Mercredi 30 avril 2025

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de Mme Lydie Evrard, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra)

M. Jean-François Longeot, président. - Nous ouvrons notre réunion avec l'audition de Mme Lydie Evrard, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), en application de l'article 13 de la Constitution.

Comme vous le savez, une telle nomination ne peut intervenir qu'après l'audition de la personnalité pressentie devant chacune des commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, suivie d'un vote à bulletin secret.

Madame Evrard, avant de céder la parole à notre rapporteur, permettez-moi de revenir brièvement sur votre parcours et sur le rôle de l'Andra.

Après une carrière d'ingénieure au sein de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) pendant environ dix ans, vous avez rejoint, il y a un peu plus de quatre ans, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Cette expérience internationale me semble être une véritable aubaine pour la sûreté nucléaire. Les expériences vécues à l'étranger dans ce domaine aussi singulier ont dû indubitablement nourrir votre réflexion sur l'avenir de la sûreté nucléaire française. Sans avoir jamais quitté les questions de sûreté et de sécurité nucléaires, vous vous apprêtez peut-être, si le Parlement venait à confirmer votre nomination, à renouer avec vos amours de jeunesse, si je puis m'exprimer ainsi, en travaillant à nouveau sur le traitement des déchets radioactifs. Votre parcours témoigne, dès le début de votre carrière, d'une appétence toute particulière pour la question de l'après-combustion. Vous avez en effet été la directrice en charge des déchets, du démantèlement, des installations de recherche et du cycle.

L'Andra est l'agence exclusivement chargée des missions de traitement des matières radioactives. Nous mesurons l'Himalaya qui se dresse devant l'établissement alors que la relance de la filière nucléaire bat son plein et que de nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR) sont amenés à voir le jour dans les prochaines années. Notre commission en a mesuré toute l'acuité récemment, à la faveur d'un déplacement d'une délégation de commissaires sur le site de la centrale nucléaire de Penly. Le projet pharaonique de construction de deux EPR 2 a été spécialement évoqué. Par ailleurs, l'Andra est également maître d'oeuvre du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), qui vise à stocker en géologie profonde des déchets hautement radioactifs. Il n'existe à ce jour aucun projet équivalent dans le monde : nous sommes, dans ce domaine, à l'avant-garde.

Cette audition est publique, ouverte à la presse et retransmise sur le site du Sénat.

À l'issue de notre audition et après le départ de la candidate, nous procéderons au vote à bulletin secret. Je rappelle qu'il ne peut y avoir de délégation de vote et que le dépouillement sera effectué simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat. Votre audition devant la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale se tiendra le 14 mai prochain.

Votre nomination ne pourra intervenir si l'addition des votes négatifs de chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

M. Paul Vidal, rapporteur. - Madame Evrard, je suis heureux de vous accueillir pour l'examen de votre candidature proposée par le Président de la République en application de l'article 13 de la Constitution. Cette proposition de nomination intervient alors que M. Pierre-Marie Abadie, ex-directeur général de l'Andra, que notre commission a entendu, a pris la tête de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), quatre mois plus tôt.

L'Andra a d'abord été créée en 1979 en tant que direction au sein du Commissariat à l'énergie atomique (CEA). En 1991, la loi Bataille a transformé le statut de l'agence pour en faire un établissement public industriel et commercial placé sous la tutelle des ministres chargés respectivement de l'énergie, de la recherche et de l'environnement. Par la suite, la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs est venue consacrer les travaux de recherche de l'Andra, en renforçant ses missions de gestion au long cours des déchets radioactifs et en prévoyant l'établissement par le Gouvernement d'un plan national pour la gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR).

Au bénéfice d'une longue carrière au service de l'État, et à la lecture de votre CV, vous avez acquis, madame Evrard, une appétence prononcée pour le secteur du nucléaire, notamment dans son volet sûreté. Je retiendrai certaines de vos missions qui me paraissent cardinales et méritent d'être soulignées.

Depuis quatre ans, vous occupez la fonction de directrice générale adjointe et cheffe du département de la sûreté et de la sécurité nucléaires de l'AIEA. Une telle expérience vous a permis de nourrir un regard croisé, aux accents internationaux, qui ne peut qu'être utile à la sécurité nucléaire de la France et l'enrichir. Auparavant, pendant plus de dix ans, vous avez travaillé au sein de l'ASN, tantôt en tant que directrice en charge des déchets, du démantèlement, des installations de recherche et du cycle, tantôt en tant que responsable du contrôle de la radioprotection et du suivi des sites pollués par des substances radioactives.

Dans le cadre de ces fonctions, vous avez notamment expérimenté la mise en oeuvre d'un PNGMDR. Vous disposez d'une certaine expertise sur l'important projet Cigéo de stockage des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue. Je reviendrai plus tard sur ces deux sujets qui méritent toute notre attention.

Au total, cette expérience, tant internationale que nationale, à des fonctions clés en matière de sûreté nucléaire et de gestion des déchets radioactifs, apparaît comme le meilleur témoin du sérieux de votre candidature. Si le Parlement soutenait votre candidature, je pense que l'Andra pourrait utilement capitaliser sur votre expertise et votre technicité.

En examinant attentivement votre candidature, une première question me vient : quel bilan dressez-vous de vos cinq années à l'AIEA et de vos dix années passées au sein de l'ASN ? Dans quelle mesure estimez-vous que cette expérience pourrait être mise à profit au service de l'Andra ?

Vous vous apprêtez peut-être à prendre, pour les prochaines années, la direction de l'Andra. Une telle mission est lourde d'enjeux, alors que le traitement des déchets nucléaires navigue au confluent de vents contraires, à savoir la relance de la production nucléaire française
- ce qui induit un accroissement des déchets radioactifs - sans toutefois intenter à la qualité des milieux naturels, pour les générations présentes et futures, dans la mesure où « la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle ».

À cet égard, il revient à l'Andra de traiter des déchets dits de « faible activité » et de « moyenne activité », généralement stockés en surface ou à faible profondeur. Actuellement, les déchets à très faible activité sont stockés dans le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (Cires) situé à Morvilliers, dans l'Aube, et les déchets de faible activité ou d'activité moyenne à vie courte sont gérés par le centre de stockage de déchets radioactifs de Soulaines-Dhuys, dans le même département. Le traitement de ces déchets ne pose aujourd'hui que peu, voire pas, de difficultés. Néanmoins, compte tenu du vieillissement du parc nucléaire et du démantèlement consécutif à anticiper, quelles actions entreprendrez-vous pour garantir le même niveau de sécurité ?

Surtout, vous aurez à traiter de déchets bien plus problématiques, les déchets à haute activité et à longue durée de vie. Ces derniers se caractérisent par leur forte radioactivité et une durée de vie qui peut s'étendre sur plusieurs dizaines de milliers, voire millions d'années. Isoler ces déchets afin de les rendre inaccessibles à l'homme le temps nécessaire à la décroissance de leur radiotoxicité, apparaît comme l'enjeu principal de la filière de traitement des déchets nucléaires. Depuis ses balbutiements au début des années 1990, jusqu'à la phase d'instruction du dossier, le projet Cigéo, censé voir le jour à Bure, dans la Meuse, sur le territoire de notre collègue Jocelyne Antoine, n'est pas sans susciter des interrogations. Pour votre complète information, les acteurs locaux, tant politiques qu'économiques, y sont favorables, mais pas à n'importe quel prix... Ils veulent des garanties.

D'une part, comment pouvez-vous garantir que le projet Cigéo ne connaîtra pas un sort analogue à la mine d'Asse, dans le Land allemand de Basse-Saxe, où l'entreposage de déchets hautement radioactifs s'est soldé par un véritable échec, entraînant de fortes contaminations ? Quelles actions allez-vous engager avec les acteurs locaux pour mener à bien ce projet ? Plusieurs critiques sont émises sur le projet Cigéo, notamment concernant l'impossibilité de garantir à très long terme la stabilité des couches d'argile dans lesquelles seraient entreposés les déchets. Que répondez-vous à ces interrogations ?

D'autre part, la réversibilité de l'entreposage est un sujet qui continue à faire débat. Il est prévu, à l'horizon 2150, une fermeture du site une fois les déchets entreposés. Comment pouvons-nous être sûrs que nous ne parviendrons pas à trouver, dans les prochaines années, une solution plus favorable pour les générations futures ? Pouvez-vous, sur ce point, lever les inquiétudes légitimes ?

Ce projet n'est pas consensuel. Ses opposants peuvent manifester, parfois avec virulence, quelquefois avec violence, leur opposition. Comment appréhenderez-vous ces oppositions probables, quelles seraient vos éventuelles prises de position en tant que directrice générale ?

Enfin, le coût du projet, estimé à environ 25 milliards d'euros, demeure incertain. Disposons-nous aujourd'hui de garanties solides sur son coût final ?

Ni vous, ni nous autres parlementaires, n'aurons les moyens d'apprécier dans le temps la pertinence et la viabilité du projet que nous avons collectivement entrepris avec Cigéo. Sur des sujets aussi sensibles et nouveaux, les craintes sont légitimes, mais elles ne doivent pas conduire à l'immobilisme.

J'en viens à des questions plus programmatiques pour l'avenir de la filière des déchets nucléaires.

La cinquième édition du PNGMDR arrivera à échéance en 2026. Le processus d'élaboration du sixième PNGMDR est en cours pour l'année 2025.

Dans son avis du 15 mars 2025 relatif aux enjeux et aux orientations à considérer dans le cadre du sixième plan, l'ASNR constate l'impossibilité de stockage unique pour l'intégralité des déchets de faible activité à longue vie : en conséquence, dans le cadre de ce sixième plan en cours de conception, quelles sont les solutions que vous pourriez préconiser pour améliorer la gestion de ces déchets ?

Dans ce même avis, l'ASNR considère qu'une réflexion et des solutions doivent être envisagées pour les déchets produits dans le cadre des projets de petits réacteurs modulaires, afin de gérer notamment les déchets de plomb et de graphite. Quelles solutions envisagez-vous pour l'entreposage et le stockage de ces matières ?

