Lundi 5 mai 2025

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 14 h 45.

Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles (sera publiée ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

L'audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Michel Masset, vice-président -

Audition d'Ubisoft - M. Yves Guillemot, président, Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis, directrice générale des studios et du portefeuille de marques, et M. Emmanuel Martin, vice-président chargé des affaires corporatives

M. Michel Masset, président. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition de M. Yves Guillemot, président d'Ubisoft, Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis, directrice générale des studios et du portefeuille de marques et M. Emmanuel Martin, vice-président chargé des affaires corporatives.

L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié sur le site du Sénat.

Madame, Messieurs, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête, outre bien évidemment vos fonctions chez Ubisoft.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Yves Guillemot, Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis et M. Emmanuel Martin prêtent serment.

Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, poursuit trois objectifs principaux.

Tout d'abord, elle vise à établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants.

Ensuite, nous cherchons à déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics.

Enfin, cette commission d'enquête a vocation à réfléchir aux contreparties, en matière de maintien de l'emploi au sens large, qui pourraient être imposées aux grandes entreprises lorsque celles-ci procèdent à des fermetures de site, prononcent des licenciements, voire délocalisent leurs activités alors qu'elles ont perçu des aides.

Après une présentation succincte de l'activité de votre groupe, nous aimerions connaître le regard que vous portez sur les aides publiques aux entreprises.

Permettez-moi de formuler quelques questions pour guider vos propos.

Quelles sont les principales différences entre les aides versées en France et celles octroyées dans les autres pays où votre groupe est présent ?

Quel est le montant global des aides publiques reçues par votre groupe en 2023 en France ? En particulier, quel est le montant des subventions ? Pouvez-vous nous dresser le panorama de vos sous-traitants et des aides qu'ils perçoivent ?

Avez-vous le sentiment que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies et évaluées en France ? Quelles sont selon vous les aides dont l'efficacité est avérée et celles dont l'efficacité est douteuse ? Plus spécifiquement, quel est votre regard sur le crédit d'impôt jeux vidéo, qui a souvent été mentionné lors de nos auditions ? Avez-vous des propositions pour renforcer l'efficience des aides publiques octroyées aux entreprises ?

Seriez-vous favorables à l'introduction de conditions ou de critères permettant d'évaluer l'efficacité des aides ? Le cas échéant, quelles devraient être les limites à la conditionnalité de ces aides ?

Je vous propose de traiter ces questions dans un propos liminaire d'une vingtaine de minutes, puis M. Fabien Gay, rapporteur, vous posera quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger s'ils le souhaitent.

M. Yves Guillemot, président d'Ubisoft. - Mesdames, Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre invitation. Je suis accompagnée de Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis, qui s'occupe de nos studios sur l'ensemble du monde, et d'Emmanuel Martin, le vice-président chargé des affaires corporatives.

J'ai créé Ubisoft en 1986 avec mes frères, en Bretagne, où nous avons nos racines familiales. Avec nos équipes, nous sommes devenus, en trente-neuf ans, l'un des leaders du secteur du jeu vidéo. Nous avons ainsi intégré le top 5 des créateurs de jeux vidéo dits « AAA », qui sont l'équivalent des blockbusters pour les films, c'est-à-dire de jeux dont la production coûte entre 50 et 200 millions d'euros.

Nous siégeons à Carentoir, dans le Morbihan, et nous sommes très contents d'être une société française éditant, publiant et créant des oeuvres partout dans le monde. Les équipes d'Ubisoft comptent 17 000 personnes, réparties dans 40 studios situés dans 30 pays différents. Grâce au talent de nos équipes, nous avons créé de grandes franchises mondialement reconnues parmi lesquelles Assassin's Creed, Just Dance, Rainbow Six, Prince of Persia, Les Lapins Crétins, ou encore Rayman.

Notre objectif est d'enrichir la vie de nos joueurs et de nos joueuses, en leur offrant des expériences ludiques qui leur permettent de comprendre les événements passés, de connaître des villes, des pays et des façons de vivre différentes, mais aussi de se connecter avec d'autres joueurs pour partager une expérience en commun et d'apprendre la persévérance en se confrontant avec soi-même pour aller au bout d'un jeu.

Le jeu vidéo est aujourd'hui la première industrie culturelle au monde, devant le cinéma ou la musique. Il s'agit d'un produit culturel mondialisé, qui parle à l'imaginaire de tous, notamment des jeunes. Le secteur est stratégique, puisqu'il est un véritable outil de soft power.

Nous exportons nos jeux dans le monde entier. La France représente seulement 5 % de notre chiffre d'affaires - les 95 % restants résultent de nos exportations. Nous avons réalisé l'année dernière un chiffre d'affaires de 2,3 milliards d'euros pour un résultat de 157 millions d'euros et nous avons payé, en 2023, 25,3 millions d'euros d'impôt sur les sociétés en France.

Nous avons six studios de développement en France, à Paris, Montpellier, Annecy, Lyon et Bordeaux, et nous avons installé notre siège social international à Saint-Mandé, dans le Val-de-Marne. Ubisoft est ainsi depuis plusieurs années le premier employeur du secteur en France : nos plus de 4 000 salariés répartis sur tout le territoire représentent un tiers des effectifs directs en France. Sur l'année fiscale 2024, nous avons versé près de 310 millions d'euros de salaires et de cotisations sociales.

