Mardi 6 mai 2025

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires - Examen du rapport pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport pour avis de Bruno Rojouan sur la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires, déposée par Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.

Je me réjouis tout particulièrement du dépôt et de l'inscription à l'ordre du jour du Sénat de ce texte bienvenu pour répondre aux inégalités territoriales d'accès aux soins.

C'est aujourd'hui une banalité de déclarer que le Sénat est l'assemblée du « travail au long court ». Cette phrase n'a jamais été aussi vraie, me semble-t-il, qu'à propos de l'accès aux soins. Notre commission a parfois eu l'impression de prêcher dans le désert, notamment à l'occasion de deux missions d'information, l'une conduite par Hervé Maurey, l'autre par Hervé Maurey et moi-même, en 2013 puis en 2020.

Bruno Rojouan a ensuite repris le flambeau et présenté deux autres rapports d'information sur cette question, en mars 2022 et en novembre 2024. Notre insistance n'a pas été sans résultats. Nous avons déjà obtenu des avancées significatives, comme la création par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 d'une quatrième année de diplôme d'études spécialisées de médecine générale dans des lieux agréés en pratique ambulatoire, en priorité dans les zones sous-denses.

Cela fait plusieurs années que nous nous accordons sur la nécessité de remettre en cause le principe d'une liberté d'installation totale des médecins. En effet, si la situation générale de l'accès aux soins est dégradée, elle est particulièrement critique dans les territoires où la densité de soignants est la plus faible. Une meilleure répartition territoriale des soignants est donc nécessaire, au bénéfice notamment des zones rurales et des quartiers paupérisés des grandes agglomérations.

Ce texte pragmatique montre que nos collègues de la commission des affaires sociales sont arrivés aujourd'hui aux mêmes conclusions que nous, ce dont je me félicite.

M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - Mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter les grandes lignes de mon rapport pour avis sur la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins dans les territoires. La commission des affaires sociales examinera tout à l'heure le rapport de Corinne Imbert et établira son texte de commission.

Je souhaite exprimer tout d'abord mes plus vifs remerciements à la rapporteure et à ses collègues de la commission des affaires sociales. Nous avons mené nos travaux préparatoires en étroite collaboration et je me réjouis de cette coopération fructueuse. Nos échanges ont permis de confirmer la convergence de nos points de vue et notre volonté partagée de garantir l'équité territoriale de l'accès aux soins.

Tous les Français ont un égal droit à la santé, quel que soit leur lieu de résidence. Depuis la publication, en 2013, du rapport d'information sur la présence médicale sur l'ensemble du territoire de notre ancien président, Hervé Maurey, notre commission n'a eu de cesse d'affirmer que l'inégale répartition territoriale des soignants porte atteinte au principe d'égalité entre les citoyens et constitue une entorse au pacte républicain.

Notre commission a su trouver un consensus transpartisan et formuler depuis plus de dix ans des recommandations à la fois pragmatiques et ambitieuses, en plaçant toujours les attentes légitimes des patients au coeur de sa démarche. Nous avons préconisé un rééquilibrage territorial de l'offre de soins, au moyen notamment d'une régulation de l'installation des médecins dans les zones médicalement les mieux dotées.

Cette conviction a guidé mes travaux de rapporteur des missions d'information sur les disparités territoriales d'accès aux soins menées par notre commission en 2022 et 2024. J'avais alors dressé le constat implacable d'une détérioration marquée de l'accès aux soins, souligné l'existence de disparités particulièrement fortes entre les territoires et mis en garde contre la perspective d'une décennie noire en matière de démographie médicale. Les difficultés d'accès aux soins peuvent entraîner des retards de prise en charge, des pertes de chance de guérison et des renoncements aux soins, singulièrement chez les personnes les plus défavorisées résidant dans des zones fortement sous-dotées en médecins généralistes.

Nous avons jugé insuffisantes les mesures prises jusqu'à présent pour mettre fin à cette situation inacceptable. Les médecins bénéficient en effet d'un cadre exclusivement incitatif censé les pousser à s'installer dans les zones les moins bien dotées, mais ces incitations n'ont eu que des effets minimes, au regard de leur coût, sur la résorption des inégalités territoriales. À l'inverse, les mesures de régulation de l'installation ont été progressivement étendues à l'ensemble des autres professions de santé, dont les chirurgiens-dentistes en juillet 2023. L'installation de ces derniers dans une zone « non prioritaire » est ainsi soumise à la règle « une arrivée pour un départ ». L'efficacité de ces mesures a été démontrée, notamment pour les infirmiers. Notre commission estime qu'il est nécessaire de remettre en cause le tabou de la liberté totale d'installation des médecins.

Nous avons en effet le devoir de garantir à chacun un accès effectif aux soins. En d'autres termes, il nous faut agir pour mettre, autant que possible, des médecins en face des patients.

J'ai conscience qu'une proposition de loi ne pourra pas, à elle seule, résorber le manque généralisé de soignants : seul un choc de massification et, surtout, de territorialisation de la formation des professionnels de santé nous permettra de sortir de la situation actuelle. Nous ne pouvons toutefois pas attendre les bras croisés ; nous devons agir dès maintenant, en appliquant tous les remèdes disponibles. C'est ce à quoi s'attelle ce texte bienvenu.

Au cours de mes travaux préparatoires, j'ai d'ailleurs pu mesurer les attentes des représentants de plusieurs associations de patients à l'endroit du législateur.

Notre commission a fait le choix de se saisir pour avis des articles 1er à 10 du texte, relatifs au pilotage de la politique de santé au plus près des territoires et au renforcement de l'offre de soins dans les territoires sous-dotés.

L'article 1er vise à refonder la gouvernance territoriale de l'accès aux soins en confiant aux départements la coordination des actions menées en faveur de l'installation des professionnels de santé dans les zones sous-denses, en lien avec les agences régionales de santé (ARS) et les caisses primaires d'assurance maladie.

Il vise en outre à créer un Office national de l'évaluation de la démographie des professions de santé, qui aura notamment pour mission la collecte et la diffusion des données relatives à la démographie des professions de santé et à l'accès aux soins.

Cet office s'appuiera sur ses implantations territoriales, les offices départementaux d'évaluation de la démographie des professions de santé, présidés par le président du conseil départemental. Cette mesure me paraît très pertinente, l'échelle départementale étant la plus appropriée pour mieux évaluer les besoins de soins et mener le travail de planification de l'offre de soins au plus près des territoires.

Je vous proposerai tout à l'heure un amendement tendant à renforcer le rôle de cet office départemental en prévoyant que le directeur de l'agence régionale de santé détermine les zones sous-denses après avis conforme de celui-ci.

L'Office national et les offices départementaux rendront chaque année un avis sur l'offre de stages en zones sous-denses. Cet avis portera en particulier sur les stages des internes en quatrième année de médecine générale, dits « docteurs juniors », dont les premiers auront lieu à partir de novembre 2026.

Je me félicite de cette initiative : dès la remise de mon rapport d'information de mars 2022, j'avais préconisé la création de ce statut et l'affectation des « docteurs juniors » dans les zones sous-denses. Cette mesure était pour moi la première pierre d'un « choc de territorialisation » des études de santé au profit des zones peu denses. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a d'ailleurs repris cette recommandation, sur l'initiative du Sénat.

La première « cohorte » d'internes effectuera ses stages au cours de l'année scolaire 2026-2027. Il nous faut donc redoubler de vigilance pour faire respecter la volonté du législateur, et veiller à ce que les centres hospitaliers universitaires n'aspirent pas ces stagiaires qui ne leur sont pas destinés.

L'article 2 prévoit la création d'un comité de pilotage de l'accès aux soins pour assister le ministère de la santé dans la définition des objectifs prioritaires, du plan d'action national et de ses déclinaisons territoriales de réduction des inégalités territoriales d'accès aux soins. Ce comité serait composé du directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, des directeurs d'administration centrale compétents et des représentants des élus locaux.

L'article 3 met en place un dispositif de régulation de l'installation des médecins dans les zones les mieux dotées. Il dispose que l'installation d'un médecin généraliste dans une zone dans laquelle le niveau de l'offre de soins est particulièrement élevé est préalablement autorisée par le directeur général de l'ARS, après avis du conseil départemental de l'ordre des médecins. Cette autorisation est conditionnée à un engagement du médecin généraliste à exercer à temps partiel dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés d'accès aux soins. Afin de faciliter la mise en oeuvre de cette nouvelle obligation, l'article 4 du texte simplifie l'exercice dans un cabinet secondaire.

J'estime que ce dispositif est particulièrement opportun, parce qu'il fait de la régulation de l'installation des médecins dans les zones les mieux dotées un outil ayant des effets directs et immédiats en faveur de l'accès aux soins dans les zones les moins bien dotées.

Le texte prévoit également de soumettre les médecins spécialistes au principe « une arrivée pour un départ » dans les zones les mieux dotées.

Avec ces mesures, les médecins ne seraient plus l'exception qui confirme la règle : comme l'ensemble des autres professions de santé, leur répartition sur le territoire ferait l'objet d'un dispositif de régulation.

Je suis particulièrement favorable à cet article, qui permettrait d'amorcer une diminution des inégalités territoriales d'accès aux soins à court et moyen terme et de jeter aussi, je l'espère, les bases de mécanismes plus ambitieux, sur le modèle du dispositif de « planification des besoins » en vigueur en Allemagne. On pourrait envisager d'appliquer de tels mécanismes lorsque la France aura retrouvé un nombre de praticiens plus élevé, dans les décennies à venir.

L'article 5 confie à la convention nationale conclue entre les représentants des médecins et l'assurance maladie la mission de fixer des tarifs spécifiques pour les actes médicaux réalisés en zones sous-denses, afin d'inciter les médecins à s'y installer. Si le médecin fait le choix d'appliquer ces tarifs, le surcoût serait assumé à 70 % par l'assurance maladie et à 30 % par les complémentaires de santé ou, le cas échéant, par les patients.

L'article 6 vise à faciliter le remplacement des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes exerçant leur activité en libéral lorsqu'ils s'absentent pour concourir à l'accès aux soins en zone sous-dense, afin de leur offrir davantage de souplesse.

L'article 7 permet à titre expérimental aux centres de santé implantés en zones sous-denses de recruter des médecins en CDD dans des conditions dérogeant au droit du travail. Cette mesure devrait notamment profiter aux centres de santé fonctionnant selon le principe d'un relais hebdomadaire de médecins, comme ceux qui sont gérés par Médecins solidaires - certains d'entre vous connaissent cette association dont l'action s'avère particulièrement efficace dans les territoires.

Enfin, les articles 8, 9 et 10 simplifient le processus d'autorisation des praticiens à diplôme hors Union européenne, les fameux Padhue, et prévoient que leur parcours de consolidation des compétences se déroule prioritairement dans les zones sous-denses.

Je salue cette proposition de loi, qui permettra d'apporter une première réponse aux difficultés intolérables que rencontrent nos concitoyens dans leur parcours de soins, et je vous propose d'émettre un avis favorable à son adoption.

Le Gouvernement a pris la décision d'engager sur ce texte la procédure accélérée, apportant ainsi son soutien à cette initiative sénatoriale décisive. J'espère donc qu'à la suite de son examen au Sénat ce texte pourra être inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais.

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. - Je veux tout d'abord vous remercier de votre invitation et saluer la qualité de votre rapport pour avis et des travaux antérieurs de votre commission. Bruno Rojouan et moi-même réfléchissons depuis de longues années à cette question de l'accès aux soins, et je me réjouis de constater que ce travail se concrétise aujourd'hui dans ce texte équilibré de notre collègue Philippe Mouiller.

J'ai toujours considéré l'accès aux soins comme un sujet d'aménagement du territoire, et ce n'est certainement pas un hasard si les deux premiers articles de la proposition de loi traitent de l'évaluation des besoins au plus près des territoires, plus précisément à l'échelle départementale. Les élus locaux, avec la délégation départementale de l'ARS, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) et l'ordre départemental des médecins, pourront avoir une estimation précise des besoins.

Au-delà des zones d'intervention prioritaire ou d'accompagnement complémentaire définies par les ARS, qui définissent des aides conventionnelles, on constate de fortes disparités d'accès aux soins au sein même des bassins de vie identifiés par l'Insee. Seul un dialogue nourri entre les élus locaux et les différents acteurs de la santé permettra d'apprécier finement les besoins du territoire : d'où l'intérêt des offices départementaux et de l'Office national que nous souhaitons mettre en place. L'Observatoire national de la démographie des professions de santé étant trop sous-dimensionné pour permettre une juste évaluation des besoins, il apparaît pertinent de s'appuyer sur l'échelon départemental. L'association des maires et des présidents d'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et la consultation pour avis des conseils territoriaux de santé permettra également à ses différents membres d'exprimer un avis sur les propositions de l'office départemental.

La mesure concernant l'installation des médecins généralistes reste pour sa part assez faiblement contraignante et équilibrée : l'idée est de leur laisser une forme de liberté d'installation, mais qu'en contrepartie ils viennent donner un coup de main dans les territoires qui présentent un problème d'accès aux soins.

