Mardi 6 mai 2025

- Présidence de M. Olivier Henno, président -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Audition de M. Michel Ménard, président de l'association Départements Solidaires

M. Olivier Henno, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de l'association Départements Solidaires, représentée par M. Michel Ménard, ancien député, président du conseil départemental de la Loire-Atlantique depuis 2021.

Monsieur le président, le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.

Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.

Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Ménard prête serment.

Monsieur le président, nous allons vous donner la parole pour une courte introduction d'une dizaine de minutes, avant que le rapporteur et les membres de la commission d'enquête ne vous posent des questions.

Avant cela je laisse la parole à notre collègue Thomas Dossus, rapporteur, pour qu'il vous présente les axes de travail de notre commission d'enquête.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Monsieur le président, notre commission d'enquête s'inscrit pleinement dans le coeur du métier du Sénat, puisqu'elle s'intéresse aux collectivités territoriales. Plus précisément, elle se penche ici sur les questions budgétaires et sur les contraintes croissantes qui pèsent désormais sur elles.

Cette réflexion fait suite à la dernière séquence budgétaire, marquée par de fortes tensions entre le Gouvernement et les collectivités, notamment les départements. Ces derniers se trouvent confrontés à des difficultés particulières, en raison notamment de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), mais aussi d'autres contraintes, telles que le vieillissement de la population ou encore les charges croissantes liées à leurs compétences, qui restreignent leur autonomie fiscale ainsi que leur libre administration.

Notre commission d'enquête poursuit un double objectif : recueillir les témoignages des différentes collectivités territoriales et explorer des pistes d'amélioration. Il s'agit, d'une part, d'examiner les relations entre l'État et ses collectivités et, d'autre part, de comprendre la manière dont les réformes fiscales successives ont été perçues, notamment en ce qui concerne la question des ressources, compensées ou non, mais souvent mal compensées.

C'est sur ces différents points que nous souhaiterions vous entendre aujourd'hui.

M. Michel Ménard, président de l'association Départements Solidaires. -Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de m'exprimer devant vous afin d'exprimer le point de vue de Départements Solidaires, association qui regroupe une vingtaine de départements.

Le titre de votre commission d'enquête est, à lui seul, très évocateur pour l'ensemble des élus locaux. Il résonne tout particulièrement auprès des conseils départementaux, tant il exprime une réalité qu'ils connaissent trop bien : une libre administration mise à mal, de recettes propres de plus en plus réduites, et des leviers à identifier pour faire face, demain, aux défis de l'investissement dans la transition écologique et les services publics de proximité.

Vous avez choisi de structurer vos travaux autour de trois points clés, qui structureront également mon propos introductif : la réalité contemporaine de la libre administration et de son corollaire, l'autonomie financière ; avec notamment l'analyse de l'effet ciseau, auquel les départements sont confrontés, entre la forte hausse des dépenses et la baisse de leurs recettes ; enfin, les défis de demain, placés à juste titre sous l'angle de la transition écologique et des services publics locaux.

Concernant d'abord le principe de libre administration, il convient de rappeler qu'il a valeur constitutionnelle depuis 1958, bien avant les lois de décentralisation des années 1980. Son corollaire, l'autonomie financière, bénéficiait déjà d'une protection du Conseil constitutionnel avant même la révision constitutionnelle de 2003, et ce pour une raison simple : la libre administration consacre l'existence de compétences effectives confiées aux collectivités, lesquelles ne peuvent s'exercer qu'avec les moyens correspondants.

Or, comme l'ont indiqué de nombreuses personnes et associations auditionnées depuis le début de vos travaux, Départements Solidaires ne peut que regretter le dévoiement des dispositions introduites par le constituant en 2003. Ces dispositions visaient précisément à protéger les ressources des collectivités, notamment au travers d'un minimum d'autonomie fiscale. Cette intention n'a malheureusement pas été retenue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

L'article 72-2 de la Constitution évoque une part déterminante des recettes fiscales et d'autres recettes propres dans l'ensemble des ressources des collectivités. Toutefois, la loi organique a retenu une interprétation peu ambitieuse de ces dispositions, ce qui a permis aux gouvernements successifs d'amputer progressivement les marges de manoeuvre des collectivités, et tout particulièrement celles des départements.

À cela s'ajoute le poids écrasant des dépenses contraintes qui caractérise désormais les finances départementales. Cette part prépondérante de dépenses subies porte gravement atteinte à la libre administration, en privant les départements des moyens nécessaires à la conduite de leur politique propre dans ces domaines.

Dans le prolongement du principe de libre administration, le constituant a également entendu garantir la compensation des compétences transférées ou élargies. Cette compensation s'avère aujourd'hui très largement insuffisante. Sa faiblesse rompt le lien entre décision politique et responsabilité électorale : l'État décide, les collectivités paient, perdant peu à peu la liberté d'exercer les politiques publiques pour lesquelles elles ont été élues.

L'extension de la prime dite « Ségur » en est une illustration criante. Cette décision, prise sans concertation, a été imposée, et nombre de départements se trouvent dans l'incapacité d'en assurer le financement. Comme l'a justement déclaré M. le sénateur Hugonet lors d'une précédente audition, les collectivités sont aujourd'hui réduites à être de simples agents distributeurs d'un argent qu'elles ne lèvent pas et qu'elles doivent affecter à des missions qu'on leur assigne.

Départements Solidaires formule donc plusieurs propositions visant à renforcer la protection juridique de l'autonomie fiscale des départements, afin de garantir plus efficacement le respect du principe de libre administration.

J'en viens au deuxième point : comment les finances départementales ont-elles atteint une telle situation ?

Je ne m'attarderai pas sur les chiffres, que vous connaissez parfaitement, mais je souhaite attirer votre attention sur un indicateur frappant : en 2022, l'épargne nette des départements s'élevait à 8,426 milliards d'euros ; en 2024, elle est tombée à 147 millions d'euros. Cela représente une division par 57. Aucun autre niveau de collectivité ne connaît une telle chute. Pour comparaison, l'épargne nette des régions a été divisée par deux.

Toutes les collectivités ne sont donc pas logées à la même enseigne. Les départements, eux, sont en très grande difficulté, à la fois en raison de la perte totale d'autonomie sur leurs recettes et du poids croissant des dépenses contraintes, notamment sociales. Je reviendrai sur ce point au cours de notre échange.

Le vote du budget 2025 a été extrêmement stressant pour notre échelon. Celui de 2026 s'annonce encore plus difficile si aucune décision n'est prise par l'État. Comme l'hiver dernier, nous continuerons de tenter de sensibiliser le Gouvernement à cette situation. Nous le faisons régulièrement.

Cette dégradation ne date pas d'hier, mais elle s'est aggravée de manière marquée depuis 2017, à cause d'une série de suppressions de cotisations. En 2024, l'État a collecté 205 milliards d'euros de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Seuls 96 milliards ont contribué au financement de son propre budget. En 2017, à l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée, 90 % de la TVA collectée restaient dans les caisses de l'État. Aujourd'hui, ce chiffre est tombé à moins de 50 %. La TVA, pourtant, est une taxe affectée : elle doit permettre d'allouer, par avance, le produit de l'impôt à des usages spécifiques.

Couplée à la quasi-suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - suppression repoussée à 2030 en raison de la dégradation des finances publiques -, cette évolution traduit une réalité : la politique de l'offre menée par le président Macron, fondée sur la baisse des impôts de production, a entraîné un transfert de charges évident. La TVA est majoritairement payée par les ménages, et, étant un impôt régressif, elle pèse davantage sur les ménages modestes. Il y a donc eu un transfert contributif des entreprises vers les ménages.

Pour renforcer concrètement l'autonomie financière et fiscale des départements, Départements Solidaires porte plusieurs propositions visant à transférer une part de taxes existantes, tout en ouvrant la possibilité d'un pouvoir de taux sur celles-ci.

Enfin, j'aborde le dernier point : les investissements nécessaires pour la transition écologique et les services publics locaux.

En vertu de leurs compétences en matière de protection des espaces naturels, d'alimentation, de gestion de l'eau, d'ingénierie locale, de logement et d'aménagement du territoire, les départements, qu'ils soient urbains ou ruraux, concentrent les atouts pour mener une transition écologique à la fois efficace et solidaire.

De nombreuses études montrent que la position intermédiaire du département en fait un acteur pertinent pour assurer la coordination des politiques territoriales de transition écologique. Il permet d'unifier les dynamiques des bassins de vie autour d'objectifs communs, adaptés aux réalités et aux besoins de chaque territoire.

Je prendrai quelques exemples concrets de notre action en ce domaine : la rénovation énergétique des bâtiments, notamment scolaires - nous gérons en effet de nombreux collèges -, le développement de projets alimentaires territoriaux (PAT), l'accompagnement des collectivités dans la sobriété foncière, ou encore le déploiement des énergies renouvelables.

Selon une récente étude de l'Institut de l'économie pour le climat, I4CE, les départements devront consacrer 2,4 milliards d'euros supplémentaires par an à la transition écologique d'ici à 2030. Cela représente un triplement par rapport à 2022, et 700 millions d'euros de plus que les régions. En somme, cet institut prévoit une hausse de plus de 240 % des dépenses annuelles. Sans transfert de taxes ou ressources nouvelles, un tel effort s'avérera extrêmement difficile à assumer.

La volatilité des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) a mis en lumière la fragilité de nos recettes, à laquelle s'ajoute l'effet ciseau, déjà largement exposé, du fait de l'augmentation exponentielle des allocations individuelles de solidarité (AIS) : revenu de solidarité active (RSA), prestation de compensation du handicap (PCH), allocation personnalisée d'autonomie (APA).

C'est pourquoi Départements Solidaires propose le transfert de deux taxes, en cohérence avec les compétences départementales, pour financer la transition écologique : la taxe à l'essieu et la taxe sur les certificats d'immatriculation (cartes grises), afin de financer la transition écologique.

Pour conclure, la décentralisation implique, par essence, qu'un seuil minimal d'autonomie fiscale garantisse aux élus locaux la possibilité de retrouver des marges de manoeuvre politiques, nécessaires au respect du mandat confié par les citoyens et à l'exercice effectif de leurs compétences.

Les politiques nationales conduites en la matière ont gravement affaibli les collectivités, privant le pays d'un puissant levier pour relever les défis de la transition écologique et du financement des services publics de proximité.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments que je souhaitais vous livrer en introduction de cette audition. Je suis naturellement à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le département est une collectivité dont les dépenses sont très contraintes, notamment en matière sociale, comme vous l'avez rappelé. Ces dépenses résultent de transferts importants et d'obligations fixées par la loi. Vous évoquez une expérimentation en cours concernant le revenu de solidarité active (RSA), qui pourrait ouvrir la voie à une recentralisation de certaines compétences. Cela pourrait, dites-vous, desserrer l'étau qui pèse sur l'action des départements. Pouvez-vous développer ?

M. Michel Ménard. - La question n'est pas de recentraliser ou non. Qu'il s'agisse du RSA, de la PCH ou de l'APA, le montant sera le même. La problématique demeure identique : les recettes doivent être à la hauteur des dépenses obligatoires assignées par le législateur et le Gouvernement. C'est bien là que réside le coeur du problème.

Depuis 2003, la part de compensation assurée par l'État n'a cessé de diminuer. Cette année-là, 99 % des AIS étaient compensées. Aujourd'hui, ce taux est tombé à 43 %. Pour mon seul département, cela représente, chaque année, une somme de 220 millions d'euros non compensés au titre des AIS.

