Mardi 29 avril 2025
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Politique de cohésion - Audition de MM. Peter Berkowitz, directeur « Politique » à la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO) de la Commission européenne, Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), et Daniel Leca, vice-président de la région Hauts-de-France, représentant de Régions de France
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous abordons en ce début d'après-midi un thème important pour nos territoires, celui de la politique de cohésion et de son avenir.
Nous recevons pour en débattre trois personnalités : M. Peter Berkowitz, directeur « Politique » à la direction générale de la politique régionale et urbaine de la Commission européenne, plus connue sous son acronyme « DG REGIO », qui intervient en visioconférence ; M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ; enfin, M. Daniel Leca, vice-président de la région Hauts-de-France, qui représente l'association Régions de France.
Messieurs, je vous remercie de votre participation à nos travaux et vous précise que cette table ronde est captée et diffusée sur le site internet du Sénat.
La politique de cohésion est une politique structurante de l'Union européenne, la deuxième en volume, avec près de 392 milliards d'euros de crédits pour la période 2021-2027.
Il s'agit d'une politique essentielle pour les territoires, puisqu'elle bénéficie à l'ensemble des régions françaises, en fonction de leur richesse relative. Elle est particulièrement importante - je tiens à le souligner - pour les régions ultramarines, qui ont fait l'objet d'une attention particulière de notre part. Nous sommes convaincus que leurs spécificités doivent mieux être prises en compte par l'Union européenne et nous irons plaider en ce sens auprès de la Commission européenne, le 22 mai prochain, avec nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
La politique de cohésion est également une politique dont la mise en oeuvre est partagée entre l'État et les régions, ces dernières en gérant la majeure partie. Selon les données de l'ANCT, qui est l'autorité nationale de coordination de ces fonds, les régions gèrent en effet 68 % des financements du Fonds européen de développement régional (Feder), du Fonds social européen (FSE) et du Fonds pour une transition juste (FTJ) pour la période 2021-2027.
Cette politique de développement territorial est la politique d'investissement la plus visible de l'Union européenne dans les territoires, même s'il faut relever que la France, en tant que contributeur net au budget de l'Union, ne bénéficie pas d'un retour très élevé sur ces crédits.
Cette politique mérite une attention toute particulière dans la perspective des réflexions actuelles sur sa révision à mi-parcours, ainsi que sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) - je rappelle que notre commission a engagé un certain nombre de travaux à son sujet.
Le 1er avril dernier, la Commission européenne a présenté sa proposition de révision à mi-parcours de la politique de cohésion, qui vise à rendre cette politique plus efficace pour répondre aux nouvelles priorités stratégiques européennes identifiées par la Commission, à savoir la décarbonation, la compétitivité, la défense, les régions frontalières orientales, ainsi que le logement abordable, la résilience hydrique et la transition énergétique.
Tous les projets de cohésion développés dans le cadre des priorités stratégiques de l'Union européenne pourraient bénéficier d'un préfinancement pouvant atteindre 30 %. Les programmes de cohésion qui consacreraient au moins 15 % de leurs fonds globaux à ces priorités bénéficieraient d'un niveau de paiement anticipé encore plus élevé.
S'agissant du soutien au secteur de la défense, la Commission européenne propose de permettre aux États membres et aux régions d'utiliser les fonds actuels pour renforcer la base industrielle et technologique de défense (BITD) et pour construire des infrastructures résilientes, afin de favoriser la mobilité militaire, en créant à cette fin deux nouveaux objectifs spécifiques dans le cadre du Feder.
Mais quel volume de dépenses peut-on réellement attendre d'une flexibilité en ce domaine, compte tenu du rythme actuel de consommation et d'engagement des crédits ?
Par ailleurs, comme lors de chaque période de préparation du prochain cadre financier pluriannuel, il émerge un certain nombre de craintes quant à la future place de la politique de cohésion, qui ne doit pas, à nos yeux, servir de variable d'ajustement.
Au-delà, nous percevons la volonté de la Commission européenne, au nom de l'efficacité de la mise en oeuvre de cette politique, de s'inspirer du mécanisme de facilité pour la reprise et la résilience (FRR) en mettant en oeuvre une conditionnalité liée à la mise en place de réformes. Une telle approche ne porte-t-elle pas en elle le risque d'une recentralisation de la gestion de cette politique au niveau national ?
Voilà quelques questions que nous nous posons.
Monsieur Berkowitz, je vous cède la parole pour une dizaine de minutes.
M. Peter Berkowitz, directeur « Politique » à la direction générale de la politique régionale et urbaine (DG REGIO) de la Commission européenne. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir convié la DG Régio à cette table ronde consacrée à la politique de cohésion. Mon collègue Slawomir Tokarski, qui se trouve à mes côtés, est lui aussi directeur à la DG REGIO ; il est notamment chargé des programmes de la politique de cohésion en France.
Cette table ronde se tient à un moment clé pour la politique de cohésion, puisque nous sommes en pleine discussion sur la revue à mi-parcours de la programmation 2021-2027 ; les propositions de la Commission sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) paraîtront en juillet.
La politique de cohésion pour les politiques d'investissement de l'Union constitue un pilier essentiel du projet européen. Elle contribue activement au processus d'intégration et de convergence, à la réalisation des priorités politiques de l'Union et à la mise en oeuvre de conditions plus équitables au sein du marché unique.
Cependant, les régions européennes demeurent confrontées à une pluralité de défis dans le cadre des transitions verte et numérique, ainsi que de la transformation démographique, et au regard des multiples conséquences de l'instabilité géopolitique actuelle.
Nous ne pouvons pas attendre la programmation post-2027 pour répondre à ces défis et renforcer l'impact de notre politique. Telle est justement l'ambition du nouveau paquet législatif proposé par la Commission, qui amende les règlements européens actuels instituant le Fonds de cohésion, le Fonds pour une transition juste et le Fonds social européen. Ces amendements visent à offrir aux États membres et à leurs régions l'occasion d'utiliser la revue à mi-parcours de leurs programmes pour réorienter les fonds disponibles vers les priorités stratégiques de l'Union.
Ces priorités font écho aux orientations politiques de la présidente von der Leyen : la compétitivité, la défense, le logement abordable, l'eau et la transition énergétique. Comme l'a mentionné M. le président Jean-François Rapin, ces nouvelles priorités s'accompagnent d'incitations financières et d'une flexibilité supplémentaire, avec un premier niveau d'aides proposées qui prend la forme d'un préfinancement exceptionnel de 30 % à l'échelon des programmes, auquel s'ajoute un deuxième niveau d'aides pour les programmes réaffectant au moins 15 % de leurs ressources vers ces nouvelles priorités.