Quelles sont les aides publiques que nous percevons ? Nous venons juste de clôturer l'année fiscale au 31 mars 2025 et nous présenterons nos chiffres le 14 mai. Étant tenus à une période de réserve par l'Autorité des marchés financiers (AMF), nous ne pourrons donner aucune information sur ces chiffres. Nous vous présenterons donc les chiffres de l'année dernière - c'est-à-dire les aides que nous avons perçues du 1er avril 2023 au 31 mars 2024 -, qui ne présentent pas une différence importante avec ceux de cette année. Si vous le souhaitez, nous vous ferons parvenir par écrit les chiffres de l'année fiscale la plus récente dès que nous le pourrons. Nous tenons également à votre disposition l'historique de ces données sur les cinq dernières années.

Je commencerai par les crédits d'impôt. Nous avons reçu 24,1 millions d'euros au titre du crédit d'impôt jeux vidéo (CIJV) et 3,6 millions d'euros au titre du crédit d'impôt recherche (CIR). Notre filiale Ubisoft Film & Télévision a perçu 3,1 millions d'euros et nous avons touché 73 000 euros au titre du crédit d'impôt mécénat.

En ce qui concerne les subventions, nous avons perçu 600 000 euros correspondant au dernier versement d'un partenariat de recherche et développement (R&D) conclu en 2019 entre notre studio de Bordeaux et la région Nouvelle-Aquitaine, pour un montant de 3,6 millions d'euros sur cinq ans.

Enfin, les réductions de charges se sont élevées à près de 6 millions d'euros : 2,1 millions d'euros pour les allocations familiales, 3,8 millions d'euros pour l'assurance maladie et 1 million d'euros de réduction générale des cotisations.

Au total, nous avons donc perçu 38,4 millions d'euros d'aides publiques, soit un montant comparable aux années précédentes. Je précise que nous n'avons pas reçu d'aide de l'Union européenne.

Permettez-moi de vous rappeler les termes du crédit d'impôt jeux vidéo, dont vous comprendrez l'importance pour nous. Il s'agit d'une aide sélective. Les jeux doivent contribuer au développement et à la diversité de la création française et européenne en matière de jeux vidéo. La sélection est déterminée au moyen d'un barème de points défini par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Le taux de défiscalisation est de 30 % des dépenses de développement pour une durée de trente-six mois maximum et se limite à 6 millions d'euros par studio.

La création d'un jeu ambitieux par Ubisoft implique la collaboration pendant plusieurs années d'une dizaine de studios à travers le monde, soit des centaines de personnes, pour des budgets qui s'expriment en centaines de millions d'euros. Le jeu vidéo est un écosystème à la fois créatif et technologique requérant de très hauts niveaux d'expertise. Aussi, nous sommes fiers d'avoir réussi à produire en France des jeux très ambitieux et à très grand budget. Peu de pays en sont capables, car cela nécessite des talents de très haut niveau et nous avons montré que la France était capable de rivaliser avec, par exemple, les blockbusters américains ou japonais.

En ce qui concerne les retombées pour la France, le CIJV a donné les moyens aux créateurs français, dont Ubisoft, d'être compétitifs. La constitution d'équipes de haut niveau a attiré en France les projets les plus ambitieux. Par exemple, notre studio de Bordeaux a été créé en 2017, à la suite d'une réforme ayant amélioré le CIJV de manière significative. Ce studio a connu une croissance importante et rapide, en obtenant des mandats de développement majeurs tels que l'avant-dernier volet de la franchise Assassin's Creed, qui a été créée à Montréal. Il s'agissait du premier jeu développé intégralement en France et il a d'ailleurs rencontré un grand succès.

À l'heure actuelle, le studio compte 400 talents et accueille, depuis 2021, un pôle de R&D internalisé. Il illustre notre volonté de rapatrier en France des projets habituellement dirigés par nos studios de Montréal ou de Québec. En effet, de nombreux salariés français qui s'étaient expatriés au Canada ont pu revenir en France, à Bordeaux, la ville leur plaisant particulièrement.

Le CIJV a favorisé la création de nouveaux emplois localisés en France. En raison de la création de ce crédit d'impôt en 2008, puis de sa réforme en 2017, Ubisoft a fait le choix de tripler ses effectifs français entre 2008 et 2017, puis de les multiplier par deux entre 2017 et 2022 pour atteindre 4 000 employés. Ensuite, cette trajectoire s'est légèrement infléchie. En effet, à la suite de résultats en deçà de nos attentes en 2023, nous avons mis en place en 2024 un plan d'économies. Nous avons ralenti le recrutement et ne remplaçons plus qu'un départ sur trois. Néanmoins, je tiens à dire clairement qu'Ubisoft n'a conduit aucun plan social en France. Nous avons toujours privilégié la répartition de nos talents sur le territoire français.

Le soutien apporté par le CIJV a facilité la pérennisation des emplois et nous a permis de conserver des professionnels fortement expérimentés et à haute compétence dans notre pays, alors qu'une véritable guerre des talents est à l'oeuvre dans notre industrie et que le travail à distance permet à nos concurrents étrangers de recruter partout dans le monde, notamment en France. Il nous a conféré une attractivité qui se traduit également par le recrutement dans les studios français de talents étrangers attirés par des projets prestigieux.

Ubisoft joue ainsi un rôle moteur dans l'écosystème français. Chacun de ses studios constitue un pôle majeur tirant vers le haut toute la région dans laquelle il est implanté. De plus, nos importants besoins en recrutement ont considérablement stimulé le développement de formations aux métiers du jeu vidéo. De nombreuses écoles se sont créées autour du jeu vidéo au fil des ans et forment énormément de talents. En outre, de nombreux studios français ont été créés par d'anciens employés d'Ubisoft.

