Mardi 29 avril 2025
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
La réunion est ouverte à 16 h 10.
Audition de M. Éric Schahl, conseiller régional d'Ile-de-France, représentant l'association Régions de France
M. Olivier Henno, président. - Avant de recevoir l'association Régions de France, je voudrais vous communiquer quelques informations sur notre calendrier de travail.
Tout d'abord, je vous rappelle qu'un déplacement à Lyon est prévu le 16 mai. L'organisation est en cours et je remercie, ceux qui ne l'ont pas encore fait, d'informer le secrétariat de la mission sur leur disponibilité. Compte tenu de notre calendrier de travail, il s'agira probablement du seul déplacement que nous effectuerons.
Ensuite, je vous indique que nous poursuivrons nos auditions tout le mois de mai. Un courriel vous sera adressé avec l'ensemble de ce programme. J'attire votre attention notamment sur les auditions des 13, 20 et 21 mai 2025.
Enfin, il nous faudra tenir, sans doute la semaine du 26 mai 2025, notre réunion dite d'orientation. Il s'agira d'une étape importante dans nos travaux puisque c'est à cette occasion que nous arrêterons les grandes lignes de notre rapport, mais aussi son calendrier d'adoption et de publication.
Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de l'association Régions de France représentée par M. Éric SCHAHL, Conseiller régional d'Île-de-France.
Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.
Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.
Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric SCHAHL prête serment.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je vous remercie. Monsieur le Président, Monsieur le Conseiller régional, mes chers collègues, nous avons créé cette commission d'enquête, car les collectivités territoriales, qu'il s'agisse des communes, des départements ou des régions, constituent le coeur de notre mission.
Or elles ont été progressivement privées, depuis plusieurs décennies, de leurs ressources propres. Cette évolution a conduit à une forme de recentralisation. Les leviers fiscaux se sont amenuisés tandis que les charges obligatoires ont crû, notamment en raison du vieillissement de la population et de l'inflation.
À cette évolution se sont ajoutés les investissements nécessaires à la transition écologique, selon les compétences de chaque collectivité. Il nous a donc paru essentiel d'entendre chacune d'entre elles. Un questionnaire vous a été transmis. Nous échangerons, après vos propos liminaires, sur la situation spécifique des régions.
M. Éric Schahl, Conseiller régional d'Île-de-France, représentant de l'association Régions de France. - Je vous remercie. Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je traiterai du sujet en deux temps. D'abord, j'analyserai l'érosion des finances régionales, puis je suggérerai quelques pistes de réflexion. Les autres sujets pourront être abordés dans le cadre de nos échanges.
Avant d'entrer dans le détail, je voudrais, en préambule, partager une conviction. Tout ce que je m'apprête à dire, vous en avez déjà connaissance. Depuis quarante ans, nous avons accumulé rapports, les projets de loi de finances, les commissions d'enquête et les missions d'information. Le constat est donc largement partagé. Certains d'entre vous en sont déjà convaincus. D'autres estimeront peut-être que, parmi les difficultés des collectivités, celles des régions sont moindres. C'est précisément pour cette raison que je m'efforcerai de démontrer combien notre situation est plus complexe qu'il n'y paraît.
Au terme de ce constat, nous aurons probablement convenu qu'il est impératif de restaurer la sincérité des relations entre l'État et les collectivités, de repenser le système de compensation des charges, et d'instaurer un mécanisme dynamique et pérenne. Pourtant, face à une dette publique de 3 300 milliards d'euros et à un déficit de 155 milliards, avec une nécessité immédiate de trouver 50 milliards, qui peut croire que l'État entendra enfin l'appel à la sincérité ?
Sortir de ce cycle suppose, à mon sens, de rétablir le lien contributif entre citoyens et collectivités, pour que chacun mesure la réalité du service public. Aujourd'hui, les régions ne prélèvent plus directement l'impôt. Elles ne sont donc pas jugées sur leur gestion, mais sur leurs réalisations. Or, c'est précisément ce décalage entre la contribution et l'action qui mine la lisibilité démocratique de notre action. La seule voie crédible pour y remédier est l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.
