Mardi 6 mai 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 17 h 50.

Audition de M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons M. Bruno Bonnell, ancien député, pour ses fonctions actuelles de secrétaire général pour l'investissement, accompagné de Mme Géraldine Leveau, secrétaire générale adjointe.

Le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) est chargé, sous l'autorité du Premier ministre, d'assurer la cohérence et le suivi de la politique d'investissement de l'État au travers du déploiement du plan France 2030. Rappelons que ce plan représente une enveloppe totale supérieure à 50 milliards d'euros, dont 40 milliards d'euros pour financer des investissements stratégiques et 10 milliards d'euros pour financer les écosystèmes d'innovation. Vous pourriez d'ailleurs, monsieur le secrétaire général, revenir sur ce point particulier.

Notre commission d'enquête s'intéresse aux missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État. Si le SGPI ne relève pas de ces catégories - c'est un service du Premier ministre -, il est au contact de plusieurs grands opérateurs à qui est confiée la mise en oeuvre du plan France 2030, tels que Bpifrance, l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). C'est en recevant ces opérateurs que nous avons ressenti le besoin de nous adresser également à vous, afin de mieux évaluer le rôle qu'ils jouent, compte tenu des montants financiers en jeu : chacun d'entre eux gère plusieurs milliards d'euros au titre du plan France 2030, pour des investissements qui ont pour objectif de jouer un rôle stratégique dans l'évolution à moyen terme de l'économie.

Il serait donc utile, dans un premier temps, que vous nous rappeliez le cadre dans lequel se passent vos relations avec ces opérateurs : selon quelles procédures ont-ils été choisis après l'approbation initiale du plan France 2030 par le Parlement ? Des réallocations de crédits ont-elles lieu entre opérateurs, lorsqu'une action se révèle infructueuse ? Quel contrôle exercez-vous à l'égard des opérateurs et assimilez-vous ce contrôle à une forme de tutelle, en plus de celle qu'exercent les ministères pour les activités courantes de ces opérateurs ?

Nous vous poserons également des questions que nous posons souvent aux opérateurs ou à ceux qui travaillent avec eux : était-il indispensable que les différents programmes du plan France 2030 soient confiés à des agences, et non à l'État central lui-même ou à des organismes indépendants, voire privés ? D'une manière générale, pensez-vous que la forme juridique de l'opérateur permet à ce type d'action d'être exercée avec plus d'efficacité que si elle était confiée à l'administration centrale ?

Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Bonnell et Mme Géraldine Leveau prêtent serment.

Mme Géraldine Leveau, secrétaire générale adjointe pour l'investissement. - Je précise que je représente l'État au conseil d'administration de l'établissement public industriel et commercial (EPIC) Bpifrance.

M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - Le plan France 2030 a été annoncé par le Président de la République en octobre 2021 sous la forme d'une dizaine d'objectifs d'innovation de pointe. Parmi ces derniers figuraient notamment le développement d'un premier lanceur satellitaire à orbite basse, la fabrication en France de 2 millions de véhicules électriques d'ici à 2030 ou encore la présentation d'un prototype de petits réacteurs nucléaires. L'allocation des fonds de ce plan était donc ciblée sur ces objectifs précis, en complément de stratégies d'accélération qui avaient été engagées, quant à elles, par le dernier programme d'investissements d'avenir, le PIA 4, dans un certain nombre de domaines d'innovation sur lesquels nous reviendrons.

Le plan se déploie via des opérateurs sélectionnés pour leur expertise sectorielle ainsi que, d'une façon générale, pour leurs capacités en matière de ressources humaines, d'ingénierie et d'efficacité opérationnelle.

Le premier opérateur est Bpifrance, partenaire de l'innovation industrielle et des start-up. Bpifrance a démontré à plusieurs reprises sa capacité à déployer rapidement des fonds d'amorçage, de croissance ou d'industrialisation.

Le deuxième est l'Agence nationale de la recherche, qui dispose d'une expérience dans le financement de la recherche académique, et dont les processus d'évaluation interne sont particulièrement rigoureux.

L'Ademe est le troisième opérateur. Elle intervient sur tous les projets liés à la transition écologique, c'est-à-dire à l'énergie, aux mobilités, à l'économie circulaire ou encore à la décarbonation.

Enfin, le quatrième opérateur est la Banque des territoires, bras armé de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour tout ce qui concerne les enjeux territoriaux, et en particulier les projets relevant de stratégies d'accélération à vocation sociale, éducative ou de cohésion.

Voilà donc les quatre opérateurs avec qui nous travaillons. Je ne sais pas si le terme de tutelle est adapté, je préfère pour ma part parler d'une forme de délégation. Nous déléguons ainsi à ces opérateurs un certain nombre de budgets et de responsabilités, notamment la sélection de nos différents lauréats.

Le mécanisme selon lequel fonctionne France 2030 est le suivant. Nous émettons des appels à projets à partir des thèmes et objectifs qui nous ont été assignés à l'origine, sur des sous-ensembles de ces objectifs. Les sociétés répondent à ces appels par l'intermédiaire des différents opérateurs que je viens de citer et ce sont les opérateurs eux-mêmes qui sélectionnent les candidats, en fonction de critères d'excellence, pour en faire des lauréats France 2030.

Les opérateurs font donc le travail de sélection et de diffusion de l'information. Ils présentent au Premier ministre les candidats qu'ils ont choisis pour que celui-ci entérine, par ce que l'on appelle une « décision Premier ministre », ce passage du statut de candidat à celui de lauréat. Ils contractualisent alors avec les lauréats, afin que nous puissions débloquer les fonds de soutien économique.

Nous intervenons de trois manières : sous forme de subventions ; par des avances remboursables, c'est-à-dire des prêts, avec possibilité de remboursement en cas de succès des projets ; et, dans des cas particuliers, en consolidant les fonds propres des entreprises lauréates. Je précise que la mécanique qui conduit éventuellement à investir en fonds propres dans les différentes structures passe par des comités d'investissement qui sont indépendants de l'État et qui sont soumis aux règles classiques des comités d'investissement « avisés » : ces comités agissent indépendamment de toute influence de l'État.

Vous nous avez interrogés sur l'efficacité de ce mécanisme. Je donnerai simplement un ordre de grandeur : nous avons engagé, en trois ans et demi, plus de 38 milliards d'euros sur les 54 milliards d'euros du plan initial, et sélectionné 7 500 lauréats, soit un candidat sur trois ou quatre. Ainsi, les 7 500 sélections représentent au minimum 25 000 dossiers à traiter. Si nous devions le faire en interne, il nous faudrait recruter des centaines d'agents.

Mme Géraldine Leveau. - Notre schéma d'emplois est de 56 équivalents temps plein (ETP) et le SGPI emploie au total 70 agents, sachant que nous en mettons un certain nombre à disposition des ministères.

M. Bruno Bonnell. - Avec une telle équipe opérationnelle de 70 personnes, il nous serait impossible de gérer nous-mêmes les milliers de dossiers que nous recevons. Les opérateurs sont donc indispensables dans la mise en oeuvre du plan France 2030.

Vous avez posé par ailleurs une question plus technique sur l'allocation de l'enveloppe du plan : 40 milliards d'euros d'un côté, 10 milliards de l'autre. Je laisse la secrétaire générale adjointe y répondre.

Mme Géraldine Leveau. - Avant cela, je rappelle que la loi de finances qui a créé les programmes d'investissements d'avenir, auxquels a succédé le plan France 2030, impose que l'argent soit distribué par des opérateurs. Ce mécanisme a été prévu par le législateur et intégré à la loi de finances. Deux opérateurs sont désignés par la loi, l'Ademe et la Caisse des dépôts et consignations, les dix autres ayant été précisés par décret. D'un point de vue réglementaire, nous pouvons donc avoir recours à douze opérateurs. Toutefois, comme l'a rappelé le secrétaire général, nous avons décidé, dans le cadre de France 2030, de limiter le nombre d'opérateurs à quatre, pour une meilleure lisibilité, un meilleur suivi, un meilleur pilotage et une meilleure performance. Nous avons ensuite distribué les dispositifs en fonction des compétences de chacun.

Quant à la répartition entre les objectifs stratégiques et le soutien aux écosystèmes, elle se fait via les deux programmes budgétaires qui sous-tendent la mission. Nous échangeons régulièrement avec vos collègues de la commission des finances à ce sujet.

Dans les grandes lignes, le soutien structurel à l'innovation s'appuie sur deux jambes. La première soutient les entreprises innovantes et relève du périmètre de Bpifrance. L'autre jambe, le soutien aux écosystèmes d'enseignement supérieur et de recherche, est logiquement confiée à l'Agence nationale de la recherche. La répartition est en réalité budgétaire. Nous pouvons décider, dans le cadre de l'autorisation parlementaire, de revoir la distribution des enveloppes entre opérateurs et de rétablir des crédits, mais nous ne pouvons pas le faire sans en informer le Parlement.

Il en va de même quand il s'agit de modifier le corpus juridique de France 2030, et donc le cadre conventionnel qui nous lie aux opérateurs. Le secrétaire général l'a dit, nous n'exerçons pas une tutelle sur ces derniers. En revanche, nous entretenons avec eux une relation conventionnelle : une convention par action budgétaire et par opérateur est signée entre le Premier ministre et les ministres concernés, en général les ministres de tutelle de ces opérateurs. Par exemple, pour ce qui est de Bpifrance, la convention est signée par le ministre chargé de la transition écologique, le ministre de l'économie et des finances, le ministre chargé de la recherche, et évidemment le Premier ministre, dont nous dépendons.

Ce cadre conventionnel fixe les missions qui sont attendues de l'opérateur - éligibilité, instruction des dossiers, contractualisation, communication et diffusion d'informations -, mais aussi, évidemment, les modalités d'évaluation et les conditions du retour financier à l'État. Le secrétaire général l'a en effet rappelé, nous distribuons une partie des aides sous forme d'avances récupérables. Il faut donc que nous constations les recettes quand elles reviennent et tout cela mérite d'être suivi.

Nous avons accompli un important travail de simplification, si l'on songe que dans le cadre des trois premiers PIA nous avions 110 conventions différentes avec les opérateurs, 110 comitologies et autant de frais de gestion différents. Rien n'était harmonisé. Le principe retenu pour France 2030 consiste à signer une convention par action budgétaire, sachant qu'une même action peut faire intervenir plusieurs opérateurs. Il y a, dans ces cas-là, plusieurs bénéficiaires : une convention chapeau fixe la gouvernance et une convention financière par opérateur détermine des frais de gestion forfaitisés et harmonisés. Nous ne raisonnons plus, dans ce cadre, en pourcentage de chaque action. Auparavant, les frais de gestion pouvaient varier de 1 % à 12 % des actions. Je n'étais pas en poste à l'époque et nous avons du mal à en connaître les raisons, mais ces taux étaient fixés par avance.

Nous avons donc décidé de forfaitiser les tâches : nous rémunérons l'opérateur pour le travail de cadrage des dispositifs, puis, pour chaque dossier, nous le rémunérons pour l'éligibilité, pour l'instruction, pour la contractualisation, pour le suivi et pour l'évaluation. En gros, chaque tâche vaut « x » et, tous les ans, en fonction du nombre de dossiers, nous rémunérons les opérateurs 10 x, 100 x, etc. Le taux journalier moyen varie selon l'opérateur, puisqu'il relève de leur politique salariale et de leur statut, société anonyme, EPIC ou établissement public administratif, comme l'ANR. Grâce à ce travail de forfaitisation des frais de gestion, nous sommes capables de suivre très finement ce que coûte réellement France 2030 en frais de gestion. Cette information figure d'ailleurs dans le jaune budgétaire que nous vous transmettons tous les ans au moment de l'examen du projet de loi de finances.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Le secrétaire général disait que la gestion des dossiers en interne exigerait mille emplois supplémentaires. En réalité, ces emplois, nous les retrouvons à l'Ademe, à l'ANR ou à Bpifrance, sauf qu'ils ne sont pas visibles dans les effectifs du SGPI : les personnes qui instruisent les dossiers sont payées indirectement, via les frais de gestion. Ce fonctionnement requiert donc bien de la masse salariale.

Par ailleurs, permettez-moi de remarquer qu'un taux de sélection d'un sur trois n'est pas exceptionnel. La concurrence n'est pas rude pour être lauréat de France 2030 ! Il ressort des auditions que nous avons menées que le taux de sélectivité peut être beaucoup plus faible.

Ma première question porte sur le fonctionnement. Aujourd'hui, vous vous appuyez sur quatre opérateurs pour traiter de sujets divers et variés, qui sont bien plus larges que le périmètre de quatre politiques publiques. Trouvez-vous cela efficace et efficient ?

Je prendrai un seul exemple : on est venu demander à l'Ademe de s'occuper de sujets forestiers qui ne relèvent pas du tout de son coeur de compétence. Pour répondre à l'injonction, l'Ademe a dû recruter des agents. N'aurait-il pas été plus pertinent de se tourner directement vers l'opérateur public qui s'occupe des forêts, à savoir l'Office national des forêts (ONF) ? J'ai choisi ce cas d'école, car nous l'avons déjà évoqué dans le cadre de notre commission d'enquête, mais nous pourrions multiplier les exemples, même si cela nous inviterait à réinterroger la nature même de France 2030. Certes, il est plus simple pour le SGPI de n'avoir que quatre interlocuteurs. Est-ce toutefois très rationnel, dès lors qu'il s'agit de traiter sinon des niches, du moins des sujets qui ne sont pas au coeur des politiques publiques sur lesquelles interviennent les opérateurs concernés ?

