, je pense que l'impact de la réforme des programmes du lycée en 2020 mérite d'être souligné. La suppression des mathématiques dans le tronc commun et le fait d'anticiper le moment du choix ont malheureusement amplifié les stéréotypes et les biais inconscients.
Il est intéressant de noter que ces biais peuvent être mesurés. À cet égard, il existe des tests d'association implicite disponibles en ligne, particulièrement ceux proposés par l'université de Harvard, qui sont d'une grande utilité. Ces tests permettent de quantifier l'ancrage des stéréotypes dans nos perceptions. Je vous encourage vivement à les consulter, car ils sont particulièrement éclairants.
Pour conclure cette première partie consacrée aux constats et aux raisons sous-jacentes, j'aimerais citer une formule souvent employée par la sociologue des sciences et des inégalités sociales, Clémence Perronnet, qui, je trouve, est à la fois frappante et pertinente : « Les femmes ne s'autocensurent pas, mais les femmes sont censurées. » J'ai décrit quelques-uns des mécanismes par lesquels cette censure se manifeste. Il est donc grand temps de changer nos représentations et de mettre en oeuvre des politiques volontaristes et incitatives. C'est difficile, car il s'agit de remettre en question notre conception même des rapports sociaux.
Les raisons pour lesquelles il est nécessaire d'agir ont déjà été largement évoquées, et je ne reviendrai pas en détail sur ce point. Il s'agit avant tout d'une question d'équité.
Dans le prolongement des carrières en mathématiques, en informatique, dans les sciences et l'ingénierie, se joue également la question de la rémunération dès le début de la carrière, avec des écarts qui deviennent massifs dès l'entrée dans le monde professionnel. C'est une problématique importante qui interroge le développement même de notre société, et qui constitue, à une échelle plus modeste, une illustration des inégalités entre hommes et femmes.
Une autre raison d'agir réside dans l'efficacité et le dynamisme. Il est absurde de se priver de la moitié des cerveaux disponibles. Le talent n'a pas de genre, et nous avons besoin de toutes les compétences pour faire face aux défis qui se posent à nous, qu'il s'agisse du changement climatique, des avancées en physique quantique ou des enjeux de l'intelligence artificielle.
De plus, la présence des femmes dans les équipes de travail contribue à améliorer leur fonctionnement. Elle permet d'éviter certains biais dans les organisations, les procédures ou les protocoles expérimentaux. Je pense, par exemple, à un fait frappant : pendant longtemps, les tests d'airbags ont été effectués avec des mannequins de 80 kg et mesurant 1,80 mètre. Ce protocole était non seulement inadapté à la moitié de la population, mais il pouvait également se révéler dangereux. Il en va de même pour les tests de médicaments antiviraux, qui, pendant longtemps, ont été réalisés sur des cohortes majoritairement masculines.
Enfin, l'absence de femmes dans certains domaines contribue à alimenter un cercle vicieux. Cette absence finit par être perçue comme naturelle, voire comme une norme. Il est impératif de sortir de ce schéma.
Alors, comment pouvons-nous agir concrètement ? Dans notre établissement, plusieurs mesures sont en place, à commencer par la création, à la rentrée prochaine, des bourses Cécile DeWitt-Morette. Madame DeWitt-Morette, l'une des plus grandes mathématiciennes du XXe siècle, a inspiré cette initiative, qui vise à soutenir les jeunes filles dans leur parcours scientifique. Elle vise toutes les femmes en mathématiques et informatique admises dans notre établissement pour préparer notre diplôme - sans aucune exception, mais sur des critères académiques rigoureux et la pertinence du projet individuel. Nous attribuerons une bourse de 12 000 euros par an, pendant les quatre années de formation, soit un total de 48 000 euros. Ce soutien substantiel est comparable à celui mis en place par les autres ENS dans le même objectif. Nous souhaitons ainsi envoyer un signal fort à toute une génération de lycéennes et d'étudiantes.
Cette initiative ne se limite pas à ce seul dispositif. Elle s'inscrit dans un programme global visant à lutter contre les obstacles à l'égalité, tant lors de l'entrée à l'ENS que tout au long du parcours, en particulier lors du passage au doctorat, un moment charnière, et au cours des phases suivantes de recrutement et de carrière dans le monde académique.
Nous voulons également aller au-delà de cette approche, en intervenant dès le plus jeune âge, dès l'école primaire, puis au collège et au lycée, notamment grâce à notre Maison des mathématiques et de l'informatique, un organisme ouvert au grand public qui répond à une demande croissante. Ce centre permet de découvrir les mathématiques et l'informatique de manière à la fois rigoureuse et ludique. Il réalise un travail remarquable en mettant l'accent sur l'approche des mathématiques et de l'informatique au féminin, à travers des ateliers, des expositions, des rencontres avec des techniciennes, chercheuses, ingénieures et divers intervenants, ainsi que des conférences.
Sur le plan de l'amont, je souhaite aussi évoquer une initiative nationale à laquelle nous participons, nommée Girls Can Code, qui se concentre sur l'informatique. Elle propose des stages gratuits d'initiation à l'informatique destinés aux collégiennes et lycéennes, en non-mixité.