En matière de défense et de sécurité, l'objectif est de booster les investissements dans la mobilité militaire, les capacités industrielles et la recherche. À notre avis, l'ensemble des acteurs de la filière en France pourraient pleinement en profiter. Le paquet prévoit aussi des mesures de simplification, notamment en soutien aux grandes entreprises qui jouent un rôle important dans le secteur de la défense.
Ce paquet législatif est aussi l'occasion de démontrer que la politique de cohésion sait s'adapter et qu'elle peut soutenir plus directement la mise en oeuvre de réformes, au-delà des seules capacités administratives des gestionnaires de fonds. Cette mesure, déjà expérimentée pour la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), pourrait permettre aux régions françaises, dans le respect de leurs compétences, de mieux agir sur les freins à l'investissement et à l'innovation.
Je voudrais insister sur le fait que le dispositif proposé est fondé, pour les autorités de gestion, sur le volontariat. La Commission n'imposera pas de transfert de ressources.
Je souhaite également dire un mot des régions ultrapériphériques. Comme les autres régions, elles vont pleinement profiter de ces nouvelles options. La difficulté actuelle d'absorption des fonds leur laisse davantage de marges de manoeuvre pour bénéficier d'éventuels transferts, donc d'incitations financières. La revue à mi-parcours constitue une chance pour elles d'accélérer cette mise en oeuvre et permettra de mieux répondre à leurs besoins d'investissement.
Nous espérons que le règlement pourra entrer rapidement en vigueur et que l'exercice de reprogrammation sera pleinement achevé d'ici la fin de l'année.
En parallèle, la Commission prépare ses propositions sur le prochain cadre financier pluriannuel à paraître en juin, avec pour mots d'ordre la simplification et la flexibilité dans le cadre d'une approche stratégique recentrée sur les priorités de l'Union.
Les discussions seront difficiles, dans la mesure où elles sont marquées par le début de la phase de remboursement de l'emprunt NextGenerationEU et l'émergence de nouvelles priorités. Cependant, nous sommes convaincus que nous avons collectivement besoin d'une politique de cohésion et de croissance renforcée avec, j'y insiste, les régions au centre du jeu, comme l'a rappelé la présidente von der Leyen en présentant ses orientations politiques.
Pour obtenir une plus grande efficacité et assurer une meilleure cohérence entre l'action de l'Union et celle des États membres et de leurs collectivités, l'une des options est de proposer un plan unique par État membre dans lequel les régions seraient pleinement impliquées. Ce plan permettrait aussi de mieux refléter la distribution des compétences entre les différents échelons de gouvernance au sein de chaque État membre.
En aucun cas il ne s'agit d'une recentralisation à l'échelon national de la politique de cohésion. N'oublions pas que cette politique s'est toujours inscrite dans un cadre stratégique national, à savoir le cadre du partenariat.
Ce plan devrait encourager les synergies entre les différents financements de l'Union. Un système de remboursement fondé sur la performance est également à l'étude, afin d'alléger la charge administrative et de se concentrer sur les résultats, tout en garantissant la protection des intérêts financiers de l'Union européenne.
Il ne s'agit pas simplement de transposer les plans de résilience au sein de la politique de cohésion, mais d'apprendre et de tirer des leçons de ce qui a fonctionné ou non, afin de disposer d'une approche simplifiée pour l'avenir.
L'approche territoriale, le principe de partenariat et l'accent mis sur les régions les moins développées et ultramarines, qui constituent l'ADN de la politique de cohésion, seront maintenus, voire renforcés. Les régions peuvent dès à présent se préparer à cette transition, notamment en se parant des nouvelles possibilités offertes par la plateforme de technologies stratégiques pour l'Europe (STEP) pour renforcer la compétitivité et par le futur paquet législatif issu de la revue à mi-parcours.
M. Jean-François Rapin, président. - Je passe maintenant la parole à M. Daniel Leca, vice-président de la région Hauts-de-France.
Monsieur le vice-président, Régions de France a adopté, le 1er avril dernier, deux motions, l'une sur la politique de cohésion, l'autre sur le prochain CFP. Je ne doute pas que vous les évoquerez.
Comment analysez-vous en particulier la possibilité envisagée par la Commission européenne d'utiliser une partie des fonds de cohésion pour renforcer la base industrielle et technologique de défense ? Cette idée fait-elle son chemin dans les différentes régions françaises ? Quelles sont par ailleurs, en vue du prochain CFP, vos réflexions concernant le devenir de la politique de cohésion et le rôle des régions dans sa mise en oeuvre ?
M. Daniel Leca, vice-président de la région Hauts-de-France, représentant de Régions de France. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord rappeler, d'une part, que Régions de France parle d'une seule voix sur le sujet et, d'autre part, que nous sommes évidemment très attachés à la politique de cohésion européenne, qui est une absolue nécessité si l'on souhaite poursuivre le développement de nos régions et pallier un certain nombre de déséquilibres territoriaux, à la fois entre les régions françaises et au sein de nos propres territoires.
Les financements issus des fonds de cohésion pour les régions françaises sont très significatifs, en particulier pour les régions dites « en transition » - c'est le cas de la région Hauts-de-France, cher Jean-François Rapin. Aussi, nous sommes très attentifs à ce que la politique de cohésion ne devienne pas une variable d'ajustement budgétaire dans le cadre du prochain CFP, qui suscite de nombreuses incertitudes et au sujet duquel les récentes communications de la Commission européenne ne sont pas nécessairement de nature à nous rassurer, à la fois sur le maintien du volume financier actuel et sur son mode de gestion.
Je souhaite évoquer trois points qui sont en débat actuellement.
Le premier concerne la possibilité d'un plan national unique de mise en oeuvre. Soyons clairs, les régions françaises ont évidemment la conviction qu'il faut maintenir un cadre stratégique national, lequel fonctionne bien. En revanche, un plan national unique, qui ne serait finalement qu'un élément de recentralisation, une manière de financer les politiques publiques nationales, et non plus le reflet des priorités régionales, représente un véritable danger. Nous veillerons donc à ce que ce cadre stratégique demeure, mais nous resterons fidèles à ce qu'est la politique de cohésion aujourd'hui, c'est-à-dire une politique qui se fonde sur la subsidiarité, qui repose sur une régionalisation de la gestion et de la mise en oeuvre, en sachant que, jusqu'à preuve du contraire, les régions françaises ont démontré leur capacité à gérer ces fonds en tenant compte des priorités régionales, qui sont structurantes pour nos territoires et offrent des effets de levier considérables.