Sur un certain nombre de sujets - remplacements, Padhue, certificats médicaux -, il me semble que des réponses rapides peuvent être apportées. Nous devons réussir à regagner du temps médical, en partant des territoires.

M. Jean-François Longeot, président. - J'ai été rapporteur pour avis des lois Touraine (loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé) et Buzyn (loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé), mais c'est la première fois que j'entends vraiment parler des territoires sur le sujet de l'accès aux soins. Je tenais à vous remercier, madame la rapporteure, de les avoir placés au coeur de votre réflexion.

M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - Nos entretiens avec Yannick Neuder semblent confirmer que le ministère de la santé s'est lui aussi approprié ce lien entre accès aux soins et aménagement du territoire. C'est un grand pas qui est franchi !

M. Simon Uzenat. - Nous avons longuement discuté avec le rapporteur, notamment au cours de notre déplacement en Allemagne en octobre 2024 dans le cadre des travaux de la mission d'information sur les inégalités territoriales d'accès aux soins, et sommes d'accord sur le constat. J'ajoute que l'espérance de vie est plus courte dans les territoires ruraux, ce qui est inacceptable.

Si nous partageons aussi son point de vue sur la massification et la territorialisation de la formation, il n'en demeure pas moins que les réponses apportées par le biais de ce texte ne nous semblent pas à la hauteur de l'enjeu - et cette appréciation est dans la droite ligne des débats que nous avions eus lors de l'examen du rapport d'information de novembre dernier, dont vous étiez le rapporteur.

Le chapitre Ier nous laisse pour le moins dubitatifs quant à la cohérence des moyens effectivement déployés pour atteindre les objectifs fixés. Le remplacement d'un observatoire par un office apparaît comme une mesure assez mineure. Plus généralement, si la démographie médicale est évidemment au coeur du sujet de l'accès aux soins, le pilotage de l'action publique en la matière devrait s'appuyer en priorité sur l'identification des besoins de santé des territoires, laquelle doit être la première des préoccupations.

Nous avons par ailleurs le sentiment - c'est plus qu'un sentiment : une véritable circonspection - que le comité de pilotage prévu à l'article 2 fera doublon avec de nombreuses instances existantes. Surtout, de quels moyens disposera-t-il pour atteindre les objectifs fixés à l'échelle territoriale, alors que les collectivités peinent déjà à répondre aux attentes de nos concitoyens ?

Pour ce qui est de la régulation de l'installation, esquissée au chapitre II, le compte, très clairement, n'y est pas. On peut voir dans les cabinets secondaires un progrès par rapport à la situation actuelle, mais ceux-ci ne constituent pas, selon nous, une réponse optimale au problème posé. Il est assez rare en effet de trouver côte à côte un territoire bien doté et un territoire désertifié. Cette mesure pose aussi des problèmes opérationnels du point de vue du suivi des patients : les habitants des territoires ruraux ont eux aussi droit à des médecins à temps complet !

Vous ouvrez la porte à une régulation de l'installation des médecins spécialistes, mais pourquoi ne pas étendre ce dispositif aux médecins généralistes ? En la matière, nous avons un désaccord de fond. Selon vous, on ne peut pas réguler en raison de la pénurie. Nous pensons au contraire que la pénurie justifie d'introduire une régulation dès maintenant pour limiter les déséquilibres entre les territoires.

Nous sommes conscients que les évolutions doivent se faire en concertation avec les professionnels de santé, dont certains sont très volontaires et même exemplaires, mais nous ne pouvons pas laisser toute la place aux partisans du statu quo, qui se présentent comme des auto-entrepreneurs en matière de santé alors que leurs études et leurs moyens d'exercice ont été en grande partie financés avec de l'argent public. La puissance publique me semble dès lors en droit de se montrer beaucoup plus volontariste dans les engagements qu'elle exige de leur part en leur appliquant une forme, toute relative, de coercition.

En définitive, nous avons mis en avant certaines convergences, mais ce texte nous semble encore très loin du compte ; nous nous abstiendrons donc.

M. Ronan Dantec. - Fort de mon expérience au sein de cette commission, je veux insister sur la véritable avancée que représente ce texte : nous commençons à briser un tabou en faisant peser un peu - c'est un début ! - de coercition sur l'installation des médecins, et notamment des spécialistes.

Lorsque, dans le passé, quelques timides tentatives d'amendements ont été faites en ce sens, notamment par Hervé Maurey, président de la commission de l'époque, on a assisté à des mobilisations étonnantes, dans l'hémicycle, contre toute idée d'installation encadrée. Cette fois, je crois comprendre que la proposition de loi de notre collègue Philippe Mouiller a de fortes chances de prospérer : c'est une nouveauté dans l'histoire du Sénat. Il faut le souligner quand les choses vont dans le bon sens, ce qui n'arrive pas tous les jours !

Je ne vais pas répéter ce qu'a dit Simon Uzenat sur les faiblesses de ce texte, qui expliquent notre position : nous nous abstiendrons.

Je note tout de même qu'il existe sur le même sujet une autre proposition de loi, celle du député Guillaume Garot. Comment, au bout du compte, les choses vont-elles converger ? Y aurait-il une compétition, pleine de sous-entendus politiques, entre ces deux textes ? Le cas échéant, nous perdrions beaucoup de temps d'un point de vue opérationnel ; mais nous sommes capables, me semble-t-il, de dessiner un compromis ou un consensus autour duquel chacun pourrait se retrouver. Je suis preneur des éclaircissements des rapporteurs sur ce point.

Par ailleurs, il faut tenir compte des mobilisations des internes qui ont eu lieu ces derniers jours contre toute idée de coercition. Les internes en médecine considèrent qu'ils font des études trop longues et trop difficiles pour qu'ensuite on leur impose quoi que ce soit. Ils insistent sur un élément qui me semble important : la question du numerus clausus, qui existe toujours via le nombre de places disponibles.

Quid, à cet égard, du plan d'urgence d'augmentation du nombre de places en formation ? Qui paie ? Faut-il par exemple demander aux régions de participer au financement de places supplémentaires, afin de donner une véritable réponse au problème de la démographie médicale d'ici à dix ans ? Il n'est peut-être pas trop tard pour répondre, dans cette proposition de loi, à cette demande des internes. Et je suis d'avis que nous intégrions d'emblée dans la loi des éléments qui permettraient d'aller très vite pour augmenter le nombre de places en formation et financer cette augmentation. Tant que nous ne jouerons pas sur la formation et sur la démographie, les mêmes causes produiront les mêmes effets et nous resterons à la périphérie du problème principal que nous avons à traiter, qui est que l'on ne forme plus assez de médecins, et ce depuis les années 1980.

M. Rémy Pointereau. - J'adresse toutes mes félicitations aux rapporteurs, Bruno Rojouan et Corinne Imbert, pour cet excellent travail.

Le problème de la désertification médicale relève bien de l'aménagement du territoire. D'ailleurs, comme un certain nombre d'entre nous, j'avais cosigné le rapport d'information du groupe de travail sur les déserts médicaux déposé en 2020 par Hervé Maurey et Jean-François Longeot au nom de notre commission. À l'époque, l'idée d'une obligation d'installation dans les territoires sous-dotés avait soulevé un tollé pour son caractère coercitif.

On constate aussi que l'aspect financier du problème crée une compétition entre les collectivités : c'est à qui va donner le plus - bâtiment, secrétariat, aides en tout genre - et cela ne résout pas le problème, d'autant que, pour les médecins, ce soutien n'est pas nécessairement un facteur déterminant, quoique les zones France ruralités revitalisation (ZFRR) leur offrent des conditions financières tout à fait appréciables.

Les propositions qui nous sont soumises me paraissent intéressantes, mais obliger les médecins des zones surdotées à aller passer une ou deux journées par mois en zone sous-dotée, cela va-t-il vraiment débloquer la situation ? Si un médecin doit faire 100 kilomètres pour se rendre dans un cabinet secondaire, je doute que l'on puisse résoudre ainsi le problème de la désertification.

Pour ce qui est du conventionnement des médecins, le groupe de travail sur les déserts médicaux, dont j'étais membre, avait émis l'idée d'un conventionnement sélectif : on pourrait envisager de ne pas conventionner les médecins qui s'installent en zone surdotée à moins qu'ils n'y remplacent un départ. Voilà qui pourrait inciter les médecins à s'installer en zone sous-dotée. Y a-t-il là une piste que vous avez étudiée, monsieur le rapporteur ?

Le numerus clausus, qu'a évoqué Ronan Dantec, n'est pas un problème aujourd'hui : le problème est qu'il n'y a pas assez de formateurs, de maîtres de stage. À cet égard, nous sommes bloqués. Je pense au cas de la faculté de médecine de Tours : nous manquons de professeurs pour encadrer les internes.

M. Ronan Dantec. - Nous sommes d'accord.

Mme Christine Herzog. - Bravo aux deux rapporteurs pour ce travail.

Ma première question porte sur l'article 1er : n'y a-t-il pas un risque de doublon à créer à la fois des offices départementaux d'évaluation de la démographie des professions de santé et un office national exerçant les mêmes compétences, à savoir recenser les besoins de santé sur le territoire ? Quelle serait l'utilité réelle de cet office national à l'heure où toutes les pistes d'économies budgétaires doivent être envisagées ?

Ma deuxième question porte sur l'article 5 : un garde-fou est-il prévu contre les dépassements d'honoraires très élevés que des médecins installés en zone rurale sous-dense pourraient pratiquer ? Les tarifs de consultation doivent rester accessibles à la bourse du citoyen moyen vivant en ruralité.

M. Alexandre Basquin. - Nous sommes tous d'accord sur le constat : je n'y reviens pas.

On note, sur cette question de la lutte contre la désertification médicale, une saine émulation entre les deux chambres, mais il ne faudrait pas qu'elle devienne une concurrence entre les textes.

La possibilité du dépassement d'honoraires dans les zones sous-denses me dérange vraiment. J'y vois une double peine : il ne faudrait pas que l'écoute d'un territoire se change aussitôt en mépris pour ce territoire. Les habitants des territoires ruraux méritent mieux que de devoir être soignés à grand renfort de dépassements d'honoraires ! Dans le rapport d'information sur les déserts médicaux présenté au mois de novembre dernier par notre collègue Bruno Rojouan, cette question n'apparaît nulle part. Je regrette donc que cette disposition figure dans la présente proposition de loi : je voterai contre.

M. Clément Pernot. - Je m'associe aux félicitations adressées aux deux rapporteurs.

J'ai reçu mercredi dernier un groupe de jeunes internes dont j'ai recueilli le témoignage. Ils m'ont dit avoir du mal à comprendre les différentes initiatives législatives qui sont prises en ce moment même sur le sujet des déserts médicaux. De manière générale, ils ont l'impression de ne pas être considérés comme ils devraient l'être, alors même que les médecins deviennent rares : il faut les chérir plutôt que les agresser.

On oppose aux jeunes médecins que c'est l'État qui paie leurs études ; mais tel est le cas pour tous ceux qui, comme moi, sont passés par l'université : il faut donc savoir mesure garder. Les médecins sont en colère, ils l'ont montré en manifestant mardi dernier : j'en appelle à la vigilance sur le vocabulaire utilisé pour évoquer leur situation.

Ils apportent des solutions, car ils ont bien sûr conscience du problème : il n'y a pas assez de confiture sur la tartine ! On aura beau l'étaler d'une manière ou d'une autre, il en manquera toujours, car la tartine est trop grande par rapport au pot de confiture.

Ils nous poussent à envisager des mesures qui permettraient d'augmenter le temps médical.

Ils parlent de régionalisation des formations : ils ont raison. Une jeune femme, parmi les internes que j'ai reçus, venait de Marseille ; elle est interne à Besançon, mais retournera chez elle dès la fin de sa formation. Il faut donc s'interroger sur le cadrage géographique des formations médicales.

Il convient aussi d'éviter la confusion des textes : entre la proposition de loi Garot et la présente proposition de loi, il y a de sérieux écarts. Comment le parcours législatif de ces textes va-t-il s'organiser ? Il va falloir communiquer avec précaution, car nos interlocuteurs sont en train de tout confondre. « J'espère que vous n'allez pas voter la proposition de loi Garot », m'a-t-on dit ! J'ai répondu que c'est d'un autre texte que nous sommes saisis, mais les choses sont loin d'être claires pour tout le monde.

Il faut vraiment se tourner vers les jeunes internes : je pensais faire face à quelques excités, et j'ai été surpris de rencontrer des gens très constructifs, prêts à envisager des pistes nouvelles, qui méritent d'être entendues.

M. Hervé Gillé. - Ce texte ajoute de la complexité là où c'est la simplicité qui est recherchée - je pense notamment à la disposition relative aux offices départementaux. Je rappelle ainsi que l'article 119 de la loi 3DS (loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale) allait dans le sens de ce qui nous est ici proposé, mais que le décret d'application de cet article n'a jamais été pris. Confortons les lois existantes au lieu de tout réinventer !