Enfin, j'évoquerai le mandat particulier de directeur général de l'Andra. À la différence notable d'autres établissements semblables, par exemple de l'ASNR, pour lequel la durée du mandat du président est limitée dans le temps, il n'en est rien s'agissant de l'Andra. L'article 8 de l'arrêté du 7 novembre 1979 portant création au sein du CEA d'une agence nationale pour les déchets radioactifs n'a prévu aucun bornage temporel au mandat de son directeur général.

Cette particularité interroge : elle met en cause le principe même de reddition des comptes en l'absence de mandat strictement délimité. Comment appréhendez-vous cette particularité et quelle vision avez-vous de cette fonction dans le temps ?

Compte tenu du contexte singulier de la relance du nucléaire français, de la nécessaire réindustrialisation de notre tissu productif et des enjeux de décarbonation de notre mix énergétique, il apparaît impératif d'envisager tous les versants de ce grand mouvement en faveur de l'énergie nucléaire. Il ne s'agit pas de donner un blanc-seing à cette politique énergétique, mais d'en mesurer le caractère historique et je le crois incontournable des décisions que nous prenons en la matière.

Néanmoins, les générations futures nous regardent et ne nous pardonneront pas nos éventuels manques d'anticipation en matière de gestion des déchets nucléaires. Nous les savons dangereux, nuisibles à nos milieux naturels, et c'est ainsi avec sérieux que nous devons envisager aujourd'hui la nomination à la tête de l'Andra de sa potentielle future directrice générale.

Notre commission restera attentive à la mise en oeuvre des missions de l'Andra et tout spécialement au déploiement du projet Cigéo.

Mme Lydie Evrard, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de directrice générale de l'Andra. - Je vous remercie de me recevoir pour cette audition. Je me présenterai brièvement, avant de développer ma vision de la gestion des déchets radioactifs et de l'Andra, puis ma perception des enjeux à venir. Je répondrai enfin aux questions du rapporteur.

Haut fonctionnaire, ingénieur de formation, j'ai fait le choix de rejoindre la fonction publique dès le début de ma vie professionnelle, avec la motivation de travailler pour l'intérêt général. Mon parcours professionnel s'est essentiellement déroulé dans le domaine de la protection de l'environnement, de la gestion des risques et de la sûreté nucléaire. J'ai travaillé en particulier plus de dix ans pour l'ASN dans différentes fonctions.

Cette expérience à l'ASN m'a convaincue que la coopération et le partage international des bonnes pratiques sont essentiels pour maintenir de hauts niveaux de sûreté nucléaire. C'est avec cette conviction très forte que j'ai rejoint l'AIEA, il y a quatre ans, en tant que directrice générale adjointe et chef du département de la sûreté et de la sécurité nucléaires. Mon poste actuel comporte une double composante, technique et diplomatique. Nous conduisons des activités de coopération internationale avec nos États membres pour renforcer la sûreté et la sécurité nucléaires à travers le monde.

La recherche du consensus est capitale dans toutes nos activités. Mes fonctions actuelles comprennent également une importante dimension de management d'équipe et de relations avec un très grand nombre d'interlocuteurs, en particulier les chefs des autorités de sûreté nucléaire et les ambassadeurs à Vienne.

Mon parcours professionnel m'a amenée à travailler directement sur de nombreux sujets en lien avec les activités de l'Andra. À l'ASN, dans mes fonctions de directrice en charge des déchets, j'ai été impliquée dans l'élaboration du PNGMDR, ainsi que dans deux débats publics, en 2013 sur Cigéo et en 2018 sur le PNGMDR.

Mes activités à l'échelon international m'ont permis d'élargir ma vision du sujet. J'ai été personnellement impliquée dans les revues de la convention commune de l'AIEA, qui vise à assurer et à renforcer la sûreté de la gestion des déchets radioactifs et du combustible usé. J'ai participé à des revues entre pairs et des visites à travers le monde d'installations de stockage, en particulier en Finlande, en Suède et au Japon - en particulier à Fukushima.

Cette expérience personnelle acquise en France et à l'étranger me permet d'appréhender toute l'importance et la diversité des enjeux liés à la gestion des déchets radioactifs. Du point de vue technique, la gestion des déchets radioactifs est un sujet complexe et interdisciplinaire. Il existe en effet une grande variété de déchets et chaque type demande une filière appropriée pour en assurer une gestion sûre et responsable sur des échelles de temps qui peuvent être extrêmement longues.

Au-delà de ces aspects techniques, la gestion des déchets radioactifs est aussi un enjeu de société avec une dimension intergénérationnelle. C'est la raison pour laquelle le Parlement joue un rôle fondamental et son implication depuis plus de trente ans a été décisive pour définir un cadre législatif approprié sur le long terme, qui permet d'assurer une continuité et de garantir que les choix ainsi faits sont assumés au plus haut niveau de la Nation.

La concertation avec les différentes parties prenantes et la collaboration étroite avec l'ensemble des acteurs institutionnels et les territoires sont également indispensables. En France, nous disposons d'un cadre rigoureux pour la gestion des déchets radioactifs qui repose sur trois piliers : tout d'abord, un cadre législatif et réglementaire spécifique pour la gestion des déchets radioactifs ; ensuite, un PNGMDR, outil précieux de planification stratégique ; enfin, une agence nationale spécialisée dans la gestion des déchets radioactifs, en l'occurrence l'Andra. Celle-ci joue un rôle central dans le dispositif français et exerce des missions variées au service de l'intérêt général. Agence chargée d'une mission de service public spécialisé, elle est aussi un organisme de recherche, un opérateur industriel et le maître d'ouvrage pour le compte de l'État du projet Cigéo, projet unique et complexe à plusieurs titres. J'y reviendrai.

En tant qu'opérateur industriel, l'Andra exploite des centres de stockage de déchets radioactifs depuis plus de cinquante ans, ce qui lui a permis de faire ses preuves d'une manière incontestable. Dans ses évaluations annuelles, l'ASNR souligne ainsi que les installations de stockage sont bien exploitées, avec des niveaux de sûreté satisfaisants. L'agence a développé une expertise technique solide et reconnue.

Elle a aussi su nouer des liens étroits avec les collectivités territoriales concernées, leurs divers acteurs et la population, ce qui est primordial, comme on peut le constater avec les centres actuellement en exploitation dans le département de l'Aube, comme avec celui de la Manche, désormais fermé, dont l'Andra assure toujours le suivi.

Cigéo, projet de stockage des déchets de haute et moyenne activité à vie longue en couche géologique profonde, est un projet d'ampleur, encadré par des lois successives depuis trente ans, qui ont conduit l'Andra à se donner la structuration et le dimensionnement nécessaires. De très nombreuses recherches ont permis d'identifier un site à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, dont la géologie est favorable à l'implantation d'un tel stockage. Un laboratoire souterrain procède, depuis plus de vingt ans, à de multiples recherches et expérimentations. Des étapes importantes ont été franchies récemment, en 2022, avec le décret de déclaration d'utilité publique (DUP) et le décret inscrivant Cigéo comme opération d'intérêt national. La demande d'autorisation de création (DAC) est en cours d'instruction et la démonstration de la sûreté à long terme en constituera un élément essentiel, de même que les modalités de réversibilité du stockage.

L'Andra doit ainsi répondre aux enjeux actuels, mais également anticiper les besoins de demain. L'objectif majeur pour les prochaines années sera de continuer à assurer une gestion sûre et responsable de tous les types de déchets radioactifs, dans le contexte de l'évolution de la politique nucléaire française, en particulier la prolongation de la durée de fonctionnement du parc actuel, les projets de nouveaux réacteurs et le projet de développement de petits réacteurs modulaires (SMR).

La politique nucléaire de notre pays, qui répond à une volonté d'indépendance énergétique, exige une gestion sûre et responsable des déchets radioactifs. Cigéo constitue donc la priorité de l'Andra, avec l'instruction en cours de la DAC, la poursuite de l'évolution interne de l'Andra et la préparation du passage progressif de la phase de conception à la phase de réalisation du projet de stockage. Il s'agit d'un processus au long cours, mais qui requiert une attention constante, avec méthode et rigueur. La dynamique d'échange avec les territoires devra aussi se renforcer avec l'avancement du projet.

Si ma nomination au poste de directrice générale est confirmée, je compte apporter à l'Andra ma culture et mon expérience en matière de sûreté et de sécurité nucléaires, avec trois priorités.

D'abord, conduire les équipes de l'Andra. Je salue à cet égard le travail accompli au cours de ces dix dernières années par M. Pierre-Marie Abadie, précédent directeur général de l'Andra. Les inspections générales des ministères chargés de l'environnement et de l'énergie ont souligné, dans une récente évaluation, « leur opinion très positive du fonctionnement de l'Andra, de la qualité de son encadrement et de la capacité de l'agence à remplir ses missions ». Je m'attacherai à maintenir le haut niveau de performance de l'Andra.

Dans mes fonctions actuelles, je suis responsable d'un département composé d'environ 450 experts internationaux de 75 nationalités différentes, principalement des experts techniques. Nous développons des normes de sûreté internationales et conduisons des revues par les pairs. Mon département a dû évoluer et se transformer ces dernières années pour répondre aux nouvelles attentes de nos États membres dans un contexte mondial de changement. Nous avons mené des projets sur les petits réacteurs modulaires, la résilience face aux changements climatiques, la cybersécurité, le recours à l'intelligence artificielle, ainsi que l'assistance au Japon pour le rejet en mer des eaux issues de Fukushima et, depuis mars 2022, l'assistance à l'Ukraine en matière de sûreté nucléaire, avec la conduite et le déploiement de très nombreuses missions techniques sur place.

L'Andra s'appuie également sur des équipes expérimentées et pluridisciplinaires qui comprennent environ 750 personnes avec une grande diversité d'expertises scientifiques et techniques. L'agence travaille en étroite collaboration avec de nombreux acteurs en France et au niveau international, comme j'ai pu l'observer dans mes fonctions actuelles. Je conduirai les équipes de l'Andra avec la même conviction et les mêmes valeurs qu'avec les équipes que j'ai eu la chance de diriger jusqu'à présent. Mon approche sera tournée vers le collectif et la valorisation de la diversité, indispensables pour atteindre les meilleurs niveaux de performance. Je favoriserai l'écoute, le dialogue et des conditions de travail de qualité qui soient propices au développement professionnel de chacun et renforcent l'attractivité de l'agence en tant qu'employeur, pour qu'elle soit en mesure d'attirer les compétences dont elle a besoin.

