Lundi 5 mai 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession - Examen des amendements au texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous allons examiner l'amendement n° 1, déposé par M. Savoldelli, au texte de la commission sur la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession. Notre collègue rapporteur Hervé Maurey n'étant pas en mesure d'assister à la réunion, je m'exprimerai en son nom.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

M. Claude Raynal, président, rapporteur, en remplacement de M. Hervé Maurey. - L'amendement n°  1 vise à supprimer le critère de complexité relatif à la présence d'un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès.

Les critères d'appréciation de la complexité des opérations de succession, prévus pour délimiter le champ d'application du cas de gratuité correspondant aux successions les plus simples, ont fait l'objet de discussions approfondies entre les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu'avec les services du ministère de l'économie.

Alors que la rapporteure de l'Assemblée nationale souhaitait également inclure les contrats de crédit à la consommation dans les critères de complexité, cet élément a été écarté à la demande du rapporteur du Sénat. Ainsi, le critère relatif à la présence d'un contrat de crédit a été restreint aux seuls contrats de crédit immobilier.

Si la proportion des ménages détenant un contrat de crédit immobilier s'élève à 30 % de la population, elle n'est pas uniforme et décroît logiquement avec l'âge des personnes concernées. Dès lors, la part des successions visées par un tel critère de complexité est sensiblement inférieure.

Par ailleurs, cet amendement entre en contradiction avec l'objectif d'une adoption conforme de cette proposition de loi, en vue d'une mise en oeuvre rapide du dispositif d'encadrement des frais bancaires sur succession.

Aussi, je vous inviterai, monsieur Savoldelli, à bien vouloir retirer cet amendement en séance, la commission émettant un avis défavorable.

M. Pascal Savoldelli. - Je vais le maintenir même si, comme l'a expliqué le rapporteur la semaine dernière, ce critère de complexité concerne non pas 50 % des ménages, comme je le croyais, mais 30 %. Le chiffre de 50 % tenait compte à la fois du crédit à la consommation et du crédit immobilier.

En France, les frais bancaires représentent 6 milliards d'euros. Je veux bien admettre l'existence d'éléments de complexité sur les successions, mais j'estime que les banques peuvent assumer le coût de cette complexité.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  1.

La commission a donné l'avis suivant sur l'amendement dont elle est saisie qui est retracé dans le tableau ci-après :

Article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

1

Suppression du critère de complexité relatif à la présence d'un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès

Défavorable

La réunion est close à 14 h 45.

Mardi 6 mai 2025

- Présidence de M. Bruno Belin, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 15.

L'éducation prioritaire, une politique publique à repenser - Audition de MM. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, Jean-François Chanet, recteur de l'académie de Créteil, Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales à la direction générale de l'enseignement scolaire, et Patrick Haddad, vice-président de l'association des maires Ville & Banlieue de France (AMVBF) et maire de Sarcelles pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

M. Bruno Belin, président. - Nous procédons cet après-midi à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de notre commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur le bilan et l'efficacité de la politique de l'éducation prioritaire.

La politique de l'éducation prioritaire, après la réforme de 2015, a en effet des incidences budgétaires majeures, son coût étant estimé à 2,6 milliards d'euros. Il paraissait donc pertinent de demander à la Cour des comptes un bilan dix ans après la refondation de cette politique aux incidences budgétaires fortes. De plus, cette politique a un fort impact sur le schéma d'emplois, notamment en raison de la politique de dédoublement des classes mise en oeuvre entre 2017 et 2020 en grande section, au CP et au CE1.

La Cour des comptes, après avoir constaté l'ampleur des crédits budgétaires consacrés à la politique de l'éducation prioritaire, montre dans son rapport d'enquête les résultats encore trop peu importants de cette politique sur les résultats scolaires des élèves.

Pour aborder tous ces sujets, nous recevons M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes, qui va nous présenter l'enquête qui a été réalisée. Je remercie toutes les personnes qui l'accompagnent et, plus globalement, toutes celles qui ont travaillé sur le sujet.

Le rapporteur spécial de la mission, Olivier Paccaud, prendra ensuite la parole pour indiquer les principaux enseignements qu'il retient de ce travail et pour exposer son analyse des améliorations à apporter à la politique de l'éducation prioritaire. Pour prolonger nos échanges, nous éclairer et répondre aux observations de la Cour et du rapporteur spécial, je donnerai ensuite la parole à MM. Jean-François Chanet, recteur de l'académie de Créteil, Christophe Géhin, chef de service à la direction générale de l'enseignement scolaire, et Patrick Haddad, maire de Sarcelles et vice-président de l'association des maires Ville & Banlieue de France. La parole sera ensuite donnée à M. le rapporteur général et à l'ensemble des collègues qui souhaitent vous interroger.

À l'issue de notre réunion, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes ainsi que sur les recommandations proposées par le rapporteur spécial, M. Paccaud qui vous ont été distribuées.

Je vous indique enfin que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et qu'elle est retransmise sur le site internet du Sénat.

M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Mesdames, messieurs les sénateurs, la Cour des comptes a effectivement réalisé, à la demande de votre commission, au titre de l'alinéa 2 de l'article 58 de la Lolf, une enquête sur l'éducation prioritaire, politique lancée en 1981, et qui concerne aujourd'hui 21 % des élèves.

J'ai le plaisir de vous présenter brièvement les grandes lignes de ce travail, qui vous a été adressé le 18 mars dernier et qui résulte d'une enquête conduite par la chambre que j'ai l'honneur de présider, en particulier par l'équipe dont une partie est ici présente.

Tout d'abord, je rappellerai le périmètre de cette enquête. Celle-ci porte sur la politique d'éducation prioritaire depuis sa refonte en 2015 jusqu'en 2024, à l'école et au collège en France métropolitaine. Elle vise à mesurer l'efficacité et l'efficience de cette politique en examinant les objectifs de l'éducation prioritaire, le pilotage et l'évaluation de cette politique, les moyens qui lui sont dévolus, sa mise en oeuvre territoriale, son impact sur les résultats des élèves et sur le climat scolaire.

Lors du lancement de l'enquête, il avait été convenu avec vous que les problématiques de l'outre-mer, de la scolarisation des élèves allophones et de l'école inclusive, qui ont fait l'objet de travaux récents de la Cour, ne seraient pas traitées en tant que telles. Un rapport de 2020, traitant de la médecine et de la santé scolaire, et une large enquête sur l'école primaire, réalisée en collaboration avec des chambres régionales des comptes, paraîtra le 20 mai prochain.

Ensuite, je présenterai brièvement notre méthode. L'instruction s'est déroulée de la fin mars à la mi-octobre 2024. Des entretiens avec des responsables du ministère de l'éducation nationale, de la direction du budget, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ainsi qu'avec des chercheurs ont été conduits après une étude approfondie de la littérature académique internationale et administrative consacrée à l'éducation prioritaire. L'équipe de contrôle a également analysé plusieurs bases de données de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), avec l'aide d'un data scientist de la Cour.

Pour l'enquête sur place, un échantillon de trois académies a été retenu, une attention particulière ayant été portée à trois départements du fait de leur diversité sociale et géographique : Créteil, département de la Seine-Saint-Denis, département urbain de la région parisienne ; Amiens, département de la Somme, département du nord de la France classé comme rural selon la nomenclature de l'Insee ; Montpellier, dans l'Hérault, département mixte du sud de la France.

Dans le but de recueillir le point de vue de l'ensemble des acteurs de l'éducation prioritaire, les entretiens menés au rectorat avec les services académiques et départementaux ont été complétés par des échanges avec les services du préfet et des collectivités territoriales impliquées, à savoir les départements, les villes chefs-lieux de département et, le cas échéant, la direction diocésaine.

Des visites d'établissements scolaires ont également été menées, permettant à l'équipe d'échanger avec des directeurs et chefs d'établissement, des enseignants et personnels de vie scolaire, des élèves et des familles.

La sollicitation de votre commission concerne un sujet sensible et majeur pour l'équité et la performance de notre système éducatif, mais aussi pour l'avenir de notre jeunesse. L'éducation prioritaire avait été évaluée par la Cour des comptes en 2018. Il convenait de la réexaminer à la lumière des récentes réformes. Comme vous le savez, la France fait partie des pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) où le niveau scolaire des élèves issus de milieux plus défavorisés est en baisse depuis vingt ans et où les inégalités sociales pèsent de plus en plus sur les destins scolaires.

À titre d'exemple, à 15 ans, les compétences des élèves français sont davantage liées au milieu social que dans le reste des pays de l'OCDE, ce qui pose question. Tous les rapports du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) le montrent bien.

Je structurerai mon propos en quatre points.

Premier point : l'éducation prioritaire est un dispositif conçu comme transitoire, qui s'est sédimenté au fil des années. La France mène sans discontinuité depuis 1981 une politique d'éducation prioritaire contemporaine de la politique de la ville, dont les objectifs sont restés stables : donner plus à ceux qui ont moins, selon un principe d'équité et de compensation, miser sur un encadrement renforcé, administratif et pédagogique, des élèves pour les faire progresser.

Ailleurs, en Europe et aux États-Unis, les politiques d'éducation prioritaire ont fait leur mue depuis leur émergence, beaucoup plus tôt qu'en France, dans les années 1960. Elles sont passées d'une optique de compensation pour lutter contre les inégalités à une optique d'inclusion, de gestion des risques et de promotion de l'excellence individuelle.

Sous l'influence de la Commission européenne, la perception de la vocation d'éducation prioritaire évolue. Il s'agit moins de réduire les inégalités scolaires liées aux inégalités sociales et culturelles que de permettre à chaque élève et à chaque groupe à risque de maximiser son développement, ses chances de réussite et d'intégration, compte tenu de ses caractéristiques. Ainsi, les programmes d'éducation prioritaire des pays de l'Union européenne ciblent de plus en plus des individus ou des groupes plutôt que des territoires.

En France, le dispositif d'éducation prioritaire créé par voie réglementaire en 1981, avant d'être consacré par la loi en 2013, cible certaines zones du territoire national et est conçu comme transitoire. J'insiste sur son caractère transitoire. D'ailleurs, la circulaire de 1981 est très explicite. Elle indique qu'il « serait peu souhaitable d'envisager une assistance permanente qui risquerait d'aboutir à la constitution de ghettos scolaires ». C'était très clair, dès le départ. Le périmètre de cette politique a plus que doublé au gré de ses relances : alors que 10 % des élèves étaient concernés en 1981, ils sont 21 % aujourd'hui.

La présente enquête analyse les effets de la dernière relance de l'éducation prioritaire, appelée « Refondation », et amorcée en 2015. Cette relance a consisté à revoir la carte de l'éducation prioritaire sur la base d'un indice social national pour labelliser 1 093 réseaux de deux types : les réseaux d'éducation prioritaire (REP) composent un second cercle autour des réseaux d'éducation prioritaire renforcés (REP+), qui, parce qu'ils présentent davantage de difficultés sociales et scolaires, concentrent les moyens.

La refondation a enfin réaffirmé le rôle du collège comme tête de réseau et visait à renforcer le pilotage national et académique. L'évaluation de l'éducation prioritaire conduite par la Cour des comptes en 2018, qui couvrait la période de 2006 à 2016, a montré la faiblesse des résultats de l'éducation prioritaire. Elle soulignait l'usage mal ciblé des leviers d'action, la difficulté de stabiliser les équipes en REP et REP+ ainsi que le manque d'outils d'évaluation. La Cour recommandait alors de concentrer les moyens sur les premières années de l'enseignement primaire et sur les REP+, d'adapter la gestion des enseignants et de fortifier l'autonomie, la responsabilité et l'évaluation des réseaux.

Deuxième point : depuis dix ans, la logique de moyens a prévalu au détriment des autres mesures en faveur de la réussite des élèves. Les REP+ ont bénéficié, depuis 2015, de mesures ciblées bien plus favorables qu'en REP, comme les indemnités spécifiques, rehaussées en plusieurs étapes, dans le but d'attirer et de fidéliser le personnel ou les heures libérées pour favoriser la collaboration et la formation des équipes. Ce temps a bien été mis à profit dans les écoles, mais trop diversement dans les collèges. L'impact national de la hausse des indemnités REP+ n'a pas été mesuré par le ministère de l'éducation nationale. Pourtant, cette mesure se révèle coûteuse. En 2022, elle a représenté 291 millions d'euros pour 49 000 emplois en équivalent temps plein concernés.

Les indicateurs des académies de Créteil et de Montpellier, par exemple, montrent que les effets positifs de cette mesure sur les voeux et sur la fidélisation des personnels en REP+ se sont parfois produits au détriment d'autres postes, notamment situés en REP ou hors éducation prioritaire, dans des territoires isolés.

La dynamique de la refondation de 2015, qui associait l'attribution de nouveaux moyens à l'ambition de modifier les pratiques pédagogiques et de renforcer le travail en réseau, s'est essoufflée. En témoigne le ralentissement de la formation et le caractère souvent limité de la collaboration entre l'école et le collège. Les partenariats locaux avec les autres services de l'État, les collectivités territoriales, les associations et les familles, au coeur du projet de l'éducation prioritaire, sont essentiels à la continuité éducative. Or ils apparaissent très variables selon les territoires et trop dépendants des relations entre les acteurs.