Je veux insister également sur la planification et la gouvernance territoriales. Il y est fait référence via la mention des conseils territoriaux de santé, qui regroupent l'ensemble des acteurs de santé sur un territoire, mais le périmètre desdits conseils ne correspond pas nécessairement à celui des contrats locaux de santé. Il y a parfois une forme de confusion entre différentes logiques et différentes parties prenantes, qui engendre une certaine complexité : il faut rationaliser l'approche pour davantage d'efficacité. Or ce sujet de la gouvernance n'est pas suffisamment clarifié dans la présente proposition de loi. L'articulation avec les régions, qui ont aussi des compétences en matière de formation, est cruciale, même si l'approche départementale peut être pertinente.

Un autre élément fait défaut, qui a trait à la montée en puissance des compétences des professionnels de santé : c'est la question de la formation professionnelle. Les infirmières en pratique avancée, par exemple, doivent s'inscrire dans des cursus, qui n'entrent pas dans une logique de formation professionnelle assortie d'unités de valeur. C'est dommage : il y a là un manque de reconnaissance des acquis de l'expérience et de la formation professionnelle continue. Il faut développer les compétences et mieux les articuler en fonction des besoins identifiés sur les territoires.

M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - Un rappel, tout d'abord : nous sommes la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ce qui veut dire que, sur les textes relevant du domaine de la santé, nous n'avons pas la compétence de fond. C'est la commission des affaires sociales, j'y insiste, qui par définition a la compétence sectorielle dans ce domaine-là.

Si, pendant des années, nous n'avons pu mener à bien un réel rapprochement entre les approches respectives de nos deux commissions, c'est parce que chacun restait un peu dans son camp : les tentatives que nous faisions n'avaient pas d'écho. Cette fois, la commission des affaires sociales, sous la houlette de son président Philippe Mouiller, a fait de grands pas vers nous, et nous avons fait des pas vers elle.

Certains d'entre vous pensent que le dispositif proposé est trop complexe, mais c'est le sujet même de l'accès aux soins qui est d'une extrême complexité : il n'y a rien de simple dans ce problème.

Je précise par ailleurs que la situation va complètement évoluer dans les dix ou vingt prochaines années. Cette proposition de loi ne grave donc rien dans le marbre. Il s'agit de franchir une étape, car nous sommes entrés, du point de vue de l'évolution du nombre de médecins en France, dans la période la plus difficile : jusqu'en 2028-2029, ce nombre va chuter, avant d'augmenter à nouveau, avec la fin du numerus clausus. Il a été question du numerus apertus ; certains pensent qu'il faudrait que tout numerus disparaisse, et je crois savoir que cette orientation n'est pas sans rencontrer quelque écho, du côté de la commission des affaires sociales comme du ministre de la santé et de l'accès aux soins. Il s'agirait de recruter en fonction des besoins, qu'il convient donc de déterminer.

Je dis un mot de la structuration de la politique de santé par un comité de pilotage de l'accès aux soins : l'idée est de donner davantage de place, dans ce processus, à la représentation des élus locaux, en y faisant entrer les conseils départementaux. En effet, si la plupart des conseils départementaux ont déjà mis en place des politiques d'encouragement à l'installation, reste qu'ils ne sont pas décideurs. Qu'ils aient un regard sur la politique d'accès aux soins et une part dans l'évaluation des besoins sur chaque territoire, c'est intéressant : il faut que les élus locaux reprennent pour partie la main en matière d'installation des médecins, généralistes comme spécialistes.

Quant aux zonages, nous pouvons en discuter. Dans mon département, qui est particulièrement défavorisé, il existe des enclaves favorisées, parfois éloignées de 10 kilomètres à peine de zones fortement sous-denses. Demander à un médecin installé dans une zone favorisée d'exercer une journée par semaine ou par mois - c'est à déterminer - dans une zone défavorisée me paraît légitime. Le Premier ministre a parlé de deux jours par mois, cela me paraît insuffisant.

Un certain nombre de maisons de santé ont aujourd'hui des bureaux disponibles : des médecins qui y exerçaient sont partis à la retraite sans être remplacés. S'agissant de demander à un médecin généraliste de se rendre dans un cabinet secondaire situé à 10 kilomètres de son cabinet principal, il ne faut pas hésiter !

Le Conseil de l'ordre des médecins considère qu'une telle mesure compromettrait la continuité des soins pour les patients ; or c'est faux : dans bien des endroits, les médecins changent chaque semaine, mais les patients restent fidèles à leur lieu de consultation, et à cet égard les systèmes modernes de communication sont évidemment d'une grande aide.

Ce que nous proposons percute sans doute un certain nombre d'habitudes, mais il y a là, pour les territoires, des avancées incontestables.

J'en viens au principe « une arrivée pour un départ » qui régirait le conventionnement des médecins dans les zones surdotées. Ce principe revient à dire à un spécialiste qu'il ne pourra être conventionné si son arrivée ne vient pas combler un départ, mais des dérogations sont prévues. Nous avons en effet constaté que les territoires favorisés étaient souvent aussi des territoires où la population augmente ou vieillit. Nous ne fermons donc la porte à aucune dérogation : l'ARS pourra lever les blocages éventuels.

Christine Herzog et Alexandre Basquin ont évoqué les dépassements d'honoraires. Or il est question non pas de dépassements d'honoraires, mais de tarifs spécifiques pris en charge à 70 % par l'assurance maladie, le reste étant couvert, le cas échéant, par la complémentaire santé. Le dépassement d'honoraires, c'est autre chose : le patient le paie de sa poche. Cette idée n'est pas un dogme : c'est un élément supplémentaire d'incitation à l'installation des médecins en territoire sous-doté.

Les internes, notre collègue rapporteure de la commission des affaires sociales, Corinne Imbert les reçoit très souvent, et j'ai eu moi-même l'occasion de les rencontrer. Nous comprenons leur position, mais il leur arrive de pousser le bouchon un peu loin. Les pancartes que certains brandissent - « bac+ 12, pas pour finir à Mulhouse » - sont exagérées. Ils disent ne pas vouloir s'installer dans des territoires où il n'y a rien du tout, pas de crèche, pas d'école, pas de théâtre, alors que les zones dont il est question, qui sont sous-denses médicalement parlant, ne sont pas nécessairement sous-dotées par ailleurs.

Apprenons à nous méfier de l'expression « désert médical » : les jeunes et le milieu universitaire n'en retiennent que le mot « désert » ; pour eux, c'est la cambrousse, la jungle. Il nous faut donc démontrer qu'il existe des carences médicales dans des territoires qui sont bien dotés en équipements de toutes sortes.

Le temps médical est un élément très important. S'agissant de gagner du temps médical, la plus belle des avancées, ce sont les assistants médicaux. Près de 7 000 ont déjà été recrutés depuis 2019 : l'objectif d'en déployer 10 000 pourrait donc être bientôt atteint ; ceux-ci sont pris en charge quasi intégralement par l'assurance maladie l'année de leur recrutement, et partiellement les années suivantes. Il faut continuer de travailler dans ce sens. D'où l'intérêt de supprimer l'inutile, à commencer par les demandes de certificats médicaux dans le cadre des activités sportives par exemple, qui prennent du temps de consultation sans servir à grand-chose du point de vue du soin.

Je réponds à Simon Uzenat : l'idéal serait en effet une régulation sur l'ensemble du territoire, mais on ne peut réguler que ce que l'on a en quantité. C'est quand on dispose de suffisamment de médecins que l'on peut réguler les installations.

Cette proposition de loi est malgré tout une avancée : on touche à l'installation des médecins sur les territoires bien dotés, afin de les envoyer - c'est l'objectif - vers les territoires moins bien dotés. Ce texte est un compromis entre la commission des affaires sociales, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, le Gouvernement et le milieu médical. Et je précise qu'on ne saurait agir, en la matière, contre le milieu médical, qui a des arguments que nous pouvons pour partie entendre.

D'une manière générale, je prends tout ce qui permet d'avancer de quelques pas en ce domaine. Nous verrons ce que donneront par exemple les mesures relatives à la formation ou à l'accélération de l'autorisation d'exercice des Padhue. Et viendra un moment où nous aurons - où d'autres après nous auront - à remettre l'ouvrage sur le métier.

Prenons ce qu'il y a de bon dans ce texte !

M. Jean-François Longeot, président. - Ce problème récurrent est évoqué depuis des années. Il perturbe nos territoires et émerge comme central à chaque campagne présidentielle.

Les mesures ici proposées sont peut-être de petites avancées, mais elles sont utiles. Nous ne les avons pas sorties de notre chapeau : elles sont issues d'un compromis noué avec l'ordre des médecins, avec les jeunes médecins notamment, mais aussi entre les médecins, le Gouvernement et nos deux commissions.

Je vous remercie, mes chers collègues, de reconnaître ces avancées, s'agissant d'un sujet particulièrement essentiel car vital pour tous les Français.

M. Ronan Dantec. - Puisqu'il est question de compromis - il en faut un, c'est vrai -, un compromis est-il recherché avec l'Assemblée nationale et avec la proposition de loi Garot, qui est en quelque sorte le point aveugle de notre débat ?

M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - La réponse est non.

Nous avons obtenu une forme de validation gouvernementale puisque la procédure accélérée a été engagée sur la proposition de loi que nous examinons : le travail du Sénat a donc de grandes chances d'aboutir.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article 1er

M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. - L'amendement  COM-45, identique à l'amendement  COM-4 de la rapporteure de la commission des affaires sociales, porte sur le rôle et la composition des offices départementaux d'évaluation de la démographie des professions de santé.

Il renforce le rôle de ces offices départementaux dans la détermination des zones sous-denses en prévoyant que le directeur de l'agence régionale de santé détermine ces zones après avis conforme des offices départementaux concernés.

Il prévoit également que ce zonage est révisé tous les ans, et non tous les deux ans comme le prévoit actuellement l'article L. 1434-4 du code de la santé publique, afin d'en assurer la pertinence et l'actualité au regard des besoins des territoires.

Il indique que les représentants des communes et de leurs groupements sont associés aux offices départementaux d'évaluation de la démographie des professions de santé. Il assure ainsi une meilleure représentation des collectivités territoriales.

L'amendement COM-45 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de son amendement.

La réunion est close à 14 h 35.

Mercredi 7 mai 2025

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Nous entamons nos travaux de ce matin par l'examen de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, déposée par M. Philippe Folliot, Mme Marie-Lise Housseau et plusieurs de leurs collègues.

Comme vous le savez, les arrêtés préfectoraux portant autorisation du projet d'autoroute A69 entre Castres et Toulouse ont été annulés par le tribunal administratif de Toulouse le 27 février dernier. Celui-ci a en effet estimé que les critères pour constater une raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) n'étaient pas réunis. Le chantier, dont la date de remise était prévue à la fin de l'année 2025, est donc à l'arrêt dans l'attente d'une décision du juge d'appel, laquelle peut prendre plusieurs mois.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à valider l'autorisation environnementale du projet au motif que celui-ci répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, compte tenu des enjeux qu'il soulève pour le développement économique du territoire et la qualité de vie de sa population.

Ce texte sera discuté en séance publique jeudi 15 mai prochain, dans l'espace réservé du groupe Union Centriste.

M. Franck Dhersin, rapporteur. - Mes chers collègues, ce texte cosigné par près d'une centaine de nos collègues a été déposé le 18 mars 2025, à la suite de l'annulation par le tribunal administratif de Toulouse, le 27 février dernier, des deux autorisations environnementales dont faisait l'objet le projet d'A69, au motif que celui-ci ne répondrait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur, condition requise pour l'obtention de la dérogation « espèces protégées » en application du code de l'environnement.

Cette décision a conduit à interrompre les travaux à quelques mois seulement de leur achèvement. Aussi la proposition de loi qui vous est soumise a-t-elle pour objet de régulariser de manière rétroactive ces deux autorisations environnementales, afin de permettre la reprise du chantier.

Avant toute chose, le calendrier d'examen de ce texte suscite de légitimes interrogations pour nos concitoyens, mais aussi pour les parlementaires que nous sommes, ainsi que j'ai pu le constater ces dernières semaines. D'une part, la proposition de loi est examinée après l'annulation d'un acte administratif par le juge, acte qu'elle a pour objet de valider. D'autre part, l'État a entamé une procédure d'appel, et a également sollicité un sursis à l'exécution de la décision du tribunal administratif de Toulouse, sursis au sujet duquel une décision pourrait être rendue dans les prochaines semaines.

Je souhaite d'emblée répondre à ces deux remarques. Sur le premier point, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne proscrit pas, sur le principe, toute validation législative d'un acte administratif déjà annulé par le juge. Elle interdit simplement, au titre de la séparation des pouvoirs, qu'une telle validation conduise à remettre en cause une décision ayant force de chose jugée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, puisque les jugements de première instance ne sont pas considérés comme définitifs, à l'inverse des jugements d'appels.

Sur le second point, les législateurs que nous sommes n'ont en aucun cas vocation à substituer leur analyse à celle du juge administratif devant lequel une procédure est en cours. Je ne porterai donc pas de jugement sur la décision du tribunal administratif de Toulouse et me bornerai à examiner la conformité de cette proposition de loi aux exigences posées par la jurisprudence constitutionnelle, sur lesquelles je reviendrai dans quelques instants.

J'ajoute que l'intervention du Parlement en réponse à cette situation à maints égards exceptionnelle ne me semble pas illégitime, compte tenu des motifs d'intérêt général en jeu et dans la mesure où il appartient au législateur, en application de l'article 6 de la Charte de l'environnement, de concilier la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. Cette équation, certes complexe, est au coeur de ce dossier.

