Mardi 29 avril 2025

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition commune de représentants des associations des élus de communes du littoral, de la montagne et des territoires touristiques

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Après avoir entendu trois associations d'élus « généralistes », nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur le bilan de l'intercommunalité par l'audition de trois associations plus « spécialisées » : l'Association nationale des élus du littoral (Anel), l'Association nationale des élus de la montagne (Anem) et l'Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett). Cette audition fait l'objet d'une diffusion en visio et sera disponible sur le site internet du Sénat.

Nous accueillons M. Yannick Moreau, président de l'Anel et maire des Sables-d'Olonne, M. Alain Blanchard, délégué général de l'Anel, Mme Marie-Annick Fournier, déléguée générale de l'Anel, et Mme Géraldine Leduc, directrice générale de l'Anett.

Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour nous faire partager votre appréciation du fonctionnement de l'intercommunalité et nous expliquer en quoi les spécificités des territoires que vous représentez trouvent une résonance particulière dans le fait intercommunal.

Notre mission d'information n'a pas pour objectif de remettre en cause le principe de l'intercommunalité, mais d'identifier les freins et blocages qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales.

En adoptant une démarche pragmatique, nous avons à coeur de trouver avec les élus des voies d'amélioration pour garantir le meilleur fonctionnement possible de notre démocratie locale, notamment en termes de gouvernance et de services rendus aux citoyens.

Notre rapporteure, Maryse Carrère, elle-même élue d'un territoire de montagne, est pleinement déterminée à mener à bien cette tâche et je lui cède tout de suite la parole.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je vous remercie de votre présence à cette audition sur le bilan de l'intercommunalité.

Nous aimerions connaître votre vision et les difficultés ou réussites que vous rencontrez sur vos territoires, avec leurs spécificités et questions particulières liées à la carte intercommunale.

Cette dernière est-elle, à votre avis, aboutie, définitive et satisfaisante en termes de gouvernance, d'exercice des compétences intercommunales et de solidarité au sein des intercommunalités ? Quel est, selon vous, le positionnement de l'intercommunalité dans le paysage institutionnel actuel ? Quelles sont les principales difficultés ou réussites que vous rencontrez dans les intercommunalités ou les communes membres de vos territoires ?

M. Yannick Moreau, président de l'Association nationale des élus du littoral (Anel). - Je vous remercie de votre invitation et de me permettre de faire un point d'étape sur la vie de nos intercommunalités.

Les collectivités littorales ont pour spécificité de rassembler des communes littorales et non littorales, qui ne sont pas soumises aux mêmes enjeux et défis, mais qui se retrouvent juridiquement et financièrement liées pour les relever.

Cela pose la question de la solidarité financière face aux enjeux majeurs que sont le changement climatique, l'élévation du niveau des océans et les risques naturels. Les communes littorales ont une conscience aiguë de ces enjeux, mais à 10, 15, 20, 30 ou 50 kilomètres dans les terres, la question de la lutte ou de la limitation du risque de submersion devient plus difficile.

Le sujet principal n'est pas le périmètre, mais la solidarité entre des collectivités de nature très différente : des communes rurales, des communes littorales, des communes touristiques et balnéaires. C'est cette alchimie qui donne un peu de sel à la vie de nos intercommunalités et qui nous oblige à essayer de convaincre et de partager des desseins communs.

Le littoral n'est pas simplement le propre des habitants des littoraux. C'est un moteur de développement économique et d'attractivité pour l'ensemble du territoire et cela nous oblige à travailler ensemble. Ce contexte nous conduit à une solidarité consentie ou forcée sur les sujets liés à l'adaptation au changement climatique et crée des tensions indirectes sur les questions de répartition des compétences et des financements.

Ainsi, la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), compétence commune à tous nos territoires, est par nature une compétence partagée entre communes et intercommunalités. Cependant, nous avons des difficultés à définir une ligne claire entre ce qui relève des communes et ce qui incombe à l'intercommunalité. Lorsque nous parvenons à la définir, nous avons du mal à déterminer le montant réel qui relève de l'un et de l'autre, ainsi que de la solidarité intercommunale. Les ressources mobilisables sont contestées, notamment la taxe de séjour, qui est encadrée, ce qui témoigne d'un manque de confiance envers les élus locaux et leur sens de la responsabilité. Malgré cela, nous essayons de créer des chemins de solidarité et d'anticiper les risques naturels littoraux. Nous essayons également de faire jouer des solidarités entre les communes littorales et les autres. Cependant, la loi ne nous aide pas beaucoup. Il serait probablement nécessaire qu'elle soit plus claire entre l'échelon communal et intercommunal, notamment sur la Gemapi, et plus ouverte sur le sens des responsabilités que devront prendre les élus locaux en matière de gestion des taxes, notamment de la taxe de séjour. Il faut sortir d'un système de création de taxes tellement contraintes qu'elles n'autorisent pas les élus à prendre leurs responsabilités et à en assumer les conséquences.

