Lundi 5 mai 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession - Examen des amendements au texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous allons examiner l'amendement n° 1, déposé par M. Savoldelli, au texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession. Notre collègue rapporteur Hervé Maurey n'étant pas en mesure d'assister à la réunion, je m'exprimerai en son nom.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

M. Claude Raynal, président, rapporteur, en remplacement de M. Hervé Maurey. - L'amendement n°  1 vise à supprimer le critère de complexité relatif à la présence d'un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès.

Les critères d'appréciation de la complexité des opérations de succession, prévus pour délimiter le champ d'application du cas de gratuité correspondant aux successions les plus simples, ont fait l'objet de discussions approfondies entre les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu'avec les services du ministère de l'économie.

Alors que la rapporteure de l'Assemblée nationale souhaitait également inclure les contrats de crédit à la consommation dans les critères de complexité, cet élément a été écarté à la demande du rapporteur du Sénat. Ainsi, le critère relatif à la présence d'un contrat de crédit a été restreint aux seuls contrats de crédit immobilier.

Si la proportion des ménages détenant un contrat de crédit immobilier s'élève à 30 % de la population, elle n'est pas uniforme et décroît logiquement avec l'âge des personnes concernées. Dès lors, la part des successions visées par un tel critère de complexité est sensiblement inférieure.

Par ailleurs, cet amendement entre en contradiction avec l'objectif d'une adoption conforme de cette proposition de loi, en vue d'une mise en oeuvre rapide du dispositif d'encadrement des frais bancaires sur succession.

Aussi, je vous inviterai, monsieur Savoldelli, à bien vouloir retirer cet amendement en séance, la commission émettant un avis défavorable.

M. Pascal Savoldelli. - Je vais le maintenir même si, comme l'a expliqué le rapporteur la semaine dernière, ce critère de complexité concerne non pas 50 % des ménages, comme je le croyais, mais 30 %. Le chiffre de 50 % tenait compte à la fois du crédit à la consommation et du crédit immobilier.

En France, les frais bancaires représentent 6 milliards d'euros. Je veux bien admettre l'existence d'éléments de complexité sur les successions, mais j'estime que les banques peuvent assumer le coût de cette complexité.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  1.

La commission a donné l'avis suivant sur l'amendement dont elle est saisie qui est retracé dans le tableau ci-après :

Article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

1

Suppression du critère de complexité relatif à la présence d'un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès

Défavorable

La réunion est close à 14 h 45.

Mardi 6 mai 2025

- Présidence de M. Bruno Belin, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 15.

L'éducation prioritaire, une politique publique à repenser - Audition de MM. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, Jean-François Chanet, recteur de l'académie de Créteil, Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales à la direction générale de l'enseignement scolaire, et Patrick Haddad, vice-président de l'association des maires Ville & Banlieue de France (AMVBF) et maire de Sarcelles pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 15.

Mercredi 7 mai 2025

- Présidence de M. Thierry Cozic, vice-président de la commission des finances, et M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Communication de la Cour des comptes au Premier ministre intitulée « Impacts du système de retraite sur la compétitivité et l'emploi » - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - La commission des affaires sociales et la commission des finances reçoivent ensemble ce matin le Premier président de la Cour des comptes, M. Pierre Moscovici, afin qu'il nous présente la seconde communication publiée par la Cour en réponse à sa saisine par le Premier ministre le 20 janvier dernier.

Pour mémoire, le Premier ministre attendait de la Cour qu'elle dresse un « constat objectif de la situation de notre système de retraites et de ses perspectives à court, moyen et long termes ». Ce constat devait servir de base aux discussions entre les partenaires sociaux, qui se réunissent depuis le 20 février et jusqu'au mois de juin à un rythme hebdomadaire afin de faire des propositions visant à rétablir l'équilibre financier de notre système de retraite en 2030.

La première communication, remise au Premier ministre le 19 février, était relative à la situation financière et aux perspectives du système de retraite. La commission des affaires sociales vous a entendu sur ce sujet, monsieur le Premier président, le 5 mars dernier.

Cette nouvelle communication, complémentaire, a pour objet les répercussions du système de retraite sur la compétitivité et l'emploi.

Comme de coutume, vous serez interrogé, à l'issue de votre intervention, par les membres de nos deux commissions, en commençant par les rapporteurs généraux, la rapporteure de la branche vieillesse de la commission des affaires sociales et la rapporteure spéciale de la commission des finances.

M. Thierry Cozic, vice-président de la commission des finances. - Le premier rapport remis par la Cour faisait le constat que la montée en charge de la réforme de 2023 devrait permettre une stabilisation du déficit du système de retraite autour de 6,6 milliards d'euros jusqu'en 2030, avant une dégradation jusqu'à 30 milliards d'euros en 2045.

Le second rapport, qui nous est présenté aujourd'hui, analyse les effets des paramètres actuels du système de retraite sur la compétitivité de l'économie française, ainsi que sur l'emploi. Cette analyse doit permettre une réflexion sur les mesures qui seront les plus favorables pour atteindre l'équilibre financier du système, tout en préservant l'emploi, l'activité économique et la cohésion sociale en France.

Nous sommes donc attentifs aux problématiques que vous pourrez soulever, monsieur le Premier président, tant sur la question des recettes du système que du temps passé en emploi, ou encore sur l'évolution du montant des pensions de retraite.

Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et qu'elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat ; elle sera aussi consultable en vidéo à la demande.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Je vous remercie de m'accueillir devant vos deux commissions pour que je vous présente le rapport de la Cour relatif aux impacts du système de retraite sur l'emploi et la compétitivité. Vous l'avez rappelé, j'ai remis ce rapport le 10 avril au Premier ministre ainsi qu'aux partenaires sociaux, réunis dans ce qu'on appelle le conclave - un terme de circonstance aujourd'hui !

Lors de sa déclaration de politique générale, le 14 janvier dernier, le Premier ministre a annoncé qu'il souhaitait « remettre [l]e sujet [des retraites] en chantier avec les partenaires sociaux pour un temps bref et dans des conditions transparentes », en s'appuyant « sur un constat et des chiffres indiscutables ».

Il a saisi la Cour des comptes pour réaliser une mission en deux temps.

Le premier temps fut consacré au constat objectif de la situation financière du système de retraite et de ses perspectives à court, moyen et long termes, un travail que nous avons mené en un mois et demi.

Le second temps a consisté à examiner les impacts du système de retraite sur la compétitivité et l'emploi. Nous avons conservé la même méthode que pour notre premier rapport : une formation ad hoc, qui regroupe plusieurs chambres de la Cour des comptes et dont j'ai moi-même présidé la collégialité.

Je souhaiterais remercier publiquement devant vous les membres de l'équipe : les présidents de la première, cinquième et sixième chambre - Carine Camby, qui est présente, Sophie Thibault et Bernard Lejeune -, le rapporteur général, Jérôme Brouillet, qui est également présent, les rapporteurs et la contre-rapporteure, Mathilde Lignot-Leloup.

Notre rapport s'inscrit dans un contexte de négociations qui a, j'en suis bien conscient, évolué depuis la première réunion des partenaires sociaux. Vous savez que les participants autour de la table ne sont plus exactement les mêmes : un certain nombre d'entre eux ont quitté d'eux-mêmes les discussions et d'autres ont vu leur présence refusée.