À partir de 2017, dans le but de renforcer le taux d'encadrement et d'assurer la maîtrise des savoirs fondamentaux, le dédoublement des classes de CP, de CE1, puis de grande section de maternelle a été progressivement mis en place dans les écoles de l'éducation prioritaire, mobilisant près de 16 000 emplois supplémentaires en équivalent temps plein et près de 800 millions d'euros par an.

Très consommateur de ressources, le dédoublement s'est substitué au programme « Plus de maîtres que de classes » lancé en 2012, sans que ce dernier soit évalué. Il était prévu que le dédoublement de classes s'accompagne d'une modification des pratiques pédagogiques afin de tirer pleinement parti d'un enseignement s'adressant à des effectifs réduits. Or, cette inflexion, au départ soutenue par des programmes de formation, semble aujourd'hui peu suivie par le ministère et diversement par les académies. Au final, le pilotage national et local de la politique d'éducation prioritaire, quoique structuré, est aujourd'hui centré sur l'attribution et la gestion des moyens et, dans une moindre mesure, sur l'animation des réseaux. Les approches stratégiques, pédagogiques et évaluatives sont beaucoup moins développées et peu centrées sur les élèves, ce qui est tout de même paradoxal.

Troisième point : les écarts de résultats entre les élèves de l'éducation prioritaire et les autres peinent à se résorber, alors même que le coût de cette politique n'a cessé de croître. L'objectif fixé à l'éducation prioritaire depuis 2006 est de réduire à moins de 10 % les écarts de niveau entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et les autres, sans abaisser le niveau général. Cet objectif n'a pas été atteint, malgré le renforcement important des moyens. En effet, le coût de la politique de l'éducation prioritaire a été multiplié pour l'État par 2,5 en près de dix ans. Alors que ce coût s'élevait à 1,1 milliard d'euros en 2014, il est évalué à 2,6 milliards d'euros en 2023. C'est éloquent.

Les contributions financières des collectivités territoriales ne peuvent être chiffrées, faute de données, mais elles sont nécessairement importantes, compte tenu des investissements bâtimentaires nécessaires au dédoublement des classes. Je ne sais pas à quel montant nous aboutirions si nous étions capables d'additionner l'ensemble d'entre elles.

Plébiscité par les enseignants comme par les familles, le dédoublement des classes a amélioré le climat scolaire et l'attention portée aux élèves les plus en difficulté. Cependant, ses résultats sur la réussite des élèves sont plus nuancés. En effet, si des progrès en mathématiques et, de façon plus modeste, en lecture et en écriture sont mesurables à court terme, ceux-ci semblent s'estomper à l'entrée du collège.

Le dédoublement en tant que tel, appliqué à l'ensemble des matières traitées en classe, avec un plafond de douze élèves, devrait être questionné au profit d'une réflexion plus globale et plus large sur les effectifs et sur les pratiques professionnelles les plus adaptées à un contexte de baisse démographique. En effet, le nombre d'élèves a diminué de 231 000 entre 2017 et 2024. Selon les prévisions, on devrait perdre 400 000 élèves d'ici à 2028.

Quatrième et dernier point : la politique actuelle est complexe et peu lisible et ne répond pas à la diversité des besoins. Toute politique de zonage ou de labellisation comporte des effets de seuil et exige une actualisation régulière. La carte des quartiers prioritaires de la politique de la ville, les QPV, a ainsi été mise à jour en 2023 et présente une convergence assez forte avec celle de l'éducation prioritaire, notamment pour les établissements situés en REP+. En effet, 99 % des collèges en REP+ et 81,5 % des collèges en REP sont situés à moins de 1 000 mètres d'un QPV. C'est édifiant !

En revanche, la carte de l'éducation prioritaire, qui devait être revue tous les quatre ans, ne l'a pas été depuis dix ans, alors même que la pauvreté, les inégalités sociales et la ségrégation spatiale se sont accrues en France. À défaut de réviser la carte, le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse a créé depuis 2018 des dispositifs additionnels, comme les contrats locaux d'accompagnement (CLA), et les territoires éducatifs ruraux (TER), dotés de moyens moindres, pour tenter de traiter les situations dégradées d'établissements situés hors éducation prioritaire. Ces dispositifs, d'abord expérimentaux, ont été généralisés sans être évalués. L'ensemble apparaît désormais complexe, peu lisible et peine à répondre à la diversité des besoins.

Réviser la carte de l'éducation prioritaire est devenu d'autant plus délicat que cette carte s'est figée sous l'effet des dédoublements, qui ont souvent nécessité des travaux de réaménagement dans les écoles, et des avantages indemnitaires associés à l'enseignement en REP+. En effet, la prise en compte des seules caractéristiques du collège pour la labellisation des écoles du même secteur a conduit à laisser de côté environ 500 écoles, aux publics plus fragiles que leur collège de secteur, ou au contraire, à intégrer à l'éducation prioritaire des écoles qui ne le nécessitaient pas.

Au regard des carences mises en évidence, il s'agit de revoir la logique d'action de la politique de l'éducation prioritaire. Une première étape pourrait consister à actualiser la carte de l'éducation prioritaire à partir d'un indicateur socio-économique révisé, permettant de disposer d'une information fiable et directe concernant l'ensemble des établissements scolaires, écoles maternelles et élémentaires, intégrés dans ce dispositif.

Il serait également pertinent de réviser les mécanismes d'allocation des ressources afin d'introduire davantage de progressivité dans la répartition des moyens et de réduire les effets de seuil. L'éducation prioritaire apparaît aujourd'hui comme une politique publique qui segmente le service public de l'éducation, qui s'éloigne des objectifs initiaux en termes de réussite des élèves et aboutit à un système peu lisible et peu efficient.

La non-actualisation de la carte, associée à une logique de moyens ayant pris le pas sur les enjeux pédagogiques, conduit à un constat de rigidification et de non-adéquation grandissante de cette politique publique aux besoins des élèves et des territoires. Si le principe d'équité, c'est-à-dire l'allocation de moyens supplémentaires aux élèves qui en ont davantage besoin, doit rester central et n'a pas vocation à être mis en cause, il apparaît aujourd'hui nécessaire de repenser la manière de mettre en oeuvre ce principe. Il conviendrait désormais de faire évoluer l'éducation prioritaire dans le cadre d'une réflexion plus globale, qui doit conjuguer les efforts de différentes politiques publiques ciblant les objectifs de mixité, d'équité et d'accompagnement des publics vulnérables.

Il apparaît également nécessaire d'évaluer de manière systématique l'efficience de la dépense et de mettre en place des outils de suivi de la performance, notamment en matière de réussite scolaire et de parcours des élèves. L'éducation prioritaire doit aujourd'hui être incluse dans une logique d'action plus globale, plus efficiente et davantage intégrée, au service de la réussite des élèves. C'est pourquoi la Cour préconise que cette politique soit réformée sans délai en tenant compte de deux orientations.

Premièrement, il faut mettre en cohérence l'ensemble des moyens concourant à la mixité sociale et à l'égalité des chances au sein même de la politique scolaire de l'éducation nationale, tout en veillant à une bonne adéquation avec l'action des autres acteurs, ceux de la politique de la ville, du secteur médico-social, etc.

Deuxièmement, il faut simplifier les mécanismes d'allocation des moyens pour permettre une meilleure lisibilité et davantage de progressivité dans la mise en oeuvre de cette politique tout en veillant à faire évoluer les pratiques professionnelles au bénéfice de la réussite des élèves.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions et vous apporter les précisions sur cette enquête que vous avez bien voulu nous confier.

M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - L'enquête conduite par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances a pour but de tirer un bilan de la politique de l'éducation prioritaire, dix ans après sa refondation. Je tiens tout d'abord à remercier tant la Cour pour son enquête que le président de la commission des finances, qui a permis que la demande en soit faite à la Cour.

En premier lieu, je souligne qu'il était prévu en 2015, au moment où la politique de l'éducation prioritaire a été réformée et où ont été créés les REP et les REP+, que la carte de l'éducation prioritaire soit revue tous les quatre ans. Nous devrions en être à la troisième révision, mais il n'y en a pas eu une seule, en raison d'un manque de volonté de la part des ministres qui se sont succédé à l'éducation nationale ou peut-être parce qu'il y en a eu beaucoup trop en peu de temps. L'un d'entre eux a été en poste durant cinq ans, mais il n'a pas lancé cette indispensable révision.

Il en résulte que la carte actuelle de l'éducation prioritaire n'est plus adaptée à la réalité des territoires. En effet, comme le note la Cour des comptes, au moins cinq collèges de l'éducation prioritaire et quarante-huit écoles ont un indice de position sociale (IPS) supérieur à 110, quand la moyenne nationale est de 105,5. À l'inverse, seize collèges ayant un IPS inférieur à 80 ne relèvent pas d'un réseau d'éducation prioritaire. Les dynamiques socio-économiques ont en effet entraîné des modifications profondes dans certains territoires et même dans certains quartiers.

Par ailleurs, la carte des quartiers prioritaires de la ville a été revue en janvier 2024 pour l'Hexagone et en janvier 2025 pour les départements et régions d'outre-mer. De telles modifications peuvent contribuer à une redéfinition des établissements relevant de l'éducation prioritaire plus proche des réalités territoriales. Il est donc absolument nécessaire, pour ne pas dire urgent, de revoir la carte de l'éducation prioritaire. C'est ma première recommandation.

J'en viens maintenant aux critères qui ont fondé l'inclusion d'un établissement dans l'éducation prioritaire. Le ministère de l'éducation nationale a ainsi constitué un indice social unique pour chaque collège, qui comprenait la proportion d'élèves appartenant aux catégories sociales défavorisées, la proportion d'élèves boursiers, la part d'élèves en retard à l'entrée en sixième et le nombre d'élèves résidant à moins de 300 mètres d'un QPV. Sur la base de cet indice, les recteurs ont ensuite engagé un dialogue avec les acteurs locaux pour déterminer quels établissements devaient relever de l'éducation prioritaire.

Cette méthode présente plusieurs mérites, notamment parce qu'elle permet de tenir compte de spécificités locales en laissant de la souplesse et de l'agilité aux recteurs dans la définition des établissements de l'éducation prioritaire. L'usage d'un indicateur défini selon des critères nationaux garantit également une forme d'harmonisation entre les territoires de la labellisation en REP ou REP+.

Toutefois, le défaut principal de cette méthodologie est qu'elle accorde trop de poids aux zones urbaines par rapport à la ruralité, qui subit pourtant des difficultés propres importantes. Ainsi, le taux de passage des élèves de communes rurales en seconde générale et technologique est inférieur de dix points à celui des élèves de zones urbaines très denses. La faible densité limitant l'accès à la culture, les indicateurs socioéconomiques dégradés des zones rurales sont autant de raisons des difficultés des élèves ruraux.

Il serait donc souhaitable d'intégrer des critères propres à la ruralité dans la définition des indicateurs conduisant à l'attribution des moyens spécifiques de l'éducation prioritaire. Il faudrait prendre en compte par exemple l'indice d'éloignement. De même, intégrer un critère de mobilité résidentielle des élèves serait pertinent, dans la mesure où le fait de changer fréquemment de domicile est une caractéristique des populations fragiles.

L'existence de « trous dans la raquette » de la politique de l'éducation prioritaire a bien été identifiée par les ministères successifs et a conduit à la conception de dispositifs spécifiques visant à pallier ces manques. On peut citer les territoires éducatifs ruraux, qui permettent de mobiliser quelques 90 000 euros par TER. Leur objectif est de renforcer les synergies entre l'éducation nationale et les collectivités locales dans les zones rurales.

Un autre exemple caractéristique est celui des cités éducatives, qui ont pour objet de favoriser la réussite des jeunes entre 0 et 25 ans, en associant l'ensemble des acteurs concernés, y compris les caisses d'allocations familiales et les collectivités. Ce dispositif est à saluer, car il favorise les synergies entre les différents acteurs, et doit donc inspirer la politique d'ensemble de l'éducation prioritaire.

Le cas des contrats locaux d'accompagnement peut également être cité. Si ces dispositifs ont vocation à répondre à des manques identifiés de la politique de l'éducation prioritaire, ils en augmentent en réalité l'illisibilité. Il est difficile pour les chefs d'établissement de traiter l'ensemble de ces dispositifs, d'autant qu'ils nécessitent en général la rédaction d'un projet d'établissement propre, source de complexité administrative. Si une forme de contractualisation de l'État avec les établissements de l'éducation prioritaire est souhaitable, il serait préférable de refondre l'ensemble des dispositifs en une seule et unique politique, conduisant à la rédaction d'un seul projet d'établissement. La refonte de l'ensemble de ces dispositifs en une seule politique correspond à une exigence de simplification et de rationalisation administrative.

