Mardi 29 avril 2025
- Présidence de M. Bernard Delcros, président -
Audition de Madame Mélanie Lepoultier, présidente de la délégation française au congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe et vice-présidente de l'association française du conseil des communes et régions d'Europe
M. Bernard Delcros, président. - Madame Mélanie Lepoultier, nous avions déjà eu le plaisir de vous accueillir l'année dernière lors d'un colloque sur le statut de l'élu local en Europe.
Vous êtes présidente de la délégation française au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe (CPLRE) et vice-présidente de l'Association Française du Conseil des Communes et Régions d'Europe (AFCCRE). Cette association constitue la branche française du plus vaste réseau européen de collectivités locales, fédérant environ 100 000 collectivités en Europe.
Votre association est également membre du Réseau Mondial des Collectivités Territoriales, Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU). L'AFCCRE participe à l'évaluation du respect par la France de la charte de l'autonomie locale adoptée par le Conseil de l'Europe en 1985.
Cette charte européenne fixe des normes communes pour protéger et développer les droits et libertés des collectivités locales. Elle engage les États européens qui l'ont ratifiée à respecter un certain nombre de conditions, de principes ou de pratiques. Elle prescrit l'ancrage de l'autonomie locale dans le droit interne, et si possible dans la Constitution, et pose le principe du transfert des compétences aux collectivités locales, accompagné d'un transfert des ressources financières, et souligne que les responsables élus des collectivités locales doivent bénéficier d'un statut assurant le libre exercice de leur mandat.
Les objectifs de cette charte sont évidemment au coeur des préoccupations du Sénat et particulièrement de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Votre audition a pour objet de nous éclairer sur le respect par la France des objectifs fixés par cette charte, notamment le principe de libre administration des collectivités, l'autonomie financière ou fiscale, ou la compensation financière consécutive au transfert des compétences.
Mme Mélanie Lepoultier, présidente de la délégation française au CPLRE et vice-présidente de l'AFCCRE. - Je vous remercie, Monsieur le président, de me permettre de présenter les travaux du CPLRE.
Je suis présidente de la délégation française au Congrès depuis un peu plus d'un an, et rapporteur permanent adjoint pour les droits humains au Conseil de l'Europe, les prérogatives du Conseil de l'Europe dans ce domaine ayant été renforcées lors du Sommet de Reykjavik.
Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux assure la représentation des collectivités territoriales au sein du Conseil de l'Europe. Nous émettons des rapports et des recommandations qui sont transmises au Comité des ministres, puis aux États membres. Il est important que ces recommandations soient connues dans les 46 États membres, quand bien même le Congrès souffre encore d'un déficit de notoriété.
La France, pays fondateur et hôte du Conseil de l'Europe, doit y être présente et s'y faire entendre. Le Congrès compte 306 délégués titulaires désignés pour cinq ans, représentant environ 130 000 collectivités locales. Nous avons aussi des partenaires pour la démocratie locale, notamment des pays du nord de l'Afrique, ainsi que des pays candidats tels que la Géorgie. En mars 2025, nous accueillerons une délégation d'observateurs du Belarus.
Le Secrétaire général du Conseil de l'Europe est francophone et le Secrétaire général du Congrès est français, ce qui est important au regard de la place de la France et la francophonie au sein de cette entité.
Les trois piliers du Conseil de l'Europe et du Congrès sont : la démocratie de proximité ; les droits humains (respect des droits des citoyens dans leur communauté) ; l'état de droit dans les municipalités et les régions.
Nous travaillons avec certains pays dans lesquels l'application des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est parfois entravée, notamment dans des pays candidats au Conseil de l'Europe comme la Bosnie-Herzégovine, l'Ukraine ou la Moldavie.
Le Congrès compte trois commissions que sont : la commission de suivi de la charte, chargée du monitoring de la charte et des recommandations sur la démocratie locale - elle suit aussi le rapport d'observation des élections ; la commission de gouvernance traitant des questions juridiques et politiques liées à la gouvernance locale (participation citoyenne, finances publiques, coopération transfrontalière et interrégionale, démocratie numérique) ; la commission d'inclusion sociale et de la dignité humaine, travaillant sur les valeurs de cohésion, d'égalité et de non-discrimination, dont la sauvegarde des droits fondamentaux.
Les élus sont répartis en deux chambres : la chambre des pouvoirs locaux, qui rassemble des représentants des communes, des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des départements ; la chambre des régions.