Je tiens également à souligner l'importance du partenariat fructueux que nous avons noué avec l'association Femmes et Sciences. Cette collaboration se déploie à plusieurs niveaux, en particulier par l'organisation d'une journée intitulée Sciences et métiers de femmes, qui rassemble environ 500 lycéennes dans notre grand amphithéâtre. L'objectif est de démontrer que tous les métiers scientifiques sont mixtes, de mettre en lumière les sciences au féminin - de nombreux exemples sont à promouvoir -, mais aussi d'offrir des outils pour déconstruire les stéréotypes et les biais sexistes. En effet, souvent, les lycéennes se retrouvent démunies face à ces idées préconçues. Il est essentiel de faire évoluer leur regard sur elles-mêmes. Il est question ici de les amener à réfléchir sur les idées reçues et de combattre ces biais via la pensée.
De plus, une exposition photographique itinérante intitulée « La science taille XXelles » parcourt, en partenariat avec l'association Femmes et Sciences, différentes étapes depuis 2019. Cette initiative vise à valoriser les femmes et à sensibiliser le public. À partir de cette rentrée, nous mettons en place un nouveau dispositif de mentorat pour les doctorantes, une première à Lyon. Ce programme a pour but de les accompagner individuellement dans leur projet professionnel et de carrière, en leur offrant des mentors, qui ne sont pas nécessairement des femmes - bien qu'elles soient majoritaires -, permettant ainsi un partage d'expérience, des conseils sur la formation, et des outils pour faciliter leur intégration dans le milieu de la recherche. Elle vise à déconstruire certaines idées préconçues et à stimuler la confiance en soi et la motivation des doctorantes.
Cette vision d'ensemble est mise en oeuvre avec l'aide d'une chargée de mission égalité, qui nous assiste dans la réflexion et la proposition d'actions concrètes. Elle travaille également à la mise en place d'une culture de l'égalité au sein de l'ENS de Lyon, soutenue dans cette tâche par deux référents égalité, très impliqués et réalisant un travail exemplaire.
Récemment, nous avons élaboré un plan d'action professionnel pour l'égalité hommes-femmes, un document accessible en ligne, qui inclut des actions de sensibilisation, ainsi qu'une révision des procédures de recrutement des enseignants-chercheurs. Celle-ci a pour objectif de sensibiliser les comités de sélection aux biais de genre et aux conditions dans lesquelles ils peuvent peser sur leurs décisions. En effet, ils s'expriment de manière d'autant plus prononcée lorsqu'il existe une tension dans le jury, par exemple en fin de journée, après de longues auditions et des décisions difficiles à prendre. C'est dans ces moments que les stéréotypes peuvent émerger avec force. Il est essentiel de prendre conscience de la nécessité de ralentir à certains moments, car c'est précisément à ces instants que les automatismes peuvent refaire surface.
Parallèlement, nous mettons en place des initiatives visant à favoriser l'évolution des carrières et les promotions, ainsi qu'un travail sur les rémunérations, en appliquant systématiquement le prisme du calcul genré, ce qui nous conduit à réviser nos dispositifs. Récemment, sous l'angle de la santé au travail, nous avons instauré un congé menstruel pour les étudiantes, dans le but de lutter contre la précarité menstruelle. Il s'agit là d'une question de dignité et d'égalité des chances. On peut affirmer que si ce problème touchait les hommes, il serait résolu depuis longtemps.
Par ailleurs, nous avons identifié des enjeux majeurs concernant la conciliation de la vie professionnelle et privée, la parentalité, notamment le retour après un congé de maternité. Pour ce faire, nous offrons à nos enseignantes-chercheuses un accompagnement systématique par des congés de recherche, afin qu'elles puissent réintégrer la recherche de manière satisfaisante.
Dans ce cadre, la lutte contre les violences sexuelles, sexistes et le harcèlement est au coeur de notre démarche. Il est impératif de protéger les femmes du sexisme. Il ne suffit pas simplement de les accueillir. Nous devons aussi les protéger et garantir des conditions de travail et de vie de qualité. La tolérance zéro est évidemment de mise concernant les violences sexuelles et sexistes.
Je souhaite préciser ici le dispositif de signalement que nous avons mis en place, qui est disponible en français et en anglais, et qui s'adresse tant aux victimes qu'aux témoins. Il implique des acteurs distincts et indépendants. Il permet d'assurer une prise en charge confidentielle, dans un espace d'écoute bienveillant, sans aucune implication de la gouvernance, ni jugement préalable. La mission égalité ainsi que notre chargé de mission et les référents égalité jouent un rôle clé dans ce processus.
Lors de cet entretien, la personne peut ensuite être orientée vers des professionnels, tels que des psychologues, des services médicaux, ou des directions de départements ou de laboratoires. Cette démarche permet de préserver une trace légale et d'engager les étapes suivantes. Il est primordial de respecter la temporalité et le consentement du signalant, à moins que l'urgence ou un danger imminent ne justifient une intervention immédiate. À chaque étape, la personne est clairement informée des démarches entreprises.