Mme Marie Annick Fournier, déléguée générale de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem). - Je tiens d'abord à excuser Jean-Pierre Vigier, notre président, qui n'a pas pu se joindre à nous aujourd'hui.

Je rejoins ce que vient de dire monsieur Moreau s'agissant de la spécificité des territoires du littoral. Nos intercommunalités partagent leurs espaces avec des communes qui ne sont pas des communes de montagne et partagent aussi des problématiques qui ne touchent pas forcément l'ensemble des communes membres de l'intercommunalité.

Comme pour le littoral, nous sommes régis par un corpus de règles spécifiques, la loi montagne. Et, comme pour le littoral, nous connaissons des effets du réchauffement climatique. Dans les territoires de montagne, les risques sont d'une autre nature et prennent des proportions particulièrement importantes - je pense par exemple aux inondations.

372 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) comptent au moins une commune de montagne, 44 % d'entre eux comptent plus de 90 % de communes de montagne, mais 31 % comptent moins de 10 % de communes de montagne.

La population moyenne des EPCI de montagne est d'environ 42 000 habitants, mais la moyenne des populations de montagne dans ces EPCI est de 18 000 habitants : les habitants montagnards ne sont donc pas forcément majoritaires au sein des EPCI.

Les élus de montagne ont souvent le sentiment d'être éloignés, incompris, notamment lorsqu'ils sont minoritaires. Certains maires ne comprennent pas la carte intercommunale : ils se demandent pourquoi ils ont été rattachés à telle intercommunalité alors qu'elle ne compte que quatre communes de montagne et que l'intercommunalité voisine est intégralement composée de communes de montagne.

La montagne accentue les défis de l'intercommunalité et la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) et la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) se heurtent aux réalités des territoires de montagne, dispersés, fragiles et éloignés. Lorsqu'on parle de gouvernance, il est difficile de venir à une réunion d'élus, du conseil communautaire, de son bureau, des commissions tout en menant une activité professionnelle. Certains mettent une heure, une heure et demie pour s'y rendre. L'accessibilité est donc un problème concret en termes de distance et d'accès à ces espaces d'échange et de concertation.

S'agissant de la répartition des compétences entre communes et intercommunalités, on a le sentiment que le bloc de compétences obligatoires dépossède les élus d'une partie des prises de décision. La gouvernance n'est pas adaptée et ne permet pas aux petites communes d'être suffisamment prises en compte dans les débats, qui peuvent, en outre, parfois revêtir une certaine technicité. Par exemple, l'application sur le terrain de la compétence voirie, qui semble simple, est en réalité complexe. Se pose donc la question de qui exerce la compétence, même pour des éléments qui paraissent évidents.

Les communes de montagne ressentent un sentiment d'éloignement physique et technique par rapport aux sujets abordés, ainsi qu'un sentiment d'impuissance dans le vote et la représentation au niveau intercommunal. Certaines intercommunalités de montagne gèrent des stations de ski. Des choix ont été faits par l'intercommunalité, qui n'auraient pas forcément été ceux des communes concernées. On a pu le voir récemment avec la fermeture de certaines stations, qui ont mis à mal une partie du territoire de ces intercommunautés de montagne. Cela montre que la solidarité entre les communes-supports de stations et celles qui ne le sont pas ne fonctionne pas toujours.

Mme Géraldine Leduc, directrice générale de l'Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett). - Je tiens à vous remercier de nous avoir invités aujourd'hui et à excuser notre président, Philippe Seur, remplacé par notre sous-directeur, Simon Lebeau.

Je rejoins tout à fait ce qu'a dit le président Moreau, qui est aussi vice-président de l'Anett. De même, nous sommes en phase avec l'Anem : nous sommes confrontés aux mêmes sujets.

Tout ce qui a été dit sur les périmètres nous concerne également, puisque nous avons tous les types de territoires : aussi bien la montagne, que le littoral, le rural, les stations thermales, les outre-mer, etc. Nous partageons donc totalement les constats qui viennent d'être faits.