Je ne me suis pas engagé en politique pour alimenter les caisses de l'État, mais pour agir concrètement. C'est, me semble-t-il, une motivation que nous partageons tous. Commençons donc par l'érosion de nos finances. Il serait simpliste de réduire nos difficultés à la seule loi de finances récente. La Cour des comptes a souligné que les régions ont été les plus touchées par la crise sanitaire, en raison de leur lien étroit avec l'activité économique. Lorsque celle-ci s'est arrêtée, nos recettes ont chuté. De surcroît, nous avons été les seuls à ne bénéficier d'aucun dispositif spécifique de soutien, et nos indicateurs financiers ne sont toujours pas revenus au niveau d'avant-crise.
Nos dépenses d'investissement ont pourtant augmenté, non par goût du faste, mais parce que nous avons assumé notre part dans les différents plans de relance, notamment dans le cadre de la stratégie bas carbone, au coeur de vos travaux. Depuis 2019, nos investissements sont passés de 9 à 15 milliards d'euros, soit une hausse de +35 %. Cela peut sembler rassurant, mais ce rythme est encore insuffisant. Pour respecter les objectifs climatiques, il faudrait encore les augmenter de 2 milliards par an jusqu'en 2030. Or, nous ne progressons que d'un milliard par an. Nous sommes donc à un tiers de la trajectoire nécessaire.
Parallèlement, nos charges de fonctionnement ont crû. Cette évolution tient certes à l'inflation, mais surtout aux décisions de l'État : revalorisations salariales (120 millions d'euros), coûts liés aux formations sanitaires et sociales (200 millions d'euros), hausse des taux d'intérêt (300 millions d'euros), ou encore revalorisation des indemnités des stagiaires. Tous ces éléments pèsent sur nos budgets, tandis que nos recettes sont restées atones : +6 % depuis 2019, contre une inflation de 16 %.
La raison en est double. Elle est structurelle d'abord : nos principales ressources (cartes grises, Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques- TICPE) sont liées à la consommation carbonée, que nous cherchons à réduire. Elle est conjoncturelle ensuite : notre dépendance à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est massive (55 % de notre panier de ressources), ce qui nous expose aux aléas de la consommation, donc à une forte variabilité et imprévisibilité. Ce déséquilibre nous a contraints à puiser dans notre épargne brute, qui a diminué de 500 millions d'euros depuis 2019, soit une baisse de 8 %, avant de devoir recourir à l'emprunt. Notre dette a alors augmenté de +35 %, tandis que notre capacité de désendettement se détériorait de 58 %, passant de 17 à 27 semestres.
En conséquence, nos capacités d'investissement se sont trouvées réduites de -7 % dans le budget prévisionnel pour 2024. Or cette évolution a des conséquences immédiates sur toute l'économie. Une commission d'enquête sur la commande publique a lieu, en ce moment même, en salle René-Monory. Les régions représentent 20 % de la commande publique, qui est elle-même équivalente à 6 % du Produit intérieur brut (PIB). Si les investissements régionaux se contractent, c'est donc l'ensemble du tissu économique qui vacille.
Enfin, pour conclure cette première partie, je rappelle qu'au regard des estimations de la Banque postale et de l'Institut de l'Économie pour le Climat (I4CE), l'effort global nécessaire à la transition écologique serait de 11 milliards d'euros pour les collectivités. La part imputable aux régions s'élève, selon nous, à 2 milliards d'euros supplémentaires par an. Nous sommes aujourd'hui loin du compte.
Comment le panier de ressources des régions, dont le montant global atteint 39,5 milliards d'euros, est-il alors constitué ? La fiscalité locale ou territorialisée ne représente que 5 milliards d'euros, dont 2 milliards d'euros proviennent des cartes grises. La fiscalité transférée s'élève à 23 milliards d'euros, soit près de 60 % du total, répartis entre 16 milliards d'euros de TVA et 7 milliards d'euros de TICPE. Le concours de l'État ne compte que pour 2 milliards d'euros.