Lorsque les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) se maintiennent à un niveau élevé, cette perte peut être partiellement absorbée, mais dès que leur produit s'effondre, comme ce fut le cas en 2023 et 2024, la situation tourne à l'asphyxie financière.

Je vous ai déjà décrit la situation de l'ensemble des départements : en deux ans, l'épargne nette est passée de plus de 8 milliards d'euros à 147 millions d'euros. Un tel effondrement n'est tout simplement pas tenable.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - La commission d'enquête s'interroge également sur la nature de la relation entre l'État et les collectivités territoriales. Peut-on imaginer une forme de recontractualisation de cette relation afin d'éviter qu'à chaque exercice budgétaire les collectivités soient contraintes de recourir à des rapports de force pour négocier leur équilibre financier ? Existe-t-il, selon vous, un moyen d'améliorer durablement les relations entre l'État et les collectivités ?

M. Michel Ménard. - Il faut, d'abord, instaurer un mécanisme permettant d'assurer l'équilibre entre dépenses obligatoires et recettes obligatoires. Les dépenses sociales ne peuvent continuer à être financées par les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ou par les fluctuations du marché immobilier.

Un mécanisme de financement pérenne des AIS constitue un préalable indispensable.

Par ailleurs, d'autres dépenses sociales progressent fortement. Je pense notamment à la protection de l'enfance. Permettez-moi de prendre l'exemple de mon département, la Loire-Atlantique : entre 2021 et 2024, le budget consacré à la protection de l'enfance est passé de 160 millions d'euros à 250 millions d'euros, soit une hausse de 90 millions d'euros. Cette progression n'est pas supportable à long terme.

Les causes sont multiples. La fragilité accrue des familles après la crise sanitaire y contribue, mais certaines décisions de l'État, que les départements subissent sans compensation, aggravent encore la situation.

Un certain nombre de ces décisions sont par ailleurs justifiées : la revalorisation du point d'indice des agents publics, l'extension des mesures issues du Ségur de la santé, par exemple. Mais encore faut-il que le Gouvernement précise les modalités de financement de ces avancées sociales.

Il est trop commode de décréter des mesures à effet immédiat, sans en assumer les conséquences financières. Je prendrai un exemple précis : l'an dernier, la ministre Catherine Vautrin a annoncé, en juin, l'extension du Ségur avec effet rétroactif au 1er janvier, sans prévoir la moindre compensation pour les collectivités. Quelques mois plus tard, un autre ministre, Bruno Le Maire, affirmait que les collectivités étaient mal gérées...

Si l'État cessait de nous imposer des dépenses nouvelles sans transférer les recettes correspondantes, la situation financière des collectivités serait bien moins tendue.

M. Olivier Henno, président. - Pour retrouver une autonomie fiscale, dans une forme d'idéal républicain, comment envisageriez-vous les choses ? Si vous deviez formuler un projet en la matière, quel type d'impôt retiendriez-vous ? Quel type de taux préconiseriez-vous ? Quelle proposition seriez-vous prêt à avancer ?

M. Michel Ménard. - Il est possible d'imaginer l'affectation de taxes nouvelles : j'ai déjà évoqué la taxe à l'essieu, ainsi qu'une taxe sur la vente de véhicules de type SUV. Toutefois, ces dispositifs visent principalement à permettre aux départements d'exercer leurs compétences en matière de mobilité.

S'agissant des dépenses sociales, une des pistes envisageables - et ce n'est pas une idée personnelle, puisqu'elle a été formulée tant par le président de la Cour des comptes que par le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale - consisterait à attribuer une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG) aux départements.

Il y aurait là une certaine cohérence : que la CSG, impôt à vocation sociale, serve précisément à financer les dépenses sociales. Cela supposerait un pouvoir de taux, certes encadré, mais effectif pour les départements. Ce lien entre recettes et politiques assumées localement paraît essentiel, mais il faut aussi que les départements disposent de leviers pour ajuster les recettes au niveau des dépenses qu'ils supportent.

Aujourd'hui, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) présentent une volatilité extrême. Leur affectation aux dépenses d'investissement - aménagement du territoire, logement, gestion des espaces naturels sensibles - peut se justifier, mais ces recettes aléatoires ne sauraient financer des dépenses sociales pérennes.

Dans cette perspective, la CSG constitue une piste sérieuse. Il convient de rappeler que les départements bénéficiaient auparavant d'une fraction de taxe foncière. Elle leur a été retirée. Au sein de la région Pays de la Loire, la Loire-Atlantique était d'ailleurs le département dont le taux de taxe foncière était le plus faible. Si ce levier nous était restitué, il nous offrirait des marges de manoeuvre réelles.

Le législateur peut tout à fait intervenir pour restaurer une forme d'autonomie fiscale.

D'une part, il faut assurer un lien clair entre les recettes perçues et les politiques mises en oeuvre. D'autre part, les élus doivent pouvoir assumer devant leurs concitoyens la création ou l'évolution d'une taxe, selon les besoins du territoire.

Il n'est pas admissible que les recettes soient aujourd'hui entièrement subies. Dans le débat démocratique, même avec mon opposition, il n'est plus possible d'exprimer un désaccord sur les recettes : nous les constatons, tout simplement. Nous constatons ce que l'État nous attribue à travers les dotations ; nous sommes réduits à suivre l'évolution de la dynamique du marché immobilier et des recettes tirées des droits de mutation..

D'un point de vue démocratique, il n'est pas acceptable que les collectivités territoriales n'aient plus aucune prise sur leurs ressources.

M. Olivier Henno, président. - Pouvez-vous nous dire un mot sur les péréquations verticale et horizontale ?

M. Michel Ménard. - Concernant la péréquation horizontale, les départements constituent, à ma connaissance, le seul niveau de collectivité où un tel mécanisme a été instauré.

Il est possible de vous transmettre les données précises relatives aux montants concernés, mais il s'agit de plusieurs centaines de millions d'euros. J'ai en mémoire, sous réserve de vérification, un montant de 1,7 milliard d'euros au titre de la péréquation horizontale.

Le département de la Loire-Atlantique participe au dispositif en tant que contributeur net. Cela ne soulève aucune objection de ma part, car, lorsque les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) étaient dynamiques, nos recettes dépassaient celles de nombreux autres départements.

Toutefois, il faut souligner que cette péréquation horizontale ne s'applique qu'à ce niveau de collectivité. Je déplore donc que les départements aient été de nouveau mis à contribution dans le cadre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités (Dilico), alors même qu'existe déjà une solidarité financière entre départements.

La question d'une péréquation horizontale mérite d'être posée pour les autres échelons de collectivités territoriales.

M. Jean Sol. - Je partage les constats que vous avez dressés. Vous l'avez souligné, l'autonomie financière constitue le corollaire de la libre administration des collectivités territoriales.

Dans cette perspective, quelles mesures préconisez-vous à court et moyen termes ? Il importe de déterminer les actions concrètes à engager sans délai afin de garantir l'effectivité de cette libre administration et de cette autonomie financière en dépassant les déclarations d'intention.

En tant que président de conseil départemental, vous avez décrit les difficultés que vous rencontrez aujourd'hui, difficultés que partagent d'ailleurs nombre de départements. Vous avez notamment évoqué le dispositif Dilico, que plusieurs élus dénoncent désormais.

Que pouvez-vous nous dire, très simplement, sur les leviers à mobiliser sans attendre ?

M. Michel Ménard. - Je le disais à l'instant, on pourrait tout à fait envisager d'affecter une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG) aux départements, afin de garantir, chaque année, des recettes à la hauteur des dépenses obligatoires qu'ils assument.

Il serait également envisageable de restituer aux départements une part de la taxe foncière. Après tout, cette ressource leur appartenait avant d'être supprimée et transférée au bloc communal, uniquement en raison de la suppression de la taxe d'habitation. Rappelons que l'État s'est privé, chaque année, de 66 milliards d'euros de recettes fiscales, faisant ainsi peser une partie des conséquences de cette décision sur les collectivités locales, tout en creusant parallèlement son propre déficit.

D'autres pistes peuvent être explorées. L'élargissement de l'assiette de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) en constitue une. Actuellement, cette taxe repose sur le nombre de véhicules immatriculés au 31 décembre 2003 dans chaque département. Une actualisation de ces données, en particulier dans les territoires à forte croissance démographique, s'impose. Il serait également envisageable d'étendre cette taxe à l'ensemble des contrats d'assurance ou d'en moduler le taux. De nombreuses options existent, encore faut-il en accepter le principe.

La TSCA pourrait d'ailleurs servir à financer les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), comme nous l'avons proposé. Le budget des Sdis augmente chaque année, ce qui n'a rien d'anormal : les pompiers sont de plus en plus sollicités pour les secours à la personne. L'expression « pompier de service » trouve ici tout son sens : en l'absence du Samu ou, plus largement, des services de santé, ce sont les sapeurs-pompiers qui interviennent.

Or, dans les départements, la participation du bloc communal demeure indexée sur l'inflation. Le reste, ce sont les départements qui le financent. Augmenter le produit de la TSCA ou élargir son assiette permettrait donc de renforcer leur capacité à financer les Sdis, et ainsi de limiter l'appel à leurs ressources propres, car la part de la TSCA affectée aux SDIS reste aujourd'hui très marginale au regard de l'effort financier global consenti par les départements.

D'autres pistes mériteraient d'être étudiées : permettre aux départements de percevoir une part de la taxe sur les certificats d'immatriculation - les cartes grises -, comme je l'ai indiqué précédemment, ou encore affecter une part de la taxe de séjour aux départements.

Ce que l'on nous a retiré à un moment donné peut très bien être réattribué. Il y a encore une dizaine d'années, les départements disposaient de quatre pouvoirs de taux. Aujourd'hui, ils n'en disposent plus d'aucun. Le dernier qui leur a été retiré, c'est la taxe foncière.

M. Olivier Henno, président. -L'autonomie financière et l'autonomie fiscale des départements est souvent mise en avant, et à juste titre. Mais qu'en est-il de leur autonomie en matière de dépenses, de leur liberté de choix dans l'utilisation des crédits, notamment lorsqu'il s'agit de financer une partie de la transition écologique ?

Quelle est, selon vous, la réalité des marges de manoeuvre dont disposent aujourd'hui les départements sur ce point ?

Je vous pose la question en connaissance de cause : j'ai été vice-président d'un conseil départemental avant d'être sénateur, et également maire. Je me souviens qu'à l'époque de la création de l'APA, les départements bénéficiaient d'une certaine latitude dans la mise en oeuvre de cette dépense. Progressivement, cette marge s'est toutefois resserrée, au point que tous les départements ont fini par aligner leur niveau de dépense.

Comment percevez-vous aujourd'hui votre autonomie réelle en matière de dépense ? Vous paraît-elle suffisante ? Serait-il envisageable, selon vous, de retrouver des marges de manoeuvre, quitte à permettre aux départements de faire évoluer les aides sociales ou les AIS ?

Quel est votre avis sur ce sujet ?