Je vais me concentrer sur la compétence tourisme. Nous sommes spécialisés dans ce domaine, même si les trois associations sont concernées. Depuis la loi NOTRe, qui fait couler beaucoup d'encre, nous avons été entendus 24 fois par des commissions parlementaires sur le problème que pose le transfert obligatoire de la compétence de promotion du tourisme des communes vers les intercommunalités. Nous préconisions à l'époque le transfert optionnel de celle-ci.

Notre président rappelle toujours le principe de subsidiarité, qui implique de mutualiser uniquement ce que les communes ne peuvent pas faire seules, ce qui pour nous est capital. Ce principe conduit à redonner l'autonomie en matière de tourisme et d'économie. Chaque territoire est différent et pour certaines communes, noyées dans des intercommunalités immenses, l'exercice est difficile, voire impossible.

Nous avons heureusement obtenu une exception pour les stations classées. Les maires de ces stations ont profité de cette exception et ont gardé la compétence de promotion du tourisme de manière isolée. Nous avons pu, par le biais des trois associations, travailler ensemble afin de réformer la loi et redonner une certaine souplesse pour que certaines communes, que ce soit pour les stations classées ou les communes touristiques, puissent récupérer cette compétence. Cette faculté a été peu utilisée depuis car une fois qu'une organisation fonctionne plus ou moins bien, il n'est pas évident de revenir en arrière.

Le questionnaire très complet que vous nous avez fait parvenir aborde notamment des questions d'économie et de mutualisation. Ce sont des aspects très importants.

Sur la question du périmètre de la carte intercommunale, je rejoins ce qui a été dit précédemment : certains périmètres sont énormes, comme la communauté d'agglomération du Pays Basque, mais aussi d'autres territoires qui comportent parfois 150 communes, qui ont toutes des spécificités différentes. Aujourd'hui, nous avons des élus qui sont souvent dépourvus : l'exemple de la commune de Pra-Loup, qui après trois ans est sortie de son intercommunalité, est emblématique. Nous ne remettons pas en cause l'intercommunalité en tant que telle, mais nous observons des difficultés pour nos élus et identifions un besoin de souplesse.

Il y a aussi eu des « mariages forcés ». Ainsi, certaines stations thermales ont été coupées de leur bassin d'hébergement et ont été du jour au lendemain empêchées de promouvoir les hôtels où logeaient les curistes. Cherchez l'erreur. Nous avons nombre de cas comme celui-ci.

Je reviens sur ce que Marie-Annick Fournier a pointé, c'est-à-dire le poids des maires sur les décisions qui sont prises au niveau communautaire. Les maires ont finalement peu de voix, par rapport à l'ensemble de l'intercommunalité. Des décisions sont souvent prises qui empêchent les communes de réaliser des investissements prévus de longue date car la répartition des recettes et le saupoudrage sur l'intercommunalité posent problème, des communes non touristiques souhaitant également bénéficier de leur part du gâteau. Nous rencontrons donc des difficultés importantes. Nous vous remercions de rouvrir ce dossier et allons voir les résultats qui en découleront.

M.  Jean-Marie Mizzon, président. - Avant de commencer la discussion, j'aimerais obtenir une précision : vous avez indiqué que Pra-Loup a quitté son intercommunalité, c'est-bien cela ? Mais elle a bien rejoint une autre intercommunalité ?

Mme Géraldine Leduc. - Comme d'autres, elle a réussi à quitter l'intercommunalité dans laquelle elle avait été entraînée au début. D'autres communes ont quitté les intercommunalités de sorte de pouvoir exercer elles-mêmes la compétence tourisme.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Avez-vous des exemples d'évolutions importantes de la carte intercommunale, avec des fusions, des scissions, des communes qui ont changé ? On nous a dit qu'il n'y en avait pas tant que cela, mais cela serait intéressant d'avoir le nombre et les raisons de ces changements. Sortir d'une intercommunalité est très complexe, ce qui explique peut-être qu'il existe peu de cas par rapport au nombre total d'intercommunalités.

Vous avez évoqué la gouvernance, notamment la voix des petites communes qui est insuffisamment prise en compte. Avez-vous des idées de pistes d'amélioration de cette gouvernance intercommunale ? Avez-vous des exemples d'intercommunalités où la prise en compte des petites communes est facilitée ?