En tant que Premier président de la Cour des comptes, je n'ai pas à m'exprimer sur l'évolution des négociations en cours, sinon pour dire que j'espère sincèrement qu'elles aboutiront à un accord. Car, s'il y a un message à retenir de nos rapports, c'est que le statu quo en matière de financement du système de retraite est impossible, ou du moins qu'il est insuffisant pour préserver un système soutenable à moyen et long termes. Vous devez tous en être conscients, même s'il peut naturellement exister un désaccord démocratique sur les solutions à mettre en oeuvre.

Quelle que soit l'issue des discussions en cours, je suis persuadé que nos deux rapports sur les retraites, celui de février et celui que je m'apprête à vous présenter, seront utiles. Je sais qu'ils servent déjà de base aux négociations actuelles, mais j'espère qu'ils serviront également aux négociations futures entre partenaires sociaux et dans les discussions législatives qui suivront.

En effet, pour rester soutenable, notre système de retraite nécessitera des adaptations au cours des prochaines années. Je ne crois pas à la réforme magique, faite une fois pour toutes, qui clôturerait le dossier. Nous irons plutôt vers une série d'adaptations au fil du temps, qui peuvent être soit envisagées d'emblée ensemble, soit pensées au fur et à mesure.

Avant d'entrer dans le constat et les conclusions de la Cour, je reviens sur le périmètre de ce second rapport et sur la méthode employée. Notre rapport documente les répercussions économiques des principaux paramètres du système de retraite sur la compétitivité de notre économie et sur l'emploi, en prêtant une attention particulière à l'emploi des seniors.

Nous avons choisi d'examiner les trois paramètres qui ont un effet direct sur l'équilibre de notre système de retraite : le taux de cotisation, l'âge effectif de départ à la retraite - un mélange, si j'ose dire, entre l'âge légal et la durée d'assurance requise - et, enfin, l'indexation des pensions. Il existe bien sûr d'autres paramètres que nous n'avons pas évoqués dans le rapport, car ils ne relevaient pas de notre lettre de mission.

La notion de compétitivité elle-même ne va pas de soi. L'Insee, qui est une bonne référence, définit la compétitivité d'une économie comme sa capacité à gagner ou non des parts de marché sur ses concurrents. La Commission européenne propose, quant à elle, une définition plus large de ce qu'elle appelle la « compétitivité durable », qui intègre les enjeux d'équité. Nous avons prêté dans ce rapport une attention toute particulière à cette notion d'équité parce qu'elle est au coeur de l'évolution du système de retraite, qu'il s'agisse d'équité intergénérationnelle ou intragénérationnelle. La raison en est simple : les paramètres du système de retraite ont des effets très différenciés selon les catégories de populations concernées. Il faut se garder d'une approche trop mécaniste, et faire parfois preuve de flexibilité pour s'adapter à des situations particulières.

Compte tenu de ce champ d'investigation, le rapport présente certaines spécificités.

D'abord, nous avons adopté une démarche comparative au niveau européen. Je sais que nous aimons revendiquer que nous sommes français et que nous sommes très particuliers. Néanmoins, si notre système de retraite présente des spécificités, les comparaisons avec d'autres pays sont à la fois possibles et nécessaires. La Cour a choisi de concentrer son analyse sur trois principaux partenaires économiques européens qui ont des modèles sociaux et de retraite, tous par répartition, assez proches du modèle français. Il s'agit de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne. Notons que les quatre pays ainsi comparés représentent 70 % du PIB de la zone euro.

Ensuite, nous n'avons pas produit nous-mêmes l'ensemble des chiffres, des modèles et des projections qui sont au fondement de nos analyses. Nous nous sommes appuyés sur les modèles économiques disponibles, les données des administrations et, surtout, sur l'abondante littérature économique qui existe sur les économies française, allemande, italienne et espagnole. Je remercie les économistes qui ont répondu à nos sollicitations, mais aussi les administrations qui nous ont appuyé dans cette mission, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), la direction générale du Trésor, la direction de la sécurité sociale et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

De notre travail, nous avons tiré des constats desquels découlent quatre messages.

Premier message : le financement des retraites a des effets ambivalents sur notre niveau de compétitivité. Nous faisons le constat, dans ce rapport mais aussi dans de nombreux autres travaux récents de la Cour, que la compétitivité française s'est structurellement dégradée depuis le début des années 2000. L'évolution de la balance des biens et des services, tout comme les performances relatives d'un pays à l'exportation, permettent d'apprécier l'évolution de la compétitivité. Or ces deux indicateurs sont très dégradés pour l'économie française. Depuis 2006, la France a constamment enregistré un déficit de la balance des biens et des services jusqu'à atteindre 21,5 milliards d'euros en 2024, soit 0,7 point de PIB. Par comparaison, l'Allemagne, mais aussi l'Espagne et l'Italie, ont enregistré des excédents importants en 2024, et il en est de même pour la zone euro dans son ensemble, dont l'excédent s'élève à 4,5 points de PIB.

Ce recul de la compétitivité est une anomalie française durable, qui s'explique par un déficit persistant et croissant des échanges de biens, notamment industriels. C'est la conséquence directe de la désindustrialisation longue à l'oeuvre dans notre pays. En 2023, la part de l'emploi industriel a cessé de reculer - disons que l'hémorragie a été, peut-être provisoirement, stoppée. Cette part a été stabilisée à 10 % de l'emploi total en France, contre 17 % en Italie, un pays bien plus industrialisé que la France, et 18 % en Allemagne.

Cette dégradation s'inscrit aussi dans un contexte de décrochage de la compétitivité de l'Union européenne par rapport aux États-Unis et à la Chine. La croissance dans l'Union a ralenti, du fait d'une baisse de la productivité, et elle a été plus lente que celle des États-Unis de façon persistante. En conséquence, l'écart de PIB entre les États-Unis et l'Union européenne va en s'accroissant : il est passé de 15 % du PIB en 2000 à 30 % en 2023 à prix constants. Environ 70 % de cet écart s'explique par une productivité plus faible dans l'Union européenne. Ce décrochage a été parfaitement mis en évidence par le rapport remis à la Commission européenne en septembre 2024 par Mario Draghi.

Pour résumer, la compétitivité française se dégrade au sein d'une Union européenne qui, elle-même, a tendance à décrocher par rapport à ses principaux concurrents. Notre pays est donc confronté à un important problème de compétitivité, comme l'a documenté la Cour des comptes au travers de divers rapports.

Dans ce contexte, quels sont les liens entre les paramètres du système de retraite et la compétitivité ? Il faut distinguer la compétitivité-coût, qui mesure l'évolution des coûts de production, en particulier des coûts salariaux, et la compétitivité hors coût, qui est, comme son nom l'indique, associée à d'autres dimensions, comme les gammes de produits, l'innovation ou encore les compétences de la main d'oeuvre.

Le financement des retraites, via les cotisations sociales, explique une partie des coûts unitaires, donc de la compétitivité-coût de l'économie française. En France, le système de retraite est financé aux deux tiers par des cotisations sociales sur la masse salariale, qui ont donc un impact sur le coût du travail. Ces cotisations représentent environ 9,5 points de PIB en France et en Espagne, un niveau supérieur à celui de l'Allemagne, avec un écart de quelque cinq points.