Sur la carte de l'éducation prioritaire, je voudrais évoquer le sujet spécifique des écoles primaires. Comme l'indice de position sociale n'était pas disponible en 2015 au niveau des écoles, celles-ci ont été classées dans l'éducation prioritaire en fonction de leur proximité avec un collège classé REP ou REP+. Pourtant, en particulier dans les zones urbaines très denses, la sociologie d'un quartier peut changer du tout au tout sur quelques centaines de mètres. Dans la mesure où il est aujourd'hui possible d'établir un indice de position sociale au niveau de chaque école, il serait souhaitable d'en finir avec la logique de réseau. L'attribution des moyens propres à l'éducation prioritaire doit être évaluée au niveau de chaque école, afin de renforcer l'efficience des moyens alloués.

J'en viens maintenant aux enjeux budgétaires, qui nous concernent plus spécifiquement à la commission des finances. La politique de l'éducation prioritaire représente un enjeu budgétaire particulièrement considérable. Un total de 2,6 milliards d'euros lui est désormais consacré par le ministère de l'éducation nationale chaque année. Par ailleurs, les financements des collectivités territoriales alloués à l'éducation prioritaire n'ont pu être évalués, même s'ils sont, sans aucun doute, considérables.

Le budget consacré par l'éducation nationale à l'éducation prioritaire a été multiplié par deux et demi en dix ans, pour trois raisons.

Première raison, la politique de dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 conduite entre 2017 et 2020 entraîne un surcoût supplémentaire annuel de 800 millions d'euros. La littérature recommande en effet de diminuer le nombre d'élèves par classe dans certaines classes bien spécifiques. Toutefois, la détermination du seuil utilisé d'élèves par classe n'a pas fait l'objet d'études spécifiques. Or l'inspection générale des finances a recommandé dans une revue de dépenses faite en avril 2024 de passer le nombre maximal d'élèves par classe de 12 à 15. Une telle politique permettrait de réaffecter utilement près de 850 enseignants ailleurs, par exemple à des missions de remplacement, dont j'aurais l'occasion de vous reparler dans quelques semaines. Je pense donc opportun de recommander d'élever le seuil des classes dédoublées à 15 élèves par classe.

Deuxième raison, les indemnités spécifiques dont bénéficient les personnels de l'éducation prioritaire ont été significativement augmentées entre 2018 et 2021. Ces augmentations représentent un surcoût annuel de 291 millions d'euros. Ainsi, un personnel enseignant en REP est revalorisé à hauteur de 114,5 euros bruts par mois et un personnel en REP+ à hauteur de 426,17 euros bruts par mois. Il s'agit d'une augmentation importante des revenus, surtout au regard de la rémunération mensuelle moyenne brute d'un enseignant du public, qui s'élève à 3 444 euros. Cette revalorisation permet de renforcer l'attractivité des postes en éducation prioritaire et surtout en éducation prioritaire renforcée, au bénéfice des élèves. Ce sont ainsi des enseignants et, plus généralement, des personnels plus expérimentés qui les encadrent. Cet effort important consenti par le ministère de l'éducation nationale doit être souligné.

Troisième raison, ont été mises en place dix-huit demi-journées de décharge pour les enseignants du premier degré et la diminution du temps devant élèves d'une heure et trente-huit minutes pour les enseignants du second degré de l'éducation prioritaire renforcée. L'objectif en est que les enseignants puissent effectuer un temps de travail en équipe et avec des partenaires extérieurs. Toutefois, si, dans le premier degré, les temps de décharge paraissent bien utilisés à des fins pédagogiques, c'est moins le cas dans le second degré, où la durée de travail « déchargée » sert parfois à accomplir des remplacements de courte durée, ce qui n'est pas l'objectif du dispositif. Il serait donc opportun de revoir les modalités de définition des heures hebdomadaires libérées pour les enseignants, afin de renforcer la participation des enseignants au temps de travail collectif de l'établissement.

Plus globalement, les modalités d'affectation des moyens aux établissements classés REP ou REP+ doivent être refondues en vue d'une plus grande progressivité, afin d'éviter les effets de seuils. Il serait pertinent de fusionner l'ensemble des dispositifs de l'éducation prioritaire en une seule politique. Un continuum de moyens pourrait être alloué à un établissement en fonction d'un indice national et d'une négociation locale. En effet, certains établissements classés REP+ bénéficient de moyens très importants alors que leur situation est intermédiaire entre celle des établissements REP et des REP+ par exemple. Une allocation progressive des moyens permettrait une adéquation plus fine de la politique de l'éducation prioritaire aux réalités territoriales. Ce serait de plus un moyen de rendre la dépense publique plus efficiente et d'éviter des dépenses trop élevées par rapport à la situation sociale réelle de certains établissements.

Par ailleurs, il serait pertinent de conduire une expérimentation dans certains territoires ; les établissements de l'éducation prioritaire n'y seraient pas catégorisés comme tels, même s'ils bénéficieraient des moyens afférents. Cela permettrait de constater et d'éviter les effets d'évitement provoqués par la labellisation d'un établissement en REP ou REP+. La mixité sociale, favorable à la réussite des élèves, s'en trouverait améliorée.

Je terminerai en évoquant les résultats des élèves bénéficiant de la politique de l'éducation prioritaire. Comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, les effets de la politique de l'éducation prioritaire sur le niveau scolaire des élèves français sont mitigés, même si on peut supposer que la situation serait pire en l'absence de cette politique. Ainsi, à 15 ans, les 25 % des élèves français les plus défavorisés ont un niveau moyen en mathématiques qui est inférieur à celui de la moyenne de l'OCDE. Près de 60 % des élèves de troisième de l'éducation prioritaire renforcée ont une note au brevet inférieure à 8 sur 20.

De tels constats illustrent bien les progrès qui restent à accomplir pour favoriser la réussite scolaire de l'ensemble des élèves français, quel que soit leur niveau social d'origine. Il est temps d'apporter des améliorations substantielles à la politique de l'éducation prioritaire en vue d'atteindre cet objectif.

M. Jean-François Chanet, recteur de l'académie de Créteil. - Le rapport qui justifie notre présence devant vous ce soir a retenu toute mon attention, non seulement en tant que recteur récemment nommé dans l'académie de Créteil, mais aussi en tant qu'ancien recteur ayant participé aux travaux de la mission dirigée par Ariane Azéma et Pierre Mathiot, dont les conclusions ont été mentionnées à plusieurs reprises, et en tant qu'historien de l'éducation.

À ce titre, je voudrais exprimer un petit regret. Si vous vous êtes appuyés sur des travaux scientifiques, d'autres auraient pu éclairer et nourrir vos analyses et propositions. Je pense en particulier au récent numéro de la revue scientifique Histoire de l'éducation, où sont réunis des regards historiques sur quarante ans de politique de l'éducation prioritaire en France. L'un de mes maîtres et amis, Antoine Prost, disait en plaisantant : « L'éducation nationale, c'est Pénélope. » Ce n'est pas une bonne raison pour négliger ce que les historiennes et les historiens peuvent apporter à la connaissance et à la compréhension de nos politiques publiques de l'éducation, surtout celles dont la durée approche le demi-siècle.

La proportion d'élèves de l'académie de Créteil scolarisés dans l'éducation prioritaire, soit 36 % - cela représente 246 000 élèves -, est supérieure à la moyenne nationale, c'est-à-dire 21 %. Mais, en l'occurrence, les moyennes n'ont guère de sens tant les contrastes sont grands. La proportion pour le second degré, qui est de 13 % en Seine-et-Marne, passe à 24 % dans le Val-de-Marne, pour atteindre 62 % en Seine-Saint-Denis. Elle est à peu près la même dans le premier degré. Les 135 réseaux que compte l'académie se répartissent en 99 collèges et 552 écoles en REP et, respectivement, 36 et 256 en REP+. Ainsi, 32 % des écoles publiques et 36 % des collèges publics sont en éducation prioritaire.

Conformément à ce qui est indiqué dans le rapport, les indices de position sociale et les proportions de boursiers sont en cohérence avec les caractéristiques de l'éducation prioritaire. Entre 2022 et 2024, l'IPS pour le niveau collège hors sections d'enseignement général et professionnel adapté (Segpa) est passé de 100,1 à 112,4 hors éducation prioritaire, tandis qu'il passait de 85,6 à 86 en REP et de 77,7 à 78,2 en REP+. En 2023, le taux de boursiers, de 19,7 % hors éducation prioritaire, s'élevait à 42,7 % en REP et à 54,3 % en REP+.

Le rapport met par ailleurs l'accent, à juste titre, sur la concentration de difficultés qui caractérisent ces réseaux, où les dispositifs Segpa, les unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis) et les autres unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants ont tendance à être majoritairement implantés. Les cités éducatives ont fait l'objet de quatre campagnes de labellisation, échelonnées entre 2019 et 2024. Au total, l'académie de Créteil en compte aujourd'hui 25, soit 6 en Seine-et-Marne, 14 en Seine-Saint-Denis et 5 dans le Val-de-Marne.

Ces ajouts successifs de dispositifs ont réclamé un renforcement du pilotage et un accroissement des moyens d'ingénierie, ce qui ne va pas sans poser des problèmes d'ajustement des dynamiques attendues au cadre administratif préexistant, voire au mode habituel de gestion et aux cultures héritées.

Un centre académique de ressources pour l'éducation prioritaire (Carep), observatoire des pratiques pédagogiques, a pour responsable une inspectrice d'académie, inspectrice pédagogique régionale du second degré, qui travaille avec les directeurs académiques adjoints, pilotes départementaux, eux-mêmes entourés de copilotes, inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) pour le premier degré et principaux de collège pour le second degré.

Nous avons aussi des coordonnateurs de réseaux : l'IEN de circonscription, le chef d'établissement et l'inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) référent, ainsi que des formateurs éducation prioritaire. Cette organisation permet une animation féconde des réseaux, grâce notamment au site ressources du Carep, avec des séminaires et des webinaires visant au partage de pratiques.

Tout cela mobilise assurément des moyens considérables, mais ceux-ci ont permis, entre autres, deux progrès incontestables : l'amélioration des taux d'encadrement et la fidélisation relative des ressources humaines, particulièrement en Seine-Saint-Denis, comme le souligne le rapport.

Dans le premier degré, le nombre d'élèves par classe, de 23,88 hors éducation prioritaire, descend à 17,15 en REP et à 17,07 en REP+. Dans le second degré, le nombre d'élèves par division est respectivement de 26,1 hors éducation prioritaire, 22,6 en REP et 22,1 en REP+. Les dotations sont par ailleurs renforcées en moyens de vie scolaire et de personnels médico-sociaux, même si nous ne parvenons pas à en recruter assez pour faire face à des besoins criants. Ainsi, 1 506 équivalents temps plein (ETP), 489 en maternelle et 1 017 en école élémentaire, ont été consacrés au dédoublement et 100 % des classes de grande section de maternelle, CP et CE1, en REP et REP+, sont dédoublées depuis la rentrée scolaire 2023.

J'en viens au plafonnement à 24. À la rentrée scolaire 2024, hors éducation prioritaire, sur 570 classes de grande section, 305 respectaient ce repère, soit 53 %, et 747 sur 943 classes de CP et de CE1 faisaient de même, soit 79 %.

L'exemple de la Seine-Saint-Denis est particulièrement cité pour ce qui touche à l'attractivité et à la fidélisation des ressources humaines. Dans le premier degré, la part des enseignants avec une ancienneté inférieure à deux ans recule sur toute la période 2015-2023. Et c'est en REP+ qu'elle a le plus reculé de 2017 à 2023 et qu'elle est à présent la moins importante : moins vingt points contre huit points en REP et hors éducation prioritaire. Réciproquement, c'est aussi en REP+ que la part des enseignants avec les anciennetés les plus fortes est la plus élevée. Ainsi, 26,7 % ont plus de huit ans d'ancienneté, contre 22,5 % en éducation prioritaire et 18,9 % en REP, ce qui interroge en effet sur la différence entre REP et REP+.

Mais le rapport fait état d'une inversion dans l'appréciation de ce qui, avant les hausses de rémunération, primes et indemnités diverses, était tenu pour un double inconvénient : l'inexpérience et l'instabilité. Aujourd'hui, on en vient à parler d'effet cliquet rendant difficile une sortie du système.

Dans l'état de crise identitaire que traversent les métiers de l'enseignement et de l'encadrement, et eu égard aux compétences, convictions et dévouements si nombreux et si variés que l'on trouve dans nos établissements, reconnaissons que cette appréciation, légitime à certains égards, peut aussi heurter certaines sensibilités.

J'en viens aux effets. L'effet attendu sur les résultats scolaires, avant tout dans les deux disciplines fondamentales que sont le français et les mathématiques, pour n'être ni aussi net ni aussi durable qu'on le souhaiterait, ne couvre pas, tant s'en faut, tout le spectre des apports possibles de ces dispositifs. L'effet des évolutions les plus récentes, en particulier l'accueil élargi de huit heures à dix-huit heures, est sensible sur le climat scolaire, ce qui en fait un enjeu d'importance face aux violences multifactorielles dont nous nous efforçons de préserver nos écoles et établissements. Rappelons que cet accueil élargi a été généralisé à la rentrée 2024 à tous les collèges en éducation prioritaire.