Sur l'exercice des compétences intercommunales, nous n'aborderons pas spécifiquement la Gemapi, qui fait l'objet de travaux de nos collègues de la délégation aux collectivités territoriales. Je dirais simplement qu'il est peut-être temps de réévaluer son fonctionnement et la solidarité amont-aval, qui ne fonctionne pas toujours, en tout cas pour la montagne. Disposez-vous d'exemples de communautés de communes utilisant les dispositifs de transfert de compétences et de restitution de compétences ? Ces dispositifs sont-ils suffisamment utilisés ? Je pense qu'un travail d'information est nécessaire à ce sujet.

Sur le plan financier, les transferts de compétences font-ils toujours l'objet de compensations adéquates ? La réponse est souvent négative. Qu'en est-il de la solidarité au sein des intercommunalités ? Les mutualisations de services et de moyens sont-elles efficaces ? Faut-il les encourager davantage ? Est-ce un facteur d'économies ? Il est difficile d'évaluer si les services rendus au public fonctionnent mieux, si les investissements sont plus importants qu'auparavant. Pour les communes spécifiques comme celles que vous représentez, qu'il s'agisse de communes touristiques, de montagne ou du littoral, l'intercommunalité apporte-telle une plus-value sur les investissements nécessaires à vos activités économiques ?

M.  Jean-Marie Mizzon, président. - Avant de vous laisser répondre, je donne brièvement la parole à Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. - Je souhaiterais avoir une clarification concernant la commune de Pra-Loup, évoquée tout à l'heure : est-elle sortie d'une intercommunalité pour en rejoindre une autre, ou s'est-elle uniquement retirée de la gestion intercommunale de la compétence tourisme ?

Mme Géraldine Leduc. - Elle s'est retirée de la gestion intercommunale de la compétence tourisme.

Mme Frédérique Espagnac. - Nous sommes d'accord, ce n'est pas une commune qui a quitté son intercommunalité, elle a simplement repris l'exercice de la compétence tourisme qu'exerçait l'intercommunalité ?

Mme Géraldine Leduc. - Je n'ai peut-être pas été claire initialement. C'est tout à fait ça.

M. Yannick Moreau. - Monsieur le Président, je ne voudrais pas qu'il y ait de malentendus entre nous. La loi NOTRe et la loi Maptam ont apporté une plus-value au fonctionnement de la République décentralisée et de nos collectivités. Nous ne remettons pas en cause leurs principes généraux, mais nous questionnons les effets de bord, les précisions et les ajustements, notamment en matière de financement. L'adaptation au changement climatique nécessitera des moyens colossaux, et nous sommes face à un mur d'investissements que nous ne savons pas comment gravir. Néanmoins, la situation actuelle nous satisfait globalement.

Évidemment, nous sommes attentifs à la mise en oeuvre des grands principes : le principe de responsabilité, qui consiste à laisser aux élus locaux la responsabilité de leurs choix et la liberté de les prendre et d'en assumer les conséquences. Je pense qu'il faudrait mettre en exergue le principe de subsidiarité, qui reste un principe fondateur : il implique de ne mettre en commun que ce que l'on ferait mieux ensemble qu'individuellement. Ce principe devrait être cultivé et réaffirmé. Le législateur serait bien inspiré de faire davantage confiance aux élus locaux pour qu'ils mettent en oeuvre eux-mêmes ce principe. Cela résoudrait les deux tiers des sujets de tension au sein des intercommunalités.

Mais le véritable sujet pour nous, pour les collectivités territoriales, est moins la gouvernance que le problème du financement. Dans un contexte général de faible lisibilité des ressources des collectivités locales, nous avons une responsabilité première face au changement climatique. Nous devons protéger nos populations et construire des schémas d'anticipation à long terme pour l'érosion, les risques naturels et la submersion. Cependant, nous n'avons pas les moyens de le faire. La question est donc celle du financement et des partenariats entre l'État et les collectivités locales. Lorsqu'une intercommunalité doit engager des travaux pour anticiper l'élévation du niveau de la mer, le sujet n'est pas de savoir si les coûts sont partagés par ses membres, mais comment y faire face. Investir rapidement peut réduire les coûts, tandis qu'attendre peut les multiplier. La conjugaison des temps entre l'anticipation à moyen et long terme et l'urgence de l'action est essentielle. Nous savons ce qu'il faut faire, mais nous n'avons pas le droit de le décider et nous n'avons pas de financement d'État. La loi Climat et résilience a opéré des transferts de compétences sans compensation financière. Nous sommes seuls face aux questions d'érosion et nous parlons de milliards d'euros. Plus on tarde à mettre en place des mécanismes de partenariat financier, plus on s'expose à des coûts qui dépassent les capacités de traitement.