M. Michel Ménard. - Gaston Defferre, au moment des lois de décentralisation de 1982, avait mis en avant deux grands principes : la liberté et la responsabilité. Or, aujourd'hui, nous ne jouissons plus de cette liberté. En revanche, nous portons l'entière responsabilité de tout. Lorsque se pose la question de la protection de l'enfance, ce sont les présidents de départements qui sont systématiquement mis en cause. Lorsqu'il y a du retard dans l'instruction des dossiers de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), la responsabilité en incombe aux départements. En revanche, la liberté d'agir n'existe plus.

Concernant la question des AIS, je considère qu'il ne serait pas juste que les départements puissent moduler leur montant. Que ce soit l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) , la prestation de compensation du handicap (PCH) ou le revenu de solidarité active (RSA), il s'agit de droits ouverts pour l'ensemble de nos concitoyens qui peuvent y prétendre. Il serait inenvisageable qu'un département décide de ne plus augmenter le RSA ou l'APA pendant une dizaine d'années ou qu'il choisisse de les baisser. Ces prestations sont des compétences attribuées aux départements, mais nous avons l'obligation de les verser aux bénéficiaires dès lors qu'ils remplissent les conditions. Au contraire, c'est à l'État d'assurer les financements nécessaires pour que nous puissions assumer ces responsabilités.

Dans le même temps, en vertu du principe de libre administration des collectivités locales, nous avons la possibilité, comme les autres niveaux de collectivité, de mener certaines actions de manière discrétionnaire. Par exemple, nous pouvons décider de construire davantage de routes, d'intervenir plus ou moins dans le domaine environnemental ou d'agir davantage dans celui des collèges, au-delà de nos compétences obligatoires. C'est là l'essence même de la décentralisation, le législateur de 1982 et de 2003 ayant cherché à donner davantage de liberté et de responsabilités aux collectivités locales. Nous ne sommes pas de simples agences de l'État. Depuis 2017, nous sommes dans une situation inverse : soit nous assistons à une recentralisation, soit nous faisons face à des contraintes financières extrêmement fortes.

Je me souviens m'être battu contre les contrats de Cahors, lesquels visaient à limiter l'augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités locales. Aujourd'hui, la situation est bien pire. Nous ne sommes plus formellement contraints, mais nous sommes financièrement étouffés. Pour ma part, j'ai dû procéder à des baisses dans les domaines de la culture, de la jeunesse et du sport. Cela va à l'encontre de mes souhaits et c'est contraire au principe de libre administration des collectivités locales.

M. Christian Redon-Sarrazy. - J'aimerais vous interroger sur les relations du département avec les autres collectivités, en particulier les communes, et plus spécifiquement sur un aspect essentiel pour nos territoires : l'aide aux communes.

Je suis bien conscient que les approches diffèrent d'un département à l'autre et qu'elles évoluent selon les contextes budgétaires. Pour autant, cette aide représente un poste budgétaire important. Selon les cas, il s'agit d'un partenariat, d'une complémentarité, parfois même d'un levier d'aménagement.

Dans cette perspective, quelle est votre vision pour l'avenir ? Comment envisagez-vous l'évolution de ce lien entre département et communes dans les années à venir ?

M. Michel Ménard. - Les départements jouent un rôle essentiel dans le soutien aux investissements des communes. Pourtant, un certain nombre d'entre eux ne sont plus en mesure de remplir cette mission. Avant même d'envisager d'accompagner les projets communaux, ils doivent impérativement financer les AIS. Ce constat est regrettable.

En Loire-Atlantique, nous avons encore la capacité de soutenir les projets d'investissement des communes. J'en mesure chaque jour l'importance, notamment pour les petites communes qui, sans subvention, seraient dans l'incapacité d'investir, de construire une école ou même d'assumer leurs compétences obligatoires. Ce soutien n'est pas une compétence obligatoire pour les départements, et si les contraintes financières continuent de s'accentuer, ce sont ces aides qui disparaîtront.

C'est la raison pour laquelle j'avais alerté une ancienne secrétaire d'État de mon département, à l'époque où le gouvernement de M. Michel Barnier avait annoncé une ponction de cinq milliards d'euros sur les collectivités locales. Cette secrétaire d'État avait tenté de rassurer les maires de mon territoire, notamment ceux des communes rurales, en affirmant que seules les 450 plus grandes collectivités seraient concernées. J'avais alors expliqué que cette affirmation était fausse.

Ici, plutôt que de ruissellement, il faut plutôt parler d'assèchement. À l'époque, le département de la Loire-Atlantique était censé contribuer à hauteur de 27 millions d'euros. Aujourd'hui, dans le cadre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités (Dilico), nous versons environ 6,6 millions d'euros. J'avais alors averti : cet assèchement commencerait par l'arrêt pur et simple du soutien aux communes.

Lorsque les départements ou les régions se retrouvent en grande difficulté, ce sont les petites communes qui en subissent directement les effets. L'enjeu démocratique est majeur. Le sentiment de délaissement est déjà très fort dans une large partie du territoire, notamment en milieu rural. Si les collectivités territoriales ne parviennent plus à assurer les services publics de premier niveau, ce ressentiment ne fera que croître.

Il s'agit, au fond, d'un enjeu d'égalité républicaine. Tous nos concitoyens, quel que soit leur lieu de résidence, doivent pouvoir accéder aux mêmes services. C'est pourquoi, lorsque j'inaugure des projets financés par le département, je rappelle systématiquement qu'il s'agit d'un enjeu démocratique, d'un enjeu républicain : celui de garantir l'accès aux services publics fondamentaux sur l'ensemble du territoire.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je souhaitais revenir sur la transition écologique et les marges de manoeuvre dont vous disposez à ce sujet.

Vous avez mentionné les estimations produites par l'Institut de l'Économie pour le Climat (I4CE), des chiffres qui ne tombent pas du ciel : ils reposent sur les scénarios élaborés par l'État lui-même pour atteindre les objectifs de décarbonation et réussir la transition écologique.

Dans ce contexte, cette transition entre-t-elle aujourd'hui dans vos marges de manoeuvre ? Vous avez indiqué avoir réduit certains budgets, notamment ceux du sport et de la culture. Faut-il comprendre que, parfois, la transition écologique devient elle aussi une variable d'ajustement budgétaire, sur laquelle on cesse d'investir lorsque les contraintes financières deviennent trop lourdes ?

M. Michel Ménard. - Oui, la transition écologique peut être victime de ces contraintes. Lors de l'élaboration de leur budget, les départements commencent toujours par examiner ce qui relève des compétences obligatoires. Ensuite vient le temps des arbitrages : où faire porter les efforts ?

J'ai mentionné les réductions opérées sur les budgets du sport, de la culture, de la jeunesse. L'enjeu écologique n'a pas échappé à ces ajustements. Nous avons, par exemple, été contraints d'étaler certains investissements. Ainsi, pour la rénovation énergétique des bâtiments : un projet prévoyait la réhabilitation de dix-neuf collèges sur les quatre-vingt-deux que compte le département de la Loire-Atlantique. Ce programme sera étalé.

De la même manière, le budget consacré à l'entretien des espaces naturels sensibles a été réduit. Nous faisons en sorte que cet effort reste le plus limité possible, mais ce secteur ne peut être totalement exempté. C'est fort regrettable.

C'est la même logique que pour l'entretien des routes. Beaucoup de présidents ou présidentes de département ont été contraints de diminuer les crédits d'entretien routier. Cela peut se concevoir pendant un an, deux ans au maximum, mais les conséquences sont inéluctables. Un patrimoine non entretenu se dégrade, et les interventions ultérieures s'avèrent beaucoup plus coûteuses.

Je pourrais également évoquer, hors du champ écologique, l'entretien des ouvrages d'art. Un article de presse récent alertait sur les difficultés rencontrées à ce sujet. Là encore, faute de moyens, des travaux sont différés.

Nous avons donc besoin de ressources à la hauteur des compétences que le législateur nous a confiées.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Dans une dimension plus prospective, si l'on envisageait une nouvelle vague de décentralisation - une décentralisation heureuse, c'est-à-dire accompagnée des moyens correspondant aux compétences transférées -, quels seraient, selon vous, les domaines dans lesquels les départements auraient intérêt à se voir confier de nouvelles compétences ?

M. Olivier Henno, président. - Ma question est du même ordre. Y a-t-il des compétences nouvelles qui pourraient être transférées aux départements ou êtes-vous favorable au statu quo ?

M. Michel Ménard. - Sur les compétences qui ont été transférées de l'État vers les départements ou les régions, je ne vois pas l'intérêt de revenir en arrière. Les collèges ou les lycées sont mieux entretenus qu'à l'époque où l'État en avait la charge.

Dans un autre ordre d'idées, voilà une quinzaine d'années, l'État nous a transféré la gestion d'un barrage en très mauvais état. L'année suivante, l'État nous donnait toutes les préconisations de travaux à faire : cela nous a coûté 14 millions d'euros !

De même, sur la protection de l'enfance, je ne vois pas en quoi recréer les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass) améliorerait la situation des jeunes qui nous sont confiés.

Personnellement, j'ai une inclinaison pour la politique du logement. Certains départements portent l'idée de devenir autorités organisatrices de l'habitat. Si les départements s'emparaient de cette compétence, avec des moyens financiers dédiés - peut-être une part de la participation de l'employeur à l'effort de construction, la participation de l'employeur à l'effort de construction (PEEC), que l'on appelait autrefois le 1 % logement, qui est à 0,45 % maintenant -, il y aurait une vraie opportunité pour construire et réhabiliter. Cela serait non pas une charge nouvelle, mais une ressource nouvelle pour l'État, puisqu'on estime que les dépenses de logement représentent à l'échelle du pays à peu près 45 milliards d'euros, mais qu'elles rapportent 90 milliards d'euros.

Cependant, un certain nombre de départements, qui avaient pris la délégation « logement », se sont retrouvés en grande difficulté, les moyens nécessaires n'ayant pas été transférés. Un certain nombre de départements y ont donc renoncé. Et les préfets sont bien embarrassés, puisqu'ils n'ont plus, eux non plus, les moyens d'assumer cette compétence.

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de professeurs de droit - Mme Céline Viessant, Professeur des universités, Membre du Centre d'Études Fiscales et Financières (UR 891), Secrétaire générale de la Société Française de Finances Publiques, Université d'Aix-Marseille, MM. Matthieu Houser, Maître de conférences habilité à diriger des recherches (HDR) en droit public, Directeur de l'Institut de préparation à l'administration générale (IPAG), Université de Franche-Comté, et Matthieu Conan, Professeur de Droit public à l'École de Droit de la Sorbonne (EDS) - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de trois universitaires spécialistes du droit public : Mme Céline Viessant, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille, M. Matthieu Conan, Professeur à l'École de Droit de la Sorbonne, et M. Matthieu Houser, Maître de conférences à l'université de Franche-Comté.

Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.

Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ». Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Céline Viessant prête serment, ainsi que MM. Matthieu Conan et Matthieu Houser.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre demande d'audition. L'autonomie financière des collectivités territoriales a été réduite ces dernières années, par diverses réformes, qui ont certes prétendu compenser les ressources propres des collectivités, mais en les privant de toute possibilité d'action sur les taux et l'assiette - au point que le pouvoir de taux des collectivités est désormais des plus limités.

Aussi, nous aimerions avoir votre avis sur la portée constitutionnelle de l'autonomie financière des collectivités, ainsi que votre regard de juristes sur la question de savoir si nous n'assistons pas à une forme de recentralisation à travers ces différentes réformes fiscales.