Nous sommes donc fiers d'avoir provoqué un phénomène d'essaimage : très souvent, dans les villes ou les régions où nous sommes implantés, il existe de nombreux petits studios qui fonctionnent très bien, ce qui est positif. Les professionnels peuvent ainsi naviguer entre ces petits studios et Ubisoft.

Cet écosystème garantit une formation complète, ce qui est crucial pour entretenir l'innovation et la créativité. N'oublions pas que le jeu vidéo, par sa dimension technologique, est un secteur pionnier en matière d'innovation. Ubisoft a toujours fait le choix stratégique d'investir dans des technologies internes et propriétaires. La création récente d'un département transverse de 1 000 ingénieurs consacré aux technologies de production et dirigé depuis notre siège en France renforce cette indépendance technologique.

Il faut savoir que nous avons créé deux moteurs de jeu très reconnus, Anvil et Snowdrop, qui garantissent notre indépendance par rapport aux moteurs américains, lesquels sont utilisés par près de la moitié des acteurs du secteur.

Par ailleurs, nous développons des expertises de haut niveau grâce à notre cellule de R&D basée à Bordeaux. Nommée La Forge, celle-ci noue des partenariats fructueux avec de nombreux acteurs de la recherche, notamment française. Dans le domaine de l'intelligence artificielle générative, notre expertise se diffuse au-delà de notre secteur. Nous travaillons par exemple avec la société Nvidia, qui est très satisfaite de ce que nous réalisons ensemble. Bien sûr, chacun conserve la propriété intellectuelle de ses savoirs.

Grâce à la présence en France de notre siège social, mais aussi grâce à nos marques, à nos technologies propriétaires et au fait que nous disposons de nos propres data centers en France et en Europe, nous contribuons à la souveraineté numérique de notre pays. Nous avons par exemple racheté il y a quelques années l'hébergeur i3D.net, qui est devenu l'une de nos filiales. Ce centre serveur reçoit certains de nos jeux, mais héberge aussi de nombreuses sociétés. Cela nous confère une belle indépendance par rapport au cloud public.

Cette attractivité du territoire français pour le développement de projets à grande visibilité offre à la France un rayonnement culturel, créatif et technologique important sur la scène internationale. Ainsi, des millions de joueurs aux quatre coins du monde peuvent parcourir les rues de Paris pendant la Révolution française en jouant à Assassin's Creed Unity ou revivre les destins brisés par la Première Guerre mondiale en jouant à Soldats inconnus : Mémoires de la Grande Guerre. Notre studio de Montpellier a été récompensé aux Pégases, qui sont l'équivalent des Césars pour le jeu vidéo.

Ubisoft fait partie intégrante du paysage culturel français et contribue significativement à véhiculer nos valeurs et nos imaginaires dans le monde entier. En témoigne le vibrant hommage qui a été rendu à Assassin's Creed lors de la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques et Paralympiques en 2024, un personnage inspiré de cet univers ayant été présent tout au long de la cérémonie.

En raison d'une forte croissance, le secteur fait l'objet d'une importante concurrence d'autres pays européens, mais surtout des États-Unis, de la Chine et du Japon. Désormais, réaliser un jeu vidéo est une vraie prise de risque. Nous avons en France la chance de disposer d'un écosystème du jeu vidéo très créatif, innovant et attirant des talents hautement qualifiés et reconnus internationalement, ce qui représente un atout économique et compétitif crucial. Selon nous, il est essentiel de le préserver et de bien s'en occuper.

Pour cela, nous avons besoin de prévisibilité. Lorsque la loi de finances pour 2024 a borné le dispositif du CIJV à 2026, sans aucune concertation, nous avons eu un petit peu peur. En effet, cela envoyait le message que les choses pouvaient très vite évoluer, alors que la production d'un jeu vidéo se fait sur le long terme. La dernière loi de finances a reporté ce bornage à 2031, ce qui est plus réaliste, mais ne comporte aucune indication sur le calendrier, la méthodologie ou les critères retenus.

Au printemps dernier, dans une revue des dépenses, l'inspection générale des finances (IGF) préconisait la suppression du CIJV, tout en admettant ne pas avoir évalué le dispositif ni consulté les acteurs du secteur. Or il nous semble inconcevable de proposer la suppression d'un outil stratégique sans avoir au préalable évalué de manière approfondie les répercussions d'une telle mesure, ne serait-ce que pour éclairer le débat public, et même si nous comprenons qu'il existe des nécessités budgétaires.

L'industrie du jeu vidéo appelle de ses voeux depuis plusieurs années une évaluation du CIJV. Tous les indicateurs économiques attestent l'efficacité de ce dispositif ; il est nécessaire de disposer d'une étude de référence sur ce sujet.

Dans un secteur créatif aussi risqué que le jeu vidéo, où le succès d'un jeu n'est jamais garanti, les aides publiques permettent aux entreprises de garder le cap sur le long terme, d'accélérer leur développement dans les bonnes années et de faire face aux mauvaises. Le jeu vidéo traverse depuis deux ans une crise globale ; la France a été protégée de ses impacts les plus graves grâce à sa compétitivité liée au CIJV. Il est primordial de préserver ce qui fonctionne et qui a prouvé son efficacité.

Ce crédit d'impôt est devenu une référence à l'international. Le succès du modèle québécois a de même permis de faire de Montréal la capitale mondiale du jeu vidéo en seulement vingt ans. Convaincus de la portée stratégique de cette industrie, les gouvernements du monde entier se sont inspirés de cette réussite et soutiennent désormais le jeu vidéo.