Or nous devons protéger nos populations, c'est une responsabilité qui nous engage tous. Sans qu'il soit possible de dégager une moyenne, sur la côte atlantique, nous estimons que l'élévation du niveau de l'océan est d'un centimètre par an. C'est peu et c'est beaucoup à la fois car cela représente un mètre en 100 ans, en moyenne. Ce qui compte, ce n'est pas tellement le niveau nominal de l'océan, mais l'effet de l'élévation du niveau de l'océan sur les risques naturels associés. Une mer plus haute augmente le travail de l'érosion, accentue les risques de submersion et rend les événements météorologiques exceptionnels plus dangereux pour le littoral, l'habitat, les entreprises et les vies humaines.

Il y a des considérations générales sur la vie et le financement des collectivités locales, mais aussi des sujets particuliers sur l'adaptation au changement climatique et la prévention des risques naturels littoraux. Ces sujets nécessitent des décisions rapides qui n'arrivent pas. Depuis 2022 et la loi Climat et résilience, rien n'avance. Chaque année, on nous promet la naissance d'un fonds, mais il n'est jamais traduit dans la loi de finances. Il y a toujours une bonne raison. Je veux saluer le travail des sénateurs qui sont peut-être plus à l'écoute de ces sujets que les députés. On n'arrive jamais à traduire les bonnes intentions dans la loi de finances. Et donc, tant qu'on n'en sort pas, on est face à des questions financières insolubles, d'autant plus si on ajoute l'impossibilité pour les collectivités de faire des provisions pour anticiper les risques. Nous n'avons pas le droit d'épargner, nous n'avons pas le droit de mettre de côté pour faire face à des investissements majeurs demain ou après-demain. C'est invraisemblable. C'est dans cette situation-là, accentuée pour le changement climatique et l'élévation au niveau de la mer, que se trouvent les communes littorales.

Mme Marie-Annick Fournier. - Je voudrais revenir sur la question du périmètre des intercommunalités en mentionnant un exemple de scission. Le 1er janvier 2022, la communauté de communes des Hauts-de-Vosges et celle de Gérardmer ont acté à l'amiable leur divorce, avec le soutien de la préfecture. Elles ont tiré le constat que leur mariage forcé ne fonctionnait pas. Elles n'arrivaient pas à se mettre d'accord en raison de trop grandes divergences politiques et stratégiques. Après 18 mois de travail avec l'État, elles sont revenues peu ou prou au même périmètre qu'avant 2017.

Nous sommes souvent interrogés par les maires sur la possibilité de quitter leur intercommunalité et d'en rejoindre une autre. Ce type de questionnement concerne souvent des intercommunalités composées de quelques communes de montagne ou qui connaissent des problèmes de gestion sur un sujet particulier. C'est le cas, par exemple, de la gestion d'une station de ski, qui avait été transférée à l'intercommunalité ; la commune-support de la station se sentait dépossédée.

Nous avons également de nombreux retours de maires sur la gouvernance. Comment être représenté au sein de l'intercommunalité ? Comment avoir du poids dans la prise de décision ? Les problèmes de gouvernance ne se posent toutefois pas dans toutes les intercommunalités. Celles qui fonctionnent depuis plusieurs années, pour lesquelles le temps a permis de mettre en place des méthodes de travail, de poser les choses, ne sont pas concernées.

Le sont en revanche les intercommunalités pour lesquelles la fusion s'est faite à marche forcée, avec une contrainte de temps qui n'a pas permis de mettre en place des méthodes de travail dans la durée.

Une autre interrogation est : comment faire exister la voix de la montagne au sein de l'intercommunalité ? Ne faudrait-il pas une vice-présidence spécifique pour les territoires ruraux, de montagne, de littoral, ou pour les petites communes ?

Se pose aussi la question de la mutualisation des services et de la solidarité entre l'intercommunalité et les communes qui la composent. Dans nos territoires de montagne, les communes ne ressentent pas toujours de solidarité, notamment pour des services comme le ramassage des ordures ménagères ou le transport. Lorsqu'il neige ou qu'il y a du verglas, les services de l'intercommunalité ne « montent » pas. Il n'y a pas d'effort de solidarité.

Par ailleurs, nous ne relevons pas de développement des délégations de compétences, ni des transferts de compétences à la carte. Lors d'un récent webinaire avec nos élus, nous avons constaté que la plupart ne connaissaient pas les possibilités offertes par la loi dite « 3DS » en la matière.

À cette méconnaissance s'ajoute une lourdeur des procédures. Pour le transfert de compétences à la carte, les majorités requises restent les mêmes que celles exigées pour la création de l'intercommunalité, ce qui est beaucoup trop contraignant.

