Mardi 29 avril 2025

- Présidence de Gilbert-Luc Devinaz, président -

La réunion est ouverte à 15 h 05.

Audition de M. Matthieu Delouvrier : présentation du baromètre annuel de l'Institut Paul Delouvrier sur « Les services publics vus par les Français et les usagers »

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Chers collègues, nous ouvrons aujourd'hui nos travaux avec l'audition de M. Matthieu Delouvrier, qui représente l'Institut Paul Delouvrier, dont le baromètre annuel sur les services publics vus par les Français et les usagers se trouve au coeur de notre sujet.

Je remercie M. Delouvrier de s'être rendu disponible pour partager avec nous les enseignements de ce baromètre, qui existe depuis 2004 et qui dresse année après année, un panorama de l'opinion des Françaises et des Français sur l'action de l'État.

Je rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et que son enregistrement vidéo, accessible en direct, pourra être consulté en VOD sur le site du Sénat.

À l'attention de Monsieur Delouvrier et des deux administrateurs de l'Institut Paul Delouvrier qui l'accompagnent, Madame Chantal Jourdan et Monsieur Guy Snanoudj, je précise que le cycle d'auditions que nous inaugurons cet après-midi se poursuivra jusqu'en juillet, et sera complété par des déplacements de terrain. Notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public en septembre.

Dès la réunion constitutive de cette mission, le 8 avril, nous avons souhaité, avec notre collègue rapporteure, Nadège Havet, mettre l'accent, dans le cadre de cette mission, sur les enjeux d'égalité - entre les personnes ainsi qu'entre les territoires - que recouvre l'accès aux services publics. Comme le souligne l'intitulé de notre mission, notre objectif est de parvenir à « renforcer et rénover le lien de confiance entre les administrations et les usagers ».

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Je m'associe aux remerciements du président. Pourriez-vous tout d'abord nous rappeler rapidement la méthodologie de cette enquête et le partenariat qui vous lie à la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) ?

Ce baromètre existe depuis 2004, comme l'a rappelé le président. Que nous enseigne-t-il sur l'évolution du regard des Français et des usagers sur les services publics au cours des vingt dernières années ? Que nous enseigne-t-il sur leurs attentes actuelles en matière de services publics, plus particulièrement en ce qui concerne l'accès aux services publics ? Quels sont les services publics qui ont le plus et le moins progressé, d'après le baromètre ? Pourquoi l'opinion générale sur les services publics reste-t-elle plutôt médiocre (en-dessous de 50 % d'avis favorables) ?

M. Matthieu Delouvrier. - Monsieur le président, Madame la rapporteure, je vous remercie infiniment de votre invitation qui donne l'opportunité à l'Institut Paul Delouvrier de présenter le baromètre sur « Les services publics vus par les Français et les usagers » qui, vous l'avez rappelé, a été créé en 2004.

(Un document power-point est projeté)

Préalablement à toute réponse, mon propos introductif portera sur un point méthodologique, retracé dans les documents projetés. Lors de la création de ce baromètre en 2004, on a pu nous objecter : « Pourquoi interroger les usagers ? Est-ce vraiment utile ? Il vaudrait mieux interroger les fonctionnaires ! ». À cela, nous avons répondu que les deux catégories sondées n'étaient pas incompatibles. En effet, l'idée présidant à la création d'un tel outil consistait à effectuer un effet de levier sur la modernisation de l'action publique en France, qui est au coeur de l'activité de l'Institut Paul Delouvrier. Ce baromètre s'inscrit donc dans les objectifs de l'Institut, institution indépendante et sans but lucratif.

Dans le cadre de l'élaboration de cet instrument, deux principes majeurs ont été retenus. Le premier principe est celui de la simplicité. Il convenait d'éviter toute discussion bloquante et infructueuse sur la méthodologie. En Suède et aux Etats-Unis, des outils extrêmement sophistiqués ont été mis en place. Cela ne semblait pas approprié à notre projet : en quelque sorte, nous voulions discuter de la température plus que du thermomètre.

La méthode adoptée est donc simple, celle du sondage avec pour réponses possibles : « Je suis satisfait » ou « Je ne suis pas satisfait ». L'intérêt de cette méthode est de permettre un traitement symétrique des différents services publics ainsi qu'une comparaison entre eux. Alors qu'on ne peut aisément comparer le service de l'éducation nationale et celui de la justice sur des bases de la comptabilité analytique, il est possible de déterminer si un service satisfait ou non ses usagers, puis de procéder à des comparaisons. L'homogénéité horizontale de cette méthode nous a donc intéressés en ce qu'elle répond à une demande de comparaison des décideurs des institutions publiques. En outre, son homogénéité verticale permet d'approfondir l'étude dans le détail.

Outre la simplicité, le second principe majeur présidant à l'élaboration du baromètre est la hiérarchisation des priorités, utile au décideur public.

S'agissant du périmètre du baromètre, nous avons décidé de retenir les services qui, dans l'esprit de la population, sont apparentés à l'action de l'État, notamment pour leur nature non commerciale. J'en conviens, la définition de ces services et du rôle de l'État peuvent paraitre flous, dans la mesure où certains de ces services sont non seulement tributaires de l'action de l'État, mais aussi des collectivités territoriales ou d'autres d'intervenants. Toutefois, nous n'avons pas voulu complexifier l'analyse.

Neuf services ont donc été étudiés : l'aide au retour à l'emploi, l'éducation nationale, la santé publique, la sécurité sociale, la police et la gendarmerie, la justice, les centres des impôts, les services publics du logement et l'action de l'État en matière d'environnement. Ces neuf secteurs correspondent aux domaines que les Français considèrent comme des actions prioritaires de l'État.

Dès le début du projet, en 2004, nous avons pris contact avec des membres du secrétariat d'État à la réforme de l'État, qui ont exprimé de l'intérêt. Notre relation actuelle avec la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) découle de cette démarche. Depuis lors, nous n'avons jamais cessé de coopérer avec les institutions en charge de la réforme de l'État, de sa modernisation ou de la transformation publique.

L'approche adoptée est celle de l'entonnoir. Dans un premier temps, les questions sont posées aux Français, à partir d'un échantillon de 2 500 personnes auxquelles nous demandons d'une part quelles sont leurs priorités en termes d'action publique, et d'autre part s'ils ont une bonne ou une mauvaise opinion de ces différents services publics.

Dans un second temps, nous recrutons parmi ces Français des usagers des différents services désignés comme prioritaires afin de recueillir, au-delà de leur opinion, leur satisfaction (ou non) en tant qu'usager. Trois questions sont posées : « Êtes-vous globalement satisfait des services qui vous ont été fournis lors de vos interactions avec le service de la justice, de la police et gendarmerie, etc ? » ; « Dans tel service, quelles sont vos attentes prioritaires ? Est-ce la qualité du service, la rapidité des démarches ? etc » ; « Vous nous avez dit que dans le domaine de la santé, votre attente prioritaire est la qualité des soins reçus, avez-vous été finalement satisfait en tant qu'usager sur cette attente prioritaire ? ». La démarche nous permet donc de hiérarchiser les attentes prioritaires des usagers.

Outre ce volet barométrique mis en oeuvre depuis 2004, quelques questions ont été ajoutées afin de recueillir l'appréciation des Français sur les coûts des services publics. J'y reviendrai ultérieurement.

Dans le cadre de la dernière enquête, conduite du 20 décembre 2024 au 7 janvier 2025 réalisée par Toluna et Harris Interactive, l'échantillon représentatif de la population française comprenait 2 625 personnes. Des sous-échantillons ont été créés pour les différents services. La méthode utilisée consiste à reprendre les statistiques de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et à redresser les échantillons pour s'assurer de leur représentativité de la population française.

Nous avons retenu deux indicateurs : la satisfaction globale moyenne des usagers sur les services publics étudiés ; l'opinion moyenne des Français à l'égard des différents services publics. La première poursuit sa hausse en s'établissant à 77 % tandis que la seconde se stabilise à 45 %. Ces 32 points d'écart nous paraissent très importants.