Cependant, la compétitivité-coût n'est pas le principal sujet en France aujourd'hui. Elle s'est relativement améliorée, d'abord avec les allégements généraux de charges, puis avec la politique de baisse du coût du travail mise en oeuvre en France, certes avec des nuances, mais continûment depuis 2013. Ces politiques ont permis de résorber, et même d'inverser, les écarts d'évolution des coûts salariaux par rapport à nos principaux partenaires européens. Entre 2000 et 2024, l'évolution des coûts salariés unitaires a été plus modérée en France qu'en Allemagne et dans les principales économies de la zone euro. C'est particulièrement le cas dans le bas de l'éventail des rémunérations. Pour résumer, nous n'avons plus de problème massif de compétitivité-coût, même s'il peut y avoir des difficultés de répartition des coûts entre le haut et le bas de l'échelle des salaires.

La faiblesse de la compétitivité hors coût est plus préoccupante. Nous l'avons souligné dans le rapport 10 ans de politiques publiques en faveur de l'industrie : des résultats encore fragiles, que nous avons rendu à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale en novembre dernier. Les exportations françaises n'ont pas connu de montée en gamme depuis vingt-cinq ans. Les dernières enquêtes Pisa (programme international pour le suivi des acquis des élèves) témoignent non seulement d'un décrochage de nos écoles, mais aussi d'un décrochage scientifique. Nous ne sommes plus qu'à la dixième place mondiale en termes de publications scientifiques.

En France, la structure des cotisations sociales consacrées au financement des retraites est assez atypique, ce qui pourrait avoir un impact sur la compétitivité hors coût. En effet, les cotisations sociales se caractérisent dans notre pays par d'importants allégements de cotisations au niveau du Smic et des plus bas salaires. Symétriquement, sur les niveaux de salaire les plus élevés, les cotisations sociales sont plus importantes que chez nos partenaires européens. Cela permet de préserver l'emploi peu qualifié en France, mais pourrait aussi peser sur la compétitivité hors coût et la productivité française. Je tiens néanmoins à souligner qu'il n'existe pas, à notre connaissance, d'études économiques sur le cas français qui permettraient de démontrer ce qui est pour le moment une simple hypothèse.

Pour conclure sur la compétitivité, je ferai un rappel en forme d'évidence : le financement du système de retraite est l'un des facteurs qui peuvent avoir un impact sur la compétitivité, mais il est loin d'être le seul. Les autres prélèvements, le coût de l'énergie, les taux de change ou, pour rester dans l'actualité, les droits de douane doivent évidemment être pris en compte lorsque l'on analyse notre compétitivité globale.

J'en arrive au deuxième message de notre rapport : les réformes des retraites ont entraîné une augmentation du taux d'emploi des plus de 55 ans en France, mais ce taux demeure encore un peu faible et il masque des inégalités.

La France, comme ses partenaires européens, est confrontée au vieillissement de sa population. Au sein de l'Union européenne, la population en âge de travailler a commencé à diminuer vers 2010, principalement en raison de la baisse du taux de natalité, non compensée, contrairement à ce que l'on dit parfois, par un solde migratoire positif. De ce fait, la proportion de la population âgée de plus de 65 ans a augmenté partout en Europe. Les projections démographiques à long terme indiquent une poursuite de ce déclin. En conséquence, le ratio de dépendance, c'est-à-dire la part de la population de plus de 65 ans comparée à la population de 20 à 64 ans, augmente pour tous les pays européens. En France, ce ratio passerait de 38 % en 2022 à 53 % en 2050.

Dans ce contexte, l'amélioration du taux d'emploi de la population active est essentielle. Or, en France, ce taux est structurellement faible. En 2023, le taux d'emploi des personnes âgées de 15 à 64 ans s'établissait à 68,4 %, en dessous de la moyenne de la zone euro. Il a progressé depuis 1995, mais exactement au même rythme que chez nos voisins : les écarts sont donc conservés.

Au niveau de la zone euro, seuls cinq pays, dont l'Espagne et l'Italie, ont des taux d'emploi plus faibles que la France. Le taux d'emploi des jeunes est faible en France, notamment en comparaison avec l'Allemagne. Ce n'était pas le sujet sur lequel nous devions travailler cette fois, mais nous l'avions examiné dans notre rapport public annuel. La cause principale de l'écart du taux d'emploi français par rapport à celui de nos partenaires, c'est la faiblesse du taux d'emploi des hommes de 55 ans et plus. Certes, la part de seniors hommes en emploi a beaucoup progressé dans notre pays au cours des trente dernières années, mais les autres pays européens ont connu des augmentations symétriques.

Nous avons donc analysé les effets d'une augmentation du taux d'emploi sur le financement du système de retraite, mais aussi, en miroir, l'impact des paramètres du système de retraite sur le taux d'emploi.

D'une part, les travaux de la direction générale du Trésor, à partir du modèle Mésange, modèle économétrique de simulation et d'analyse générale de l'économie, montrent qu'une augmentation du taux d'emploi améliorerait le financement du système de retraite, grâce à la hausse de la base de cotisations. Ainsi, il résulterait d'un alignement du taux d'emploi français sur le taux d'emploi allemand un gain net à long terme de 7 milliards d'euros pour le financement des retraites. C'est une somme importante, qui, cependant, ne suffirait pas à améliorer la situation, contrairement à ce que certains disent. En outre, ne perdons pas de vue qu'il s'agit de travaux assez théoriques.

D'autre part, les études économiques concluent que les réformes du système de retraite se sont accompagnées d'une amélioration du taux d'emploi - c'est un argument précieux, au vu des reproches idéologiques qui sont souvent adressés à la Cour. L'ensemble des pays européens, face à la dégradation des ratios de remplacement, ont réformé leurs systèmes de retraite au cours des trente dernières années, notamment en augmentant progressivement l'âge de départ. Au même moment, ces pays ont connu une augmentation du taux d'emploi des personnes âgées de plus de 55 ans.

Les études économiques montrent donc que ces deux phénomènes sont liés. Les mesures de recul de l'âge de la retraite à 63 ans, 65 ans ou 67 ans, décidées en Allemagne et en Italie, ont eu pour principal effet une hausse du taux d'emploi des seniors. En France, également, la réforme des retraites de 2010, qui a porté l'âge légal de départ de 60 à 62 ans, s'est traduite par une augmentation très nette de l'emploi des personnes âgées de 55 à 60 ans. Au cours de la décennie 2010, l'âge de départ effectif à la retraite a augmenté de 2,1 ans. En moyenne, le temps passé en emploi s'est allongé de 1 an et 7 mois.

C'est ce que l'on nomme « l'effet horizon » : plus que l'âge des individus, c'est la distance qui les sépare de l'âge légal de la retraite qui encourage les individus proches de la retraite à se former ou à rechercher un emploi et qui influence, également, le comportement des entreprises.

Cependant, l'impact de ce décalage de l'âge légal sur le taux d'emploi dépend de la situation des personnes avant le recul de l'âge de départ. Les études économiques montrent que la réforme de 2010 a surtout eu pour effet de prolonger la situation des personnes sur le marché du travail. Cependant, le recul de l'âge de départ peut aussi donner lieu à une augmentation du nombre de personnes qui ne sont ni en emploi ni à la retraite - c'est-à-dire celles qui sont au chômage, inaptes ou encore en arrêt maladie.