Mme Géraldine Leduc. - Nous ne remettons pas en cause la loi NOTRe, contrairement à ce que demandent certaines associations d'élus. En revanche, nous insistons sur le principe de subsidiarité, qui nous paraît essentiel. Notre président Philippe Sueur le rappelle très fréquemment.

Je voudrais revenir sur deux points précis concernant nos territoires touristiques.

L'une des principales difficultés est le sentiment de perte d'identité de nos petites communes touristiques, qui se retrouvent diluées dans de grandes intercommunalités. Certains maires n'ont plus les moyens de promouvoir leur tourisme communal. De nombreuses communes ont ainsi perdu en termes de lisibilité et de visibilité auprès des touristes.

Une autre grande difficulté est liée au fonctionnement des conseils communautaires. Il faudrait une meilleure répartition du pouvoir des élus. La population municipale ne peut plus être le seul critère. On en vient à ce que des maires perdent, au profit d'autres, le contrôle de projets touristiques qui concernent pourtant leurs communes. Nous avons, par exemple, organisé un congrès dans une intercommunalité composée de trois stations touristiques et de petites communes. Lorsqu'il a fallu justifier une subvention pour notre congrès, les maires des petites communes ont bloqué, faisant valoir que ces dernières n'étaient pas touristiques et qu'elles n'étaient donc pas concernées par cet événement.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - N'avez-vous pas le sentiment que la taxe de séjour est davantage utilisée pour assurer la promotion et la communication d'un territoire que pour réaliser des investissements ?

Mme Géraldine Leduc. - Nous avons effectivement perdu les fondamentaux de la taxe de séjour. Sans compter qu'il y a maintenant des taxes additionnelles : la départementale, la régionale, et en Île-de-France, la supra-taxe de séjour. Cela n'est pas sans conséquence sur le tourisme. Par exemple, à Fontainebleau, les touristes viennent souvent pour faire de l'escalade ou de la marche, mais ils ne logent pas sur place à cause des prix d'hébergement trop élevés dus à la taxe de séjour. C'est aussi le cas des familles qui viennent visiter des villes comme Provins ou Barbizon. On accuse les hôteliers d'avoir augmenté la taxe de séjour, mais en réalité, ce n'est pas leur faute ; ce sont toutes ces taxes additionnelles qui sont en cause.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - La taxe de séjour est un sujet qui pourrait être débattu longuement sans aboutir à une solution satisfaisante pour tous.

M. David Margueritte. - J'ai une remarque et deux questions. Je partage complètement les propos du Président Yannick Moreau et sans rentrer dans le détail de la problématique de la Gemapi qui sera étudiée par nos collègues, la mise en place de cette contribution est une très bonne illustration de la question de la solidarité intercommunale.

Nous avons tous en mémoire des débats sur l'instauration de cette contribution, sur la façon dont certaines communes se sentent complètement étrangères à cette question alors qu'elles sont directement concernées, sur la confusion qui peut exister entre la lutte contre l'érosion et la prévention des inondations, ainsi que des exemples de communes qui se tournent légitimement vers leur intercommunalité, qui n'a pas les moyens de tout prendre en charge et qui se tourne à son tour vers l'État. L'intercommunalité est parfois la victime collatérale d'un renvoi de balle entre l'État et les communes et de responsabilités qui ne sont pas clairement définies.

Ma première question porte sur les pistes pour améliorer la gouvernance. Madame la déléguée générale, vous en avez suggéré certaines mais il y en a une qui est évoquée, audition après audition, sans être creusée complètement. Il s'agit de la conférence des maires qui ne semble pas totalement efficiente puisqu'elle n'est jamais citée comme une solution. Pour autant, ne pourrait-on pas imaginer une conférence des maires réformée, toujours à la main des intercommunalités, mais qui permettrait, par des mécanismes de majorité qualifiée, de retarder des décisions communautaires afin de répondre aux problématiques que vous avez citées ?

Ma seconde question porte sur le principe de subsidiarité qui a été évoqué à la fois par le président Yannick Moreau et par madame la directrice générale. Je m'interroge sur ce principe qui peut être très séduisant mais qui peut être lu, en fonction du côté d'où on se place, de façon ascendante ou descendante. Ce n'est pas un hasard si au moment de la construction européenne, il a été à la fois vanté par les fédéralistes et les souverainistes. C'est un principe qui peut aussi être extraordinairement centralisateur.