M. Matthieu Houser, Maître de conférences à l'université de Franche-Comté. - Je vous remercie pour cette invitation et je commencerai par répondre en quelques points du questionnaire que vous m'avez fait parvenir, ce qui vous donnera ma vision de la décentralisation et des finances locales.

Mon premier constat permet de poser le cadre général de l'analyse. Il y a ce que j'appelle un malentendu de la décentralisation et des finances locales, qui tient au hiatus entre deux éléments : la réalité juridique, constitutionnelle, le principe constitutionnel d'unité de la République qui fait des collectivités un mode d'administration de l'État et qui n'ont, à cette aune, aucune existence politique, d'une part ; la réalité pratique, quotidienne, où les collectivités participent à toutes les politiques publiques locales et qu'elles effectuent, par exemple, les trois-quarts de l'investissement public, d'autre part.

Ce malentendu, que je qualifie de « schizophrénie » devant mes étudiants, n'est pas réglé par la Constitution, loin de là. L'article 1er mentionne bien l'organisation décentralisée de la République, mais cela n'a aucun sens. Et en termes de finances locales, le principe d'autonomie financière n'a aucune portée. De mon point de vue, s'il n'était pas inscrit dans la Constitution, la situation serait identique à celle que nous connaissons,.

Le deuxième constat porte sur la situation des finances locales. Nous vivons depuis 15 ans une succession de réformes à un rythme effréné. Ces réformes ne cessent de modifier le champ des finances locales, mais elles n'ont pas été conçues pour servir les collectivités locales : ces réformes répondent à d'autres objectifs. Ainsi, en 2010, on a supprimé la taxe professionnelle, avec pour seul objectif de diminuer la charge fiscale des entreprises - cette réforme ne cherche pas à améliorer les finances locales, mais à aider les entreprises, et on a réduit au passage le pouvoir de taux des collectivités. En 2017, la réforme de la taxe d'habitation répond à deux objectifs : réduire l'inégalité devant cet impôt, même si ce n'était pas le coeur du problème - et obtenir du soutien électoral. En 2021, nous avons supprimé la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) cette démarche s'inscrit dans le cadre du plan de relance mis en oeuvre à la suite de la crise sanitaire - là encore, la volonté n'était pas de réformer les finances locales. Le législateur court après les réformes, multiplie les dispositifs pour répondre au désordre créé par la réforme précédente, par exemple en matière de péréquation. Entre-temps, il a supprimé le pouvoir de taux, c'est un fait et, à mon sens, on ne peut plus revenir dessus. La situation des finances locales est donc très étrange, avec des réformes nombreuses qui changent la situation des finances locales, mais à aucun moment ces réformes n'ont été conçues pour les collectivités locales.

Le troisième constat, c'est la politique drastique de maitrise des finances publiques avec l'encadrement des dépenses des collectivités, un mouvement qui, à mon sens, va s'accentuer. Ce n'est pas parce que la contractualisation (les contrats de Cahors) n'a pas été renouvelée en 2022 qu'elle a disparu, je suis convaincu qu'elle va revenir dans les mois qui viennent. Dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, la baisse en volume des dépenses des collectivités est très forte, elle est à moins 0,5 %.

Quatrième constat, nous en venons au coeur de votre sujet, le besoin d'investissement très important des collectivités pour financer la transition écologique - l'Institut de l'Économie pour le Climat (I4CE) estime qu'environ 10 milliards d'euros supplémentaires par an sont nécessaires.

Dès lors, je dirais qu'il y a deux visions différentes de la décentralisation. Il y a d'abord celle que j'appellerais la vision étatique de la décentralisation, qu'on voit à l'oeuvre loi après loi. C'est celle où l'État, par le biais du législateur, contraint constamment les collectivités, que ce soit consciemment ou non. Le recours aux subventions illustre cette pratique. Alors qu'elles avaient presque disparu en 1982-1983, elles ont été rétablies depuis 2010, leur montant s'élève aujourd'hui à environ 4,5 milliards d'euros, dont l'usage est très étroitement contrôlé par le préfet, en particulier les dépenses d'investissement. À l'inverse, on peut imaginer une vision plus décentralisatrice, avec un premier élément simple consistant à transformer ces subventions en dotations d'investissement, ce serait une réforme à droit constant qui ne demanderait nul changement de la Constitution ou de la loi organique - mais ce serait un pas important vers la décentralisation.

Le dernier point sur lequel je veux insister, c'est que l'enjeu de la décentralisation porte moins sur le pouvoir fiscal des collectivités proprement dit, que sur leurs marges de manoeuvre. Il faut y réfléchir dans ces termes : comment recréer des marges de manoeuvre pour décider, pour choisir des projets, pour investir ? Dans le contexte actuel, la seule solution me parait l'emprunt et il me semble que c'est cette voie qu'il faut encourager. Les collectivités peuvent emprunter pour investir, cela me semble beaucoup plus utile pour avancer que de réfléchir aux façons de renforcer leur autonomie fiscale et d'inventer de nouveaux impôts locaux. C'est ma vision personnelle et je tenais à vous en faire part.

Mme Céline Viessant, Professeur à l'Université d'Aix-Marseille. - En préambule, je précise qu'en plus de mes fonctions universitaires, je suis élue d'une commune de moins de 3 000 habitants située en zone de montagne : cela me rend sensible à certains problèmes pratiques de financement local. Bien que je ne sois pas une grande spécialiste des finances locales, j'ai acquis une certaine expertise dans le domaine de la fiscalité de l'environnement, sur lequel je travaille depuis de nombreuses années. Ces derniers temps, j'ai été sollicitée à plusieurs reprises pour étudier le lien entre la fiscalité de l'environnement et les collectivités territoriales.

Je vais donc axer mon intervention liminaire sur le lien entre l'environnement et les finances locales.

Les réformes successives de la fiscalité locale ont eu un impact négatif sur la capacité des collectivités territoriales à mener des politiques environnementales - c'est un exemple parmi d'autres de la baisse de capacité des collectivités à mener des politiques publiques, en particulier celles qui leur sont imposées par les transferts de compétences. La réduction de la part de la fiscalité dans les ressources propres des collectivités a diminué leurs moyens de financer ces politiques, c'est vrai pour la politique environnementale comme pour les autres politiques publiques.

Ensuite, le remplacement de certains impôts locaux par des dotations se traduit par une recentralisation : les transferts de l'État ne sont pas des ressources propres, lesquelles sont l'un des critères de l'autonomie des collectivités locales.

Les exigences de la transition écologique ont-elles des effets sur les budgets des collectivités territoriales ? Certainement, mais cette question est politique plutôt que juridique, puisqu'il s'agit de savoir ce que les collectivités doivent faire face au changement climatique - et, à partir de là, de définir des contraintes, qui auront un impact direct sur les finances locales. Les catastrophes naturelles ont déjà un impact direct sur les collectivités et leurs finances. Sur ma commune, nous avons eu l'an passé des crues très importantes qui ont fait des dégâts en particulier sur des équipements publics comme notre école, implantée dans des bâtiments centenaires qui ont été inondés.

Le Conseil constitutionnel peut-il faire prévaloir l'objectif de transition écologique sur le principe de libre administration des collectivités ? Je suis intervenue sur le sujet l'an passé au Conseil constitutionnel, ce qui m'a donné l'occasion d'examiner la jurisprudence constitutionnelle en la matière. Ce que j'ai constaté, c'est que le Conseil n'a pas eu l'occasion de faire prévaloir la transition écologique sur le principe de libre administration et qu'il est plutôt réservé, de manière générale, à utiliser les normes constitutionnelles environnementales, en particulier la Charte environnementale. Les questions environnementales nécessitent souvent des évaluations que le Conseil constitutionnel n'est pas en mesure d'opérer - c'est un peu comme en matière de sincérité budgétaire, le Conseil est réservé parce qu'il n'est pas en capacité d'évaluer si la loi de finances est sincère. La jurisprudence constitutionnelle invoque les objectifs environnementaux, mais le Conseil constitutionnel rappelle qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de la même nature que celui du Parlement.

Autre question sur laquelle j'ai travaillé et qui a un intérêt pour votre commission d'enquête : la fiscalité verte peut-elle être le levier de renouvellement ou de réaffirmation des marges de manoeuvre financière des collectivités territoriales ? J'y réponds par la négative, du fait de plusieurs obstacles de nature différente.

Il y a d'abord des obstacles institutionnels, au premier chef le fait que les collectivités n'ont pas de compétence fiscale - le Parlement est tout puissant en la matière, c'est lui qui détermine l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions, y compris des impôts locaux, les collectivités n'ont qu'un pouvoir très limité de choisir le taux dans la fourchette fixée par le législateur. Ensuite, le législateur a intégré dans d'autres taxes de nombreuses mesures fiscales qui avaient des fins environnementales et qui étaient perçues par les collectivités - cette intégration dans des taxes locales ou étatiques, réduit la visibilité environnementale des taxes locales, c'est le cas de la taxe départementale des espaces naturels sensibles qui a été intégrée en 2010 dans la taxe d'aménagement. De plus, il y a eu une dilution de la fiscalité locale liée à l'environnement dans la fiscalité étatique : c'est le cas de la fiscalité locale de l'électricité, avec la suppression des taxes locales sur la consommation finale d'électricité qui ont été intégrées dans les taxes étatiques sur les énergies. Cette politique a tendance à réduire la place des taxes environnementales dans le système local.

Il y a ensuite des obstacles techniques, et d'abord le fait que les objectifs de la fiscalité environnementale ne convergent pas avec ceux de la fiscalité locale. L'objectif des taxes environnementales, c'est d'avoir un effet positif sur l'environnement, elles ne visent pas à générer des revenus ; comme l'a très bien dit Aurélien Baudu, une taxe environnementale doit être biodégradable, elle doit disparaître si elle atteint son objectif. Or, la fiscalité locale, elle, a pour objectif de dégager des ressources pour les collectivités locales, elles ont besoin de taxes avec un rendement budgétaire stable et constant, ce qui n'est pas le cas des taxes environnementales. Cette discordance rend impossible, à mon sens, de construire la fiscalité locale sur des taxes environnementales - c'est mécanique, puisque le rendement d'une taxe environnementale décroit à mesure qu'elle atteint son objectif. Deuxième obstacle technique, l'affectation : une taxe locale est affectée au budget général de la collectivité territoriale. Or, une taxe environnementale, pour fonctionner correctement, doit être en partie ou en totalité affectée à un objet environnemental. Les taxes environnementales sont certainement à intégrer dans le panier fiscal des collectivités, mais elles ne peuvent donc pas constituer le socle de la fiscalité locale.

M. Matthieu Conan, Professeur à l'École de Droit de la Sorbonne. - Partageant le diagnostic qui vient de vous être présenté, je vous ferai part de ma vision peut-être plus personnelle de l'évolution des finances locales. Je pense que nous sommes sortis, depuis une quinzaine d'années, avec la réforme la taxe professionnelle, du schéma que nous connaissions de longue date. Jusqu'en 2010, la fiscalité locale était présentée par l'examen des quatre « vieilles » contributions directes qui ont fondé, dans un premier temps, la fiscalité de l'État. Cette fiscalité directe avait vite été dépassée par la fiscalité indirecte puis, à partir de la création d'impôts sur le revenu, la fiscalité qui était jusqu'à présent la fiscalité directe d'État a été « déclassée » en fiscalité locale. C'est sur cette base historique que nous avons fondé la réflexion sur les finances locales et que le système a fonctionné tant bien que mal, y compris au moment du lancement de la décentralisation.