Si elle le souhaite, son signalement peut être présenté à une cellule de gestion que nous avons nommée cellule action. Celle-ci est composée de sept membres, dont les trois responsables que j'ai mentionnés précédemment, ainsi qu'une référente en violences sexuelles et sexistes issue de notre formation spécialisée, un représentant du service juridique et deux élus étudiants. Cette cellule étudie l'ensemble des mesures possibles, en fonction des attentes et des besoins exprimés lors du recueil de la parole, et formule des préconisations différenciées en fonction du statut de la personne concernée : étudiante, étudiant, personnel, enseignant-chercheur, etc.
Ensuite, les propositions de cette cellule sont soumises à la présidence, qui doit mettre en oeuvre les mesures de protection et de traitement des faits. Ces mesures, déjà évoquées, sont variées : mesures conservatoires, telles que l'interdiction d'accès au campus, éloignement de la personne concernée, enquêtes administratives, sanctions disciplinaires, et, le cas échéant, signalement aux procureurs de la République, constitution de partie civile, etc. Tout cela s'inscrit également dans une réflexion plus large sur la prévention. Nous n'agissons pas seulement de manière réactive, mais cherchons également à renforcer la prévention en lien avec notre plan d'action pour l'égalité. Enfin, le mot-clé dans ce processus reste la confiance. Il est fondamental de libérer la parole, de construire cette confiance dès la phase d'écoute. Je pense que la présence d'élus au sein de cette cellule contribue à rassurer les personnes qui pourraient hésiter à faire appel à nous. Ces réticences, déjà mentionnées avant mon intervention, trouvent une réponse dans le fait que cette cellule d'action montre qu'il se passe effectivement de nombreuses étapes entre le moment où un signalement est effectué et l'activation des ressources nécessaires. De plus, il est également naturel que peu d'informations circulent lorsque l'on n'a pas été personnellement concerné par la situation. Il existe une dimension individuelle et une nécessité de respecter la confidentialité. Je crois que c'est ainsi que nous sommes parvenus à libérer la parole.
Nous obtenons de bons retours et considérons que des résultats positifs ont été obtenus, mais il est évident que cet effort doit être constant. Rien n'est jamais acquis sur ce front.
Je terminerai brièvement en abordant la question des quotas. Pendant plus d'un siècle, des ENS distinctes accueillaient les filles et les garçons : rue de Sèvre et Fontenay-aux-Roses pour les filles, et rue d'Ulm et Saint-Cloud pour les garçons.
Dans les années 1980, nous sommes revenus sur cette distinction afin d'éviter les risques de stigmate, de naturalisation et d'essentialisation. La non-mixité, en soi, ne garantit pas l'égalité. La mixité non plus. Elle peut également conduire à la manifestation de stéréotypes, notamment lorsque les garçons et les filles ne sont pas traités de la même manière en classe.
Il serait pertinent de réfléchir à des espaces hybrides, à des formes de non-mixité temporaires. J'ai évoqué plus tôt des stages ponctuels en non-mixité, proposés à des lycéennes. Ils peuvent constituer outil pertinent et efficace. Ce type d'initiative permet de créer un climat propice à l'épanouissement des filles, leur offrant un environnement où elles se sentent à l'aise, soutenues et valorisées, sans être placées dans une position minoritaire. Il s'agit de créer des espaces protecteurs, qui offrent des conditions de sérénité. Cependant, je ne pense pas que la non-mixité totale soit souhaitable.
Quoi que l'on fasse, le risque demeure de renforcer les croyances sur une différence naturelle entre les sexes, qu'il s'agisse des appétences ou des compétences. De plus, d'éventuelles actions ne protègent pas contre d'autres rapports de domination, comme ceux liés au milieu social. Bien que nous n'en parlions pas aujourd'hui, cette dimension importante structure les groupes, y compris ceux en non-mixité. En fin de compte, pour faire progresser l'égalité entre les sexes, il est nécessaire de renoncer à toute conception essentialiste des genres.
Mme Dominique Vérien, pésidente. - Merci pour votre intervention.
Je laisse la parole à nos rapporteures.
Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Je tiens à saluer la qualité des présentations et des interventions que vous avez partagées. Je mesure pleinement les efforts considérables que vous déployez, accompagnés de résultats tangibles et portés par une vision claire. C'est très encourageant.
Je me suis quelque peu documentée sur la question et j'ai relevé, dans certaines régions du monde -- notamment au Maghreb, en Asie et en Amérique latine -- des chiffres qui suscitent notre admiration. Je pense, par exemple, au Bénin : 55 % des ingénieurs sont des femmes. On peut également citer l'Algérie, la Tunisie, la Malaisie, le Sultanat d'Oman, le Pérou ou encore Cuba, où la proportion de femmes dans les formations d'ingénierie dépasse régulièrement les 40 %.
Ce constat démontre que nous disposons encore d'une marge de progression significative. Ce que ces pays ont su accomplir, nous devrions être en mesure de le réaliser également, car nous en avons les ressources et les capacités. Bien sûr, certains facteurs culturels, de même que les représentations sociales, varient d'un contexte à l'autre.
Je pense également au rôle déterminant que jouent les familles dans l'orientation des jeunes. Il se peut que, dans ces pays, l'obtention d'un diplôme d'ingénieur par une femme soit perçue comme un véritable levier d'indépendance économique et de réussite sociale -- peut-être davantage que dans nos sociétés occidentales. Ce paramètre mérite d'être pris en compte.