Pourquoi cette différence ? La vision des usagers est fondée sur l'expérience, celle des Français en général se révèle assez désincarnée. Un citoyen peut être mécontent de l'hôpital, mais ne le sera pas du médecin ou de l'infirmière qui l'a soigné lors de son dernier séjour. En outre, l'usager peut ressentir un certain privilège à utiliser un service public alors que l'appréciation du citoyen sera de nature politique ou financière. Quelle que soit l'explication de l'écart entre les deux indicateurs, il conviendrait peut-être d'adopter une nouvelle forme de communication afin que la satisfaction des usagers et l'opinion des Français à l'égard des services publics convergent.

Mon point suivant porte sur la notion de service public, qui a considérablement évolué depuis 2004. À la question ouverte « Si l'on vous parle de services publics, quels sont tous ceux qui vous viennent à l'esprit spontanément ? », les réponses recueillies en 2005 citaient principalement des entreprises publiques : La Poste pour 54 %, SNCF pour 30 %, EDF pour 29 % et France Télécom pour 18 %. En 2022, la seule entreprise qui subsiste au-delà de 10 % des citations effectuées est La Poste, qui est passée de plus de la moitié des citations à seulement 13 %.

Le monde et sa perception ont beaucoup évolué. La vision des services publics dans l'esprit des citoyens se recentre un peu plus vers le régalien ; on observe parallèlement la forte progression de la sécurité sociale dans les réponses sur l'identification des services publics par la population française.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Il est également intéressant de noter que les services des impôts arrivent en tête.

M. Matthieu Delouvrier. - Effectivement, les réponses sont plus orientées vers les domaines régaliens.

J'en arrive à la présentation des résultats de notre baromètre, qui représente vingt ans d'informations et des millions de données analysées. Les réponses des Français à la question « Parmi les domaines suivants d'intervention de l'État, sur lesquels les pouvoirs publics devraient-ils faire porter prioritairement leur effort ? » indiquent que le domaine prioritaire a pendant très longtemps été l'emploi. Cependant, son positionnement n'a fait que reculer dans la hiérarchie des priorités depuis 2012, pour ne s'établir qu'en cinquième position en 2024. On observe un léger redressement entre 2023 et 2024. Cette tendance se poursuivra-t-elle l'année prochaine ?

Trois services progressent significativement et régulièrement dans le classement des priorités depuis le milieu des années 2000 : la santé, la police et la gendarmerie, et enfin la justice. On peut considérer que le niveau de classement de la police est stabilisé depuis 2016.

S'agissant de la ventilation par région, on remarque une assez grande homogénéité. La santé publique est quasiment en tête dans l'ensemble des régions, suivie de l'éducation nationale et de la justice, avec quelques petites particularités, les résultats par classes d'âge étant différents. En effet, de manière naturelle, la santé étant beaucoup plus importante pour les plus âgés.

J'ai précédemment évoqué l'évaluation de la perception du coût des services publics. Après plusieurs tentatives, nous avons obtenu deux courbes assez intéressantes et volatiles, issues de l'analyse des réponses des Français au choix entre ces deux options : d'une part, « Diminuer le niveau des impôts et des prélèvements quitte à réduire les prestations fournies par les services publics » ; d'autre part, « Améliorer les prestations fournies par les services publics quitte à augmenter le niveau des impôts et des prélèvements ». Cette analyse confirme ce que certains journalistes qualifient de « ras-le-bol fiscal ». Si la demande sous-jacente de services publics est importante (45 %), elle cède la priorité à la diminution des impôts (52 %) lorsque le niveau perçu des impôts est trop élevé.

D'un point de vue géographique, l'option « Améliorer des prestations fournies quitte à augmenter les impôts » obtient de meilleurs scores en Île-de-France et en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Pouvez-vous l'expliquer ?

M. Matthieu Delouvrier. -Nous aimerions être en mesure d'approfondir l'analyse, notamment à l'échelle régionale, mais nous ne disposons pas d'échantillons suffisamment importants dans toutes les régions pour obtenir des résultats significatifs. L'exercice portant sur une base de 2 500 Français atteint rapidement sa limite.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - L'échantillon concerne la métropole.

M. Matthieu Delouvrier. - En effet. Nous avons beaucoup réfléchi sur la question de l'échantillonnage et de son adressage. À l'origine, les personnes étaient interrogées dans le cadre d'une interview téléphonique. Depuis 2014, l'interview est effectuée en ligne. En Guadeloupe et en Martinique, l'obtention d'échantillons convenables exigerait un mode de recueil des informations qui se heurterait à des considérations budgétaires.

Une autre question portant sur le coût des services publics était formulée de la manière suivante : « Avec laquelle de ces trois affirmations suivantes êtes-vous le plus d'accord ? 1° Il est possible d'améliorer la qualité de prestations des services publics tout en conservant le niveau des impôts ; 2° Il est possible d'améliorer la qualité de prestations des services publics tout en baissant le niveau des impôts ; 3° Il est impossible d'améliorer la qualité de prestations des services publics sans augmenter le niveau des impôts ». En additionnant les scores des réponses aux deux premières questions, on obtient un taux de 81 %. Cette question a été posée à plusieurs reprises au cours de ces vingt dernières années, avec des résultats toujours voisins : selon les Français, il est possible d'améliorer la qualité des services publics, a minima sans avoir à augmenter les impôts.

Nous avons vu que l'opinion positive moyenne des Français sur l'ensemble des services publics était de 45 %. On remarque que le service public bénéficiant de la meilleure opinion, et ce depuis assez longtemps, est la police et la gendarmerie. En revanche, l'emploi, la lutte contre le chômage ainsi que la justice se classent en dernière position.

Nous allons aborder maintenant le second temps de la présentation du baromètre : la satisfaction des usagers, dont les modes d'accès aux services publics ont connu de réelles transformations ces vingt dernières années.

On distingue trois périodes. La première est axée sur le contact physique - et accessoirement le téléphone ; puis la moitié des services publics ont adopté internet comme moyen de communication ; enfin depuis 2019 internet est le mode de contact privilégié de l'ensemble des services, sauf la police et la gendarmerie. Quant à l'école, elle demeure certes un lieu de contact, mais l'interaction se produit sur internet. Je précise que la télé-éducation n'est pas étudiée ici.

La question suivante a été posée pour chacun des neuf services publics retenus dans l'étude : « Globalement, en tant qu'usager, diriez-vous que vous avez été très satisfait, plutôt satisfait, plutôt mécontent ou très mécontent de l'action de... » Trois catégories de services publics atteignent aujourd'hui des niveaux de satisfaction élevés : la fiscalité et la collecte des impôts (82 %), la sécurité sociale (80 %), la police et la gendarmerie (79 %). Ces dernières avaient significativement progressé dans le classement du baromètre dans les années 2000 et sont demeurées à un niveau de satisfaction élevé.

Deux autres catégories de services opèrent un rattrapage certain : les agences de retour à l'emploi et de lutte contre le chômage, et la justice avec un taux de satisfaction respectif d'environ 37 % et 55 % en 2014, de 77 % et 70 % dix ans plus tard. Cette progression est absolument considérable.

Enfin, le troisième groupe est composé des services publics dont le taux de satisfaction s'affaiblit de manière tendancielle depuis le début du baromètre : la santé publique et l'éducation nationale. Classés systématiquement dans les premières places au début des années 2000, ils enregistrent désormais un taux de satisfaction respectif de 76 % et 71 %.

Il existe une autre méthode d'analyse de la satisfaction des usagers : « la satisfaction globale renforcée ». Elle consiste à ne retenir que les usagers qui s'estiment très satisfaits ou très mécontents d'un service donné, puis à comparer les deux catégories. On mesure entre 2022 et 2024 un progrès très important en matière de satisfaction renforcée. En revanche, entre 2005 et 2024, on observe des résultats contrastés selon les services. La santé publique enregistrait au début du baromètre un différentiel de satisfaction renforcée positif de 30 points : les usagers s'exprimaient très fortement et positivement sur la santé. Ce différentiel s'établit à 8 points en 2022, puis à 12 points en 2024, ce qui traduit un tassement de la satisfaction envers la santé publique et l'éducation, avec des nuances concernant cette dernière.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Existe-t-il une corrélation entre les baisses de la satisfaction, que ce soit pour la santé publique ou l'éducation nationale, et le passage de l'accès au service public par contact physique à internet ?