C'est ce schéma que l'on enseignait encore il y a quelques années, mais qui a disparu. Il se perpétue d'une certaine manière pour le bloc communal, puisque ce qui reste de cette fiscalité dite des « quatre vieilles » a été transféré aux communes et aux intercommunalités - on l'identifie très bien, y compris dans ses aménagements. Ce que l'on n'identifie moins bien, c'est ce qui relève de l'autre bloc, formé par les départements, les régions, et j'y ajoute les métropoles - et qui bénéficie principalement d'une autre forme de fiscalité, la fiscalité partagée par l'État. C'est ce mouvement de partage d'une partie de la fiscalité d'État, qui fait que la TVA est devenue le premier impôt local au profit des collectivités territoriales.

Cette deuxième logique ne s'appréhende pas de la même façon que la première, y compris sur le plan constitutionnel, conduisant à reconsidérer le principe de libre administration des collectivités locales consacré à l'article 72 de la Constitution et les logiques financières inscrites à l'article 72-2. Il faut le souligner, l'autonomie financière et l'autonomie fiscale ne coïncident pas : le Conseil constitutionnel concède, parce qu'il ne peut pas faire autrement, une autonomie financière, qui, en pratique et comme Matthieu Houser vient de le dire, ne sert à rien et qui est factice ; mais le Conseil constitutionnel se refuse à reconnaître l'autonomie fiscale à proprement parler.

Je crois utile aussi de mentionner l'article 47-2 de la Constitution sur les obligations comptable des administrations publiques. Un nouveau système de comptabilité est applicable à toutes les collectivités, conformément à l'instruction budgétaire et comptable M57, à compter du 1er janvier 2025. Le nouveau référentiel budgétaire et comptable passe par des certifications des comptes locaux, c'est l'occasion d'examiner ce qui est possible de faire notamment pour l'environnement, et quelles sont les évolutions souhaitables, qui seront différentes selon les types de collectivités. C'est probablement une dimension à intégrer à vos réflexions.

- Présidence de M. Jean-Raymond Hugonet, vice-président -

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous parlez de deux visions de la décentralisation, l'une étatique, qui passe par des subventions, et une autre, dont je n'ai pas bien saisi les modalités : pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

M. Matthieu Houser. - La deuxième vision de la décentralisation pourrait s'opérer dans le cadre juridique actuel, donc sans modifier la Constitution ni la loi organique, ce qui me parait de loin préférable. Elle passe par davantage de pouvoirs donnés aux collectivités en matière financière. Un exemple très simple : il est possible de donner plus de marge de manoeuvre aux établissements publics de coopération intercommunale et aux communes par l'intermédiaire du Fonds de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC). De même, il est possible de leur donner la possibilité de modifier la répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF), actuellement imposée par l'État. Il est également possible de transformer les subventions en dotations d'investissement libres d'affectation par les collectivités - elles pourraient ainsi financer les projets qu'elles souhaitent indépendamment de l'accord du préfet.

Le débat actuel me parait beaucoup trop centré sur l'autonomie fiscale des collectivités, alors que des progrès sont peu probables en la matière et pas nécessairement utiles, surtout par comparaison à cette notion de marges de manoeuvres. De même, je trouve dommage qu'on ne se concentre pas assez sur le dynamisme des ressources des collectivités, alors qu'il y a ici aussi des marges de manoeuvre. Il y a aussi la question des départements, leurs dépenses d'investissement sont considérablement réduites : est-ce un choix ? Ce n'est pas certain, à tout le moins il est dommage de ne pas se poser ce type de questions.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Il s'agit donc d'une modification dans le cadre actuel.

Madame Viessant, vous semblez écarter la fiscalité verte comme possibilité de financement pour les collectivités. Or, la fiscalité verte a des vertus, par exemple le principe du pollueur payeur : si le mécanisme fonctionne, le pollueur paye et il n'y a pas besoin d'investissement supplémentaire. La fiscalité verte n'est-elle donc pas un moyen pour les collectivités d'obtenir de quoi investir, dans certains domaines ?

Mme Céline Viessant. - Certainement, la fiscalité verte peut être mobilisée pour des actions précises en matière d'environnement, mais pas comme base pérenne de la fiscalité locale.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Quand on rénove un bâtiment, par exemple, il y a aussi un retour d'investissement.

Mme Céline Viessant. - Quand on utilise une taxe pour une action environnementale précise, le deuxième obstacle que je signalais disparait, puisque la taxe sert directement l'action visée, plutôt qu'être versée au budget général. Mon propos était plus large, il soulignait que la fiscalité verte n'était pas adaptée à la constitution d'une fiscalité locale, puisque le rendement de la fiscalité verte est appelé à disparaitre quand l'objectif environnemental est atteint, alors que la fiscalité locale a besoin de taxe de rendement.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ?

Mme Céline Viessant. - C'est différent : cette taxe a été instituée pour du rendement, puis elle a été « verdie », ce n'est pas une écotaxe à proprement parler.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - J'ai le sentiment qu'un consensus se dégage entre vous pour dire que la notion d'autonomie financière ou fiscale des collectivités locales n'a pas de portée constitutionnelle. Y a-t-il une réforme constitutionnelle à faire, qui améliorerait la contractualisation des relations entre l'État et les collectivités locales ?

M. Matthieu Houser. - Une réflexion et une modification de l'autonomie financière apporteraient un peu plus d'harmonie dans les relations État-collectivité, qui sont aujourd'hui difficiles, on le voit avec la réapparition et l'essor des subventions.

En réalité, la question première est de savoir ce que l'on veut faire de l'autonomie financière. Si c'est pour essayer d'instituer de l'autonomie fiscale, on tourne en rond. L'autonomie financière, c'est éviter que l'État ne passe par davantage de subventions, ou qu'il impose des baisses de dépenses ou de ressources aux collectivités.

Le débat sur l'autonomie fiscale, lui, touche au caractère unitaire de l'État : dire qu'on veut l'autonomie fiscale des collectivités, c'est vouloir changer la nature de l'État, c'est un choix politique très fort. Veut-on, par exemple, inscrire dans la Constitution que les collectivités doivent avoir 25 % de leurs ressources avec un pouvoir de taux sur des bases localisées ? Je ne suis pas convaincu que ce soit notre culture juridique, on l'a constaté en 2003 quand on s'est rendu compte que plus on avançait dans le projet de réforme pour plus d'autonomie financière des collectivités, plus on remettait en question la nature unitaire de l'État.

En revanche, on peut conforter l'autonomie financière et éviter que loi de finances après loi de finances, des mesures diminuent les ressources des collectivités, ce qui conduit ensuite à devoir accorder des subventions. Je doute qu'il y ait une majorité au Congrès pour modifier la Constitution, mais je pense que par la loi organique, on peut réussir à faire quelque chose dans ce sens pour l'autonomie financière. Et cela apporterait plus de stabilité dans le pays, notamment dans la relation État-collectivités, c'est important parce que les collectivités sont au coeur de toutes les politiques publiques.

M. Matthieu Conan. - Effectivement, il ne faut pas rouvrir la boîte de Pandore, les modifications constitutionnelles ont déjà pris bien du temps, et il y a eu une forte incertitude entre 2003 et 2004, mieux vaut éviter d'en repasser par là.

La notion d'autonomie financière n'est pas inscrite directement dans la Constitution, elle est dans la loi organique qui a suivi. On a essayé de créer des ratios d'autonomie financière, ils ne veulent plus rien dire, les élus locaux n'ont jamais eu le sentiment qu'ils étaient autonomes financièrement, c'est un euphémisme - mais pourtant le Conseil constitutionnel leur dit, en appliquant les ratios, que le pourcentage d'autonomie financière augmente. Il faudrait revoir ces ratios, ils fonctionnent à l'inverse de ce que les élus ressentent sur le terrain, c'est un hiatus à corriger.

Comment améliorer ces ratios ? On a abordé les choses seulement du point de vue des ressources, pas des dépenses, alors que c'est un aspect décisif par exemple pour les départements, qui subissent des dépenses obligatoires en augmentation. Et il y a ce refus très net de toute autonomie fiscale pour les collectivités locales. Elle n'existe plus que partiellement, pour les « quatre vieilles », seulement pour le bloc communal et intercommunal, donc pas pour les départements et les régions, qui ont des dépenses obligatoires. Il y a, cependant, des petits bouts de pouvoir fiscal qu'il est possible de mobiliser, par exemple un surcroit de taxes d'habitation sur les résidences secondaires, une augmentation de la taxe de séjour, qui redonneraient un peu de marges de manoeuvre. On oublie ce fait très important : les collectivités locales doivent équilibrer leur budget, il faut donc qu'elles aient des marges de manoeuvre pour y arriver.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Les ratios ne s'opposent-ils pas, dans les faits, à la liberté d'administration des collectivités, en leur imposant des choix politiques ?

M. Matthieu Houser. - Il faut distinguer deux choses. D'abord les indicateurs liés aux ressources propres, qui augmentent puisqu'on y inclut la TVA, qui n'est pourtant pas liée au territoire. Il y a, ensuite, les indicateurs budgétaires, et c'est sur eux qu'il faut travailler. Les ratios budgétaires actuels datent de la loi du 6 février 1992 sur l'administration territoriale de la République, ils n'ont pas été modifiés depuis. Des magistrats budgétaires considèrent qu'ils sont encore pertinents, ce n'est pas mon avis - je leur reproche en particulier de n'avoir aucune portée pluriannuelle, ce qui est un défaut évident lorsqu'on parle d'investissement, surtout quand le budget annuel doit être à l'équilibre réel...

M. Jean-Baptiste Blanc. - Notre commission d'enquête réfléchit au financement de la transition écologique par la fiscalité locale. Je suis intéressé par l'idée que toute nouvelle compétence nécessite un nouveau financement. Or, de quel financement dispose-t-on ici ? De dotations de l'État, dont nous savons qu'elles ne suffiront pas et qui ont, de surcroit, le défaut d'être attribuées de manière assez unilatérale, ce qui rendrait utile une véritable gouvernance des dotations de l'État aux collectivités locales - celle du Comité des finances locales ne suffit pas. Il y a les taxes affectées, nous avons eu le débat. Mais il y a aussi la fiscalité locale et je suis surpris de voir que deux décennies après la loi organique, on ne parle toujours pas d'autonomie financière et fiscale des collectivités, levier pour instituer un nouvel impôt local plus écologique, pour financer les nouvelles compétences de la transition écologique dans lesquelles il y a le zéro artificialisation nette (ZAN). La Constitution a été révisée, une loi organique a été adoptée, les collectivités disposent de l'autonomie financière et fiscale, mais on fait comme si rien n'était possible...

M. Matthieu Conan. - Elles n'ont pas d'autonomie fiscale.

M. Jean-Baptiste Blanc. - C'est tout l'objet du débat. Je ne suis pas d'accord avec votre analyse, puisque l'article 72-2 de la Constitution dispose que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. » Qu'est-ce qu'une part prépondérante de ressources propres ? Les collectivités locales ne l'ont pas précisé, ni le Conseil constitutionnel - lequel considère que le partage de TVA par l'État participe de cette autonomie, alors que ce n'est pas un impôt local, c'est un impôt européen que l'État partage un peu avec les collectivités pour compenser des transferts de compétences.