Ces éléments liminaires posés, je souhaite aborder rapidement la méthodologie que j'ai suivie. J'ai conduit plus d'une dizaine d'auditions avec des parties prenantes au projet d'A69 - concessionnaires, collectivités locales, services de l'État sur le territoire, chambres consulaires et organisations professionnelles -, ainsi qu'avec des juristes et les services centraux. J'avais naturellement convié en audition les principaux opposants au projet d'A69, France nature environnement Occitanie Pyrénées et le collectif « La voie est libre », mais ces derniers ont décliné mon invitation, ce que je regrette. J'ai également sollicité des représentants du département de Dordogne, afin de bénéficier d'un retour d'expérience sur les conséquences de l'annulation par le juge administratif du contournement routier de Beynac, en 2019, alors que ce chantier était bien avancé, même si les enjeux, notamment financiers, en cause sont sans commune mesure avec ceux de l'A69.

Je vous propose à présent d'entrer dans le vif du sujet, en rappelant brièvement les modalités et l'historique du projet d'A69, puis en vous exposant les orientations de mon rapport.

Le projet d'A69, dont la construction avait débuté en mars 2023, vise à relier l'A68 à la rocade de Castres dans le Tarn, grâce à une nouvelle infrastructure à 2×2 voies sur une longueur de 62 kilomètres. Il s'agirait d'une alternative à la route nationale 126 existante, qui relie Toulouse à Castres. Le projet se décompose en deux opérations : d'une part, la mise en 2x2 voies de l'A680 existante, confiée à Autoroutes du Sud de la France (ASF), et, d'autre part, la construction en tracé neuf de l'A69, sur 53 kilomètres, qui a été confiée à la société concessionnaire Atosca.

Si la genèse du projet remonte aux années 1990, son lancement a véritablement été acté au cours des années 2010. L'A69 répond à un double objectif de développement et de renforcement de l'attractivité économique du sud du Tarn et de Castres-Mazamet, d'une part, et d'amélioration de l'accessibilité routière de ce bassin et de la sécurité routière de l'axe Toulouse-Castres, d'autre part. Le projet fait l'objet d'un soutien local incontestable, tant de la part des élus locaux que des acteurs socio-économiques, dont j'ai pu prendre la mesure au cours de mes travaux préparatoires.

Comme vous le savez, il a néanmoins fait l'objet de nombreuses contestations contentieuses auprès du juge du fond et du juge des référés, qui s'étaient toutes, jusqu'au mois de février dernier, soldées par des échecs. La décision du tribunal administratif de Toulouse du 27 février 2025 a donc constitué un tournant, conduisant logiquement à l'interruption du chantier, lequel aurait dû être achevé à la fin de cet été pour la partie relative à l'A680 et en fin d'année pour l'A69.

La proposition de loi de validation qui nous est soumise est assez simple dans son dispositif, mais elle soulève des enjeux constitutionnels qu'il convient d'aborder.

Pour être conformes à la Constitution, les lois de validation doivent répondre à des exigences posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Un critère s'avère particulièrement central : une disposition de validation doit être justifiée par des motifs impérieux d'intérêt général, ce qui me semble, en l'espèce, être le cas à deux titres.

En premier lieu, le projet d'A69 présente des bénéfices potentiels majeurs pour le territoire de Castres-Mazamet d'un point de vue socio-économique et en matière de sécurité routière.

Le bassin de vie de Castres-Mazamet, qui compte 42 000 emplois et 112 000 habitants, est le seul bassin d'Occitanie de cette importance situé à plus d'une heure du réseau autoroutier, du réseau TGV et de Toulouse. Sa population est donc à l'écart des grands équipements du pôle toulousain, d'autant plus que les infrastructures de dessertes existantes, à commencer par la liaison ferroviaire, manquent de rapidité et de fiabilité. Il faut en outre 1 heure 10 pour rejoindre Toulouse depuis Castres via la RN 126, ce qui place cette ville dans une situation singulière par rapport aux autres agglomérations situées à des distances équivalentes, voire inférieures, de la capitale régionale, mais qui sont reliées au réseau autoroutier. L'A69 a vocation à permettre un gain de temps considérable pour les trajets Castres-Toulouse, de l'ordre de vingt-cinq à trente-cinq minutes.

Il résulte de cet enclavement du bassin de Castres-Mazamet une dynamique démographique défavorable, qui contraste avec celle que l'on observe dans des agglomérations occitanes comparables. En comparaison de dix agglomérations reliées à Toulouse par une autoroute, l'agglomération de Castres-Mazamet est la seule à avoir régulièrement perdu des habitants entre 1968 et 2021. L'essentiel de la croissance démographique en Occitanie se déploie en effet le long du littoral et des axes autoroutiers reliant Toulouse à Montauban, Albi et Carcassonne ; l'agglomération Castres-Mazamet ne bénéficie pas de cette dynamique. Rétablir l'attractivité du sud du Tarn est d'autant plus important que sa population est vieillissante, les personnes de plus de 60 ans représentant plus du tiers de ses habitants.

Naturellement, le développement économique de Castres-Mazamet pâtit de cette situation. Dans la région, cette agglomération est la seule dont l'emploi stagne, alors que les bassins équivalents progressent. Ainsi, entre 2010 et 2021, l'emploi a augmenté de seulement 1,4 % dans l'agglomération de Castres-Mazamet, là où il a augmenté de près de 14 % dans le Grand Montauban, de 7 % dans l'agglomération Gaillac-Graulhet et de 6 % dans l'Albigeois, ces agglomérations étant reliées à Toulouse par les autoroutes A62 et A68. Les entreprises et les établissements publics du territoire comme le centre hospitalier de Castres rencontrent en outre des difficultés récurrentes de recrutement, en particulier pour les postes qualifiés et d'encadrement, du fait d'une mauvaise connexion avec Toulouse.

Si le lien entre la création d'une infrastructure de transport et le développement économique d'un territoire n'est pas automatique, la réciproque, en revanche, est certaine : un territoire ne saurait se développer ni d'ailleurs conserver et faire vivre son tissu économique sans infrastructures de transport adaptées. J'ai en outre constaté qu'un ambitieux projet de territoire a été élaboré autour de cette infrastructure, afin qu'elle soit un véritable catalyseur de développement économique.

Le projet d'A69 répond également à des impératifs de sécurité routière. La RN 126 actuelle, qui comprend deux voies sans séparateur central et qui traverse de nombreux bourgs, est en effet accidentogène : de 2010 à 2020, nous y déplorons 11 morts et 120 blessés, dont 65 ont été hospitalisés. Le report du trafic des véhicules légers et lourds vers l'A69 aura des effets positifs sur la sécurité routière, non seulement pour les usagers de la future autoroute, mais aussi pour ceux de la RN 126, qui sera déclassée en route départementale. L'A69 constituera également un atout pour la gestion des secours et des moyens de sécurité civile, en permettant un acheminement plus rapide des victimes vers les hôpitaux toulousains.

J'ajoute que tous ces motifs avaient déjà conduit le législateur à reconnaître l'intérêt général de ce projet, à l'occasion de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, dont l'exposé des motifs avait recensé le projet d'A69 parmi les « grands projets routiers » devant être engagés dans les cinq ans.

En second lieu, l'abandon du projet d'A69 engendrerait lui-même des conséquences dommageables tant pour le territoire que pour l'intérêt général, qu'il convient de prendre en compte.

Tout d'abord, le chantier a été interrompu alors qu'il était déjà très avancé : les travaux de l'A680 sont réalisés à 80 %, tandis que 54 % des volumes de terrassements et 70 % des ouvrages d'art sont déjà réalisés sur l'A69. Les dépenses déjà engagées sont de 300 millions d'euros pour l'A69 et de 90 millions d'euros pour l'A680, soit respectivement près de 70 % et de 90 % des coûts prévisionnels.

Dès lors, l'abandon du projet engendrerait vraisemblablement des coûts considérables pour les finances publiques. La résiliation du contrat de concession sur l'A69 impliquerait en effet, d'une part, l'indemnisation du concessionnaire à hauteur du coût des travaux déjà réalisés, soit 250 millions d'euros pour Atosca et, d'autre part, la remise en état des terrains, opération complexe dont le coût représenterait un montant au moins équivalent.

Ensuite, l'abandon du projet aurait de lourdes conséquences socio-économiques pour le territoire. Celles-ci sont d'ailleurs déjà perceptibles depuis l'interruption du chantier, qui mobilisait près de 1 000 salariés, des centaines d'intérimaires, 350 machines et 67 contrats de sous-traitance. Plusieurs entreprises qui intervenaient sur le chantier font face à un risque de dépôt de bilan ou à des difficultés sévères de trésorerie. De nombreuses entreprises et collectivités territoriales se trouvent en outre confrontées à de réelles difficultés financières parce qu'elles avaient investi ces dernières années en anticipant la mise en service prochaine de cette infrastructure. Des investissements importants ont ainsi été stoppés, des projets ont été mis en suspens, et les chambres consulaires craignent que les entreprises qui misaient sur l'amélioration de la desserte de Castres-Mazamet ne décident de quitter le territoire.

En outre, l'abandon du projet aurait des conséquences dommageables pour l'environnement. La mise en oeuvre des mesures de compensation environnementale pourrait en effet être remise en cause, ce qui pourrait induire des pertes nettes de biodiversité. Au vu de l'avancement du chantier, il est certain que certaines espèces ont déjà été directement affectées, notamment par la destruction ou la fragmentation de leur habitat. En cas d'arrêt définitif du projet, des mesures assurément coûteuses devront être engagées pour rechercher un nouveau dispositif de compensation, puisque la destruction des ouvrages déjà construits aura elle-même des impacts sur la biodiversité.

En complément, bien que cela soit moins quantifiable - si ce n'est peut-être dans les urnes ! -, on peut craindre que l'abandon du projet à un stade si tardif de son avancement n'envoie un signal politique extrêmement négatif sur le territoire de Castres-Mazamet, qui attend cette infrastructure depuis des années. Toutes tendances confondues, les acteurs locaux rencontrés au cours de mes travaux ont fait état d'un sentiment d'abandon et de perte de confiance envers les pouvoirs publics exprimé par la population, et d'une forte incompréhension face à une potentielle gabegie financière. Les nombreuses expropriations conduites pour mener à bien ce projet peuvent aussi nuire à l'acceptabilité sociale d'un tel abandon. Le devenir des surfaces concernées, pour la plupart agricoles, devra en outre être questionné, la majorité des terres ayant été traitées à la chaux et n'étant donc plus exploitables en l'état.

Pour toutes ces raisons, je soutiens cette proposition de loi et ne vous proposerai pas de l'amender.

À mon sens, le cas de l'A69 devrait inciter le législateur que nous sommes à réfléchir aux moyens de mieux concilier les impératifs de la sécurité juridique des projets d'infrastructures et de la protection de l'environnement. Si tel n'est pas l'objet de la présente proposition de loi, dont la portée est circonscrite à un cas concret, il importe que nous nous penchions sur cette question.

L'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi de simplification de la vie économique devrait permettre d'apporter de premières réponses encourageantes. Plusieurs amendements ont en effet été déposés visant à permettre la reconnaissance de la RIIPM plus tôt dans la vie des projets, dès le stade de la déclaration d'utilité publique (DUP), dans l'objectif de purger le risque contentieux sur ce sujet avant l'engagement des travaux.

Si ces pistes vont indiscutablement dans le bon sens, elles ne concernent néanmoins que les projets futurs. Je m'interroge sur la manière dont nous pourrions mieux sécuriser certains projets en cours, en particulier les projets d'infrastructures majeures favorisant le report modal, comme le canal Seine-Nord Europe ou le tunnel ferroviaire de la LGV Lyon-Turin, compte tenu des bénéfices de long terme qu'ils présentent pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre liés au transport.

En outre, il me semblerait opportun de préciser dans la loi les critères à prendre en compte dans le cadre de la RIIPM, de manière à mieux encadrer la marge d'appréciation laissée au juge administratif en cas de litige. En effet, cette notion, qui découle du droit européen, gagnerait à être mieux définie par le législateur.

M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi. - Mes chers collègues, je m'exprime devant vous avec humilité et gravité. Je salue tout d'abord le travail du rapporteur : je n'ai pas une virgule à modifier à son propos, tant celui-ci reflète la réalité de l'expérience vécue par les populations et les élus dans les territoires.

Nos concitoyens et les élus locaux éprouvent un lourd sentiment d'incompréhension par rapport aux conséquences de la décision du tribunal administratif d'arrêter le chantier. Chacun a pu constater sur le terrain l'avancée des travaux. Nombre de nos concitoyens expriment même une forme de colère sourde devant la situation. En effet, les conséquences sociales de cette décision sont directes : du jour au lendemain, 1 000 personnes ont perdu leur emploi. Les élus souhaitaient engager des programmes pour permettre le retour à l'emploi de personnes qui en étaient éloignées, mais ces personnes se retrouvent privées du nouveau projet de vie qu'elles étaient en train de construire - je me souviens encore du témoignage de l'une d'elles.