Ensuite, je souhaite piloter la conduite des projets de l'Andra. Plusieurs projets sont en cours, au premier rang desquels le projet Cigéo. La gestion des déchets à faible activité et à vie longue devra également faire l'objet d'une attention particulière.

La sûreté et la protection de l'homme et de l'environnement à long terme, ainsi que le travail en étroite collaboration avec l'ensemble des acteurs, et notamment les territoires, seront des éléments indispensables pour la réussite de tous ces projets.

Enfin, je m'attacherai, petit à petit et d'une façon plus globale, à assurer et à maintenir un dialogue et des relations de qualité avec les différents acteurs - les agents de l'Andra, les représentants des salariés, les ministères de tutelle, l'ASNR, les parlementaires, les élus locaux, les producteurs de déchets, les instances de concertation ainsi que les interlocuteurs au niveau international.

Les années à venir présenteront de nombreux défis, mais l'Andra pourra compter sur de nombreux atouts : son excellence technique, l'expertise et le savoir-faire remarquable qu'elle a développés depuis sa création, la grande qualité, le professionnalisme et l'engagement de ses équipes, les bonnes relations qu'elle entretient avec ses partenaires en France et à l'étranger.

L'Andra traite de sujets aussi passionnants que complexes. Elle a vécu de nouvelles étapes marquantes dans son histoire et son développement, changements qui caractériseront aussi les années à venir. L'expérience que j'ai acquise sur un champ élargi de sujets techniques et de sûreté nucléaire, mais aussi en matière de management d'équipe et de relations avec de multiples interlocuteurs aux profils très divers, me sera précieuse.

Elle ne me dispensera certainement pas d'apprendre encore beaucoup, mais je suis très confiante dans la valeur de l'équipe qu'il me serait donné de diriger, comme dans la qualité des relations que l'Andra entretient avec de multiples partenaires, à commencer par les élus de la République.

Je suis très honorée d'avoir été proposée pour les fonctions de directrice générale de l'Andra et, si ma nomination est confirmée, vous pourrez compter sur mon total engagement. Je terminerai mon propos introductif en vous remerciant et en restant bien sûr à votre disposition pour toute précision.

Je vais maintenant répondre aux questions du rapporteur.

Je commencerai par le bilan de mes quatre années à la tête du département de la sécurité nucléaire à l'AIEA. J'ai pris mes fonctions début 2021, dans le contexte de la pandémie mondiale. Le contexte actuel que nous observons tous, ainsi que les tensions au niveau géopolitique, ont effectivement joué un rôle particulier dans les missions que nous avons conduites depuis quatre ans.

Mon bilan est, tout d'abord, une observation : nous vivons dans un monde qui évolue rapidement. Des activités historiques ont été maintenues à l'AIEA, notamment le développement de standards de sûreté et de sécurité, incontournables pour les États membres. Cependant, nous avons dû traiter des sujets émergents, tels que les petits réacteurs modulaires, l'intelligence artificielle, la cybersécurité, la résilience face aux changements climatiques. Ces sujets existaient bien sûr il y a quatre ans, mais ils prennent désormais une ampleur particulière. Et surtout, nous assistons à des événements sans précédent : comment assurer la sûreté et la sécurité nucléaires dans un pays en guerre ? J'ai donc observé une évolution et un besoin d'accompagner ce changement, de s'adapter, de revoir les priorités, de consacrer les ressources nécessaires aux sujets qui sont incontournables. Ces quatre ans m'ont également appris beaucoup en termes de fonctionnement dans le domaine de la coopération internationale et notamment le développement de partenariats de différente nature avec différents acteurs. Cela a été très enrichissant.

J'ai déjà évoqué l'essentiel de mes dix années passées à l'ASN dans mon propos introductif. J'en tire des enseignements techniques dans un champ large - les déchets radioactifs -, mais également, plus spécifiquement, sur les installations du cycle du combustible. Mon expérience est focalisée sur la sûreté nucléaire, mais également sur la radioprotection et la protection de l'environnement, ainsi que sur la gestion des sites et des sols pollués.

L'impact de la relance nucléaire française en matière de gestion des déchets radioactifs est une question clé. C'est un sujet qui demande une attention permanente et qui est revu régulièrement, notamment dans le cadre du PNGMDR : nous revoyons périodiquement, sur la base d'un inventaire national, les besoins en matière d'installations de stockage. Il faut s'assurer qu'en fonction des évolutions des activités nucléaires, il existe des installations de stockage qui soient sûres et que les besoins soient anticipés.

Un certain nombre d'évaluations ont été menées sur les démantèlements, de sorte que les stockages actuels, notamment le Cires, puissent accueillir ces déchets. Ce mécanisme de révision régulière permet de s'assurer que tous les déchets trouveront au moment voulu une installation de stockage. L'Andra a pour mission d'anticiper ces besoins, d'analyser les évolutions avec différents scénarios et de s'assurer que les installations correspondantes sont développées ou modifiées, étendues en conséquence.

Le projet Cigéo pose un certain nombre de questions. L'implication des territoires est un élément clé pour le développement et la période de mise en exploitation des stockages. Comment associer les territoires à ces projets ? L'Andra n'est pas le seul acteur, mais elle joue un rôle particulier dans la mesure où elle est porteuse de ces projets de stockage, qui présentent un enjeu national. Pour Cigéo, cela se traduit par l'adoption des décrets de DUP et du décret inscrivant Cigéo en tant qu'opération d'intérêt national. Ces stockages ont une dimension nationale évidente. Ce sont des installations uniques. Mais l'implication des territoires est indispensable et doit se faire en bonne coordination avec cet enjeu national.

À l'échelle des territoires, l'accompagnement, notamment pour expliquer la nature des projets, répondre aux interrogations et aux préoccupations, s'agissant notamment de la sûreté à très long terme, est essentiel. L'Andra a pour mission d'apporter toutes les explications nécessaires, de participer aux différentes réunions d'information, aux consultations et d'être proactive dans sa communication pour que ces informations essentielles puissent être à la portée de l'ensemble de la population.

Au-delà de cette mission d'information, l'Andra a également un rôle à jouer en termes d'accompagnement de l'intégration des projets dans les territoires, en particulier d'un point de vue économique. Cela passe par la création d'emplois localement, l'appel à des entreprises locales et par un échange constant avec les représentants des territoires. L'Andra, à ce titre, doit être un interlocuteur et un partenaire très engagé, en permanence, sur les territoires. C'est ce que les équipes de l'Andra font depuis des années, aussi bien dans les départements de l'Aube, de la Meuse, de la Haute-Marne, mais aussi le département de la Manche, puisque le centre de stockage de la Manche est toujours suivi par l'Andra.

La mine d'Asse, en Allemagne, a été victime d'infiltrations et d'effondrements. C'était une mine de sel. Qu'avons-nous appris de cet accident et des autres événements intervenus dans des installations de stockage en France et à l'étranger ?

Tout d'abord, il est préférable et recommandé d'avoir une installation qui soit dédiée au stockage et non pas une installation convertie en espace de stockage. En France, c'est bien le cas : nous concevons des installations dédiées qui puissent répondre à des exigences de sûreté sur le très long terme. Des questions de design et donc de robustesse, de dimensionnement des structures ont également été prises en considération pour s'assurer que les stockages puissent être robustes.

La récupérabilité des colis de déchets radioactifs en cas de besoin fait également partie de la conception française ; c'est aussi un retour d'expérience des événements survenus en Allemagne. Les autres installations pour lesquelles des retours d'expérience ont été utiles sont Stocamine et le WIPP (Waste Isolation Pilot Plan), installation de stockage de déchets radioactifs aux États-Unis.

Sur la base de ces deux retours d'expérience, il a été démontré l'importance capitale de procéder à une caractérisation très approfondie des colis de déchets qui seraient amenés à être stockés, et d'avoir des critères d'acceptabilité extrêmement rigoureux pour éviter que des colis non appropriés soient mis en stockage. Ces enseignements vont au-delà de la mine d'Asse. Les mesures de prévention du risque d'incendie et de protection également font partie des enseignements tirés de ces événements, notamment aux États-Unis.

Je voulais aussi mettre l'accent sur le besoin de prendre en compte le retour d'expérience en termes de facteurs organisationnels et humains. Une installation de stockage est une installation nucléaire et, à ce titre, les dispositions matérielles de protection et de prévention des risques doivent être complétées par une analyse et une approche rigoureuse en ce qui concerne les facteurs organisationnels et humains. Comme on a pu l'observer dans un certain nombre d'événements ou d'accidents, les facteurs organisationnels et humains jouent un rôle essentiel. Cette dimension est prise en compte lors de la conception des conditions d'exploitation d'un stockage de déchets radioactifs.

J'ai déjà répondu à la question concernant les relations avec les acteurs locaux.

La stabilité au niveau de la couche d'argile est un sujet évidemment fondamental quand on considère les échelles de temps pour un stockage comme Cigéo. La couche d'argile, épaisse, a fait l'objet de très nombreuses recherches et expérimentations pour confirmer sa stabilité, l'absence de failles, afin de s'assurer qu'elle puisse accueillir un tel stockage.

Au niveau international, les stockages géologiques en couche profonde sont la solution de référence pour la gestion ultime des déchets radioactifs. C'est dans ce cadre-là que le projet français a été développé.

La réversibilité est une problématique typiquement française, qui n'est pas systématiquement intégrée dans les projets d'autres États membres. C'est une demande citoyenne très forte, issue du débat public de 2006, qui a conduit à inscrire le principe dans la loi. En France, il est très clair qu'un stockage ne pourra pas être autorisé s'il n'est pas réversible. Et c'est la loi qui le fixe. Ce point très important permet de s'assurer et de traiter la question des solutions alternatives.