M. Bruno Bonnell. - Tout d'abord, j'ai parlé non pas de mille personnes, mais de centaines d'agents, et je le confirme. Leur statut n'est pas tout à fait le même que s'ils étaient employés en interne. Si nous versons des frais de gestion aux opérateurs, c'est pour qu'ils gèrent eux-mêmes les personnes qu'ils emploient afin d'exécuter la tâche qui leur est confiée.

Votre deuxième remarque porte sur la sélectivité. Nous parlons ici d'innovation. C'est un domaine très particulier dans lequel on lance des appels à projets, par exemple sur des matériaux très spécialisés ou sur des technologies très avancées qui sont d'une complexité folle. Le fait même que l'on reçoive des candidats et que le taux de sélectivité soit d'un pour trois à un pour quatre signifie surtout que la dynamique d'innovation est intéressante dans notre pays. Et nous en tirons le meilleur.

J'en viens à votre question. Géraldine Leveau a mentionné que nous recensions, avant France 2030, pas moins de 110 conventions, avec toute la documentation, le suivi, la complexité et la comitologie qui vont avec, et dont nous pourrions débattre de l'efficacité. C'est donc au nom de l'efficacité qu'il a été décidé de ramener le nombre d'opérateurs à quatre. Je n'étais pas en fonction à l'époque ; cette décision appartient à mon prédécesseur, mais je lui en sais gré. L'objectif était de simplifier le rapport à l'État et de confier à l'opérateur la responsabilité de la gestion des dossiers. C'est la raison pour laquelle j'évite de parler de tutelle. Nous signons donc une convention avec les opérateurs, et il est arrivé que certains refusent des dossiers au motif qu'ils n'avaient pas la compétence requise pour les traiter. Si un opérateur a la liberté de refuser un dossier, il a aussi la liberté de dire qu'au contraire il l'assume et trouvera les moyens de le traiter.

Je précise également que, dans certains domaines, une délégation d'un opérateur vers un autre est possible. Tel est le cas par exemple avec le Centre national d'études spatiales (Cnes). On ne demande pas aux opérateurs d'être omniscients, mais de gérer un dossier pour l'État dans un cadre contractuel.

Mme Géraldine Leveau. - En ce qui concerne les dossiers forestiers, l'Ademe était en effet opérateur de nos crédits, l'ONF ne faisant pas partie de la liste établie par décret. Modifier ce décret en Conseil d'État pour un dispositif qui, certes, représente une somme importante - 40 millions à 50 millions d'euros -, mais reste plutôt modeste eu égard à la maille de France 2030, c'eût été d'une trop grande complexité administrative.

Comme vous le savez, madame le rapporteur, l'ONF ne gère que le domaine public, et donc les forêts domaniales. Or le dispositif de France 2030 était étendu à l'ensemble des forêts privées. C'est donc à cette partie qu'a été consacrée l'expertise de l'Ademe. Sur l'enveloppe dévolue à l'ONF, l'argent a certes transité par l'Ademe, mais il n'y a pas eu d'expertise : nous avons fait confiance à l'ONF, dont le dossier a été validé en l'état. Ce dispositif ne s'inscrivant d'ailleurs pas tout à fait dans la logique de France 2030, nous avons demandé au Premier ministre d'y mettre un terme. Finalement, il a été repris en propre par le ministère de l'agriculture. Il s'agissait là d'une des « bizarreries » initiales du plan France 2030. Sur ce dossier, l'opérateur compétent était en effet l'ONF.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez dit que les opérateurs instruisaient les dossiers et que vous leur faisiez confiance. À quel moment le SGPI s'attache-t-il à vérifier que le choix des dossiers par les opérateurs est cohérent avec les choix de politique publique du Gouvernement ? L'une de mes collègues a fait état d'un dossier qui a été rejeté par l'opérateur, alors même que le discours national allait plutôt dans le sens d'une acceptation. En un mot, comment gérez-vous le fait que le SGPI est un service placé directement sous la tutelle du Premier ministre ?

M. Bruno Bonnell. - La confiance n'exclut pas le contrôle. Nous contrôlons les opérateurs au travers de process équitables. Les dossiers sont présentés en fonction d'un cahier des charges qui est défini par l'appel à projets, donc par l'État : l'État intervient dans la définition du cahier des charges et dans la rédaction de l'appel à projets. Sur cette base, les candidats présentent leur dossier. Les opérateurs organisent ensuite des jurys, indépendants de l'État et dans lesquels nous n'intervenons pas, pour juger de la qualité du dossier. Le jury juge ainsi de la qualité technologique du dossier, puisqu'il s'agit d'innovation, mais également de la pérennité et de la capacité à faire de la structure candidate.

On ne peut pas nous reprocher une chose et son contraire. Oui, nous sommes sélectifs. Les frustrations dont vous êtes destinataires, en tant qu'élus, émanent systématiquement des candidats qui n'ont pas été retenus. J'ai moi-même été élu pendant suffisamment longtemps pour le savoir. Aujourd'hui encore, je reçois des appels provenant de mon ancienne circonscription : on m'interroge sur les raisons pour lesquelles telle ou telle candidature n'a pas été retenue.

Les critères de sélection, disais-je, sont définis par l'État via l'appel à projets, mais la sélection incombe à des jurys indépendants. À aucun moment nous n'intervenons dans leur décision souveraine. Le faire serait, me semble-t-il, une grave erreur.

La politique publique définie pour France 2030 consiste à atteindre des objectifs. C'est là la mission principale et impérative à laquelle s'attelle toute l'équipe du SGPI. En revanche, il n'y a aucune intervention, ni du secrétaire général, ni de la secrétaire générale adjointe, ni d'aucun membre de l'équipe, sur la décision individuelle de soutien : il y a simplement un constat qui est fait.

Je précise qu'une entreprise ou un projet qui n'a pas été retenu en première instance peut se présenter à nouveau une deuxième fois après avoir pris conseil auprès de nos conseillers, des ministères ou encore à l'extérieur. Nous veillons à indiquer aux candidats qui n'ont pas été retenus les motifs de cette décision. Il est du reste arrivé que des candidats soient retenus au deuxième tour, après avoir présenté un dossier amélioré.

Mme Géraldine Leveau. - L'alignement sur les politiques publiques se fait évidemment au moment de la définition du cahier des charges ; une fois que l'opérateur a instruit les dossiers et nous propose un classement, c'est la gouvernance interministérielle de France 2030 qui propose au Premier ministre d'investir ou non dans un projet. D'une manière générale, dès lors que l'opérateur a estimé qu'un dossier n'était pas bon, nous ne le « rattrapons » pas, puisqu'il a été expertisé. Si, en revanche, un projet a été bien noté par l'opérateur, mais ne correspond pas à l'objectif de politique publique, alors il ne sera pas retenu. « À l'entrée », nous définissons les objectifs et le cahier des charges ; « à la sortie », nous vérifions l'adéquation des projets avec les objectifs de politique publique.

Par ailleurs, il arrive que certaines entreprises, bien que répondant complètement au cahier des charges, n'aient pas besoin de l'État pour réaliser leur projet, et il arrive aussi qu'elles le comprennent mal. Le premier critère que nous examinons est en effet le caractère incitatif de l'aide d'État. Notre doctrine est précisée dans la loi, mais aussi dans les cahiers des charges et dans les textes plus généraux relatifs à France 2030 : si l'aide de l'État n'est pas incitative, si le projet peut se faire sans nous, alors nous ne soutenons pas le projet. Nous avons du mal à expliquer ce point aux entreprises, mais il y a là un élément très important, que nous considérons très attentivement et dont dépend notamment le respect des règles de concurrence fixées par la Commission européenne.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous le sentiment qu'il est simple, pour les entreprises, de s'orienter dans ce schéma assez complexe des interlocuteurs publics qui sont susceptibles de les soutenir ? Lorsque j'étais rapporteur du programme des investissements d'avenir, j'ai visité des entreprises qui ne connaissaient même pas l'existence de cette structure. Je pourrais m'amuser à dresser une petite liste : il y a les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets), pour l'appui et l'aide au développement régional ; Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations, via la Banque des territoires notamment, pour les levées de fonds ; la direction générale des entreprises (DGE), qui s'occupe de la réglementation et de l'orientation vers les financements ; le réseau French Tech, qui oriente le développement ; le réseau Business France, pour l'aide à l'export ; le SGPI, pour l'innovation. Cela vous semble-t-il simple ? Une entreprise est-elle capable aujourd'hui d'aller toquer à la porte du SGPI sans être déjà passée par un interlocuteur de proximité, sa Dreets par exemple ?

M. Bruno Bonnell. - Avant d'être député et secrétaire général pour l'innovation, j'ai été chef d'entreprise pendant trente-cinq ans. Vous m'offrez la réponse sur un plateau. Évidemment que c'est compliqué, mais les aides que nous apportons au titre de France 2030 atteignent des montants qui s'approchent des chiffres d'affaires des entreprises que nous aidons. De deux choses l'une : soit l'aide est incitative et nécessaire, et dans ce cas l'effort est justifié ; soit l'entreprise n'a pas besoin de cette aide, et ce n'est pas grave si les démarches sont complexes. Elles le sont, évidemment : c'est un examen, un concours. C'est de l'argent des Français - notre argent - qu'il s'agit. Je n'ai pas envie de distribuer les subventions à la légère.

La liste que vous avez dressée mélange divers sujets. Il faut tirer un grand coup de chapeau aux supports locaux et régionaux de France 2030, dont nous n'avons pas assez parlé. Je veux parler des préfets et des sous-préfets référents, notamment, qui abattent un travail de terrain extraordinaire et se rendent disponibles auprès des entreprises pour les inciter à concourir et leur expliquer la procédure. Sachez qu'il n'y a pas un seul département français, outre-mer compris, où une aide France 2030 n'a pas été allouée. Nous le devons aux préfets, qui ont été extraordinaires.

Mme Géraldine Leveau. - La création des sous-préfets France 2030 est une nouveauté qui date de janvier 2023. Grâce à eux, nous améliorons nettement l'information transmise localement aux entreprises.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - S'agit-il de sous-préfets uniquement dédiés à France 2030 ou le modèle est-il le même que pour les fameux sous-préfets à la relance ?

Mme Géraldine Leveau. - Je parle ici des sous-préfets référents « France 2030 et à l'accélération des implantations industrielles ». Il s'agit souvent soit de secrétaires généraux d'arrondissement, soit de secrétaires généraux de préfecture.

M. Bruno Bonnell. - Cela fait partie de leur mission.

Mme Géraldine Leveau. - En effet, il ne s'agit pas de postes supplémentaires.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Si j'ai bien compris, il y a dans chaque préfecture un membre du corps préfectoral dont l'une des missions est d'être le référent France 2030 ?

M. Bruno Bonnell. - Absolument.

Mme Géraldine Leveau. - Nous les réunissons de façon régulière, une fois par trimestre, pour les informer des appels à projets qui sont publiés, ou des lauréats sur leur territoire. Ils nous font remonter des questions, qui peuvent être très générales ou qui portent sur des dossiers très précis. Nous échangeons également quotidiennement avec nos collègues des services déconcentrés, qu'il s'agisse des préfectures ou des directions régionales des entreprises, qui sont sous l'autorité des préfets. Ce dispositif nous a permis d'améliorer nettement la circulation de l'information.

M. Bruno Bonnell. - Il faut aussi saluer Bpifrance pour son implantation territoriale : plus de 90 % des entreprises la connaissent et s'adressent d'abord à elle lorsqu'elles ont besoin de renforcer leurs fonds propres.

J'ai visité cinquante-neuf départements et rencontré tous les acteurs de terrain : les préfets de département, les préfets de région, les autorités locales, les représentants des chambres de commerce et d'industrie, les responsables locaux du programme Territoires d'industrie... J'ai réalisé un important travail de communication pour faire connaître notre action de soutien à l'innovation. En effet, à la différence de ce que faisait l'État dans le cadre du plan de relance, nous n'investissons pas dans les bâtiments, dans les usines, dans les infrastructures, dans les capacités de production. Voilà qui a tendance, initialement, à susciter une certaine incompréhension chez beaucoup de chefs d'entreprise ; puis ils comprennent quel est notre rôle.

Nous avons aussi considérablement simplifié les procédures. Ainsi avons-nous réduit à deux pages, dans certains appels à projets, le format du « pré-dossier ». C'est ce qui explique que 61 % des aides de France 2030 sont attribuées à des TPE, à des PME et à des ETI et 19 % à de grands groupes, le solde restant bénéficiant à des acteurs institutionnels, notamment à des centres de formation et de recherche. Ainsi, 2 milliards d'euros ont été consacrés au plan Compétences et Métiers d'avenir : 160 centres ont déjà été ouverts, ce qui représente 240 000 places de formation, notre objectif étant d'en créer 1 million dans les nouvelles technologies - l'hydrogène, le nucléaire, la bioproduction, la nouvelle agriculture, etc.