Unanimement, les élus du conseil départemental - majorité et opposition confondues - ont publié une tribune pour demander la reprise des travaux. L'incompréhension est aussi le fait des milieux économiques : les chefs d'entreprise, qui ont besoin de visibilité et de lisibilité pour investir, font face à un coup d'arrêt.

L'incompréhension est aussi totale par rapport aux conséquences financières de l'arrêt du chantier. La mise en sécurité du site, qui a déjà coûté 5 millions d'euros, continue de coûter 200 000 euros par jour. Nos concitoyens ne peuvent le comprendre, compte tenu de l'état de nos finances publiques.

Il y a en outre une attente très forte. Pourquoi devons-nous encore et toujours poser la question du désenclavement de ce territoire, alors que la plupart des bassins d'emploi de l'ex-région Midi-Pyrénées sont déjà désenclavés par rapport à la métropole régionale ? La raison en est simple : le département du Tarn, bicéphale, compte deux bassins d'emploi, autour d'Albi et de Castres. Par un consensus atteint à l'échelle du département dans les années 1990, il avait été décidé de désenclaver dans un premier temps Albi par rapport à Toulouse. L'autoroute A68 était le premier maillon de ces travaux, car elle permet également de désenclaver le département voisin de l'Aveyron - il faut passer par Albi pour relier Toulouse et Rodez. Le département du Tarn était dès lors considéré comme désenclavé, alors même que l'arrondissement de Castres est plus peuplé que les départements du Lot, du Gers ou de l'Ariège. Au rythme d'avancement des travaux, la perspective de désenclavement total du bassin était fixée à 2070, ce qui n'était pas acceptable.

En 2010, le ministre de l'équipement et des transports, Jean-Louis Borloo, en accord avec l'ensemble des élus locaux et des forces économiques du territoire, a ainsi proposé une concession autoroutière sur cet axe. Bien sûr, les choses ont pris du temps : deux débats publics ont été organisés au sujet du contournement de Toulouse et de l'autoroute A69. Les deux tiers des avis étaient d'ailleurs favorables au projet.

Je ne reviens pas sur les éléments fort justement développés par le rapporteur : même si, dans la loi d'orientation des mobilités, le Parlement a conféré au projet le statut de projet d'intérêt général national, et même si le projet a été déclaré d'utilité publique par le Conseil d'État en 2021, nous nous retrouvons dans cette situation.

Nous avons donc déposé cette proposition de loi pour réparer une injustice territoriale.

Certains avancent qu'il faut développer des moyens de transport alternatifs. Il y a peu, j'ai décidé de faire le trajet entre Toulouse et Mazamet en train : j'ai mis une heure quarante-cinq, pour 20,40 euros ! Il est urgent de donner à ce bassin d'emploi un équilibre et une équité territoriale. Pour atteindre cet objectif, poursuivre les travaux de l'A69 nous semble un élément majeur.

Mme Marie-Lise Housseau, auteure de la proposition de loi. - Le Tarn est un département très rural, qui comprend les monts de Lacaune et des zones d'élevage extensif, le vignoble du Gaillacois et un riche passé industriel. Castres-Mazamet a été mondialement connu pour son industrie du délainage, Graulhet pour le cuir, Carmaux pour ses mines. Tout cela a disparu : le département a été totalement désindustrialisé, et il en est resté une véritable cicatrice. Le Tarn est pauvre ; il figure au 63e rang des départements français en termes de richesse. Si nous avons eu recours à une concession autoroutière, c'est aussi parce que nous n'avions pas les moyens de réaliser une route nationale à 2x2 voies, car nous n'avons pas pu obtenir les financements du contrat de plan État-région ou les fonds européens.

Le Tarn a commencé à retrouver une certaine activité industrielle grâce à l'implantation des laboratoires du groupe pharmaceutique Fabre, à celle de l'École des mines à Albi ainsi qu'avec une renaissance de Castres-Mazamet autour du secteur de la chimie fine en cosmétique, pharmacie, peinture ou médecine. Tous les cadres qui y sont employés doivent pouvoir facilement accéder à la métropole toulousaine : aucun ne veut venir « s'enterrer » - pardonnez-moi l'expression - à Castres-Mazamet, avec sa famille, s'il ne peut pas rejoindre les métropoles !

À Castres-Mazamet, nous capitalisons sur le redémarrage de l'économie, mais aussi sur celui du tourisme : notre département compte un parc naturel, plusieurs zones Natura 2000, et nous ne voulons pas abîmer notre environnement. J'ai été directrice de la chambre d'agriculture du Tarn, qui a pris part au projet ; nous avions bien conscience que l'environnement dépassait l'intérêt particulier des agriculteurs, et nous avons tout fait pour préserver ces deux aspects. Lorsqu'on construit une route, il est impossible de ne pas détruire la flore et la faune sur son tracé. Toutefois, l'artificialisation des sols induite par le chantier a été considérablement réduite par rapport à ce qui était initialement envisagé : de 380 hectares à artificialiser, nous sommes passés à 300 hectares, 100 hectares étant réservés à la bande goudronnée, et 200 hectares pour ses alentours, et toutes les compensations environnementales possibles ont été prises.

Je précise qu'à aucun moment l'itinéraire retenu ne traverse de zone particulièrement fragile, de zone Natura 2000 ou de zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff). Les zones environnementales fragiles situées sur le tracé de la route, qui longe d'assez loin la rivière du Girou, sont des prairies humides dans une zone agricole de grande culture de tournesol, de blé et de maïs. Nous avons tout de même demandé à Atosca, qui s'est appuyé sur un inventaire du bureau d'étude Biotope, de mettre en place toutes les mesures de contrepartie possibles. Bien sûr, cela n'est pas parfait, mais rappelons-nous que tous les ans, autour de Toulouse, 400 hectares sont artificialisés.

Des compensations écologiques à hauteur de 16 millions d'euros ont été prévues, à travers la construction de vingt corridors écologiques pour la grande faune et de cinquante pour la petite faune. Atosca a acheté d'anciennes carrières pour les remplir d'eau afin de compenser la perte des zones humides désormais abîmées. Certes, tout n'est pas parfait, mais il ne faut pas croire que le chantier a été mené sans que l'environnement ait été pris en compte, bien au contraire. Tous les maires qui soutiennent le projet font de même dans leurs communes : nous avons tous à coeur de préserver notre environnement, et nous souffrons beaucoup du traitement que les environnementalistes nous réservent, prétendant que les Tarnais ne se préoccupent que de se déplacer en voiture en « bousillant » la planète.

Le rapporteur a présenté toutes les conséquences de l'abandon de ce projet. S'il restait dix ou quinze ans en l'état, les compensations environnementales ne verraient jamais le jour. Tous les habitants de mon village me demandent quand nous parviendrons à reprendre le chantier. Si nous n'y parvenons pas, la fracture entre les citadins et les ruraux qui se sentent méprisés - vous connaissez tous La France périphérique de Christophe Guilluy - ne pourra que s'accroître, entraînant une perte de confiance dans les élus : à quoi sert-il de les élire, s'ils ne parviennent pas à faire aboutir depuis 30 ans un projet qu'ils soutiennent pourtant tous ?

M. Olivier Jacquin. - Je salue l'engagement du rapporteur, ainsi que celui des auteurs de la proposition de loi : nous imaginons la pression qu'ils subissent devant le gâchis qui s'affiche sous nos yeux. Le rapporteur n'a toutefois que peu insisté sur l'erreur considérable de l'État qui, même si le dossier est très ancien, a engagé des travaux alors que les recours n'étaient pas achevés. Tel est le problème initial.

L'État a lui-même déposé des recours auprès de la justice, qui seront examinés au cours du mois de mai. Indépendamment de notre position vis-à-vis de la construction de cette autoroute, nous sommes dans un État de droit, et cette proposition de loi qui tend à valider des arrêtés préfectoraux pose problème quant à la séparation des pouvoirs. En outre, elle comporte de probables fragilités constitutionnelles.

Monsieur le rapporteur, notre rôle de législateur est d'assurer que les autorisations environnementales seront revues pour éviter ce genre de gâchis, notamment lors des DUP. Au vu de ces précisions, nous ne participerons pas au vote.

M. Ronan Dantec. - Nous ne sommes pas là pour nous poser la question de l'intérêt de cette autoroute payante par rapport à une voie express rapide : là n'est pas le débat. Je prends note de la décision du tribunal administratif, qui a estimé que les « apports limités du projet en termes économique, social et de gain de sécurité » ne sauraient « suffire à caractériser l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur ».

Le présent texte constitue un détournement du principe des lois de validation. Vous parlez de l'émoi des juges, mais je ne suis pas certain que cette proposition de loi soit le meilleur moyen de les mobiliser. Olivier Jacquin l'a indiqué, la question relève du droit et tout le monde sait qu'elle sera en définitive tranchée par le Conseil constitutionnel. Le texte remet en question l'indépendance de la justice, qui constitue un socle de notre société. Je ne serai pas plus long : il s'agit d'une loi de posture, et le spectacle aura lieu dans l'hémicycle et non en commission.

De toute évidence, il s'agit d'une mauvaise réponse. Je respecte les défenseurs de ce projet, mais celui-ci revient à proposer à des ménages modestes éloignés de la ville-centre de payer pour rejoindre cette dernière. La question est d'abord sociale plutôt qu'environnementale : de toute évidence, c'est sur ce point que le tribunal administratif se positionne. Nous voterons contre. Nous n'en sommes qu'au début de la question de l'utilisation de lois de validation dans ce cas : le juge constitutionnel devra se positionner.

M. Didier Mandelli. - Nous soutenons évidemment la position du rapporteur. Je m'inscris en faux contre les propos de Ronan Dantec. Pour moi, la politique, ce n'est pas du spectacle et des postures, c'est de la conviction, c'est la prise en compte des attentes et des besoins de notre société comme de nos concitoyens, en l'occurrence des habitants de la région.

M. Alexandre Basquin. - Je rejoins mes collègues Olivier Jacquin et Ronan Dantec. Tout grand projet d'aménagement rencontre des oppositions, et dans une démocratie il est sain que ces débats aient lieu. Toutefois, le calendrier politique n'est pas le calendrier administratif, qui lui-même ne se confond pas avec le calendrier judiciaire. La confusion entre ces trois éléments conduit à de grandes difficultés : un chantier a débuté alors que toutes les voies de recours n'étaient pas purgées. Je mesure les difficultés dans le territoire, d'autant que les travaux d'aménagement ont été quasiment achevés.

En revanche, si l'on cesse de considérer uniquement le cas particulier visé par ce texte, il est possible de s'inquiéter du respect du principe de la séparation des pouvoirs. Dès lors qu'une décision a été rendue en première instance, malgré le fait qu'une procédure d'appel ait été lancée, l'invocation permanente d'une RIIPM revient à ouvrir une boîte de Pandore qui pourrait s'avérer particulièrement dangereuse à l'avenir. Tous les débats devraient être menés avant le lancement des travaux. Cette proposition de loi présente quelques fragilités, et je ne sais pas comment se prononcera le Conseil constitutionnel à son propos. La situation est déjà très difficile, et j'espère que son adoption ne créera pas davantage de difficultés. Pour ma part, je m'y opposerai à titre personnel, car la séparation des pouvoirs doit rester une caractéristique intangible de notre démocratie représentative.

M. Jean-Claude Anglars. - Le désenclavement routier n'est pas un gros mot. Aujourd'hui, tous les territoires ne sont pas désenclavés. Au sud du Massif central, il n'y a ni route ni train. L'histoire de ce projet, qui s'inscrit dans le temps long, est un vrai combat. Je reprends deux mots prononcés par Philippe Folliot : il y a en effet une colère sourde et une incompréhension totale, au-delà du Tarn, dans tout le sud du Massif central. D'autres projets sont par ailleurs nécessaires, notamment en Aveyron avec le chaînon manquant de l'A88 entre Rodez et Séverac-le-Château.

Je soutiens donc totalement l'initiative de nos collègues du Tarn, ainsi que le travail précis du rapporteur. L'environnement est bien sûr un sujet essentiel. Lors de la construction de l'A68 entre Toulouse et Rodez, les collectivités avaient dû dépenser plus de 10 millions d'euros pour protéger des écrevisses à patte blanche dont on s'est rendu compte, quelque temps plus tard, qu'elles ne se trouvaient pas sur le trajet. La mobilité n'est pas un sujet définitivement réglé en France, et il faut prendre en compte la différenciation des territoires.

M. Rémy Pointereau. - Je soutiens nos collègues ayant déposé la proposition de loi et je salue l'excellent travail du rapporteur. Aujourd'hui, tous les grands projets d'infrastructure, routiers ou ferroviaires, sont sujets à recours. C'est pour moi l'effet Notre-Dame-des-Landes, après que l'État a cédé devant les militants opposés à ce projet d'aéroport. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes militants qui contestent tous les grands projets d'infrastructure, sans même parler des bassines. Plus rien n'est possible ! Il faudra prendre des mesures pour que ceux qui déposent des recours assument la responsabilité financière des conséquences de leurs démarches. On ne peut pas admettre que les contribuables paient les pénalités infligées en raison de l'arrêt de ces grands projets. Sinon, nous ne pourrons plus rien faire dans notre pays. Je voulais pousser ce coup de gueule : cela commence à bien faire !