Pour le cas où une meilleure solution apparaîtrait, il est prévu, pendant un certain temps, que le stockage puisse être réversible. Le stockage doit être développé de façon progressive, adaptable, relativement flexible et doit permettre la récupérabilité des colis en tant que de besoin. Ainsi, nous prenons en compte à la fois ce besoin de sûreté à long terme avec le stockage, mais également ce besoin qui pourrait apparaître à un moment donné de prendre en compte de nouvelles technologies qui pourraient ouvrir la voie à d'autres solutions. Cependant, il n'y a actuellement pas d'alternative définie au stockage en couche géologique profonde : c'est la solution de référence. C'est donc une précaution qui doit être prise et le stockage doit intégrer cette réversibilité. Nous devons poursuivre les études de solutions alternatives. Ce travail de long terme devrait permettre de s'assurer que si, à l'avenir, les générations futures avaient à leur disposition une solution meilleure, elles puissent la mettre en oeuvre.

Toutefois, la réversibilité ne doit pas compromettre la sûreté : un stockage sera sûr s'il est fermé. C'est pour cela que j'expliquais la complexité du sujet technique. C'est aussi lié à cette dimension de réversibilité, cette attente sociétale. Et c'est la meilleure combinaison possible de l'ensemble de ces éléments qui doit être assurée.

L'Andra joue un rôle essentiel pour apporter tous les éléments d'information technique, d'explication, y compris sur des sujets compliqués, pour présenter les mesures qui sont prises pour assurer la sûreté du stockage et plus globalement la gestion sûre et responsable de l'ensemble des déchets radioactifs. Bien sûr, un sujet tel que celui des déchets radioactifs peut être clivant et conduire à des oppositions. L'Andra se doit de répondre systématiquement à toutes les questions qui relèvent de cette gestion sûre et responsable des déchets radioactifs. Cependant, certaines questions vont au-delà, et dans ce cas, l'Andra n'est pas nécessairement l'interlocuteur capable de répondre à toutes les questions.

S'agissant de la gestion des déchets radioactifs, l'Andra se doit d'être le premier interlocuteur, et d'apporter tous les éléments de réponse et d'assurer un dialogue technique, même si les conditions sont parfois délicates. C'est vraiment le rôle d'une agence nationale comme l'Andra de pouvoir construire les conditions de ce dialogue technique autour de la gestion sûre et responsable des déchets radioactifs.

Le coût de Cigéo et la garantie du coût final font l'objet d'un suivi particulier. La somme de 25 milliards d'euros, évoquée par le rapporteur, correspond à l'estimation de 2016, fixée par un arrêté. Le code de l'environnement dispose que le coût de Cigéo doit être révisé aux étapes marquantes du développement du projet, notamment lors de la demande d'autorisation de création. Une réévaluation est donc en cours, ce qui va nous permettre de nous assurer que le coût final sera ajusté à chaque étape franchie, d'avoir des éléments de mise à jour et de garantir les provisions nécessaires pour assurer le financement du projet. Ces provisions sont constituées par les exploitants nucléaires, producteurs de déchets, conformément au principe pollueur-payeur. Ils doivent les constituer sur la base de l'estimation du coût faite par les services de l'État.

L'avenir des déchets radioactifs sera abordé dans la sixième édition du PNGMDR. Le projet de stockage des déchets de faible activité à vie longue sera un point essentiel, de même que la poursuite de l'instruction de Cigéo.

Les priorités seront de poursuivre la caractérisation et l'identification des solutions de gestion, compte tenu des différentes catégories de déchets que constituent les déchets de faible activité à vie longue. Ces déchets constituent une catégorie très hétérogène, ce qui pose des difficultés pour trouver un stockage adapté à ce type de déchets.

La sixième édition du PNGMDR traitera de ce sujet, ainsi que de la poursuite de l'instruction du projet de stockage Cigéo et des déchets de faible activité, notamment liés au démantèlement.

La bonne articulation entre la politique française en matière de gestion des déchets radioactifs et la politique énergétique française, notamment la politique nucléaire, sera aussi un objet d'attention pour la prochaine édition du PNGMDR.

Il faut anticiper les déchets des petits réacteurs modulaires. Actuellement, les SMR font l'objet de dizaines de designs différents. En fonction de l'évolution et du développement de ces SMR, il faudra identifier aussitôt que possible la nature des déchets pour s'assurer qu'ils puissent être pris en compte dans des filières appropriées.

L'absence de bornage du mandat de directeur général de l'Andra est effectivement une particularité. Personnellement, j'estime qu'il faut agir avec une certaine continuité, ce qui nécessite de la stabilité, compte tenu des sujets. Il faut tenir un équilibre entre cette stabilité et un nécessaire renouvellement, à un moment donné. Je ne donnerai pas un nombre d'années défini, l'important étant cet équilibre.

Mme Jocelyne Antoine. - Madame Evrard, votre parcours et votre expertise en matière de sûreté nucléaire vous donnent toute légitimité pour éventuellement devenir cette directrice générale.

Dans le cadre de ses missions, l'Andra met son expertise et son savoir-faire au service de l'État pour trouver, mettre en oeuvre et garantir des solutions de gestion sûres pour l'ensemble des déchets radioactifs français. Chaque année, l'utilisation des propriétés de la radioactivité engendre des déchets radioactifs qui émettent de la radioactivité et présentent des risques pour l'homme et l'environnement.

Sénatrice de la Meuse, je porte une attention toute particulière aux déchets qui resteront très dangereux très longtemps, à savoir les déchets de moyenne et haute activité à vie longue, qui seront stockés dans le site Cigéo, situé à la limite de la Haute-Marne et de la Meuse. Je précise que la Meuse doit accueillir dans son sous-sol la totalité du stockage des colis radioactifs qui pourraient y être placés. Seules les installations de surface sont à cheval sur les deux départements ; l'enfouissement de tous les colis se fera à 100 % dans le sous-sol meusien.

Si vous étiez confirmée au poste de directrice générale de l'Andra, vous entreriez en fonctions à une période charnière du projet Cigéo. Le décret de DUP est paru en 2022, et la DAC a été déposée en 2023. Son instruction court jusqu'en 2027 et pourrait aboutir au décret d'autorisation de création, faisant ainsi débuter la construction du centre de stockage qui constitue la phase industrielle pilote. La mise en service, avec la réception des premiers colis, pourrait intervenir aux environs des années 2035-2040. Durant les dix prochaines années, vous auriez éventuellement à gérer, au moins en partie, cette phase charnière et très stratégique du projet Cigéo.

Un tel projet nécessite un débat public permanent. La concertation doit rester au coeur du processus. Il est largement admis que le problème des déchets réactifs doit être résolu, mais nombreux sont ceux qui ne sont pas convaincus par la solution du stockage géologique profond. Si cette option est retenue à l'issue de la DAC, les citoyens exigent un maximum de données pour minimiser les marges d'incertitude.

Les citoyens s'interrogent sur les nuisances ou les risques liés au transport, que ce soit en phase chantier ou en phase d'exploitation. Durant les dix années de phase de construction, avant la phase d'exploitation, notre territoire connaîtra un chantier gigantesque.

Pour répondre à ces interrogations, l'Andra travaille avec différentes instances : la Commission nationale du débat public (CNDP), le Comité local des informations et de suivi (Clis), ainsi que l'Observatoire de la santé des riverains du projet de centre de stockage de Bure (OSaRiB). Quelles seront vos relations avec ces différents acteurs ?

Dans l'éventualité où la DAC aboutirait au décret d'autorisation en 2027, le chantier démarrera alors. Vous nous avez exposé vos compétences et votre vision en matière de sûreté nucléaire. Comment envisagez-vous la gestion de ce chantier en matière de sécurité et d'acceptabilité par les populations locales, y compris à court terme ? Outre l'acceptabilité à long terme du stockage des déchets, et les problèmes stratégiques de sûreté nucléaire, la réalisation de cet énorme chantier interroge, avec des difficultés de sécurité routière sur le secteur, le temps de la construction, en raison du nombre de camions qui circuleront sur les routes.

Vous avez évoqué les relations entre l'Andra et les acteurs locaux. J'ai pu constater, en consultant votre CV, que durant votre carrière, vous avez été amenée à travailler avec les collectivités territoriales. Quelle serait votre méthode de travail ?

Je vais faire un petit détour. Je travaille sur un rapport de la délégation aux droits des femmes intitulé Femmes et sciences. Je suis persuadée que, durant les dix prochaines années, nous aurons besoin de souplesse et peut-être, si je puis me permettre, d'une main féminine pour apaiser les relations. Pour ces sujets très clivants, l'approche d'une femme, parfois plus à l'écoute, est bénéfique. Ce n'est pas du militantisme, mais les études prouvent que la présence de femmes aux postes scientifiques et de direction amène une autre forme de concertation. Pensez-vous qu'être une femme est un atout pour ce poste ?

M. Stéphane Demilly. - Dans un contexte de transition énergétique et de lutte contre le changement climatique, la France a fait le choix d'opérer un retour stratégique vers le nucléaire. Cette relance vise à renforcer la souveraineté énergétique du pays, à réduire sa dépendance aux énergies fossiles et à garantir une production stable d'électricité décarbonée.

Cette relance soulève des défis majeurs, tels que les coûts importants, les délais de construction et celui de la gestion des déchets radioactifs produits en plus grande quantité. La France est l'un des pays les plus avancés en matière de gestion des déchets nucléaires, vous le savez par vos anciennes fonctions à l'ASN.

Le projet Cigéo soulève localement des craintes et des interrogations légitimes. Bien que ce choix géographique repose sur des fondements scientifiques solides, notamment la stabilité géologique, certains mettent en avant l'impossibilité de prévoir avec certitude, sur le temps long, des phénomènes qui pourraient potentiellement compromettre l'étanchéité du site. C'est la fameuse sûreté à long terme que vous avez évoquée. Je pense aux séismes et aux infiltrations d'eau, comme cela était le cas en Basse-Saxe.