À première vue, l'autonomie financière semble assurée -- 74 % aujourd'hui, jusqu'à 78 % pendant la crise sanitaire. Mais cette autonomie n'est pas fiscale : à l'exception des cartes grises, les régions ne disposent plus d'aucun levier réel. Or cette taxe, qui ne représente que 7 % de nos ressources, est déjà plafonnée dans cinq régions.
Les deux seules ressources que nous maîtrisons -- cartes grises et TICPE -- sont carbonées. Elles sont donc condamnées à décliner, ce qui est cohérent avec nos politiques de transition écologique. Mais plus nous réussissons à décarboner, moins nous avons de ressources pour poursuivre cette mission. Ce paradoxe est intenable.
Nous demandons donc de retirer ces taxes du panier régional. Il est absurde d'associer une ressource à une politique publique dont elle contredit l'objectif. Par ailleurs, notre dépendance à la TVA -- 55 % de nos recettes de fonctionnement -- rend la prévision budgétaire extrêmement incertaine. Les écarts entre prévisions et réalisations, comme en 2023 ou 2024, sont significatifs. Pis encore, les révisions à la baisse ne nous sont communiquées que tardivement, comme ce fut le cas en avril 2024. Cette instabilité nuit gravement à notre capacité d'anticipation. C'est pourquoi nous appelons à diversifier les ressources régionales et à mettre fin à cette dépendance structurelle aux seules recettes volatiles et peu prévisibles.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous vous remercions pour cet état des lieux. Vous n'avez pas évoqué ce nouvel outil, le versement mobilité régional (VMF) figurant dans le projet de loi de finances (PLF). Tous les acteurs ne l'ont pas utilisé, mais il a le mérite d'exister.
M. Éric Schahl. - Je n'en ai pas parlé, mais nous considérons, à Régions de France, que cette initiative va dans le bon sens.
Permettez-moi d'évoquer le rapport d'Éric Woerth, publié l'an passé, dont les propositions ont été rapidement éclipsées par la dissolution intervenue quinze jours plus tard. Ce rapport formulait pourtant trois orientations que nous partageons : ne pas créer de nouveaux impôts, mais redistribuer ceux existants entre collectivités ; permettre à chaque strate de fixer les taux ; associer l'impôt à une politique publique.
Le versement mobilité, dont nous disposions depuis un an en région Île-de-France du fait des Jeux olympiques, illustre cette logique : il est modulable, lié aux transports, et va dans le bon sens. Certes, son rendement national resterait limité à 500 millions d'euros, très éloigné de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), mais il ouvre une voie que nous souhaitons pérenniser et élargir à d'autres domaines d'action.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Est-ce ce type de démarche que vous envisagiez en parlant de rétablissement du lien contributif ?
M. Éric Schahl. - Dans un monde idéal, chaque échelon de collectivité disposerait de son propre impôt. C'est une perspective séduisante, mais sa mise en oeuvre exigerait de transférer 70 milliards d'euros à la fiscalité locale. Il ne s'agirait pas d'impôts nouveaux. Le basculement reste toutefois extrêmement complexe. Une telle réforme supposerait un acte 3 de la décentralisation, assorti de transferts massifs de compétences et de la création de ressources correspondantes.
Ce « grand soir » des finances locales permettrait d'affecter durablement ces 70 milliards d'euros. À titre d'exemple, la région Île-de-France a saisi l'État, dans le cadre de la Loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), pour obtenir le transfert de quarante-cinq compétences. Cette initiative, bien que saluée, n'a donné lieu à aucune réponse concrète. Nous sommes donc encore loin d'un mouvement de décentralisation ambitieux.