M. Matthieu Delouvrier. - J'aurais tendance à répondre par l'affirmative, mais nous n'avons pas encore démontré ce lien de causalité. Il est probable que la phase de dégradation de la satisfaction soit liée à la difficulté de mise en place des nouveaux outils d'accès aux services publics. On peut probablement distinguer deux périodes : celle d'une contraction de la satisfaction suivie d'une période d'amélioration, à mesure que les nouveaux outils et modes d'accès aux services publics sont mis en oeuvre. La fiscalité et la collecte des impôts illustrent mon propos. La mise en ligne des déclarations a eu un impact sur la satisfaction des usagers des impôts, c'est-à-dire des contribuables.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - S'agissant du service public de l'emploi, l'effet positif en termes de satisfaction est dû à la mise en place du conseiller référent. Les usagers savent à qui s'adresser, même par internet.

M. Matthieu Delouvrier. - Sur le mode d'accès, le baromètre comprend également une étude détaillée pour chacun des services publics. Plusieurs réponses sont possibles : internet, contact physique, téléphone, courrier, « Ce sont eux qui entrent en contact avec vous », appel vidéo/visio-conférence, autres. L'exemple de la santé publique illustre les changements de mode d'accès au service. En outre, on relève qu'en 2011, ce service représentait un secteur d'excellence tant dans l'opinion des Français (61 % contre 49 % en moyenne pour les neufs services publics retenus) qu'en termes de satisfaction des usagers (81 % contre 76 % en moyenne pour les neufs services publics retenus). En revanche, en 2024, il rejoint exactement la moyenne des neuf services publics, avec 45 % de bonnes opinions et 76 % d'usagers satisfaits.

Concernant les attentes prioritaires à l'égard du service de la santé publique, les réponses ont été listées ainsi : qualité des soins reçus et rapidité d'accès, accès et gratuité des soins médicaux pour tous, bonne information sur l'état de santé et les différentes possibilités de soins et bonne orientation vers les bons services, proximité géographique des établissements de soins, qualité de l'accueil des malades et des familles, rapidité à prendre en compte les demandes, coût représenté par les soins pour l'ensemble de la société, qualité et efficacité des services administratifs, simplicité et la transparence des démarches.

Dans le cadre de la mise en concurrence des instituts de sondage, nous pouvons tester la pertinence de ces attentes et en introduire de nouvelles. Ainsi l'attente de la simplicité et de la transparence des démarches a été ajoutée en 2015. Elle n'a toutefois pas revêtu l'importance projetée dans la hiérarchie des usagers de la santé. La liste de ces attentes a été également modifiée dans les domaines soumis à de grand changements tels que l'environnement.

Revenons aux résultats du service de la santé publique, soumis à une obligation de résultat : il recueillait 31 % des citations en 2014 (20 % en 2024). De même, la rapidité d'accès aux examens et soins médicaux fluctue de 19 % en 2014 à 17 % en 2024.

Notons que les attentes à l'égard des autres services relèvent d'une obligation de moyens, voire d'une simple attente citoyenne, comme dans le cadre du logement, domaine dans lequel la priorité des citoyens a longtemps été de pouvoir bénéficier des opportunités de logement de manière équitable, quel que soit le territoire concerné. La santé publique est, quant à elle, caractérisée par une obligation de résultat. Son coût ne constitue pas un facteur important. Sur ce point, l'évolution des réponses révèle une dégradation de la satisfaction, de 84 % en 2018 à 82 % en 2021 et 77 % en 2024. La rapidité d'accès aux examens, deuxième priorité, affiche un taux de satisfaction de 52 % en 2024, ce qui est faible. On en déduit donc que la préservation de la qualité des soins dans le domaine de la santé est nécessaire car toute baisse impactera la satisfaction globale des usagers de la santé. L'une des pistes pour accroitre cette satisfaction générale, tout en préservant la qualité des soins reçus, consisterait probablement à améliorer la rapidité d'accès aux examens.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - La rapidité d'accès aux soins médicaux tend à augmenter depuis deux ans.

M. Matthieu Delouvrier. - Certes, mais le niveau est faible. Lors d'une émission de radio consacrée à la publication des résultats du baromètre, un auditeur s'est félicité du taux de satisfaction supérieur à 50 %. Cela nous conduit à nous interroger sur la notion de taux de satisfaction attendu, qui reflète en quelque sorte le « taux de satisfaction satisfaisant ». À la question : « Quel serait pour vous un taux de satisfaction raisonnable pour tel ou tel service ? », les réponses des Français font état d'un taux de satisfaction attendu plus faible pour les services fiscaux et de la collecte des impôts (de l'ordre de 70 % à 75 %) que pour la santé publique. C'est pourquoi un taux de satisfaction de 52 % quant à la rapidité d'accès aux examens et aux soins médicaux ne peut être qualifié de satisfaisant, alors qu'il s'agit de deuxième attente prioritaire des usagers.

En résumé, ces sondages sur la satisfaction nous enseignent qu'il existe deux périodes, une phase de décroissance suivie d'une remontée moyenne, conduisant également -ce qui est intéressant - à une convergence. On assiste, en effet, à un rattrapage, en termes de satisfaction, du service de la justice et de celui l'emploi, qui se traduit par la convergence des courbes des niveaux de satisfaction.

Concernant la question du coût des services (et des impôts destinés à les financer), les Français estiment payer suffisamment d'impôts ; ils considèrent qu'il existe des marges de progression de la qualité des prestations reçues compte tenu de la pression fiscale actuelle. Enfin, la satisfaction moyenne des usagers poursuit sa hausse (77 %, + 4 points entre 2022 et 2024), quand l'opinion du grand public tend à se stabiliser (45 %, +1 point entre 2022 et 2024).

Mme Nadège Havet, rapporteure. - J'observe que l'encadré décrivant les usagers mentionne : « population plus âgée et féminine ».

M. Matthieu Delouvrier. - En effet, les statistiques dont nous disposons portent sur plus de femmes usagers que d'hommes, mais j'en ignore la raison.

Mme Béatrice Gosselin. - Pensez-vous que la création maisons France Services ou d'autres structures qui regroupent des services publics ont eu une incidence sur la perception qu'ont les usagers de la qualité des services ? En effet, les quelques domaines qui ne relèvent pas des France Services, comme la santé publique et l'éducation nationale, enregistrent des taux de satisfaction plus faibles que les autres.

M. Matthieu Delouvrier. - Si ma mémoire est bonne, les taux de satisfaction exprimés par les usagers sur France Services sont élevés.

Mme Marie-Pierre Richer. - L'échantillonnage est-il identique dans toutes les régions ? Vous avez mis l'accent sur les régions, mais avez-vous envisagé de sonder les usagers au niveau des départements, certains sujets étant notamment portés par les conseils départementaux ? Enfin, je suis assez étonnée des taux de satisfaction dans la région Centre-Val-de-Loire.

En ce qui concerne la santé, vous avez sondé les usagers sur l'hôpital public, les services d'urgence ou le SAMU, etc. mais pas sur la désertification médicale ou la vie quotidienne de nos concitoyens. Pouvez-vous confirmer que votre périmètre d'étude ne concerne pas l'ensemble du domaine de la santé ?

M. Matthieu Delouvrier. - Vous avez raison. La question (« Avez-vous eu recours, pour vous personnellement ou pour l'un de vos proches, au service de santé publique, c'est-à-dire hôpitaux publics, services d'urgence ou SAMU ? ») ne porte pas sur l'ensemble des domaines de la santé.

Pour répondre à vos interrogations sur les échantillonnages, nous avons sélectionné un échantillon de 2 500 Français, ce qui ne saurait être représentatif de la population régionale. Nous partons, par exemple, d'un échantillon qui comporte un garçon de 18 ans, une femme de 60 ans, un CSP+ (catégories socioprofessionnelle supérieure) alors qu'une région peut comporter plus de CSP+ que d'autres. L'analyse a donc ses limites.

Pour obtenir des résultats encore plus pertinents, il faudrait recréer des sous-échantillons représentatifs de la population de chaque région, puis, si on veut affiner l'analyse, des départements, ce qui conduirait à multiplier les échantillons. Ainsi, pour resserrer la maille et couvrir la France et ses régions, il faudrait peut-être sélectionner 40 000 personnes. Cette approche est réellement très intéressante, mais une telle démarche requiert des moyens beaucoup plus importants que ceux dont dispose l'Institut.

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Dans quelle catégorie classez-vous les pompiers ?