Vous n'avez pas prononcé, dans votre propos introductif, le terme de « transparence ». Quelles mesures de transparence supplémentaires peuvent être mises en place dès aujourd'hui pour garantir l'acceptabilité de ces solutions sur plusieurs générations ? Et quelle place accorderez-vous à l'information et à la prévention citoyenne ?

M. Sébastien Fagnen. - Notre pays vit une réorientation de sa politique nucléaire avec une relance de la filière électronucléaire et la création de nouveaux réacteurs.

D'autres évolutions majeures ont été connues ces dernières années, tout particulièrement en 2024, avec deux événements significatifs : l'annonce de la prolongation de la vie de l'usine de La Hague d'Orano Recyclage, dans le département de la Manche, pour le retraitement des combustibles usés, sous la dénomination du programme Aval du futur, ainsi que la fusion entre l'ASN et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Tout cela bouleverse le paysage nucléaire français. De quelle façon envisagez-vous la juste place de l'Andra dans le programme Aval du futur et les relations avec Orano pour que vous puissiez trouver la place qui doit être la vôtre dans les réflexions et la conduite de ce programme majeur pour la filière électronucléaire française ?

Comment envisagez-vous les relations avec la nouvelle ASNR, quelques mois après une fusion qui a engendré des surcoûts de fonctionnement importants à périmètre constant, mais aussi bouleversé des habitudes de travail parfaitement bien établies dans le cadre de l'expertise de sûreté nucléaire à la française ?

Si la relance de la filière nucléaire française est une excellente nouvelle pour la production d'une énergie décarbonée, nous connaissons aussi les interrogations légitimes de nos concitoyens quant au devenir des déchets, puisque c'est un des points saillants de la contestation qui peut naître à l'égard de la filière. Au-delà du seul site de Cigéo, comment l'Andra entend-elle faire entendre sa voix sur la façon dont vous conduisez la gestion des déchets nucléaires, au-delà du concours de la CNDP à l'élaboration du sixième PNGMDR ?

M. Guillaume Chevrollier. - Vous disposez d'un profil d'excellence sur le nucléaire, tant sur l'expertise que le savoir-faire. Je me félicite de la remontée en puissance de la filière nucléaire, ce qui nécessitera davantage de compétences scientifiques et techniques très pointues, ainsi qu'un renouvellement des effectifs.

À la suite des tergiversations françaises sur le nucléaire, on observe un déficit d'attractivité des métiers. Des rapports soulignent la nécessité de recruter 100 000 personnes d'ici à 2034, à la fois pour répondre aux besoins de construction de nouveaux réacteurs, ainsi qu'aux besoins de maintenance et de démantèlement des installations. Si vous accédez à la direction générale de l'Andra, quelles actions concrètes engagerez-vous pour continuer à recruter, former et fidéliser les experts indispensables à la sûreté et à l'innovation dans le secteur des déchets nucléaires ?

Dans ce contexte de relance du nucléaire, des EPR 2, et aussi d'une instabilité politique et de nombreuses campagnes de désinformation à l'échelle nationale et internationale, la gestion des déchets radioactifs suscite de nombreux débats chez nos concitoyens, notamment sur le stockage à long terme et son impact environnemental. Allez-vous faire preuve de davantage de pédagogie et de communication auprès du grand public pour répondre aux arguments des détracteurs du nucléaire ?

M. Michaël Weber. - Le Sénat a mis en place une commission d'enquête sur les missions des agences de l'État, qui travaille depuis plusieurs semaines. La ministre Amélie de Montchalin a annoncé dimanche dernier la volonté du Gouvernement de poursuivre les fusions et suppressions de ces agences, notamment en raison de la situation budgétaire actuelle. Avec un budget de 232 millions d'euros, l'Andra pourrait-elle être touchée par ces réévaluations ? Comment l'envisagez-vous, avez-vous anticipé une telle situation et comment vous adapterez-vous ?

Jocelyne Antoine a souligné que vous intervenez essentiellement sur des territoires ruraux, qui ont une particularité reconnue en matière d'environnement. Dans le Grand Est, il y a le parc naturel régional de Lorraine et celui de la forêt d'Orient, qui a été bousculé dans son projet d'extension en raison de la présence de sites d'enfouissement de déchets nucléaires. Comment arrivez-vous à concilier cette excellence territoriale rurale reconnue et votre action pour maintenir cette qualité patrimoniale particulière ?

M. Jean-Marc Delia. - Dans un contexte marqué par la montée des cybermenaces, qu'en est-il de la sécurité informatique des infrastructures critiques ?

Eu égard aux récentes modernisations des unités de stockage, passant d'un stockage pur à un niveau de stockage permettant de réaliser une maintenance à chaud, une faille de sécurité est peut-être ouverte.

Comment allez-vous appréhender les éventuelles cyberattaques ciblant ces données sensibles ? Comment renforcer l'utilisation de l'intelligence artificielle dans cette stratégie de cybersécurité, par exemple pour la détection proactive des anomalies, mais aussi des comportements suspects ?

M. Ronan Dantec. - Vous avez utilisé le terme « satisfaisant » pour décrire le stockage des déchets nucléaires, avec votre vision issue de l'ASN ; cela sous-entend des marges de progrès. Quelles sont ces principales marges de progrès pour améliorer encore la sécurité et limiter les risques environnementaux ?

Où en est-on de l'exploitation du site Cigéo ? Sommes-nous presque au début de l'exploitation industrielle, dans le cadre d'une économie maîtrisée, ou en est-on loin ? Compte tenu de votre expérience, vous avez nécessairement un avis sur ce point.

Toutes les études internationales des principales agences énergétiques et économiques annoncent un nucléaire français au double ou au triple des autres productions électriques européennes, photovoltaïques et éoliennes, notamment offshore. EDF a du mal à trouver les masses financières nécessaires à cette relance nucléaire. Le sujet économique est important dans le dossier Cigéo, et peut se traduire de deux manières : soit une pression pour avoir des coûts maîtrisés au maximum, quitte à rogner sur certains sujets environnementaux, soit ralentir encore au maximum le début de Cigéo pour réaliser des économies et garder l'argent pour relancer la production nucléaire.

Mme Lydie Evrard. - Merci pour toutes ces questions, dont certaines se recoupent.

Les instances de concertation, comme le CNDP et le Clis de Bure, sont des structures clés pour conduire des échanges réguliers et ouverts avec différents partenaires. Il est important de toucher le public le plus large possible. Si j'étais nommée directrice générale de l'Andra, je continuerais à être personnellement investie et à participer à des réunions et à la concertation. Cela me semble important.

Le projet Cigéo, au-delà des questions de sûreté nucléaire, est un projet d'ampleur. Si la sûreté est un élément structurant, il y a aussi une dimension forte de conduite du projet qui intégrera différentes composantes, comme la sécurité et l'acceptabilité. Ce sera un grand ouvrage, les moyens appropriés devront accompagner le développement du projet.

Nous devons poursuivre le travail déjà engagé avec les collectivités territoriales. Le développement du projet Cigéo devra conduire à adopter de nouveaux modes d'échange, renforcer certains cadres et répondre aux nouvelles questions qui seront soulevées au fur et à mesure de la progression du projet. Actuellement, nous avons une base robuste ; les échanges sont bons, l'Andra très présente. Avec l'avancement du projet, il faudra continuer à développer ces modes d'interaction pour mieux intégrer le projet dans le territoire. Ce n'est pas quelque chose de figé. Nous devons évoluer en fonction des besoins et des attentes, et continuer à être très présents.

Le sujet des femmes dans les sciences est très intéressant, mais aussi très compliqué : je ne m'aventurerai pas à répondre si le fait d'être une femme est un atout ou non.

En revanche, je voulais simplement partager mon expérience acquise dans mes fonctions précédentes et actuelles. Mes années passées à l'AIEA depuis 2021, notamment trois ans à faire de la sécurité nucléaire dans un contexte de guerre, m'ont apporté une expérience précieuse. Ces années ont été très formatrices. Ce n'est pas lié au fait que je sois une femme, mais dans mes fonctions de chef du département de la sûreté et de la sécurité nucléaires, j'ai été conduite à travailler dans des conditions parfois compliquées. Il a fallu réunir l'ensemble des acteurs autour d'une table pour, indépendamment de toutes les considérations territoriales, travailler sur la sûreté et la sécurité nucléaires. Au niveau mondial, les États membres soutiennent l'AEIA, car nous sommes le seul acteur en capacité d'être présent sur le site de la centrale de Zaporijjia. Je pense que mon expérience personnelle, y compris dans des circonstances un peu extrêmes et uniques, est un atout pour gérer des situations parfois conflictuelles - et non le fait que je sois une femme.

Merci pour la question sur la transparence. Je reconnais que c'est un manque dans mon intervention, en toute honnêteté. La transparence est un point fondamental. Dans mon esprit, il est indissociable de la question de la sûreté nucléaire - c'est peut-être un défaut lié à mon passage durant dix ans à l'ASN ! On ne peut pas développer des mesures de sûreté nucléaire durablement et de façon constructive sans transparence. Vous avez raison : cela fait partie des échanges que l'on doit avoir avec les différents ministères. Nous devons aussi adapter le discours en fonction des profils des uns et des autres. Nous pouvons discuter de sujets très techniques avec des experts, le cas échéant, mais aussi avec des représentants de la société civile même s'ils n'ont pas une expertise dans le domaine nucléaire ou de sûreté nucléaire. C'est ce qui s'est passé durant le débat de 2013 : pour la conférence citoyenne, les représentants de la société civile avaient été formés pour appréhender des dimensions particulières du projet Cigéo. C'est un point fondamental et je vous remercie de l'avoir souligné.

Les producteurs de déchets radioactifs demandent qu'un dialogue technique soit établi avec les équipes d'Orano pour anticiper les besoins de stockage de leurs déchets. La partie retraitement fait partie des options de politique énergétique française qui pourraient avoir une implication importante sur la gestion des déchets radioactifs. Une revue régulière, tous les cinq ans, avec le PNGMDR, permettrait de saisir les enjeux actuels et les nouveaux enjeux le cas échéant.