Mme Géraldine Leveau. - Lors de la création de France 2030, dans le prolongement du PIA 4, nous avons réalisé un travail de communication global, afin que les entreprises comprennent qu'elles étaient aidées par l'État par l'intermédiaire de Bpifrance, et non uniquement par cette dernière. Les entreprises peuvent d'ailleurs nous solliciter directement sur le site internet de France 2030. Nous recevons ainsi des demandes quotidiennes de leur part. Le dispositif n'est sans doute pas encore parfait, mais les entreprises parviennent de plus en plus à nous contacter directement.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - France 2030 a pris la suite du PIA 4. Les PIA 1 et 2 s'inscrivaient dans une logique extrabudgétaire. Désormais les crédits sont votés chaque année, lors de l'examen du projet de loi de finances et de la mission « Investir pour la France de 2030 ». Dans ce contexte, pourquoi ces crédits d'innovation ne sont-ils pas portés par les ministères qui conduisent les politiques publiques ? Pourquoi a-t-on préféré les centraliser au sein du SGPI ? Les domaines d'intervention concernés sont très variés. Ainsi, l'innovation dans le système hospitalo-universitaire pourrait relever du ministère de la santé et du ministère de la recherche. Autre exemple : un volet important de France 2030 concerne la décarbonation de l'industrie. Pourquoi la DGE ne s'en charge-t-elle pas ?

M. Bruno Bonnell. - Nous travaillons dans un cadre pluriannuel...

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est le cas aussi d'autres politiques !

M. Bruno Bonnell. - Certes, mais je tiens à le préciser, car votre question comportait, me semble-t-il, une ambiguïté quant au respect du cadre budgétaire.

J'ai indiqué, dans mon propos liminaire, quels étaient nos objectifs. Nous souhaitons, par exemple, réussir à concevoir un avion bas-carbone d'ici à 2030. Cela implique un effort de recherche et d'industrie pour réduire l'empreinte carbone, trouver les matériaux adéquats, travailler sur la motorisation, mettre au point des carburants de synthèse, etc. À quel ministère faut-il dès lors confier ce programme, à celui de la recherche ou à celui de l'industrie ? Je pourrais multiplier les exemples.

L'interministérialité permet de renforcer l'efficacité de l'État. De cette manière, on peut plus facilement mobiliser toutes les énergies en vue d'atteindre un objectif précis. Aucune décision n'est prise par le SGPI sans que ses instances de gouvernance - le comité exécutif (Comex), où siègent tous les directeurs d'administration centrale de tous les ministères, et les comités de pilotage opérationnels, auxquels participent les services ministériels - ne soient consultées. Par exemple, toute décision d'un montant supérieur à 15 millions d'euros doit être validée par le Comex. Elle doit donc faire l'objet d'une discussion entre tous les directeurs d'administration centrale. Le Comex se réunit tous les mois. Loin d'exclure les ministères, nous les rassemblons et les coordonnons pour prendre des décisions rationnelles.

Je ne vous cache pas que les arbitrages sont parfois un peu surprenants. Vous avez évoqué la décarbonation. Les discussions peuvent être nourries sur ce sujet entre le ministère de l'industrie et le ministère de l'écologie.

L'arbitrage interministériel peut être bénéfique, étant entendu que l'innovation est une question complexe. À la rattacher, selon les domaines, à chaque ministère pris isolément, on prendrait le risque de revenir à une logique de travail en silo et on se priverait de la capacité à coordonner les différentes initiatives. Il faudrait alors inventer des comités Théodule de coordination, alors que nous faisons déjà ce travail : telle est notre mission, tout simplement !

Mme Géraldine Leveau. - Le SGPI a été créé pour veiller à la cohérence de la politique d'innovation de l'État. Si chaque ministère était responsable d'un microsujet spécifique, l'action d'ensemble serait sans doute peu cohérente, et l'on aurait du mal à atteindre les objectifs qui ont été fixés. Dans les arbitrages budgétaires réalisés au sein de chaque ministère, l'innovation ne serait sans doute pas prioritaire par rapport aux dépenses de fonctionnement. L'existence d'une instance interministérielle permet de procéder à des arbitrages, puisque, in fine, c'est le Premier ministre qui décide. La capacité d'innovation de l'État est ainsi préservée.

M. Pierre Barros, président. - Le SGPI, qui est rattaché au Premier ministre, voire au Président de la République - car on connaît l'engagement de ce dernier en faveur de cette politique -, permet de sécuriser des projets et des moyens. Comme vous l'avez évoqué tout à l'heure, les sommes en jeu sont considérables : 50 milliards d'euros, dont 10 milliards pour les écosystèmes d'innovation. Le dispositif bénéficie ainsi d'une force de frappe financière importante.

Cependant, il arrive que cela ne fonctionne pas. Je pense à l'entreprise STMicroelectronics. On sait que les semi-conducteurs sont essentiels pour la réalisation de data centers, l'implantation des nouvelles technologies sur notre territoire et le développement de l'intelligence artificielle. Voilà deux ans, un projet d'investissement de plusieurs milliards d'euros avait été annoncé, qui devait aboutir à la création d'un millier d'emplois en France. Pourtant, la société a annoncé, il y a deux jours, que 1 000 emplois allaient être supprimés. Que s'est-il passé ? Que deviennent les aides qui ont été versées par l'État pour aider cette société ? Que pensez-vous des recommandations de la Cour des comptes, qui proposait, en avril 2024, de verser des avances remboursables plutôt que des subventions, afin que l'argent consacré à un projet puisse être remboursé avant d'être réemployé pour soutenir un autre projet ?

M. Bruno Bonnell. - Transformer en profondeur le tissu industriel français après quarante années de désindustrialisation implique de prendre des risques : c'est écrit dans la doctrine du SGPI. Certaines technologies ne marchent pas ; il faut l'accepter.

M. Pierre Barros, président. - En l'occurrence, il ne s'agit pas d'une question de technologie !

M. Bruno Bonnell. - Si : je vais vous expliquer pourquoi. Certaines innovations technologiques, tout simplement, ne marchent pas. Les fonds d'investissement spécialisés dans l'innovation enregistrent un taux d'échec moyen de leurs investissements largement supérieur à 30 %. Pour ce qui concerne les PIA, le taux d'échec s'élève en moyenne, à ce jour, à 10 %. Notre performance est donc meilleure que celle des fonds privés. Si ce taux ne change pas, cela signifie que dans une dizaine d'années, lorsque les derniers décaissements du plan France 2030 auront été réalisés, c'est-à-dire vers 2035 environ, on se sera trompé dans 10 % des cas ; inversement, on aura eu raison dans 90 % des cas !

Je ne suis pas l'avocat de STMicroelectronics. Je connais néanmoins très bien ce dossier. Cette entreprise emploie 12 000 personnes ; aucun emploi ne sera supprimé en France ; les départs auront lieu sur la base du volontariat. Les entreprises subissent parfois des retournements de cycle et doivent alors faire face à des situations compliquées. Cela arrive ; il ne faut pas caricaturer la situation.

Les sommes que nous avons investies dans l'entreprise visent à garantir son avenir via la construction d'un site de production de puces de nouvelle génération. Toutefois, le marché des microprocesseurs est cyclique et est en train de se retourner. STMicroelectronics doit prendre des mesures pour faire face à des difficultés conjoncturelles. Devons-nous pour autant cesser d'investir dans cette entreprise, et donc mettre en péril 12 000 emplois ?

Il s'agit d'un fleuron français ; nous n'en avons pas beaucoup dans le domaine de l'électronique ! L'État a décidé de soutenir cette entreprise pour mettre au point les technologies du futur. Notre aide, d'un montant de 1 milliard d'euros, sera versée progressivement, par jalons, en fonction de performances contractualisées. Nous n'avons pas versé une aide à l'entreprise en lui disant : « Merci, on vous fait confiance, roulez ! ». Des jalons sont prévus, comme dans tous les contrats de France 2030. Pour certains programmes, les derniers versements interviendront seulement en 2035 ou en 2036.

La France a choisi de se lancer dans l'innovation : nous recréons des emplois industriels, nous formons des milliers de talents. Nous prenons des risques pour développer des technologies très avancées. Il ne faut pas confondre cette action publique de long terme avec l'action de court terme des entreprises, qui doivent faire face, au quotidien, aux attentes du marché.

Notre travail est de nous demander si nous nous sommes complètement trompés en investissant, et, le cas échéant, d'utiliser les versements jalonnés restants comme leviers de changement. Nous devons faire la part entre ce qui relève de la situation conjoncturelle, d'une part, et ce qui relève de l'investissement dans l'avenir, d'autre part.

J'en viens à votre question sur les avances remboursables. Nous avons hérité du plan de relance. Bercy considérait que les subventions étaient le meilleur moyen pour aller vite dans l'exécution du plan. C'est pourquoi, au début du plan France 2030, on a privilégié les subventions.

Nous avons inversé cette logique. Désormais, dans les nouveaux projets, la répartition est équilibrée entre les subventions et les avances remboursables. Nous souhaitons d'ailleurs porter la part de ces dernières à 70 %. On nous a même demandé de privilégier l'aide en fonds propres : nous y travaillons, mais cela prendra un peu de temps, en raison de problèmes techniques d'allocation budgétaire. Mais, en effet, pourquoi l'État n'entrerait-il pas au capital des entreprises, afin de pouvoir tirer les bénéfices de son action lorsqu'elles se développent ? Toutefois, il faut aussi souligner qu'entrer au capital d'une entreprise implique des responsabilités, surtout en cas de difficultés. Il faut donc trouver le bon équilibre.

Le plus important dans France 2030, c'est l'impact sociétal : création d'emplois, développement des territoires, aménagement du territoire. Les retombées dépassent le cadre des entreprises aidées. À Dunkerque, le projet de gigafactory représente 17 000 emplois. Il faudra construire des écoles, de nouveaux logements, etc. L'activité économique locale sera stimulée.

Certes, nos investissements sont risqués, mais nous investissons sur l'avenir - c'est essentiel. Je ne vous cache pas toutefois que nous avons eu à prendre des décisions difficiles dans certains dossiers : lorsque nous avons estimé qu'un contrat n'était pas rempli, nous l'avons arrêté avant son terme. Cela se produira de plus en plus. Nous estimons que, d'une manière ou d'une autre, nous rencontrerons des problèmes sur 10 % des 7 500 dossiers que nous gérons. Cela fait partie du jeu lorsqu'on prend le risque d'investir dans l'innovation. Mais je rappelle que 90 % de nos investissements sont des succès.

M. Hervé Reynaud. - Avec le plan France 2030, l'ambition est d'investir dans les technologies du futur et de susciter l'innovation dans les territoires. J'ai pu constater l'engagement des sous-préfets référents France 2030 dans le département de la Loire.

Il importe de veiller à ce que les projets soutenus se concrétisent. Des financements sont annoncés, mais il faut s'assurer qu'ils aboutissent à des résultats. Cela suppose de mettre en place une animation territoriale renforcée. L'approche initiale du plan a-t-elle évolué à cet égard, pour ce qui est notamment du personnel dédié ? La mise en oeuvre du plan nécessite des évaluations continues et constantes. Cela aboutit-il à boursoufler l'administration du dispositif ? Quelle est l'efficacité de l'organisation retenue ?

Le Président de la République a annoncé le lancement du plan Choose France for Science, afin que la France devienne un refuge pour un certain nombre de chercheurs étrangers, notamment américains. L'État va investir à cette fin 100 millions d'euros supplémentaires, mais ils seront prélevés sur les crédits de France 2030. Ne s'écarte-t-on pas de l'objectif initial de ce plan ?

Mme Géraldine Leveau. - Non, l'organisation n'est pas boursouflée. Les sous-préfets qui exercent la mission de référent France 2030 le font en plus de leurs attributions classiques de sous-préfet, de secrétaire général de préfecture ou de sous-préfet d'arrondissement.

France 2030 n'aurait aucun sens si les projets ne se concrétisaient pas. Ceux-ci font l'objet d'un suivi. Lorsqu'une entreprise dépose un dossier de candidature, elle nous indique l'impact de son projet en matière d'emploi, de décarbonation, etc. Durant toute la vie du projet, nous vérifions, avant chaque versement programmé d'une partie de l'aide, que les objectifs sont bien atteints. C'est crucial, même si cela peut paraître compliqué et lourd pour les entreprises.

Nous suivons le projet au quotidien et nous pouvons ainsi réaliser les évaluations in itinere et ex post réclamées par le législateur. Nous établissons annuellement des tableaux de bord de suivi. Le comité de surveillance des investissements d'avenir est ainsi en train de préparer une évaluation qui sera remise au Parlement à la fin de l'année. Ce suivi au quotidien nous permet d'évaluer les projets et de nous assurer que les objectifs du plan sont bien atteints. L'organisation actuelle est donc nécessaire.

M. Bruno Bonnell. - Un comité de surveillance des investissements d'avenir composé de quatre sénateurs, de quatre députés et de dix personnalités qualifiées a été institué. Il se réunit une fois par trimestre sous l'égide de son président Éric Labaye. Il réalise un travail permanent d'évaluation ; son rapport devrait être remis au Parlement à la fin de l'année.