J'ai été plusieurs années vice-présidente en charge de la formation et de l'emploi au sein de la région Île-de-France. À ce titre, j'ai pu constater, notamment dans le cadre du soutien financier apporté à des écoles d'ingénieurs dans les domaines du numérique, du bâtiment ou des travaux publics, un écart persistant entre la proportion de femmes admises en formation, diplômées, et celles qui accèdent effectivement à l'emploi. La Présidente l'a d'ailleurs souligné : obtenir un diplôme est une chose, mais exercer le métier correspondant en est une autre, car certaines représentations continuent de constituer un frein.
J'ai pris bonne note de l'initiative portée par Centrale-Supélec autour des summer camps, qui me paraît prometteuse pour valoriser plus largement les carrières d'ingénieur auprès des jeunes filles, et ce dès le plus jeune âge.
Je souhaiterais entendre votre avis sur l'opportunité de multiplier les journées de découverte des métiers -- à l'instar de ce qui existe déjà pour les métiers de l'industrie ou des travaux publics -- et sur la manière dont vous pourriez, en tant qu'acteurs engagés, renforcer votre rôle pour faire mieux connaître ces professions auprès des collégiens, et plus encore des lycéens.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Je dois me rendre au Conseil d'évaluation de l'École où, justement, l'un des points inscrits à l'ordre du jour porte sur les écarts de performance en mathématiques entre les filles et les garçons. Je poursuivrai ainsi la réflexion que nous menons aujourd'hui.
Je souhaitais revenir sur l'audition que nous avons tenue mardi dernier avec l'ancien ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Celui-ci nous a indiqué qu'il n'y avait jamais eu autant d'étudiants inscrits en classes préparatoires scientifiques, et que, par rapport à 2018, 40 000 filles supplémentaires s'engageaient aujourd'hui dans des études scientifiques. Selon lui, ce constat témoignerait du fait que la réforme du baccalauréat n'a pas eu d'impact négatif sur la mixité dans ces filières. L'un d'entre vous a commencé à aborder ce sujet. Je souhaiterais que vous puissiez y revenir plus précisément, car nous avons reçu de nombreux signaux d'alerte sur cet enjeu majeur. Observez-vous, à votre niveau, une progression ou au contraire une régression du nombre de jeunes filles intégrant vos écoles ces dernières années, à la suite de cette réforme ?
Par ailleurs, j'ai bien compris que la majorité de vos recrutements s'effectuait après les classes préparatoires, mais certains d'entre vous ont également évoqué les filières universitaires. Je m'interroge sur les voies d'accès alternatives, notamment à partir d'un BTS ou d'un DUT : constate-t-on, par ces parcours, une représentation féminine plus élevée ? Si ces voies existent, mériteraient-elles d'être davantage valorisées ?
Vous avez également mentionné l'étude menée par l'association Elles bougent, en lien avec Carrières en sciences, qui portait sur le caractère encore genré des orientations en 2024. Cette étude révélait que seules 23 % des jeunes femmes âgées de 19 à 24 ans envisageaient une orientation vers un métier d'ingénieure ou de technicienne.
Dans vos processus de recrutement, portez-vous une attention particulière à ce public, qui effectue ses choix d'orientation parfois tardivement, après avoir entamé des études supérieures ?
Sur la question des quotas, vos réserves m'ont paru très éclairantes. Pour ma part, j'ai toujours défendu cet outil, qui a permis une meilleure représentation des femmes, notamment en politique. D'une certaine manière, forcer un peu les choses permet aussi d'ouvrir la voie, de montrer aux jeunes filles qu'elles peuvent y arriver -- et, ce faisant, d'en inspirer d'autres.
J'avais également en tête, avant même que cela ne soit évoqué, l'idée qu'il puisse exister dans chaque école une référente ou un référent pour l'égalité filles/garçons. Vous avez souligné que cette initiative n'avait pas toujours porté ses fruits. Néanmoins, ne constitue-t-elle pas une piste à approfondir ? Et surtout, cette question de l'égalité et des comportements attendus est-elle clairement inscrite dans les règlements intérieurs de vos établissements ?
Enfin, j'aimerais vous interroger sur la ruralité. Vous avez raison de multiplier les actions de communication pour faire connaître vos écoles, mais j'aimerais savoir si celles-ci touchent également des territoires moins urbanisés. Dans ces zones rurales, on sait que c'est bien souvent l'information qui fait défaut, et que l'enjeu consiste à se déplacer vers les jeunes plutôt que d'attendre qu'ils viennent à nous. Cet angle est fondamental pour garantir l'égalité des chances.
Enfin, monsieur le directeur de l'ESTACA a mentionné un concours spécifique réservé aux femmes. Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous préciser le nombre de places qui y seront ouvertes ?
Mme Jocelyne Antoine, rapporteure. - Merci pour la qualité de vos interventions, particulièrement riches et complètes, qui, de ce fait, n'appellent pas nécessairement un grand nombre de questions. Je souhaiterais simplement apporter un complément concernant la ruralité.