M. Matthieu Delouvrier. - Les pompiers ne sont pas analysés, uniquement la police et la gendarmerie.

M. Éric Gold. - Nous sommes en pleine phase de dématérialisation forcée des services publics. Il me semble que l'attente prioritaire des usagers est de passer du 100 % numérique au 100 % accessible. Je m'interroge donc sur les réponses qui sont absentes de l'enquête, à savoir les réponses de celles et ceux qui n'ont pas accès à l'informatique et qui sont totalement éloignés du numérique.

En effet, les enquêtes sont finalement menées via le canal informatique, délaissant le porte-à-porte et le contact direct. Or la difficulté réside dans cette cible de personnes complètement éloignées du numérique. D'aucuns invoquent la transition numérique, mais force est de constater que certains n'emprunteront jamais le chemin du numérique et en resteront complétement éloignés. Je ne suis pas certain que ces enquêtes parviennent à recueillir l'opinion du public âgé, fragile ou handicapé.

M. Matthieu Delouvrier. - Cette question appelle une double réponse. Premièrement, les sondeurs précisent qu'il existe une frange de la population qui s'exclut d'elle-même car elle ne souhaite pas participer au sondage. Cette exclusion n'est pas propre au numérique et concerne également les enquêtes par téléphone et l'adressage.

Deuxièmement, nous nous sommes intéressés aux personnes exclues du numérique car elles ne maîtrisent pas cet outil. En 2015, nous avons voulu étudier l'incidence éventuelle du passage des enquêtes par téléphone au canal numérique : nous avons procédé à des tests par téléphone sur une moitié de l'échantillon, et via le numérique sur l'autre moitié. Nous n'avons relevé aucune incohérence.

Tout en convenant qu'il existe un problème d'accès aux enquêtes pour certaines catégories, les sondeurs et les analystes soulignent que les résultats ne seraient pas foncièrement différents, en termes de priorité, d'opinion et de satisfaction, si l'on pouvait interroger tout le monde. Ceci dit, il convient d'améliorer l'accès à toutes ces personnes.

M. Hugues Saury. - Je note une certaine stabilité entre 2004 et aujourd'hui. D'une part, le taux de satisfaction moyenne des usagers des différents services publics passe de 73 % en 2004 à 77 % à 2024, avec des inflexions selon les services. D'autre part, l'opinion positive moyenne des Français à l'égard des différents services publics passe de 40 % en 2004 à 45 % en 2024, malgré les réformes, les crises et les économies, etc.

Or, l'intitulé de notre mission d'information est clair : faciliter l'accès et restaurer le lien de confiance. Nous sommes réunis par le constat que nous avons fait, dans nos territoires, de nombreuses interrogations de la population sur les services publics. Ma question vous apparaîtra peut-être un peu provocatrice : avons-nous bien fait de créer cette mission alors que votre baromètre indique une certaine stabilité au fil du temps ?

M. Matthieu Delouvrier. - Vous avez raison, si on ne s'attache qu'à l'année de départ et à l'année de fin. Cependant, ce qui se passe entre ces deux limites est intéressant. Les résultats du baromètre mettent en lumière une détérioration dans une première phase, puisque le taux moyen de satisfaction n'a atteint que 67 % en 2014suivie d'une amélioration. Le baromètre reflète probablement un choc sur les services publics lors du passage au digital : après une certaine désorganisation au départ, cause d'insatisfaction, un rattrapage s'est produit du fait de l'apparition des bénéfices du numérique.

En outre, on mesure un gain de 40 points du taux de satisfaction à l'égard du service de l'emploi et de lutte contre le chômage, ainsi qu'un tassement des taux concernant la santé publique et l'éducation nationale. Ces services enregistraient des taux de satisfaction supérieurs à 80 % en 2005. Pourquoi n'aurions-nous pas un taux de satisfaction moyen supérieur à 81 % pour ces services ? Pourquoi se contenter de 76 % pour la santé publique et de 71 % pour l'éducation nationale ?

Une réduction très significative de la catégorie des usagers très satisfaits, même si elle se déverse dans celle des usagers satisfaits, doit également interpeller.

Des analyses plus fines en termes de catégories de services publics peuvent être effectuées. L'Institut élabore plusieurs baromètres, dont un sur l'environnement, réalisé en partenariat avec la Caisse des dépôts, qui utilise des sur-échantillonnages pour aller plus loin notamment dans le questionnement sur les bailleurs sociaux. En 2021, l'Institut a réalisé avec Kantar et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) une étude sur les services publics vus par les habitants des quartiers prioritaires de la ville (QPV). La méthode de sondage a été modifiée pour revenir au téléphone car la constitution des échantillons par Internet s'avérait trop coûteuse et trop difficile. Les résultats ont révélé que la police et la gendarmerie n'obtenaient pas les mêmes taux de satisfaction dans les quartiers sensibles et dans les campagnes.

M. Jean-Luc Brault. - Le coût est un paramètre à prendre en compte dans les communes rurales, d'autant plus que les France Services doivent être mis à disposition. Par exemple, les cars permettent les déplacements dans nos tout petits territoires, dans des communes de 50, 100 ou 200 habitants.

Les résultats de ce baromètre sont très intéressants. Néanmoins, un grand nombre de personnes, dans mon département du Loir-et-Cher, n'ont pas accès à l'informatique ou au réseau ou ne veulent pas y avoir accès. Il se peut donc que vous soyez en dessous de la vérité, ce qui n'affecte pas l'utilité du baromètre. Encore le Loir-et-Cher, avec ses 260 000 habitants, ne figure-t-il pas parmi les départements les plus dépeuplés. Imaginez la population de ces toutes petites communes de 50 à 80 habitants, dans l'Indre ou dans la Creuse.

La santé est un véritable drame. Les médecins ne veulent plus s'installer dans les zones les plus défavorisées.

M. Matthieu Delouvrier. - Avec l'ANCT, nous avons augmenté la taille des échantillons pour recueillir le point de vue des habitants des communes très peu denses. Nous sommes parvenus à établir des résultats par catégorie de communes. À la question « Pensez-vous que l'offre de services publics a augmenté ou diminué ces dernières années dans votre région ? », les réponses des usagers des communes les moins denses, très majoritairement, ont cité une diminution de l'offre. En outre, les taux de satisfaction y étaient les moins élevés.

En effet, l'accès aux services dans les territoires très peu denses constitue un réel sujet de préoccupation. Cependant, l'analyse atteint rapidement ses limites, compte tenu de la taille des échantillons.

M. Jean-Luc Brault. - Le sujet est important pour les petites communes rurales. J'appartiens à une génération qui s'est occupée de ses parents et de ses voisins. Aujourd'hui, certaines personnes sont complètement abandonnées dans nos communes. En effet, on s'occupe de moins en moins des parents et des voisins. Pour que les habitants puissent continuer à vivre dans ces communes, l'État et les départements devront trouver des solutions qu'il faudra financer, ou faire preuve d'ingéniosité.

Mme Marianne Margaté. - Outre l'illectronisme que nous avons évoqué, il est une problématique très inquiétante que l'on rencontre sur le terrain, celle du renoncement de nos concitoyens à leurs droits. Certains s'excluent parce que « c'est trop compliqué », « le service n'est pas accessible », « c'est dématérialisé ».

La dématérialisation a non seulement pu constituer un choc pour certains ; elle s'est également accompagnée de disparitions de services de proximité tels que les centres de sécurité sociale. La partie de la population qui renonce à ses droits « sort des radars », ce qui pose une réelle question de cohésion sociale.

On a pu également remarquer un transfert de charges très clair sur les collectivités territoriales notamment pour accompagner le choc de la digitalisation, ce qui a peut-être permis une amélioration du taux de satisfaction, puisque l'accompagnement par les communes s'est révélé rassurant. J'ignore à quel moment cela pu être mesuré dans les courbes du baromètre. Ces communes ont mobilisé des ressources financières ainsi que des moyens humains pour accompagner la digitalisation, soit par leurs propres agents, soit par des associations.