Enfin, il importe d'être vigilant et ferme pour réduire la tendance qu'ont les conseils de classe à surorienter vers la voie professionnelle les élèves de troisième en éducation prioritaire par rapport à ceux qui sont scolarisés hors éducation prioritaire. Entre deux collèges présentant des intentions et des demandes proches de la part des familles, on constate que les propositions et les décisions finales varient de près de douze points selon qu'on est dans ou hors de l'éducation prioritaire.

Ces constats nous renvoient à ce qui est l'un des thèmes centraux du rapport : la mixité sociale. L'expérience nous enseigne que, dans l'état actuel des compétences des conseils départementaux, celle-ci nécessite un effort patient et souvent déçu de persuasion pour préparer et accompagner les changements dans la sectorisation des collèges.

M. Christophe Géhin, chef du service du budget et des politiques éducatives territoriales à la direction générale de l'enseignement scolaire. - À titre liminaire, le ministère de l'éducation nationale rappelle son engagement constant en faveur des politiques d'égalité des chances, dont la politique de l'éducation prioritaire fait partie, même si ce n'est pas le seul axe de travail.

Sans négliger les marges de progrès réelles qui existent, nous souhaitions revenir sur quelques actions qui ont été menées au cours des dernières années.

Je pense d'abord au dédoublement des classes de CP et de CE1 et à l'extension du dédoublement aux classes de grande section depuis 2017, avec la mobilisation - vous l'avez rappelé - de près de 16 000 emplois. Cela traduit la priorité donnée au premier degré.

Je mentionne également les travaux en matière de gestion des ressources humaines pour essayer de stabiliser nos enseignants en éducation prioritaire, avec une revalorisation importante du régime indemnitaire en éducation prioritaire et, à plus forte raison, en éducation prioritaire renforcée. Cela a des résultats concrets. La stabilité des équipes en éducation prioritaire est plus forte qu'en 2017. La part des personnels exerçant en éducation prioritaire au sein d'un même réseau depuis au moins cinq ans a significativement augmenté.

Nous avons aussi mis en place des outils plus performants en matière d'évaluation et de suivi de nos élèves, avec le déploiement des évaluations à différents stades de la scolarité.

Et nous avons mené un travail sur l'ensemble des temps de l'enfant : temps scolaire, mais aussi temps périscolaire et temps de vacances, par exemple avec les vacances apprenantes.

Toutes ces actions ont été conduites, structurées et renforcées depuis 2017 et 2018.

Nous avons 1 093 réseaux, dont un tiers en REP+ et deux tiers en REP, soit autant de collèges et près de 6 500 écoles publiques. Ce maillage important implique des capacités à adapter les dispositifs à des cadres très différents : les 6 500 écoles publiques n'ont évidemment pas toutes le même contexte socioéconomique ou géographique.

Les proportions varient énormément d'une académie à l'autre. Le taux d'élèves en éducation prioritaire est de 7 % dans l'académie de Rennes, mais de 100 % en Guyane et à Mayotte.

L'éducation prioritaire n'a pas et ne peut pas avoir pour vocation de traiter l'ensemble de la difficulté socioéconomique. Son objectif est de répondre à la concentration de ces difficultés socioéconomiques et de lutter contre leurs effets sur la réussite des élèves. Nous devons traiter la concentration des difficultés dans certains quartiers, en majorité dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais aussi, de façon plus marginale, dans certaines zones rurales.

Mais l'éducation prioritaire ne peut pas couvrir l'ensemble de la difficulté socioéconomique, qui est évidemment en partie diffuse : même dans les écoles, collèges ou lycées « favorisés », il y a des familles plus défavorisées. Pour traiter 100 % des familles défavorisées, il faudrait donc que 100 % de l'éducation nationale soit en éducation prioritaire ! L'enjeu est donc de réussir à articuler les dimensions individuelle et territoriale.

Si l'éducation prioritaire ne peut pas traiter l'ensemble de la difficulté socioéconomique, elle ne peut pas non plus être la seule réponse pour traiter cette dernière. Nous déployons donc un ensemble de moyens, avec une logique d'adaptation. Pour cela, nous avons des dispositifs spécifiques : CLA, TER, cités éducatives, etc.

Notre logique d'allocation progressive des moyens est en partie heurtée par celle, binaire, de l'éducation prioritaire. Les modèles d'allocation sont déterminés à l'échelon national, et partagés avec les académies. Dans le premier degré, on intègre les revenus des familles dans l'équation. Dans le second degré, nous avons un ensemble d'indicateurs : IPS, taux de boursiers, indice d'éloignement, etc. L'idée est de partager ces outils et les données qui les sous-tendent avec les académies. Mais le ministère ne fixe pas depuis Paris de cadre d'utilisation de ce modèle par les académies. Nous l'utilisons en administration centrale pour répartir les moyens entre académies. Nous laissons ensuite la main aux autorités académiques, bien plus proches du terrain que nous.

Il y a aussi une modulation dans la mise en oeuvre des grands dispositifs d'égalité des chances, afin qu'ils bénéficient non seulement aux élèves de l'éducation prioritaire, mais qu'ils puissent également servir pour accompagner les élèves des territoires ruraux isolés ou les élèves issus de milieux défavorisés scolarisés dans des collèges intermédiaires ou plus favorisés.

Je souhaite évoquer l'amélioration des taux d'encadrement. Dans le premier degré, ceux-ci ont concerné non seulement l'éducation prioritaire et les trois niveaux dédoublés, mais aussi les autres niveaux et les zones hors éducation prioritaire.

L'une de nos orientations est d'inscrire la politique de l'éducation prioritaire dans le cadre plus global des politiques d'égalité des chances et de mixité sociale. Nous essayons donc de traiter tout le parcours de l'élève, de l'école maternelle jusqu'au lycée, et d'agir sur les différentes dimensions où doit s'appliquer l'égalité des chances, c'est-à-dire agir sur tous les âges et sur tous les temps.

Je pense par exemple à l'accueil de huit heures à dix-huit heures et aux vacances apprenantes, qui visent à essayer de limiter l'effet de perte d'apprentissage ; les études montrent qu'il est plus fort chez les élèves issus de familles socialement défavorisées pendant les grandes vacances.

Nous jouons sur les conditions d'apprentissage dans la classe. C'est là que l'on retrouve l'éducation prioritaire, avec le dédoublement des classes, le dispositif Devoirs faits, qui s'applique sur l'ensemble du territoire, les internats d'excellence, destinés à offrir un cadre plus propice à l'étude à des élèves n'ayant pas forcément chez eux les meilleures conditions, et l'allocation progressive des moyens.

Nous jouons aussi sur les conditions d'apprentissage en dehors de la classe, avec par exemple les petits déjeuners gratuits qui bénéficient à près de 240 000 élèves, l'objectif étant de les mettre dans les meilleures conditions d'apprentissage possibles.

Les aides à la scolarité ont connu une évolution structurante à la rentrée 2024, grâce à l'automatisation de l'examen du droit à bourse, qui est une démarche à la fois de simplification pour les familles et de lutte contre le non-recours au droit.

Il convient de faciliter l'orientation des élèves, car nous savons que les facteurs socio-économiques jouent encore trop lourdement quand les élèves doivent déterminer leurs ambitions, tout simplement parce qu'ils n'ont pas forcément accès à l'information et que leurs réseaux familiaux ne leur permettent pas d'avoir suffisamment d'ouverture sur la diversité des métiers. Tel est l'objet des cordées de la réussite que nous souhaitons développer non seulement dans l'éducation prioritaire, mais aussi de façon plus diffuse, pour récupérer, si vous me permettez l'expression, les élèves qui pourraient être en difficulté dans des établissements intermédiaires.

Enfin, dans une logique transversale, la mixité sociale reste incontestablement un enjeu majeur. Toutefois, le ministère ne peut pas travailler seul sur cette priorité, compte tenu des compétences des collectivités territoriales en matière de sectorisation pour les collèges et les lycées. Il s'agit donc d'un travail de longue haleine nécessitant des échanges, de la conviction et une explicitation auprès des familles.

La Cour des comptes a également relevé - et le ministère partage ce constat - que, au-delà de la mise en cohérence, l'enjeu était celui de la possibilité d'un travail partenarial associant l'ensemble des services de l'État. Il est incontestable que nous devons encore progresser pour développer une approche interministérielle sur certains sujets et, j'y insiste, le travail partenarial avec les collectivités territoriales est essentiel.

D'ailleurs, nous souscrivons à l'analyse de la Cour des comptes sur les cités éducatives : même si les résultats peuvent être relativement hétérogènes, certaines d'entre elles montrent toute la réussite que permet ce travail partenarial. Nous considérons, nous aussi, qu'il faut progresser en la matière et que cela dépend très souvent de la capacité des acteurs à s'entendre sur le terrain. C'est un critère qui peut paraître trivial, mais qui compte énormément. Il faut que nous arrivions à mieux structurer et mieux organiser ces partenariats.

M. Patrick Haddad, maire de Sarcelles et vice-président de l'association des maires Ville & Banlieue de France (AMVBF). - Lorsque la politique de l'éducation prioritaire a été conçue, en 1981, il y avait sans doute une forme de naïveté qui consistait à croire que, en ciblant des moyens temporairement, on pourrait résoudre des problèmes qui étaient en réalité structurels. En effet, la concentration des difficultés dans les mêmes quartiers n'a fait qu'augmenter, de sorte que les moyens n'étaient jamais suffisants.

De plus, quand on calibre des dispositifs, il est toujours difficile de les évaluer ensuite parce que les populations qu'ils visent sont changeantes. Dans une ville comme Sarcelles, un quart de la population actuelle n'était pas là il y a cinq ans. Compte tenu de la vitesse des changements, il n'est pas simple de mesurer l'efficacité des dispositifs mis en place, même en utilisant une méthode de cohorte.

Il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain, car les dispositifs dont nous parlons sont largement plébiscités. Certes, ils peuvent être retravaillés, mais supprimer des moyens ne serait pas la solution, alors que les problèmes sont en augmentation. En effet, dans la plupart des communes, les résultats scolaires dans les QPV, qui correspondent assez bien à la carte de l'éducation prioritaire, sont globalement en baisse, malgré le travail effectué sur la rénovation urbaine, dont les résultats sont visibles. L'enjeu est moins d'éducation que de mixité sociale, dans la mesure où chaque famille qui part de la commune est remplacée par une autre, encore plus en difficulté. Cela a des répercussions en matière scolaire : les populations allophones sont de plus en plus nombreuses ainsi que les familles logées par le 115, de sorte que l'on compte parfois jusqu'à quatre élèves par classe qui sont issus de ces familles et qui nécessitent davantage d'attention. Forcément, les familles qui ont un peu de moyens préfèrent quitter ces quartiers. Même s'il est difficile de mesurer l'efficience des politiques publiques, il faut évidemment les renforcer et continuer de mieux les cibler.

Je souscris à l'analyse selon laquelle les effets de seuil sont visibles. Dans une même ville, les moyens attribués à un collège en REP et à un autre en REP+ peuvent être très différents. Ainsi, ma commune compte quatre collèges REP et deux collèges REP+. Même quand ils sont voisins et qu'ils sont confrontés aux mêmes difficultés, leur traitement diffère, ce qui est difficilement compréhensible. Il faudrait faire évoluer le dispositif pour le rendre plus progressif, en procédant établissement par établissement ou école par école, sans pour autant perdre la dynamique de territoire. En effet, qu'il s'agisse des cités éducatives ou des projets éducatifs de territoire, les collectivités sont parvenues à créer un écosystème où les gens travaillent ensemble. Il faudrait donc éviter d'individualiser trop le dispositif jusqu'à perdre la logique globale sur le territoire.

Les communes qui bénéficient du dispositif des classes dédoublées, prévu dans le cadre de l'éducation prioritaire, en sont satisfaites. Les effets sont positifs tant sur le climat scolaire que sur le parcours des élèves. Ce dispositif a un coût, mais je ne sais pas ce que serait la situation s'il n'existait pas, compte tenu de l'accroissement de la pauvreté. Dans ma ville, les classes peuvent aller jusqu'à 15 élèves, plutôt que 12 élèves, et cette tolérance existe. Le retour est plutôt bon, car l'effet positif reste concret. Cela pourrait permettre de libérer un certain nombre de postes.