Les thématiques abordées sont vastes : résilience face aux crises climatiques, accès à l'eau et au logement, ingérence étrangère dans les processus électoraux, engagement citoyen, érosion littorale, accès aux services publics et aux soins, désertification, métropolisation, polarisation politique...
La délégation française comprend cinq représentants des communes, quatre représentants des conseils départementaux et neuf représentants des conseils régionaux, qui sont désignés par les trois associations faîtières avec approbation des ministères de l'intérieur et des affaires étrangères.
Les deux missions principales du Congrès sont : l'observation des élections locales, toujours à la demande du pays organisateur ; le monitoring de la charte de l'autonomie locale, sujet majeur du Congrès.
Je me trouvais récemment en Finlande pour observer les élections locales, ce qui a été très instructif. Les délégations multinationales produisent des rapports et des préconisations. Évidemment, les enjeux diffèrent selon qu'il s'agisse d'observer le processus électoral en Finlande, en Bosnie-Herzégovine, en Moldavie ou en Turquie. Ces missions d'observation des élections locales permettent des échanges de bonnes pratiques très intéressants, et établissent une cartographie de la démocratie dans les pays européens ou en devenir. Je me tiens à votre disposition pour toute question.
La charte européenne de l'autonomie locale, ratifiée par la France en 2007, se trouve au coeur du travail du Congrès. Bien que ses éléments soient souvent méconnus, ce texte fait force de droit. Cette charte reconnaît les collectivités locales comme fondement de tout régime démocratique. Ratifiée par l'ensemble des pays membres du Conseil de l'Europe, cette charte de l'autonomie locale, consacre plusieurs principes fondamentaux, à savoir : l'autonomie locale, inscrite dans la législation interne ; la responsabilité des élus locaux envers leur population ; le principe de subsidiarité ; le statut des élus locaux, permettant le libre exercice de leur mandat ; la liberté pour les collectivités de se doter des structures internes nécessaires à l'exercice des compétences, notamment en matière de recrutement et d'organisation interne ; la mise à disposition de ressources dont les collectivités disposent librement pour l'exercice de leurs compétences - point relevé lors du dernier monitoring de la France.
Cette charte considère les collectivités comme investies de responsabilités effectives pour permettre une administration efficace et proche des citoyens. Son article 4 exige la consultation des collectivités sur toutes questions les concernant directement. Elle prévoit qu'une partie des ressources provient d'impôts et taxes dont les collectivités doivent pouvoir fixer librement les taux, et garantit un système de péréquation entre collectivités. Les subventions ne doivent pas, dans la mesure du possible, être destinées à des projets spécifiques.
Toute modification des limites territoriales doit faire l'objet d'une consultation des collectivités - en France, la modification des limites territoriales des régions à l'issue de la loi NOTRe avait d'ailleurs été identifiée comme une violation de la charte lors d'un précédent monitoring. Le contrôle administratif des collectivités locales doit s'effectuer dans les limites définies par la loi, et le droit au recours juridictionnel doit être garanti. Les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources des collectivités locales doivent être suffisamment évolutifs et diversifiés pour s'adapter à l'évolution des coûts de l'exercice des compétences.
Un monitoring de la charte est réalisé tous les cinq ans. Le Congrès travaille à mettre en place un suivi post-monitoring efficace pour accompagner les évolutions plutôt que d'émettre simplement des sanctions quinquennales.
Le rapport de monitoring de la France, adopté en mars 2024, portait sur l'année 2023. Deux élus locaux de nationalités différentes, accompagnés d'un expert, ont mené ce travail. Ils ont rencontré des élus locaux de différents territoires (Bourgogne-Franche-Comté, La Réunion), ainsi que des associations d'élus et diverses institutions. Certaines rencontres n'ont pu avoir lieu, notamment avec le ministère de l'économie et des finances. Un consensus est apparu entre toutes les strates de collectivités et les sensibilités politiques sur les problèmes identifiés.
À l'issue du monitoring, le rapport a recommandé : de poursuivre la décentralisation en ancrant le principe de subsidiarité dans la législation ; de clarifier et de simplifier le système de répartition des compétences ; d'éviter la surrèglementation ; d'accroître le pouvoir décisionnel des collectivités territoriales pour une autonomie fiscale effective - cette observation faisait suite à la suppression de la taxe d'habitation et au conditionnement du financement des collectivités à des projets très précis via la multiplication des appels à projets, qui réduisent la latitude d'action globale des collectivités territoriales en France.