L'échelon supérieur peut affirmer qu'il est plus légitime et efficace que la commune, notamment pour la promotion touristique, dans la mesure où la marque territoriale peut être plus connue. À l'inverse, ce principe peut aboutir à un éparpillement de la compétence et donc à sa faible lisibilité.

Le tourisme est un bon exemple : la commune, l'intercommunalité, le département et la région ont leur propre agence d'attractivité. Dans cette perspective fragmentée, quelle est, finalement, l'utilité de la lisibilité pour l'acteur touristique ? Ce qui lui importe, c'est que le territoire soit défendu et que la taxe de séjour puisse être utilisée, au-delà de la promotion touristique, au financement d'équipements touristiques.

N'utilisons-nous pas le principe de subsidiarité comme un mot magique, un peu valise, dans lequel on peut mettre tout ce que l'on veut et l'on entend tout ce que l'on veut entendre ? Cela permet de clore un débat sur un accord, mais sans être sûr que tout le monde pensait la même chose. Le principe de subsidiarité, s'il n'est pas encadré, s'il la notion de chef de filât n'est pas définie, peut se révéler un peu dangereux.

Mme Marie-Annick Fournier. - Les petites communes sont, pour la plupart d'entre elles, déjà représentées par leur maire auprès de l'intercommunalité. Que ce soit en conférence des maires, en conseil communautaire, en bureau ou en commission, la présence des maires ne règle pas forcément le problème du travail ensemble, de la prise de décision et de l'adhésion à la décision.

Dans certaines intercommunalités, des méthodes de travail ont été mises en place, des formes d'acceptation, de compromis politiques, d'envie d'aller dans l'intercommunalité ont pu être trouvées.

Les élus ne remettent pas forcément en cause le principe de l'intercommunalité, ni même celui du travail ensemble. Le principal problème qui ressort de nos échanges avec eux est l'impossibilité de pouvoir choisir à quelle échelle une compétence serait la mieux gérée : à l'échelle communale, à l'échelle intercommunale, voire à l'échelle de plusieurs intercommunalités.

Si je reprends l'exemple de Gérardmer, à la suite de la constatation que l'intercommunalité ne fonctionnait pas puis de sa scission, un long travail de coordination des politiques a été réalisé pour réussir à faire vivre un tourisme confronté au changement climatique sur l'ensemble du territoire. Ils ont ainsi réfléchi non pas à l'échelle du bassin de vie, mais à celui du bassin touristique et ont créé une structure qui dépasse le seul périmètre de l'intercommunalité.

Les élus sont convaincus des bienfaits du travail ensemble et de la mutualisation. Pour la compétence eau et assainissement par exemple, beaucoup des communes qui n'ont pas transféré la compétence à l'intercommunalité la gèrent au sein de syndicats. Il n'y a pas forcément une volonté de repli sur soi, mais il est difficile de trouver le bon niveau pour exercer la compétence.

Yannick Moreau. - Le débat sur le principe de subsidiarité me rappelle celui sur la proportionnelle aux élections législatives. Chacun y met ce qu'il veut y voir, et chacun l'imagine tel que cela l'arrange, mais au final, il ne se passe jamais rien.

La subsidiarité est, à mon avis, un principe d'avenir pour peu qu'il ne soit pas exclusif. Une loi doit fixer un bloc de compétences intercommunales obligatoires et non négociables et des compétences qui peuvent être laissées à la subsidiarité locale et donc aux choix locaux.

Le bassin d'emploi d'une intercommunalité est une réalité économique tangible et irrépressible. Découper à l'intérieur d'un bassin d'emploi n'aurait pas de sens. De même pour le bassin hydraulique d'une intercommunalité. Il y a des réalités géographiques et économiques que l'on ne peut pas ignorer et donc qui ne se discutent pas.

Il faudrait aussi intégrer au principe de subsidiarité une variable d'ajustement qui serait la notion de chef de filât. Il faut certes laisser les territoires s'organiser, mais il faut identifier les chefs de file. Les deux notions ne sont pas antinomiques, c'est une question d'équilibre, de dosage à trouver, ce que le législateur peut et sait faire lorsqu'il le veut.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Le principe de subsidiarité évoqué par plusieurs intervenants est séduisant, en théorie. Cependant, je connais de nombreuses règles qui satisfont l'esprit, mais qui ne résolvent pas les problèmes.

Dans le secteur privé, on mutualise pour générer des économies. Et cela fonctionne. Dans le secteur public, on mutualise pour la même raison mais cela ne marche pas tout le temps et on sait ce qui est à l'origine de ce manque d'efficacité.