Le plan Choose France for Science n'est pas le fruit d'une improvisation : il procède d'une véritable stratégie. Nous voulons attirer les meilleurs talents dans certains domaines, tels que les sciences de la vie, le quantique, le spatial, le nucléaire, etc. Nous serons très sélectifs dans nos choix.

Les crédits n'ont pas été pris au hasard sur France 2030. France 2030 dispose en effet d'un budget consacré à la recherche, destiné à soutenir l'effort dans les domaines prioritaires que j'ai cités. Nous mobilisons par exemple des crédits pour financer des chaires de recherche dans la santé ou la réalisation de doctorats dans d'autres secteurs. Il s'agit de rassembler et de réallouer ces crédits afin d'accroître leur impact et de mettre en oeuvre le plan annoncé par le Président de la République. Dans la presse, la somme mobilisée est considérée tantôt comme importante, tantôt comme négligeable. Nous jugerons en fonction des résultats, c'est-à-dire en fonction du nombre de scientifiques de très haut talent que nous attirerons. Ce plan suscite l'intérêt de nombreux scientifiques : le site internet a été consulté plus de 30 000 fois et plusieurs centaines de candidatures ont d'ores et déjà été déposées. Le processus de sélection sera très exigeant.

Mme Géraldine Leveau. - En réalité, le dispositif existait déjà. Le contrat entre l'État et l'Agence nationale de la recherche (ANR) prévoyait la possibilité de financer des chaires de recherche pour des chercheurs étrangers, afin de les faire venir en France.

M. Michaël Weber. - Je ne me prononcerai pas sur la pertinence du montant annoncé dans le cadre du plan Choose France for Science : peut-être est-il satisfaisant, mais ce montant de 100 millions d'euros peut aussi faire sursauter les scientifiques qui travaillent sur le terrain et qui regrettent la réduction des moyens qui leur sont alloués. Ce plan a-t-il été bien préparé ? Nous devons trouver les moyens d'accompagner nos scientifiques dans la durée, avant d'en accueillir de nouveaux.

Vous avez dit, voilà quelque temps, que la France était devenue un paradis pour l'entrepreneuriat. Il y a quelques années, on entendait des critiques sur le manque d'agilité de la France. Que s'est-il passé depuis ? Comment qualifieriez-vous l'agilité à la française par rapport à l'agilité à la Elon Musk, ce dernier ayant souhaité réduire considérablement le poids de l'administration aux États-Unis ? Comment le SGPI contribue-t-il à renforcer notre agilité ?

En tant que président de l'association des communes forestières de Moselle, j'ai l'impression que, pour ce qui est du volet forestier, nombre de crédits de France 2030 ont été mal utilisés, pour ne pas dire gâchés, grevés par de très nombreux problèmes techniques. Des moyens considérables ont été utilisés pour réaliser des plantations forestières, mais la moitié des plants n'ont pas pris ! C'est de l'argent public mal utilisé.

Je voulais aussi vous interroger sur l'hydrogène vert, dont on parle beaucoup. Des projets ont été annoncés, en Moselle par exemple, mais ils n'aboutissent pas. Nous nous interrogeons sur l'énergie nécessaire pour produire de l'hydrogène vert. Peut-être s'apercevra-t-on finalement que produire de l'hydrogène vert est beaucoup trop coûteux, tant financièrement que du point de vue de l'énergie consommée.

M. Bruno Bonnell. - Je veux tout d'abord vous dire qu'aucun crédit de recherche de France 2030 n'a été touché : nous disposons de la même enveloppe qu'initialement pour la recherche de pointe et de rupture. Les budgets qui ont été touchés ne relèvent pas de mon autorité et je me garderai bien de me risquer à vous répondre.

Vous avez parlé d'Elon Musk : je ne suis pas Elon Musk ! Faire émerger 7 500 projets d'innovation issus de 25 000 candidatures, dans de nombreux secteurs très différents, avec une équipe de 70 personnes qui s'appuient, selon un lien de confiance, sur des opérateurs et sur les services préfectoraux : voilà l'agilité à la française.

Cette performance soutient la comparaison avec ce que l'on peut observer dans les pays qui sont de notre taille : elle mérite d'être saluée - je le dis à l'attention des équipes qui ont permis cette réussite. Si cette mission avait été assurée dans des conditions plus classiques, elle aurait mobilisé davantage de personnes et pris davantage de temps. À l'heure où, de l'autre côté de l'Atlantique, à l'exception peut-être de la Californie, les scientifiques se sentent perdus, la France a fait le choix de l'innovation : le choix d'aller de l'avant.

En ce qui concerne les forêts, je ne dispose pas encore des chiffres qui me permettraient de vous répondre, et nous devons examiner les choses de manière globale. Vous le savez, chacun de nos dossiers est analysé et évalué et tel sera évidemment le cas pour celui que vous évoquez. Il est normal que l'on sache si l'argent public a été gâché ou non. Pour autant, en France, nous avons souvent un penchant à refaire le match après le coup de sifflet final ! Fallait-il faire ce que nous avons fait, faire autrement, ne rien faire ?

M. Michaël Weber. - Nous sommes nombreux à avoir dit que cela ne marcherait pas !

M. Bruno Bonnell. - L'évaluation le dira. Personnellement, je n'ai pas cette expertise.

Je dirai cependant, de manière générale, qu'il est tout à fait possible que nous ayons fait des erreurs, en particulier au regard du nombre de dossiers que nous avons gérés. Je parlais d'une zone de 10 % d'échecs : cela représente une somme considérable, mais, selon moi, l'argent n'est pas gâché, parce que cela signifie que nous avons eu 90 % de réussites !

Pour ce qui est de l'hydrogène, je veux commencer par rappeler qu'il s'agit d'un gaz essentiel pour le XXIe siècle, en particulier pour décarboner l'industrie. Quand on mélange du carbone et de l'hydrogène, on peut produire toutes sortes de produits : de l'alcool, du carburant de synthèse, des médicaments, etc. En vérité, nous n'avons pas le choix : nous avons besoin d'hydrogène - l'hydrogène est indispensable à l'industrie de demain.

Bien sûr, l'hydrogène carboné ne sert à rien, puisqu'il revient à fabriquer de l'hydrogène en émettant du CO2. Il faut donc produire de l'hydrogène décarboné, ce que nous pouvons faire en France à partir de l'énergie nucléaire ou d'énergies renouvelables ; s'enclenche alors un cycle vertueux.

Que se passe-t-il en France avec l'hydrogène ? Nous avons fait notre job d'encouragement des innovations, mais l'anticipation des usages a été trop forte : les voitures électriques se développent plus vite que les véhicules à hydrogène ; concernant l'avion à hydrogène, Airbus a repoussé l'échéance de plusieurs années sans donner de date précise ; quant au train à hydrogène d'Alstom, il n'est pas non plus pour tout de suite.

M. Michaël Weber. - Il en circule tout de même !

M. Bruno Bonnell. - Certes, mais, comme c'est le cas pour les voitures, ils coûtent beaucoup plus cher. Je ne peux pas nier l'existence de voitures à hydrogène, mais elles sont très chères et tombent souvent en panne !

C'est pourquoi, après analyse de la situation, nous avons décidé de lever le pied et nous en avons informé le Gouvernement. L'hydrogène ne sera pas prêt pour 2030, mais il le sera probablement dans les années qui suivent. Il y aura donc un décalage dans la mise en oeuvre de certains projets. Cela ne signifie pas que les projets sont abandonnés : simplement, nous devons gérer le temps et l'argent public de manière efficace.

Ce serait une grave erreur de penser que l'hydrogène décarboné n'est pas un gaz du futur et que nous n'en aurions pas besoin. D'ailleurs, en la matière, chaque pays a sa propre stratégie. Par exemple, les Allemands produisent leur hydrogène décarboné grâce à des panneaux solaires installés dans des pays du Golfe persique, puis le font transiter en bateau vers Hambourg et circuler ensuite dans le pays via les gazoducs qui ne sont plus utilisés pour le gaz russe depuis le début de la guerre en Ukraine. De son côté, la France a choisi de fabriquer le sien à partir de l'énergie nucléaire. C'est sous ce prisme que, dans ce domaine, il faut appréhender la dynamique actuellement à l'oeuvre.

Il faut bien prendre en compte le fait que nous travaillons à l'échelle d'une génération. Tous les sujets dont nous parlons - la conquête de l'espace, le petit nucléaire, l'hydrogène, la bioproduction, etc. - sont à cette échelle.

Par exemple, France 2030 soutient l'entreprise Biose Industrie, qui est située à Aurillac et qui est le leader européen de la fabrication de médicaments à partir de micro-organismes. À l'échelle d'une génération, des décalages de quelques années sont monnaie courante, mais il ne faut pas perdre le cap : nous pilotons un gros bateau, ce qui suppose de ne pas donner de coups de barre !

M. Michaël Weber. - Je ne remets aucunement en cause le potentiel de l'hydrogène, mais je m'inquiète de la stratégie française. En particulier, nous n'en avons aucune pour l'hydrogène dit blanc ou natif. Pourtant, des scientifiques affirment qu'il y en a en France. Je connais bien la situation de l'Allemagne, puisque je suis élu d'un département frontalier, et je m'interroge : pourquoi nous concentrer uniquement sur l'hydrogène décarboné et ne rien faire sur l'hydrogène blanc ?

M. Bruno Bonnell. - À ce jour, l'hydrogène blanc en est au stade de la recherche. France 2030 accompagne des programmes sur ce sujet et nous sommes les seuls à le faire.

M. Michaël Weber. - Mais ce n'est pas à l'échelle !

M. Bruno Bonnell. - Mais l'hydrogène blanc est très bas dans l'échelle TRL (technology readiness level), qui mesure la maturité d'une technologie ! Des autorisations d'exploration ont été accordées, mais les recherches ne sont pas très concluantes pour l'instant et nous devrons sûrement attendre plusieurs années avant de savoir si nous disposons de gisements exploitables.

Le seul exemple de gisement d'hydrogène blanc opérationnel dans le monde se trouve au Burkina Faso, où il alimente un village. Laissons l'hydrogène blanc se développer à son propre rythme. Pour le moment, cette technologie est un peu prématurée.

Mme Géraldine Leveau. - Se posent aussi, en la matière, des questions de prévention des risques, à propos desquelles nous finançons des projets.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Au-delà du cas particulier de l'hydrogène blanc, avez-vous l'impression que les actions de France 2030 s'inscrivent dans une stratégie de l'État clairement définie ?

Mme Géraldine Leveau. - France 2030 est une politique prioritaire du Gouvernement et tous nos indicateurs se retrouvent dans les politiques des différents ministères.

Je vais vous donner un exemple : la stratégie hydrogène actualisée, justement. Elle a été écrite à plusieurs mains entre les ministères concernés et le SGPI. Nous ne faisons jamais rien tout seuls dans notre coin. De manière générale, la différence avec les PIA tient justement dans le souci de cohérence entre la politique d'investissement de l'État et les autres politiques publiques.

Concernant le renouvellement forestier et les plantations, il a été décidé d'encourager les propriétaires fonciers à adopter des pratiques favorisant la transition écologique, en créant des puits de carbone plutôt qu'en plantant des sapins en rangée. Je suis désolée si vous avez des retours négatifs.

Notre objectif est de veiller au quotidien à ce que nos actions soient cohérentes avec ce que demande le Gouvernement. Les ministères nous rappellent régulièrement cette exigence.

M. Christian Bilhac. - Vous avez évoqué un pré-dossier de deux pages, mais qu'en est-il du dossier lui-même ?

On trouvait, dans un bilan, la présentation du projet de décarbonation du site d'ArcelorMittal à Dunkerque. Où en est-on ?

Un ami proche a bénéficié d'une aide pour sa start-up, qui a réuni un capital d'un peu moins de 1 million d'euros et qui en vaut aujourd'hui 62 millions... Compte tenu de notre situation budgétaire, je ne serais pas choqué s'il lui était demandé de rembourser l'aide qu'il a reçue !

Je suis élu de l'Hérault, je suis donc sensible à la question du vieillissement de notre flotte de Canadair, qui a bien du mal à lutter contre les feux de forêt. Êtes-vous impliqués dans les projets de bombardiers d'eau made in France ?

M. Bruno Bonnell. - Concernant le dossier de la protection civile, je suis conscient qu'il s'agit d'un vrai problème, mais je ne peux pas faire davantage de commentaires publics à ce jour.

Votre question sur ArcelorMittal est importante et complexe. L'aide que nous pourrions apporter de notre côté dépend d'un seul élément : la décarbonation du site de Dunkerque, qui représente à lui seul autour de 5 % de l'ensemble de l'impact carbone de la France. En temps normal, pareil investissement, si important pour la qualité de vie des riverains comme pour l'atteinte de nos objectifs nationaux de décarbonation, est toujours accompagné par l'État. En tant que citoyen, j'estime que la décision annoncée récemment par l'entreprise n'est pas raisonnable, mais cela doit-il nous priver d'un tel projet de décarbonation ?