Ce débat n'intéresse personne, c'est bien dommage. Il faut réfléchir à une autonomie financière et fiscale des collectivités. Pourquoi ne pas aller plus loin dans la possibilité donnée aux collectivités de créer un impôt ? Vous évoquez des marges de manoeuvre avec des recettes de poche, par exemple les taxes sur les locaux vacants, sur les résidences secondaires, mais c'est insuffisant : il va falloir des milliards d'euros pour financer le ZAN, il n'y a que Jean Pisani-Ferry pour nous rappeler le coût réel de la transition écologique. On ne va pas financer la transition avec ces recettes de poche, ni avec les dotations de l'État, nous avons besoin d'un nouvel impôt local pour financer cette nouvelle compétence, quel que soit le biais par lequel on y arrivera.

M. Jean-Raymond Hugonet, président. - Nous sommes tous favorables à l'idée de conforter les moyens locaux, mais depuis plusieurs dizaines d'années on voit le pouvoir politique, de toutes tendances confondues, réduire le poids des départements et des communes ; nous savons aussi que le Conseil constitutionnel s'oppose à toute autonomie fiscale des collectivités locales, le Gouvernement s'est déjà retranché derrière cet argument... Ce que vous nous dites, Monsieur Houser, est très intéressant : au lieu de faire de nous des agents de l'État, qui devons dépenser comme nous l'impose le pouvoir central, redonnons son sens à la décentralisation, en laissant les collectivités locales dépenser leurs ressources pour les projets qu'elles défendent, il y a des choses à faire de ce côté-là.

M. Matthieu Houser. - Depuis au moins quatre décennies, le débat budgétaire et celui sur les compétences sont menés de manière séparée, de nouvelles compétences, de nouvelles institutions sont instaurées, mais en renvoyant la question des moyens à la loi de finances. Les deux aspects ont été dissociés, alors qu'ils sont intrinsèquement liés. Il faut débattre des réformes dans leur globalité. Il n'est pas possible de parler de financement des collectivités sans évoquer des choix d'organisation territoriale ou de répartition des compétences.

Dans le questionnaire qui nous a été transmis, vous nous interrogez sur l'idée de faire évoluer les compensations financières. À mon sens, c'est un faux débat. La véritable question, c'est qu'une partie de la DGF est fossilisée : il n'est pas normal que des collectivités aient des compensations fiscales importantes liées à des impôts supprimés il y a 25 ou il y a 30 ans. Or, si on indexe à la DGF les moyens qui accompagnent les transferts de compétences, on maintient cette anomalie... L'enjeu, c'est plutôt de redonner des marges de manoeuvre aux collectivités.

M. Jean-Raymond Hugonet, président. - Revenez nous voir plus souvent, nous allons avoir besoin de vous...

M. Matthieu Conan. - Une question de fond se pose : continue-t-on à réduire les « quatre vieilles », donc la fiscalité qui a rythmé la vie des collectivités depuis si longtemps, ou bien préserve-t-on ce qui existe encore ? Laisse-t-on aux collectivités un pouvoir de taux, que l'on a déjà beaucoup réduit ? La suppression de la taxe d'habitation a coupé un lien entre la taxe locale et les services de proximité. Dans les territoires où il y a beaucoup de propriétaires, les taxes locales peuvent abonder les services de proximité, mais dans ceux où il y a surtout des locataires, c'est moins le cas, surtout quand les locataires sont nombreux, ce qui requiert plus de services de proximité. La suppression de la taxe d'habitation a coupé un lien entre la taxe et les services de proximité, c'est gravissime sur le plan de la cohésion et pour le « pacte » entre le citoyen et les services de proximité.

Comment, ensuite, financer la transition écologique, y compris à l'échelle locale ? Cet objectif de transition écologique pourrait être utile à l'acceptation d'une imposition locale nouvelle, en lieu et place de l'ancienne taxe d'habitation, la dimension psychologique est importante.

M. Jean-Raymond Hugonet, président. - Certes, mais cette piste est escarpée...

M. Matthieu Conan. - C'est le cas de toute création d'impôt... La question est de savoir si les collectivités disposent du pouvoir de créer un impôt. Si c'est le cas, on peut alors repartir d'une feuille blanche et examiner les différentes pistes possibles - en tout état de cause, l'exercice est difficile, et il vaut mieux le faire en visant l'adhésion.

M. Jean-Raymond Hugonet, président. - Certes, mais il y a le temps politique, et je vois mal comment nos concitoyens, soulagés de ne plus payer de taxe d'habitation, verraient d'un bon oeil une nouvelle taxe locale pour la remplacer, et je ne vois pas quelle majorité politique pourrait se former sur une telle idée...

M. Matthieu Conan. - Je ne faisais que reprendre la perche qui était tendue...

M. Jean-Raymond Hugonet, président. - Je remercie chacun d'entre vous pour votre disponibilité et votre contribution à nos réflexions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site internet du Sénat.

La réunion est close à 18 h 15.

Mercredi 7 mai 2025

- Présidence de M. Olivier Henno, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de M. Jean-Léonce Dupont, président du conseil départemental du Calvados, président de la commission finances et fiscalité locales de l'Assemblée des Départements de France (ADF)

M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Jean-Léonce Dupont, ancien sénateur et président du conseil départemental du Calvados.

Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales ainsi que sur le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Léonce Dupont prête serment.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Carine Riou Dupont prête serment.

Monsieur le président, avant de vous donner la parole pour une courte introduction, M. Thomas Dossus, rapporteur de la commission d'enquête, va présenter nos axes de travail.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cette commission d'enquête s'intéresse à ce qui constitue en quelque sorte notre coeur de métier, les collectivités territoriales, et ce quelle que soit la strate à laquelle elles appartiennent.

Réformes après réformes, celles-ci ont vu leurs ressources propres se réduire ; aussi leur libre administration et leur autonomie financière s'en trouvent-elles questionnées. En regard de cette perte de ressources, certaines politiques publiques revêtent un caractère d'urgence, comme celles relatives à la transition écologique ou aux services publics de proximité, et deviennent compliquées à mettre en oeuvre. Nous avons connu un débat budgétaire assez baroque, marqué par des ponctions de ressources et par une forme de crise des relations entre l'État et les collectivités. Aussi cherchons-nous à comprendre les difficultés que vous affrontez et explorons-nous les pistes qui permettraient d'améliorer la situation. Au travers de votre audition, nous nous intéressons aux départements, qui ont connu un exercice budgétaire complexe l'an passé, notamment en raison de la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), après avoir subi une précédente année déjà difficile. Nous aimerions donc connaître votre avis sur ces questions avant d'échanger avec vous.

M. Jean-Léonce Dupont, président du conseil départemental du Calvados, président de la commission finances et fiscalité locales de Départements de France (ADF). - C'est toujours un plaisir de venir au Sénat et, en particulier, de retrouver une collègue du département du Calvados. (Mme Corinne Féret apprécie.)

Préalablement à cette audition, vous nous aviez envoyé un questionnaire, aussi mon propos liminaire suivra-t-il l'ordre des questions et tentera d'y répondre. Toutefois, avant cela, je souhaite partager avec vous un avis personnel. Au niveau le plus élevé de l'appareil technocratique jacobin français, l'idée d'autonomie financière et fiscale des collectivités locales suscite une allergie totale - j'en suis profondément convaincu. La possibilité même que les collectivités territoriales puissent gagner en liberté et dégager des marges de manoeuvre est perçue comme un danger potentiel. Mais lequel ? Est-ce le danger de s'exposer à une comparaison éventuellement difficile face à l'efficacité d'une gestion décentralisée fondée sur le principe de subsidiarité ? Est-ce le risque d'une remise en cause partielle d'un certain nombre de compétences exercées au niveau national ? Est-il question de diminution de zones d'influence et, par conséquent, éventuellement de gestion de carrière pour un certain nombre de personnes ?

En réalité, à mes yeux, s'agissant des questions financières, la politique mise en oeuvre à notre égard pourrait se résumer par cette image : nous devons garder la tête juste au-dessus du niveau de l'eau ; il est dangereux que nous dégagions des marges de manoeuvre trop importantes, car que pourrions-nous en faire ? Parfois nous avons la tête juste sous le niveau de l'eau, alors l'État sauveur intervient pour nous permettre de nouveau d'avoir la tête juste au-dessus du niveau de l'eau. Je le répète, j'en suis profondément convaincu.

Cette politique se décline en actions qui, de mon point de vue, sont extrêmement cohérentes et qui tendent vers le contrôle et la réduction des marges de manoeuvre. Il me semble que nous sommes arrivés au bout d'un système, c'est là le véritable sujet, nous le verrons au travers de mes réponses à votre questionnaire. Face à l'ampleur des difficultés créées par l'État central, en particulier pour la strate départementale, permettre aux collectivités en difficulté d'avoir de nouveau la tête au-dessus du niveau de l'eau n'est plus à la portée d'un État totalement endetté et incapable d'agir financièrement.

En effet, de 2022 à la fin de l'année 2024, pas moins de 5,5 milliards d'euros de dépenses nouvelles, décidées par l'État central, ont été payés par les départements - soit 5,5 milliards d'euros de dépenses nouvelles décidées par d'autres ! Entre fin 2022 et fin 2024, les recettes issues des DMTO ont réduit de 5 milliards d'euros. En additionnant ces deux chiffres, le différentiel s'élève à quelque 11 milliards d'euros. Cela se traduit, naturellement, par la dégradation générale de l'ensemble des comptes avec des effets ciseaux que vous pouvez imaginer. Entre 2022 et la fin de l'année 2025, selon les résultats d'une projection, l'épargne nette des départements passerait de 5,5 milliards d'euros à 155 millions d'euros, soit une réduction de 98 %. Si ce scénario se réalise, en 2026, un certain nombre de départements auront un niveau d'épargne brute négatif ou insuffisant pour simplement rembourser leur dette.

Après avoir dépeint le cadre général, je reprends l'ensemble des questions que vous nous avez envoyées.

Tout d'abord, vous nous demandez quel regard nous portons sur les différentes réformes qu'ont connues les finances publiques locales ces dernières années. Ma réponse tient en un seul mot : catastrophique. Au-delà de la suppression de l'autonomie fiscale et de l'affaiblissement considérable de l'autonomie de gestion des départements, ces réformes ont eu un effet dont on ne mesure pas tout à fait l'ampleur : la déconnexion totale entre le citoyen et la collectivité locale. En dehors des droits de mutation à titre onéreux DMTO, acquittés par ceux qui réalisent une acquisition immobilière à un moment de leur vie, il n'existe aucun lien financier entre le citoyen et la collectivité confirmé chaque année par le paiement d'un impôt. S'agissant de l'impact financier de ces réformes sur les départements, je reviendrai sur le transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), dernier impôt sur lequel nous avions le pouvoir de fixer le taux.

Vous avez tous à l'esprit le contexte de cette réforme : on supprime la taxe d'habitation (TH) pour le bloc communal - on aurait pu dire à ce dernier que cette ressource serait remplacée par de la TVA, mais cela n'a pas été le cas -, on transfère la part départementale de la TFPB aux communes, transfert compensé par de la TVA pour les départements.