En tant qu'autorités de gestion, il est également indispensable que les régions maintiennent un cadre de dialogue avec la Commission européenne. C'est en effet à partir de ce dialogue permanent avec la Commission que nous arrivons, d'une certaine manière, à adapter les priorités régionales aux exigences européennes et inversement.
Le risque que nous avons identifié consisterait à faire de la politique de cohésion une sorte de politique purement conjoncturelle, qui ne répondrait plus à des objectifs initiaux inscrits dans le long terme, objectifs qui permettent de corriger un certain nombre de déséquilibres en prévoyant des investissements structurants dans de nombreux secteurs.
En adoptant un cadre quasi annualisé, nous sommes en train de tuer ce qui était au fondement de notre politique de cohésion. Le dialogue entre la Commission européenne, les régions et l'État nous semble pourtant être un cadre satisfaisant, qu'il convient de préserver.
Le deuxième point en débat a trait à la mise en oeuvre d'une gestion fondée sur la performance et les résultats. Sur le papier, cela peut apparaître comme un élément de simplification, qui nous permettrait de ne pas tomber dans l'écueil de la complexité du contrôle de l'éligibilité des dépenses. En effet, le contrôle en tant que tel est l'un des éléments qui expliquent la complexité de la politique de cohésion ; il est à l'origine des difficultés que rencontrent certains porteurs de projet pour aller au bout de leurs initiatives - je pense à un certain nombre d'acteurs, notamment de proximité, et aux plus petites structures, comme les associations.
Permettez-moi de faire un parallèle avec la facilité européenne pour la reprise et la résilience : ce dispositif a certes été efficace, si l'on s'en tient à la rapidité d'exécution et de dépense de l'argent, mais il ne l'a pas été, de notre point de vue, dans la sélection des projets. Reconnaissons qu'une grande partie des projets financés grâce à la FRR étaient déjà dans les tuyaux des régions au titre du Feder, ce qui n'a eu pour conséquence, en définitive, que d'exacerber la concurrence entre les fonds. Du reste, la Cour des comptes européenne a alerté sur un certain nombre de problèmes de gestion dans le cadre de cet instrument temporaire.
Une logique centrée sur la performance et les résultats, pourquoi pas ? Mais à la condition que l'on pose des jalons, que l'on établisse des critères qui correspondent aux compétences régionales. Il serait très dommageable que l'on juge désormais l'efficacité de la politique de cohésion uniquement sur des critères qui dépendent du niveau national, par exemple une réforme dans laquelle les régions n'auraient évidemment aucun rôle à jouer.
Les indicateurs de suivi à mettre en place doivent reposer sur des politiques régionales, des politiques sur lesquelles nous avons une capacité d'intervention. Nous avons besoin, pour ce faire, d'un référentiel commun, établi au niveau national dans le cadre d'un partenariat construit en commun avec la Commission européenne, et ce afin de renforcer un lien qui s'est noué au fil du temps et qui est aujourd'hui un lien de confiance entre la Commission européenne et les autorités de gestion régionales.
L'objectif est de parvenir à simplifier la mise en oeuvre de ces politiques de cohésion, notamment pour rétablir la confiance - disons franchement les choses - dans les contrôles qui sont menés. Il s'agit d'éviter que les régions tremblent face à des contrôles qui exposent les budgets régionaux à un risque de correction financière que les exécutifs régionaux ne sont pas en mesure d'assumer. Aujourd'hui, nous reportons notre extrême rigueur sur les porteurs de projet, ce qui est en soi un frein à la bonne utilisation des fonds européens. Cela étant, il est important de souligner que les régions sont parvenues, au fil des années, à se doter de l'ingénierie suffisante pour répondre à ces défis.
Le troisième point en débat porte sur la coopération territoriale européenne, qui est aussi un enjeu essentiel pour les régions et qui est aujourd'hui un élément primordial dans la coopération transfrontalière. En l'occurrence, il n'aurait aucun sens d'évaluer la performance de cette politique au regard d'indicateurs transfrontaliers qui dépendraient des qualités, des compétences et des enjeux propres à chacun des pays concernés.
Enfin, j'insiste sur le fait que, derrière ce dialogue apaisé entre l'État, les régions et la Commission européenne, il faut avoir conscience des enjeux politiques en présence. La politique de cohésion n'est pas qu'une question technique ; c'est le seul visage humain de l'Europe dans les territoires, la seule politique réellement palpable, visible à la fois pour les citoyens, les collectivités locales, les associations et les entreprises.
Cette politique est menée à l'échelon régional à la suite d'un véritable travail de concertation et de dialogue dans nos régions ; ne détériorons pas cet instrument sous prétexte de vouloir moderniser une politique qui a certes besoin d'être relancée, qui souffre d'une rigidité certaine et d'une image quelque peu détériorée, mais qui mérite d'être revue à la seule aune des impératifs que nous nous fixons.
Au niveau européen, il reste des déséquilibres à corriger, en particulier entre les régions françaises et les régions d'Europe de l'Est. Ne tuons pas cette politique de cohésion au motif que l'on veut la moderniser. Elle est efficace et utile, et nous sommes désormais parvenus à l'inscrire dans notre paysage institutionnel.
Dernière remarque, nos contraintes budgétaires nationales ne doivent pas dépecer les régions qui, elles-mêmes, sont déjà en grande difficulté financière pour mener leurs propres politiques.
M. Jean-François Rapin, président. - Je passe maintenant la parole à M. Stanislas Bourron, directeur général de l'ANCT.
Monsieur le directeur général, au regard des propos tenus par MM. Berkowitz et Leca, quel bilan tirez-vous de l'actuelle mise en oeuvre de la politique de cohésion et, notamment, du partenariat entre l'État et les régions ?
Nous savons que l'année 2025 est cruciale, compte tenu de l'échéance du premier « dégagement d'office » réglementaire prévue en fin d'année. Avant cette date, près de 2,2 milliards d'euros de crédits devront avoir été consommés ; à défaut, ils seront annulés. Êtes-vous inquiet à ce sujet ?
Enfin, quelle analyse faites-vous de la proposition de révision à mi-parcours formulée par la Commission européenne et comment analysez-vous les enjeux pour la France de l'avenir de la politique de cohésion dans le cadre du prochain CFP ? Comment vous positionnez-vous dans le débat sur le degré actuel de décentralisation de la mise en oeuvre des fonds de cohésion ?
M. Stanislas Bourron, directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par rappeler brièvement que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a été désignée par le législateur, au moment de sa création, comme l'autorité nationale de coordination des fonds de cohésion. L'ANCT est un établissement public de l'État, doté d'une gouvernance spécifique, puisque son conseil d'administration est composé de quatorze élus, dont deux sénateurs et dix représentants d'associations d'élus, ce qui en fait un lieu de débat sur ces thématiques de développement territorial.