Il faut comprendre que le jeu vidéo est souvent précurseur de nombreuses industries technologiques. Beaucoup de pays ont pris conscience que, après quinze ans, Montréal est devenue une plaque tournante, non seulement pour le jeu vidéo, mais aussi pour tout l'écosystème qui gravite autour de ce secteur.

Des dispositifs d'aides publiques pour attirer les acteurs du jeu vidéo ont été mis en place dans de nombreux pays à travers le monde, après le Canada et la France. Plusieurs pays d'Europe, d'Asie, du Moyen-Orient et d'Océanie ont suivi cette voie.

L'Allemagne, après avoir constaté son retard, est le dernier pays en date à avoir prévu la création d'un crédit d'impôt pour le jeu vidéo dans l'accord de coalition de son nouveau gouvernement, afin de renforcer la compétitivité internationale de son site de production de jeux vidéo en améliorant la prévisibilité et la précision du système de financement. Les données que nous vous présentons illustrent l'attractivité de certains de ces dispositifs.

Nous sommes conscients du contexte budgétaire actuel, mais il sera nécessaire, à un moment donné, de réfléchir à notre CIJV afin d'apporter une réponse adaptée aux défis du contexte mondial, car ce dispositif n'a pas beaucoup évolué récemment. Conçu en 2008, il n'est plus totalement adapté à la façon dont les jeux sont créés en 2025.

Avec l'ensemble de l'industrie française, nous avons formulé des recommandations sur les améliorations possibles, concernant notamment la durée d'éligibilité des coûts. Auparavant, les jeux nécessitaient deux à trois ans de développement, alors qu'ils peuvent maintenant requérir cinq, six, voire sept ans. Or, seulement trente-six mois sont pris en compte dans le dispositif actuel. De plus, certains jeux continuent à évoluer après leur lancement, avec l'ajout d'événements complémentaires. Il est donc nécessaire d'adapter le CIJV à cette réalité.

La France doit proposer une vision industrielle pour le jeu vidéo, une stratégie à dix ans au moins, capable d'offrir aux entrepreneurs et aux investisseurs une stabilité fiscale et réglementaire propice à la prise de risque. Les investisseurs qui s'engagent dans le jeu vidéo le font pour de nombreuses années, étant donné les durées de développement des jeux. Il est essentiel qu'ils aient une visibilité sur le maintien du crédit d'impôt à long terme afin de favoriser un tel engagement dans la durée.

Toute l'industrie du jeu vidéo est animée par ce goût de la prise de risque. Avec le CIJV, l'État n'accorde pas une subvention à un secteur, mais attire des talents et des investissements internationaux ; il crée des emplois en période de croissance et les protège en période de crise. Plus que jamais, le CIJV est un vecteur essentiel pour pérenniser ce secteur vertueux et continuer à faire du jeu vidéo un acteur incontournable du rayonnement économique et culturel de la France.

M. Michel Masset, président. - Avez-vous des donneurs d'ordre ou créez-vous puis commercialisez-vous vous-mêmes dans un second temps ? Cette durée de cinq à six ans pose question au regard du marché : comment vous assurez-vous que la vente sera effective à l'issue ?

M. Yves Guillemot. - Le donneur d'ordre, bien qu'indirect, n'est autre que le client final, qui patiente lorsque nous ne sommes pas prêts. Nous ne travaillons pas pour d'autres, mais directement pour le client final.

M. Michel Masset, président. - Quel est le statut juridique de vos différentes structures dans le monde ?

M. Yves Guillemot. - Il s'agit de filiales à 100 %, au départ de la France.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous venez de répondre à ma première question sur la transparence en nous communiquant l'intégralité des chiffres. J'en déduis que vous y êtes favorable. De nombreux dirigeants se déclarent d'accord avec le principe de transparence, tout en ne souhaitant pas l'appliquer eux-mêmes.

Si l'administration publiait chaque année un tableau récapitulatif des différents dispositifs et de leurs montants, vous n'y verriez pas d'objection ?

M. Yves Guillemot. - La seule difficulté est que nous ne souhaitons pas communiquer publiquement sur le coût de projets spécifiques sur lesquels nous travaillons, notamment auprès des joueurs et des joueuses. Il s'agit parfois d'une information confidentielle que nous ne divulguons pas. Hormis ces cas particuliers, nous n'avons bien entendu aucune objection à la publication de ces données.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Les 38 millions d'euros que vous avez mentionnés couvrent l'intégralité des aides, incluant le fonds du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), le Fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV), potentiellement le fonds MEDIA Europe Créative, le crédit d'impôt jeune entreprise innovante (JEI), ou encore l'IP Box si vous disposez de brevets ? Nous avez-vous communiqué la totalité des aides directes et indirectes dont vous bénéficiez ?

M. Emmanuel Martin, vice-président d'Ubisoft, chargé des affaires corporatives. - Tout à fait.

Nous ne sommes pas éligibles au FAJV, les autres dispositifs ne me disent rien. Nous ne recevons aucune aide européenne. Nous avons déjà évoqué le crédit d'impôt innovation (C2I).

Pour être complet, j'ajoute que nous percevons 300 000 euros d'aides à l'apprentissage.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Qu'en est-il des aides du Réseau recherche et innovation en audiovisuel et multimédia (Riam) ?

M. Emmanuel Martin. - Nous n'en recevons pas.

M. Fabien Gay, rapporteur. - J'imagine que vous disposez de brevets, puisque vous bénéficiez du crédit d'impôt recherche ?