Enfin, je m'interroge sur le chiffre de 52 % des Français qui préfèrent une diminution du niveau des impôts et des prélèvements, quitte à réduire les prestations fournies par les services publics. Ne traduirait-il pas en lui-même un renoncement à la qualité de ces services ? Ces Français sont-ils résignés à avoir une école avec des classes surchargées et en manque de professeurs, un accès à la santé compliqué, ainsi qu'une police qui devient de moins en moins visible ? En outre, les répondants qui se sont prononcés en faveur d'une réduction des impôts ont répondu en fonction de leur propre situation - le montant de leurs impôts, de leur salaire ou de leur retraite. Certains peuvent préférer renoncer à une certaine qualité des services publics, faute des ressources nécessaires pour faire face à une augmentation des impôts.

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Par-delà nos remarques sur la méthodologie du baromètre, celui-ci nous permet d'entrer dans le sujet de cette mission. L'écart de 32 points entre l'opinion positive des Français (45 %) et la satisfaction des usagers (77 %) montre qu'en tant qu'usager, on peut développer une autre opinion des services publics, même s'il est important de prendre compte de la manière dont l'opinion publique perçoit l'administration.

Enfin, il me semblerait souhaitable que ce baromètre distingue la gendarmerie de la police parce qu'elles n'opèrent pas sur les mêmes territoires. C'est l'ancien chef d'escadron de gendarmerie qui parle ! Leurs champs d'intervention et leur formation sont fondamentalement différents. La police nationale, généralement en sous-nombre, agit dans des zones urbaines beaucoup plus tendues. La satisfaction des usagers ne peut pas être la même que pour la gendarmerie, même si celle-ci a réduit ses effectifs. Je n'exclus pas que les associer dans une même catégorie influence les résultats.

La réunion est close à 16h15.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible  en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 30 avril 2025

- Présidence de M. Adel Ziane, vice-président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de M. Johan Theuret et Mme Émilie Agnoux, de l'association Le Sens du service public

M. Adel Ziane, président. - Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Johan Theuret et Mme Émilie Agnoux, de l'association Le Sens du service public.

Permettez-moi tout d'abord d'excuser notre président, Gilbert-Luc Devinaz, que j'ai l'honneur de remplacer en tant que vice-président de cette mission d'information.

Les résultats du sondage sur les inégalités d'accès aux services publics en France et l'impact sur le vote, réalisé sur l'initiative de votre collectif et dont les résultats ont été publiés en janvier 2025, montrent combien l'accès aux services publics est structurant. Il est au coeur du pacte républicain, des attentes et aspirations de nos concitoyens.

Je vous rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport et que son enregistrement vidéo, accessible sur le site du Sénat en direct, pourra également être consulté en différé. Le cycle d'auditions que nous poursuivons sera complété par des déplacements sur le terrain dans les prochains mois, et le rapport de la mission devrait être rendu public en septembre prochain.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Votre sondage est en quelque sorte à l'origine de la création de notre mission d'information. Pouvez-vous nous présenter les circonstances de la création de votre association, ses objectifs, sa composition et sa gouvernance, ainsi que le bilan de son action ? En un mot, comment vous inscrivez-vous dans notre paysage ? Que nous enseigne le sondage précité au sujet des services publics selon le profil des répondants ? Comment les réponses des personnes faisant état d'une mauvaise expérience avec un service public se répartissent-elles, entre la complexité des démarches, la qualité de l'accueil, la qualité de la réponse et la dématérialisation ? Quelles sont enfin vos pistes d'amélioration, compte tenu de votre expérience de la fonction publique territoriale ?

M. Johan Theuret, association Le Sens du service public. - Notre association, collectif réunissant des fonctionnaires issus des trois versants de la fonction publique, a été créée en 2021, à l'occasion de la campagne des élections présidentielles de 2022.

Nous voulions alors promouvoir les services publics et tirer les enseignements de la crise sanitaire, durant laquelle les services publics ont été particulièrement mis en avant. Nous voulions également partager le fruit de nos expériences en tant que gestionnaires de services publics, en particulier sur la décennie 2010-2020, pendant laquelle ces derniers ont été parfois maltraités, tant dans leur fonctionnement que dans le discours politique.

Nous travaillons sur plusieurs thématiques et avons élaboré un manifeste identifiant trois axes de travaux. Le premier concerne les enjeux d'égalité d'accès - physique, géographique ou numérique - aux services publics. Le deuxième porte sur l'exemplarité de la fonction publique en matière de transition écologique. Enfin, le troisième axe concerne le renforcement de la démocratie dans les services publics et la place qu'il faudrait laisser aux usagers pour améliorer leur fonctionnement.

Le sondage que vous évoquez a été réalisé avec le concours de l'institut OpinionWay, avec toutes les garanties qu'offre un tel institut, au mois de janvier 2025. Le panel est volontairement important - 2 061 personnes - et ce pour deux raisons. Premièrement, nous souhaitions étudier la perception des services publics chez les Français, mais aussi son lien avec leur comportement électoral, ce qui nécessitait un large échantillon. Deuxièmement, nous voulions disposer d'un panel représentatif des différentes régions françaises. Nous pouvons ainsi garantir une certaine fiabilité des résultats, dans la limite des marges d'erreur classiques des sondages.

Mme Émilie Agnoux, association Le Sens du service public. - J'axerai mon propos autour des résultats du sondage, qui s'inscrit dans un contexte politique particulier, mais aussi dans une histoire : celle de la France et de son rapport à l'État et aux services publics. Les services publics ont été en effet l'un des pans principaux des politiques d'aménagement du territoire et il y a probablement un lien à faire avec ces politiques si l'on veut comprendre les enseignements de ce sondage.

Ces derniers sont à la fois paradoxaux et nuancés. Tout l'enjeu était pour nous de sortir des propos que nous trouvions plutôt convenus et pas toujours en phase avec nos constatations sur le terrain. Ainsi, les réponses de nos concitoyens font apparaître des contradictions. Globalement, le sondage révèle une forme de mise à distance et de déshumanisation des relations et, en même temps, un fort attachement des citoyens à leurs services publics.

Ce sondage a montré également que la France avait, par rapport à d'autres pays, un rapport particulier au maillage territorial, à la géographie de son territoire et à l'égalité d'accès aux services publics. En effet, l'éloignement géographique est perçu par les répondants comme le premier critère de discrimination. Au-delà de la géographie, il faut inclure dans cet accès polymorphe la capacité à comprendre le langage des circuits administratifs, la question des horaires ou encore certains déterminants sociologiques. Cette acception très large de l'accès aux services publics peut expliquer les différences de résultats constatées selon le genre et la proximité partisane.

Six Français sur dix ont exprimé une insatisfaction globale à l'égard de la qualité des services publics. Pour autant, quand on les questionne en particulier sur tel ou tel service, et notamment sur leur expérience personnelle, la perception est bien meilleure. Peut-être le récit public extrêmement négatif dont font généralement l'objet les services publics contribue-t-il à un ressenti collectif qui, finalement, dégrade l'appréciation des citoyens. Quelque 74 % des usagers nous disent qu'ils accèdent plutôt facilement aux services publics, ce qui doit nuancer notre regard.

Le niveau d'insatisfaction varie selon le lieu d'habitation, rural, périphérique ou urbain, mais aussi selon des déterminants objectifs et subjectifs. Les résultats sont extrêmement contrastés selon que l'on vit dans un territoire en déclin, en stagnation ou en expansion, y compris à l'intérieur de ces trois catégories.

Il est intéressant de noter que les électeurs d'extrême droite, particulièrement visés par ce sondage, expriment la plus forte insatisfaction. Toutefois, l'impact de cette appréciation sur leur vote est moins important que pour d'autres Français exprimant des proximités partisanes. Ainsi, quasiment neuf répondants sur dix se disant proches de La France insoumise indiquent que cet élément est important dans leur vote, quand cette proportion n'est que de sept à huit répondants chez les électeurs d'extrême droite.

Trois quarts des personnes interrogées disent avoir déjà vécu au moins une expérience difficile avec les services publics. Cela n'est pas surprenant, étant donné notre contact quotidien avec ces services. Il est même rassurant de constater que la plupart de ces mauvaises interactions ont été exceptionnelles ou ponctuelles. Il suffit parfois d'une seule mauvaise expérience pour structurer un jugement extrêmement négatif. Les taux de satisfaction sont plus bas dans les zones rurales et périphériques, ainsi que dans celles qui sont en stagnation ou en déclin.