Les politiques de cohésion sont effectivement des politiques extrêmement structurantes pour les territoires. Je confirme ce que disait M. Leca : c'est le visage humain de l'Europe dans les territoires, le reflet de ce qu'elle peut faire pour nous, de ce qu'elle peut faire pour chacun des élus et des territoires. Elle est donc vraiment essentielle pour nous tous.
L'Agence a été créée en 2020 et a travaillé depuis lors en lien étroit avec les régions, autorités de gestion, notamment sur la finalisation de la programmation 2014-2020. Aujourd'hui, sur la période 2021-2027, le taux de consommation des crédits de la programmation se situe dans la moyenne européenne, autour de 34 % des 16 milliards d'euros que représentent en cumulé les différents fonds de cohésion ; le taux de mise en paiement se situe aussi dans la moyenne européenne. Sans entrer dans le détail, on constate une grande diversité de situations, puisque certaines régions ont quasiment achevé leur programmation quand d'autres sont en train d'accélérer pour éviter tout risque de dégagement d'office. Nous ferons évidemment tout, avec les régions concernées, pour éviter d'en arriver à cette extrémité.
La période 2021-2027 a été marquée par un amoncellement de difficultés, une série d'événements la plupart exogènes - la crise de la Covid-19, suivie du plan de relance, de la FRR, puis des problématiques d'inflation et, hélas ! de la guerre en Ukraine -, qui ont eu un impact extrêmement important sur la programmation. Aujourd'hui, c'est la situation internationale qui conduit à cette révision à mi-parcours qui, tout en tenant compte des grandes orientations européennes, vise à accentuer notre effort dans un certain nombre de secteurs, et notamment la défense.
M. Jean-François Rapin, président. - À ce panel de difficultés, j'ajoute l'impact des catastrophes naturelles, que l'on a parfois tendance à oublier alors même qu'il est de plus en plus fort.
M. Stanislas Bourron. - La transition écologique et l'adaptation au changement climatique représentent effectivement une part croissante de l'action publique depuis les années 2020-2021 - c'est vrai pour les collectivités territoriales et l'État comme pour l'Union européenne. Les fonds de cohésion ont bel et bien vocation à appuyer ces politiques publiques.
La Commission européenne a mis à disposition un certain nombre de nouveaux outils. Je pense notamment au paquet RESTORE (Regional Emergency Support to Reconstruction), que nous allons tenter de mobiliser à Mayotte. L'utilisation de ces fonds exige une très grande agilité ; on est loin du temps où l'on déroulait des programmations sur six ans en se contentant de vérifier les taux de consommation annuels. Mais, en parallèle, il faut toujours mener des stratégies territoriales, ce qui suppose de garder le cap de la politique de cohésion.
Vous m'avez interrogé au sujet de la révision à mi-parcours proposée par la Commission européenne. L'enjeu est notamment de renforcer les incitations pour mobiliser divers moyens en faveur de la défense. On ne peut que saluer cette initiative, qui répond à un enjeu international majeur et offre des leviers considérables à nos entreprises de défense pour renforcer ce secteur stratégique. Les taux de préfinancement peuvent aller jusqu'à 30 % pour l'année 2025, et les cofinancements peuvent atteindre 100 %. Les capacités ainsi déployées sont très intéressantes pour accompagner des projets structurants. Mais elles soulèvent aussi quelques questions, que nous devrons résoudre dans le cadre d'un dialogue national avant de revenir vers la Commission.
Tout d'abord, il ne faut pas négliger les autres thématiques proposées au titre de cette révision, à savoir l'eau, le logement, la compétitivité et la transition énergétique. Comment fixer la part de ces cinq thématiques ? Faut-il concentrer l'effort sur les sujets de défense ? La France devra rendre ses arbitrages et les porter à la connaissance de la Commission européenne.
Ensuite, en matière de défense, nous devons répondre aux questions : « Où ? Qui ? Quoi ? » C'est bien de dire que l'on veut soutenir les entreprises de défense. Encore faut-il savoir où elles se trouvent, connaître précisément leurs besoins et définir la meilleure manière de les accompagner. Dès lors, nous devons disposer d'une cartographie des besoins et des projets. L'ensemble des services concernés, notamment ministériels, y travaillent en lien avec les régions.
En outre, les propositions réglementaires doivent s'adapter à la sensibilité du secteur de la défense. En la matière, la préférence européenne nous semble avoir du sens. Quant aux clauses de confidentialité, elles sont indispensables pour des entreprises de cette nature. S'y ajoute une question plus transversale, celle des aides d'État, qui pourra se poser pour des projets structurants. Il conviendra de mobiliser des moyens adaptés, en faveur des bons projets.
Enfin, tout dépendra de l'adhésion des autorités de gestion chargées d'appliquer ces programmes. Dans quelles mesures s'empareront-elles du sujet ? Le pourront-elles, le souhaiteront-elles, notamment compte tenu des incitations que je viens d'évoquer ?
C'est l'ensemble de ces données qui, au terme de nos échanges avec les régions, permettront de définir la position française sur cette révision à mi-parcours. Toujours est-il qu'il faudra faire assez vite : c'est notre objectif commun, et les échanges sont prévus dans le courant du mois de mai prochain.
J'en viens au « post-2027 », autrement dit au devenir de la politique de cohésion après cette échéance. Un plan par État membre sera très probablement mis en oeuvre. C'est donc une refonte structurelle qui se profile. Le nouveau mode de fonctionnement sera assez différent de ce que nous avons connu jusqu'à présent, y compris avant la décentralisation des fonds de cohésion aux régions, en 2014, lorsque l'État gérait ces crédits avec les conseils régionaux dans le cadre de comités de pilotage.
Nous allons vers une terre en partie inconnue. Ce n'est pas forcément inquiétant, mais il va falloir concevoir ensemble une nouvelle gouvernance entre l'État et les régions. C'est précisément pourquoi nous avons engagé un dialogue avec Régions de France, en essayant de construire un socle de propositions communes que nous espérons communiquer à la Commission européenne prochainement. Cette base pourrait faire l'objet d'échanges dans le cadre d'un comité État-régions, que nous souhaitons organiser dans les prochaines semaines, et en tout cas avant la publication du cadre financier pluriannuel.
Premièrement, comme l'a rappelé M. Leca, il nous faut un cadre stratégique national renforcé comprenant l'ensemble de nos politiques publiques : nous devons travailler de manière transversale pour garantir la cohérence de l'action de tous et nous adapter à la diversité des territoires.