M. Yves Guillemot. - Nous en déposons très peu.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Qu'en est-il du dispositif jeune entreprise innovante (JEI) ?

M. Yves Guillemot. - Nous sommes de moins en moins jeunes...

M. Fabien Gay, rapporteur. - Les 38 millions d'euros évoqués couvrent-ils également l'intégralité d'Ubisoft France, incluant les six studios déjà cités ainsi que les nombreuses structures créées en parallèle, ou acquises ?

M. Yves Guillemot. - Ce chiffre couvre effectivement l'intégralité du groupe.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Revenons sur le tableau qui a été projeté et qui compare les subventions accordées dans différents pays, notamment le Canada, le Royaume-Uni, Singapour et l'Allemagne.

Le choix de vous implanter au Canada, par exemple, est-il directement lié aux aides publiques ou à la fiscalité avantageuse pour le secteur du jeu vidéo ou à d'autres facteurs comme la présence de compétences spécifiques et l'accès au marché nord-américain ?

M. Yves Guillemot. - Le premier critère de choix était les subventions octroyées par le Canada, le second, le fait que ce pays offre l'opportunité de développer nos activités dans un pays francophone sur le territoire nord-américain.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Le faible montant des aides accordées par l'Allemagne est surprenant, dans la mesure où ce pays est souvent cité en exemple pour son environnement favorable aux entreprises. Certes, le nombre d'employés diffère significativement entre les deux pays, avec 4 000 salariés en France contre 670 en Allemagne. Pour autant, même en extrapolant les effectifs allemands au niveau français, la France accorde des aides trois à quatre fois supérieures.

M. Yves Guillemot. - L'Allemagne vient d'adopter, dans le cadre de son prochain budget, un crédit d'impôt destiné à combler son retard significatif en matière de soutien au secteur.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Lors de nos auditions, nous avons demandé au responsable de l'IGF que nous avons reçu quel dispositif pourrait, à son sens, être supprimé, en veillant à ne pas orienter sa réponse. Il a spontanément cité le CIJV. Comment expliquez-vous cela ?

M. Yves Guillemot. - Cela me semble s'expliquer par la méconnaissance de l'impact réel du crédit d'impôt. Celui-ci favorise la formation et attire les entreprises technologiques dans le sillage des lieux de création. Il permet de verser des salaires élevés en France, générant ainsi d'importantes charges sociales et des recettes fiscales substantielles grâce aux nombreux emplois créés.

Chaque étude d'impact menée au Canada démontre les retombées très positives de tels dispositifs pour l'écosystème. Il faut examiner attentivement ces éléments afin d'en mesurer pleinement les bénéfices économiques pour le pays.

M. Fabien Gay, rapporteur. - La remise en cause du CIJV tient notamment au fait qu'il profite essentiellement à un seul acteur dominant, en l'occurrence votre entreprise. Vos concurrents en bénéficient très peu, car votre position de leader vous permet d'écraser le marché français.

M. Yves Guillemot. - La réalité est bien différente, c'est même plutôt l'inverse. Dans l'ensemble des villes où nous sommes implantés, de nombreux studios se sont créés et rencontrent le succès. Récemment encore, l'un d'entre eux vient de lancer un jeu qui a connu un succès mondial. Dans notre pays, le talent constitue véritablement le facteur clé. Notre rôle consiste à former ces talents, qui peuvent ensuite intégrer différents studios. Bien entendu, nous nous efforçons de les retenir et de leur offrir la meilleure expérience chez Ubisoft ; cependant, leur capacité à rejoindre d'autres studios et à créer des jeux à succès mondial contribue fortement à la vitalité de l'écosystème global.

Nous ne représentons donc que 30 % des emplois directs du secteur, et ce métier a connu un développement considérable. Si vous examinez les profils des responsables des sociétés et des studios nouvellement créés, vous constaterez qu'un grand nombre des postes de premier plan y sont occupés par des anciens d'Ubisoft.

M. Emmanuel Martin. - Représentant un tiers des emplois directs, et avec cinq studios parmi les plus importants en France, il est vrai que mathématiquement nous bénéficions effectivement d'une part significative du dispositif.

Toutefois, la part d'Ubisoft dans le budget global du CIJV ne cesse de baisser. Nous en représentions 50 % au départ, mais nous en sommes aujourd'hui à un tiers, selon les chiffres du CNC. Sur les 370 projets financés par le CIJV au total, seulement 48 étaient des projets d'Ubisoft soit 13 % du total, et pour l'année dernière, ce chiffre n'était que de 7 %, avec 5 projets validés sur 67.

Ainsi, bien que nous soyons une entreprise de grande envergure qui bénéficie d'une part importante de ce dispositif, celle-ci diminue chaque année, car nous essaimons et nous permettons à de nombreuses autres structures d'en bénéficier également.

M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est l'IGF qui soulevait cette question, je m'efforce de comprendre les raisons qui l'ont conduite à cela. Une autre explication est peut-être liée au fait que votre chiffre d'affaires s'élève à 2,3 milliards d'euros, vos bénéfices à 750 millions d'euros, mais que vos impôts payés en France ne représentent que 25 millions d'euros, selon les montants que vous avez communiqués. Ainsi, l'accompagnement de 38 millions d'euros est significatif, comparé au montant d'impôts payés en France. Il est légitime de vérifier l'efficacité de cette subvention substantielle, de cet engagement lourd de l'État, pour maintenir vos studios et 4 000 emplois sur le territoire national.

De plus, le crédit d'impôt recherche existe depuis longtemps sans avoir été révisé, la dernière refonte du système remontant à 2017. Il est assez normal de contrôler son efficacité, s'agissant d'une aide publique et d'un dispositif fiscal accordé chaque année par un vote du Parlement.