Dans mes fonctions précédentes, à l'ASN, j'ai travaillé directement avec les experts de l'IRSN sur tous les sujets majeurs. Nous étions en contact permanent. Désormais, les deux structures sont regroupées au sein d'une même organisation. Il y aura toujours le côté expertise et le côté instruction, qui doivent rester indépendants l'un de l'autre, en application des principes recommandés, y compris au niveau international. Je ne vois pas d'évolution majeure. Mon expérience passée, aussi bien au sein de l'ASN qu'avec les équipes de l'IRSN, a toujours été très positive. L'ASNR sera un interlocuteur évidemment très important de l'Andra, d'autant plus que la demande d'autorisation de création du stockage est en cours d'instruction.

L'attractivité des métiers est une question importante. À l'échelle française, ces ressources ne sont pas pléthoriques. Il faut former davantage de personnes aux métiers du nucléaire. Cette difficulté se retrouve à l'échelle mondiale. Mais ce n'est pas avec des experts formés à l'étranger que nous pourrons compenser les besoins en France. Cela peut se traiter avec des acteurs clés, comme le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen). L'Andra a aussi un rôle à jouer pour mieux faire connaître ses métiers et attirer des talents, notamment de la jeune génération. Nous avons besoin d'ingénieurs et de techniciens qui pourraient apporter des ressources supplémentaires. Personnellement, je ferai tout mon possible pour attirer davantage de futurs ingénieurs. J'ai eu, dans d'autres fonctions, des relations particulières avec des acteurs du mentorat. Nous avons besoin de faire connaître nos métiers pour donner aux futurs ingénieurs l'envie de rejoindre des agences comme l'Andra.

Il faut faire plus de pédagogie sur l'EPR 2. Il faudra expliquer les enjeux et l'impact. Cela dépendra aussi du nombre de réacteurs. Une première étude a été menée pour six réacteurs EPR 2. C'est aussi un point à prendre en compte dans les futures éditions du PNGMDR.

La réflexion sur la fusion des agences de l'État est très récente. Depuis mes fonctions à l'AIEA, je n'en connais pas tous les détails. Je sais que l'Andra fait partie des agences impliquées dans le périmètre de la réflexion, mais il serait prématuré de vous répondre sur ce point. Je n'ai pas de réponse éclairée ni de proposition concrète à vous faire à ce stade, encore moins en n'étant pas à l'Andra.

La sécurité nucléaire, sur un projet comme Cigéo, est un sujet particulièrement important et sensible. Comme vous le savez, l'ASN n'était pas en charge de la sécurité nucléaire, mais de la sûreté. C'est dans mes fonctions actuelles à l'AIEA, où je suis en charge à la fois de la sûreté et de la sécurité nucléaires, que je peux avoir cette vision plus intégrée des deux dimensions, très sensibles. Je ne connais pas le détail de ce qui se passe sur Cigéo, n'ayant pas l'habilitation nécessaire. C'est un des points que je regarderai avec grande attention si ma nomination est confirmée.

Sur l'évaluation de l'ASNR et les niveaux satisfaisants de sécurité, je considère effectivement qu'il y a toujours des marges de progrès pour n'importe quel exploitant. L'Andra traite aussi de l'évaluation. J'ai lu dans les documents publics qu'elle peut conduire ou poursuivre de façon plus approfondie certaines études d'impact pour évaluer ces installations sur le long terme. À ma connaissance, il n'y a pas de manque majeur par rapport à la prestation qui a été portée par l'ASN.

Concernant Cigéo, a été évoquée la demande d'autorisation de création. Le décret de 2027 est la première étape pour pouvoir construire l'installation. Mais cela ne signifie pas encore accueillir des déchets radioactifs, seulement construire. Ensuite, il faudra attendre l'autorisation de mise en service qui interviendra vers 2035, pour accueillir de nouveaux colis. Ce sont des projets longs, mais avec une progression étape par étape, indispensable.

Le cadencement des différentes étapes est très important pour avancer, et cela a un impact sur le coût. Reporter sans visibilité aucune ne semble pas être aujourd'hui la voie envisagée.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie. Nous allons vous raccompagner, puis procéder au vote.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Lydie Evrard aux fonctions de directrice générale de l'Andra

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons achevé l'audition de Mme Lydie Evrard, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de directrice générale de l'Andra. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 3 de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Le dépouillement sera effectué le 14 mai après l'audition de Mme Evrard à l'Assemblée nationale, simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat

Il est procédé au vote.

Mission d'information sur les nuisances sonores liées aux transports - Communication relative aux résultats du sondage effectué

M. Jean-François Longeot, président. - La commission a confié à Guillaume Chevrollier et à Gilbert-Luc Devinaz le soin de mener une mission d'information sur les nuisances sonores causées par les transports. Nous nous sommes déjà saisis de cette question.

Pour le cas spécifique du transport aérien, Didier Mandelli a été le rapporteur d'une mission d'information portant sur l'aéroport Nantes-Atlantique à l'automne 2023. Stéphane Demilly, en tant que rapporteur pour avis au projet de loi de finances sur le transport aérien, a également proposé des amendements sur ce sujet.

Nous avons également entendu Pierre Monzoni, le 16 décembre dernier, dans le cadre d'une audition au titre de l'article 13 de la Constitution, pour nous prononcer sur sa nomination à la tête de l'autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires. Je salue le travail du rapporteur pour cette audition, notre collègue Paul Vidal.

Toutefois, et sans dévoiler encore les résultats de l'enquête d'opinion, le transport aérien n'est pas la première source d'exposition au bruit. Une étude d'ensemble sur cette question est donc opportune, d'autant plus qu'aucune des deux assemblées n'a encore mené des travaux sur le sujet.

Dans le cadre des travaux, les rapporteurs ont décidé de recourir à l'accord-cadre conclu par le Sénat pour bénéficier de l'appui d'un institut de sondage. Il revient donc à Monsieur Quentin Llewellyn de l'Institut CSA qui a piloté cette enquête d'opinion de nous en présenter les grandes lignes.

Avant de lui céder la parole, je laisse le soin aux rapporteurs de faire un point d'étape sur l'avancée de leurs travaux.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je devais être retenu du fait d'un engagement dans un groupe d'amitié, j'ai néanmoins pu me libérer et vais en définitive pouvoir suivre la présentation du sondage en réunion plénière. Je laisserais donc la parole à Guillaume Chevrollier pour introduire la présentation de l'étude d'opinion.

M. Guillaume Chevrollier. - Nous avons mené avec mon collègue Gilbert-Luc Devinaz une trentaine d'heures d'auditions afin d'entendre 90 interlocuteurs sur la question des nuisances sonores causées par les transports.

Nous avons en particulier entendu des associations de riverains, qui nous ont expliqué souffrir non de simples nuisances, mais bien d'une véritable pollution sonore qui dégrade leur santé à cause de la proximité d'infrastructures de transports. Nous recevrons cet après-midi des élus locaux qui souhaitent nous faire part du même constat pour leur commune. L'Autorité environnementale, la Commission et la Cour des comptes européennes se sont aussi emparées de cette question : comme l'a rappelé le président Longeot, le Parlement ne pouvait donc pas se soustraire à l'examen de cet enjeu qui n'a, pour l'heure, pas fait l'objet d'un travail de contrôle.

Nous avons également reçu des représentants des gestionnaires de routes et d'autoroutes, d'infrastructures ferroviaires, d'aéroports, ainsi les administrations concernées et de nombreux experts en matière d'acoustique et d'isolation phonique.

Nous nous sommes aussi rendus à Trappes au Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) le 3 avril dernier afin d'assister à la phase de certification des radars sonores routiers qui permettront bientôt de verbaliser les conducteurs de véhicules trop bruyants - notamment des deux-roues débridés ou au pot d'échappement trafiqué.

L'ensemble des auditions ainsi menées et ce déplacement nous ont bien montré que ce sujet du bruit émis par les transports est très technique et complexe, mais concerne directement la vie quotidienne de nos concitoyens.

Le bruit est de plus un véritable angle mort des politiques publiques - notamment si on le compare à la pollution de l'air, qui fait l'objet de politiques bien plus volontaristes. À titre d'exemple, nous ne savons même pas combien de logements sont aujourd'hui exposés à des niveaux de bruit dépassant largement les seuils réglementaires, que l'on appelle des points noirs de bruit, alors même que l'État s'était fixé en 2000 l'objectif de tous les résorber.

Devant ces constats, nous n'avons pas encore arrêté l'orientation de nos recommandations que nous formulerons. Toutefois, une chose est sûre : nous serons sur une ligne de crête entre, d'une part, la nécessité de simplifier le lancement de projets d'infrastructures essentielles pour permettre à nos concitoyens de se déplacer et massifier le recours aux transports décarbonés, et, d'autre part, l'impératif de mieux protéger la santé et la qualité de vie de nos concitoyens.

Afin de mieux cerner la situation, nous avons jugé qu'il serait pertinent de bénéficier de résultats statistiquement robustes sur l'opinion de nos concitoyens sur le bruit émis par les transports auquel ils sont exposés : combien se considèrent exposés ? dans quels territoires ? Quelles sont les conséquences de cette exposition sur leur vie et leur santé ? Jugent-ils la réponse publique à la hauteur du problème ?

L'étude d'opinion est dans ce contexte destinée à mieux comprendre ce qu'attendent nos concitoyens du législateur en la matière. À cet égard, cette démarche se révèle complémentaire du travail « classique » d'auditions pour recueillir l'opinion de la majorité - quelque peu silencieuse - de nos concitoyens.

La dernière étude d'opinion d'ampleur sur le bruit, réalisée pour le compte du Conseil national du bruit, datait en effet de plus de 10 ans. Une enquête actualisée portant spécifiquement sur les transports nous est donc apparue d'autant plus opportune et permettait d'utilement éclairer les travaux de notre mission d'information.

Les premiers résultats de ce sondage montrent l'ampleur massive incontestable de l'exposition au bruit causé par les transports, qui touche près de la moitié de nos concitoyens. Le Parlement ne pouvait donc plus rester sans voix sur cette question.