Je rappelle que l'État projette d'y participer à hauteur de 850 millions d'euros et ArcelorMittal à hauteur de plus de 3 milliards d'euros. Voilà qui témoigne de l'effet de levier essentiel de nos financements. En moyenne, pour 1 euro d'argent public attribué, 1,3 euro d'argent privé est dépensé. On ne peut d'ailleurs pas accorder de financement public s'il n'y a pas, en face, d'apport privé.

Il faut mener des négociations avec les dirigeants d'ArcelorMittal, et l'effort de l'État dans le projet de décarbonation doit être mis sur la table, mais cet argent n'est pas destiné à sauver des emplois : il doit servir à la conduite d'un projet essentiel qui consiste à décarboner ce site pour le rendre performant et durable. Le dossier est entre les mains du ministre chargé de l'industrie.

Mme Géraldine Leveau. - Pour l'instant, nous n'avons rien décaissé ; il y a simplement une promesse et un calendrier. Si ArcelorMittal ne réalise pas ses investissements en faveur de la décarbonation ou ne commande pas ses fours à une date précise, l'aide de l'État sera annulée.

M. Bruno Bonnell. - L'enjeu est donc différent de celui, technologique, que j'évoquais tout à l'heure à propos de STMicroelectronics. En l'espèce, il s'agit de décarboner un site extrêmement polluant et de modifier complètement un process industriel.

À la question du pré-dossier et du dossier, je répondrai de la même manière que précédemment : quand une PME ou une ETI est à la recherche de plusieurs millions d'euros, c'est évidemment compliqué pour elle, comme quand elle cherche un gros client. Mais le pré-dossier en deux pages permet aux entreprises d'économiser beaucoup de temps dans le cas où elles s'avèrent ne pas être éligibles : le cas échéant, on le leur dit tout de suite et elles n'ont pas à préparer le dossier proprement dit, qui est effectivement plus lourd à réaliser - s'agissant d'argent public, c'est tout de même assez logique.

M. Christian Bilhac. - Souvent, les entreprises, en particulier les PME ou les start-up, n'ont pas la logistique nécessaire pour monter tous ces dossiers. Alors même que l'on peut trouver beaucoup d'informations dans des bases de données existantes ou sur internet, on demande toujours des tonnes de paperasse ! C'est une folie.

De surcroît, cette paperasse ne supprime pas du tout le risque. D'ailleurs, je ne vous critiquerai pas pour ce qui concerne la prise de risque : elle me semble naturelle. Un entrepreneur qui ne prend pas de risque, cela s'appelle un rentier !

Il est normal de s'assurer que l'argent public est dépensé de manière correcte et efficace, mais pourquoi cette manie française de dossiers toujours plus épais, toujours plus rébarbatifs ? De la même manière que l'on trouve, dans la fonction publique, des spécialistes des concours, il existe, en matière de dossiers administratifs, des « chasseurs de prime » qui vivent de cette folie.

Mme Géraldine Leveau. - À la demande du secrétaire général, nous avons beaucoup simplifié les procédures. Par exemple, les pièces justificatives ne sont plus exigées que lorsque les entreprises ont été déclarées lauréates et sélectionnées ; auparavant, elles étaient demandées dès le début de la procédure. En outre, les attestations liées aux obligations fiscales et sociales sont générées par une interface de programmation d'application, une API, que nous avons mise en place avec les services fiscaux : les entreprises n'ont plus à les fournir elles-mêmes.

Pour autant, cette simplification peut aussi entraîner des retards : une fois sélectionnées, les entreprises tardent parfois à nous transmettre les documents nécessaires. Quand il y a de l'argent en jeu, il est normal de demander des pièces justificatives. En tout cas, nous avons en moyenne perdu soixante jours dans le processus de contractualisation, ce qui nous est parfois reproché, alors que ce sont en fait les entreprises qui tardent à nous transmettre les documents. La simplification que nous avons mise en place a finalement entraîné des process plus longs...

Mme Pauline Martin. - Je vais revenir aux fondamentaux de cette commission d'enquête, qui a pour vocation de déterminer l'efficience des agences et opérateurs de l'État.

Une vision claire ressort de votre présentation, mais le rapport de la Cour des comptes pointe un manque de transparence sur les financements que vous apportez. Le fait de travailler avec des opérateurs est-il à cet égard un élément d'explication ?

J'aimerais savoir aussi pourquoi vous avez choisi quatre opérateurs sur les douze que vous avez cités. Y allait-il d'un problème d'efficience ou de champ de compétences ? Je prendrai l'exemple de Bpifrance, qui fait un très bon travail dans certains domaines. Cependant, il nous a été indiqué que la volonté de Bpifrance de se diversifier entamait peut-être son efficacité, ce qui pourrait affecter sa bonne réputation.

Mme Géraldine Leveau. - Le décret qui fixe la liste des opérateurs pour les PIA date de juin 2010. Il mentionnait par exemple les grands organismes de recherche comme le Centre national d'études spatiales (Cnes), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera). Ce choix n'a pas été fait pour France 2030.

M. Bruno Bonnell. - Je ne suis pas directeur général de Bpifrance et les choix stratégiques de cet organisme appartiennent à son conseil d'administration. Ce que je peux dire, c'est que Bpifrance a réveillé le monde de l'entreprise en France et que c'est un excellent opérateur sur l'innovation ; beaucoup de gens compétents y travaillent et ils ont fait un très bon travail.

Bpifrance a vécu une crise de croissance qui lui a été beaucoup reprochée, mais elle a le rôle ingrat de dire non trois fois sur quatre. De plus, dans les levées de fonds en France, si Bpifrance ne participe pas, les investisseurs ne suivent pas. Elle a donc le double rôle ingrat de dire non aux subventions et aux avances remboursables, tout en étant indispensable aux levées de fonds des entreprises.

Nous avons des désaccords avec Bpifrance, nous bataillons tous les jours avec elle, mais c'est une cible facile, alors qu'elle est extrêmement efficace.

J'ajoute, pour rebondir en partie sur la question de M. Bilhac, que j'aimerais bien que les entrepreneurs qui ont bénéficié d'argent public et qui ont réussi investissent davantage dans des fonds d'investissement pour soutenir à leur tour des projets entrepreneuriaux. La France - la situation est assez différente dans nombre d'autres pays - a cruellement besoin de ce type de fonds privé. L'État, via Bpifrance notamment, doit combler l'absence d'un tissu d'investisseurs privés, auxquels il doit se substituer. Je ne comprends pas qu'on me dise qu'il n'y a plus d'argent à mettre dans les entreprises du fait que les avantages fiscaux liés à l'impôt de solidarité sur la fortune ont disparu avec lui...

On amuse la galerie avec une émission de télévision destinée à trouver des associés pour quelques milliers d'euros, mais, quand une jeune entreprise a vraiment besoin de trouver des capitaux pour développer une innovation fondamentale, c'est l'État qui prend le risque ! Avec France 2030, l'État dit à ces entrepreneurs : vous trouvez un euro, je vous en donne un en subvention. Mais, souvent, ils reviennent vers nous, en nous expliquant qu'ils n'ont pas trouvé cet apport.

Dans le même temps, il est difficile d'obliger quelqu'un à renvoyer la balle, car, si son projet ne marche pas, il sera le premier à demander l'aide de l'État : « Vous êtes actionnaire, soutenez-nous ! » Tout cela relève donc d'abord d'une éthique : « l'État m'a aidé, j'ai réussi, je vais maintenant aider de jeunes entrepreneurs ».

Nous avons une grande difficulté, en France, concernant la mobilisation du capital privé. D'ailleurs, nous verrons bien ce qui se passera de ce point de vue pour le secteur de la défense.

Mme Géraldine Leveau. - Cet entrepreneur qui a réussi a malgré tout créé de la valeur et des emplois, il a payé des impôts et des cotisations sociales, ce qui est bénéfique pour les finances publiques.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous indiquez être en désaccord permanent avec Bpifrance. Dans quelle mesure pouvez-vous refuser les frais de gestion qui vous sont proposés par les quatre opérateurs en question ? Comment remettez-vous en question le nombre de jours-homme proposé pour instruire tel dossier ainsi que les coûts salariaux correspondants ?

M. Bruno Bonnell. - Soyons clairs, je ne suis pas en guerre permanente avec Bpifrance. Même quand il y a un partenariat, une complicité et une vision partagée sur un certain nombre de sujets, il arrive que l'on ne soit pas toujours d'accord !

Mme Géraldine Leveau. - Une convention financière prévoit des forfaits en fonction des tâches. Ainsi, quand nous lançons un appel à projets, nous fixons un forfait de cadrage à un certain montant, que nous versons ensuite. Nous ne calculons donc pas en nombre de jours-hommes.

Au départ, pour créer la convention financière qui nous lie à l'opérateur, nous avons évalué combien il fallait de jours-homme pour instruire un dossier. Nous avons élaboré une grille de cotation de nos dispositifs, en les répartissant en trois catégories selon leur niveau de complexité. Le dispositif des concours d'innovation, par exemple, qui existe depuis très longtemps, coûte moins cher à l'État qu'un dispositif très complexe comme celui qui concerne ArcelorMittal. Ensuite, nous prenons en compte le nombre de dossiers reçus, X dossiers équivalant à X vérifications d'éligibilité. S'il y a eu Y dossiers éligibles, il y aura Y dossiers instruits et nous multiplions par Y le forfait que nous avons fixé.

Tout cela est suivi au quotidien par nos équipes métiers. Par exemple, le dispositif « décarbonation » est piloté par le conseiller chargé de l'hydrogène et de la décarbonation de l'industrie, qui sait à toutes les étapes combien il y a eu de dossiers reçus, de dossiers éligibles et de dossiers instruits.

Nous avons déterminé les forfaits par tâche, mais il existe une clause de revoyure tous les deux ou trois ans, en fonction des opérateurs et des conventions collectives. Il n'est donc pas compliqué de remettre en question les frais proposés, puisque nous avons défini leur coût en amont. Dans le cas d'une demande spécifique nécessitant davantage d'expertise, ou une analyse juridique très forte pour laquelle il faut mandater un cabinet d'avocats, nous payons au réel. C'est aussi le cas pour les dépenses de communication : nous établissons tous les ans un plan de communication avec chaque opérateur, puis nous validons les devis et nous payons au réel. Tel n'était pas le cas auparavant, lorsque nous recevions une facture tous les ans. Nous signions alors une sorte de service fait et cela suffisait. Aujourd'hui, nous savons à l'euro près combien nous ont coûté les frais de gestion.

M. Pierre Barros, président. - Nous vous remercions de votre contribution.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 25.

Mercredi 7 mai 2025

- Présidence de Pierre Barros, président -

La réunion est ouverte à 16 h 40.

Audition de M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification

M. Pierre Barros, président. - Nous recevons cet après-midi M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. C'est la première des auditions de membres du Gouvernement auxquelles nous procéderons. En effet, nous recevrons, le jeudi 15 mai, Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, puis, le 5 juin, M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. Nous prévoyons enfin de recevoir Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, à une date non encore déterminée.

Monsieur le ministre, votre audition est particulièrement importante pour nous, car vos trois attributions ont fait l'objet de débats dans le cadre de nos travaux :

- si nous étudions les agences, les opérateurs et les organismes consultatifs de l'État, c'est bien pour trouver la meilleure manière d'assurer la mise en oeuvre de l'action publique, soit par l'administration centrale et décentralisée, soit par des organismes plus autonomes ;

- dans ce cadre, nous avons vite identifié la question de la fonction publique comme très importante, car les agences, c'est d'abord du personnel, de droit public ou privé, qu'il faut réorienter ou reclasser lors de toute opération de fusion ou de transformation ;

- enfin, le thème de la simplification revient dans presque toutes nos auditions, car la complexité du paysage des opérateurs, qui s'ajoute à celle de l'organisation administrative nationale, suscite incompréhension et méfiance chez les citoyens, les entreprises et les élus locaux ; nous l'avons constaté lors de nos deux déplacements dans le Val-d'Oise et dans le Loiret.

En outre, le Premier ministre a lancé le 21 février dernier, avec Mme de Montchalin et vous-même, un processus de revue des missions des ministères et de leurs opérateurs. Ceux-ci devaient recenser leurs missions, puis soumettre à la mi-avril un « projet de contrat de simplification et d'efficience ». Ce calendrier a-t-il été respecté ? Quelles conclusions en avez-vous tirées pour ce qui concerne les agences et opérateurs de l'État ?

Vous représentez également le Gouvernement pour l'examen en séance publique du projet de loi de simplification de la vie économique, qui a été interrompu à l'Assemblée nationale, mais qui doit reprendre à la fin du mois. Quelles leçons en tirez-vous pour les pistes de réforme de l'action publique, notamment en ce qui concerne les commissions consultatives ?

Enfin, je ne peux pas ne pas évoquer les propos de votre collègue, Mme de Montchalin, qui a annoncé, le dimanche 27 avril dernier, que le Gouvernement supprimerait, d'ici à la fin de l'année, un tiers des agences et des opérateurs de l'État qui ne sont pas des universités, en vue d'une économie de 2 à 3 milliards d'euros. Puisque vous êtes les deux ministres paraissant chargés du dossier, pouvez-vous nous confirmer qu'il s'agit bien d'un objectif partagé au sein du Gouvernement et nous donner plus de détails sur les organismes concernés et sur la manière dont vous comptez arriver à un tel montant d'économies ?