Deuxièmement, il nous faut un cadre d'intervention adapté à la diversité des territoires, donc à chaque région. Mme la ministre Catherine Vautrin a d'ailleurs rappelé cette nécessité lors d'un comité État-régions et dans ses courriers à la Commission européenne. La capacité d'intervention doit être déterminée à l'échelle régionale.
Troisièmement, l'État souhaite que les régions gardent un rôle central dans la gestion du dispositif de cohésion. Le partenariat régional, assez courant dans d'autres domaines, est un élément essentiel. L'enjeu est donc l'articulation d'un plan national et d'une mise en oeuvre à l'échelle régionale. Cette question n'est technique qu'en apparence.
Quatrièmement, la gouvernance État-région, assurée avec la Commission européenne, doit garantir l'association de l'ensemble des acteurs. C'est indispensable pour avoir un dialogue structurel et coordonné avec la Commission.
Cinquièmement, ce changement doit être l'occasion de travailler dans le sens de la simplification. Si l'on déplore que les fonds de cohésion soient difficiles à mobiliser, c'est souvent du fait de la complexité des projets et de la diversité des contrôles menés a posteriori. En résulte une inquiétude de la part de certaines collectivités territoriales. La réforme du post-2027 doit permettre de simplifier réellement les leviers de mobilisation de la politique de cohésion : ce serait là un immense progrès. En ce sens, il faut avant tout éviter une superposition des différents modèles.
Tels sont les cinq axes du travail que nous menons avec les régions et le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), sous l'autorité des différents ministres compétents, notamment M. Rebsamen.
M. Peter Berkowitz. - Je tiens à insister sur deux points qui me semblent essentiels.
Premièrement, au sujet des plans nationaux à venir, la Commission européenne a souligné la nécessité du partage des compétences avec les régions ; nous y travaillons actuellement.
Deuxièmement, le changement de système vers lequel nous allons doit être source de simplification. En ce sens, nous ne pouvons pas nous contenter de reprendre la logique du plan de relance et de résilience. Il faut déterminer les éléments de ce plan permettant de s'appuyer un peu plus sur les règles des États membres, pour développer des rapports plus simples entre, d'une part, la Commission et, de l'autre, les États et leurs régions.
M. Michaël Weber. - Monsieur Berkowitz, il est aujourd'hui question d'appliquer le modèle de la facilité pour la reprise et la résilience à la politique de cohésion en l'adossant au semestre européen. Le risque d'une recentralisation est donc plus fort que jamais. De plus, le principe d'annualité du semestre européen pose problème, la politique de cohésion étant une action structurante, donc de long terme, coconstruite avec les régions. Ne va-t-on pas vers une renationalisation du budget européen ? Quel serait le rôle des régions dans cette nouvelle gouvernance ? Est-il cohérent que des régions cessent de toucher les fonds qu'elles percevaient jusqu'à présent, au motif que des plans de réforme dont les critères sont nationaux et non régionaux n'ont pas été mis en oeuvre ? Ne faudrait-il pas privilégier des cibles et des jalons régionaux, en lien avec les compétences des régions ?
En outre, je m'interroge sur la politique de cohésion dans les régions ultrapériphériques (RUP), levier essentiel qui représente plus de 9 milliards d'euros pour la période 2021-2027.
Le programme Interreg soutient la coopération entre les territoires européens et, depuis 2021, un budget spécifique est dédié au renforcement de la coopération entre les régions ultramarines et leurs voisins. Ces crédits sont notamment déployés dans les Caraïbes.
Dans sa résolution européenne n° 90 du 24 mars dernier, votée sur l'initiative de sa délégation aux outre-mer, texte dont MM. Rapin et Patient étaient les rapporteurs, le Sénat a exprimé le souhait que les cofinancements au titre de l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI) et du Feder soient facilités, afin que les crédits européens soient mieux orientés vers les projets de coopération régionale. Notre assemblée appelle, de surcroît, à ne pas réduire les moyens alloués à la coopération régionale des RUP dans le prochain cadre financier pluriannuel. Entendez-vous prendre en compte la position du Sénat, afin que les RUP soient pleinement reconnus par la nouvelle politique de cohésion, conformément à l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ?
En parallèle, j'appelle votre attention sur le réchauffement climatique, qui frappe de plein fouet l'ensemble du monde : l'Union européenne n'échappe pas à la règle. Elle a d'ailleurs présenté, en 2024, un pacte vert européen assorti d'une feuille de route. Or, si l'on en croit les dernières déclarations d'Ursula von der Leyen, les ambitions en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre risquent fort d'être revues à la baisse. Comment la politique de cohésion contribue-t-elle concrètement à la transition écologique dans les territoires ? Que représente la part allouée aux projets à vertu écologique et ces derniers seront-ils encore financés demain ?
Monsieur Leca, étant moi-même conseiller régional, dans le Grand Est, je connais l'importance des fonds de cohésion pour les politiques menées par les régions. Je mesure en particulier leur effet levier. La politique de cohésion ne devrait-elle pas prendre pour base d'autres critères que le PIB par habitant, afin de mieux s'adapter au niveau de développement et à la situation socio-économique des régions ? En procédant ainsi, l'on renforcerait l'analyse holistique du développement régional, tout en déclinant avec davantage de finesse les spécificités géographiques reconnues par le TFUE. En outre, que comptez-vous faire face à la multiplication des procédures de contrôle, dont les autorités de gestion déplorent souvent la lourdeur ? Cette dernière peut entraîner une perte de sens de l'intervention publique et, dès lors, porter préjudice à l'ambition du projet européen lui-même.
Enfin, si par malheur l'accompagnement européen devait se dégrader considérablement, dispose-t-on d'un plan B pour les régions ?
M. Jean-François Rapin, président. - Je reviens à mon tour sur les RUP. Nous, Français, mesurons les efforts de pédagogie que nous devons accomplir auprès de nos voisins européens en la matière. Je m'y emploie aussi souvent que possible, lors de nos rencontres interparlementaires.
M. Daniel Gremillet. - L'enjeu de cette table ronde est considérable, non seulement pour les régions, mais aussi pour l'Europe.
Conseiller régional depuis 1986, en Lorraine, puis dans le Grand Est, j'ai vu les politiques régionales s'étoffer au fil des années ; j'ai même vu l'apparition des politiques de cohésion territoriale européennes, qui ont vite joué un rôle majeur. Ces politiques permettent à l'Europe d'agir directement auprès des populations.