M. Quentin Llewellyn, directeur conseil de l'institut CSA. - Je vais à présent vous présenter les principaux enseignements de cette enquête sur les opinions des Françaises et des Français à l'égard des nuisances sonores, plus précisément causées par les transports routiers, aérien et ferroviaire.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, quelques précisions de méthodologie : ce sondage en ligne a été réalisé entre le 7 et le 16 avril dernier auprès d'un échantillon de 2 000 individus, représentatif de la population française métropolitaine âgée de 18 ans et plus.

Cet échantillon assure une représentativité par la méthode des quotas appliqués aux variables sociodémographiques structurantes, ainsi qu'une dispersion géographique optimale.

Il est important de noter que nous sommes dans le cadre d'une enquête d'opinion, avec des données déclaratives traduisant des sentiments et des perceptions.

L'objectif était de faire le point sur la perception de cette problématique, d'identifier la part des Français gênés par ces nuisances, d'observer les répercussions sur leur santé et leur vie au quotidien, et de leur soumettre des propositions pour atténuer ces nuisances.

Je commencerais par quelques données de cadrage qui permettent de recontextualiser la problématique de l'étude en s'intéressant au ressenti des Français vis-à-vis des nuisances sonores. C'est un sujet qui est loin d'être anecdotique et qui constitue très clairement un enjeu majeur de qualité de vie pour les Français aujourd'hui. Lorsqu'on leur demande ce qui trouble le plus leur qualité de vie au quotidien, les nuisances sonores ressortent très nettement, avec 27 % de citations. La saleté ou la présence de déchets dans l'espace public se situent juste derrière. Viennent ensuite, de manière moins marquée, différents types de nuisances et notamment différents types de pollution. Les nuisances sonores arrivent en tête, quel que soit l'âge des individus. Même si, dans le détail, on constate que les aînés le soulignent avec d'autant plus de vigueur. En outre, on note une sensibilité à ces nuisances d'autant plus marquée que l'on habite dans les territoires urbains et notamment dans les plus grandes agglomérations. Même les habitants des territoires ruraux placent ces nuisances au premier rang. C'est donc une perception qui est partagée par l'ensemble de la population dans toute sa diversité. Ce sujet qui laisse d'ailleurs peu de Français indifférents, puisqu'ils sont très nombreux à nous identifier cette préoccupation, 71 % dont près d'un quart vont même jusqu'à dire que les nuisances sonores les préoccupent beaucoup.

Nous sommes face à une population qui considère, à 87 %, que les nuisances sonores constituent un réel danger pour la santé humaine. Cette opinion s'exprime avec un niveau de conviction nuancé : 55 % des Français pensent que cela leur semble vrai, tandis qu'un tiers, 32 %, estime que c'est une vérité scientifique incontestable.

Cette perception du danger est d'autant plus soulignée chez les habitants d''Île-de-France, les catégories socioprofessionnelles supérieures, et ceux qui se disent préoccupés par ce sujet.

Pourtant, près de 6 Français sur 10, 58 %, reconnaissent qu'ils sont mal informés sur les effets concrets du bruit sur la santé humaine. Ce ressenti est partagé par une majorité de ceux qui déclarent que ce sujet les préoccupe.

L'enquête révèle également que les Français considèrent le bruit comme un élément perturbateur de leur qualité de vie au quotidien. Près des deux tiers des actifs en emploi en France en subissent sur leur lieu de travail, et plus d'un Français sur deux, 56 %, se dit touché sur son lieu d'habitation, avec une fréquence de la gêne nettement plus ressentie en Île-de-France qu'en territoires ruraux.

Après avoir dressé le constat, l'enjeu est de déterminer la nature, la provenance et l'origine de ces nuisances, et de mesurer la place des nuisances sonores causées par les transports dans l'univers plus large des nuisances sonores. Si l'on se focalise sur les personnes qui se déclarent touchées par des nuisances à leur domicile, c'est d'abord et avant tout une histoire de voisinage. C'est lié à nos chers voisins. Les nuisances sonores au travail proviennent principalement des collègues et des équipements techniques. Il y a des différences en fonction du métier et de la catégorie socioprofessionnelle, mais c'est ce qui ressort en tête des problématiques en matière de nuisances sonores. En ce qui concerne les nuisances directement causées par les transports, 59 % des Français qui se disent gênés par des nuisances sonores à leur domicile pointent du doigt le trafic routier. Les circulations ferroviaires et aériennes sont également relevées, mais dans une moindre mesure. Une personne sur cinq se dit en effet gênée par des nuisances sonores. Chez les actifs en emploi, c'est le même constat, avec des scores légèrement différents. Enfin, près d'un Français sur deux, 45 %, nous dit être exposé à au moins une nuisance sonore causée par les transports, que ce soit à son domicile ou sur son lieu de travail.

Dans le détail, 39 % des personnes déclarent être exposées à des nuisances sonores liées à la circulation routière, 14 % à des nuisances aériennes et 13 % à des nuisances ferroviaires. Le routier est logiquement en tête, tandis que le ferroviaire et l'aérien sont à égalité, touchant une part quasi égale de Français. Les nuisances liées au transport arrivent en deuxième position, à 45 % de citations, faisant presque jeu égal avec les problématiques de voisinage ou de collègues de travail. Les autres sources de nuisances sonores sont reléguées au second plan. Les Français font un lien entre nuisances sonores et santé. Nous avons donc ciblé les principaux concernés, c'est-à-dire ceux qui subissent des nuisances sonores directement causées par les transports. Ces personnes confirment que ces nuisances affectent leur qualité de vie, à 76 %, et 52 % disent que ces nuisances affectent leur santé mentale. Ce score grimpe à 64 % pour les moins de 35 ans, et 38 % évoquent des répercussions sur leur santé physique. Ces personnes décrivent leur ressenti physique en mettant en exergue des symptômes tels que des problèmes de concentration, de fatigue, de stress, d'irritabilité ou de sommeil perturbé. On nous a également fait part de répercussions directes jusque dans l'intimité des foyers, avec des effets d'entrave sur certaines activités du quotidien.

Une part non négligeable de Français, notamment ceux exposés à des nuisances sonores à leur domicile, nous ont fait part de leurs difficultés. Pour ceux qui ont la chance d'avoir un espace extérieur, il leur est déjà arrivé de ne pas pouvoir en profiter, et pour 55 % d'entre eux, ces nuisances en sont la cause. Ces nuisances perturbent également la possibilité de regarder un film, la télévision, de lire ou de poursuivre des conversations. On note que ces entraves sont d'autant plus ressenties parmi ceux qui sont touchés par des nuisances aériennes ou des nuisances sonores ferroviaires. Pour pallier ces difficultés, une personne sur cinq concernée par ces nuisances sonores prend ou a déjà pris des médicaments pour se soulager, principalement des somnifères, mais aussi des antidépresseurs et des anxiolytiques. Certaines vont même jusqu'à prendre des décisions radicales, notamment quand leur domicile ne joue plus son rôle de refuge. 35 % des personnes gênées par des nuisances sonores causées par les transports se sont déjà absentées au moins une fois de leur domicile en pleine journée, car cela devenait insupportable. 21 % ont déjà dormi ailleurs que chez elles pour les mêmes raisons. Ces scores sont nettement plus élevés dans le cas de nuisances sonores aériennes et ferroviaires. Un quart des personnes qui se déclarent gênées par ces nuisances sonores liées aux transports ont déjà réalisé des travaux d'isolation phonique à leur domicile. 17 % l'envisagent à l'avenir. En définitive, le total cumulé des gens qui ont entrepris ou vont entreprendre des travaux en ce sens est de 41 %.

Ce score atteint 52 % pour les personnes touchées par des nuisances aériennes et 57 % pour celles concernées par des nuisances ferroviaires. La recherche d'atténuation du bruit passe également par le recours à des outils spécifiques et individuels, comme les bouchons d'oreille, utilisés régulièrement par un quart des personnes gênées par les nuisances sonores causées par les transports. Le casque anti-bruit, quant à lui, est porté de manière régulière par 15 % des personnes gênées. Près d'un quart et un peu plus d'un tiers des personnes gênées songent à changer de vie, ou à changer d'air tout simplement. 23 % envisagent ou souhaitent changer d'emploi à cause de cela et 37 % envisagent ou souhaitent déménager, que les nuisances soient subies au domicile ou sur le lieu de travail. Seule une minorité est en mesure de concrétiser cette envie d'ailleurs ou cette recherche de mise à distance sociale des nuisances sonores que l'on subit à son domicile. Enfin, nous nous intéressons à la perception de différentes mesures qui cherchent à atténuer ces différentes nuisances sonores causées par les transports. Deux mesures bénéficient d'un réel soutien de l'opinion : la mise en place de contrôle radar des véhicules et la verbalisation des conducteurs qui dépassent les maximums sonores autorisés par la réglementation en vigueur.

75 % des Français, quel que soit leur profil, sont favorables à cette mesure, dont 39 % qui la revendiquent avec force. Ce soutien majoritaire se retrouve également parmi les usagers de la voiture au quotidien, qui sont 74 % à y être favorables. L'interdiction de tout décollage et d'atterrissage d'avion la nuit, entre minuit et 6 heures du matin, recueille 62 % d'avis favorables, dont 29 % très favorables. Ce score atteint 42 % pour ceux qui subissent directement des nuisances aériennes. La limitation de la vitesse routière à 30 km/h à l'intérieur des agglomérations suscite des réactions contrastées, surtout auprès des usagers quotidiens de la voiture. Cependant, une limitation de vitesse nocturne, entre 22 heures et 6 heures du matin, est un peu mieux acceptée. Enfin, 40 % des Français sont favorables à l'obligation d'équiper les véhicules de pneus silencieux. Le pourcentage d'approbation n'est pas très élevé, avec une majorité défavorable et les avis sont partagés sur cette mesure. Mais ce score chute fortement, lorsqu'on s'intéresse aux automobilistes. Le taux d'approbation chute à 32 %. La limitation de la vitesse à 50 km/h sur les rocades et les périphériques obtient des résultats quasi identiques, avec environ 4 Français sur 10 favorables. Cependant, 26 % sont très défavorables et les automobilistes sont également majoritairement défavorables. Les franciliens, qui utilisent majoritairement les transports en commun, sont ceux qui accueillent le plus positivement cette mesure, mais leur taux d'approbation ne dépasse que de quelques points les 50 %. Le soutien est donc en demi-teinte, même auprès de cette population. Voilà les principaux enseignements. Nous restons à votre disposition pour répondre à vos remarques ou questions.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour cette présentation éclairante, qui montre la pertinence de notre mission d'information sur les nuisances sonores causées par les transports. Les nombreux éléments enrichiront notre travail et pourront faciliter le choix des orientations qui correspondent aux attentes de nos concitoyens.