Avant de passer la parole à Mme le rapporteur, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Laurent Marcangeli prête serment.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vais commencer par une question simple : lors de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique, au début du mois d'avril, vous avez déclaré que le Gouvernement serait « défavorable, par principe, à toute suppression d'opérateur ou d'agence » ; pouvez-vous nous expliquer ces propos ?

M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. - J'ai dit dans le cadre de l'examen du projet de loi de simplification de la vie économique que nous ne procéderions à aucune suppression, pour une bonne et simple raison : nous respectons votre travail et nous respectons la parole donnée. Le 21 février dernier, lorsque le Premier ministre a réuni l'ensemble des directeurs de service et des directeurs de cabinet des ministres, pour lancer le processus de refondation de l'action publique, nous avons demandé que l'État fasse le point sur son fonctionnement, sur ses missions et sur l'efficience et l'éventuelle redondance de celles-ci. Dans le cadre de cette mission, nous avons souhaité nous interroger sur nos agences et autres opérateurs.

Parallèlement à cela, à l'Assemblée nationale, j'ai indiqué en commentaire de chaque amendement de suppression d'une agence ou d'un opérateur qu'il fallait attendre le rapport de votre commission d'enquête, qui constituera pour nous une aide à la décision. Or, comme les conclusions de la mission lancée le 21 février devraient concorder, peu ou prou, avec le contenu de votre rapport, madame le rapporteur, je pense que nous pourrons unir nos forces, travailler de concert pour y voir plus clair.

Je commence ce travail avec une méthode, fondée sur l'écoute et sur l'attente de vos conclusions. Je veux suivre une démarche, non de bloc contre bloc, mais de bon sens et qui transcende les clivages politiques. Je souhaite que l'on se réinterroge objectivement sur la performance de notre système. Je ne veux pas que l'on se fixe un objectif chiffré, comptable. Je ne veux pas non plus décider au doigt mouillé, ce qui ne serait pas responsable, et je souhaite travailler dans la précision et le respect de la réalité. En effet, nos compatriotes, qui entendent parler depuis des mois ou des années des opérateurs, savent-ils que, parmi ces derniers, se trouvent les universités ou encore l'École polytechnique, ce centre de formation des élites dont notre pays a tant besoin ? Je serai donc totalement étranger à toute forme de caricature dans le cadre de mes travaux sur cette mission, chère au Sénat.

Chaque projet de transformation devra être rigoureusement justifié par trois éléments : d'abord, la lisibilité de l'action publique ; ensuite, la compatibilité culturelle et organisationnelle entre les structures concernées ; enfin, un plan de ressources humaines clair, car, lorsque l'on parle d'opérateurs ou d'organismes, on parle avant tout de femmes et d'hommes. Je suis certes le ministre de la simplification, mais je suis aussi le ministre de la fonction publique, des agents publics. Or, au sein de ces opérateurs, de nombreux agents publics sont présents.

J'ai proposé au Premier ministre une approche différenciée selon la typologie des opérateurs. J'en évoque ici rapidement les grandes lignes, car nous aurons certainement l'occasion d'y revenir.

Il existe d'abord les opérateurs performants, la catégorie A : je pense, par exemple, que personne ne remettra en question l'existence et l'organisation actuelle de Polytechnique.

Viennent ensuite les opérateurs redondants, la catégorie B : ce sont ceux qui contribuent à la perte de lisibilité que j'évoquais à l'instant.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je me permets de vous couper : quelle est la définition d'un opérateur performant ? d'un opérateur redonnant ? d'un opérateur de catégorie C ? En outre, quels sont les critères utilisés pour classer les opérateurs entre ces trois catégories ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Les opérateurs performants seront ceux qui seront considérés, par votre commission d'enquête et par le Gouvernement, comme remplissant leur mission et apportant une véritable valeur ajoutée à la fonction publique.

Les opérateurs redondants sont ceux qui contribuent, disais-je, à une perte de lisibilité de l'action publique, du fait de compétences qui se recoupent ou de synergies demeurées inexploitées. Dans ce cas, des fusions ou des rapprochements peuvent avoir du sens, même si ce n'est pas une solution miracle, puisque les fusions ne divisent pas les effectifs par deux ; il faut en effet avoir à la fois une vision en matière de ressources humaines et une vision comptable.

Enfin, il y a les opérateurs qui ont été créés pour l'agilité ; c'est la catégorie C. Or, même lorsqu'une activité a été externalisée au sein d'un opérateur pour contourner certaines rigidités, il faut aussi, je le pense, se poser la question de sa réinternalisation, car celle-ci peut permettre de renforcer la prise directe des autorités politiques sur ces opérateurs. Les ministères ne doivent pas se déposséder de leurs talents et de leurs compétences.

Toutefois, tout cela doit être examiné au cas par cas. Je le répète, je souhaite disposer d'une vision minutieuse de chacun des opérateurs, de chacune des entités. En effet, si l'on se lançait dans une opération purement chiffrée, fondée sur des pourcentages, on n'irait pas véritablement au fond des choses. La gestion des opérateurs doit donc se faire ainsi : si l'externalisation demeure justifiée, conservons ce mode de fonctionnement ; en revanche, si telle ou telle activité doit revenir sous l'autorité du ministre, il ne faudra pas s'interdire de la réinternaliser. Il y existe aussi des opérateurs dont les missions sont identiques ou proches ; il faudra alors les mettre en réseau.

Telle est la méthode que je souhaite appliquer dans le cadre de ma mission, afin d'atteindre un objectif que nous devons tous partager : parvenir à plus de lisibilité dans notre action publique, dans le fonctionnement de nos institutions et dans les dépenses qui y sont associées, afin que nous puissions rendre des comptes à nos concitoyens.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous avez évoqué la réunion du 21 février dernier, au cours de laquelle on a demandé aux ministres et aux directeurs d'administration centrale d'examiner les actions de leurs directions respectives et des opérateurs placés sous leur tutelle. À cet effet, des tableaux leur ont été transmis qui, si j'ai bien compris, ont depuis lors été restitués. Une partie des documents a été communiquée aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux chambres.

J'ai cru comprendre que vous disposiez d'autres tableaux, notamment la classification des opérateurs en trois catégories ; est-ce bien le cas ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Oui.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je vous serai reconnaissante de bien vouloir les transmettre à la commission d'enquête.

Quelle sera la suite de la démarche ? Est-il prévu une analyse critique des tableaux, qui sont remplis par les parties prenantes elles-mêmes ? On peut légitimement se demander si ces dernières ne chercheront pas à défendre leur propre cause... Dès lors, une procédure d'audit externe est-elle prévue ? Existe-t-il en outre une forme d'harmonisation ? En effet, un ministère au périmètre très large est susceptible d'avoir un regard plus sévère sur ses opérateurs qu'un ministère doté d'un petit périmètre.

Par ailleurs, quels sont les services transversaux du Gouvernement qui sont mis à contribution ? Nous avons compris que la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) était au coeur de la réflexion ; est-ce bien le cas ?

Enfin, quelles sont les prochaines étapes ? Vous avez évoqué un rapport pour fin juin ou début juillet ; est-il prévu des réunions d'étape, par exemple du Comité interministériel de la transformation publique (CITP) ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - J'ai adressé, le 21 mars dernier, un courrier à l'ensemble de mes collègues en tant que ministre de la simplification, dans lequel j'évoque ce sujet, mais aussi, plus largement, l'ensemble des questions susceptibles d'être portées en binôme avec moi en matière de simplification de la vie de nos concitoyens. Ainsi, la semaine dernière, par exemple, j'étais à l'hôtel de Roquelaure, où siège le ministre François Rebsamen, pour annoncer des mesures de simplification relatives aux élus locaux. Nous avons participé à une réunion en binôme, dans cet état d'esprit.

Parmi les requêtes que j'ai adressées aux ministres dans le courrier du 21 mars dernier, j'ai demandé que chacun fasse le point sur l'ensemble des agences et opérateurs dépendant de son ministère, au titre des politiques publiques dont ils ont la charge. Je dois bien avouer que, pour l'instant, la présentation de certains plans ministériels demeure incomplète. Je ne citerai pas de noms, mais, pour quelques ministères, une seconde réunion devrait avoir lieu au cours de ce mois.

Comme toujours, les arbitrages seront rendus in fine par le Premier ministre, avec, très vraisemblablement, une validation des plans à la mi-juin. Cette validation serait probablement actée par le comité interministériel de la transformation publique, qui se réunirait à ce moment-là. Cela reste toutefois à confirmer, compte tenu du grand nombre de comités interministériels à organiser d'ici à la fin de l'été. Ce CITP intégrerait les plans de transformation ministérielle, en lien avec les plans ministériels du numérique attendus d'ici à la tenue du salon VivaTech, au cours de la deuxième semaine de juin.

Je vous transmettrai naturellement copie du courrier adressé à l'ensemble de mes collègues du Gouvernement le 21 mars dernier.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je souhaite revenir sur la question des ressources humaines. Lors de nos auditions, nous avons entendu deux messages contradictoires.

D'une part, certains nous ont expliqué que l'une des causes de la création des agences avait été la volonté de contourner le cadre statutaire de la fonction publique, en permettant le recrutement d'agents contractuels ou d'agents publics en détachement avec des rémunérations plus élevées, afin d'attirer des compétences spécifiques.

D'autre part, d'autres intervenants nous ont affirmé que tout cela n'était plus d'actualité, que l'on percevait maintenant la même rémunération, qu'on soit placé en position normale d'activité (PNA) dans son administration d'origine ou détaché auprès d'un opérateur.

Qui croire ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il faut d'abord veiller à un point essentiel, c'est en tout cas ma position : ces opérateurs, ces agences, ne doivent pas déposséder les ministères de leurs meilleurs talents. Selon moi, les meilleurs profils des administrations centrales n'ont pas vocation à être systématiquement captés, attirés par les avantages que peuvent offrir, notamment en matière salariale et statutaire, ces opérateurs. Bien sûr, passer par ces structures peut constituer une étape enrichissante dans la carrière d'un haut fonctionnaire, mais, je le répète, je préfère que les meilleurs soient au service de l'État central.

Par ailleurs, il faut le dire, il y a eu, dans la recherche d'agilité - puisque nous parlons ici de ressources humaines -, une certaine forme de dérive. Il devient nécessaire de mieux encadrer les régimes indemnitaires et les avantages spécifiques parfois accordés, parce que nous le devons à nos concitoyens, à nos compatriotes. Il conviendra donc sans doute de faire évoluer le processus d'identification, d'audition et de nomination des dirigeants de tutelle, en s'inspirant d'un schéma analogue à celui qui est actuellement en vigueur pour les directeurs d'administration centrale.

L'emploi de contractuels doit faire l'objet d'un examen tant au sein des opérateurs que de l'État, en s'appuyant sur le cadre posé par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Même s'il offre de plus importantes marges de manoeuvre en matière de gestion, le recours à ces contrats n'enlève rien au constat : un opérateur doit piloter sa masse salariale et se tenir à un plafond d'emploi.

Le Gouvernement n'est pas opposé à cette forme de recrutement, mais il est nécessaire de veiller à un équilibre entre fonctionnaires et contractuels. Les proportions doivent être comparables à celles qui sont constatées dans les ministères.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - D'abord, vous n'avez pas vraiment répondu : qui dois-je croire ? La situation a-t-elle changé ?

Ensuite, j'entends que tous les meilleurs profils ne doivent pas aller dans les agences. Toutefois, ils regardent les rémunérations proposées selon les missions, ces dernières étant parfois très similaires entre les directeurs d'administration centrale, d'agence ou d'opérateur. La feuille de paie à la fin du mois fait la différence !

Enfin, vous évoquiez le cadre instauré par la loi de 2019 et l'équilibre qui doit s'observer. Comment pouvez-vous dès lors expliquer que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) compte seulement 4 % d'agents publics, le reste de l'effectif étant constitué de contractuels ? Il ne semble pas que le ratio soit le même pour le ministère de la transition énergétique (MTE).

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Je vous demande en toute logique de me croire, puisque vous avez rappelé tout à l'heure à quel point je pourrais, en cas de mensonge, avoir des difficultés !

Comment réaliser un suivi ? C'est le ministre de la simplification qui vous l'assure : le système est très complexe. L'État, par l'intermédiaire des ministères de tutelle, exerce déjà un contrôle rigoureux, même si je pense - une fois encore, je n'engage pas la parole du Gouvernement - qu'il faut faire mieux. En effet, il est attesté que des dérives existent dans certains organismes. En cohérence avec le discours du Gouvernement sur les finances publiques, que vous avez pu encore entendre lors de la séance de questions au Gouvernement de cet après-midi, le contrôle doit s'effectuer à tous les étages.