Je souscris à ce que vous avez dit sur les besoins spécifiques de la ruralité : ce pays a besoin de cohésion et il faut traiter cette problématique, notamment l'éloignement des lieux de culture qui caractérise le milieu rural beaucoup plus que le milieu urbain, même si les situations peuvent varier. Dans ma commune limitrophe du département de la Seine-Saint-Denis, il y a une médiathèque qui est un vrai atout pour les élèves. Toutefois, il ne faudrait pas que la prise en compte des problèmes de la ruralité se fasse au détriment de l'urbain, milieu qui est lui aussi confronté à des difficultés spécifiques. En effet, plus de 80 % de la population vit dans une aire urbaine, de sorte que les villes pauvres concentrent les problèmes. Le taux de pauvreté de la population est parfois très alarmant dans les villes, qui doivent continuer de bénéficier d'un effort soutenu, même s'il faut réfléchir à mieux l'organiser.

Notre pays souffre d'un problème de mixité sociale. L'école ne peut pas résoudre à elle toute seule le fait que certaines villes concentrent plus de 50 % de logements sociaux et les populations qui vont avec. Il faut donc développer une réflexion sur ce sujet, qui est intimement lié à celui de l'école. Tout ce qui détricote ou affaiblit la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU, amplifie de manière mécanique les problèmes en matière d'éducation. Pour lutter contre les difficultés concentrées dans certains quartiers, il faut utiliser les mécanismes qui, en favorisant une dynamique de population, permettent de diluer la pauvreté plutôt que de la concentrer.

L'attractivité du métier d'enseignant est une autre problématique sociétale liée à l'éducation. La baisse du pouvoir d'achat et l'affaiblissement du statut social des enseignants sont des facteurs importants. Le dispositif REP+ garantit une meilleure rémunération qui favorise la fidélisation des enseignants, d'où l'importance de le conserver, mais il ne devrait pas être une exception. Autrement dit, notre système éducatif, à l'instar de celui des autres pays européens, devrait rémunérer correctement ses enseignants. Sinon, malgré les primes prévues en REP et en REP+, ils risquent de manquer de motivation face à des élèves très en difficulté. La réflexion doit s'élargir au-delà de l'éducation prioritaire.

Enfin, si la baisse de la démographie n'est pas forcément une bonne nouvelle au niveau national, elle devrait permettre de dégager des moyens pour retravailler sur l'attractivité du métier d'enseignant, sur l'affectation des personnes, notamment des plus expérimentées, là où il y a les difficultés les plus importantes, et sur les méthodes d'enseignement qui ont le plus fait leur preuve. Il faut y réfléchir, en mettant l'accent sur les savoirs fondamentaux, comme les mathématiques et le français.

Il convient aussi de travailler à développer la dynamique des projets éducatifs de territoire. Nous avons constaté que, en liant le scolaire et le périscolaire, il était possible de mettre en place des initiatives qui fonctionnent bien, comme le club Coup de Pouce, où l'on apprend les maths et le français en petits groupes, à travers le jeu, le sport ou la culture. Nous avons lancé, avec la Fondation Vareille, un programme qui vise à apprendre le violon à 80 % des élèves de l'école publique, ce qui améliore leur capacité à se concentrer et leurs capacités d'apprentissage. Il ne faut pas fermer le débat sur les méthodes pédagogiques et le côté pluridisciplinaire que l'on peut développer à l'échelle d'un territoire, en particulier dans les quartiers qui en ont le plus besoin.

M. Bruno Belin, président. - La baisse de la démographie est une réalité incontestable, dont il faut mesurer l'impact.

Je représente un territoire rural par excellence, avec seulement 22 habitants au kilomètre carré. Les élèves dépendent des transports scolaires, ce qui rend l'accès au sport et à la culture impossible physiquement, en raison du regroupement pédagogique, de la géographie du territoire rural et de l'éloignement. Un enfant en milieu rural passe plus d'une heure dans les transports, le matin et le soir. C'est là ce qui crée l'injustice. Pour éviter cette discrimination, les cartes scolaires en cours de révision devraient prendre en compte les besoins des territoires ruraux, qui devraient être considérés comme territoires prioritaires. J'ai été témoin de ces situations et je connais la souffrance de ceux qui les vivent.

M. Pascal Savoldelli. - Je me pose toujours la question politique de savoir pourquoi l'État a refusé pendant dix ans de revoir la carte de l'éducation prioritaire. Si on nous l'expliquait, cela éviterait d'envisager les réponses les plus folles.

On ne peut pas juger l'école comme une institution imperméable à un environnement qui s'est dégradé. Je l'ai vérifié dans mon département du Val-de-Marne. Le fait de ne pas avoir changé la carte scolaire pendant dix ans a participé à l'évitement vers le privé. Or quand des parents issus de milieux très modestes décident librement de mettre leurs enfants dans le privé, cela a des conséquences sur l'établissement et sur les équipes pédagogiques.

Il faut creuser la question de la carte scolaire en déterminant quelles sont les fragilités sociales. En effet, notre société n'est pas la même qu'il y a trente ou quarante ans et, en plus des inégalités sociales qui se sont creusées, il y a désormais des fragilités sociales. Elles se manifestent par exemple dans la manière dont l'enfant se sent considéré ou perçoit son environnement familial. Or l'accompagnement médical a presque disparu des écoles. Une psychologue m'a encore récemment dit que cela faisait dix ans qu'elle ne faisait plus de prévention à l'école ; désormais, elle suit des enfants. Il faudrait donc faire évoluer la situation en se fondant sur une documentation précise des fragilités sociales et territoriales.

La question des mobilités est pertinente, mais se pose aussi dans les départements. Dans le grand département du Val-de-Marne, qui représente 1,4 million d'habitants, ce n'est pas la même chose d'habiter à Ivry-Charenton ou à Villeneuve-Saint-Georges. Les réalités sont différentes selon les communes. Il ne faut pas se voiler la face.

On constate un empilement des dispositifs qui donne lieu à des effets de seuil incompréhensibles pour les maires, pour les équipes pédagogiques et pour les parents. Faut-il être rivé à la notion d'égalité ou à celle d'universalité de l'éducation publique ? Ce n'est pas tout à fait la même chose. Mieux vaut valoriser une progressivité des moyens et en finir avec la multiplicité des dispositifs qui, d'ailleurs, ne valorisent pas l'éducation publique.

Enfin, il faut mettre fin aux contrats précaires dans les établissements dits prioritaires. Je ne critique pas les personnes, mais à force de changer de postes, elles n'ont plus aucune mémoire pédagogique. Je fais partie d'une génération qui a rencontré des enseignants qui avaient une mémoire pédagogique et qui la transmettaient. Il y avait un patrimoine de l'enfant, de l'éducation, des savoirs et de l'acquisition des savoirs. Désormais, les personnes changent sans cesse de poste et il n'y a plus de mémoire ni d'expérience. Il n'y a qu'une gestion de la classe et du temps scolaire, sans créativité ni innovation.

M. Grégory Blanc. - J'avais mené, il y a quelques années, dans ma commune, une étude sur la rotation des populations : en huit ans, 40 % de la population avait changé. Cet élément est fondamental, car les études sur les politiques de la ville omettent souvent la mobilité des populations. Or, si nos quartiers prioritaires sont des « lessiveuses », autrement dit des lieux de passage pour accueillir des personnes qui rencontrent des difficultés temporaires, en réalité les dispositifs qui sont mis en place produisent des résultats pour une partie de la population, qui quitte ensuite ces quartiers. Il faut intégrer cela dans les analyses : les politiques de la ville ne sont pas un échec, mais elles ne changent pas structurellement la situation des quartiers concernés. Ce point est fondamental pour évaluer l'efficacité de l'argent public investi.

Votre constat sur l'accumulation des dispositifs, qui ont des périmètres et des pilotages différents, est tout à fait juste, puisque nous nous heurtons à un problème de lisibilité, donc de coordination et de pilotage. Mais lorsque vous dites qu'il faut renforcer le pilotage, vous n'allez pas jusqu'à employer les termes de « décentralisation » ou de « déconcentration » approfondie dans le fonctionnement de l'éducation nationale. Cela me semble tout à fait paradoxal. Des dispositifs différents peuvent fonctionner à l'échelle des communes pour les écoles, mais pas à celle du département pour le collège. Pourquoi donc n'allez-vous pas plus loin ?

Par ailleurs, je n'ai pas entendu, ni lu dans le rapport, le terme de « parentalité ». Dans les QPV des communes, les dispositifs associent les parents, comme le club Coup de Pouce qui fait entrer les parents à l'école. Ce n'est plus le cas au niveau du collège où le lien n'est pas fait entre ce qui se passe dans l'établissement et en dehors de celui-ci. Or dans les territoires de la politique de la ville, la présence des adultes est déficiente - Patrice Vergriete l'avait rappelé au moment des émeutes urbaines -, car le taux de familles monoparentales est plus important qu'ailleurs et les services publics sont moins développés qu'ailleurs. Il faudrait donc plus d'adultes. Mais, comme le disait mon collègue, ceux qui sont en poste dans l'enseignement ne font que passer sans pouvoir constituer une mémoire, de sorte que les problèmes sont encore plus aigus.

En l'occurrence, il faudrait plus d'adultes pour pouvoir travailler sur la notion de parentalité. Il y a moins de policiers, moins d'éducateurs et moins d'enseignants, si l'on rapporte leur nombre à la population. Il y a également moins d'emplois économiques. Pourquoi donc le terme de parentalité n'est-il pas employé ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Je voulais revenir sur la recommandation de mise à jour de la carte de l'éducation prioritaire. En tant qu'élu de la Seine-Saint-Denis, je citerai la commune de Dugny, qui détient le record de France du nombre de logements sociaux, avec 75 % de logements sociaux et 11 000 habitants. Entourée de communes souvent éligibles à l'éducation prioritaire, Dugny fait partie des zones prioritaires de la politique de la ville mais ne voit pas toutes ses écoles classées en REP ou REP+, alors qu'elle connaît des difficultés, même si elle a aussi des potentialités.

On y constate souvent des effets de bord : certains enseignants fidélisés dans la commune, qui connaissent le territoire, rassurent les familles et construisent un travail partenarial, ont parfois intérêt à quitter cette commune, même s'ils y habitent, pour partir dans les communes voisines où les conditions notamment salariales sont différentes, du fait de l'éducation prioritaire, les enseignants de l'éducation prioritaire bénéficiant d'une prime.

La ville de Dugny demande depuis des années qu'on examine ce sujet. M. Attal avait promis de le faire, et je profite de la présence de M. le recteur pour l'inviter à se pencher sur la question. Je lui transmettrai des éléments sur le cas spécifique de Dugny.

M. Patrick Haddad. - Je ne peux que souscrire à vos propos sur la nécessité d'élargir le spectre de nos travaux et sur le fait que l'éducation prioritaire ne peut pas résoudre tous les désordres de la société, notamment la concentration de la pauvreté.

Un accompagnement plus global de l'élève et des familles est également nécessaire, en tenant compte de la variable de la monoparentalité et d'un accompagnement à la parentalité. C'est pourquoi il est important de développer des projets éducatifs de territoire.

Il faut travailler plus efficacement avec les établissements pour éviter les effets de seuil, en affectant les moyens en fonction des réalités de chaque établissement. Il faut également renforcer les logiques collectives au sein des territoires et tenir compte du niveau de moyens en fonction du niveau des besoins, qu'ils soient liés à la pauvreté ou à l'éloignement, comme c'est le cas en milieu rural.

Puisque le débat a vocation à s'élargir, il est important d'intégrer deux éléments de contexte fondamentaux : la nécessité de revaloriser le métier d'enseignant et la nécessité d'une plus grande mixité dans nos villes.

M. Christophe Géhin. - La baisse démographique a commencé depuis une dizaine d'années dans le premier degré et devrait se poursuivre avec une baisse de 80 000 élèves attendue dans le secteur public, à la rentrée 2025. Il est difficile d'envisager les conséquences de cette baisse démographique dans la mesure où nous ne savons pas ce que seront les projets de loi de finances pour les années à venir. Ce qui est certain, c'est que cela représentera 470 postes en moins, c'est-à-dire une reprise ou une suppression de postes qui est sans commune mesure avec ce qu'aurait permis théoriquement la démographie fortement orientée à la baisse. Le ministère s'attache dans les discussions budgétaires à ce que la baisse démographique ne soit jamais intégralement reportée sur les moyens dont nous disposons en emplois et sur les territoires ruraux.

La première réponse de l'éducation nationale, c'est le réseau de 43 000 écoles maternelles et élémentaires, sans équivalent en Europe, car pour arriver à ce chiffre, il faudrait cumuler les écoles d'Allemagne, d'Italie et d'Espagne. C'est un effort justifié de la Nation.

M. Olivier Paccaud. - C'est un héritage.

M. Bruno Belin. - Cela ne répond pas à la question de la souffrance de la ruralité.

M. Christophe Géhin. - Ce réseau de 43 000 écoles est une première réponse, puisqu'un tiers d'entre elles compte entre une et trois classes, et qu'il s'agit majoritairement d'écoles situées dans les zones rurales.

La deuxième réponse, plus ciblée sur la ruralité, est de renforcer le volet concertation. C'est notamment l'objet des observatoires des dynamiques rurales que la ministre d'État a appelé chaque directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) à mettre en place dans son département, pour partager les perspectives démographiques et les possibilités d'évolution du réseau.