Le sondage révèle par ailleurs un rapport ambivalent des Français à l'égard des services publics, entre une forme de soulagement et une inquiétude. La crainte de l'arnaque arrive ainsi en tête des ressentis dans les interactions avec l'administration. Cela interroge et pourrait accroître la défiance à l'égard des institutions, lorsque l'on sait que certains profitent de la réputation des acteurs publics pour usurper une identité, des données personnelles ou des fonds privés. Fait intéressant, les femmes et les plus jeunes expriment davantage de stress dans leur interaction avec les services publics. Cela mérite également un certain nombre de réponses institutionnelles. Quant à la crainte de l'arnaque, elle est beaucoup plus élevée, évidemment, chez les personnes les plus âgées.

L'analyse détaillée de la facilité d'accès aux services publics montre des jugements disparates en fonction du service concerné. Les services ayant maintenu un réseau de proximité - écoles, collèges, lycées, police, gendarmerie - obtiennent de bons taux de satisfaction. France Travail, les transports publics ou les services de santé recueillent des niveaux de satisfaction intermédiaires. Les administrations de sécurité sociale et les tribunaux sont jugés un peu plus sévèrement. Enfin, ce sont les crèches et les modes de garde qui suscitent l'insatisfaction la plus élevée.

Les contrastes sont extrêmement marqués en fonction des territoires. Par exemple, l'hôpital public obtient un taux de satisfaction moyen lorsque l'on interroge l'ensemble des Français, mais il est de 32 % dans les zones en stagnation ou en déclin, contre 83 % dans les centres en développement. Lorsque l'on réfléchit à la question des déserts médicaux, il est donc essentiel d'aborder l'accès à la santé dans une perspective globale plutôt que de créer, par exemple, une dichotomie entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. La maternité fait également partie de la question.

Le taux d'insatisfaction relativement élevé des Français à l'égard des tribunaux doit lui aussi nous interroger. Il est révélateur d'une certaine revendication de justice. Au-delà de l'éloignement géographique, le fait que l'on ne côtoie pas les tribunaux tous les jours, le langage particulier de la justice, les délais extrêmement longs et les procédures complexes peuvent expliquer ce rapport ambivalent des Français à ce service public.

Au travers de notre enquête, nous avons également souhaité ouvrir des perspectives. Il en ressort, chez les répondants, une forte attente de proximité, de simplification et d'accompagnement humain. La simplification peut d'ailleurs passer par l'accompagnement humain, à rebours de certaines politiques de simplification qui ont été menées ces dernières années. Ainsi la dématérialisation est-elle la mesure d'adaptation qui est mentionnée en dernier par les répondants.

La question des horaires d'accès aux services publics nous paraît également intéressante. Nous avons noté des réponses différenciées selon le genre : les femmes considèrent en effet qu'il est nécessaire de travailler sur cette question. Cela confirme les résultats d'une enquête que nous avions menée sur l'accès au service public en milieu rural et l'impact sur les femmes : l'action publique est souvent aveugle au fait que les femmes sont davantage préposées à la relation de service public, qu'il s'agisse des démarches administratives, de la garde des enfants ou de l'accès à la santé. Et elles sont en première ligne pour compenser les carences des services publics lorsqu'elles surviennent.

Enfin, j'estime que le périmètre de ce qui est considéré comme relevant des services publics mérite d'être réexaminé. À la question de savoir s'il faut étendre les obligations de service public à d'autres secteurs, les réponses ont été très claires pour le secteur de la santé - pharmacies, médecins libéraux, établissements de soins ou encore ambulances privées. Elles étaient moins favorables en ce qui concerne les commerces de proximité, qui sont plus facilement perçus comme relevant du domaine privé. Nous aurions pu poser cette question pour d'autres services. Quoi qu'il en soit, cela va à rebours des discours dominants : il existe bien un besoin de services publics, une attente de réponse et de régulation de la part de la puissance publique pour permettre véritablement l'égal accès aux services publics et réactualiser cette promesse républicaine.

M. Adel Ziane, président. - Je vous remercie pour ces propos introductifs éclairants et stimulants.

Je me demandais si la perte de sens des agents du service public dans leur travail, qui apparaît dans un sondage sur ce sujet réalisé peu après la crise du covid, en 2021, était toujours d'actualité. La reconfiguration du monde du travail à laquelle nous avons assisté à la suite du covid a-t-elle changé la donne ? Si 60 % des personnes interrogées se plaignent globalement des services publics, on constate, lorsque l'on entre dans le détail, que les usagers ont une meilleure perception du service rendu. Quelles sont les pistes d'amélioration que vous esquissez ?

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Ma question va dans le même sens. Les agents du service public rencontrent actuellement des difficultés. Ils ressentent une perte de sens et éprouvent un sentiment d'absurdité à l'égard de leur mission. J'appelle cela travailler en « tuyaux d'orgue » : chacun donne ses consignes et la personne qui est en bout de course a parfois du mal à s'y retrouver. Au travers de vos enquêtes, avez-vous établi un profil d'agents qui seraient plus particulièrement concernés par cette perte de sens ? Avez-vous des solutions à proposer au manque de reconnaissance qu'ils éprouvent ?

M. Johan Theuret. - Le collectif Le Sens du service public n'est pas à l'origine du sondage que vous évoquez sur les agents publics. Je pourrai donc difficilement vous répondre, si ce n'est en mobilisant mon expérience professionnelle, notamment dans la fonction publique territoriale.

Si notre sondage montre en effet un degré d'insatisfaction assez net à l'égard des services publics, nous avons surtout voulu en comprendre les raisons. En dépit des disparités régionales, il apparaît que l'insatisfaction est principalement liée au degré d'éloignement des services publics : plus on est éloigné, plus l'accès est difficile et plus le degré d'insatisfaction est élevé.

Il ressort également de notre enquête que les Français qui jugent le plus sévèrement les services publics sont non pas ceux qui ont eu des expériences difficiles ou douloureuses, mais ceux qui en sont le plus éloignés. Émilie Agnoux le disait : l'éloignement n'est pas seulement géographique ou physique. Les Français jugent en effet sévèrement le mouvement de dématérialisation à tous crins des services publics, quelles que soient les tranches d'âge. C'est d'ailleurs assez préoccupant : si les plus de 65 ans émettent une très forte préoccupation et une insatisfaction à l'égard de la dématérialisation, c'est le cas également des 18-25 ans. Ces derniers sont plutôt favorables à la dématérialisation, mais ils jugent qu'elle a été tellement mal faite qu'elle accroît finalement l'éloignement des services publics. C'est là un enseignement assez fort.

J'en viens au sentiment de perte de sens des agents publics, particulièrement prégnant aujourd'hui pour plusieurs raisons. Toute la décennie précédant le covid a d'abord été marquée par une stigmatisation permanente des fonctionnaires, en d'autres termes par un « fonctionnaire-bashing » récurrent. À chaque campagne électorale - l'exaspération face à la surenchère des candidats est d'ailleurs partiellement à l'origine de la création de notre collectif -, c'était à celui qui supprimerait le plus grand nombre de postes de fonctionnaires, chacun s'abstenant bien évidemment de préciser à quelle mission il faudrait mettre un terme. Le présupposé de base était qu'il y aurait du « gras » et qu'il suffirait de tailler dans les effectifs. On pourrait même faire le lien, aujourd'hui, avec la polémique sur la suppression et la fusion des agences de l'État qui a été lancée par la ministre des comptes publics.

Le « fonctionnaire-bashing » joue donc un grand rôle dans la perte de sens des fonctionnaires qui sont en poste. Il contribue également aux problèmes d'attractivité de la fonction publique, en particulier du métier d'enseignant, malgré les chantiers lancés par le Président de la République sur les revalorisations salariales. Le manque de candidats aux concours de l'enseignement est assez significatif. Alors que des milliers de postes ne sont pas pourvus dans l'enseignement public, la dévalorisation du métier ne rend pas les concours attractifs.

Le fonctionnement parfois complexe des services publics lié à une insuffisance de moyens, notamment humains, contribue également à une perte de sens pour les agents publics.

Si les usagers sont évidemment les premières victimes d'une dématérialisation qui n'est pas toujours de très bonne qualité, les agents en souffrent également, l'ergonomie des outils de travail numérique n'étant pas satisfaisante pour nombre d'entre eux.

Tout cela nourrit une insatisfaction en interne.