L'idée est d'unifier davantage le suivi et la gestion des ressources humaines à l'échelle de l'administration centrale et des agences. Cet objectif pertinent soulève des enjeux de mise en oeuvre complexes. À ce titre, la commission interministérielle d'audit salarial du secteur public (CIASSP) suit l'évolution de la rémunération moyenne des personnes en place (RMPP) de quatre-vingt-cinq organismes, fournissant des comparaisons utiles aux tutelles. Il serait souhaitable, de mon point de vue, d'élargir ce dispositif et de lui conférer de réels leviers pour renforcer son efficacité. Si l'arbitrage du Premier ministre suit la position de mon ministère, le Gouvernement sera amené à agir de la sorte.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - À ce stade, il reste des actions à mener, étant donné - vous semblez aller en ce sens - qu'il existe des écarts de rémunération entre l'administration centrale et les opérateurs.

Le Gouvernement, par votre intermédiaire, a déposé un amendement au projet de loi de simplification de la vie économique visant à créer une clause d'extinction automatique des comités consultatifs. Estimez-vous que la même clause devrait être mise en place pour les structures plus pérennes ou en tout cas bénéficiant d'un statut juridique, tels les opérateurs et agences ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - La clause d'extinction est adaptée aux instances consultatives : il est normal de questionner, à échéances régulières, leur utilité et bien-fondé. Pour les opérateurs qui gèrent une politique publique, une approche identique n'a pas de sens, car, par la nature même de leur mission d'intérêt général, leur action s'inscrit dans le temps long.

Toutefois, l'approche du Gouvernement est analogue dans sa finalité : nous demanderons à l'ensemble des opérateurs qui seront maintenus de produire dans les trois ans un bilan formel d'activité. Si un opérateur ne satisfait pas aux obligations de performance, l'idée est que, automatiquement, le dirigeant ne soit pas reconduit : il aura des comptes à rendre. Si, à l'avenir, nous faisons planer cette menace, le compte rendu d'activité sera fait et il sera fait correctement.

L'introduction d'un moratoire sur la création de comités et de commissions consultatives, et/ou sur celle d'agences peut être étudiée. Quoi qu'il en soit, sans être formalisé, le moratoire, de fait, existe. Le Gouvernement sera vigilant concernant les demandes de création d'organismes et gardera tout à la fois une capacité d'adaptation en cas de besoin exceptionnel ; je pense aux organismes créés spécifiquement pour faire face aux crises.

À ce titre, même s'il ne s'agit pas d'une agence ou d'un opérateur, j'ai eu toutes les peines du monde à convaincre certains députés de supprimer le Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, voilà quelques semaines, à l'Assemblée nationale. J'ai même eu quelques difficultés à supprimer le comité de contrôle et de liaison covid-19 ! Puisque beaucoup de députés ont affirmé que c'était folie de ma part, vous imaginez bien les résistances quand il s'agira des opérateurs et agences.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Précisément pour cette raison, nous pourrions inverser la logique. Si, d'après vous, la limitation de la durée de vie des organismes est justifiée pour les comités consultatifs sans l'être forcément pour les autres structures, comment expliquer que soit créé l'établissement chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) sans clause d'extinction ? Leur objet est pourtant limité dans le temps. Maintenez-vous que l'idée d'une clause d'extinction n'est pas pertinente ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il faut procéder au cas par cas. Lorsqu'un opérateur est créé en fonction d'un objet précis - ceux que vous citiez ne sont pas totalement inadaptés à la démonstration -, une clause d'extinction doit figurer dans l'acte de naissance de la structure pour y mettre un terme à la fin des travaux ou à la disparition de la menace.

En revanche, puisque certains problèmes se poseront toujours, certaines politiques publiques devront toujours être menées. Peut-être vos travaux et ceux du Gouvernement se rencontreront-ils et mèneront-ils à des fusions d'agences ou d'opérateurs qui font peu ou prou la même chose ou qui ont le même périmètre ? Quoi qu'il en soit, il ne me semble pas de bonne politique de prévoir une clause d'extinction pour toute nouvelle structure.

En effet, si une telle clause existe, il faudra créer, après l'extinction de l'ancien organisme, dont les missions s'inscrivent dans le temps long, un nouveau. Par conséquent, il faudrait plutôt mettre en place un mécanisme permettant de séparer le bon grain de l'ivraie.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous venez de parler de politiques publiques, enjeu central de toutes nos auditions et de nos travaux. Au travers des agences, il est question en creux de simplification administrative : quel interlocuteur étatique pour les citoyens, les entreprises ou les collectivités ? En décembre dernier, Véronique Louwagie s'était vu confier une mission temporaire ayant pour objet la simplification administrative comme source de réduction des dépenses de l'État. Quelle suite a été donnée à cette mission, étant donné qu'elle n'a pas pu la mener à bien ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - En effet, ma collègue Louwagie a été nommée au Gouvernement alors qu'elle était chargée de cette mission.

D'abord, le Premier ministre a parlé de simplification dans son discours de politique générale et ce week-end encore dans un hebdomadaire, dans le cadre d'une interview qui a fait parler, signe d'une attention particulière du Gouvernement au sujet.

Ensuite, j'ai moi-même communiqué sur la simplification en marge du conseil des ministres et défini une feuille de route, mon ministère travaillant en binôme avec les autres, dans le cadre de la mission de refondation de l'action publique, lancée le 21 février dernier.

En outre, Boris Ravignon, le maire de Charleville-Mézières, a été nommé pour une nouvelle mission de recherche de simplification.

Enfin, le Gouvernement partage pleinement le double enjeu décrit dans le rapport d'information La rationalisation de notre administration comme source d'économies budgétaires, corédigé par les députés Véronique Louwagie et Robin Reda.

Le Premier ministre indiquera l'agenda de la mission de transformation de l'action publique. Par ailleurs, la mission de Mme Louwagie est susceptible d'être reprise. J'ai entendu quelques rumeurs - je ne peux attester de leur véracité aujourd'hui - selon lesquelles le suppléant de la ministre pourrait éventuellement en être chargé. À ce stade, le Gouvernement s'appuie sur la méthode définie le 21 février en la matière et sur les travaux de M. Ravignon, que j'ai rencontré personnellement. Ce dernier a d'ailleurs été le premier à prendre la parole lors du Roquelaure de la simplification de l'action des collectivités, avant même M. Rebsamen et moi-même.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je comprends que vous avez pris connaissance du rapport parlementaire de nos collègues de l'Assemblée nationale, mais que rien n'a été acté dans un sens ou dans un autre concernant la mise en oeuvre des préconisations qui y figuraient.

La mission temporaire de simplification, telle qu'elle était initialement prévue à la fin de l'année 2024, est pour l'instant abandonnée, mais Boris Ravignon, qui a déjà remis un rapport l'année dernière sur la question, est chargé de poursuivre des travaux en la matière.

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Ses précédents travaux portaient surtout sur les collectivités.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Quand il est question des collectivités, il est aussi question de simplification.

Dans le cadre de vos travaux, vous êtes-vous interrogé sur la taille critique ou la taille opportune d'une structure oeuvrant en dehors du giron de l'État ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - De toute manière, il faudra se poser la question. Durant l'examen à l'Assemblée nationale du projet de loi de simplification de la vie économique, des parlementaires en faveur de la suppression de diverses structures ont parlé, en commission et dans l'hémicycle, de recréer la grande délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar). Il s'agirait ainsi d'arrêter la multiplication à tous les étages des agences et des opérateurs. Je ne citerai pas les vilains petits canards, que je ne considère pas comme tels, mais certains organismes reviennent souvent dans la bouche des élus, notamment locaux. Face au nombre de structures, on aimerait avoir le bon numéro de téléphone pour savoir à qui s'adresser ! Aussi, il serait bon de disposer d'un organisme regroupant la crème de la crème.

La taille critique d'un organisme dépend du nombre d'agents dans son service. Il ne faudrait pas créer des États dans l'État : si une agence devait compter à l'avenir un effectif tel qu'elle en deviendrait plus puissante qu'un ministère, cela affaiblirait le politique. Il faut faire particulièrement attention. Parallèlement, avoir toute une constellation d'agences et d'opérateurs destinés à réfléchir sur un sujet n'est pas non plus la solution : le saucissonnage risque d'entraîner la dilution.

Il faut trouver le juste équilibre. C'est là tout l'objectif de la remontée d'informations que le Gouvernement a demandé à l'ensemble des services de l'État, centralisés et déconcentrés, au mois de février dernier. De même, je suivrai de très près les conclusions qui seront rendues par votre commission d'enquête.

Je ne citerai aucun nom de structure car cette pratique provoque le désordre : dès que vous prononcez le nom d'un organisme, des anticorps se forment ! Pas plus tard qu'hier, je discutais avec un haut commis de l'État qui avait, en son temps, essayé d'impulser de grandes fusions et rapprochements. Il a échoué parce qu'un organisme, qui s'est vraiment senti dans le viseur, a réussi à sauver sa peau - je vous prie de m'excuser pour l'expression -, entraînant une contagion : les autres se sont demandé pourquoi ils seraient visés. Il est donc de bonne méthode de ne pas créer de résistances. Pour ce faire, il faut ne montrer personne du doigt.

Le travail que vous menez sera une source d'inspiration. J'irai même plus loin, madame la rapporteure, messieurs les sénateurs : vous vous êtes bien aperçus que le Gouvernement est toujours enclin à donner la main aux parlementaires, notamment dans la production législative. Il ne me paraît pas totalement infondé qu'une proposition de loi, plutôt qu'un projet, donne le « la » et permette, en coconstruction avec le Gouvernement, d'avancer sur le sujet.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Envisagez-vous de faire évoluer le cadre d'emploi de la fonction publique ? Fusions et suppressions ne signifient pas automatiquement économies, notamment dans les structures employant des agents publics. Quelles pistes avez-vous identifiées ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Au bout de quatre mois et demi de présence au Gouvernement, j'ai constaté que chaque ministère avait son propre climat et que le cadre d'emploi pouvait varier en fonction des directions. Il n'y a pas d'unité de ce point de vue : cela manque de lisibilité. Je le mesure, d'ailleurs, pour une autre réforme, celle des complémentaires santé et prévoyance.

Je ferai une première proposition de regroupement. Il existe à l'heure actuelle cinq instituts régionaux d'administration (IRA) : j'en demanderai la fusion en un seul établissement, ils sont prévenus. Voilà l'état d'esprit qui sera le mien dans le cadre des travaux que nous mènerons.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous vous attaquez à un sujet facile : la diversité des cadres d'emplois dans les IRA est extrêmement faible. Vous ne risquez pas de vous heurter à l'alignement par le haut des rémunérations, ce qui a toujours été le problème des fusions antérieures.

M. Laurent Marcangeli, ministre. On gravit toujours la montagne par le début, puis on monte ensuite vers les cieux.

M. Hervé Reynaud. - L'objectif de cette commission d'enquête est de rechercher des économies, mais aussi et surtout de trouver de l'efficacité dans l'action publique. Le 28 avril dernier s'est tenu le Roquelaure de la simplification. Les sources de complexité dans l'action publique résident dans l'empilement des strates. Il existe plusieurs catégories d'instances. Nous sommes tombés d'accord sur les comités Théodule : il faut prévoir une clause d'extinction ou d'obsolescence, avec une revue d'effectifs régulière qui nous permettrait de mettre à jour l'ensemble de ces instances pour les laisser s'éteindre lorsqu'elles ont fait leur oeuvre.

Dans le cadre de la démarche de simplification, vous avez également déclaré : « Notre pays est obèse de sa bureaucratie. Pendant des années, nous avons essayé les régimes minceur et la médecine douce. Il nous faut désormais passer à une étape supérieure. » Pouvez- vous nous en dire plus sur cette démarche, qui me paraît plus brutale et ambitieuse ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. En ce qui concerne la clause d'extinction pour les comités Théodule, la rédaction législative qui a été retenue me pose un problème en tant que juriste. Je vous invite à la revoir. En interministériel, nous avions proposé d'autres rédactions, notamment issues de mon cabinet, mais ce n'est pas la version qui a été retenue. Cependant, le principe, pour moi, est le bon. Il existe des travaux redondants, il faut trouver une formule qui nous permette de mettre en place une clause d'extinction. Nous pourrions parvenir à une écriture plus performante en commission mixte paritaire.

L'administration comporte des personnes formidables que je croise dans chaque déplacement, dans nos hôpitaux, dans nos prisons, dans nos établissements scolaires, dans nos collectivités territoriales. Ici, au Sénat, vous savez très bien le trésor que représentent des agents publics communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux.

Cela étant, notre manière de fonctionner provoque parfois des excès. C'est un peu comme le cholestérol : il y a le bon et il y a le mauvais. Le mauvais cholestérol de la fonction publique consiste en une forme de bureaucratie, avec des normes qui se contredisent et qui rendent dingues nos concitoyens, nos entreprises, nos associations, nos élus locaux, leur enlevant parfois l'envie d'avancer sur leur projet, voire même de commencer l'ébauche d'une réflexion de projet. Les agents publics de ce pays ne sont pas non plus les premiers supporters de cette manière de fonctionner. Ils appliquent la réglementation pour éviter la faute professionnelle, mais dans 95 % des cas, ils aimeraient bien, eux aussi, faciliter la vie des gens qu'ils reçoivent à leurs guichets. L'obésité bureaucratique, c'est aussi cela.