L'Université de Lorraine porte un programme visant à « aller vers » les territoires dits ultra-ruraux. J'ai été personnellement interpellée par les constats formulés par la Cour des comptes dans l'un de ses récents rapports, qui consacre un focus à la jeunesse rurale. Il y est démontré que, dans les territoires ruraux, les jeunes -- filles et garçons -- poursuivent nettement moins d'études supérieures que leurs homologues urbains. Et pourtant, lorsqu'ils s'engagent dans ces parcours, leurs résultats sont souvent supérieurs à ceux des jeunes issus des grandes agglomérations. Ce paradoxe mérite toute notre attention.
Monsieur l'Amiral l'a rappelé : on ne peut se priver du talent de la moitié d'une classe d'âge. Dans cette logique, je poserais la question suivante : peut-on se priver de 33 % de cette même classe d'âge, sachant que c'est la part que représentent aujourd'hui les jeunes issus de la ruralité en France ? La réponse est évidemment négative.
Il nous appartient donc de réfléchir aux moyens de faire en sorte que l'ensemble des initiatives remarquables que vous nous avez présentées puissent également parvenir jusqu'aux jeunes de nos campagnes. Le numérique peut constituer ici un levier précieux : les territoires ruraux sont désormais, pour une large part, bien fibrés et disposent d'une bonne connectivité.
Il s'agirait sans doute d'imaginer des formes nouvelles d'accès, adaptées aux réalités de ces territoires, pour véritablement « aller vers » les jeunes et leur offrir les mêmes perspectives. C'est un enjeu majeur, non seulement pour l'égalité des chances, mais aussi parce que nos entreprises locales ont, elles aussi, besoin de ces talents.
M. Romain Soubeyran. - Nous organisons des journées d'accueil et menons effectivement des actions à notre échelle. Nous avons notamment organisé une exposition à l'occasion du centenaire de la mort de Gustave Eiffel en 2023, ainsi qu'une exposition intitulée « Un monde de maths » en 2024, destinée à redonner du sens à l'enseignement des mathématiques. En effet, nombre de lycéennes expriment leur désintérêt pour ces disciplines, en grande partie parce qu'elles n'en perçoivent pas la finalité. Or, les mathématiques en ont une, et une très grande. Nous pourrions engager une réflexion relative à une éventuelle refonte des programmes et des méthodes pédagogiques, un chantier d'ampleur.
L'exposition a rencontré un réel succès, attirant près de 3 500 visiteurs. Néanmoins, ces actions restent limitées géographiquement. Elles ne touchent en réalité que les établissements situés dans un rayon d'environ 40 kilomètres autour de Centrale-Supélec. Je voulais justement aborder cette limite.
Au-delà des problématiques liées à la ruralité, il existe une autre zone encore plus défavorisée en matière d'accès aux études supérieures : l'outre-mer. La distance, cette fois géographique et logistique, y constitue un frein encore plus marqué pour les jeunes ultramarins. C'est un enjeu crucial que nous devons pleinement intégrer à nos réflexions.
Ensuite, contrairement au domaine politique, dans lequel ces mécanismes ont joué un rôle important en faveur de la parité, le recours aux quotas dans nos écoles suscite certaines inquiétudes. Plusieurs de nos étudiantes nous ont confié qu'elles n'auraient peut-être pas intégré notre établissement si elles avaient pensé y être admises grâce à un quota. L'inquiétude est donc double : non seulement risquerions-nous d'abaisser le seuil d'admission, mais nous pourrions aussi dissuader des candidates brillantes de postuler, préférant alors s'orienter vers d'autres établissements. Une solution globale et harmonisée serait complexe à mettre en oeuvre.
Par ailleurs, nous observons une tendance croissante chez des élèves de très bon niveau -- notamment des jeunes filles -- à poursuivre leurs études à l'étranger dès le post-bac, dans des institutions comme l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), l'Imperial College de Londres ou l'université McGill à Montréal. Ce n'est pas un hasard si nous avons développé un partenariat avec cette dernière dans le cadre d'un bachelor international. Le risque d'un exode des talents vers l'international est donc bien réel.
En ce qui concerne les choix tardifs d'orientation, la réforme du baccalauréat, en contraignant les élèves à se positionner dès la fin de la classe de seconde sur des spécialités telles que les mathématiques, exige une anticipation prématurée. Pourtant, de nombreux jeunes n'ont pas encore une vision claire de leur avenir à 18 ans. Il n'est pas rare que nos étudiants, à 20 ans, ne sachent toujours pas précisément ce qu'ils souhaitent faire. Ils étaient bons en mathématiques, on leur a conseillé une classe préparatoire, ils s'y sont illustrés, et ont intégré Centrale-Supélec.
Or, plus on exige un choix précoce, plus les stéréotypes de genre risquent d'influencer ces décisions. Une sélection trop en amont, notamment dès le début de la première, peut ainsi fermer prématurément la voie vers les classes préparatoires et les filières scientifiques.