D'une année à l'autre, il peut être reconduit, modifié, amélioré ou réduit, surtout dans un contexte de recherche de 40 milliards d'euros d'économies.

M. Yves Guillemot. - Il est bien entendu nécessaire de comparer le montant des aides à celui des impôts que nous avons acquittés, mais il convient également de le mettre en regard des 310 millions d'euros de salaires et de charges que nous versons chaque année. C'est important et cela constitue le critère de comparaison retenu par les Canadiens. Les salariés payent des impôts. Lorsque nous faisons revenir des Français partis à l'étranger, lorsque nous permettons à des Français de progresser dans le métier du jeu vidéo pour devenir des experts du domaine et bénéficier ainsi de rémunérations intéressantes, ces personnes s'acquittent de leurs impôts. Vous devez donc prendre en compte l'apport fiscal de ces individus, car c'est la valeur créée par ces personnes qu'il faut également considérer.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Cela me semble un peu tiré par les cheveux !

M. Yves Guillemot. - Sans cette puissance dans notre industrie, nous ne disposerions pas de ces métiers et tous ces talents partiraient à l'étranger, dans d'autres sociétés. Nous sommes parvenus à faire revenir de nombreux talents.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Avez-vous un chiffre à ce sujet ?

M. Yves Guillemot. - Je ne suis pas en mesure de fournir un chiffre précis, mais je peux vous affirmer que de nombreuses personnes, après avoir parcouru le monde, reviennent régulièrement en France pour travailler dans nos studios. Elles y trouvent des projets d'un calibre qu'elles ne rencontrent pas dans d'autres pays.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Le rapprochement avec la firme chinoise Tencent, qui fait l'actualité, suscite des interrogations.

Vous allez céder trois titres, dont Assassin's Creed, en coproduction, et laisser la licence pour qu'ils puissent l'utiliser. Pouvez-vous nous en dire davantage et répondre aux craintes des salariés dont vous venez de parler ? Ceux-ci redoutent qu'Ubisoft se sépare à terme d'un certain nombre de studios ou de salariés dans le cadre de ce rapprochement.

M. Yves Guillemot. - Nous avons récemment annoncé l'investissement de Tencent dans une entité spécifique détenant trois de nos marques phares : Assassin's Creed, Far Cry et Rainbow Six.

Cette société, créée au sein d'Ubisoft, ne possède que ces trois actifs majeurs. Cette entité ne détiendra pas les marques elles-mêmes, mais versera des royalties à la société Ubisoft Entertainment. En revanche, elle générera le chiffre d'affaires issu de tous les développements réalisés sur ces marques.

Concrètement, elle emploiera environ 3 000 personnes et poursuivra le développement des marques concernées. L'actionnaire Tencent a acquis environ 25 % de cette société pour un montant de 1,16 milliard d'euros, demeurant ainsi un actionnaire minoritaire. Cette opération est très positive pour l'ensemble du groupe, car elle permettra une entrée de capitaux à hauteur de 1,16 milliard d'euros et renforcera notre partenariat avec cette société qui distribue certains de ces produits en Chine.

Nous considérons donc cette évolution comme extrêmement favorable pour notre entreprise, lui offrant la possibilité de poursuivre sa croissance dans le secteur du jeu vidéo et d'aller plus loin encore avec les trois marques en question.

M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est donc la création de l'entité Ubisoft Nova.

M. Yves Guillemot. - Nous n'avons pas encore choisi de nom.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Tencent versera donc des royalties sur les trois jeux vidéo mentionnés ?

M. Yves Guillemot. - La société nouvellement créée, dont Tencent détiendra 25 % du capital, versera des royalties à Ubisoft Entertainment, et non Tencent directement.

M. Fabien Gay, rapporteur. - La situation pose la question de l'évolution de la structure actionnariale et de ses conséquences. Le statut minoritaire étant limité à deux ans, les salariés s'interrogent légitimement sur une éventuelle vente des droits d'exploitation de ces produits à Tencent à moyen ou long terme. Ils se demandent également si les deux moteurs de jeux développés par Ubisoft seront confiés à cette nouvelle société et quel sera son avenir après trois ans.

Isoler trois de vos jeux phares, générateurs de revenus, dans une filiale dans laquelle entre un éditeur de jeux chinois, Tencent, soulève des inquiétudes. Dans un contexte de difficultés ayant conduit à réduire de 10 % les effectifs au niveau mondial, la question de l'avenir après deux ans peut légitimement se poser.

M. Yves Guillemot. - Tencent est présent au capital d'Ubisoft depuis 2018. Cette situation ne constitue donc pas un grand changement par rapport à ce que nous connaissions précédemment. Tencent est simplement également partie prenante de cette nouvelle entité créée dans le but de permettre à la société de poursuivre sa croissance.

M. Fabien Gay, rapporteur. - La propriété intellectuelle et les moteurs développés par Ubisoft reviendront-ils à cette nouvelle entité ?

M. Yves Guillemot. - La propriété intellectuelle reste à Ubisoft Entertainment, à qui la société nouvellement créée va payer des royalties pour exploiter ses jeux et ses moteurs.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous pouvez donc comprendre l'inquiétude de vos salariés.

M. Yves Guillemot. - Nous échangeons régulièrement avec eux à ce sujet.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Pardonnez-moi de vous le dire, mais les informations dont je dispose sont différentes. Vous me direz que vous connaissez vos salariés mieux que moi, et vous aurez raison, mais je leur parle régulièrement. Ma dernière question porte d'ailleurs sur les aspects sociaux.