La perte de sens est également due au sentiment d'être soumis en permanence à l'injonction contradictoire consistant à accompagner de plus en plus des populations qui sont fragiles socialement ou économiquement, sans en avoir pleinement les moyens. Cela ne concerne pas seulement les métiers du secteur social ou médico-social : tous les métiers supposant une interaction directe avec les usagers sont touchés. C'est très prégnant.

Mme Émilie Agnoux. - Aujourd'hui, dans les discours du Gouvernement, l'acteur public, le fonctionnaire, la dépense publique sont présentés comme un problème et non comme une solution, alors même que le secteur public a été conçu comme un élément de refondation, de progrès social et de cohésion de la Nation.

Dans les services publics, l'approche consiste à gérer la pénurie, ce qui a forcément des répercussions sur les usagers - ils ont l'impression d'une mise à distance des services publics -, comme sur les agents publics qui ont le sentiment bien réel d'une qualité du travail et d'une qualité de la relation humaine qui sont empêchées, alors qu'elles sont l'ADN du service public.

On a industrialisé les services publics, y compris en fixant des normes. Les élus locaux que vous êtes savent très bien comment cela se passe dans les crèches ou dans les maisons de retraite : les journées sont minutées, les conditions de travail sont difficiles et ne sont pas toujours reconnues comme telles. Qui plus est, ce sont surtout des métiers féminisés.

Tout ce qui constitue les temps invisibles de la qualité du service public - formation, coordination, temps de réflexion - est passé par pertes et profits, parce que cela ne correspond pas à des grilles objectivables d'efficacité du service public qui devient le nouveau mantra contemporain.

Tout cela vient percuter les contradictions de nos concitoyens qui parfois veulent que l'on maintienne des services publics de proximité sans forcément les utiliser. Ainsi, des élus locaux essayent de maintenir des petites écoles rurales alors que certains parents préfèrent mettre leurs enfants dans le secteur privé ou dans des établissements en ville.

Dans le même temps, on note une demande de personnalisation du service public qui nécessite de maintenir un service public de proximité. Notre étude sur les services publics en milieu rural a révélé un très fort taux de satisfaction grâce aux interactions avec les secrétaires de mairie : les habitants les connaissent, ont confiance et un accompagnement dans la durée est possible.

Les habitants ont l'impression de payer toujours autant d'impôts, notamment des impôts fonciers, et d'avoir perdu du service public. Tout cela crée une tension entre deux tendances divergentes : la baisse du consentement à l'impôt et une forte appétence pour les services publics.

Mme Marianne Margaté. - Votre présentation est intéressante, mais on regrette toujours que les focus ne soient pas départementaux, ce qui permettrait une analyse plus fine. Ainsi, en Île-de-France, ce qui se passe en Seine-et-Marne et à Paris n'a pas grand-chose à voir ; d'ailleurs, la situation est elle-même très différente entre l'Est et l'Ouest de la Seine-et-Marne.

Les services publics, c'est l'incarnation de la présence de l'État dans les territoires. C'est ainsi que le pensent les élus locaux, surtout dans les petites communes. Quand un service public disparaît, c'est le rapport avec l'État qui se détériore, ce qui peut se traduire dans les urnes, voire par une abstention de plus en plus forte. Il faut prendre en compte cette caractéristique. L'existence des services publics modifie la perception d'être citoyen et d'être protégé et reconnu.

La dématérialisation se développe. Cela présente des avantages, mais également des difficultés pour un certain nombre de publics - ceux qui n'ont pas accès à internet, qui ne maîtrisent pas bien la langue française...

Je pense en particulier aux plaintes en ligne. C'est très bien quand on s'est fait voler sa voiture, mais, quand on vient de se faire agresser et que l'on se rend au commissariat pour porter plainte, il est difficile de s'entendre dire que l'on doit porter plainte en ligne. C'est arrivé à ma fille.

Mme Olivia Richard. - Les plaintes en ligne ne concernent pas les agressions physiques. C'est un problème de formation !

Mme Marianne Margaté. - Il faut trouver un équilibre entre la dématérialisation, qui peut être un véritable progrès, et les moyens humains pour conserver la proximité.

Comment le service public municipal est-il considéré par nos concitoyens ? Cela fait-il partie de votre étude ? Demeure-t-il un service public ? Nous savons tous que la mairie est souvent l'un des derniers lieux où l'on vient toquer.

M. Johan Theuret. - Notre collectif a beaucoup travaillé sur la dématérialisation, sujet qui nous tient à coeur, même s`il dépasse le cadre de notre enquête.

Aujourd'hui, plus de 13 millions de Français éprouvent des difficultés avec le numérique.

La dématérialisation des services publics en France a été engagée pour faire des économies de postes, notamment de postes RH, ce qui nous différencie d'un certain nombre de pays européens - les pays Baltes, les pays nordiques - où les mouvements de dématérialisation ont été entrepris pour améliorer la relation avec les usagers. Chez nous, elle a été lancée à l'occasion de la RGPP (révision générale des politiques publiques), poursuivie sous François Hollande et accélérée lors du premier mandat de M. Macron. Plutôt que d'associer les usagers aux réflexions, on a surtout cherché, pour réaliser des économies budgétaires, à retirer des agents publics qui étaient en relation avec les usagers, ce que l'on appelle le front office.

On cite toujours Bercy en modèle de la dématérialisation des services publics, alors que c'est au contraire l'exception ! Il a fallu des investissements colossaux pour sécuriser les recettes.

Les autres pays européens ont veillé à dématérialiser tout en maintenant les accueils et en préservant les interactions humaines. Cela ne signifie pas nécessairement conserver des guichets, ce peut être aussi un accompagnement téléphonique, le téléphone étant perçu comme une véritable interaction humaine, quand il ne s'agit pas d'un chatbot conversationnel intelligent.

Dans notre sondage, le bloc communal, c'est-à-dire les mairies, qui sont les collectivités locales de premier niveau, bénéficie d'une bonne perception des Français, car ce sont les derniers services publics où il y a encore une présence humaine. Puisque tous les services publics se sont bunkérisés, les usagers se rendent dans les mairies solliciter les agents publics et les fonctionnaires territoriaux, quelle que soit d'ailleurs la compétence municipale. Ils vont chercher une présence humaine pour avoir une réponse.

Il est donc nécessaire d'accompagner la dématérialisation, parce qu'on ne pourra pas revenir en arrière ; le coût serait astronomique. En revanche, on pourrait réfléchir à une meilleure qualité de la dématérialisation, remettre de la présence humaine et promouvoir une vraie médiation et une vraie inclusion numérique dans le territoire. Cela irait à rebours de la baisse des crédits consacrés aux conseillers numériques France Services qui a été décidée dans la loi de finances pour 2025.

C'est un mensonge républicain de dire que l'on peut à la fois dématérialiser et améliorer les interactions avec l'usager. On améliore les relations avec les usagers qui sont très bien intégrés et très à l'aise avec l'outil numérique, mais on crée une fracture numérique très forte entre ceux qui souffrent de difficultés et les services publics.

Mme Émilie Agnoux. - Sur la question de la territorialisation, nous avons produit une contribution contenant une trentaine de propositions. Je n'y reviens pas.

Un logiciel d'action publique a été diffusé massivement chez les décideurs politiques, mais aussi les dirigeants administratifs. On constate un certain nombre d'échecs, notamment à Bercy. Ce qui me semble déterminant, c'est l'absence d'approche de nos administrations, mais aussi du personnel politique, sur la question des usages numériques : on pense outils avant de penser aux usages des destinataires finaux, ce qui nous a conduits à la mauvaise dématérialisation dont il vient d'être question.

Autre élément problématique, le secteur public est extrêmement dépendant d'acteurs privés qui nous proposent des solutions magiques, que les administrations ont tendance à s'approprier telles quelles, alors qu'elles sont assez peu modulables et créent aussi des difficultés administratives. On en revient à la perte de sens et à la dégradation des conditions de travail des agents qui utilisent ces outils mal conçus.

Nous mettons également en garde contre l'excès de confiance que l'on peut avoir vis-à-vis de l'intelligence artificielle et des solutions qu'elle pourrait apporter au travers d'un techno-solutionnisme dont on n'a pas encore tiré toutes les conséquences.

L'Institut Paul-Delouvrier a montré combien le numérique était devenu le premier moyen de contact avec les services publics, hormis pour la police et la gendarmerie.