Le rapport préconise également : une révision périodique des coûts liés aux compétences transférées ; la réduction du financement contractuel des autorités locales et régionales ; la transformation des mécanismes de consultation des associations nationales en instruments de co-gouvernance plutôt que d'information descendante ; la mise en place d'un dispositif renforçant l'action juridique et allongeant les délais de prescription pour protéger les élus devant les menaces grandissantes.
Plusieurs violations partielles ont été constatées. Concernant les compétences confiées aux collectivités territoriales qui doivent être pleines et entières, le Congrès a souligné la confusion de la répartition des compétences et de l'autonomie pour les exercer. Il y avait également une violation partielle de l'article 5, selon lequel en cas de délégation de compétences, les collectivités territoriales doivent jouir de la liberté d'adapter leur exercice aux conditions locales. Le Congrès a noté le manque de marge de manoeuvre pour adapter l'exercice des compétences aux territoires. De plus, des articles ne sont pas pleinement respectés, notamment les articles 9 et 9.1 sur les ressources financières, en raison d'une centralisation excessive du financement des collectivités territoriales, qui représente un obstacle à la mise en oeuvre du principe d'autonomie financière. Il faut aussi citer une violation partielle de l'article 9.4 sur les systèmes financiers diversifiés, ainsi qu'une violation partielle de l'article 9.7 qui aussi induisait trop d'actions contractualisées pour obtenir des financements.
Les recommandations transmises au Comité des ministres soulignent : les insuffisances en matière d'autonomie financière ; la préoccupante réduction des impôts locaux remplacés par des transferts et des subventions de l'État ; l'absence de progression de la décentralisation ; la nécessité de considérer les collectivités comme de véritables instances de co-gouvernance.
Un retour a aussi porté sur la restructuration des régions, vécue comme négative sur un certain nombre d'aspects. L'identification des citoyens aux entités territoriales et le lien de responsabilité entre celles-ci et les citoyens sont jugés relativement faibles. Parmi les autres préoccupations figurent le faible taux de participation aux élections et les menaces et agressions subies par les élus locaux.
Les rapporteurs chargés du monitoring proposent de réactiver la décentralisation locale et régionale et d'accroître les pouvoirs d'imposition des collectivités territoriales pour rendre effective leur autonomie fiscale. Ils recommandent également de clarifier et simplifier le système actuel de répartition des compétences, de mettre en oeuvre des mécanismes de consultation avec les collectivités dans un esprit partenarial, et de renforcer les mesures visant à accroître l'intérêt des citoyens pour les affaires publiques locales. Je rappelle qu'il existe un protocole additionnel à la charte concernant la participation citoyenne à la vie locale. Ce protocole ne figure pas dans le périmètre du monitoring de la charte de l'autonomie locale.
Notre délégation travaille aussi sur des rapports concernant la transition écologique, le financement des médias, le logement et le vieillissement de la population. Je pense notamment à un rapport sur l'érosion littorale et l'adaptation des territoires à cet enjeu : il amènera une délégation d'élus à se rendre en Grèce et en France, sur le littoral atlantique et à Paris. Chaque rapport donne lieu à une recommandation transmise au Comité des ministres, puis à chaque pays.
M. Bernard Delcros, président. - Merci beaucoup, Madame la présidente, pour vos explications très précises et concrètes.
Vous avez évoqué les insuffisances ou les violations partielles de la charte par la France, notamment sur la question des ressources financières. La charte indique qu'une partie des ressources doit provenir d'impôts et de taxes à la libre décision des collectivités qui doivent pouvoir en fixer le taux. Or, à la suite de la suppression de la taxe professionnelle puis de la taxe d'habitation, les départements ne disposent quasiment plus d'aucun levier fiscal.
Par ailleurs, comment se situe la France par rapport aux autres pays concernés par la charte, notamment en matière de transferts de compétences et de compensations financières ? Nous serions intéressés par un travail commun sur les préconisations de la charte et leur application en France.
Mme Michelle Gréaume. - J'aurais besoin d'éclaircissements concernant le suivi des rapports effectués par le comité. Je reviens sur le rapport de monitoring de 2022 avec ses recommandations sur la protection financière et juridique des communes (en France), ainsi que sur la mission d'observation des élections municipales de 2020 qui avaient été marquées par une abstention record, et sur le rapport de 2023 sur la participation citoyenne avec ses recommandations pour renforcer l'engagement local.
De nombreuses problématiques récurrentes sont soulevées, notamment sur les difficultés financières des petites communes et les inégalités territoriales. Quels suivis sont effectués après ces rapports et leurs recommandations ?