Vous le savez, l'an dernier, pour la première fois, des mouvements de grève assez historiques ont eu lieu chez vous dans le secteur des jeux vidéo. Je rappelle que ce monde est globalement assez peu réceptif, voire hostile, à la syndicalisation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, de manière assez exceptionnelle, un syndicat indépendant, non affilié à une grande organisation syndicale, s'est créé.

Ces mouvements de grève inédits ont notamment porté sur l'accord de télétravail, pratique très développée à la sortie du covid, mais sur laquelle vous semblez souhaiter vouloir revenir. Certains me posent la question d'un éventuel passage en force visant à remettre en cause ces accords, avec un double objectif : se séparer des salariés sans passer par un plan social et économique, et préparer une revente à Tencent.

M. Yves Guillemot. - Le télétravail est moins efficace qu'auparavant pour le travail de création. Si les premières années posaient peu de problèmes, plus le temps passe, moins les collaborateurs se connaissent et moins ils peuvent prendre des risques ensemble pour créer des jeux. C'est la raison pour laquelle nous avons pris la décision de réduire le temps de télétravail et de ramener la présence dans les bureaux à trois jours par semaine, afin de permettre un travail collaboratif.

Les mouvements de personnel entrant et sortant étant relativement importants, il est essentiel que ces personnes apprennent à se connaître pour être créatives et fortes ensemble. Nous avons donc décidé de modifier la structure du télétravail à l'échelle mondiale, et non spécifiquement en France, dans le but d'accroître notre efficacité.

Si cette évolution suscite de nombreuses discussions en France, elle a été mise en place et fonctionne très bien dans le reste du monde.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Pour autant, l'accord sur le télétravail continue à faire débat.

M. Yves Guillemot. - L'enjeu primordial réside dans la capacité de cette société à maintenir sa performance et son efficacité afin de créer les meilleurs jeux du marché. Il est donc essentiel que nous prenions les dispositions nécessaires pour atteindre cet objectif.

Nous mettons actuellement en place ces mesures qui, même si elles font encore l'objet de négociations en France, aboutiront à un résultat. Je peux d'ores et déjà vous assurer que ce mode de fonctionnement est opérationnel partout dans le monde.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je ne sais pas ce qu'il en est de vos salariés à l'étranger, mais vos salariés français m'indiquent qu'ils ne souhaitent pas que l'on revienne sur les cinq jours de télétravail dont ils bénéficient actuellement. Au regard du coût de la vie et du niveau des salaires, qui, contrairement à ce que je pensais, ne sont pas si élevés, certains ont fait le choix de vivre loin des studios. Il leur sera donc difficile de revenir travailler deux jours sur place, comme cela leur est imposé de manière unilatérale.

M. Yves Guillemot. - Non, pas de manière unilatérale !

M. Fabien Gay, rapporteur. - J'en veux pour preuve que de nombreux salariés ont fait grève pendant deux jours, ce qui, dans une entreprise fort peu syndicalisée comme la vôtre, était historique.

M. Yves Guillemot. - Un patron doit s'assurer que son entreprise fonctionne sur le long terme. Nous avons donc pris la décision d'engager cette négociation, qui n'est du reste pas terminée en France, afin d'améliorer la qualité de nos produits et d'assurer l'efficacité de nos process.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Une négociation est également menée sur les salaires.

M. Yves Guillemot. - En effet, comme chaque année.

M. Fabien Gay, rapporteur. - À ce stade, vous proposez un effort très faible, voire nul.

M. Yves Guillemot. - Nous avons consenti de fortes augmentations, il y a plusieurs années. Les conditions économiques du marché étant actuellement plus difficiles, nous nous adaptons.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Vous rappeliez précédemment que votre société avait réalisé 2,3 milliards d'euros de chiffres d'affaires et 750 millions d'euros de bénéfices.

M. Yves Guillemot. - Nous n'avons réalisé que 150 millions d'euros de bénéfices l'année dernière, et le résultat de cette année, qui n'est pas encore publié, devrait être nul.

M. Michel Masset, président. - Quel était le résultat en année n-2 ?

M. Yves Guillemot. - Il était négatif.

M. Michel Masset, président. - Ne pensez-vous pas que les crédits d'impôt pourraient être proportionnels au résultat de l'entreprise ?

M. Yves Guillemot. - On ne peut pas prendre la décision de créer un jeu sans connaître son coût de revient. Or la rentabilité du produit dépend des crédits d'impôt qui seront consentis. Si le montant de ces derniers varie en fonction du résultat de l'entreprise, ils ne pourront pas être pris en compte dans ce calcul de rentabilité.

M. Michel Masset, président. - Vous seriez donc opposé à une revalorisation annuelle du montant du crédit d'impôt en fonction du résultat net de l'entreprise ?

M. Yves Guillemot. - J'estime en effet qu'au regard des investissements de moyen terme qui sont nécessaires à la production de jeux, ce n'est pas souhaitable.

Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis, directrice générale des studios et du portefeuille de marques d'Ubisoft. - Je souhaite préciser que les équipes tech ne sont pas intégrées à la nouvelle entité que nous avons créée, et que le développement des trois jeux concernés reposera à parts égales sur des salariés - environ 3 000 - et sur des collaborations avec des studios allemands, français, italiens, etc. Sans ces collaborations, ces trois marques ne pourront pas atteindre leur plein potentiel. Cet élément me paraît de nature à vous rassurer sur la pérennité de cette entité.