Sur les violences sexistes et sexuelles, il y a là un nouveau service public à créer, car les réponses sont aujourd'hui insatisfaisantes. On a souvent un réflexe législatif lorsqu'un nouveau problème apparaît et l'on s'intéresse assez peu aux conditions opérationnelles de sa mise en oeuvre sur le terrain - création de postes, formation... Cela suppose aussi de revoir les pratiques managériales, car la culture sexiste est encore trop tolérée dans un certain nombre de services publics.

Nous considérons qu'il faut également s'atteler aux problématiques du quotidien des services publics si l'on veut que les normes qui ont été adoptées se déclinent de manière efficace. Quelles sont les conditions de réussite matérielles, humaines, organisationnelles, pour que ces réformes déploient tous leurs effets ?

Voilà quelques jours, sur LinkedIn, un chef d'entreprise s'offusquait d'avoir reçu un courrier de l'administration fiscale, inutile de son point de vue, l'informant d'un reste à charge zéro dans un langage administratif comminatoire tout autant désincarné que juridique. Pourtant, les acteurs économiques sont les premiers à réclamer une dématérialisation des services administratifs. Très concrètement, l'automatisation des services publics conduit à envoyer des courriers de ce type, sans aucune validation humaine, les administrations ayant voulu gagner en efficacité grâce au numérique. Évidemment, aucun agent public n'aurait rédigé un courrier aussi ubuesque.

Mme Marie-Lise Housseau. - Avez-vous le sentiment que le déploiement des maisons France Services (MFS) peut être une réponse de proximité ?

Plus les habitants sont éloignés des services publics, plus forte est leur insatisfaction. Ces structures recréent un accueil au plus proche des territoires ruraux. Est-ce une amélioration ? Pensez-vous que cela ait vocation à être systématisé de manière à garantir un accueil partout dans le monde rural, en lien avec les administrations centrales et avec les sites internet et le back office ?

Les sites internet des administrations sont inégaux. Celui des impôts est bien fait et il est facile d'entrer en contact et d'avoir une réponse. Pour d'autres services publics, il est impossible de joindre un agent. Ne faudrait-il pas réaliser un travail de fond afin que tous les sites aient le même niveau de réponse personnalisée ?

Mme Olivia Richard. - En tant que rapporteure d'une mission d'information sur les femmes sans abri au nom de la délégation aux droits des femmes, je me suis rendue avec mes collègues au SIAO (service intégré d'accueil et d'orientation) de Paris. Nous avons été frappées par le turn-over des répondants qui, devant l'absence de solutions qu'ils peuvent proposer aux personnes à la rue, craquent au bout de quelques mois. Plus que les conditions matérielles de travail, plus que le salaire, c'est le sens qui importe, notamment lorsque l'on s'engage dans le social. Et ce constat concerne davantage les femmes.

Vous parlez de l'attachement au service public. La sénatrice des Français de l'étranger que je suis peut en témoigner. Il n'est pas rare d'entendre les Français de l'étranger demander le même niveau de service que lorsqu'ils habitaient Paris, Marseille ou ailleurs.

Les Français de l'étranger votent depuis 2003 par internet à certaines élections. Depuis peu, une expérimentation est en cours pour le renouvellement dématérialisé des passeports. Le service France consulaire, un dispositif de réponse téléphonique, est déployé depuis plusieurs années.

En d'autres termes, les Français de l'étranger vivent une dématérialisation bien plus heureuse que ce que vous décrivez. Des solutions innovantes ont pu être trouvées pour pallier l'insuffisance d'agents du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Comme quoi, c'est possible, même si je ne dis pas que tout est parfait.

Quid de Paris ? Depuis le début des auditions, on en parle assez peu. Qui est déjà allé à l'hôpital Necker, un samedi après-midi, sait qu'on ne peut pas y voir de médecin. N'y a-t-il pas un problème d'accès aux services publics pour une population si nombreuse ? Ce n'est pas toujours une question de géographie.

M. Adel Ziane, président. - Il y a beaucoup de disparités en Île-de-France. Ainsi, 97 % du territoire de la Seine-Saint-Denis est classé en désert médical. La question des services publics en milieu urbain se pose en effet très fortement.

M. Johan Theuret. - En matière de relation aux services publics, on ne peut pas opposer milieu rural et milieu urbain. La problématique des services publics démunis s'y retrouve de la même façon.

La différence, c'est qu'en milieu rural s'ajoutent la distance géographique et la contrainte de déplacement et de transport qui renforcent sans doute le sentiment d'éloignement par rapport au milieu urbain. Pour autant, en milieu urbain, notamment dans les quartiers politiques de la ville (QPV), les difficultés sont énormes.

Les maisons France Services sont un premier élément de réponse. Les enquêtes révèlent un taux de satisfaction d'environ 90 %. Aujourd'hui, on compte à peu près 4 000 conseillers numériques répartis sur tout le territoire national. Il faut augmenter ce volume, continuer à déployer des maisons France Services au plus près du terrain, les conforter et leur donner beaucoup plus de visibilité.

Nous avons réalisé un sondage l'année dernière sur la satisfaction des Français, service public par service public. Ceux qui connaissaient France Services en étaient très satisfaits, mais ce qui ressortait très clairement, c'était une méconnaissance du dispositif.

Lors des discussions budgétaires pour 2025, nous avons déploré les coupes budgétaires de plus de 20 millions d'euros qui ont été opérés et qui visent à supprimer, du moins à ne pas reconduire un certain nombre de postes de conseillers numériques dans les territoires.

Les constats qui s'imposent sont l'absence de lisibilité et la nécessité de déployer un chef de file à l'échelon des territoires pour organiser et mieux rationaliser le déploiement des maisons France Services. Il faudrait établir une cartographie plus précise, alors qu'aujourd'hui ce déploiement repose sur le bon vouloir des collectivités locales dont seules une partie ont les moyens d'accompagner et de financer.

Mme Émilie Agnoux. - Ce qu'on demande aux agents des structures France Servces, qui sont souvent contractuels, est compliqué : ils ont à gérer une grande diversité de publics et de sujets au quotidien.

On crée souvent des maisons France Services lorsque l'on n'a pas pu dématérialiser ou faire autrement. Elles ne constituent qu'un premier niveau de réponse. Elles sont évidemment utiles, mais leur création sert aussi à dédouaner l'État de ses responsabilités. Elles constituent un palliatif au retrait non concerté de l'État des territoires, dans un mouvement de transfert de charges vis-à-vis des collectivités et d'éloignement des administrations de l'État. Ces maisons France Services permettent de renouer le lien avec les territoires. Les usagers sont satisfaits - ils n'avaient rien avant -, mais se pose toutefois la question de savoir comment on peut apporter une solution complète, « de bout en bout », à leurs problèmes. Ces structures ne peuvent pas se limiter à régler les situations les plus simples ou à orienter les usagers. Il faut vraiment qu'on propose des solutions concrètes, de proximité, à toutes ces populations, afin de compenser l'éloignement ou le coût de la mobilité. Dans le monde rural, les maisons France Services sont souvent situées, en effet, au chef-lieu de canton. Dans le cadre de notre étude sur l'accès au service public en milieu rural, nous avons formulé des propositions à cet égard. La question de la compensation du coût de la mobilité pour les habitants qui résident en territoire rural semble vraiment essentielle.

Il faut aussi, lorsqu'on détermine le niveau de service dans un territoire, prendre en compte non seulement les données objectives et qualitatives disponibles sur l'administration, mais également les dynamiques humaines associatives qui peuvent exister et compléter l'offre de services publics. Toutefois, certains territoires souffrent à la fois d'un manque de services publics et d'une absence d'offre associative.

Un mot, enfin, sur la question de l'égalité d'accès aux services publics. Les contribuables ont désormais accès à une déclaration fiscale préremplie sur le site des impôts, mais cela n'a pas favorisé l'égalité devant l'impôt. L'inégalité vient notamment de la complexité de notre système fiscal, et non pas uniquement du dernier maillon de la chaîne, qui est l'interface entre l'usager et l'agent fiscal. Ainsi, la question de l'égalité d'accès au service public ne se limite pas à ce qu'on appelle parfois la logistique du « dernier kilomètre » : il faut agir sur toute la chaîne.

M. Adel Ziane, président. - Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible  en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 35.