Je suis profondément girondin. En attendant, nous nous devons néanmoins de rester pragmatiques : la véritable question est celle de l'autonomie fiscale. Il faut dépasser le simple transfert de fiscalité nationale sans pouvoir de modulation, sans pour autant exiger un bouleversement immédiat. Entre les deux se trouve une voie : le partage de l'impôt. C'est ce que nous avons expérimenté avec le versement mobilité. Pour les régions, ce partage devrait porter sur l'impôt sur les sociétés. En fléchant une part à hauteur de 3,5 milliards d'euros, en substitution de la TVA, des cartes grises et de la TICPE, on constituerait un panier cohérent, dynamique, en lien direct avec la mission économique des régions. C'est cette orientation que nous défendons.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous avez évoqué la relation avec l'État marquée une certaine sincérité ou insincérité. Comment envisagez-vous de simplifier ce rapport afin que chaque budget ne conduise pas à une montée en tension ?
M. Éric Schahl. - Les écarts répétés entre les prévisions de TVA et leur réalisation interrogent. Sans les qualifier d'insincères, leur régularité laisse penser qu'elles répondent à des logiques d'équilibrage budgétaire. Cela pose une vraie question de confiance.
Je plaide pour la création d'une instance nouvelle, inspirée du Conseil d'orientation des retraites (Cor), qui serait pluraliste et indépendante, capable d'établir collectivement des trajectoires et des prévisions partagées. Le Conseil des finances locales ne remplit pas aujourd'hui pleinement cette mission. Il faudrait un espace de dialogue réel entre l'État et les collectivités.
Ce cadre favoriserait la transparence, apaiserait les tensions lors de l'élaboration des lois de finances et, à terme, renforcerait l'autonomie fiscale, condition d'un rapport plus équilibré et moins conflictuel entre les différents niveaux de décision.
M. Olivier Henno, président. - Je salue votre proposition d'attribuer une fraction de l'impôt sur les sociétés aux régions. Elle soulève toutefois la question de la péréquation, et horizontale et verticale. Quel regard portez-vous sur les dispositifs actuels ? Quelles nouvelles formes de péréquation une telle mesure pourrait-elle entraîner ?
M. Laurent Somon. - Vous avez évoqué, à juste titre, la question de la péréquation. De 2009 à 2019, les régions se satisfaisaient de la dynamique de la TVA ; mais la rupture de 2020 a révélé son instabilité. L'idée de départ d'un impôt en fonction des compétences des collectivités -- le social pour les départements, l'économie pour les régions, l'aménagement pour les communes -- mérite réflexion.
Cela renforcerait le lien entre compétence et financement. Mais cela pose la question centrale de la péréquation, notamment horizontale, souvent conflictuelle. Les écarts entre collectivités sont parfois de 1 à 10 par habitant. Comment garantir un équilibre équitable entre territoires, tout en respectant les responsabilités locales, notamment celles des départements en matière d'aménagement et de cohésion territoriale ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Avant d'envisager un « grand soir » fiscal, ne faudrait-il pas commencer par réduire le nombre de strates de notre organisation territoriale ? Ne croyez-vous pas qu'un allègement du « millefeuille », notamment par le biais d'un recentrage sur les régions et les intercommunalités, générerait des économies significatives ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Je souhaite revenir sur la péréquation, mais aussi sur la dynamique fiscale : qu'il s'agisse de la TVA ou de l'impôt sur les sociétés, ces ressources dépendent du niveau d'activité. Or, la région apparaît ici davantage comme une structure qui subit que comme un acteur qui initie. Quels leviers incitatifs pourriez-vous proposer ?
Par ailleurs, s'agissant du soutien aux projets économiques, quelle est votre position sur la loi Climat et Résilience ainsi que sur la loi Trace (Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus), notamment en lien avec les enjeux d'artificialisation des sols ?
M. Éric Schahl. - Je commencerai par la question des strates territoriales. En tant que représentant des régions, je ne me prononcerai pas sur les autres échelons. Mais, dans une vie antérieure, j'ai contribué à la conception du conseiller territorial, alors que je travaillais auprès du Président de la République, M. Nicolas Sarkozy.