Les enjeux sont aussi pédagogiques. Quand on parle avec les recteurs et les Dasen, il ressort qu'il est très difficile d'animer pédagogiquement, par exemple, un collège de 60 ou 70 élèves. Or il en existe un certain nombre. Il faudrait donc s'interroger sur le service que nous rendons aux élèves en les accueillant dans ce type de collège.

Dans l'ensemble des dispositifs que je vous ai présentés, il y a toujours une attention sociale spécifique portée à la ruralité. C'est le cas pour les internats d'excellence, avec notamment les internats d'excellence ruraux qui ont été déployés sur l'initiative de la ministre d'État. Cette attention existe aussi à travers le dispositif des cordées de la réussite qui peuvent servir à lutter contre le manque d'ambition de nos jeunes en milieu rural.

L'absence de révision de la carte de l'éducation prioritaire est sans doute un élément essentiel. Je ne peux qu'insister sur la très forte sensibilité du sujet et sur sa dimension éminemment politique vis-à-vis des personnels, des organisations syndicales, des familles et des élus. Jusqu'à présent, nos autorités successives n'ont pas considéré que la fenêtre de tir était la bonne pour revoir la carte de l'éducation prioritaire. Cependant, nous souscrivons aux conclusions de la Cour des comptes sur cette carte qui est en partie décalée par rapport aux réalités des quartiers.

Sur l'empilement de dispositifs, j'ai montré que nous nous efforcions de faire système sur un ensemble d'actions à mener pour répondre à des problèmes particuliers. Il est donc difficile de fondre tout ce panorama dans un seul dispositif. En revanche - et nous rejoignons la position de la Cour sur ce point -, l'enjeu est l'articulation entre l'éducation prioritaire, les territoires éducatifs ruraux, les contrats locaux d'accompagnement et les cités éducatives.

M. Bruno Belin, président. - Si les collèges de 60 ou 70 élèves sont maintenus, c'est par le fait des conseils départementaux, pas de l'éducation nationale. J'ai présidé un conseil départemental et lorsque l'on m'a conseillé de fermer un collège, je m'y suis opposé. Ces collèges, qui comptent une centaine d'élèves, sont essentiels pour les territoires ruraux. Ils existent grâce aux différents conseillers départementaux, quels que soient leurs engagements politiques.

M. Jean-François Chanet. - Pour faire écho à vos propos, peut-être avez-vous en mémoire le beau film de Nicolas Philibert intitulé Être et avoir, qui a connu un succès considérable, qualifié par sa productrice de « plus grand succès d'un documentaire non animalier ». Ce film commençait par la scène des enfants filmés dans un car au milieu d'un paysage d'hiver, allant rejoindre leur école. J'ajoute ce détail du paysage d'hiver car ceux qui, comme moi, ont exercé dans un territoire montagneux et enneigé, verglacé l'hiver, savent que le transport scolaire est dangereux.

Vous avez raison de dire que le tissu scolaire français est un héritage. Il est l'héritage d'une France qui était et qui est restée longtemps très majoritairement rurale. Il est l'héritage du temps où Ferdinand Buisson voulait qu'il y ait des écoles de hameau pour qu'il n'y ait aucun petit paria qui n'ait pas accès à l'école, à une époque où les enfants faisaient parfois plusieurs kilomètres à pied jusqu'au bourg pour aller rejoindre l'école.

L'optimum dans la couverture territoriale a été atteint dans l'entre-deux-guerres. Puis, les raisons que nous connaissons - la saignée démographique et les classes creuses de la guerre et de l'après-guerre - ont conduit à une extraordinaire accélération de l'urbanisation, comme l'a rappelé M. Haddad. L'héritage du XIXe siècle a été la couverture du territoire et celui du siècle dernier, ou des 90 dernières années, a été cette extraordinaire accélération de l'urbanisation. Beaucoup des problèmes que nous traitons aujourd'hui résultent de ces phénomènes et de cette concentration de la difficulté, apparente et visible, dans des territoires urbains, ce qui ne doit pas nous faire oublier les problèmes d'éloignement et de mobilité.

S'y ajoute l'enjeu de l'attractivité des postes. Je reste attaché à la formule de l'un des vôtres, le sénateur Alain Duran, qui avait été chargé d'une mission sur l'école rurale. Il disait : « Ce qui m'importe, c'est d'avoir une bonne école pour les enfants de ma commune, pas nécessairement dans ma commune ».

Cet enjeu doit être traité avec les maires ruraux, en s'inspirant du modèle que j'ai observé en Haute-Saône dans lequel des pôles éducatifs avaient été constitués autour des collèges, à des distances raisonnables des communes rurales, ce qui permettait d'avoir l'assentiment des élus.

Je suis également sensible à l'enjeu des inégalités et des fragilités. En particulier, prendre soin des enfants ne relève certes pas des missions traditionnelles de l'école, mais cette tâche s'est de fait ajoutée à son périmètre : donner un petit déjeuner s'inscrit dans ce cadre et alourdit sa charge.

Concernant la parentalité, la frontière entre le premier et le second degré reste très marquée, les familles étant moins présentes dès le collège, et encore davantage ensuite. De réels efforts sont entrepris dans ce domaine, par exemple avec le dispositif « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants » : au sein de l'académie de Créteil, ce dernier représente 163 ateliers, dont 121 ateliers sont situés dans les zones d'éducation prioritaire, avec un budget de 620 000 euros par an. Il est cependant exact que les bénéficiaires sont mobiles et que nous avons à faire face à cette instabilité.

L'instabilité des personnels est un autre enjeu, même si je tiens à nuancer la dichotomie entre des titulaires qui seraient stables et des contractuels qui seraient précaires et itinérants. Si nos problèmes de remplacement sont particulièrement aigus, je pense qu'il faut changer le regard que nous portons sur ceux qui nous rejoignent à la suite d'une réorientation professionnelle : il s'agit souvent de personnes de qualité, qui peuvent être de bons enseignants.

L'accumulation des dispositifs, quant à elle, est un révélateur de cette césure entre le premier et le second degré, et nous pose des problèmes de pilotage : les liens entre le niveau académique et le niveau départemental ne s'établissent pas si naturellement, les départements considérant le premier degré comme leur domaine réservé.

M. Nacer Meddah. - Les différentes interventions des sénateurs nous confortent dans le travail d'analyse que nous avons conduit. Vous avez pointé à juste titre, monsieur le président, les évolutions démographiques et les changements qui doivent en découler au niveau de l'éducation nationale afin de veiller à l'équité dans la répartition des moyens et dans la répartition territoriale.

L'éducation prioritaire avait vocation à être un dispositif transitoire permettant de corriger les inégalités, mais force est de constater, malheureusement, que celles-ci n'ont pas été résorbées et qu'elles se sont au contraire amplifiées, en dépit d'une multiplication des moyens par deux et demi.

De surcroît, l'éducation prioritaire devait faire l'objet d'évaluations et de révisions régulières, afin de tenir compte des changements à l'oeuvre dans les territoires. Tel n'a pas été le cas, ce que nous dénonçons : il y a urgence à conduire ce travail d'évaluation.

Par ailleurs, la ruralité soulève des enjeux spécifiques. Même si les jeunes ruraux ne se destinent pas aux mêmes études que les jeunes urbains et accèdent dans une moindre mesure à l'enseignement supérieur, ils réussissent mieux, ce qui doit nous inciter à poursuivre la réflexion sur l'équilibre territorial.

Pour ce qui est de la place de la famille, nous rappelons qu'elle est un acteur absolument indispensable. L'une de nos principales orientations consiste à affirmer qu'une approche plus globale s'impose, la politique de l'éducation prioritaire n'étant que l'une des composantes de la politique de l'éducation nationale - et plus largement de la politique visant à assurer l'égalité des chances. Un travail de coordination de l'ensemble des acteurs est donc nécessaire, à commencer par un travail de proximité avec les familles et avec le personnel éducatif.

Par ailleurs, les problématiques de rotation dans les logements sociaux posent des difficultés en termes d'allocation des moyens entre les établissements scolaires, la situation de chaque réseau évoluant rapidement, d'où l'importance de la seconde orientation du rapport, qui est selon moi déterminante. Nous devrions introduire de la progressivité dans l'allocation des moyens aux établissements scolaires de l'éducation prioritaire et garantir davantage l'équité, car nous souffrons aujourd'hui d'une forme de sédimentation et de rigidification dans la carte de l'éducation prioritaire, au détriment de certains établissements. Si ce phénomène comporte quelques aspects positifs en termes de fidélisation des équipes, d'autres écoles et collèges ne sont pas nécessairement dotés à hauteur de leurs besoins.

Afin de procéder à cet ajustement permanent, il faut - j'y insiste - se doter d'une culture d'évaluation : les dispositifs d'éducation prioritaire sont en place depuis un demi-siècle et ont été réformés en profondeur en 2015, mais n'ont toujours pas fait l'objet d'une évaluation !

J'espère que notre travail vous aidera à argumenter sur le fait qu'il conviendra d'agir sur plusieurs politiques publiques en même temps et qu'il faudra peut-être faire des choix plus ambitieux et volontaristes.

M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial. - Pascal Savoldelli s'est interrogé sur les causes de l'absence de révision de la carte scolaire et je questionnerai la ministre à ce sujet.

Plus globalement, s'il ne faut pas opposer la ville à la campagne, la carte de 2015 a elle-même alimenté cette fracture en faisant sortir 190 territoires situés en milieu rural de l'éducation prioritaire pour y faire entrer 200 territoires situés en milieu urbain : cela montre à quel point la révision des critères s'impose, peut-être en introduisant un critère d'éloignement.

Pour ce qui est des enjeux de décentralisation et de souplesse, des moyens sont à la disposition des académies et des collectivités, dont la re-sectorisation. Pour prendre un exemple, dans mon département, une zone est dépourvue de lycée et les élèves mettent plus de deux heures pour se rendre dans leur établissement. Nous allons, dans le cadre d'un partenariat entre le conseil départemental, le rectorat et le conseil régional, transformer un collège proche qui a vu ses effectifs baisser en collège-lycée. Certes, le ministère a été sollicité, mais ce sont bien les acteurs locaux qui se sont mobilisés pour créer un outil territorialement adapté.

En conclusion, la base de la refonte de la politique de l'éducation prioritaire réside dans la progressivité de l'allocation des moyens, afin qu'elle bénéficie au plus grand nombre d'élèves possible.

M. Bruno Belin, président. - Je remercie les intervenants.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Olivier Paccaud. Elle adopte également les recommandations du rapporteur spécial qui figureront dans le rapport d'information.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 15.

Mercredi 7 mai 2025

- Présidence de M. Thierry Cozic, vice-président de la commission des finances, et M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Communication de la Cour des comptes au Premier ministre intitulée « Impacts du système de retraite sur la compétitivité et l'emploi » - Audition de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - La commission des affaires sociales et la commission des finances reçoivent ensemble ce matin le Premier président de la Cour des comptes, M. Pierre Moscovici, afin qu'il nous présente la seconde communication publiée par la Cour en réponse à sa saisine par le Premier ministre le 20 janvier dernier.

Pour mémoire, le Premier ministre attendait de la Cour qu'elle dresse un « constat objectif de la situation de notre système de retraites et de ses perspectives à court, moyen et long termes ». Ce constat devait servir de base aux discussions entre les partenaires sociaux, qui se réunissent depuis le 20 février et jusqu'au mois de juin à un rythme hebdomadaire afin de faire des propositions visant à rétablir l'équilibre financier de notre système de retraite en 2030.

La première communication, remise au Premier ministre le 19 février, était relative à la situation financière et aux perspectives du système de retraite. La commission des affaires sociales vous a entendu sur ce sujet, monsieur le Premier président, le 5 mars dernier.

Cette nouvelle communication, complémentaire, a pour objet les répercussions du système de retraite sur la compétitivité et l'emploi.

Comme de coutume, vous serez interrogé, à l'issue de votre intervention, par les membres de nos deux commissions, en commençant par les rapporteurs généraux, la rapporteure de la branche vieillesse de la commission des affaires sociales et la rapporteure spéciale de la commission des finances.

M. Thierry Cozic, vice-président de la commission des finances. - Le premier rapport remis par la Cour faisait le constat que la montée en charge de la réforme de 2023 devrait permettre une stabilisation du déficit du système de retraite autour de 6,6 milliards d'euros jusqu'en 2030, avant une dégradation jusqu'à 30 milliards d'euros en 2045.

Le second rapport, qui nous est présenté aujourd'hui, analyse les effets des paramètres actuels du système de retraite sur la compétitivité de l'économie française, ainsi que sur l'emploi. Cette analyse doit permettre une réflexion sur les mesures qui seront les plus favorables pour atteindre l'équilibre financier du système, tout en préservant l'emploi, l'activité économique et la cohésion sociale en France.

Nous sommes donc attentifs aux problématiques que vous pourrez soulever, monsieur le Premier président, tant sur la question des recettes du système que du temps passé en emploi, ou encore sur l'évolution du montant des pensions de retraite.

Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et qu'elle est diffusée en direct sur le site internet du Sénat ; elle sera aussi consultable en vidéo à la demande.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Je vous remercie de m'accueillir devant vos deux commissions pour que je vous présente le rapport de la Cour relatif aux impacts du système de retraite sur l'emploi et la compétitivité. Vous l'avez rappelé, j'ai remis ce rapport le 10 avril au Premier ministre ainsi qu'aux partenaires sociaux, réunis dans ce qu'on appelle le conclave - un terme de circonstance aujourd'hui !

Lors de sa déclaration de politique générale, le 14 janvier dernier, le Premier ministre a annoncé qu'il souhaitait « remettre [l]e sujet [des retraites] en chantier avec les partenaires sociaux pour un temps bref et dans des conditions transparentes », en s'appuyant « sur un constat et des chiffres indiscutables ».

Il a saisi la Cour des comptes pour réaliser une mission en deux temps.

Le premier temps fut consacré au constat objectif de la situation financière du système de retraite et de ses perspectives à court, moyen et long termes, un travail que nous avons mené en un mois et demi.

Le second temps a consisté à examiner les impacts du système de retraite sur la compétitivité et l'emploi. Nous avons conservé la même méthode que pour notre premier rapport : une formation ad hoc, qui regroupe plusieurs chambres de la Cour des comptes et dont j'ai moi-même présidé la collégialité.

Je souhaiterais remercier publiquement devant vous les membres de l'équipe : les présidents de la première, cinquième et sixième chambre - Carine Camby, qui est présente, Sophie Thibault et Bernard Lejeune -, le rapporteur général, Jérôme Brouillet, qui est également présent, les rapporteurs et la contre-rapporteure, Mathilde Lignot-Leloup.

Notre rapport s'inscrit dans un contexte de négociations qui a, j'en suis bien conscient, évolué depuis la première réunion des partenaires sociaux. Vous savez que les participants autour de la table ne sont plus exactement les mêmes : un certain nombre d'entre eux ont quitté d'eux-mêmes les discussions et d'autres ont vu leur présence refusée.

En tant que Premier président de la Cour des comptes, je n'ai pas à m'exprimer sur l'évolution des négociations en cours, sinon pour dire que j'espère sincèrement qu'elles aboutiront à un accord. Car, s'il y a un message à retenir de nos rapports, c'est que le statu quo en matière de financement du système de retraite est impossible, ou du moins qu'il est insuffisant pour préserver un système soutenable à moyen et long termes. Vous devez tous en être conscients, même s'il peut naturellement exister un désaccord démocratique sur les solutions à mettre en oeuvre.

Quelle que soit l'issue des discussions en cours, je suis persuadé que nos deux rapports sur les retraites, celui de février et celui que je m'apprête à vous présenter, seront utiles. Je sais qu'ils servent déjà de base aux négociations actuelles, mais j'espère qu'ils serviront également aux négociations futures entre partenaires sociaux et dans les discussions législatives qui suivront.

En effet, pour rester soutenable, notre système de retraite nécessitera des adaptations au cours des prochaines années. Je ne crois pas à la réforme magique, faite une fois pour toutes, qui clôturerait le dossier. Nous irons plutôt vers une série d'adaptations au fil du temps, qui peuvent être soit envisagées d'emblée ensemble, soit pensées au fur et à mesure.

Avant d'entrer dans le constat et les conclusions de la Cour, je reviens sur le périmètre de ce second rapport et sur la méthode employée. Notre rapport documente les répercussions économiques des principaux paramètres du système de retraite sur la compétitivité de notre économie et sur l'emploi, en prêtant une attention particulière à l'emploi des seniors.

Nous avons choisi d'examiner les trois paramètres qui ont un effet direct sur l'équilibre de notre système de retraite : le taux de cotisation, l'âge effectif de départ à la retraite - un mélange, si j'ose dire, entre l'âge légal et la durée d'assurance requise - et, enfin, l'indexation des pensions. Il existe bien sûr d'autres paramètres que nous n'avons pas évoqués dans le rapport, car ils ne relevaient pas de notre lettre de mission.

La notion de compétitivité elle-même ne va pas de soi. L'Insee, qui est une bonne référence, définit la compétitivité d'une économie comme sa capacité à gagner ou non des parts de marché sur ses concurrents. La Commission européenne propose, quant à elle, une définition plus large de ce qu'elle appelle la « compétitivité durable », qui intègre les enjeux d'équité. Nous avons prêté dans ce rapport une attention toute particulière à cette notion d'équité parce qu'elle est au coeur de l'évolution du système de retraite, qu'il s'agisse d'équité intergénérationnelle ou intragénérationnelle. La raison en est simple : les paramètres du système de retraite ont des effets très différenciés selon les catégories de populations concernées. Il faut se garder d'une approche trop mécaniste, et faire parfois preuve de flexibilité pour s'adapter à des situations particulières.

Compte tenu de ce champ d'investigation, le rapport présente certaines spécificités.

D'abord, nous avons adopté une démarche comparative au niveau européen. Je sais que nous aimons revendiquer que nous sommes français et que nous sommes très particuliers. Néanmoins, si notre système de retraite présente des spécificités, les comparaisons avec d'autres pays sont à la fois possibles et nécessaires. La Cour a choisi de concentrer son analyse sur trois principaux partenaires économiques européens qui ont des modèles sociaux et de retraite, tous par répartition, assez proches du modèle français. Il s'agit de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne. Notons que les quatre pays ainsi comparés représentent 70 % du PIB de la zone euro.

Ensuite, nous n'avons pas produit nous-mêmes l'ensemble des chiffres, des modèles et des projections qui sont au fondement de nos analyses. Nous nous sommes appuyés sur les modèles économiques disponibles, les données des administrations et, surtout, sur l'abondante littérature économique qui existe sur les économies française, allemande, italienne et espagnole. Je remercie les économistes qui ont répondu à nos sollicitations, mais aussi les administrations qui nous ont appuyé dans cette mission, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), la direction générale du Trésor, la direction de la sécurité sociale et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

De notre travail, nous avons tiré des constats desquels découlent quatre messages.

Premier message : le financement des retraites a des effets ambivalents sur notre niveau de compétitivité. Nous faisons le constat, dans ce rapport mais aussi dans de nombreux autres travaux récents de la Cour, que la compétitivité française s'est structurellement dégradée depuis le début des années 2000. L'évolution de la balance des biens et des services, tout comme les performances relatives d'un pays à l'exportation, permettent d'apprécier l'évolution de la compétitivité. Or ces deux indicateurs sont très dégradés pour l'économie française. Depuis 2006, la France a constamment enregistré un déficit de la balance des biens et des services jusqu'à atteindre 21,5 milliards d'euros en 2024, soit 0,7 point de PIB. Par comparaison, l'Allemagne, mais aussi l'Espagne et l'Italie, ont enregistré des excédents importants en 2024, et il en est de même pour la zone euro dans son ensemble, dont l'excédent s'élève à 4,5 points de PIB.

Ce recul de la compétitivité est une anomalie française durable, qui s'explique par un déficit persistant et croissant des échanges de biens, notamment industriels. C'est la conséquence directe de la désindustrialisation longue à l'oeuvre dans notre pays. En 2023, la part de l'emploi industriel a cessé de reculer - disons que l'hémorragie a été, peut-être provisoirement, stoppée. Cette part a été stabilisée à 10 % de l'emploi total en France, contre 17 % en Italie, un pays bien plus industrialisé que la France, et 18 % en Allemagne.

Cette dégradation s'inscrit aussi dans un contexte de décrochage de la compétitivité de l'Union européenne par rapport aux États-Unis et à la Chine. La croissance dans l'Union a ralenti, du fait d'une baisse de la productivité, et elle a été plus lente que celle des États-Unis de façon persistante. En conséquence, l'écart de PIB entre les États-Unis et l'Union européenne va en s'accroissant : il est passé de 15 % du PIB en 2000 à 30 % en 2023 à prix constants. Environ 70 % de cet écart s'explique par une productivité plus faible dans l'Union européenne. Ce décrochage a été parfaitement mis en évidence par le rapport remis à la Commission européenne en septembre 2024 par Mario Draghi.

Pour résumer, la compétitivité française se dégrade au sein d'une Union européenne qui, elle-même, a tendance à décrocher par rapport à ses principaux concurrents. Notre pays est donc confronté à un important problème de compétitivité, comme l'a documenté la Cour des comptes au travers de divers rapports.

Dans ce contexte, quels sont les liens entre les paramètres du système de retraite et la compétitivité ? Il faut distinguer la compétitivité-coût, qui mesure l'évolution des coûts de production, en particulier des coûts salariaux, et la compétitivité hors coût, qui est, comme son nom l'indique, associée à d'autres dimensions, comme les gammes de produits, l'innovation ou encore les compétences de la main d'oeuvre.

Le financement des retraites, via les cotisations sociales, explique une partie des coûts unitaires, donc de la compétitivité-coût de l'économie française. En France, le système de retraite est financé aux deux tiers par des cotisations sociales sur la masse salariale, qui ont donc un impact sur le coût du travail. Ces cotisations représentent environ 9,5 points de PIB en France et en Espagne, un niveau supérieur à celui de l'Allemagne, avec un écart de quelque cinq points.

Cependant, la compétitivité-coût n'est pas le principal sujet en France aujourd'hui. Elle s'est relativement améliorée, d'abord avec les allégements généraux de charges, puis avec la politique de baisse du coût du travail mise en oeuvre en France, certes avec des nuances, mais continûment depuis 2013. Ces politiques ont permis de résorber, et même d'inverser, les écarts d'évolution des coûts salariaux par rapport à nos principaux partenaires européens. Entre 2000 et 2024, l'évolution des coûts salariés unitaires a été plus modérée en France qu'en Allemagne et dans les principales économies de la zone euro. C'est particulièrement le cas dans le bas de l'éventail des rémunérations. Pour résumer, nous n'avons plus de problème massif de compétitivité-coût, même s'il peut y avoir des difficultés de répartition des coûts entre le haut et le bas de l'échelle des salaires.

La faiblesse de la compétitivité hors coût est plus préoccupante. Nous l'avons souligné dans le rapport 10 ans de politiques publiques en faveur de l'industrie : des résultats encore fragiles, que nous avons rendu à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale en novembre dernier. Les exportations françaises n'ont pas connu de montée en gamme depuis vingt-cinq ans. Les dernières enquêtes Pisa (programme international pour le suivi des acquis des élèves) témoignent non seulement d'un décrochage de nos écoles, mais aussi d'un décrochage scientifique. Nous ne sommes plus qu'à la dixième place mondiale en termes de publications scientifiques.

En France, la structure des cotisations sociales consacrées au financement des retraites est assez atypique, ce qui pourrait avoir un impact sur la compétitivité hors coût. En effet, les cotisations sociales se caractérisent dans notre pays par d'importants allégements de cotisations au niveau du Smic et des plus bas salaires. Symétriquement, sur les niveaux de salaire les plus élevés, les cotisations sociales sont plus importantes que chez nos partenaires européens. Cela permet de préserver l'emploi peu qualifié en France, mais pourrait aussi peser sur la compétitivité hors coût et la productivité française. Je tiens néanmoins à souligner qu'il n'existe pas, à notre connaissance, d'études économiques sur le cas français qui permettraient de démontrer ce qui est pour le moment une simple hypothèse.

Pour conclure sur la compétitivité, je ferai un rappel en forme d'évidence : le financement du système de retraite est l'un des facteurs qui peuvent avoir un impact sur la compétitivité, mais il est loin d'être le seul. Les autres prélèvements, le coût de l'énergie, les taux de change ou, pour rester dans l'actualité, les droits de douane doivent évidemment être pris en compte lorsque l'on analyse notre compétitivité globale.

J'en arrive au deuxième message de notre rapport : les réformes des retraites ont entraîné une augmentation du taux d'emploi des plus de 55 ans en France, mais ce taux demeure encore un peu faible et il masque des inégalités.

La France, comme ses partenaires européens, est confrontée au vieillissement de sa population. Au sein de l'Union européenne, la population en âge de travailler a commencé à diminuer vers 2010, principalement en raison de la baisse du taux de natalité, non compensée, contrairement à ce que l'on dit parfois, par un solde migratoire positif. De ce fait, la proportion de la population âgée de plus de 65 ans a augmenté partout en Europe. Les projections démographiques à long terme indiquent une poursuite de ce déclin. En conséquence, le ratio de dépendance, c'est-à-dire la part de la population de plus de 65 ans comparée à la population de 20 à 64 ans, augmente pour tous les pays européens. En France, ce ratio passerait de 38 % en 2022 à 53 % en 2050.

Dans ce contexte, l'amélioration du taux d'emploi de la population active est essentielle. Or, en France, ce taux est structurellement faible. En 2023, le taux d'emploi des personnes âgées de 15 à 64 ans s'établissait à 68,4 %, en dessous de la moyenne de la zone euro. Il a progressé depuis 1995, mais exactement au même rythme que chez nos voisins : les écarts sont donc conservés.