Mme Muriel Jourda. - Ma question est sensiblement la même que celle de ma collègue. Aujourd'hui, nous cherchons des économies et nous examinons plus sérieusement ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Vous dites formuler des préconisations qui sont transmises au Gouvernement. Avez-vous obtenu des retours du Gouvernement sur ces préconisations ? Avez-vous même une réponse ? Et si oui, vos préconisations sont-elles suivies d'effets ?
M. Bernard Buis. - J'ai relevé une préconisation visant à réviser périodiquement les coûts liés aux compétences transférées. Pourriez-vous porter à notre connaissance des exemples d'une telle pratique, en ce qui concerne les compétences transférées aux départements notamment, mais aussi entre les communes et les communautés de communes. Je n'ai aucune expérience ni retour sur ce point et ne vois pas que cela soit fait quelque part.
Mme Mélanie Lepoultier. - Je ne pourrai pas entrer dans les détails de chaque rapport car ils sont nombreux. Concernant la situation de la France comparée aux autres pays, elle ne figure ni parmi les plus vertueux, ni parmi les pires. Les situations sont très diverses dans les 46 pays membres. En matière de démocratie locale et d'observation des élections, les différences sont considérables entre la Finlande, la Bosnie-Herzégovine, la Turquie ou encore la Serbie. À titre d'exemple, le rapport établi sur la Norvège était très court, ne contenant que peu de remarques sur l'organisation et l'autonomie des collectivités.
Lorsqu'un rapport de monitoring de la charte est présenté et voté au Congrès, un ministre en charge des collectivités territoriales vient habituellement répondre aux questions. Pour la France, il a été particulièrement difficile d'obtenir une telle participation, ce qui est regrettable car nous sommes un pays important, et que les ministres des 46 pays s'y conforment généralement.
Je dois souligner que le rapport sur la France contenait aussi beaucoup d'éléments positifs que je n'ai pas mentionnés aujourd'hui. Il faut être prêt à recevoir tant les critiques que les compliments. Nous sommes parmi les pays totalisant de nombreux points positifs, mais notre forte centralisation rend l'application de la charte plus complexe.
Le Congrès souffre d'un manque de notoriété et d'un suivi insuffisant entre les rapports quinquennaux. Sans entité dédiée au monitoring continu, les recommandations demeurent souvent sans suite. Par exemple, en ce qui concerne le financement très fléché des collectivités territoriales, il faudrait déterminer qui va garantir un retour à des pratiques plus conformes à la charte dans les cinq ans à venir ?
Par ailleurs, la faible participation et l'implication des jeunes correspond à un problème partagé par beaucoup de pays. Le Congrès accueille un jeune délégué par délégation, soit 46 jeunes étudiants qui suivent deux sessions pendant un an afin de participer au rajeunissement de la politique. Nous veillons d'ailleurs à ce que notre déléguée française s'exprime en français, malgré une préférence pour l'anglais.
Je regrette l'absence de suivi réel des préconisations. Bien que la charte ait valeur de traité, nous manquons d'un mécanisme assurant sa mise en oeuvre effective. Cette problématique se retrouve avec les arrêts de la CEDH et leur suivi, notamment concernant la communauté des gens du voyage en France. Le Congrès doit effectuer un réel effort pour maintenir l'attention et assurer un suivi concret des recommandations, peut-être en collaboration avec votre délégation, pour éviter d'identifier les mêmes violations cinq ans plus tard.
Mme Michelle Gréaume. - En complément, j'estime regrettable que la France permette aux jeunes de voter dès 18 ans aux élections européennes, alors que l'âge limite est fixé à 16 ans en Allemagne. L'abstention aux élections européennes est forte en France car les citoyens ne se sentent pas directement concernés. L'Allemagne s'efforce pour sa part d'intégrer les jeunes pour qu'ils s'intéressent à ces questions. Pourquoi ne pas organiser des débats sur ces différences de procédures entre pays ? Certaines pratiques allemandes pourraient nous apporter quelque chose, même si toutes ne seraient pas nécessairement acceptées par notre population.
Mme Muriel Jourda. - Je voudrais rebondir sur les propos de notre collègue Michelle Gréaume. Les différences entre pays existent parce que nos histoires diffèrent. Je ne suis pas forcément favorable à une uniformité totale en Europe. Concernant la Norvège que vous mentionniez, Madame la présidente, n'oublions pas qu'il s'agit d'un pays comptant au moins dix fois moins d'habitants que la France, ce qui explique des manières de procéder différentes. Il me semble donc difficile d'établir des comparaisons brutes, bien que ce ne soit pas votre intention.