Il existe en effet des disparités importantes entre catégories socioprofessionnelles, entre femmes et hommes, et selon l'état de santé des seniors concernés. Le recul de l'âge moyen de départ à la retraite s'est ainsi traduit par un allongement de la durée en emploi pour seulement 66 % des ouvriers, mais pour plus de 85 % des professions intermédiaires et des cadres.

Concernant les disparités entre les femmes et les hommes, la réforme des retraites de 2010 a entraîné une augmentation de l'emploi après 60 ans pour les deux populations. Cependant, cette poursuite de l'emploi s'est davantage faite à temps partiel pour les femmes que pour les hommes. Par ailleurs, au-delà de 55 ans, les femmes sont plus souvent que les hommes sans emploi, sans être pour autant à la retraite. Quand on les interroge sur les raisons de cette situation, elles citent fréquemment des contraintes familiales ou personnelles. C'est la problématique du rôle d'aidant, majoritairement joué par les femmes, notamment à cet âge pivot où elles doivent s'occuper de leurs parents et petits-enfants.

Ainsi, l'évolution du taux d'emploi des seniors n'est pas un préalable aux réformes des retraites ; c'en est une conséquence. Les réformes de recul de l'âge de la retraite ont pour effet, en moyenne, d'augmenter le taux d'emploi des seniors. Cependant, des disparités importantes demeurent : la probabilité de se retrouver ni en emploi ni à la retraite est plus forte pour les travailleurs les moins qualifiés, pour les femmes et pour les personnes qui connaissent des difficultés de santé. Il faut donc les accompagner de manière spécifique, pour que les augmentations de l'âge de départ se traduisent par un allongement du temps en emploi, sans distinction ni discrimination.

Le troisième message de notre rapport est qu'il est nécessaire de prendre en compte l'équité dans les réflexions sur l'emploi des seniors et sur les paramètres de notre système de retraite.

Tout d'abord, nous devons préserver l'équité intragénérationnelle. En moyenne, en 2023, 1,6 million de personnes sur les 8,5 millions de personnes âgées de 55 à 64 ans, soit une personne sur cinq dans cette tranche d'âge, n'était ni en emploi ni à la retraite. La plupart subissent leur situation : c'est le cas des près de 300 000 chômeurs qui cherchent activement un emploi, mais n'en trouvent pas, ainsi que des personnes inactives pour une raison de santé ou de handicap.

Face à ces disparités, il est évident qu'il faut de nouvelles mesures de la part des entreprises et des pouvoirs publics, pour accompagner les seniors les plus vulnérables, mais aussi les aidants, qui sont le plus souvent des femmes. L'objectif est simple : il faut que le recul de l'âge moyen de départ à la retraite favorise le maintien en activité, ou le retour à l'emploi, de manière équitable, en tenant compte des difficultés concrètes auxquelles sont confrontés certains seniors.

En France, les pouvoirs publics privilégient le levier du dialogue social pour faire évoluer la perception des seniors dans le monde professionnel. C'est dans cet esprit que le récent accord national interprofessionnel (ANI) en faveur de l'emploi des seniors a été signé en novembre 2024.

Mais il faut également jouer sur d'autres leviers. La Cour l'avait noté dans son rapport sur les carrières longues en 2019 : les seniors touchés par le chômage éprouvent de grandes difficultés à retrouver un emploi, en raison de discriminations à l'embauche. De même, la Dares a montré que les personnes de plus de 50 ans ont moins de chances que les plus jeunes d'être retenues pour des formations, alors qu'elles se présentent plus souvent aux convocations.

L'équité intragénérationnelle implique également de tenir compte des écarts persistants d'espérance de vie entre catégories de populations. En France, l'écart d'espérance de vie à 65 ans entre les cadres et les ouvriers était de deux ans pour les femmes et de trois ans pour les hommes en 2020. Cet écart tend à se réduire, et il tient à de multiples facteurs qui dépassent les conditions de travail. Cependant, en 2018, les anciens ouvriers passaient en moyenne deux années de moins à la retraite que les anciens cadres, et ce malgré un âge de départ plus précoce.

Plus largement, pour pratiquement toutes les générations, l'âge moyen de départ des retraités dont la pension est la plus faible est plus élevé que celui des retraités dont la pension est la plus élevée - ce n'est pas logique. Le dispositif de départ anticipé pour carrière longue n'a pas changé cette situation : ses effets sont concentrés sur les personnes qui touchent une pension moyenne, du cinquième au huitième décile de pensions, tandis que les retraités dont les pensions sont les plus faibles, du premier au quatrième décile, n'ont représenté que 13 % des départs pour carrière longue.

L'équité intragénérationnelle n'est donc pas garantie.

Ensuite, le souci de préserver l'équité intergénérationnelle de notre système de retraite, c'est-à-dire entre les générations actuellement à la retraite et les générations futures, nous pousse à nous interroger sur la soutenabilité de notre système de retraite et sur la répartition des efforts entre actifs et retraités. Cet enjeu est de plus en plus prégnant dans toute l'Europe.

Aujourd'hui, la France consacre près de 14 points de son PIB aux dépenses publiques de retraite, soit 2,5 points de plus que la moyenne de la zone euro. Seule l'Italie a des dépenses publiques de retraite plus élevées que notre pays. Le surcroît de dépense publique de retraite en France par rapport à la moyenne de la zone euro est de 66 milliards d'euros en 2022, et il atteint 118 milliards par rapport à l'Allemagne. Il s'explique pour moitié par la différence de richesse nationale et pour moitié par des paramètres du système de retraite plus favorables.

L'évolution des rapports entre cotisants et retraités constitue un défi majeur pour le financement du système de retraite. Cette situation nous oblige à prêter une attention particulière à l'équité intergénérationnelle, notamment au niveau du pilotage des adaptations du système. Tous les pays européens, ou presque, sont confrontés aux mêmes problématiques. Certains ont adopté des réformes pour y faire face tout en garantissant l'équité du système. Par exemple, plusieurs pays se fixent pour objectif une stabilité du temps passé à la retraite au cours de la vie, pour veiller à la pérennité financière des systèmes de retraite et au partage équilibré des efforts entre les générations.

J'en viens au quatrième message de notre rapport. Il existe, ailleurs en Europe, des mécanismes qui permettent une adaptation progressive des paramètres des systèmes de retraite aux évolutions démographiques et économiques.

L'ajustement des paramètres du système de retraite repose sur trois principaux leviers : le niveau des cotisations sociales affectées aux retraites, le niveau moyen des pensions, qui dépend des règles d'indexation sur l'inflation, et l'âge effectif moyen de départ à la retraite, qui est défini par l'âge d'ouverture des droits et la durée d'assurance requise. Pour la Cour, ces principaux leviers de réforme ont des effets différenciés sur la compétitivité et l'emploi.

Une hausse des cotisations aurait un impact négatif sur l'emploi et la compétitivité selon les modèles économiques, mais son ampleur pourrait varier, selon que l'augmentation concerne les cotisations employeurs ou salariales, et qu'elle cible ou non les bas salaires.