À l'époque, de façon classique, Bercy a produit une étude dont les résultats, avant même de l'avoir faite, vont dans le sens des conclusions qu'elle doit conforter, et qui est fondée sur une période de référence de trois ans permettant de montrer que la dynamique de la TVA est plus forte que celle de l'impôt foncier. L'association d'élus, Départements de France, réalise une étude portant sur dix années qui démontre l'inverse. Mais la décision prise est, naturellement, de remplacer le seul impôt local restant, sur lequel les départements avaient un pouvoir de définition du taux, par de la TVA. Deux ans plus tard, on nous annonce qu'en cas de dynamique positive, celle-ci sera captée. De mon point de vue, au regard des annonces qui avaient été faites, c'est un mensonge d'État. Par rapport à 2020, la dynamique de la TVA s'établit à -2,2 milliards d'euros ; c'est significatif.

S'est ajoutée à cela la suppression des cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) compensée par une fraction de TVA, dont le montant est calculé sur une moyenne des quatre années, de 2020 à 2023, et non pas sur la dernière année. En effet, la dernière année qui aurait dû servir de référence ayant connu une telle dynamique positive, Bercy a estimé que les bases de calcul auraient été trop favorables aux collectivités locales. Soyons clairs, aujourd'hui, les départements ne disposent plus d'aucun levier fiscal. Depuis 2010, ils n'ont jamais été dans une situation financière aussi difficile ; ils disposaient alors de la taxe professionnelle (TP), de la TH, de la TFPB, et de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB).

Vous nous demandez si la compensation mise en place par l'État est suffisante. Soyons clairs, je suis demandeur d'un exemple de compensation suffisante. Tout d'abord, les années de référence choisies sont toujours à l'avantage de Bercy. Ensuite, une fois la compensation accordée l'année n, il n'y a par la suite quasiment jamais d'indexation. Par conséquent, la compensation n'est jamais suffisante.

Pour ce qui concerne les risques associés à la place importante conférée à la TVA dans le panier de recettes des départements, il faut d'abord souligner que, au travers du remplacement de la part départementale de la TFPB par de la TVA, nous sommes passés d'un impôt de stock, aux bases d'imposition revalorisables, très sécurisé, qui croît dans le temps, à un impôt de flux bien plus incertain et dont la dynamique est captée lorsqu'elle favorable. La situation difficile dans laquelle nous nous trouvons arrive dès lors rapidement.

À propos des fluctuations des recettes de DMTO et de leur attribution aux départements, contrairement à la doxa généralement répandue, les DMTO n'ont jamais été conçus pour couvrir le champ de la solidarité. Rappelons que, outre la solidarité aux personnes, compétence considérable et principale, les départements sont chargés de la solidarité aux territoires, de la sécurité civile au travers des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), de l'entretien et du fonctionnement des collèges, et de l'entretien de 380 000 kilomètres de routes - ce qui est une responsabilité considérable - qui étaient convenablement entretenus jusqu'à une période récente. Les quelques centaines de kilomètres de routes nationales relevant encore de la compétence de l'État sont tellement mal entretenues que l'on nous avait proposé une soi-disant étape supplémentaire dite de décentralisation, en réalité un nouveau transfert de charges. On pourrait résumer la situation en ces termes : « je ne suis pas capable d'entretenir ces routes, par conséquent, je fais appel à vous et c'est un nouvel acte de décentralisation. »

Les départements ont examiné la proposition ; on ne peut pas dire que cela a été un franc succès. Sous couvert d'égalité, le système de compensation fondé sur le calcul d'un coût moyen au kilomètre est fondamentalement injuste. En effet, les ouvrages d'art sont plus nombreux dans certains départements de montagne qu'en plaine. Seuls dix-neuf départements ont répondu. Aussi, comme il fallait absolument transférer cette charge, des métropoles ou des régions ont été sollicitées et ont dû recruter des agents dans des secteurs, comme l'ingénierie, où les ressources humaines manquent parfois. Les mêmes personnes qui soutiennent en permanence qu'il faut oeuvrer à la cohérence des compétences ont décidé de cela. Cette incohérence absolue est due à un État central qui n'est pas capable de faire face à ses obligations et qui est prêt à transférer des charges aux collectivités locales par n'importe quel moyen, tout en disant par ailleurs qu'elles sont mal gérées.

Pour en revenir aux DMTO, ceux-ci n'ont jamais été prévus pour couvrir les dépenses sociales. Je corrige mon propos au regard d'une décision de 2013, qui nous a autorisés à augmenter les DMTO de 0,7 point pour couvrir une augmentation très forte du domaine social. Mais cette progression de 0,7 point rapporté à un taux de 4,5 % ne représente pas la masse principale des DMTO. Depuis 2022, je le rappelle, nous avons 5,5 milliards d'euros de charges nouvelles, décidées sans aucune concertation. À l'époque, en 2021 et en 2022, nous avons bénéficié d'un surplus conjoncturel exceptionnel de recettes de DMTO. Néanmoins, nous avons alerté sur le caractère cyclique de cette ressource au regard des charges structurelles supplémentaires qui nous étaient confiées ; à un moment donné, à la faveur d'un retournement de conjoncture, nous ne pourrons plus couvrir ces dépenses. En revanche, les recettes issues des DMTO peuvent servir, par exemple, à l'entretien des collèges ou des routes. Cette recette se gère. En la matière, les départements ont été exemplaires : ils ont mis en place un fonds national de péréquation des DMTO, ainsi ceux qui perçoivent plus de DMTO les redistribuent à ceux qui en touchent moins, cela représente 1,5 milliard d'euros. Ce sont les départements qui ont proposé cette solution ; je ne connais pas d'autres strates de collectivités ayant créé l'équivalent de ce système de solidarité. Après un combat de quatre ans contre Bercy, l'autorisation que j'avais demandée de pouvoir constituer des réserves en période de hausse pour faire face aux périodes de baisse et assurer la continuité de l'investissement dans la durée est finalement accordée. Quatre ans de combat contre Bercy, car qui dit réserve, dit autonomie. Cela justifie mes propos introductifs : une autonomie de gestion, vous n'y pensez pas ! Par conséquent, nous avons mis en place ce fonds. Pour l'instant, les réserves constituées pendant ces deux années permettent à certains départements de bénéficier d'un petit amortissement pour faire face à la période très difficile dans laquelle nous entrons. Aussi, déclarer aujourd'hui que les DMTO ne correspondent pas à la prise en charge de nos dépenses structurelles relève d'une totale malhonnêteté. Je l'affirme avec force, d'autant plus que de tels propos sont colportés ici et là.

Pour ce qui concerne la définition de la notion d'autonomie fiscale, je reste sans voix. Il existe une incohérence entre le fait d'augmenter les dépenses des départements sans compensation, sans concertation, voire sans information, et le fait de ne disposer d'aucun levier fiscal, donc d'aucune élasticité sur les dépenses. Les deux tiers des dépenses de fonctionnement des départements sont des dépenses non pilotables. Aussi, dans ce contexte, comment peut-on affirmer que les collectivités sont dotées d'une autonomie de gestion ? Certes, j'ai le droit de choisir telle gomme ou telle autre. Et je ne parle pas des feus contrats de Cahors, qui n'avaient de contrats que le nom. À mon sens, un contrat implique des négociations entre deux parties. Dans ce cas, la négociation revenait à dire que si nous ne faisions pas ce qui nous était demandé, nous serions sanctionnés. C'est un peu particulier. Cela annonçait probablement une ère trumpienne.

À propos du cadre constitutionnel des finances publiques et de son éventuelle réforme, l'une des conditions préalables - je vous le dis avec beaucoup de tristesse - est de changer la culture de Bercy, du Conseil d'État et de la Cour des comptes. La tâche est donc immense. C'est également peu de dire que nous ne respectons pas nos engagements européens. Ainsi, selon la Charte européenne de l'autonomie locale, les collectivités locales doivent bénéficier d'une autonomie financière et fiscale ; or ce critère n'est pas respecté pour ce qui concerne les départements et les régions. Pour la petite histoire, cette charte a été ratifiée par la France vingt ans après sa signature, et ce parce que cette charte avait pour objet l'autonomie. S'agissant du renforcement de l'exigence constitutionnelle de compensation des compétences transférées, à mon sens, il serait intéressant de disposer de réelles clauses de revoyure.

Sur les mécanismes de péréquation horizontale, après redistribution, l'écart, exprimé en ressources par habitant, passe de 1 à 23 à 1 à 3. Le système mis en place est donc réellement redistributif, je n'en connais aucun qui le soit autant. Néanmoins, la diminution des DMTO rend difficile à tenir l'objectif de 1,5 milliard d'euros destiné à la péréquation. Par ailleurs, dans le système mis en place, des départements qui touchent moins de DMTO voient aujourd'hui leur participation au fonds national de péréquation des DMTO augmenter. C'est difficile à comprendre. Par conséquent, j'incite ceux qui voudraient mettre à plat les systèmes de péréquation à faire preuve de prudence et à échanger avec nous avant de mettre en place des solutions qui causeraient plus de dégâts.

Pour ce qui concerne la possibilité de disposer d'un panier de ressources clarifié et cohérent, dans la situation actuelle - TVA bloquée, dotation globale de fonctionnement (DGF) pas véritablement indexée sur l'inflation, chute des ressources, dépenses nouvelles décidées par d'autres -, nous arrivons au bout du système. À mon sens, quelques départements sont déjà à la limite de la cessation de paiement. Par conséquent, des dépenses prévues l'année n sont en réalité payées l'année n+1. Mais cela ne tiendra pas longtemps. C'est pourquoi Départements de France demande à plusieurs ministres du Gouvernement la mise en place d'un groupe de travail relatif au financement pérenne des dépenses de solidarité. Celles-ci ne feront qu'augmenter, notamment celles relatives à la dépendance sous l'effet du choc du vieillissement de la population. Comme je le dis souvent, dans les cinq années à venir, le baby-boom d'après-guerre va se transformer en papy-boom en état de dépendance. S'y ajoutent les investissements liés au défi du changement climatique, la possible hausse du nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), en parallèle de celle du chômage, toutes deux liées au retournement conjoncturel. Surtout, dans le domaine de l'enfance, depuis la crise du covid, nous faisons face à une augmentation quasi exponentielle du nombre d'enfants qui nous sont confiés par la justice et le nombre de déclarations de situation préoccupante a explosé. Face à l'augmentation de ce champ de dépenses, il faut trouver des solutions. Une des réponses possibles serait de percevoir une part de la contribution sociale généralisée (CSG), mais nous avons besoin de réaliser des simulations et de travailler en confiance avec les services de l'État pour tester cette solution. Utiliser une recette sociale pour couvrir des dépenses sociales aurait une certaine cohérence. S'y ajouteraient un système de péréquation et, à la marge, une part flexible encadrée.

S'agissant de l'introduction d'un nouveau prélèvement au niveau local, Départements de France n'a pas statué sur ce point, mais ses membres ont bien conscience de la complexité du sujet. Avec le bloc communal, nous finançons les Sdis. En la matière, l'évolution de la participation des communes est bloquée, par conséquent le différentiel est pris en charge par le département. Or le changement climatique entraînera une augmentation considérable des risques en matière de sécurité civile et des moyens qui leur sont consacrés, il incombera donc aux départements de financer ces nouvelles dépenses, alors qu'ils n'en auront pas la capacité. Ne pourrait-on réintroduire une ligne foncière fléchée vers les départements pour la sécurité civile ? Cela aurait pour intérêt de permettre aux Français, qui sont légitimement attachés à la sécurité civile, de prendre conscience du coût de ces dépenses. Il s'agit juste d'une idée ; elle n'est pas aboutie. Ce n'est pas une position officielle de Départements de France.