Mme Mélanie Lepoultier. - Effectivement, nos histoires sont différentes et notre centralisation est le fruit de notre histoire nationale. Je ne suggère pas que la France devienne comme la Norvège. Nos situations sont différentes : la France compte 36 000 communes, de localités de 50 habitants jusqu'à des métropoles importantes. La Norvège compte beaucoup moins d'associations d'élus, avec une seule porte d'entrée pour les collectivités territoriales, ce qui change la nature de la concertation avec le Gouvernement. Je ne propose pas de calquer leur modèle, mais plutôt de s'inspirer des bonnes pratiques.
J'ai récemment participé à ma première mission d'observation électorale en Finlande, pays de la confiance, où les citoyens font confiance à leurs élus et aux médias. Ils ont mis en place un système très intéressant : il est possible de voter dans sa collectivité en totalisant seulement 59 jours de résidence. De plus, un vote anticipé a été instauré. Ainsi, durant les sept jours qui précèdent le scrutin, des bureaux de vote sont installés dans des lieux de vie quotidienne que sont les supermarchés, les bibliothèques, les piscines, les universités, les EHPAD, les hôpitaux... Des personnes sont rémunérées pour encadrer ce vote avancé. Grâce à ce dispositif, entre 35 % et 40 % des votants ont déjà voté avant le jour du scrutin, et les taux de participation atteignent 70 %. Cette approche consistant à « aller vers » les électeurs s'avère très efficace.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Il est vain de vouloir comparer des pays qui n'ont pas la même histoire. Concernant les bonnes pratiques, il appartient aux associations d'élus et à notre délégation d'identifier les défaillances et d'exprimer nos besoins pour voir avec vous quelles bonnes pratiques issues d'autres pays pourraient être appliquées. La réalisation de monitoring est satisfaisante pour le Conseil de l'Europe mais manque d'efficacité dans la mesure où nous ne sommes pas dans une instance législative. Nous devrions nous baser sur les besoins ressentis par les collectivités locales, exprimés par les associations et notre délégation, notamment sur des points précis comme l'autonomie fiscale ou le statut, et identifier les bonnes pratiques adaptables chez nous.
Mme Pascale Gruny. - Au regard des élections et de confiance, nous avons des souvenirs de bourrage d'urnes qui complexifient la situation. Nous n'avons même pas confiance dans le vote électronique. En tant qu'élue, je refuse même d'aller chercher des personnes âgées pour les emmener voter, de peur que certains croient que je vais leur imposer un choix.
La charte européenne de l'autonomie locale, sujet important pour nous, n'est pas contraignante. En tant que conseillère départementale, je constate que nous nous trouvons à l'opposé de cette charte en France. L'autonomie est avant tout financière et nous n'avons plus rien. La suppression de la taxe d'habitation est positive pour les Français, mais les élus n'ont pas été consultés sur ce sujet, alors que les dotations sont insuffisantes.
M. Éric Kerrouche. - Par rapport aux ambitions initiales, cette institution ne s'est pas suffisamment affirmée au sein des institutions européennes. Nous pensions qu'elle deviendrait le Sénat européen, mais nous en restons loin, notamment à cause de nos amis allemands.
Contrairement à ce qui a été dit, il est tout à fait possible de comparer les pays européens. Il existe quatre styles de gouvernance locale en Europe (style français, style rhénan, style des pays de l'Est...). Le problème français consiste à souvent se considérer comme le centre du monde en termes organisationnels, alors que des pays tels que la Hongrie nous ressemblent, totalisant un nombre comparable de communes. Le monitoring et l'identification des bonnes pratiques sont effectivement importants car cela permet une certaine transitivité entre les pays.
Il est à noter que le vote par correspondance est marqué par de mauvais souvenirs français des années 1960 faute d'un encadrement suffisant, alors qu'en Allemagne, ce système fonctionne très bien, en obtenant un taux de participation considérable.
Quant à l'autonomie, le rétrécissement financier des collectivités locales correspond à une tendance européenne. Les États laissent de moins en moins de place à leurs collectivités qui, même avec des compétences, n'ont plus les moyens financiers de les exercer.