À l'inverse, reculer l'âge effectif de départ à la retraite, que ce soit par une augmentation de la durée d'assurance ou par un recul de l'âge d'ouverture des droits, aurait un impact positif sur le taux d'emploi moyen. Dans cette hypothèse, l'augmentation de l'emploi des seniors n'affecterait pas négativement la compétitivité. Mais au vu des disparités de taux d'emploi entre les catégories de populations, il faudrait mettre en oeuvre des mesures spécifiques pour garantir le maintien en emploi des seniors tout en tenant compte des difficultés concrètes de certains.

Enfin, la question de l'indexation automatique des pensions sur l'inflation a suscité de récents débats. Aujourd'hui, comme le prévoit la loi, les pensions sont indexées annuellement sur l'inflation. Mais les dynamiques respectives des salaires et des prix, au cours des dernières années, ont conduit à une réflexion sur une moindre indexation des pensions par rapport à l'inflation. En effet, en cas de choc économique inflationniste, cette règle d'indexation automatique peut conduire à augmenter les pensions de retraites plus rapidement que les salaires. Ce n'est pas une fiction : c'est arrivé au moment de la crise énergétique et cette situation pourrait se reproduire aux États-Unis. Les études économiques montrent globalement qu'une indexation inférieure à l'inflation aurait un très faible impact sur l'emploi.

Plus largement, cette indexation sur l'inflation n'apparaît pas nécessairement la mieux adaptée à la recherche d'un équilibre durable et équitable du système de retraite. Une indexation au moins partielle sur les salaires, assortie d'un facteur de soutenabilité, comme chez certains de nos voisins, présenterait l'avantage de faciliter le pilotage du système de retraite. Surtout, elle exposerait les actifs et les retraités de manière solidaire aux mêmes aléas économiques.

Une réforme pourrait, voire devrait, mobiliser et combiner plusieurs de ces leviers. À ce titre, nos trois principaux voisins, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, ont mis en place différents outils d'équilibrage de leur système de retraite pour garantir à la fois la pérennité financière des systèmes de retraite et le partage équilibré des efforts entre les générations. Certains mécanismes prévoient, par exemple, d'ajuster l'âge de la retraite en fonction des gains d'espérance de vie. D'autres permettent de revaloriser les pensions en tenant compte des conditions démographiques et économiques. De telles règles permettraient d'équilibrer, dans la durée, le système de retraite, mais elles doivent être décidées collectivement.

Par ailleurs, nos principaux partenaires européens ont aussi introduit des clauses de revoyure automatiques dans la gestion de leurs systèmes de retraite, pour mettre fin aux incessantes réformes par à-coups, qui ne garantissent pas nécessairement la soutenabilité du système à moyen et long terme. Ces clauses de revoyure permettent d'ajuster le niveau des cotisations et des pensions ainsi que l'âge de départ à la retraite en fonction de l'évolution de plusieurs indicateurs démographiques ou économiques. En cas d'évolution favorable ou défavorable de ces indicateurs, les paramètres du système de retraite sont modifiés progressivement, selon des règles préétablies.

Ces mécanismes sont comparables à celui qui a été mis en place par les partenaires sociaux, dans le cadre du pilotage des retraites complémentaires de l'Agirc-Arrco. De telles règles, si elles étaient convenues par les partenaires sociaux et que vous les votiez, permettraient des adaptations prévisibles, progressives et concertées du système de retraite.

Ce rapport permet ainsi de conclure à plusieurs impératifs.

Tout d'abord, nous devons préserver et améliorer l'équité intragénérationnelle et intergénérationnelle de notre système de retraite.

Ensuite, il faut renforcer la compétitivité de notre économie, dans un contexte de décrochage européen.

En outre, il est essentiel d'améliorer le taux d'emploi en France, en particulier pour les hommes de plus de 55 ans, dont la part en emploi est très faible comparée à nos voisins.

Enfin, ce rapport offre une perspective : nous pourrions nous inspirer des réformes mises en oeuvre par nos voisins européens, en combinant plusieurs leviers, d'une part, et en instaurant des clauses de revoyure, d'autre part, qui nous feraient sortir d'un incessant stop and go en matière de réforme des retraites.

Il n'appartient pas à la Cour de formuler des propositions détaillées. Nous avons seulement fourni des données, qui ont été approuvées par tous les membres du conclave, quelle que soit leur appartenance, car elles ont le mérite d'éclairer le débat.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Vous avez insisté sur la nécessité d'améliorer le taux d'emploi des seniors ainsi que la situation des aidants. Nous étions d'ailleurs nombreux à estimer que les dispositions de la dernière réforme des retraites destinées à ces deux catégories n'allaient pas assez loin. Aussi, quelles mesures préconisez-vous spécifiquement ?

Par ailleurs, vous soulignez les différences entre les simulations du modèle Mésange employé par la direction générale du Trésor et celles du modèle e-mod.fr de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ainsi, dans le cas des cotisations employeurs, le modèle du Trésor indique un impact sur le PIB et sur l'emploi beaucoup plus négatif que celui de l'OFCE. Votre rapport explique que, selon le modèle de l'OFCE, la baisse de l'activité économique et la hausse du chômage annuleraient à long terme l'impact de la hausse des cotisations employeurs sur le coût du travail. Considérez-vous l'un des modèles comme plus plausible ou intéressant que l'autre ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Vous avez, une nouvelle fois, mis en évidence les sérieuses difficultés de notre système de retraite par répartition. Il sera toujours plus mis sous tension au fil du temps du fait d'une démographie défavorable : de plus en plus de bénéficiaires, pour une durée de plus en plus longue, soutenus par une population active qui a tendance à se réduire et à connaître une moindre productivité, par exemple du fait des carrières hachées. Si l'on ne touche ni aux pensions ni aux cotisations, le système aura du mal à tenir.

Vous avez fait le choix de ne pas faire figurer de solutions complémentaires dans ce rapport, mais, dans une approche prospective, j'aimerais vous interroger sur la possibilité d'explorer une autre voie. Pourrait-on profiter du débat sur une potentielle réforme pour expertiser le déploiement d'un « deuxième socle », autour d'une retraite dite par capitalisation ?

En effet, je m'étonne qu'aujourd'hui, en France, l'unique système obligatoire de retraite par capitalisation, le régime de retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), ne concerne que les fonctionnaires et soit géré par les partenaires sociaux ! Nous n'avons certes que vingt ans de recul, mais ce système, me semble-t-il, commence à faire la preuve de sa pertinence. Il est important de poser l'ensemble des sujets sur la table à l'occasion du conclave, au moins dans une perspective de long terme. Comment expliquer le paradoxe que la France se refuse à un tel système, à l'exception des fonctionnaires et de leurs représentants syndicaux ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. - Nous apprécions encore plus que de coutume de pouvoir vous auditionner sur ce sujet sensible et crucial des retraites.

Nous n'avions pas pu, dans la réforme des retraites de 2023, faire prospérer nos amendements relatifs à l'emploi des seniors ou à la pénibilité. Or vous relevez dans ce rapport la faiblesse du taux d'emploi des 15-64 ans en France, qui s'établit à 68,4 % en 2023, en dessous de la moyenne de la zone euro, qui est de 70 %. Cette faiblesse relative résulte d'un important écart dans le taux d'emploi des seniors. Par ailleurs, vous indiquez que l'allongement de la durée en emploi résultant des différentes réformes reculant l'âge de la retraite est très hétérogène suivant le sexe et la catégorie socio-professionnelle. Selon l'Insee, cette situation s'expliquerait par le rôle pivot des femmes en tant qu'aidants, qui les amène à sortir plus rapidement du marché du travail, notamment avant l'obtention du taux plein. Comment encourager les femmes à partir à la retraite à la fin d'une carrière complète ? Comment les accompagner alors que le ratio de dépendance va continuer à s'accentuer, passant de 38 % en 2022 à 53 % en 2050 ?