M. Hervé Gillé. - La question n'est pas celle d'être pour ou contre le projet d'autoroute ; c'est une question juridique. Disons les choses comme elles sont, cette proposition de loi de validation vise à contourner une décision du tribunal administratif.

Si la raison impérative d'intérêt public majeur avait été instaurée dès le début du dossier, lorsque la DUP a été prise - ainsi que le Gouvernement le propose maintenant, soit dit en passant -, il y aurait eu une démarche de clarification. La reconnaissance anticipée de la RIIPM permet d'accélérer les procédures, mais elle doit être caractérisée, sinon il n'y aurait qu'à l'imposer pour tous les projets. Les travaux ont démarré sans attendre les recours qui auraient pu être déposés. L'affaire sera jugée le 21 mai prochain. Il y a bien une question de fond : cette proposition de loi vise à contourner une procédure juridique.

Mes chers collègues, je vous alerte. Nous pouvons comprendre le fait de s'interroger, du point de vue législatif, sur la durée des procédures contentieuses, mais ce genre de démarche peut nourrir un sentiment d'impuissance politique, car ce texte se fracassera contre l'avis du Conseil constitutionnel. Le contournement institutionnel n'est pas une bonne solution lorsqu'on traverse une crise institutionnelle et sociétale.

M. Franck Dhersin, rapporteur. - Monsieur Jacquin, attendre que les recours soient tous purgés peut faire perdre dix ans. On ne peut attendre aussi longtemps avant de lancer des travaux. En outre, les inventaires faunistiques et floristiques qui sont réalisés dans le cadre de l'obtention de l'autorisation environnementale ont une durée de vie limitée : une fois les recours purgés, il faudrait recommencer le processus d'autorisation, ce qui donnerait lieu à de nouvelles possibilités de recours. C'est sans fin, et cela empêcherait toute possibilité d'avancer. J'ajouterais que les décisions administratives sont exécutoires, il s'agit d'un principe général du droit : elles créent donc des droits pour leurs bénéficiaires.

Monsieur Dantec, avant la dernière appréciation du juge, il y avait eu de nombreux jugements favorables. Le juge fait son travail et nous faisons le nôtre en légiférant. Nous sommes dans notre droit, et il n'y a aucune volonté de contestation institutionnelle de notre part ni de remise en cause de l'indépendance de la justice.

Monsieur Anglars, il y a effectivement une colère sourde. J'ai reçu le président du département de la Dordogne, le socialiste Germinal Peiro. Il était outré : il en a déjà eu pour plus de 30 millions d'euros avec le contournement routier de Beynac, qui a été annulé par le juge administratif en 2022 ! Il essaye tant bien que mal de trouver des solutions pour avancer autrement.

Monsieur Gillé, la proposition de loi résout la difficulté liée à la raison impérative d'intérêt public majeur, mais elle ne ferme pas le droit au recours sur l'autorisation du projet. D'autres motifs peuvent toujours être présentés au juge.

M. Jean-François Longeot, président. - Le débat est intéressant, mais je me pose des questions : tout le monde demande à être intégré au contrat de plan État-région pour réaliser les moindres travaux d'aménagement, et dès qu'une autoroute est presque réalisée, on cherche à arrêter le projet ? J'aimerais que nous retrouvions ce que nous avons un peu perdu : un peu de bon sens ! Regardez la situation ! Les finances, la dette, l'industrie se portent-elles bien ? Nous voulons que des entreprises s'installent dans les territoires, mais nous empêchons les employés de se déplacer. Dans mon département du Doubs, je me bats pour réduire le trafic des camions sur la RN 83, et on voudrait supprimer une autoroute ?

M. Philippe Folliot. - Monsieur Dantec, nous parlons non d'un projet, mais d'une réalisation : les photos projetées par le rapporteur en témoignent. Je peux entendre un certain nombre d'arguments, mais nous sommes attachés au respect de l'État de droit. Nous n'entendons pas le remettre en cause, nous voulons simplement répondre aux préoccupations de nos concitoyens. Il faut le rappeler, quatorze décisions favorables ont été rendues par la justice administrative, donnant l'autorisation de poursuivre les travaux ! Le 21 mai prochain, une décision sera rendue non au fond, mais sur le sursis d'exécution. Le tribunal administratif se positionnera sur la suspension et non l'annulation de la décision précédente : seul un jugement au fond pourra revenir sur la décision du tribunal administratif, et nous savons tous qu'il n'interviendra pas avant un an, voire dix-huit mois, entraînant les conséquences financières que j'ai mentionnées.

La question est simple : jusqu'à présent, un projet d'intérêt général national et d'utilité publique recevait de fait la qualité de RIIPM. Le tribunal administratif en a décidé autrement. Nous respectons cette décision, mais elle a diverses conséquences, qu'il faut corriger pour la suite, non seulement pour ce cas particulier, mais aussi pour d'éventuels projets futurs.

M. Jean-François Longeot, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la présente proposition de loi inclut les dispositions relatives aux autorisations et décisions réglementaires applicables au projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.

Proposition de loi visant à retirer les produits du bois de la responsabilité élargie du producteur produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen de la proposition de loi visant à retirer les produits du bois du champ de la responsabilité élargie du producteur produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment, dite REP PMCB, déposée par notre collègue Anne-Catherine Loisier.

L'économie circulaire, principe structurant de la transition écologique, irrigue progressivement tous les secteurs économiques. Ce printemps 2025 voit de nouveau notre commission se mobiliser sur ce sujet, cinq ans après la promulgation de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec).

Force est de constater que la mise en oeuvre de ses nombreuses dispositions demeure complexe. C'est précisément l'objet de la mission d'information conduite depuis janvier par nos collègues Marta de Cidrac et Jacques Fernique, dont nous attendons les conclusions en juin prochain pour dresser un premier bilan global de l'application de cette loi fondatrice.

La proposition de loi qui nous réunit aujourd'hui porte plus spécifiquement sur l'application du principe d'économie circulaire au secteur du bâtiment. Ce secteur, après celui des travaux publics, est le deuxième contributeur à la production de déchets en France : il génère environ 15 % des déchets nationaux, soit quelque 42 millions de tonnes chaque année, volume équivalent à celui de l'ensemble des déchets ménagers.

Ce constat fait de la gestion des déchets du bâtiment un enjeu majeur pour les élus locaux, d'autant que le phénomène des dépôts sauvages y est particulièrement préoccupant, tant par sa fréquence que par son impact. Pour répondre à cette problématique, la loi Agec du 10 février 2020 a introduit dans ce secteur le principe du « pollueur-payeur » en instituant une écocontribution à la charge des producteurs de matériaux, destinée à financer la collecte et le traitement des déchets de chantier. Cependant, sa mise en oeuvre effective, plusieurs fois différée, s'est heurtée à des difficultés notables. Ces obstacles ont conduit le ministère de la transition écologique à annoncer une refonte du dispositif, précédée d'un moratoire sur les mesures qui devaient entrer en vigueur cette année, qui a débuté ce mois-ci.

La proposition de loi que nous examinons vise à ajuster le périmètre de cette écocontribution, en excluant les produits issus de la filière bois-construction. L'examen de ce texte intervient donc dans un contexte singulier, marqué par une double temporalité : celle du travail en cours du Gouvernement sur le moratoire de la REP PMCB, et celle des travaux approfondis menés au Sénat dans le cadre de la mission d'information précitée.

Je salue le travail du rapporteur Bernard Pillefer, qui a su mener son analyse dans des délais particulièrement resserrés.

M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Nous avons mené une quinzaine d'auditions ces dernières semaines. Je remercie Anne-Catherine Loisier de nos longs échanges, même si les conclusions auxquelles je suis arrivé ne sont peut-être pas celles qu'elle aurait espérées.

La filière bois en France représente 417 000 emplois directs et 28 milliards d'euros de valeur ajoutée. C'est une filière dynamique, qui a créé 44 600 emplois supplémentaires entre 2016 et 2022. Elle contribue pleinement à la vitalité de nombreux territoires, à travers l'implantation de scieries et un réseau particulièrement dense d'artisans du bois.

Au-delà de son apport économique, le bois est un matériau de construction d'avenir : ressource renouvelable, favorisant le stockage des émissions de carbone, il est également recyclable et valorisable énergétiquement. La part du bois dans les matériaux de construction doit donc être développée si nous souhaitons respecter l'ambitieuse trajectoire de réduction des émissions carbone fixée pour le secteur du bâtiment à l'horizon de 2030.

Il est ainsi indispensable de soutenir le développement d'une filière bois-construction robuste, nous en convenons tous. Pourtant, les acteurs de cette filière nous alertent régulièrement sur le poids croissant que représente pour eux la contribution aux coûts de gestion des déchets. Cette contribution, qui existe depuis tout juste deux ans, s'applique aussi bien au bois produit en France qu'au bois importé.

En 2023, son montant atteignait 14 millions d'euros, soit 0,3 % du chiffre d'affaires de la filière. À l'horizon de 2027, lorsque l'ensemble des coûts de gestion des déchets issus du bois-construction auront été totalement transférés aux professionnels du secteur, il pourrait s'élever à 170 millions d'euros, soit 1,2 % du chiffre d'affaires. Par tonne, cette contribution financière est aujourd'hui en moyenne plus élevée pour le bois-construction que pour d'autres matériaux concurrents moins vertueux sur le plan environnemental. La situation est paradoxale : on pénalise au nom de l'environnement un matériau durable ! Signe de ce problème d'acceptabilité, certains acteurs de la filière bois-construction ont décidé, en 2025, de pratiquer un système d'adhésion-retrait immédiat pour se préserver la possibilité de changer rapidement d'éco-organisme.

La loi Agec du 10 février 2020 a créé une nouvelle filière à responsabilité élargie du producteur dédiée aux producteurs de matériaux de construction et du bâtiment, la filière REP PMCB. Le principe d'une filière REP est simple : la collecte et le traitement des déchets issus des matériaux de construction sont assurés par des sociétés, les éco-organismes, elles-mêmes financées par une participation financière, appelée écocontribution, versée par les producteurs. Elle permet l'application concrète du principe du « pollueur-payeur » : celui qui met sur le marché un produit destiné à devenir un déchet en assume le coût de gestion.

Depuis 2023, la filière REP PMCB poursuit ainsi trois objectifs : lutter contre les dépôts sauvages, améliorer la valorisation des déchets et encourager l'écoconception des produits du bâtiment. Son démarrage a été difficile, nous l'avons constaté : les objectifs environnementaux ambitieux fixés à la filière REP apparaissent, deux ans plus tard, pour la plupart difficiles à atteindre. Le niveau de contribution fixé pour chaque type de matériau par les organismes agréés cristallise en outre les inquiétudes du secteur. Les barèmes choisis par les éco-organismes dessinent en effet une trajectoire très ascendante à l'horizon de 2027.

Je salue à ce titre deux initiatives récentes, qui permettent de faire un pas de côté et de réfléchir au fonctionnement de la filière REP PMCB : d'une part, notre commission a lancé en décembre 2024 une mission d'information sur l'application de la loi Agec du 10 février 2020, ses rapporteurs Marta de Cidrac et Jacques Fernique devant nous présenter leurs conclusions au mois de juin prochain. D'autre part, la ministre Agnès Pannier-Runacher a annoncé en mars 2025 un moratoire sur les mesures de la filière REP PMCB qui devaient entrer en vigueur cette année. L'administration conduit actuellement une vaste consultation de l'ensemble des acteurs afin de réfléchir, d'ici à l'été, à des pistes d'amélioration réglementaires. Il faut laisser le temps à ces deux travaux complémentaires d'aboutir, avant d'envisager des améliorations, car la filière REP reste encore jeune : alors qu'elle a été mise en place depuis moins de deux ans, elle a déjà fait l'objet de deux évolutions réglementaires mises en oeuvre respectivement depuis dix et quatorze mois.

Au cours de mes travaux préparatoires, j'ai essayé d'éviter autant que possible d'empiéter sur ces deux travaux en cours, en me concentrant sur les problèmes spécifiques de la filière bois-construction. J'ai ainsi décidé de ne pas aborder le sujet des conditions tarifaires de reprise des déchets dans la filière REP PMCB, qui constitue certes un sujet important, mais qui a vocation à être réglé, dans le cadre du moratoire, par un dialogue entre l'ensemble des parties prenantes.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a le mérite de la simplicité : elle prévoit d'exclure le bois-construction de la filière REP PMCB, dispensant ainsi le secteur de toute obligation de contribuer au coût de gestion des déchets issus de ses produits. Une telle proposition ne semble toutefois pas adaptée, ni pour les collectivités territoriales ni pour l'économie circulaire en général.

Chaque année, les dépôts sauvages coûtent près de 400 millions d'euros aux collectivités territoriales. Au-delà du coût financier, ces dépôts sont aussi source de très vives tensions. J'ai entendu au cours de mes auditions la colère des élus locaux, bien souvent démunis face à la mauvaise gestion de déchets du bâtiment. Nous avons ainsi tous en mémoire le drame de Signes en 2019, où le maire a perdu la vie alors qu'il tentait de faire respecter l'interdiction de tels actes.