Pour ce qui concerne la simplification des dispositifs de compensation et le fait que les crédits alloués s'écartent de plus en plus de la réalité économique des territoires avec le temps, je ne peux que répéter mes propos relatifs aux compensations définies pour une année n et qui ne sont ensuite pas indexées sur l'inflation. Pendant la période d'inflation extrême d'un an et demi que nous avons connue, au début de la guerre en Ukraine, la non-indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) a coûté un milliard d'euros aux départements. On nous dit que nous devons participer à l'effort national, mais nous n'arrêtons pas de le faire, sauf que cela n'est pas dit. Pour être clair et presque exhaustif, étant rapporteur au Comité des finances locales, j'ai demandé aux représentants des services de l'État de réaliser une étude relative à la valorisation de la non-indexation des aides de l'État. Cette non-indexation est bien, de mon point de vue, une participation à l'effort national. Cette période de 15 % d'inflation en un an et demi a produit des recettes nouvelles pour l'État, mais l'État a continué à s'endetter, alors que les départements se sont désendettés dans le même temps.

Toute une partie de vos questions porte sur les dépenses des collectivités locales. Je vous ai déjà fait part d'un certain nombre de données sur ce sujet : par exemple, les 5,5 milliards d'euros de dépenses nouvelles entre 2022 et la fin de l'année 2024. Selon notre estimation pour 2025, des dépenses nouvelles à hauteur d'un milliard d'euros sont déjà décidées pour la strate départementale. Sans entrer dans le détail de ces nouvelles dépenses, y figurent celles liées à la hausse du taux de cotisation employeur à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), soit 300 millions d'euros pour cette année, ou encore à l'extension du Ségur de la santé.

Face à cette situation, depuis un certain temps, je développe une idée qui commence à faire son chemin : la mise en place de l'équivalent d'un article 40 de la Constitution pour les dépenses nouvelles des collectivités. Pour ce qui concerne le budget de l'État, selon l'article 40 de la Constitution, un parlementaire, par exemple un sénateur, ne peut pas déposer un amendement entraînant une dépense sans avoir identifié la recette adéquate. Nous, collectivités, qui n'avons aucun pouvoir fiscal ni liberté en la matière, nous demandons à ce qu'il ne soit plus décidé de dépenses nouvelles sans avoir identifié la recette qui nous permette effectivement d'y faire face. Mon audace et mon impertinence m'avaient même poussé à demander que l'équivalent d'un article 40 de la Constitution s'applique à la parole du Gouvernement et du Président de la République !

Face aux extrêmes difficultés financières que nous sommes en train de traverser, nous avons commencé à appliquer cette idée et une majorité de départements s'est mise d'accord pour ne pas payer la dépense nouvelle, tout simplement pour alerter. Selon la Cour des comptes, quand une collectivité a un taux d'épargne brute inférieur à 7 %, elle entre dans une zone de risques. Sachez que, fin 2024, plus d'un tiers des départements avaient un taux d'épargne brute inférieur à 7 %. La croissance du nombre de collectivités concernées est colossale. En 2025, le milliard d'euros de dépenses nouvelles va encore accroître les difficultés.

Face à cette situation, il convient d'adopter des mesures, à commencer par la diminution des investissements : après avoir augmenté jusqu'en 2023, ils ont amorcé une diminution en 2024, mouvement qui s'accélérera en 2025. Or les départements sont, bon an mal an, les premiers financeurs du bloc communal, et même si cette baisse sera d'une ampleur variable selon les territoires, je rappelle que les collectivités locales représentent 70 % de l'investissement public : si la strate départementale diminue ses financements, nous ferons face à un choc de désinvestissement, avec des répercussions sur les ressources fiscales futures.

Le second phénomène observé en 2024 et appelé à s'amplifier en 2025 est la hausse de l'endettement de la strate départementale. Si ce dernier est faible en comparaison de l'endettement de l'État, il doit nécessairement augmenter pour assumer les investissements liés au changement climatique et au vieillissement.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises le fait que nous sommes arrivés au bout d'un système, ce sentiment étant partagé par d'autres collectivités. Compte tenu des difficultés que vous avez soulevées en termes de sincérité et de compensation, il me semble que nous avons besoin d'une nouvelle contractualisation entre l'État et les départements : faudrait-il renforcer le rôle du Comité des finances locales (CFL) et envisager un travail pluriannuel avec l'État, de manière à ce que les collectivités disposent de perspectives plus stables ?

M. Jean-Léonce Dupont. - Je souscris à votre proposition s'agissant du CFL : le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) est un comité Théodule dont nous aurions pu nous passer, me semble-t-il, et nous aurions pu confier sa mission au CFL.

Pour ce qui concerne les relations avec l'État, nous avons mené un combat portant sur le contrat de la validation des données, car l'objectivité des données venant de l'appareil d'État n'était pas satisfaisante. Après plusieurs semaines d'échanges, nous parvenons à des données partagées. Il existe donc des manifestations d'une certaine bonne volonté, mais nous restons prudents, ma longue carrière d'élu m'ayant appris à me méfier des déclarations de confiance et d'affection, qui peuvent déboucher sur des désillusions.

Une autre difficulté de taille réside dans le fait que nos interlocuteurs changent sans cesse, ce qui a pu m'amener à présenter les mêmes sujets à quatre équipes ministérielles différentes. Nous faisons face à deux défis, dont l'un est immédiat puisque le fonds de sauvegarde n'a pas été renouvelé cette année, alors que certains départements sont au bord de la rupture ; le second renvoie à des problématiques de moyen et long terme.

Or, le mode de raisonnement de Bercy est aliéné par l'annualité budgétaire, ce qui nous empêche de mener des discussions permettant de bâtir des solutions sur un horizon plus large. Cet état de fait pose de véritables questions sur le fonctionnement de l'État, qui peut difficilement jouer le rôle de stratège si la « durée de vie » des responsables est incertaine, aléatoire et parfois de très courte durée.

Pour en revenir aux enjeux immédiats, cinq départements sont en grande difficulté : que faisons-nous ? Plus largement, si nous n'agissons pas, un tiers - voire la moitié - des départements se trouvera dans la même situation dans un an et demi : que prévoyons-nous ?

Certes, des initiatives ont été prises, mais il est possible que les groupes de travail mis en place ne représentent qu'une opération de communication plutôt habile servant à expliquer les prélèvements supplémentaires qui pèseront sur les collectivités locales.

Avec tout le respect que j'ai pour le Sénat, la loi de finances telle qu'elle a été votée aboutit, au travers du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), à une profonde injustice de notre point de vue. Le mécanisme concerne en effet les collectivités disposant de budgets considérables, dont des régions, des départements et des métropoles, appelées à contribuer à la résorption des difficultés nationales sur la base d'un pourcentage de leurs recettes.

Or la strate départementale présente la particularité de ne pas maîtriser 70 % de ses dépenses de fonctionnement, puisqu'elle ne décide pas du nombre de bénéficiaires ni du montant des allocations dans le champ de la solidarité. De ce fait, décréter une baisse des dépenses de 30 % n'a aucun sens pour les départements. Tel n'est pas le cas pour les régions, métropoles et communes, qui pilotent la totalité de leurs dépenses, l'effort demandé nous posant donc une vraie difficulté.

Pensez-y pour les prochaines lois de finances : nous ne maîtrisons pas la majeure partie de nos dépenses de fonctionnement, et peut-être faudrait-il envisager une différenciation entre les collectivités tant nos marges de manoeuvre sont réduites.

M. Olivier Henno, président. - Dans un discours de politique générale, un précédent Premier ministre avait annoncé la suppression des départements : n'existe-t-il pas un risque de voir cette vieille idée resurgir compte tenu de leurs difficultés financières ?

M. Jean-Léonce Dupont. - Ce sujet est récurrent, d'autant plus que tout débat sur la réorganisation des collectivités territoriales permet d'empêcher d'aborder le véritable sujet, à savoir la réforme de l'État central : cette idée risque donc de réapparaître, les mêmes forces étant à l'oeuvre.

Nous avons estimé le coût de gestion d'une assemblée départementale à 0,18 % du budget, alors qu'une seule mesure décidée par l'État dans le champ social représente des montants dix fois supérieurs.

Surtout, la suppression des départements poserait la question du transfert des compétences qu'ils exercent : compte tenu de sa situation financière, l'État pourrait-il vraiment assumer la gestion des aides à la personne ? Les régions, quant à elles, sont tout à fait qualifiées pour planifier la stratégie de développement économique ou l'accompagnement de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais sont bien moins douées pour gérer des compétences fines telles que le transport scolaire : dans le Calvados, le transfert de cette compétence sans étude d'impact a abouti à un service de moindre qualité, pour un coût supérieur.

Dans le même ordre d'idées, pourrait-on vraiment envisager le transfert du handicap, de la dépendance et du handicap à des intercommunalités de 15 000 habitants ? Les départements eux-mêmes éprouvent parfois des difficultés à recruter des personnes capables de se rendre dans les différents points du territoire, ce qui me fait dire que cette piste est un leurre absolu.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - L'exemple lyonnais est intéressant.

M. Jean-Léonce Dupont. - Le simple alignement de la rémunération des employés départementaux sur celle des agents de la métropole a alourdi les coûts. Le cas lyonnais représente selon moi à la fois un triomphe politique et un raté stratégique : si deux élus se sont mis d'accord pour voter un statut unique, Lyon est aussi une métropole en concurrence avec les autres métropoles françaises et européennes.

Pensez-vous vraiment que l'ajout du champ social aux compétences de la métropole lui soit vraiment profitable en termes de développement stratégique ? Je ne le crois pas, et je pense que l'exemple des territoires spéciaux chinois, qui exercent des compétences relatives aux investissements d'avenir, est intéressant.

M. Thomas Dossus, rapporteur. - Ce transfert de compétences peut avoir la vertu de la cohérence, même si ce modèle ne peut pas être répliqué partout.

M. Jean-Léonce Dupont. - J'en reviens aux départements, qui gèrent la solidarité et représentent l'échelon géographique adapté pour assurer la péréquation, tout en restant dans la proximité. Il s'agit selon moi de la strate la plus efficace pour gérer les réseaux, qu'il s'agisse des routes, de la fibre, de l'eau ou de l'électricité. Le pays risquerait une catastrophe absolue si cet échelon venait à être supprimé.

M. Bernard Pillefer. - Je partage pleinement votre cri d'alarme : il faut absolument tenir compte de la situation des départements et trouver des solutions appropriées afin qu'ils puissent assumer les compétences qui leur sont confiées. La délégation de ces dernières à d'autres strates n'a rien d'évident et aboutira à une perte de proximité, comme on a pu l'observer en matière de transport scolaire.

M. Jean-Léonce Dupont. - Le Sénat, qui est la chambre des collectivités locales et des territoires, ne peut qu'être sensible à l'équilibre subtil à trouver entre l'urbain et le rural. Une disparition des départements serait synonyme de la fin annoncée de la ruralité, des crises récentes nous ayant rappelé l'importance de rester attentifs à ces enjeux. Le moment venu, le Sénat aura la sagesse de prendre les bonnes décisions.

M. Olivier Henno, président. - Merci pour la qualité de votre exposé.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 30.