Vous soulignez aussi que l'Unédic constate un léger ressaut d'entrée au chômage trois ans avant l'âge légal de départ à la retraite, qui pourrait s'expliquer par un comportement stratégique visant à utiliser la filière senior de l'assurance chômage, qui prévoyait une durée maximale d'indemnisation de trois ans avant le 1er février 2023, comme un « sas » avant le départ à la retraite. La nouvelle convention d'assurance chômage entrée en vigueur au 1er janvier 2025 prévoit désormais de décaler cette durée maximale d'indemnisation à partir de 55 ans, contre 53 ans auparavant, et de la réduire à vingt-deux mois pour les personnes âgées de 55 ou 56 ans à la fin de leur contrat de travail, et à vingt-sept mois pour les personnes âgées d'au moins 57 ans. Quelles mesures pourraient être prises pour rompre ce phénomène de sas ?

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale de la commission des finances pour la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale « Pensions ». - Vous soulignez dans votre rapport l'importance du sujet du taux d'emploi des seniors, sur laquelle je rendrai moi-même un rapport prochainement.

Je m'intéresse notamment aux personnes qui ne sont ni en emploi ni à la retraite et sont en bonne santé. Selon l'Insee, cette catégorie, entre 60 et 64 ans, regroupe 323 000 personnes, soit un nombre non négligeable. Auriez-vous des préconisations à formuler pour favoriser leur emploi ? Faudrait-il développer des postes spécifiques, une culture d'entreprise ou de société propice à leur emploi, à l'instar de ce que l'on observe en Allemagne ?

Votre rapport n'analyse pas les conséquences de la baisse de notre natalité. Certes, celle-ci demeure un peu supérieure à celle de nos voisins, mais un taux de fertilité de 1,62 enfant par femme semble insuffisant. Ce n'est pas une fatalité, il convient de croire en notre jeunesse, mais c'est un souci de long terme, puisque le rapport entre cotisants et retraités est un défi majeur. Ne faudrait-il pas préconiser certaines politiques natalistes ?

Vous avez insisté sur la nécessité de l'équité intergénérationnelle. À cet égard, il me semblerait dangereux de compromettre le niveau de vie des retraités tant que nous n'aurons pas résolu le problème du financement de la dépendance. Vous préconisez une éventuelle indexation des pensions de retraite sur les salaires, qui pourrait être modulée en fonction de l'évolution du rapport entre cotisants et retraités. Cela témoignerait d'une solidarité, mais non d'une équité intergénérationnelle. Si l'on veut sauver notre système par répartition, système éminemment vertueux et moins exposé à l'inflation que les systèmes par capitalisation que nous avons connus avant-guerre, il me semble essentiel de lui adjoindre un fonds de réserve des retraites chargé de gommer les déséquilibres entre générations.

M. Pierre Moscovici. - Je tiens à redire que nous avons fait le choix de ne pas inclure dans ce rapport-ci - d'autres suivront ! - de préconisations ou de recommandations. Celui-ci est le fruit de missions flash menées dans des délais très resserrés en réponse à une demande précise du Premier ministre ; nous devions dresser un état des lieux objectif et incontestable. De ce point de vue, mission accomplie : il n'a été contesté que par certains croisés épousant des thèses sans grand soutien politique ou financier. Je ne pourrais donc sans doute répondre à toutes vos questions, à moins de vous apporter des réponses assez spéculatives.

Mme Doineau m'interroge sur l'accompagnement des seniors les plus fragiles. Si l'on s'intéresse à ce que font d'autres pays, on constate que le mot-clé, c'est la formation, notamment dans les TPE et PME. L'Allemagne a mis en oeuvre un vaste programme de cette nature, qui a produit des effets très importants.

Quant aux éventuelles divergences entre les simulations des modèles Mésange, du Trésor, et e-mod.fr, de l'OFCE, je relève tout de même que les résultats de ces deux modèles vont largement dans le même sens, mais avec une ampleur très différente. De fait, leur construction même diffère largement : l'un, celui du Trésor, repose plutôt sur les coûts, c'est une approche orientée vers l'offre ; l'autre, celui de l'OFCE, est plus keynésien et raisonne davantage sur les effets économiques d'investissements additionnels. Dès lors, le second fait moins apparaître d'effets négatifs sur l'emploi d'éventuelles augmentations de cotisations. Mon expérience personnelle, en tant qu'ancien élu, m'inciterait plutôt à juger que le modèle Mésange a tendance à surestimer ces effets, mais je sors de mon rôle de Premier président de la Cour des comptes en vous le disant... Cela explique en tout cas pourquoi je me garde de citer des chiffres précis de possibles destructions d'emplois, mais il n'en reste pas moins que l'impact serait négatif selon les deux modèles.

Mme Gruny demande comment l'on pourrait encourager les femmes à ne prendre leur retraite qu'après une carrière complète, sachant que le ratio de dépendance va continuer à s'accentuer. Il y a là une grande diversité de situations, et ce problème concerne également d'autres politiques publiques, comme la prise en charge du grand âge ou de la petite enfance.

Sa question sur le « sas » de chômage entre l'emploi et la retraite rejoint celle de Mme Vermeillet sur les seniors en bonne santé ni en emploi ni retraités. Il faudrait, comme le prévoit d'ailleurs l'ANI de novembre 2024, inciter les entreprises à anticiper les fins de carrière. Les entretiens à mi-carrière ont un rôle à jouer, la formation est également cruciale, de même que le recours au temps partiel. Il faut aussi lutter contre les comportements de discrimination affectant les seniors qui cherchent un emploi. Tous les chômeurs ne sont pas volontaires, loin de là ! Toutes ces pistes doivent être explorées et de nombreuses politiques publiques doivent être adaptées.

M. Husson a le mérite de souligner un point absolument incontournable : on ne peut pas faire comme si notre système de retraite était en bonne santé financière. Les conclusions de notre premier rapport sur ce point n'ont été contestées par personne, même si les réponses proposées divergent, entre économies, augmentation de cotisations, nouveaux impôts... Le déficit actuel est de 6 milliards d'euros ; le besoin de financement à l'horizon 2035, de 15 milliards ; à l'horizon 2045, de 30 milliards. Je ne reprendrai pas certaines thèses sur la fonction publique auxquelles la Cour ne croit pas, mais l'ordre de grandeur du problème est incontestable.

Quant à la capitalisation, c'est un débat que les partenaires sociaux peuvent avoir au cours de leurs négociations. Notre rapport rappelle qu'il existe bien en France des dispositifs de retraite, individuels ou collectifs, fonctionnant par capitalisation. De nombreux autres pays, notamment l'Allemagne, ont introduit des mécanismes comparables en complément de leur système par répartition. Mais il me semble que la question de la mise en place d'un étage de capitalisation n'a pas de lien direct avec la nécessité d'équilibrer les comptes du système de retraite par répartition. Mario Draghi concluait certes qu'une généralisation de la capitalisation pourrait avoir des effets bénéfiques sur l'économie européenne, notamment via le financement des entreprises, mais l'actualité récente nous montre que de tels dispositifs comportent des risques, qui doivent être limités par une diversification des actifs investis.