J'ai défini une méthode. D'abord, il y a ce que le Gouvernement doit faire. Charité bien ordonnée commence par soi-même : nous avons du travail au niveau réglementaire. Je suis issu de la tradition parlementaire. Les parlementaires ont un examen de conscience à réaliser sur chaque texte pour mieux rédiger les textes. J'ai cité tout à l'heure la clause d'extinction : elle m'interroge réellement en tant que juriste.

Nous procédons aussi souvent à diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue), dont le périmètre est très large. Je proposerai qu'on le fasse aussi pour des éléments de simplification à intervalles réguliers. Cela aurait du sens, car je vous le dis franchement : il n'y aura pas de grand soir. À quelqu'un qui me demandait si un jour la simplification s'arrêtera, j'ai répondu : « jamais ! » La simplification ne peut pas s'arrêter, parce qu'il s'agit d'un examen de conscience permanent. C'est une forme de revue des politiques publiques existantes et des productions législatives.

Je pense qu'on peut aussi envisager de saisir les Français par référendum sur des éléments de simplification. Le référendum est un outil dont nous n'usons pas véritablement. Le dernier s'est déroulé voilà vingt ans. En matière de simplification, la saisine du peuple est une piste, à mon sens, à ne pas balayer d'un revers de main.

Il existe également un problème en matière de surtransposition. J'ai participé à trois salons de l'agriculture, deux en tant que président de groupe parlementaire à l'Assemblée nationale et le dernier en tant que ministre. Nous sommes tous attachés à nos terres agricoles et au travail effectué par celles et ceux qui en vivent et nous font vivre. La colère qui s'exprime est souvent due à notre tendance à surtransposer des normes européennes et à les rendre encore plus compliquées qu'elles ne le sont déjà.

Préventivement, sur la production normative, tant au niveau gouvernemental qu'au niveau parlementaire, il faut donc faire attention à être le moins bavard possible. Par ailleurs, les décrets d'application doivent être publiés dans les temps et rédigés correctement. Nous pourrions aussi envisager de grands moments annuels à travers des textes suffisamment larges. Enfin, comme s'il s'agit d'un sujet d'importance pour la Nation, pourquoi ne pas en appeler au peuple par voie référendaire ?

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous êtes ministre de la fonction publique : êtes-vous en mesure de nous dire où se trouvent l'ensemble des agents publics ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Bien sûr que non. Je ne dispose pas de chiffres exacts, mais il existe un nombre suffisamment important d'agents publics sans affectation pour que cela m'interpelle en tant que ministre. Il s'agit souvent de personnalités dotées du statut de haut fonctionnaire : ils pourraient être beaucoup plus utiles s'ils avaient une affectation.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Avez-vous l'intention de prendre des mesures pour mieux connaître l'emplacement des agents publics et leur statut ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Je ne suis pas frileux, mais il convient de faire preuve de méthode. Ne mettons pas le feu à tout. Il s'avère que les ministres vont et viennent assez rapidement ces derniers mois. Or j'ai besoin de temps : la question doit être traitée ministère par ministère. Je ne vous dis pas que nous sommes dans une anarchie complète et que plus rien n'est piloté - ce serait gravissime. Mais il est vrai qu'un certain nombre de choses ne sauraient être comprises par nos compatriotes, car elles ne sont pas non plus totalement bien comprises par les ministres. Différentes strates se sont superposées les unes aux autres : rationaliser prendra du temps. J'ai demandé à la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese) de réaliser une cartographie RH. Il n'est pas acceptable que certains de nos agents soient en sommeil et passent sous les radars alors qu'ils doivent encore des années de service à la collectivité.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La Diese, qui a été créée il n'y a pas si longtemps, ne remplit donc pas encore parfaitement ses missions ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Les outils qui souffrent le plus sont ceux dont nous ne nous servons pas. La création de la Diese est récente : il faut la solliciter et lui confiant des missions.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - On a créé la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Force est de constater qu'un grand nombre de structures publiques sont obligées de faire appel à de l'expertise privée, alors même que nous avons la Diese pour les grands projets de transformation, la direction interministérielle du numérique (Dinum) pour les grands projets informatiques, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) pour l'expertise technique, etc. Comment expliquez-vous que les structures publiques n'arrivent pas à trouver l'expertise dont elles ont besoin parmi les autres structures publiques, et que nous continuons à recourir à des cabinets de nature privée ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. Je commencerai par un exemple précis. La semaine dernière, à Marseille, le Premier ministre, en compagnie de votre ancien collègue, le ministre des transports, Philippe Tabarot, a annoncé un plan structurel en matière de transports. La méthode organisationnelle aurait pu être confiée à une entreprise externe. Cependant, ce sont mes services, notamment la DITP, qui ont été mandatés en tant qu'agence de conseil interne pour mener à bien cette mission confiée par le Premier ministre au ministère des transports. Cela implique, notamment, l'organisation de nombreuses consultations d'élus locaux et d'entreprises.

Depuis un certain temps, nous avons divisé par trois les dépenses liées à l'utilisation de cabinets externes. Personnellement, je suis convaincu qu'il faut privilégier l'action interne chaque fois que possible. Je ne sais pas si nous parviendrons à internaliser entièrement la production, mais la DITP - que je cite à titre d'exemple - a produit des résultats notables. C'est une direction qui a fait preuve d'efficacité, notamment dans le cadre de la revue d'effectifs demandée par le Premier ministre le 21 février dernier. La DITP a respecté les délais et a coordonné l'ensemble des missions.

De plus, France Simplification, placée sous l'égide de la DITP, devrait commencer à prendre son essor. À terme, notre objectif est de réduire au maximum les coûts liés au recours à des opérateurs extérieurs.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Merci d'avoir évoqué la question de l'usage du français. Je vous ai interpellé sur le sujet : je suis toujours en attente de la réponse sur la réforme du concours de l'Institut national du service public (INSP) et de la note éliminatoire de l'anglais, ce qui est assez absurde pour des hauts fonctionnaires censés promouvoir la pratique du français, notamment à Bruxelles !

On observe un éclatement des structures qui versent de l'argent aux citoyens, aux entreprises, aux collectivités. Ce gouvernement, dans la continuité des derniers gouvernements, a fait de la lutte contre la fraude une priorité. En tant que ministre de la transformation publique, vous semblerait-il judicieux de regrouper ces structures de paiement ? Je ne parle pas de l'instruction, car il y aura ensuite des questions techniques à vérifier, notamment pour s'assurer que l'on verse bien de l'argent à un citoyen qui a le droit de le percevoir. Il faudra également une version consolidée pour savoir combien l'État a versé à chacun au terme d'un exercice budgétaire.

M. Laurent Marcangeli, ministre. - La remontée d'informations nous permettra d'y voir un peu plus clair. L'évaluation, qui va évoluer dans le cadre de la refondation de l'action publique, a en effet pour objectif de déterminer qui verse quoi, comment les dispositifs fonctionnent, et s'ils sont efficaces et propres. Il s'agit d'avoir la vision la plus claire possible.

Ma position est la suivante : lorsqu'il y a des soupçons de fraude ou lorsque les informations qui nous sont transmises, et dont votre commission d'enquête sera également destinataire, font état d'une mauvaise utilisation de l'argent public, alors il ne faut pas hésiter à agir. Il existe, en revanche, des organismes payeurs qui font bien leur travail.

Je considère, à titre personnel, qu'en matière d'argent public le Gouvernement doit avoir la main. Bien sûr, des garde-fous doivent exister afin d'éviter le fait du prince. Mais quand des montants importants sont susceptibles d'être utilisés, chacun doit assumer sa responsabilité et celle-ci ne doit pas être diluée.

M. Pierre Barros, président. - Depuis février, nous avons auditionné de nombreux acteurs - chercheurs, représentants du corps préfectoral et des administrations, opérateurs -, ce qui nous a donné une vision globale de l'organisation de l'État : celui-ci s'est organisé depuis une bonne trentaine d'années en tant qu'État stratège, tandis que la mise en oeuvre relève des opérateurs, lesquels ont parfois du mal à trouver des relais locaux. Ou plutôt, les relais locaux ont des difficultés à trouver un interlocuteur opérationnel du côté de l'État, qui s'est désinvesti de l'opérationnalité au profit des opérateurs. Il existe donc un dysfonctionnement dans la mise en oeuvre des politiques publiques conçues stratégiquement par l'?État.

Les représentants de la Diese nous ont expliqué qu'il était conseillé aux agents d'administration centrale de passer, dans le cadre de leur parcours professionnel, par les opérateurs pour redonner du sens à leur travail. Cela m'interpelle très fortement, et je mets ceci en relation avec le déficit d'attractivité des administrations centrales. La création d'opérateurs ne permet-elle pas de répondre au problème du manque d'intérêt de certaines tâches et de sortir de la stratégie pour participer à l'opérationnalité, qui redonne du sens à diverses fonctions ?

Quant au corps préfectoral, il souhaite non pas tant reprendre la main que savoir ce qui se passe réellement sur leur territoire. Il arrive en effet souvent que des projets se mettent en place sans qu'ils y soient complètement associés - ils ne siègent pas forcément dans les conseils d'administration des opérateurs. Pourtant, lorsque lesdits projets se heurtent à des difficultés, ce sont eux qui se font critiquer sur le terrain. On sait bien qu'un maire ou un préfet sont à portée de critique, mais ce n'est légitime que s'ils sont associés aux projets.

Les collectivités ont aujourd'hui de grandes difficultés à récupérer l'ingénierie locale de mise en oeuvre des politiques publiques édictées par l'administration centrale, l'État, les préfectures, les sous-préfectures et les collectivités elles-mêmes. Les comités d'agglomération sont presque devenus des opérateurs de l'État en vue de cette mise en oeuvre et les préfectures sont complètement dépouillées de leurs capacités opérationnelles. Cela nous a été confirmé lors des auditions que nous avons menées et nous l'avons vécu en tant qu'élus locaux. Au-delà de la question de la simplification, et même s'il est satisfaisant de réfléchir de façon stratégique sur le temps long, il convient aussi de redéployer les moyens dans les territoires, là où l'on a besoin de faire le travail.

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Monsieur le président, je m'intéresse depuis longtemps à ces sujets, car je connais le terrain : j'ai siégé dans un conseil départemental, présidé une agglomération, été maire d'une commune de 75 000 habitants et conseiller régional. Je connais donc ce schéma, notamment dans une zone périphérique qui est de surcroît une île, la Corse, et je sais comment les choses fonctionnent.

Le modèle que je défends est départementaliste : le bon échelon est, selon moi, le préfet de département, auquel beaucoup de clés doivent être remises dans le cadre de la politique de déconcentration. Ainsi, l'amélioration de la simplification est le résultat d'une expérimentation. Celle-ci peut être menée au niveau régional, ce qui a du sens dans la région Corse, par exemple. Mais c'est moins simple dans les régions de grande taille, dont certaines ont été créées par la loi du 16 janvier 2015, et ce même si nous avons d'excellents préfets de région qui sont de grands serviteurs de l'État.

Le bon échelon dans le cadre de la déconcentration est donc, selon moi, le préfet de département, qui est aussi le représentant de l'État, lorsque le territoire présente une véritable unité opérationnelle. Il convient donc de lui confier de nombreuses missions ; mais pas toutes - je suis ainsi attaché au rôle du recteur d'académie, qui est important. En période de crise, cette question est revenue avec force et prégnance dans les débats.

Je citerai un exemple d'expérimentation sur le terrain : le département du Cher a été choisi pour expérimenter la présence d'agents des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) dans les maisons France services. Ce projet intéressant a pu voir le jour grâce au soutien du président du département, mais aussi au travail mené par le préfet de ce département.

Dans le cadre de France Simplification, ce sont souvent les préfets de département qui font remonter les enjeux du terrain. Je pense notamment à la question du délai pour organiser des funérailles, lequel a été allongé parce qu'un préfet avait été touché par une situation particulière - une personne qui était à l'étranger n'avait pu se rendre aux obsèques d'un proche. On peut aussi citer l'achat de véhicules d'occasion par les collectivités locales ou l'État déconcentré, qui est désormais possible grâce - là encore - à la mobilisation d'un préfet.

Le préfet de département est donc le bon échelon.

Quant aux difficultés rencontrées par les élus locaux, je ne les connais que trop. Et des décisions prises par le passé concernant le corps préfectoral ont ainsi eu des répercussions. Je suis issu d'un territoire à la fois urbain et rural : ma circonscription comprend 49 communes ; la commune-centre, dont j'étais maire, compte 75 000 habitants, mais ma commune d'origine a 50 habitants. En Corse, le fait que la « préfectorale » ne soit plus celle que l'on connaissait il y a quelques années et que les conseils départementaux aient été supprimés, cela « donne le blues ». Le contact avec les élus de proximité qu'étaient les conseillers départementaux, et auparavant les conseillers généraux, n'existe plus. Nombre d'élus sur le terrain ne parviennent plus à obtenir les informations dont ils ont besoin et ne savent plus vers qui se tourner lorsqu'ils ont une difficulté.

Pour ma part, je crois au corps préfectoral au niveau départemental. La préfectorale régionale peut être très utile dans bien des domaines, mais pour ce qui est de la simplification et de la présence de l'État, le département est le niveau idoine.

M. Pierre Barros, président. - Ce dossier est inépuisable pour les élus locaux que nous sommes. Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour cet échange.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 50.