L'idée était née du constat partagé de la nécessité de rationaliser le paysage, sans pour autant supprimer un niveau. Le chef de l'État et Josselin de Rohan, alors sénateur, avaient longuement débattu à ce sujet. Le conseiller territorial permettait à un même élu de siéger au conseil régional et au conseil départemental, créant une synergie dans la conduite des politiques publiques. Cette proposition ne serait toutefois plus applicable aujourd'hui, car les grandes régions, avec parfois plus de huit départements, rendent ce dispositif inopérant.
Néanmoins, le principe initial demeure pertinent : il s'agissait de favoriser une meilleure articulation des compétences, sans chercher à trancher artificiellement entre des niveaux qui remplissent des fonctions distinctes et complémentaires. La bonne échelle d'action dépend de la nature de la politique publique : une région constitue un niveau pertinent pour le ferroviaire ; un département pour les politiques sociales ; une commune pour la proximité. Plutôt que de supprimer un échelon, il convient de penser en termes de cohérence territoriale et de subsidiarité. La bonne politique publique est celle qui est au plus près du territoire en fonction de la taille dudit territoire.
S'agissant maintenant de la fiscalité et de son lien avec les compétences, il serait effectivement souhaitable que chaque niveau de collectivité dispose d'une ressource propre clairement associée à ses missions. Toutefois, un tel basculement nécessiterait un nouvel acte de décentralisation, et le transfert de 70 milliards d'euros, ce qui n'est pas envisageable à court terme. En attendant, nous préconisons de partager certains impôts nationaux existants, avec un pouvoir de taux pour chaque strate : l'impôt sur les sociétés pour les régions, d'autres impôts plus adaptés pour les départements et les communes.
Vous m'avez interrogé sur la péréquation. Je vais y répondre en distinguant deux niveaux : celui de Régions de France, que je représente ici, et celui d'élu francilien, que je suis également. Régions de France est fermement attachée au principe de péréquation. Cette exigence est d'autant plus essentielle que nous appelons à un renforcement des compétences des collectivités. Sans mécanisme de solidarité, le système devient inégalitaire. Une péréquation horizontale est donc indispensable pour éviter que la répartition des ressources n'aboutisse à une forme de compétition sauvage entre territoires.
Dans l'hypothèse où une part de l'impôt sur les sociétés serait territorialisée, les disparités de rendement entre régions imposeraient d'autant plus la mise en place de mécanismes correcteurs. C'était déjà le cas avec la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont les écarts étaient plus marqués que ceux observés aujourd'hui avec la TVA, qui lisse davantage les ressources entre régions. Du point de vue de Régions de France, le système actuel de péréquation horizontale fonctionne de manière satisfaisante.
Cependant, si j'interviens comme élu de la région Île-de-France, une nuance s'impose : sur les treize régions métropolitaines, une seule -- la nôtre -- assume à elle seule 97 % de la péréquation horizontale. Cette année, cet effort représente 1,013 milliard d'euros, en hausse annuelle d'environ 50 millions d'euros. D'ici la fin du mandat, le montant s'élèvera à 7 milliards d'euros. Or, en dépit des apparences, la région Île-de-France ne bénéficie pas d'un niveau de ressources exceptionnel : ses charges sont élevées, sa démographie dynamique et ses besoins nombreux. Sa recette réelle de fonctionnement par habitant est de 328 euros, contre 401 euros en moyenne nationale.
Cette asymétrie mérite d'être réexaminée. Au-delà du PIB ou du revenu moyen, il conviendrait d'intégrer des critères plus fins : densité de réseau de transport, nombre de lycéens, taux de chômage, etc. Autant d'indicateurs pertinents pour apprécier plus équitablement la contribution de chaque région à la solidarité nationale.
Concernant votre dernier point, je ne suis pas un grand spécialiste des politiques environnementales régionales, mais je puis affirmer que toutes les régions de France sont pleinement mobilisées sur la transition écologique. C'est une évidence lorsqu'on constate que nos deux principales compétences concernent les transports et les lycées : elles concentrent l'essentiel de notre action.