Il est certain que la réforme Blanquer a eu, dans un premier temps, un effet négatif. Cependant, j'ai le sentiment que cet effet a été partiellement absorbé par la société. Le message initial, selon lequel « toutes les spécialités ouvrent l'ensemble des parcours possibles », a semé une certaine confusion. Beaucoup d'élèves ont été abusés par cette promesse. Mais aujourd'hui, il semble que l'information ait été mieux intégrée : celles et ceux qui envisagent une prépa scientifique savent désormais qu'ils doivent impérativement choisir des spécialités scientifiques, notamment les mathématiques, sans quoi ils se retrouveraient, de fait, exclus de ces parcours.
Concernant le recrutement en classes préparatoires scientifiques, nous avons observé ces dernières années une certaine érosion des effectifs. Toutefois, une tendance inverse s'est amorcée récemment, et nous avons enregistré une progression de plus de 5 % à la rentrée 2024, ce qui nous a permis de résorber le retard accumulé.
Peut-on pour autant parler d'un record historique d'élèves dans les filières scientifiques ? Je ne le pense pas, du moins pas en ce qui concerne les CPGE. Cela pourrait éventuellement être le cas si l'on incluait les étudiants inscrits en licences scientifiques à l'université, mais je ne dispose pas des données consolidées sur ce point. Mon propos se limite donc aux classes préparatoires scientifiques.
En revanche, du côté des classes préparatoires commerciales, la filière ECG (Économique et Commerciale voie Générale) a connu une baisse de 15 % des effectifs. Cette diminution, survenue il y a deux ans environ, a été en partie résorbée depuis. Cette chute avait été, à tort ou à raison, corrélée à la réforme du baccalauréat. Cela dit, je suis moins spécialiste de ces filières.
S'agissant des recrutements issus de BTS et DUT, nous avons ouvert, à Centrale-Supélec, une filière par apprentissage à partir de 2018, à vocation plus technologique. Cette initiative a porté ses fruits en matière d'ouverture sociale, mais s'est révélée décevante sur le plan de la féminisation des effectifs. C'est une problématique que nous rencontrons fréquemment.
Pour illustrer mon propos, prenons l'exemple des disciplines littéraires dans les concours d'entrée : les renforcer peut être favorable à une meilleure représentation des femmes, mais peut désavantager les candidats boursiers. Une dynamique comparable est à l'oeuvre dans les filières technologiques. Ainsi, dans nos classes préparatoires en alternance -- issues de BTS, DUT et ATS --, la part des jeunes filles s'élève, de mémoire, à environ 8 %. Nous nous heurtons donc régulièrement à une forme d'antagonisme entre des mesures favorables à l'égalité femmes-hommes et celles en faveur de la diversité sociale.
Mme Dominique Baillargeat. - L'école 3iL est historiquement implantée à Limoges, un territoire au coeur de zones fortement rurales. Nous sommes également présents à Rodez depuis 2002, et à Nantes depuis 2023 -- un contexte où la ruralité est moins marquée.
Étant basés à Limoges, nous allons directement à la rencontre des lycéens des territoires voisins, en nous déplaçant dans leurs établissements. Cela étant, nous observons une difficulté structurelle dans l'orientation post-bac, souvent mal articulée, notamment du côté de certains enseignants. Ces derniers, dans des lycées dotés de sections de BTS, orientent en priorité leurs élèves vers ces diplômes, parfois au détriment d'autres voies plus adaptées à leur potentiel.
Je travaille dans le domaine de l'informatique, filière dans laquelle nous comptons environ 18 % de femmes. Nous constatons régulièrement que de nombreux jeunes issus de zones rurales possèdent un fort potentiel et réussissent très bien lorsqu'ils accèdent à notre école. Le problème réside donc moins dans la capacité des étudiants que dans le filtre initial de l'orientation, qui peut les confiner à des choix par défaut.
Je tiens à souligner que mon propos ne vise aucunement à dénigrer les BTS, mais à rappeler qu'il existe d'autres parcours : licence, DUT, classe préparatoire intégrée, CPGE, etc. Malheureusement, certains jeunes sont « empêchés » d'accéder à ces filières plus sélectives en raison d'une orientation trop restreinte. Par la suite, il arrive que nous puissions les accueillir en école d'ingénieurs après un bac+2, mais leurs parcours est alors plus contraint.
Depuis 1998, nous proposons des formations en alternance, notamment à Rodez, où l'ensemble des cursus repose sur ce modèle. Cette implantation s'explique par la présence locale d'entreprises telles que Bosch ou Sopra Steria, qui recrutent nos étudiants dès le niveau bac+3. Il s'agit majoritairement de jeunes originaires de l'Aveyron, souhaitant rester dans leur région. Cette dynamique incarne un véritable levier d'ascension sociale, en particulier pour des jeunes issus de milieux modestes, parfois éloignés des études supérieures.
Ensuite, la présence des femmes est légèrement plus marquée dans les parcours de type BTS. Cependant, nous constatons qu'une remise à niveau est souvent nécessaire après ce diplôme, soit en seconde année de BTS, soit en première année de formation d'ingénieur, afin d'atteindre les prérequis.