M. Christophe Chaillou. - Je tiens à saluer le travail de la délégation française au sein du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux à Strasbourg. L'engagement profond dans cette instance moins connue est important. Nous constatons un mouvement de recentralisation dans de nombreux pays européens, et ce pas uniquement pour des raisons financières. Certains États considèrent avoir laissé trop de marge par le passé et estiment désormais être les seuls légitimes à agir. Dans cet environnement peu porteur, la charte européenne reste un document fondamental.
Malgré des différences entre pays, le monitoring permet d'obtenir une vision extérieure et d'identifier les tendances comme la recentralisation et les reculs financiers. Il faudrait approfondir le travail entre la délégation au Congrès et la délégation française à l'APCE. Au cours des mois passés, nous avons été confrontés à des sujets prégnants à l'exemple de la situation en Turquie et en Géorgie. Lors de la dernière session, j'ai été frappé de voir des parlementaires français mis en accusation par des parlementaires hongrois, serbes, slovaques et suédois, nous reprochant de ne pas respecter les libertés fondamentales. Des acquis comme l'indépendance de la justice et des pouvoirs locaux sont remis en cause, d'où l'importance de travailler ensemble et de renforcer ces positions avec nos collègues européens. Je salue donc Mélanie Lepoultier et son travail avec l'AFCCRE.
Mme Mélanie Lepoultier. - Merci beaucoup pour votre confiance. Le Congrès est en partie responsable de son déficit de notoriété, mais nous travaillons à y remédier. La présence d'un Secrétaire général français favorise cette démarche.
L'impact des rapports varie considérablement selon les pays. Si en France, leur influence peut sembler limitée, dans de nombreux pays, ces rapports de monitoring sont considérés comme extrêmement précieux et largement diffusés aux collectivités territoriales. Si nous avons éprouvé des difficultés à obtenir la présence d'un ministre français pour répondre aux questions du Congrès, d'autres pays considèrent cela comme un privilège. L'impact des rapports dépend aussi de l'importance que chaque pays souhaite accorder à ces rapports.
En ce qui concerne la question de la confiance électorale, mes observations en Finlande ont été révélatrices. Les Finlandais ont expérimenté puis abandonné le vote électronique. Leur système est fondé sur une grande confiance. Chaque isoloir est équipé d'un stylo et d'un crayon à papier pour que les électeurs inscrivent simplement le numéro du candidat sans signer de registre. De plus, le dépouillement n'est pas public. Les membres des bureaux de vote, nommés par les partis sans nécessairement être adhérents, viennent d'horizons différents mais travaillent ensemble au nom de la démocratie locale.
Le Congrès produit des rapports très instructifs sur divers sujets. J'ai par exemple été co-rapporteur d'une étude démontrant la corrélation entre désertification médiatique et démocratique, sur la base d'exemples issus de toute l'Europe mais aussi d'Australie et des États-Unis. D'autres travaux concernent le logement, le sans-abrisme, l'accès aux soins et aux services publics.
Le Congrès est la seule instance européenne maintenant des liens avec des pays hors de l'Union Européenne tels que le Royaume-Uni et la Turquie. Les délégations britannique et turque y sont particulièrement actives.
Nous pouvons également apprendre beaucoup de certains pays confrontés à des défis spécifiques. La Moldavie, par exemple, a développé une expertise dans la lutte contre les ingérences étrangères dans les processus électoraux locaux, problème qui pourrait nous concerner davantage à l'avenir.
Notre spécificité consiste à aborder chaque sujet sous l'angle des collectivités territoriales. Qu'il s'agisse d'adaptation aux crises climatiques, d'autonomie fiscale ou financière, nous partageons les bonnes pratiques entre élus locaux.
Il est important de rappeler que les droits fondamentaux sont aujourd'hui remis en cause dans certains pays, y compris au niveau local. Des difficultés existent parfois pour faire appliquer les décisions de la CEDH.
En conclusion, je pense qu'il est de notre responsabilité, en tant qu'élus locaux, de porter à votre attention ces recommandations importantes pour les collectivités territoriales françaises. Notre délégation de 306 élus est très engagée, et j'oeuvre à ce qu'elle prenne sa place dans le rayonnement diplomatique de la France. Aucun pays n'est parfait au sein du Conseil de l'Europe.
M. Bernard Delcros, président. - Nous vous remercions, Madame la présidente, pour ces informations, votre analyse et le travail que vous menez. Sans chercher à reproduire ce qui se fait ailleurs, nous avons intérêt à examiner les initiatives intéressantes d'autres pays pour nous en inspirer. Vos travaux constituent un excellent support pour mener ce travail.