L'Europe doit se réinventer en permanence. Elle doit sans cesse prouver son utilité. Or les politiques de cohésion contribuent très largement au sentiment d'appartenance européenne : c'est un lien beaucoup plus fort qu'on ne peut le croire de prime abord.
Nous avons besoin d'un projet partagé, ce qui passe par la cohésion territoriale, a fortiori dans des régions qui, comme le Grand Est, sont nées d'une décision gouvernementale soudaine et non de la volonté des territoires eux-mêmes - je rappelle que le Grand Est résulte de la fusion des régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine.
Enfin, ne négligeons pas l'enjeu de coopération transfrontalière, que la région Grand Est connaît bien également.
Ce serait une erreur de recentraliser outre mesure la politique de cohésion, précieuse à plus d'un titre. Mon propos n'a rien de nostalgique ; au contraire, je vous parle de l'avenir. L'Europe a plus que jamais besoin de la politique de cohésion.
M. Olivier Henno. - Dans le droit fil des précédentes interventions, je rappelle que la politique de cohésion repose sur la solidarité, non pas entre les États, mais entre les régions. Je me souviens de l'enthousiasme de Jean-Louis Borloo lorsqu'elle a été créée. Si, aujourd'hui, le territoire du Hainaut-Cambrésis connaît un nouvel essor, c'est en grande partie grâce à cette politique qui, en l'identifiant comme plus pauvre que les autres, lui a accordé un important soutien au titre de l'objectif politique 1.
Ce dialogue entre l'Europe et les régions est absolument essentiel. Or, lorsque les critères d'interventions se multiplient, si légitimes soient-ils, comme la défense ou le logement, les régions sont privées de leur pouvoir de décision.
Ne sommes-nous pas en train de tordre le cou de la politique de cohésion pour faire face à la disette budgétaire ? Pour parler franchement, n'est-on pas en train d'assister à la « petite mort » de cette politique ?
Mme Audrey Linkenheld. - Dans les Hauts-de-France, j'ai eu à traiter des fonds européens comme élue locale et nationale, ainsi qu'à titre professionnel. Cette politique donne bel et bien un visage humain à l'Europe, pour nos concitoyens comme pour les élus locaux. Or, dans ma région notamment, il n'est pas mauvais de rappeler aux uns comme aux autres à quoi peut servir l'Europe. On ne peut pas laisser réduire l'Union européenne au rang de bouc émissaire.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous le rappelons sans cesse.
Mme Audrey Linkenheld. - La semaine dernière, lors d'un déplacement en Guyane, nous avons pu rencontrer le vice-président de la collectivité territoriale chargé des questions européennes, M. Thibaut Lechat-Vega. Après l'avoir entendu, je m'interroge plus encore : pourquoi vouloir uniformiser la mise en oeuvre des fonds de cohésion et, ce faisant, mettre sur le même plan la région des Hauts-de-France et une RUP comme la Guyane ? La nationalisation de cette politique me semble tout à fait regrettable, d'autant que toutes les régions de France sont très impliquées en la matière.
En outre, j'abonde dans le sens de M. Henno : la défense est bien sûr un enjeu majeur, mais je vois mal comment l'aborder par le biais de cette politique.
Monsieur Bourron, ma question est assez simple : que disent les autres États membres des propositions de révision à mi-parcours, qu'il s'agisse des montants, des modalités ou du calendrier ? De plus, monsieur Leca, que disent les autres régions européennes, selon qu'elles se trouvent dans des États majoritairement contributeurs ou bénéficiaires ? Les positions françaises sont-elles partagées par d'autres régions ou d'autres États de l'Union européenne et, si oui, lesquels ?
Mme Karine Daniel. - Certains ont évoqué une évolution conjointe de la politique de cohésion et de la politique agricole commune (PAC). Pouvez-vous nous donner quelques précisions à ce titre ?
Le contexte budgétaire que connaissent les collectivités territoriales françaises, sans exception, ne peut qu'inspirer des inquiétudes ; le désengagement des collectivités territoriales, dont les régions, menace en effet un certain nombre de cofinancements. Je pense notamment à ma région des Pays de la Loire, qui a fait un certain nombre de choix draconiens. On a beaucoup parlé de la culture, mais notre région s'est aussi largement désengagée du champ européen, allant jusqu'à fermer symboliquement son bureau à Bruxelles et à supprimer toutes les subventions aux maisons de l'Europe.
De manière paradoxale, alors même que l'on invite les différents acteurs à se tourner vers l'Union européenne, bon nombre d'entre eux renoncent aux leviers permettant de faire appel à elle. C'est un problème non seulement budgétaire, mais aussi éminemment politique : grâce aux cofinancements des collectivités territoriales, la politique de cohésion est un moyen, pour l'Union européenne, d'entrer dans la vie de nos concitoyens.
Mme Florence Blatrix Contat. - Je souscris aux propos du représentant de Régions de France. Il est essentiel que ces fonds puissent continuer à être gérés au plus près des territoires, par les régions, qui savent très bien le faire.
Monsieur Berkowitz, vous voulez prendre la FRR comme modèle, tout en tirant les conséquences de ce qui avait moins bien fonctionné. Toutefois, la Cour des comptes européenne a indiqué qu'il y a eu une relativement faible absorption de ces fonds FRR, que ceux-ci ont eu du mal à atteindre les objectifs finaux, et que le dispositif manque de transparence. Vous voulez simplifier, ce que nous approuvons tous, mais tout en fixant des objectifs de réforme. Le taux d'erreur est de 9 %. Comment atteindre ces trois objectifs parfois contradictoires - simplifier, conditionner à des réformes et réduire les taux d'erreur ?
M. Peter Berkowitz. - Vous m'interrogez sur une possible recentralisation : pourquoi un plan pour harmoniser la mise en oeuvre ? Nous avons une multitude de fonds et d'instruments auxquels non seulement les régions, mais aussi la Commission européenne, ont recours. Il ne s'agit pas uniquement des fonds dont nous disposons. À partir de la fin de l'année commencera la mise en oeuvre du Fonds social pour le climat. Chaque fonds fonctionne avec des règles différentes. Nous voulons simplifier cette mise en oeuvre ; il me semble que tout le monde s'accorde là-dessus, mais cette simplification a forcément un prix.
Je reviens sur les leçons à tirer de la FRR. La révision à mi-parcours, qui n'a pas été réalisée par la DG REGIO, mais par nos collègues responsables de la FRR, identifie trois problèmes : l'absence de partenariats, l'absence d'implication des régions et l'absence de transparence. Toutes ces choses doivent être réglées, et il faut aussi prendre en compte les critiques de la Cour des comptes. Je crois personnellement qu'il faut aller, non pas vers le modèle de la FRR, mais vers une approche qui répond à des défis plus politiques.