La filière REP PMCB vise à lutter contre ce fléau en structurant un maillage de points de collecte sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales. Exclure le bois, qui représente 10 % des matériaux retrouvés dans ces dépôts, risquerait de fragiliser ce maillage, au détriment de la protection du cadre de vie, de l'environnement, des équipements publics stratégiques que constituent les déchetteries publiques et plus largement des finances locales.

Par ailleurs, retirer le bois de la filière REP PMCB reviendrait à remettre en cause l'objectif de circularité. La REP encourage non seulement la collecte, mais aussi la valorisation des matériaux, dans le respect de la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Le bois est un bon élève, mais il peut encore progresser : un quart du gisement, soit 400 000 tonnes par an, est toujours enfoui. Les trois quarts restants sont valorisés, mais près de la moitié de cette matière fait l'objet d'une valorisation énergétique, et non d'un recyclage. Il convient de développer cette dernière option, en réservant la valorisation énergétique au bois ayant déjà connu plusieurs cycles de recyclage, et de diminuer la part du bois non recyclée ni valorisée. Sortir le bois de la filière REP PMCB affaiblirait cette dynamique, pourtant nécessaire à la transition écologique.

De surcroît, ce retrait porterait atteinte au principe même de la responsabilité élargie du producteur (REP). Si l'on commence à accepter des exemptions pour le bois-construction, comment refuser demain d'autres demandes de retrait pour d'autres matériaux, que les professionnels des secteurs du métal ou du plâtre ont déjà formulées ? Cela pourrait même avoir des conséquences sur les autres filières REP, qui demanderaient à bénéficier d'une exemption similaire. Le principe « pollueur-payeur » ne peut fonctionner que s'il est appliqué de manière universelle et cohérente.

Enfin, en pratique, une telle sortie poserait de sérieuses difficultés d'organisation pour les professionnels comme pour les collectivités. La déconstruction d'un bâtiment génère des flux multimatériaux. Séparer le bois des autres matériaux nécessiterait de doubler les filières de traitement, complexifiant inutilement la gestion des déchets, en particulier pour les petits artisans. De même, pour les collectivités confrontées aux dépôts sauvages mêlant différents matériaux, il deviendrait beaucoup plus compliqué de traiter efficacement les déchets.

Vous l'aurez compris, les difficultés rencontrées par la filière bois-construction sont bien réelles, mais la sortie du bois de la filière REP PMCB n'apporte pas de solution durable à ces problèmes.

Pour toutes ces raisons, je vous proposerai de supprimer l'article unique de cette proposition de loi, qui vise à exclure le bois-construction de la filière REP PMCB, pour privilégier d'autres mesures permettant de mieux proportionner les écocontributions aux performances environnementales du bois, tout en renforçant la lutte contre la fraude aux écocontributions.

Je proposerai ainsi d'instaurer un mécanisme de répartition des charges entre les différents matériaux de construction, au bénéfice des matériaux les plus performants en matière de taux de valorisation des déchets, parmi lesquels le bois. Un arrêté publié le 3 juillet 2024 à la suite des inquiétudes formulées par les professionnels du bois-construction visait à mettre en oeuvre un tel mécanisme de répartition. Le dispositif était simple et équitable : comme le bois-construction contribue plus que les autres matériaux à l'atteinte des objectifs environnementaux de la filière REP, sa contribution est réduite de moitié. Cette mesure aurait dû entrer en vigueur le 1er janvier 2025, mais son application a été reportée en raison du moratoire sur la filière REP PMCB. La consécration législative de ce mécanisme de répartition permettra de le sécuriser juridiquement et d'en assurer l'application, ainsi que de protéger le mécanisme d'éventuels revirements réglementaires, alors que l'on prévoit une hausse de l'écocontribution, liée à la montée en charge de la filière REP.

La fraude aux écocontributions contribue également à fragiliser l'acceptabilité de la filière REP pour les producteurs, en créant une concurrence déloyale. Les fraudeurs, qui n'assument pas le coût de l'écocontribution, sont favorisés par rapport aux entreprises qui remplissent leurs obligations. Pour améliorer la lutte contre cette fraude, je vous proposerai donc de faciliter la communication entre administrations, afin que celles-ci soient en mesure d'échanger des informations relatives au respect des règles de l'économie circulaire. Il s'agit de permettre à la puissance publique de mieux dialoguer afin de cibler plus efficacement ceux que l'on nomme les free-riders, ou passagers clandestins, qui pénalisent toute la filière.

Je proposerai également de créer une obligation, pour les personnes non établies en France, de désigner un mandataire chargé d'assurer le respect de ses obligations relatives au régime de REP, qui se substituera au producteur si les obligations financières ne sont pas remplies. Cette mesure innovante s'inscrit précisément dans l'esprit de la révision de la directive-cadre relative aux déchets en cours à l'échelle de l'Union européenne.

Enfin, pour tirer les conséquences de l'adoption éventuelle de ces amendements, je proposerai de modifier l'intitulé de ce texte, en le renommant : « proposition de loi visant à rééquilibrer la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment au profit des produits du bois. »

Je remercie de nouveau notre collègue Anne-Catherine Loisier pour son initiative, mais également pour la qualité de nos échanges constructifs. Ceux-ci nous ont permis d'aboutir à un texte équilibré et bien charpenté, qui protège notre filière bois, sans pour autant abaisser l'ambition de nos politiques d'économie circulaire dans le secteur du bâtiment.

Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi. - Le sujet des REP est très compliqué, chacune d'elles ayant son économie, sa logique et ses modulations internes. C'est un exercice complexe pour le législateur que de s'en saisir.

En tant que présidente du groupe d'études Forêt et filière bois, je me suis attachée personnellement à la question du traitement réservé au bois de construction, en particulier depuis la mise en place de la REP PMCB en 2023. La France est le seul pays en Europe, et probablement au monde, à avoir intégré le bois dans cette REP. Or si nos voisins ne l'ont pas fait, c'est parce que cela pénalise économiquement la compétitivité de leur filière forestière.

Le bois de construction est un cas particulier, car les matériaux qui en sont issus, comme les charpentes, sont largement collectés, triés et recyclés, avec un taux de valorisation de 80 % à 90 % selon les organismes. Cela s'explique par leur valeur en tant que matière première pour les chaufferies, très convoitée dans le contexte de la décarbonation de notre industrie. Ils sont également utilisés sur le long terme comme bois pour panneautiers. Cette activité perdure en effet en France, mais se raréfie, car la matière première à un coût accessible fait défaut.

Les niveaux de collecte, de tri et de recyclage atteints par ces matériaux issus du bois de construction sont bien supérieurs à ceux des autres matériaux de construction, à l'exception peut-être de l'acier.

Je tiens à souligner que la REP, telle qu'elle est conçue aujourd'hui en France, conduit à l'exportation de près de 1,6 million de tonnes de matériaux bois recyclés sur 5,8 millions de tonnes collectées. Ces matériaux sont exportés vers le Portugal, la Belgique ou d'autres pays pour alimenter des chaufferies ou des panneautiers étrangers, ce qui signifie que les industriels français offrent gratuitement une matière première à leurs concurrents, la REP incluant le transport jusqu'à l'usager final.

Selon les chiffres de l'éco-organisme Ecomaison, l'écocontribution s'élève en moyenne à 15 euros par tonne de bois, ce qui représente une proportion importante par rapport au prix moyen de la tonne de bois, qui est de 200 euros. Certains industriels considèrent que cela équivaut presque à une deuxième TVA. Selon le processus de la REP, ce chiffre devrait évoluer jusqu'à 80 euros en 2028, ce qui a incité les industriels à se mobiliser.

Le Gouvernement a pris conscience de ces difficultés et a tenté de trouver des mécanismes de pondération. Le dernier arrêté prévoyait un abattement de 50 % sur le prix de l'écocontribution. Cependant, le moratoire en cours vise la suppression de cet abattement, ce qui suscite l'incompréhension de la filière et justifie le dépôt de cette proposition de loi. En effet, un moratoire qui supprimerait l'abattement serait à rebours des enjeux, alors que la loi Agec du 10 février 2020 avait pour objet de favoriser les produits biosourcés en faisant baisser le prix des matériaux vertueux pour les rendre plus attractifs.

Le bois est un matériau important pour relever les défis environnementaux, favoriser la transition énergétique et nous permettre de développer la bioéconomie. La France exerce une souveraineté dans le secteur du bois, car elle est le quatrième pays forestier d'Europe, avec une production très importante. C'est pourquoi le Gouvernement a largement soutenu l'industrie du bois dans le cadre du plan France 2030, pour qu'elle s'adapte et utilise les essences accessoires, préservant ainsi notre souveraineté. Cette filière est importante tant pour la réindustrialisation que pour la décarbonation de notre pays. Elle l'est aussi pour le secteur de la construction, puisque l'objet de la réglementation environnementale RE2020 est de favoriser l'emploi des matériaux biosourcés dans ce secteur. Le coût de la REP s'ajoute au surcoût que l'on pointe aujourd'hui en matière de construction, ce qui est un enjeu important.

La filière forêt-bois, qui articule le stockage dans les forêts et le stockage dans la construction et dans le matériau en longue durée, représente entre 9 % et 10 % du puits de carbone. Elle fait l'objet, à ce titre, d'une grande vigilance. Le mécanisme de la REP, notamment la REP PMCB, est déterminant et doit favoriser l'emploi du bois dans les usages, y compris les plus longs.

En résumé, je tiens à souligner l'importance de poursuivre le soutien au matériau bois, qui est une chance et une richesse pour la France. Je remercie le rapporteur Bernard Pillefer avec qui nous avons travaillé en co-construction, pour aboutir à des amendements qui concourent à cet objectif.

M. Jacques Fernique. - Je félicite le rapporteur d'avoir réussi à travailler dans un délai court pour nous éclairer sur un sujet complexe.

Cette proposition de loi apporte une réponse simple, mais erronée, aux problèmes réels qui se posent dans le secteur du bois. En effet, le diagnostic n'est pas complet et le texte se polarise sur l'évolution estimée de la contribution du bois à la REP PMCB, c'est-à-dire des écocontributions versées aux éco-organismes, finançant la gestion des déchets générés.

La proposition de loi reprend la position d'affichage de la Fédération nationale du bois, selon laquelle le bois devrait sortir du système de responsabilité élargie du producteur. Cela signifierait que les écocontributions ne seraient plus versées aux éco-organismes et que la collecte et la valorisation retourneraient au régime empirique en place avant la loi Agec du 10 février 2020 et la récente mise en oeuvre de cette fameuse REP PMCB.

Notre commission a chargé Marta de Cidrac et moi-même de conduire une mission d'information sur la loi Agec du 10 février 2020 pour permettre au Sénat de prendre la mesure des effets de sa mise en oeuvre. Notre travail est en cours, et des diagnostics et recommandations commencent à prendre forme. Il serait dommage de légiférer par cette proposition de loi sans prendre en compte cet apport à venir.

En effet, il apparaît d'ores et déjà que le diagnostic posé est incomplet. L'approche étroite qui motive la volonté de sortir le bois de la REP esquive des éléments et des défis majeurs, comme la nécessité de contrer la forte concurrence des importations illégales de bois et la part considérable de mise sur le marché frauduleuse de produits bois qui n'écocontribuent pas - la Fédération nationale du bois chiffre le taux de fraude à 65 % pour la catégorie 2.

À cela s'ajoute la nécessité de résorber les pratiques néfastes qui perdurent. À ce sujet, on peut dénoncer l'irresponsabilité des producteurs, puisque 300 000 tonnes de déchets partent en brûlage sur chantier et en dépôts sauvages, payés par les contribuables, qui détériorent la vie des collectivités et de leurs élus. En 2019, cela a même coûté la vie à l'un d'eux.

Enfin, il est primordial d'améliorer la valorisation du bois, matériau vertueux, naturellement renouvelable et biodégradable. La valorisation énergétique est une bonne solution, mais il faut développer en priorité la valorisation de cette matière à forte valeur ajoutée. Autrement dit, les éco-organismes ont du travail à faire pour développer des stratégies industrielles aux enjeux de souveraineté importants qui permettront que les flux de matière soient bons pour nos territoires.

Voter cette proposition de loi en l'état reviendrait à court-circuiter le travail de concertation et d'adaptation collective engagé par le moratoire en cours sur la REP PMCB. Ce moratoire suspend notamment la question des écocontributions du bois et de leurs évolutions pour trouver des adaptations viables, notamment en déplaçant le point de prélèvement de l'écocontribution vers l'aval, c'est-à-dire du scieur vers le maître d'oeuvre.

Notre rapporteur a raison de faire évoluer cette initiative parlementaire non pas vers une sortie abrupte de la REP, ce qui alourdirait la charge financière des collectivités territoriales, mais vers des barèmes d'écocontribution qui bénéficient mieux aux matériaux les plus vertueux et les mieux valorisés, vers un renforcement rigoureux de la lutte contre la fraude, vers une bien meilleure régulation des importations pour qu'elles s'intègrent à la REP et y contribuent, et vers une plus juste équité entre les matériaux du bâtiment en concurrence - PVC, aluminium, bois ou béton - afin d'éviter de pénaliser les plus vertueux.