Pour répondre à Madame Aeschlimann, nous entretenons de nombreux partenariats avec l'Afrique, et c'est l'international qui contribue le plus efficacement à la féminisation de nos effectifs. Dans plusieurs pays d'Afrique, les filières scientifiques sont beaucoup plus féminisées. La formation d'ingénieur y est perçue comme un vecteur de réussite sociale, permettant à de nombreuses jeunes femmes de soutenir financièrement leur famille, et conférant une certaine reconnaissance sociale.
Ainsi, nos écoles accueillent de nombreuses étudiantes africaines, notamment d'Afrique centrale, qui s'intègrent parfaitement et réussissent brillamment. Le poids des représentations joue également : dans une école où la présence féminine est significative, d'autres jeunes femmes se projettent plus facilement. À l'inverse, lorsqu'elles constatent qu'elles sont peu nombreuses -- comme à l'ENS --, elles peuvent avoir le sentiment de ne pas y avoir leur place.
Nous mettons pourtant en oeuvre de nombreuses actions pour lutter contre ce phénomène, en lien avec des associations telles que « Elles bougent », « Femmes ingénieures », ou à travers des initiatives comme le mentorat, le storytelling ou des programmes de bourses. Mais ces efforts se heurtent encore à des biais très précoces, dès le plus jeune âge.
Par exemple, les fondamentaux mathématiques -- les règles de calcul simples -- ne sont parfois plus travaillés jusqu'au CM2, ce qui pose un problème. Si le lycée permet un léger rééquilibrage, certains jeunes arrivent avec l'idée, véhiculée à tort, que toutes les spécialités ouvrent les mêmes portes, y compris pour devenir ingénieur. Or, les mathématiques restent indispensables pour suivre ce type de cursus. Heureusement, les enseignants semblent aujourd'hui mieux alerter leurs élèves, mais la problématique demeure.
M. Emmanuel Trizac. - Vous nous demandiez pourquoi on observait une proportion plus élevée de femmes dans le secteur du numérique dans des pays présentant de moindres égalités entre les sexes. Il me semble que deux facteurs peuvent être mis en lumière.
Le premier tient au rôle structurel du numérique dans l'économie. Dans les pays dits les plus inégalitaires, le numérique n'occupe pas encore une place centrale dans le tissu économique, contrairement à ce que l'on observe dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou la France, où ce secteur peut représenter 8 à 10 % du PIB. À l'inverse, les économies des pays moins égalitaires sont encore largement fondées sur d'autres secteurs : l'agriculture, les hydrocarbures ou les industries à forte intensité de main-d'oeuvre. Il conviendra donc, à mesure que ces pays amorceront leur transition numérique, de rester vigilants quant à l'évolution des équilibres de genre, afin d'éviter une réduction de la part des femmes dans ces domaines émergents.
Le second point repose sur une différence générationnelle et historique dans l'accès aux technologies. Dans les pays occidentaux, notamment au sein des générations dites baby-boomers et X, l'arrivée de l'ordinateur personnel à la fin des années 1970 et au début des années 1980 s'est faite sous la forme d'un objet technologique rare, valorisé, perçu comme masculin, et destiné en priorité aux garçons. Cette construction sociale s'est fortement ancrée dans les représentations.
Or, dans de nombreux pays en développement, cet accès initial à l'informatique n'a pas eu lieu de la même manière : l'acquisition d'ordinateurs personnels était limitée, en raison d'un pouvoir d'achat plus restreint et d'une politique économique moins tournée vers l'ouverture technologique. Ces pays ont ainsi été relativement préservés des stéréotypes genrés liés à l'usage de l'ordinateur.
Ce n'est qu'avec l'avènement plus récent des smartphones et la généralisation de leur usage que l'accès au numérique s'est démocratisé, sans distinction de genre, dès l'entrée en matière.
Ces deux dimensions me semblent essentielles pour comprendre ce paradoxe apparent : la présence plus marquée de femmes dans les domaines du numérique au sein de pays pourtant globalement moins égalitaires.
M. Denis Bertrand. - Je souhaiterais revenir sur l'étude de l'OCDE portant sur la diplomation dans certains pays du Maghreb, ainsi qu'au Bénin, entre autres. Cette dynamique s'explique certainement en partie par des considérations culturelles et sociales locales, où les études supérieures, et plus particulièrement l'obtention de diplômes scientifiques, constituent un levier d'émancipation féminine. Mais cette réalité est également étroitement liée à la structuration même des systèmes éducatifs dans ces pays, qui s'inscrivent encore dans des formats de formation plus « traditionnels ».
J'en veux pour preuve ma propre expérience : je recrute régulièrement des enseignants et enseignants-chercheurs en mathématiques ou en physique provenant d'Algérie, de Tunisie, du Maroc ou de pays d'Afrique subsaharienne. Lorsque j'occupais des fonctions au sein de la direction de la protection des installations à moyenne activité du ministère de la défense, j'étais déjà amené à porter une attention particulière à l'intégration, dans des secteurs d'importance vitale, de professionnels issus de l'étranger. Ils étaient nombreux, car nécessaires, et remarquablement bien formés.
Deux éléments, donc, contribuent à expliquer les différences que l'on peut observer : le contexte socioculturel et la qualité du vivier formé localement.