Mme Nicole Bonnefoy. - Il y a des pollutions qui se cumulent avec les nuisances sonores, comme la pollution de l'air. Je pense aux personnes riveraines d'axes routiers majeurs, qui subissent une double peine, voire une triple peine : le bruit et les oxydes d'azote, les particules, etc. Et pourtant, malgré nos mises en garde répétées, rien ne change, malheureusement.

M. Stéphane Demilly. - Comme ma collègue Nicole Bonnefoy vient de le souligner, ce sujet est un serpent de mer. Le bruit est l'une des premières préoccupations des Français. J'ai siégé au Conseil national du bruit, où nous menions des études et des sondages. En dépit de ces travaux, aux conclusions identiques, la situation ne s'améliore pas.

Dans ma ville, ce sont surtout certains véhicules particulièrement bruyants qui posent problème. Je pense notamment aux conducteurs qui roulent avec la radio à plein volume, confondant leur voiture avec une boîte de nuit mobile, ou aux deux roues avec des pots trafiqués. C'est infernal, surtout la nuit.

Plus largement, il y a un problème d'incivilité, comme on le voit avec les gens qui téléphonent dans les trains sans se soucier de leurs voisins, alors qu'ils devraient se rendre sur les plateformes réservées.

Je pense qu'il faut lancer un grand chantier national, pédagogique, sur cette question du bruit. Il faut sanctionner les comportements défaillants, mais les radars antibruit coûtent cher aux communes. Pour moi, c'est une grande cause nationale qui mériterait un « grenelle du bien vivre ensemble ».

M. Jean-François Longeot, président. - Le cas de l'usage du téléphone portable dans les trains est à cet égard topique des incivilités que vous mentionnez. Certaines personnes se soustraient aux règles communes avec des conversations téléphoniques hors des zones dédiées à cet effet. Il m'arrive parfois d'interpeller directement les personnes concernées pour leur faire remarquer ce manque de civisme. Je pense qu'un vrai travail de pédagogie et une sensibilisation à cet égard sont à conduire.

M. Jacques Fernique. - J'ai trois remarques, puis des questions. J'ai travaillé sur ce sujet il y a une vingtaine d'années, car dans mon secteur, nous étions confrontés à une nuisance ferroviaire en zone urbaine dense. Les habitants disaient s'y habituer, mais les spécialistes nous ont fait remarquer l'existence d'un décalage entre le ressenti et les effets physiologiques. En effet, même si les gens s'habituent, il y a des effets sur la santé.

Il est intéressant de voir que beaucoup de gens reconnaissent qu'il y a un réel danger pour la santé, mais en même temps, qu'ils se sentent mal informés sur les effets sur la santé. C'est un enjeu important, notamment concernant les points noirs de bruit mentionnés par Guillaume Chevrollier, sur lesquels l'État s'était engagé à agir. Cependant, nous n'avons pas de dispositifs et d'obligations analogues à ceux pratiqués en Europe du Nord, où les densités urbaines et l'imbrication avec les réseaux de transport sont telles qu'ils ont une longueur d'avance sur nous.

Une diapositive de la présentation de l'étude d'opinion montre que 45 % des gens disent être exposés à au moins une nuisance sonore causée par les transports. La méthodologie de l'étude distingue entre le domicile et le travail. On constate que 45 % disent être exposés à une nuisance sonore, dont 39 % au domicile et 19 % au travail.

Enfin, j'ai remarqué qu'une des mesures évaluées par l'étude d'opinion est similaire à ce qui a été fait sur le périphérique parisien, avec une réduction de la vitesse à 50 km/h. Cependant, dans mon secteur, l'enjeu a été de ramener les vitesses à 70 km/h pour les voies rapides traversant les zones urbaines. Il y aurait peut-être des résultats différents si l'on avait proposé cette mesure-ci.

Mme Nicole Bonnefoy. - S'agissant des limitations de vitesse, j'ai l'exemple de l'agglomération d'Angoulême, où il est question de réduire la vitesse des véhicules légers sur environ 11 km de route nationale pour diminuer le bruit pour les riverains. Cependant, la présence de véhicules lourds pose problème, car un seul camion peut couvrir le bruit de plusieurs voitures. Ainsi, même si l'on réduit la vitesse des véhicules légers, cela n'aura aucun impact sur le bruit généré par les véhicules lourds.

M. Quentin Llewellyn. - Lorsqu'on aborde la mesure de limitation de vitesse, les Français perçoivent davantage les inconvénients et l'impact direct sur leur vie quotidienne, mais moins les gains potentiels sur la question des nuisances sonores.

La mesure sur les pneus antibruit exige une démarche proactive de l'individu, ce qui implique un coût, dont le montant est inconnu, mais supposé élevé. Un effort financier est demandé, alors que certains sondés se demandent pourquoi les constructeurs ne généraliseraient pas cela.

Les mesures d'interdiction des vols de nuit, qui ont un impact moins direct sur la pratique quotidienne, ou l'idée générale d'une lutte contre les nuisances sonores sont appréhendées comme plus efficaces.

M. Olivier Jacquin. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail et cette enquête très intéressante. J'ignorais l'existence du dispositif des pneus antibruit. Existe-t-il également pour les poids lourds, et non seulement pour les véhicules légers ? Y a-t-il un surcoût important à cette technologie qui empêcherait leur généralisation ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Nous avons entendu la société Michelin, qui travaille sur ce sujet. Le dispositif antibruit a un impact sur la qualité du pneu, son coût, la vitesse de son usure et les conditions de freinage. La vitesse est un facteur clé : au-dessus de 50 km/h, c'est le roulement qui est audible. En dessous de 50 km/h, c'est le bruit du moteur qui prédomine.

Michelin travaille sur ce sujet, mais a souligné que cela pose d'autres problèmes. Les dessins sur les pneus antibruit servent à évacuer l'eau et à assurer la sécurité et le freinage. Des pneus antibruit auraient par ailleurs un coût plus élevé.

M. Jean-François Longeot, président. - Je remercie notre invité et les rapporteurs pour cette présentation.

Mission d'information sur les moyens de renforcer l'efficacité de la lutte contre le trafic des espèces protégées - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Longeot, président. - Le 6 juin dernier, lors du déplacement de la commission à l'aéroport Charles de Gaulle, nous avions consacré nos échanges avec la direction interrégionale des douanes et le comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature aux moyens juridiques, humains et budgétaires de la lutte contre le trafic d'espèces protégées.

À cette occasion, nous avons pu mesurer concrètement l'ampleur des flux de ce trafic, qui génère l'importation annuelle d'au moins 270 tonnes de viande d'espèces sauvages. Ceux qui étaient présents se souviendront sans peine du triste spectacle, éprouvant pour la vue et l'odorat. C'est tout l'intérêt des déplacements de ce type de pouvoir échanger avec ceux qui sont « en premières lignes » des sujets entrant dans le champ de compétence de notre commission.

Les douaniers ne parviennent pas à réguler ce trafic, les flux massifs et constants embolisant leur capacité de contrôle : l'insuffisante détermination des pouvoirs publics à le combattre est d'autant plus incompréhensible. Il s'agit en effet de l'une des quatre activités criminelles transnationales les plus lucratives au monde, qui se caractérise en outre par des taux de poursuite bien inférieurs aux trafics de drogue ou d'armes. En d'autres termes, ce trafic est envisagé par les organisations criminelles comme une activité illégale rémunératrice à risques inférieurs. En outre, une partie de ce trafic est constituée par des voyageurs insuffisamment informés, qui ne pensent pas à mal et participent aux méfaits induits par ces importations illicites. Des actions de sensibilisation des voyageurs pourraient ainsi être envisagées, avant d'avoir à mobiliser des réponses judiciaires.

Ce trafic affecte la biodiversité, s'agissant de produits animaux ou d'animaux vivants issus d'espèces protégées. Il est également porteur de graves risques sanitaires, difficilement quantifiables, mais réels pour la santé humaine et animale, susceptibles de provoquer des bouleversements tant sanitaires qu'économiques pour les éleveurs.

Les travaux de la mission d'information pourraient ainsi rechercher les évolutions juridiques et extra-juridiques pertinentes pour renforcer l'efficacité de la lutte contre ce trafic et envisager les évolutions législatives pour y parvenir. Même si ce phénomène reste largement ignoré, il y a urgence à lui apporter des réponses et à imaginer des solutions pérennes et réalistes.

Pour conduire ces travaux, j'ai reçu la candidature de notre collègue Guillaume Chevrollier.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je regrette que nous ne procédions pas à la désignation d'un co-rapporteur issu de l'opposition, comme le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en a déjà exprimé le souhait lors de la dernière réunion de bureau de la commission. Associer un sénateur d'un autre groupe politique aurait été un plus pour la qualité de nos travaux, comme c'est notamment le cas pour la mission d'information sur les nuisances sonores causées par les transports. J'ai bien conscience que les auditions seront ouvertes à tous les commissaires, mais cela n'empêche pas que l'absence de co-rapporteur soit regrettable, notamment sur un sujet ne prêtant pas à polémique.

M. Jean-François Longeot. - Comme vous l'indiquez, les auditions du rapporteur seront ouvertes à tous les sénateurs de la commission intéressés par le sujet. Je ne doute pas que Guillaume Chevrollier, notre rapporteur, sera à l'écoute de toutes les idées, d'où qu'elles viennent, pour accroître l'efficacité des moyens de lutter contre ce trafic.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 11 h 25.