Je le dis à tous les niveaux de la DG : nous sommes en train de travailler pour plus de flexibilité, afin d'avoir un plan national qui simplifierait les choses et qui aurait une approche plus stratégique, tout en permettant de prendre en compte les spécificités territoriales - ce qui est la force de la politique de cohésion - afin que les régions puissent sélectionner des projets. Tel est notre objectif, vous pourrez en juger lorsque la Commission fera sa proposition.
Le semestre européen est l'occasion pour la Commission européenne et les États membres de s'accorder sur les politiques économiques et les politiques d'investissement. Pour nous, la politique de cohésion doit avoir une place acceptable pour pouvoir l'intégrer. Cela implique aussi que le semestre européen évolue et prenne en compte plus d'aspects territoriaux. Nous ferons un premier pas, cette année, dans les rapports pays que nous soumettrons.
Le débat sur les réformes est compliqué. Nous sommes intéressés par l'approche de la FRR : elle incite à procéder à des réformes en les finançant. La politique de cohésion, elle, impose des conditionnalités. Nous voulons donc inciter à des réformes à des niveaux différents, y compris le niveau régional. Pour cela, il faut travailler avec les régions, et non leur imposer des réformes. Nous voulons faire quelque chose d'utile pour soutenir les régions dans leurs projets et leurs objectifs.
Je citerai notre vice-président, qui s'est récemment rendu à La Réunion et à Mayotte. Il a montré son engagement et son soutien pour maintenir, voire renforcer la position des régions ultrapériphériques dans la politique de cohésion. La DG Régio joue un grand rôle dans la prise en compte des objectifs des RUP au travers des politiques de la Commission. Il a proposé une actualisation de la stratégie de la Commission sur les RUP. Je vous encourage à vous impliquer sur ce sujet.
Au sein de la politique de cohésion, nous sommes très engagés sur la transition verte : un tiers de nos fonds, soit 130 milliards d'euros, y seront consacrés entre 2021 et 2027. Le mécanisme du FTJ paraît, malgré les problèmes d'absorption, être porteur. Nous voulons le renforcer à l'avenir.
Notre engagement pour plus de décarbonation et de production verte reste très important, et cela restera le cas.
La Commission européenne agit dans le cadre de l'article 42.1 du traité sur l'Union européenne, qui l'empêche de financer les capacités militaires. Au sein de la politique de cohésion, la défense doit toujours être vue comme un moyen de développement économique. Il nous semble intéressant, pour les régions qui en ont la possibilité, de financer les industries de défense. Certaines régions font un véritable effort à la suite de la désindustrialisation de ce secteur. Cela peut être une part intégrante d'une stratégie de développement économique - et cela se limite plus ou moins à cela. Il existe d'autres mécanismes pour renforcer la défense proprement dite.
La politique agricole est un sujet très controversé. L'intégration dans le plan national résulte d'une volonté de simplification. La vision de la Commission européenne pour l'agriculture et l'alimentation, qui vient d'être publiée, précise des points spécifiques pour cette politique. Personnellement, je pense que la PAC conservera son caractère propre, mais peut-être dans un plan national.
Sur la performance et la régularité des dépenses, nous estimons que la meilleure façon de régler ces problèmes est la simplification. Le taux d'erreur provient surtout de l'application d'un nombre important de règles très complexes au niveau européen et national.
Nous devons réduire autant que possible les obligations des États membres.
Il est intéressant de voir ce que nous pouvons faire en nous appuyant davantage sur les États membres plutôt que de multiplier les règles au niveau européen. Nous verrons si nous arrivons à le faire.
M. Daniel Leca - De nombreux thèmes ont été abordés.
Nous avons suivi plusieurs étapes et demandes concernant la révision à mi-parcours. Au début, on nous a demandé une révision à mi-parcours assez classique, et nous devions rendre notre copie le 30 mars. L'ajustement, dans l'ensemble des régions, a été très marginal car l'essentiel des fonds était déjà plus ou moins fléché : un travail de concertation avait été réalisé en amont, ainsi qu'un suivi. Ce résultat était peut-être un peu décevant pour la Commission européenne.
Ensuite, on nous a demandé d'élargir beaucoup les critères, notamment à ces quatre thématiques, dont la défense. Actuellement, toutes les régions réalisent un gros travail de remontée d'informations pour être ensuite capables, en dialogue avec l'État, de rendre une copie.
La réalité, comme l'a dit Olivier Henno, c'est qu'on prend aux uns pour donner aux autres : l'enveloppe est fermée.
Regardez les chiffres de la dernière programmation : nous sommes à 99 % d'utilisation des fonds. Les marges de manoeuvre sont très étroites. La dernière fois où nous avons réussi à agréger une nouvelle priorité, REACT-EU, dans nos programmes régionaux, c'est parce qu'il y a eu de l'argent en plus. Avec cet argent frais, nous avons su trouver les porteurs de projets, utiliser l'argent, programmer, et ensuite payer dans de bonnes conditions.
Aujourd'hui, il n'y a plus d'argent frais : on rajoute des priorités, telles RESTORE et STEP, avec des facilités utilisées par de nombreuses régions. Ces souplesses nous ont permis de faciliter et d'accélérer la programmation. Mais si nous faisons des choix nouveaux, ce sera forcément au détriment d'autres.
Ensuite, nous avions sur cette programmation un objectif de concentration thématique. Nous devions consacrer 30 % des crédits à l'objectif spécifique (OS) « Une Europe plus verte et à zéro émission de carbone ». Les régions ont chacune mis plus ou moins, en fonction de leurs priorités. Dans les Hauts-de-France, nous y avons consacré 40 % du budget. Si on nous demande de financer autre chose, il faudra peut-être prélever sur cet OS. Au sein de Régions de France, nous voyons que le travail est en train d'être fait, partout. Nous regarderons ce que nous pourrons faire, mais nous avons parfaitement conscience que ce sera au détriment d'autres priorités.
C'est un changement complet de la philosophie de la politique de cohésion : elle devient une politique conjoncturelle répondant aux défis. Certes, il y a de l'argent disponible, mais avec les niveaux de consommation que nous avons en France, on le fait au détriment d'autre chose. RESTORE est une excellente mesure pour faire face aux conséquences du changement climatique, qui a des coûts faramineux.
De la même manière, les politiques sur le logement sont très différentes entre la France et ses voisins. Si nous décidons, en France, de nous saisir de cet enjeu, nous dépenserons beaucoup et rapidement, mais au détriment de tout le reste. En effet, la France a une politique publique volontariste sur le logement, politique ancienne et structurée, mais qui manque d'argent. C'est un vrai danger.