En toute hypothèse, si la capitalisation peut être retenue dans le cadre des négociations entre partenaires sociaux, il ne faudrait pas y voir une solution magique ; elle doit rester un complément. Nos deux rapports montrent que la retraite par répartition est viable, ou à tout le moins sauvable, et qu'elle doit rester le fondement du système français. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons effectué des comparaisons avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, trois pays où la répartition est encore au fondement du système de retraite. Un équilibre doit être trouvé, et si une part de capitalisation est retenue, de manière complémentaire, les risques doivent en être mitigés.

Enfin, en réponse à Mme Vermeillet, je confirme que la natalité n'entrait pas dans le champ de notre rapport. Il y a un autre problème très important que nous n'avons pu traiter dans ce rapport-ci, même si nous l'avons abordé dans notre rapport public annuel : celui de l'emploi des jeunes. Si la situation est globalement assez satisfaisante, il reste 12 % de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation, ce qui engendre des phénomènes de pauvreté.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Merci de ce rapport très complet. Nous partageons largement votre constat, mais notre appréciation des causes diffère, ce qui explique notre dissensus quant aux solutions. Nous partageons aussi votre préoccupation de maintien de l'équité. À cet égard, il est important de relever la bonne performance du système français en matière de lutte contre la pauvreté des personnes retraitées, et de la préserver. Une indexation insuffisante des pensions de retraite reviendrait sur cette réussite ; la part de retraités pauvres, qui diminuait tendanciellement, commence d'ailleurs à remonter.

Vous constatez que l'amélioration du taux d'activité des personnes atteintes par le recul de l'âge légal de départ à la retraite et de l'allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein repose essentiellement sur les personnes qui occupaient un emploi avant d'entrer dans cette classe d'âge. On observe très peu de progrès pour les autres, aucun effet d'horizon ne semble avoir joué. Selon Dominique Méda, il n'y aura pas d'amélioration du taux d'emploi des seniors sans un effort massif d'amélioration des conditions de travail. Les constats de la Dares sont accablants quant à l'évolution des conditions de travail depuis vingt ans. Avez-vous pris en compte les conditions de travail dans votre appréciation de l'emploi des seniors ?

Vous avez parlé d'espérance de vie, mais pas d'espérance de vie en bonne santé, alors que cette donnée est essentielle pour apprécier le temps passé à la retraite. Les premiers déciles de niveau de vie ont vu leur durée de vie à la retraite en bonne santé diminuer ; plus de personnes meurent même avant d'atteindre la retraite. Du fait de la réforme de 2010, tous les gains d'espérance de vie ont été, depuis lors, absorbés par l'allongement de la période de travail. On évoquait une répartition de deux tiers de l'allongement de l'espérance de vie pour la période travaillée et un tiers pour la retraite, mais ce n'est plus le cas : la durée de vie à la retraite a même tendance à baisser.

Recourir à un système par capitalisation ne résoudrait en rien le rapport démographique ; c'est absolument neutre en la matière. Si de tels systèmes existent depuis trente ans, y compris pour des régimes obligatoires, il faut noter qu'il s'agit de systèmes en montée de charge, disposant de trois fois plus de cotisants que de bénéficiaires ; ils disposent donc de réserves, comme en avait naguère notre système de retraite par répartition, mais le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), qui devrait nous permettre de faire face au choc démographique, a été dilapidé !

M. Pascal Savoldelli. - Votre expertise et celle de vos équipes sont toujours précieuses pour un exercice critique de l'action publique. Je vous avoue m'être interrogé en vous écoutant, mais le souvenir des propos que vous teniez la semaine dernière devant la commission des finances m'a permis de saisir la cohérence de votre pensée.

Vous parlez d'équité ; pour ma part, particulièrement en matière sociale, je préfère la notion d'égalité, qui figure au coeur de notre devise républicaine. Je ne souhaite pas la voir remplacer, dans nos réflexions, par celle d'équité, qui n'appartient pas de la même façon à notre modèle républicain. Nous sommes égaux, en droits comme en obligations. Le problème de l'équité, c'est de savoir qui décide du caractère juste ou injuste d'une inégalité.

Dès lors, même si vous vous refusez à formuler des recommandations, de manière à maintenir une forme d'objectivité, on ne peut pas parler de neutralité. Vous évoquiez la semaine dernière une « révolution de la dépense publique » ; pour ma part, j'attends plutôt une révolution de la recette publique... Vous avez fait montre d'une expertise de qualité, dans des délais très courts. Vous avez examiné, entre autres éventualités, celle d'une sous-indexation des pensions sur l'inflation ; cet examen est nécessaire, mais il n'est pas neutre !

Si l'on maintient le système de retraite par répartition, l'on devra débattre, de manière apaisée, mais argumentée, de la nature de ladite répartition, et de l'effort qu'elle exige. Dès lors, faudrait-il selon vous prendre en compte le régime fiscal des travailleurs, des plus modestes à ceux qui reçoivent les plus hauts salaires, et celui des revenus du capital, qui leur est beaucoup plus favorable ? Quelle est la ligne d'équilibre, d'harmonie, entre les efforts demandés à tous ceux qui travaillent et la contribution des revenus du capital ?

Mme Monique Lubin. - Je veux en préambule rappeler un propos que vous avez tenu lors de votre présentation de la première partie de ce rapport devant la commission des affaires sociales : vous affirmiez clairement que le système de retraite par répartition avait des bases solides et qu'il n'était pas en danger. J'aime à le répéter, parce que certains parmi nous ont tendance à dramatiser la situation. Notre rôle de politique est de ne pas effrayer la population, notamment les jeunes qui, persuadés qu'ils n'auront pas de retraite, ne se mobilisent pas pour sauver le système actuel.

Cela étant dit, vous avez produit un rapport étayé sur les prévisions de déficit, qu'il convient de mettre en rapport avec les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR). Nous n'avons rien à redire quant aux prévisions à cinq ou dix ans ; méfions-nous en revanche de ce que l'on peut dire pour 2045, car ce qu'il s'est passé ces cinq dernières années doit nous inciter à la prudence : nous ne savons pas quels événements économiques peuvent survenir, et à l'inverse certaines prévisions très inquiétantes faites au moment de la crise du covid ne sont pas avérées. Prenons les chiffres tels qu'ils ont, mais n'affolons personne !

On parle beaucoup d'emploi des seniors ; je lirai avec beaucoup d'attention le rapport que Sylvie Vermeillet remettra sur ce sujet. En 2019, René-Paul Savary et moi-même en avions publié un, où nous préconisions déjà certaines solutions. Les années ont passé, mais les entreprises ne se saisissent absolument pas de ces recommandations, en dépit de leur bonne volonté. Je crains que nous soyons enfermés en France dans une culture du non-emploi des seniors : les entreprises n'en recrutent pas ; en cas de difficultés, elles licencient toujours les plus âgés. C'est très regrettable ; il faudrait vraiment sortir de l'incantation en la matière et trouver des mesures qui inciteraient, sans en venir à la coercition, à les employer davantage.