La création d'un jeu suppose des investissements massifs, alors même qu'il est très difficile de prédire un succès commercial. Le jeu est en effet un produit culturel dont le succès repose sur une appréciation subjective qui est parfois à rebours des évaluations de la critique. De plus, entre le début de la production et la sortie d'un jeu, les goûts des joueurs ont pu évoluer et la concurrence s'est parfois installée. Nous avons donc besoin d'être accompagnés.

M. Michel Masset, président. - Pouvez-vous revenir sur les partenariats que vous avez noués avec des lycées et des universités proches de vos sites de production ?

Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis. - Nous entretenons des relations étroites avec les écoles locales - l'École nationale du jeu et des médias interactifs numériques (Enjmin), le goupe Rubika, Isart Digital, pour n'en citer que quelques-unes. Ubisoft a longtemps recruté et formé de nombreux salariés juniors issus de ces écoles. Nous avons donc eu des échanges très rapprochés : participation à l'élaboration des programmes pédagogiques, stages, parrainage de promotions, masterclass, mentorat...

M. Michel Masset, président. - Avez-vous contribué financièrement au fonctionnement de ces établissements ?

Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis. - N'ayant pas de données précises en tête, je préfère ne pas m'avancer. Nous avons, par exemple, financé une chaire d'intelligence artificielle à l'École polytechnique.

M. Yves Guillemot. - Nous recrutons beaucoup dans ces écoles qui peuvent de ce fait proposer des programmes de plus en plus performants.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je vous remercie de vos précisions sur la nouvelle entité, mais il me paraît tout de même que par cette opération vous avez logé vos trois principaux actifs dans une société sur laquelle vous conserverez la main pendant deux ans, sans garantie au-delà.

M. Yves Guillemot. - Pas du tout. Comme je l'ai indiqué, nous détenons 75 % des actions de cette société. Nous conserverons donc la main aussi longtemps que nous le souhaiterons. D'où sortez-vous cette durée de deux ans ?

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je pense que c'est plus complexe que cela. Vous avez coupé une partie de la société.

M. Yves Guillemot. - C'est au contraire très simple. Nous détenons 75 % de cette entité. Le reste des actions a été acheté par un acteur qui nous apporte des fonds pour développer les jeux concernés.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Permettez-moi d'avoir un doute. Si vous avez le droit de défendre votre restructuration, il est bien légitime que dans le cadre de cette commission d'enquête, nous interrogions cette participation d'un mastodonte chinois qui, au bout de deux ans, pourra racheter des actions s'il le souhaite.

M. Yves Guillemot. - Non ! Il ne le pourra pas puisque nous sommes majoritaires !

M. Fabien Gay, rapporteur. - J'espère que vous le resterez. En tout cas, j'entends que vous vous y engagez.

M. Michel Masset, président. - Puisque vous demandez un engagement dans la durée en matière d'aides publiques, il est naturel que nous nous assurions que vous puissiez vous aussi vous engager de manière pérenne.

M. Yves Guillemot. - J'en conviens tout à fait, mais je ne peux pas vous laisser dire des choses qui ne sont pas vraies : l'investissement d'un partenaire dans une société que nous détenons à 75 % permettra à notre groupe de continuer à se développer dans de bonnes conditions.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Il reste que vous avez fait un choix, et que celui-ci interroge. Tencent étant déjà actionnaire, il aurait pu monter au capital de la holding de groupe. Vous avez toutefois choisi de créer une nouvelle filiale, d'y loger vos trois principaux actifs et de vendre 25 % des actions à Tencent.

Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis. - Nous conservons dans notre portefeuille un grand nombre de très belles marques que nous avons bien l'intention de continuer à développer : Far Cry, Rainbow Six, Assassin's Creed, Anno, The Crew, Just Dance, Ghost Recon, Prince of Persia ou Rayman. C'est autant de travail pour les salariés français.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Les trois marques qui sont logées dans la nouvelle entité sont toutefois vos plus belles marques.

Mme Marie-Sophie de Waubert de Genlis. - Ce sont les plus matures et les plus rémunératrices.

M. Yves Guillemot. - C'est pour cela que nous avons réussi à lever 1,16 milliard d'euros. Cet argent aidera l'ensemble de l'entreprise à poursuivre son développement.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je vous remercie et je vous invite à mener un dialogue social apaisé, dans le cadre de la négociation tant sur le télétravail que sur les rémunérations. Les aides publiques visent en effet non seulement à créer des emplois, mais aussi à améliorer la qualité du cadre de travail des salariés.

M. Yves Guillemot. - Nous faisons tout notre possible pour assurer une bonne ambiance et de bonnes conditions de travail dans l'entreprise.

M. Michel Masset, président. - Je vous remercie, Madame, Messieurs. Je note votre engagement de transparence, tant sur les aides publiques que sur votre politique d'entreprise dans le temps long, Monsieur le Président.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 25.

Mardi 6 mai 2025

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 13 h 35.

Audition d'Onet - Mmes Émilie de Lombarès, présidente du directoire, Julie Champourcin, directrice des comptabilités, fiscalité et financement, et M. Steve Berteaux, directeur expertises et de la masse salariale (sera publiée ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

L'audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 40.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Arnaud Montebourg, ancien ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique (sera publiée ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

L'audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition d'Orange - Mme Christel Heydemann, directrice générale (sera publiée ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

L'audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 10.

Mercredi 7 mai 2025

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (sera publiée ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

L'audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Thales - M. Patrice Caine, président-directeur général (sera publiée ultérieurement)

Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

L'audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 10.