J'en profite pour faire un lien avec la question de la ruralité. L'ESTACA est présente à Laval, Saint-Quentin-en-Yvelines, et prochainement à Bordeaux. Si ces dernières implantations ne relèvent pas directement de territoires ruraux, Laval s'inscrit dans une dynamique régionale plus large grâce à l'engagement des acteurs locaux, qui ont su développer un réseau d'enseignement supérieur et favoriser l'ancrage avec le tissu industriel tout en rayonnant au-delà des centres urbains.
Dans nos recrutements, notamment sur les BUT (bachelor universitaire de technologie) en génie mécanique, productique, mesures physiques, génie thermique ou encore en matériaux, la proportion de jeunes filles reste très faible.
La ruralité est une réalité à laquelle je suis profondément attaché. La mer ne se situe pas à Paris. J'ai passé ma carrière tourné vers l'extérieur, vers les territoires. Originaire d'un petit village de Côte-d'Or, je suis issu d'une famille d'agriculteurs. Mon arrière-grand-père, fils de paysans, s'est vu encouragé à poursuivre ses études à Dijon grâce à ses bons résultats scolaires. Il est devenu agrégé de lettres, puis inspecteur d'académie. Il illustre, à mon sens, une forme de méritocratie qui était plus accessible à l'époque, où les parcours étaient plus clairement balisés, et où les voies de réussite étaient identifiables.
Aujourd'hui, réussir passe souvent par une maîtrise des codes, des réseaux, et des stratégies éducatives, ce qui n'est pas toujours accessible à tous. Pourtant, je continue d'observer, dans ces territoires ruraux, notamment en Côte-d'Or où je réside toujours, des jeunes ambitieux, connectés, et pleins d'envie. Malheureusement, l'orientation reste souvent un point faible : les élèves ne sont pas toujours informés de la diversité des parcours possibles et sont parfois confinés à ce qui est offert localement, comme une section de BTS au chef-lieu ou dans la sous-préfecture. Nous devons leur présenter tous les choix possibles, et pas uniquement les plus évidents.
Enfin, je ne voudrais pas m'exprimer à la place de mon collègue directeur de l'EPF, qui dépend également du concours Avenir. Pour autant, je tiens à souligner l'intérêt suscité par l'expérience qu'il a présentée. Bien qu'elle reste modeste à ce jour - une cinquantaine de places ouvertes aux filles via un concours dédié - elle représente une initiative prometteuse. Je vous encourage à prendre directement contact avec l'EPF si vous souhaitez en savoir davantage.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Il me revient à présent de conclure cette table ronde. Vos interventions ont été d'une grande richesse, et il est manifeste que chacune de vos écoles s'est structurée pour favoriser une plus grande présence féminine dans ses effectifs. Comme vous l'avez justement rappelé, Monsieur Trizac, le talent n'a pas de genre.
Et pour faire écho aux propos de Madame Baillargeat, il serait également bénéfique de valoriser les efforts des garçons tout autant que les talents des filles. Cette reconnaissance équilibrée contribuerait sans doute à changer les représentations.
Permettez-moi de partager une anecdote personnelle : lorsque j'étais en classe de troisième, mon directeur d'établissement - dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici - ne me portait pas une grande affection. Probablement parce que mon comportement ne correspondait pas à ce que l'on attendait d'une jeune fille à l'époque : je n'étais ni assez sage, ni suffisamment conforme aux attentes genrées. Mes résultats scolaires, pourtant excellents, ne s'en ressentaient en rien. Pourtant, ce comportement m'a valu des encouragements, plutôt que des félicitations. Ce qui m'avait poussée à m'interroger : s'agissait-il là d'un encouragement à poursuivre dans la même voie ? L'ambiguïté du message m'avait, en tout cas, marquée.
Cette expérience illustre bien la manière différenciée dont on évalue filles et garçons, dès le plus jeune âge, y compris dans leur posture ou leur comportement en classe. C'est un sujet que nous devons assurément approfondir.
Nous devrons également nous pencher, à l'avenir, sur le fonctionnement de Parcoursup, qui joue un rôle essentiel dans l'orientation, mais aussi sur le rôle prescripteur des enseignants. Si ces derniers ne connaissent pas les classes préparatoires - et a fortiori les écoles d'ingénieurs - comment pourraient-ils orienter leurs élèves dans ces voies ? Quant à l'École normale supérieure, elle reste encore plus méconnue d'un grand nombre d'entre eux.
Merci d'avoir rappelé vos engagements en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, enjeu fondamental au sein de nos établissements. J'insiste notamment sur le climat sexiste qui a pu régner - et qui persiste parfois - dans certaines écoles d'ingénieurs. Je l'ai moi-même vécu, à l'époque où j'étais élève à l'ESTP, où les filles représentaient 10 % de l'effectif. Ce climat, nous devions y faire face, et il se prolongeait ensuite dans le monde de l'entreprise. C'est pourquoi plus nous formerons nos futurs ingénieurs à une culture de l'égalité, moins ces biais se reproduiront ensuite dans leur environnement professionnel. C'est un chantier absolument salutaire, et je vous remercie sincèrement de le porter.
Enfin, je suis convaincue que cette table ronde trouvera un écho important sur nos réseaux, tant les échanges ont été passionnants. Merci beaucoup.