Nous devons donc décider si nous voulons réellement conserver notre modèle de retraite par répartition. Nombreux sont ceux qui, parmi nous, ont compris les limites des systèmes par capitalisation. Il faudrait un modèle de répartition qui permette à ceux qui ont exercé les métiers les plus difficiles de partir relativement tôt, sans avoir à travailler jusqu'à un moment où ils ne pourraient plus profiter de leur retraite, et garantir aux retraités un niveau de revenu décent par rapport à celui des salariés. Dès lors, tout comme Pascal Savoldelli, j'estime qu'il faut certainement se poser la question des recettes.

M. Pierre Moscovici. - Le propos de Pascal Savoldelli m'a considérablement rajeuni, me ramenant à une époque où je n'étais pas Premier président de la Cour des comptes et où je ne faisais pas même de politique : jeune étudiant, je me plongeais dans des débats philosophiques sur les notions d'égalité et d'équité... Il y a d'ailleurs plusieurs types d'égalité, de celle des chances à celle des conditions, égalité formelle et égalité réelle.

Mais quand nous parlons d'équité dans ce rapport, notre intention est bien de réduire des situations d'inégalité. Quand on regarde de trop loin le système de retraite, on passe à côté de situations qui doivent être traitées : inégalités entre femmes et hommes, liées aux carrières hachées, au rôle d'aidant que la société fait encore peser surtout sur les femmes, ou encore à des paramètres sanitaires ; inégalités subies aussi par ceux qui exercent les métiers les plus pénibles, ou par ceux qui ne sont ni en emploi ni en formation.

M. Savoldelli m'invite aussi à réfléchir à la fiscalité. Ce n'est pas par idéologie que nous ne l'avons pas fait ; c'est parce que ce n'est ni le rôle de la Cour des comptes en général - nous travaillons presque exclusivement sur la dépense publique - ni la commande qui nous a été faite en l'occurrence. Oui, j'ai évoqué une nécessaire révolution de la dépense publique : il faut sortir des réflexions mécanistes selon lesquelles toute dépense serait suspecte, ou encore il ne faudrait agir que sur son volume. La révolution, selon moi, consisterait à travailler sur la qualité de la dépense publique.

Celle-ci représente 57 % du PIB dans notre pays ; c'est beaucoup. Ce niveau de dépense s'explique par le fort attachement des Français à leur modèle social, mais la différence de 8 points par rapport à la moyenne de la zone euro n'en est pas moins énorme et se pose la question de l'efficacité de cette dépense. Celle-ci a augmenté de 3 points de PIB depuis 2019 ; peut-on croire que cela corresponde à un surcroît équivalent d'efficacité du service public, en particulier pour l'éducation et la santé, les deux enjeux cruciaux d'aujourd'hui ? Nous venons de publier une revue des dépenses d'assurance maladie ; ce rapport montre que l'on pourrait en la matière économiser quelque 20 milliards d'euros sans toucher, pour l'essentiel, aux assujettis, mais en réglant des questions de gouvernance, en pratiquant davantage la prévention ou encore en luttant mieux contre la fraude. Certains m'ont critiqué : lutter contre la fraude sociale serait de droite ! Mais ceux qui trichent sont loin d'être les plus modestes. On peut faire des économies sans affaiblir le service public.

À mon tour, monsieur Savoldelli, de vous taquiner sur la sémantique : il me semble que vous confondez quelque peu répartition et redistribution. La répartition, c'est le fait que notre système est financé par des cotisations sociales assises sur la masse salariale. La redistribution suppose d'introduire dans ce système des éléments de réduction des inégalités ; c'est l'un des objectifs de la fiscalité, mais ce n'est pas inhérent à notre système de retraite.

À ce propos, pour répondre à Mme Lubin, je tiens à dire que je ne vois pas de contradiction entre nos deux rapports. Je crois que notre système de retraite par répartition repose sur des bases solides et qu'il doit perdurer. Pour autant, les problèmes de soutenabilité et de financement à venir ne peuvent pas être ignorés. Et ce n'est pas anticiper sur les conclusions du conclave que de vous rappeler que les constats faits dans le premier rapport ont été approuvés de la CGT jusqu'au Medef. Ensuite, à chacun de choisir les solutions qu'il préfère, entre fiscalité et économies ; notre rôle est simplement d'éclairer le débat. Nous restons donc attachés au système par répartition ; la capitalisation, si elle peut être développée avec précaution, ne saurait être qu'un étage complémentaire.

Madame Poncet Monge, je conviens avec vous que la capitalisation n'améliore pas le rapport démographique. Elle ne peut pas être la solution au problème du financement du système de retraite, mais seulement un plus.

Pour ce qui est de l'espérance de vie en bonne santé, pardonnez-moi, mais il convient selon moi de tordre le cou à la légende selon laquelle les Français à la retraite ne seraient pas en bonne santé : heureusement, l'espérance de vie en bonne santé a beaucoup augmenté. À 65 ans, elle est estimée aujourd'hui à 12 ans pour les femmes et 10,8 ans pour les hommes. Certes, il existe des disparités, qui rejoignent les inégalités socio-professionnelles que j'ai relevées : la différence entre ouvriers et cadres ou professions intermédiaires est de 2 ans pour les femmes, 3 ans pour les hommes. Cette question doit absolument être traitée.

Enfin, madame la sénatrice, vous avez évoqué les conditions de travail. Certes, nous ne les avons pas abordées en tant que telles dans notre rapport, mais cette question recoupe notre réflexion sur l'équité telle que nous l'avons définie. Je ne sais pas ce qui sortira des discussions des partenaires sociaux à ce sujet, même si nous les avons consultés. J'ai tout de même constaté chez eux tous un état d'esprit propice à la discussion. Ils doivent être capables de modifier la gouvernance du système et de définir des clauses de revoyure. L'important est qu'ils travaillent aux trois chantiers que j'ai relevés : la situation des femmes, de ceux qui ont des conditions de travail plus pénibles que d'autres, et de ceux dont la situation sanitaire est plus difficile. On ne s'en sortira pas sans traiter ces trois questions.

M. Laurent Somon. - L'équité intergénérationnelle me paraît un enjeu extrêmement important. Dans votre étude bibliographique et comparative, avez-vous pris en compte l'espérance de vie à la retraite par profession par rapport à l'écart-type de la moyenne ? Avez-vous relevé en la matière, dans d'autres pays ou systèmes de retraite, un impact sur la compétitivité et l'emploi ?

M. Pierre Moscovici. - C'est une colle que vous me posez là... Nous vous ferons parvenir une réponse détaillée en creusant les références du rapport.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - Avant de clôturer cette audition, je vous remercie encore, monsieur le Premier président, de ce rapport qui éclaire notre réflexion et nos travaux.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Thierry Cozic, vice-président -

Proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur

M. Thierry Cozic, vice-président de la commission des finances. - Il vous est proposé que notre commission se saisisse pour avis de la proposition de loi n° 416 (2024-2025) portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI), qui pourrait être inscrite à l'ordre du jour du Sénat prochainement, et de désigner M. Laurent SOMON comme rapporteur.

La commission des lois, saisie au fond, devrait déléguer l'examen au fond des articles 3 et 4 à notre commission.

La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi n° 416 (2024-2025) portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) et désigne M. Laurent Somon rapporteur pour avis.

La réunion est close à 11 h 30.