Je regrette que l'on ne puisse pas aller plus loin s'agissant de la subsidiarité. La question reste de savoir qui aura l'autorité, la légitimité pour savoir quel est le bon niveau pour exercer la compétence. Tout peut être plaidé avec un peu de talent. La loi doit être un peu plus précise, sinon il risque d'y avoir de grandes disparités entre les territoires. L'important, c'est que les territoires soient satisfaits de leurs intercommunalités.

Avez-vous connaissance d'intercommunalités dans lesquelles la réalité des bassins d'emploi et celle des bassins de vie ou des périmètres touristiques ne se superposent pas et dans lesquelles les écarts sont importants ?

Mme Marie-Annick Fournier. - Avec l'évolution de la pratique du tourisme, et plus particulièrement de la pratique du tourisme en montagne, le touriste parcourt plus de kilomètres et emprunte plus de routes lorsqu'il fait un tourisme d'été ou un tourisme des quatre saisons en montagne. Cela ne sert à rien de mettre deux tyroliennes à 20 kilomètres l'une de l'autre.

L'idée est de se demander comment coordonner les aménagements touristiques sur l'ensemble du territoire sur lequel le touriste se déplace, qui n'est pas forcément le périmètre du bassin d'emploi ou le périmètre administratif. Par ailleurs, ce ne sont pas les mêmes touristes l'été et l'hiver, ce ne sont pas les mêmes pratiques touristiques, et l'enjeu est de réussir à s'adapter à ces évolutions.

M. Yannick Moreau. - Les périmètres qui ont été établis en 2017 ont été fixés au forceps dans un calendrier très contraint et, selon les départements, ont été plus ou moins acceptés, plus ou moins subis. Il serait opportun d'ouvrir une clause de révision, sur la base du volontariat, permettant à certaines collectivités d'établir une nouvelle carte intercommunale. Certaines intercommunalités pourraient accepter de perdre deux ou trois communes, tandis que d'autres pourraient en accueillir deux ou trois. Il ne faudrait pas y voir un échec, mais plutôt une adaptation légitime après quelques années d'expérience. On devrait pouvoir, sinon le favoriser, du moins le permettre. Or, actuellement, le dispositif est trop rigide voire impossible.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Concernant le découpage départemental, le préfet ou la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) devraient-ils conserver les mêmes pouvoirs ? Faut-il par ailleurs revoir les règles de majorité qualifiée ?

M. Yannick Moreau. - Si un accord existait, il n'y aurait pas besoin d'une carte préfectorale ou d'une commission départementale se prononçant par des votes à majorité qualifiée. Un accord entre l'intercommunalité sortante et l'intercommunalité arrivante devrait suffire. Un accord entre les communes concernées et les intercommunalités concernées devrait suffire à une modification de la carte, sans devoir mobiliser une commission départementale, dans laquelle les logiques ne sont pas forcément les mêmes.

Mme Marie-Annick Fournier. - On rencontre la même problématique avec le transfert à la carte permis par la loi 3DS. L'interprétation faite par les juristes de cette disposition est que, même si certaines communes de l'intercommunalité ne sont pas concernées par ce transfert, elles doivent néanmoins voter le transfert pour les autres. On conserve les mêmes règles de majorité qualifiée.

Les règles de transfert de compétences, de restitution, de mutualisation, de transfert à la carte et de modification des périmètres sont très rigides et s'avèrent dissuasives. À cela s'ajoutent les débats sur le transfert des attributions de compensation, mais c'est une autre problématique.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Des écarts de richesses existent entre les intercommunalités, tout comme entre les communes. Si cet écart était moins important, de l'ordre de 20 % ou 25 %, les demandes de communes d'aller rejoindre l'EPCI voisin plus riche seraient-elles moins nombreuses et pourrait-on aboutir ainsi à une plus grande consolidation de la carte ?

M. Yannick Moreau. - Je ne suis pas pour l'égalitarisme. Il n'est pas anormal qu'il y ait, dans un paysage territorial, des communes ou des intercommunalités qui soient plus riches ou plus pauvres les unes que les autres. Le fonctionnement actuel du fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) vient compenser et rééquilibrer un peu les inégalités. Je suis plutôt conservateur et le statu quo me paraît satisfaisant.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous vous remercions pour vos contributions éclairées et très intéressantes. Le débat n'est pas interrompu pour autant, vous pouvez toujours nous faire part d'observations complémentaires par écrit.

La réunion est close à 16 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.