Si l'on transforme la politique de cohésion en une politique de réaction à l'urgence, avec des objectifs qui évoluent au fil du temps, on ne fera plus de politique de cohésion et on retombera sur les problèmes actuels. À l'échelle européenne, on parle de « géographie des mécontents ». Dans nos régions respectives, la géographie des mécontents se traduit par un comportement électoral qui se renforce... Il faut prendre en compte cet élément. Cela a trait aussi à la justice dans l'utilisation des fonds. Il convient de corriger des déséquilibres entre régions européennes, mais aussi entre nos propres régions, et au sein même des territoires de nos régions. Par exemple, le Feder est difficilement mobilisable pour les territoires ruraux. On le fait en poussant les curseurs au maximum, mais sur certains objectifs stratégiques comme les mobilités, on ne peut pas mobiliser de fonds européens pour les territoires ruraux. Nous devons en débattre avec la Commission européenne et l'État.
Certains pays européens ont des fonctionnements institutionnels très différents. Nous sommes plus inquiets que nos amis belges ou allemands. La place des régions françaises dans la gestion des fonds européens n'est pas nécessairement garantie par notre organisation institutionnelle. Il est logique et cohérent, du fait de nos compétences, que les régions soient parties prenantes, mais nous sommes plus inquiets que nos voisins. Les Belges estiment que le plan national sera une sorte de consolidation des deux plans régionaux, et que cela fonctionnera très bien.
Ce n'est pas parce qu'il est écrit que la gestion est régionale qu'elle sera vraiment décentralisée comme nous l'entendons. Nous n'avons pas vocation à être des agences déconcentrées de l'État. Nous sommes là pour choisir, orienter, débattre d'un plan régional. Le plan stratégique national doit être construit en dialogue avec nous. C'est pour cela que nous sommes très inquiets. Ce sentiment est partagé par toutes les régions européennes, qui sont alignées sur la position française : défendre une politique de cohésion suffisamment dotée financièrement pour continuer à poursuivre nos objectifs et, en parallèle, tenir compte des spécificités de chaque pays, avec la volonté pour les régions françaises qu'elles demeurent au centre du jeu et qu'elles puissent continuer à animer les territoires.
Il est difficile de sortir de l'indicateur du PIB par habitant, même si l'on intègre le taux de chômage. Le débat est récurrent, mais difficile à trancher : il faut des données consolidées, acceptées par la Commission européenne, et qui puissent être comparables. Cet enjeu est déterminant, mais difficile à dépasser.
Régions de France est en dialogue permanent avec l'État. Nous espérons, par un travail de lobbying que nous devons élargir, continuer à sensibiliser la Commission européenne sur notre attachement à la politique de cohésion.
Les contraintes budgétaires pesant sur les collectivités territoriales et les entreprises sont inquiétantes. Serons-nous au rendez-vous en fin de programmation, entre 2025 et 2028 ? Obtiendrons-nous les cofinancements publics de l'État ? Les projets actuellement dans les tuyaux iront-ils jusqu'au bout ? Certains ont levé le pied...
Nous avons besoin de suivre ces points et sommes les plus à même de le faire. Nous sommes attentifs à l'utilisation de ces fonds. Actuellement, les régions n'utilisent pas les fonds de la politique de cohésion pour alimenter leurs propres politiques : elles le font en complémentarité, avec un effet de levier. C'est un élément de performance utile pour la Commission européenne, et déterminant pour nos régions. Il ne faudrait pas qu'on utilise ces fonds de la politique de cohésion pour financer des politiques publiques nationales, sur lesquelles le label européen n'apparaîtrait pas. Nous sommes des Européens convaincus. Cette logique de défense européenne ne doit pas être contrariée par le contexte.
Quand j'entends les défenseurs d'une politique de cohésion au niveau européen, pour séduire les promoteurs d'une politique européenne plus flexible, s'efforcer de répondre aux injonctions du temps court, je préfère pour ma part conserver la logique fondatrice de la politique de cohésion : un accompagnement sur le long terme et structurel. Sinon, l'Europe perdrait un de ses leviers déterminants et visibles.
M. Stanislas Bourron - Nous portons une grande importance aux régions ultrapériphériques et insulaires, conformément aux articles 349 et 174 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Même si nous sommes atypiques, c'est un enjeu de cohésion nationale et européenne : ces territoires sont des chances pour l'Europe. Ces fonds, conçus pour rattraper un retard de développement, doivent s'adresser particulièrement à ces territoires. Certes, ceux-ci ont davantage de difficultés à mobiliser, à programmer, à payer, mais c'est lié aux raisons mêmes qui justifient cet effort. Nous devons, avec tous les acteurs - locaux, régionaux, nationaux - leur faciliter les choses afin de mobiliser toujours plus ces fonds pour des investissements indispensables, physiques, mais aussi humains, à travers le FSE. L'après 2027 est un enjeu fondamental.
Je confirme les propos de M. Leca sur la transition écologique. Sur les 16,8 milliards d'euros de la politique de cohésion, 3,5 milliards sont mobilisés sur l'OS « Europe plus verte ». Le FTJ investit également plus d'un milliard d'euros sur ces thématiques. Presque un tiers des crédits de la politique de cohésion sont mobilisés au titre de la transition et de l'adaptation au changement climatique. C'est un enjeu fondamental au regard de ce que nous vivons tous, dans l'Hexagone comme outre-mer. Le changement climatique a des effets dévastateurs.
La Commission européenne est bien mieux au fait que moi de ce que pensent les États de cette possibilité de révision à mi-parcours. Nous avons un retour plutôt positif de leur avis sur cette facilité, notamment pour la défense. La sensibilité est différente selon les territoires : plus on va vers l'est, plus la défense pèse dans le débat national.
Cette révision à mi-parcours offre un cadre facilité de reprogrammation. Il ne s'agit pas de prescrire une nouvelle façon de faire ; la révision offre des possibilités attractives, si le besoin est là, et si les taux de programmation déjà prévus le permettent. Une demi-douzaine de régions a déjà dépassé 50 % de programmation : elles n'ont plus beaucoup de marges de manoeuvre et d'adaptation. Mais là où c'est possible, il est important de voir si les moyens peuvent être utilisés sur d'autres priorités, notamment pour la défense, sujet d'intérêt national. Dans le cadre du dialogue avec l'État au niveau national, les autorités de gestion seront libres d'aller ou non sur ce dispositif, mais nous devons bien déterminer notre position avant de la faire remonter à la Commission européenne.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie pour la qualité de ces échanges.
La réunion est close à 16 heures.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.