Il est difficile de dresser un budget vert strictement défini, mais l'effort de verdissement est constant. La région Île-de-France réunit ainsi les deux plus gros chantiers publics d'Europe, à savoir le Grand Paris Express et la rénovation des lycées, avec plus d'un milliard d'euros par an, majoritairement dédié à l'efficacité énergétique.
Cette mobilisation permanente peut toutefois engendrer des contradictions. Ainsi, la région Hauts-de-France a fait le choix de ne pas fiscaliser les cartes grises des véhicules hybrides. Le geste exemplaire. Il entre en cohérence avec les objectifs de transition, mais prive la collectivité de ressources. Nous sommes alors face à une forme de « schizophrénie » budgétaire à soutenir une politique ambitieuse tout en renonçant aux recettes qui en financent partiellement l'exercice. Il serait donc plus rationnel de dissocier ces leviers, afin de permettre des choix de politique publique plus lisibles et soutenables.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Pour avoir été conseiller régional d'Île-de-France, je tiens à rappeler que celle-ci n'est pas assujettie au Sraddet (Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires), mais au Sdrif (Schéma directeur de la région d'Île-de-France), qui lui est spécifique et anticipait la complexité des dispositifs actuels.
M. Éric Schahl. - Nous ne sommes en effet pas confrontés à la même problématique de Zan (Zéro artificialisation nette) que les autres collectivités. Le taux d'artificialisation de l'Île-de-France est déjà extrêmement élevé, si bien que nous accomplissons davantage une démarche de renaturation. C'est d'ailleurs un Essonnien, le vice-président, Jean-Philippe Dugoin-Clément, maire de Mennecy, qui est chargé du Sdrif.
Sur la question d'une éventuelle révision constitutionnelle, je souhaiterais apporter un éclairage issu de mon expérience passée. J'étais au coeur du dispositif lors de la révision constitutionnelle de 2003. Certains, lors d'auditions précédentes, ont parlé d'une « forfaiture » du Conseil constitutionnel. En réalité, les choses furent plus nuancées.
En 2000, Christian Poncelet, alors président du Sénat, fit adopter une proposition de loi constitutionnelle très ambitieuse : compensation intégrale à l'euro près des transferts de compétences, seuil de 50 % de ressources propres -- entendues comme de véritables ressources fiscales. Lorsqu'en 2002, Jean-Pierre Raffarin devient Premier ministre, il souhaite à son tour une réforme d'ampleur. Mais les négociations se heurtent à une volonté gouvernementale de diluer les exigences initiales. Le débat s'enlise entre les termes « part prépondérante » et « part déterminante », cette dernière n'ayant aucune portée juridique précise.
Le Conseil constitutionnel, loin d'une forfaiture, a simplement entériné un compromis politique tacite : à défaut d'autonomie fiscale pleine, les collectivités recevraient des ressources dynamiques, comme la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP devenue TICPE). Ce compromis, bien que non retranscrit officiellement, reflétait un accord général.
C'est pourquoi, aujourd'hui, une révision constitutionnelle visant à renforcer l'article 72-2 nous paraît nécessaire. Vous avez vous-même adopté, en 2020, une proposition de loi en ce sens, introduisant la progressivité dans la compensation des charges transférées. C'est une démarche vertueuse.
Prenons l'exemple de la Dotation régionale d'équipement scolaire (Dres), destinée à financer les lycées. Elle est gelée depuis 2008, à hauteur de 660 millions d'euros. Dans le même temps, les dépenses cumulées des régions dans ce domaine ont explosé, atteignant aujourd'hui 2,7 milliards d'euros. Nous faisons quatre fois plus avec une enveloppe figée depuis seize ans. Cela illustre concrètement l'écart croissant entre charges et compensation.
Mais restons lucides : si la compensation devient constitutionnellement obligatoire, l'État trouvera d'autres leviers pour ajuster ses dépenses. C'est pourquoi, au-delà de la seule révision constitutionnelle, la vraie clé réside dans l'autonomie fiscale, seule garantie d'une réelle capacité d'action pour les régions.
M. Olivier Henno, président. - Je vous remercie pour cette conclusion et pour votre audition.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 05.