En conclusion, sortir le bois de la REP serait une mauvaise idée. C'est au contraire par l'amélioration et l'adaptation de la REP que la régulation, la traçabilité, la collecte, le réemploi et la valorisation en matière progresseront.

Mme Marta de Cidrac. - Cette proposition de loi a le mérite de poser un vrai sujet. Comme l'a rappelé mon collègue Jacques Fernique, nous avions déjà identifié cette problématique au sein de la mission d'information sur l'application de la loi Agec du 10 février 2020 que nous menons actuellement et dont les auditions sont encore en cours. Dans le cadre de nos travaux préparatoires, nous avons auditionné les acteurs du bois, de sorte que nous avons déjà pris en compte les éléments qui viennent d'être rappelés.

Je salue le travail de Bernard Pillefer et son écoute, car le sujet est complexe.

La REP PMCB a été mise en place dans le cadre de la loi Agec du 10 février 2020 que nous avons examinée, il y a cinq ans. Le rapporteur a rappelé le drame de Signes, qui a créé beaucoup d'émotion dans les collectivités territoriales. Le problème des dépôts sauvages est bien connu dans les territoires, où la filière REP PMCB est appréciée, car elle apporte des solutions pour venir à bout de ce fléau qui les gangrène.

Nous devons veiller à ne pas déstabiliser un dispositif qui commence seulement à se mettre en place. Il faut laisser aux acteurs la possibilité de déployer l'ensemble des mesures, même si celles-ci peuvent être améliorées. Nous devons aller dans le sens de l'efficacité économique et environnementale pour faciliter la vie de nos collectivités.

Je ne reviendrai pas sur la philosophie qui préside au concept de la REP, c'est-à-dire le principe « pollueur-payeur ». Le bois n'y échappe pas, malgré ses qualités vertueuses. C'est la raison pour laquelle je souscris totalement aux amendements que le rapporteur nous présentera. En effet, celui-ci a parfaitement identifié le problème et propose une amorce de réponse au travers de ses amendements.

Il est essentiel de parvenir à un consensus sur le fait de ne pas sortir la filière bois de la REP PMCB. Cela serait néfaste pour un certain nombre d'actions que nous devons mener au service de nos collectivités, en faveur de l'environnement et du déploiement de l'économie circulaire.

M. Michaël Weber. - Je rends hommage au travail réalisé par Anne-Catherine Loisier sur le sujet de la filière du bois de construction qui concerne tous les territoires. Je remercie également Bernard Pillefer pour les auditions qu'il a menées dans le cadre de ses travaux préparatoires. J'ai pu constater qu'elles visaient à trouver un consensus avec l'ensemble des acteurs entendus.

Il existe depuis longtemps un problème, en France, sur le bois de construction. Notre filière bois est excessivement déficitaire par rapport au reste de l'Europe, en particulier l'Europe centrale. En tant que président de l'Association des communes forestières de Moselle, j'ai mené des actions pour essayer de relever cette filière bois qui est fragile, soumise aux prix du marché, notamment de la matière première, qui sont très fluctuants d'année en année en fonction des essences, de la demande et de l'export.

La filière bois génère un nombre d'emplois significatif. On le constate notamment à l'est du pays, où se trouvent la plupart des forêts publiques qui contribuent à la richesse économique de ces territoires. Il est important de mesurer la nécessité absolue qu'il y a à revaloriser l'utilisation du bois dans la construction.

La proposition de loi initiale portait en germe un risque de fragilité générale, puisqu'elle excluait la filière bois des contraintes sur l'utilisation des matériaux et l'économie circulaire. Je soutiendrai les amendements proposés par le rapporteur, car ils visent à adapter ces contraintes à la spécificité de la filière bois, sans les remettre en question.

J'émettrai toutefois une réserve sur l'amendement  COM-2, dont la rédaction me semble quelque peu alambiquée. Néanmoins, les dispositions proposées vont dans le bon sens et répondent aux attentes exprimées par la filière, notamment par la Fédération nationale du bois.

Le rapport de Bernard Pillefer, tout comme ses amendements, méritent donc d'être soutenu.

Mme Kristina Pluchet. - Agricultrice, je suis confrontée au problème des dépôts sauvages, de plus en plus fréquents dans nos plaines. Cependant, jamais je n'ai constaté de dépôts sauvages de bois.

En réalité, ces dépôts proviennent surtout d'entreprises venues des pays de l'Est, intervenant sur des chantiers, mais n'ayant pas accès aux déchetteries. Cet accès est entravé par des horaires d'ouverture trop restreints et une organisation compliquée. Ainsi, la filière bois n'est nullement responsable de ce problème.

Il en va de même pour les pneus : les déchetteries refusent aujourd'hui d'en collecter. Or, chaque année, je ramasse entre 50 et 100 pneus dans mes champs.

Pour remédier efficacement à ce fléau, il faut envisager une autre approche : améliorer les conditions d'accès aux déchetteries, adapter les plages horaires aux contraintes des entreprises et revoir les modalités de collecte, notamment en matière de tonnage admissible.

M. Jean-François Longeot, président. - Dans mon département, les déchetteries sont ouvertes sur des plages horaires suffisamment souples pour permettre aux entreprises d'y accéder. Une entreprise qui termine à 18 heures ne peut évidemment pas se rendre dans une déchetterie qui ferme à 17 h 30. De même, si cette dernière ouvre à 8 heures alors que l'activité reprend à 7 heures, cela devient ingérable. C'est donc un problème local. Dans le département du Doubs que je connais bien cette difficulté ne se pose pas, car les horaires sont adaptés, même si, effectivement, c'est un coût pour la collectivité.

Mme Kristina Pluchet. - Selon moi, c'est un problème national.

M. Pierre Jean Rochette. - Une écocontribution est prélevée lors de l'achat de pneus. À mon sens, la reprise des pneus en déchetterie devrait être interdite, car elle fait injustement peser sur la collectivité le coût d'un traitement qui doit incomber aux vendeurs.

Un système de collecte est déjà en place dans les points de vente des manufacturiers. Tous les garages, en tant que revendeurs, sont également collecteurs. Il conviendrait donc d'orienter systématiquement les usagers vers ces établissements.

Mme Kristina Pluchet. - Effectivement, les pneus ne sont plus collectés en déchetterie. Ce sont les entreprises qui remettent des pneus neufs qui sont censées reprendre les anciens. Mais cela ne fonctionne pas toujours : les garages refusent parfois de reprendre les pneus si l'on n'y a pas acheté les neufs. Or tout le monde n'a pas les moyens de s'équiper dans ces établissements. C'est une difficulté concrète.

M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Il existe bien une écocontribution sur le bois importé. De ce fait, il n'y a pas de déséquilibre entre bois importé et bois national. Toutefois, le mode de calcul et la mise en oeuvre de cette contribution se révèlent déstabilisants pour la filière. Ils ne reconnaissent pas à sa juste valeur l'effort de recyclage qu'elle fournit.

C'est pourquoi je propose, par amendement, une révision de ces dispositions afin que la filière bois bénéficie d'une réduction de l'écocontribution proportionnelle à ses engagements.

Par ailleurs, selon une étude menée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) de 2024, la demande en déchets de bois reste faible en France, en comparaison des volumes produits. Cela entraîne une exportation de ces déchets, notamment vers les panneautiers. Il est pourtant préférable de privilégier le recyclage à la valorisation énergétique. Le bois, qui capte le carbone, peut être recyclé plusieurs fois. Il importe donc d'exploiter cette capacité autant que possible avant d'envisager une autre forme de valorisation.

L'évolution de la réglementation française ira dans ce sens, en imposant l'intégration d'un pourcentage de bois recyclé dans la fabrication des panneaux. Cette exigence retiendra les déchets bois sur le territoire national, ce qui constitue une avancée.

J'ai conduit une quinzaine d'auditions, tant auprès des services de l'État, notamment la direction générale de la prévention des risques (DGPR), qu'auprès de l'Ademe, ou de l'association Amorce et d'autres organismes. Je m'appuie donc sur des éléments solides.

Le moratoire décidé par la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, ne supprime pas l'abaissement envisagé de l'écocontribution ; il le suspend.

L'ensemble des auditions menées, à l'exception de celle de la Fédération nationale du bois, montre un large consensus en faveur du maintien du bois dans la filière des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment. Ce contexte permettra de poursuivre les améliorations attendues sans déstabiliser la filière, qui doit encore progresser pour répondre aux attentes des producteurs et des scieurs.

Les collectivités territoriales expriment également des préoccupations légitimes. Monsieur Fernique, ces débats ont permis de mieux appréhender ces enjeux.

Il faut non pas exclure le bois de l'agrément pour la REP, mais adapter les règles et valoriser les acteurs vertueux. Mes amendements s'inscrivent dans cette logique.

S'agissant de la fraude, deux propositions concrètes sont formulées : instituer un mandataire financier et renforcer la coopération entre administrations détentrices d'informations sur les pratiques frauduleuses.

Je réaffirme la priorité donnée au recyclage sur la valorisation énergétique. C'est un axe que je partage avec notre collègue Anne-Catherine Loisier et que notre collègue Jacques Fernique a également évoqué.

Je remercie ma collègue Marta de Cidrac de ses propos. Il s'agit de ne pas sortir le bois du champ de la réglementation, mais d'en aménager intelligemment les contours.

Il faut également rappeler que 10 % des dépôts sauvages contiennent du bois. Ce n'est certes pas la majorité, mais ce taux n'est pas négligeable. J'ai été maire pendant vingt-huit ans, j'ai donc vu passer beaucoup de plaques de fibrociment ou de placoplâtre abandonnées illégalement. Exclure le bois de la REP reviendrait à réduire encore les leviers d'action disponibles. Poursuivons le travail sur ce sujet.

L'association Amorce, par exemple, qui représente les structures issues des collectivités, milite pour ce maintien.

Cette filière est importante, elle mérite d'être accompagnée et renforcée.

Monsieur Rochette, je le regrette, mais cette proposition de loi ne permet pas de traiter la question des pneus. Le président Longeot l'a dit : il faudra, un jour, prendre le temps de l'aborder sérieusement.

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, en application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de décider que le périmètre de la proposition de loi inclue les dispositions relatives inclue les dispositions relatives au cadre juridique de la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB).

Il en est ainsi décidé.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il faut que le bois fasse sa juste part - et rien d'autre -, comme l'a dit Marta de Cidrac, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, car le bois paie largement pour l'ensemble des autres matériaux, lesquels sont nettement moins collectés, triés et recyclés. C'est précisément pour cette raison que chacun tient à préserver cette filière à responsabilité élargie du producteur : tout le monde, au fond, y trouve un intérêt, car ce sont les matériaux bois qui financent, en partie, la gestion des autres déchets.

J'appelle votre attention sur la compétitivité de nos filières. La France est le seul pays à appliquer un tel niveau de contrainte ; or notre bois se trouve en concurrence directe avec les bois autrichiens et allemands, et c'est justement parce qu'il est plus cher qu'il subit une forte pression concurrentielle et que les importations se multiplient.

Le principe du mandataire et de la subrogation va être généralisé à l'ensemble des REP. Il s'agit d'un vrai sujet : faire en sorte que les matériaux entrant en France soient soumis aux mêmes règles que les matériaux produits sur notre sol. J'espère sincèrement que ce dispositif sera efficace.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne cesse de courir après les fraudeurs et les importateurs indélicats. Il est donc nécessaire d'instaurer un processus vertueux, avec des moyens adaptés.

Les industriels du bois ne sont pas ceux qui déversent illégalement des déchets dans les décharges. Le problème est réel, mais il importe d'identifier les véritables instigateurs.

Je souscris pleinement, après les avoir retravaillés avec le rapporteur, aux amendements qui sont proposés.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement  COM-1 tend à supprimer l'article unique de la proposition de loi.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique est supprimé.

Après l'article unique

M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement  COM-2 vise à instaurer un mécanisme de répartition des charges entre matériaux, au bénéfice des matériaux les plus performants du point de vue de la valorisation des déchets, notamment le bois.

L'amendement COM-2 est adopté et devient article additionnel.

M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement  COM-3 prévoit deux mesures pour améliorer la lutte contre la fraude aux écocontributions. D'une part, il a pour objet d'autoriser les agents de la DGPR, de l'Ademe, des douanes et de la DGCCRF à communiquer des informations sur le respect des règles relatives à l'économie circulaire. D'autre part, il vise à ajouter une obligation pour les personnes non établies en France de désignation d'un mandataire chargé d'assurer le respect de ses obligations relatives au régime de la REP.

L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.

Intitulé de la proposition de loi

M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement  COM-4 tend à modifier l'intitulé de la proposition de loi, qui vise désormais à « rééquilibrer la filière à responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment au profit des produits du bois ».

L'amendement COM-4 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Problématique des impayés de l'eau et les moyens d'y remédier - Audition de MM. Arnaud Bazire, directeur général de Suez Eau France, Patrick Ferraris, président du syndicat des eaux de la plaine et des collines du Catelan, Nicolas Garnier, délégué général de l'association AMORCE, et Régis Taisne, chef du département Cycle de l'eau de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 20.