Au niveau de la zone euro, seuls cinq pays, dont l'Espagne et l'Italie, ont des taux d'emploi plus faibles que la France. Le taux d'emploi des jeunes est faible en France, notamment en comparaison avec l'Allemagne. Ce n'était pas le sujet sur lequel nous devions travailler cette fois, mais nous l'avions examiné dans notre rapport public annuel. La cause principale de l'écart du taux d'emploi français par rapport à celui de nos partenaires, c'est la faiblesse du taux d'emploi des hommes de 55 ans et plus. Certes, la part de seniors hommes en emploi a beaucoup progressé dans notre pays au cours des trente dernières années, mais les autres pays européens ont connu des augmentations symétriques.

Nous avons donc analysé les effets d'une augmentation du taux d'emploi sur le financement du système de retraite, mais aussi, en miroir, l'impact des paramètres du système de retraite sur le taux d'emploi.

D'une part, les travaux de la direction générale du Trésor, à partir du modèle Mésange, modèle économétrique de simulation et d'analyse générale de l'économie, montrent qu'une augmentation du taux d'emploi améliorerait le financement du système de retraite, grâce à la hausse de la base de cotisations. Ainsi, il résulterait d'un alignement du taux d'emploi français sur le taux d'emploi allemand un gain net à long terme de 7 milliards d'euros pour le financement des retraites. C'est une somme importante, qui, cependant, ne suffirait pas à améliorer la situation, contrairement à ce que certains disent. En outre, ne perdons pas de vue qu'il s'agit de travaux assez théoriques.

D'autre part, les études économiques concluent que les réformes du système de retraite se sont accompagnées d'une amélioration du taux d'emploi - c'est un argument précieux, au vu des reproches idéologiques qui sont souvent adressés à la Cour. L'ensemble des pays européens, face à la dégradation des ratios de remplacement, ont réformé leurs systèmes de retraite au cours des trente dernières années, notamment en augmentant progressivement l'âge de départ. Au même moment, ces pays ont connu une augmentation du taux d'emploi des personnes âgées de plus de 55 ans.

Les études économiques montrent donc que ces deux phénomènes sont liés. Les mesures de recul de l'âge de la retraite à 63 ans, 65 ans ou 67 ans, décidées en Allemagne et en Italie, ont eu pour principal effet une hausse du taux d'emploi des seniors. En France, également, la réforme des retraites de 2010, qui a porté l'âge légal de départ de 60 à 62 ans, s'est traduite par une augmentation très nette de l'emploi des personnes âgées de 55 à 60 ans. Au cours de la décennie 2010, l'âge de départ effectif à la retraite a augmenté de 2,1 ans. En moyenne, le temps passé en emploi s'est allongé de 1 an et 7 mois.

C'est ce que l'on nomme « l'effet horizon » : plus que l'âge des individus, c'est la distance qui les sépare de l'âge légal de la retraite qui encourage les individus proches de la retraite à se former ou à rechercher un emploi et qui influence, également, le comportement des entreprises.

Cependant, l'impact de ce décalage de l'âge légal sur le taux d'emploi dépend de la situation des personnes avant le recul de l'âge de départ. Les études économiques montrent que la réforme de 2010 a surtout eu pour effet de prolonger la situation des personnes sur le marché du travail. Cependant, le recul de l'âge de départ peut aussi donner lieu à une augmentation du nombre de personnes qui ne sont ni en emploi ni à la retraite - c'est-à-dire celles qui sont au chômage, inaptes ou encore en arrêt maladie.

Il existe en effet des disparités importantes entre catégories socioprofessionnelles, entre femmes et hommes, et selon l'état de santé des seniors concernés. Le recul de l'âge moyen de départ à la retraite s'est ainsi traduit par un allongement de la durée en emploi pour seulement 66 % des ouvriers, mais pour plus de 85 % des professions intermédiaires et des cadres.

Concernant les disparités entre les femmes et les hommes, la réforme des retraites de 2010 a entraîné une augmentation de l'emploi après 60 ans pour les deux populations. Cependant, cette poursuite de l'emploi s'est davantage faite à temps partiel pour les femmes que pour les hommes. Par ailleurs, au-delà de 55 ans, les femmes sont plus souvent que les hommes sans emploi, sans être pour autant à la retraite. Quand on les interroge sur les raisons de cette situation, elles citent fréquemment des contraintes familiales ou personnelles. C'est la problématique du rôle d'aidant, majoritairement joué par les femmes, notamment à cet âge pivot où elles doivent s'occuper de leurs parents et petits-enfants.

Ainsi, l'évolution du taux d'emploi des seniors n'est pas un préalable aux réformes des retraites ; c'en est une conséquence. Les réformes de recul de l'âge de la retraite ont pour effet, en moyenne, d'augmenter le taux d'emploi des seniors. Cependant, des disparités importantes demeurent : la probabilité de se retrouver ni en emploi ni à la retraite est plus forte pour les travailleurs les moins qualifiés, pour les femmes et pour les personnes qui connaissent des difficultés de santé. Il faut donc les accompagner de manière spécifique, pour que les augmentations de l'âge de départ se traduisent par un allongement du temps en emploi, sans distinction ni discrimination.

Le troisième message de notre rapport est qu'il est nécessaire de prendre en compte l'équité dans les réflexions sur l'emploi des seniors et sur les paramètres de notre système de retraite.

Tout d'abord, nous devons préserver l'équité intragénérationnelle. En moyenne, en 2023, 1,6 million de personnes sur les 8,5 millions de personnes âgées de 55 à 64 ans, soit une personne sur cinq dans cette tranche d'âge, n'était ni en emploi ni à la retraite. La plupart subissent leur situation : c'est le cas des près de 300 000 chômeurs qui cherchent activement un emploi, mais n'en trouvent pas, ainsi que des personnes inactives pour une raison de santé ou de handicap.

Face à ces disparités, il est évident qu'il faut de nouvelles mesures de la part des entreprises et des pouvoirs publics, pour accompagner les seniors les plus vulnérables, mais aussi les aidants, qui sont le plus souvent des femmes. L'objectif est simple : il faut que le recul de l'âge moyen de départ à la retraite favorise le maintien en activité, ou le retour à l'emploi, de manière équitable, en tenant compte des difficultés concrètes auxquelles sont confrontés certains seniors.

En France, les pouvoirs publics privilégient le levier du dialogue social pour faire évoluer la perception des seniors dans le monde professionnel. C'est dans cet esprit que le récent accord national interprofessionnel (ANI) en faveur de l'emploi des seniors a été signé en novembre 2024.

Mais il faut également jouer sur d'autres leviers. La Cour l'avait noté dans son rapport sur les carrières longues en 2019 : les seniors touchés par le chômage éprouvent de grandes difficultés à retrouver un emploi, en raison de discriminations à l'embauche. De même, la Dares a montré que les personnes de plus de 50 ans ont moins de chances que les plus jeunes d'être retenues pour des formations, alors qu'elles se présentent plus souvent aux convocations.

L'équité intragénérationnelle implique également de tenir compte des écarts persistants d'espérance de vie entre catégories de populations. En France, l'écart d'espérance de vie à 65 ans entre les cadres et les ouvriers était de deux ans pour les femmes et de trois ans pour les hommes en 2020. Cet écart tend à se réduire, et il tient à de multiples facteurs qui dépassent les conditions de travail. Cependant, en 2018, les anciens ouvriers passaient en moyenne deux années de moins à la retraite que les anciens cadres, et ce malgré un âge de départ plus précoce.

Plus largement, pour pratiquement toutes les générations, l'âge moyen de départ des retraités dont la pension est la plus faible est plus élevé que celui des retraités dont la pension est la plus élevée - ce n'est pas logique. Le dispositif de départ anticipé pour carrière longue n'a pas changé cette situation : ses effets sont concentrés sur les personnes qui touchent une pension moyenne, du cinquième au huitième décile de pensions, tandis que les retraités dont les pensions sont les plus faibles, du premier au quatrième décile, n'ont représenté que 13 % des départs pour carrière longue.

L'équité intragénérationnelle n'est donc pas garantie.

Ensuite, le souci de préserver l'équité intergénérationnelle de notre système de retraite, c'est-à-dire entre les générations actuellement à la retraite et les générations futures, nous pousse à nous interroger sur la soutenabilité de notre système de retraite et sur la répartition des efforts entre actifs et retraités. Cet enjeu est de plus en plus prégnant dans toute l'Europe.

Aujourd'hui, la France consacre près de 14 points de son PIB aux dépenses publiques de retraite, soit 2,5 points de plus que la moyenne de la zone euro. Seule l'Italie a des dépenses publiques de retraite plus élevées que notre pays. Le surcroît de dépense publique de retraite en France par rapport à la moyenne de la zone euro est de 66 milliards d'euros en 2022, et il atteint 118 milliards par rapport à l'Allemagne. Il s'explique pour moitié par la différence de richesse nationale et pour moitié par des paramètres du système de retraite plus favorables.

L'évolution des rapports entre cotisants et retraités constitue un défi majeur pour le financement du système de retraite. Cette situation nous oblige à prêter une attention particulière à l'équité intergénérationnelle, notamment au niveau du pilotage des adaptations du système. Tous les pays européens, ou presque, sont confrontés aux mêmes problématiques. Certains ont adopté des réformes pour y faire face tout en garantissant l'équité du système. Par exemple, plusieurs pays se fixent pour objectif une stabilité du temps passé à la retraite au cours de la vie, pour veiller à la pérennité financière des systèmes de retraite et au partage équilibré des efforts entre les générations.

J'en viens au quatrième message de notre rapport. Il existe, ailleurs en Europe, des mécanismes qui permettent une adaptation progressive des paramètres des systèmes de retraite aux évolutions démographiques et économiques.

L'ajustement des paramètres du système de retraite repose sur trois principaux leviers : le niveau des cotisations sociales affectées aux retraites, le niveau moyen des pensions, qui dépend des règles d'indexation sur l'inflation, et l'âge effectif moyen de départ à la retraite, qui est défini par l'âge d'ouverture des droits et la durée d'assurance requise. Pour la Cour, ces principaux leviers de réforme ont des effets différenciés sur la compétitivité et l'emploi.

Une hausse des cotisations aurait un impact négatif sur l'emploi et la compétitivité selon les modèles économiques, mais son ampleur pourrait varier, selon que l'augmentation concerne les cotisations employeurs ou salariales, et qu'elle cible ou non les bas salaires.

À l'inverse, reculer l'âge effectif de départ à la retraite, que ce soit par une augmentation de la durée d'assurance ou par un recul de l'âge d'ouverture des droits, aurait un impact positif sur le taux d'emploi moyen. Dans cette hypothèse, l'augmentation de l'emploi des seniors n'affecterait pas négativement la compétitivité. Mais au vu des disparités de taux d'emploi entre les catégories de populations, il faudrait mettre en oeuvre des mesures spécifiques pour garantir le maintien en emploi des seniors tout en tenant compte des difficultés concrètes de certains.

Enfin, la question de l'indexation automatique des pensions sur l'inflation a suscité de récents débats. Aujourd'hui, comme le prévoit la loi, les pensions sont indexées annuellement sur l'inflation. Mais les dynamiques respectives des salaires et des prix, au cours des dernières années, ont conduit à une réflexion sur une moindre indexation des pensions par rapport à l'inflation. En effet, en cas de choc économique inflationniste, cette règle d'indexation automatique peut conduire à augmenter les pensions de retraites plus rapidement que les salaires. Ce n'est pas une fiction : c'est arrivé au moment de la crise énergétique et cette situation pourrait se reproduire aux États-Unis. Les études économiques montrent globalement qu'une indexation inférieure à l'inflation aurait un très faible impact sur l'emploi.

Plus largement, cette indexation sur l'inflation n'apparaît pas nécessairement la mieux adaptée à la recherche d'un équilibre durable et équitable du système de retraite. Une indexation au moins partielle sur les salaires, assortie d'un facteur de soutenabilité, comme chez certains de nos voisins, présenterait l'avantage de faciliter le pilotage du système de retraite. Surtout, elle exposerait les actifs et les retraités de manière solidaire aux mêmes aléas économiques.

Une réforme pourrait, voire devrait, mobiliser et combiner plusieurs de ces leviers. À ce titre, nos trois principaux voisins, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, ont mis en place différents outils d'équilibrage de leur système de retraite pour garantir à la fois la pérennité financière des systèmes de retraite et le partage équilibré des efforts entre les générations. Certains mécanismes prévoient, par exemple, d'ajuster l'âge de la retraite en fonction des gains d'espérance de vie. D'autres permettent de revaloriser les pensions en tenant compte des conditions démographiques et économiques. De telles règles permettraient d'équilibrer, dans la durée, le système de retraite, mais elles doivent être décidées collectivement.

Par ailleurs, nos principaux partenaires européens ont aussi introduit des clauses de revoyure automatiques dans la gestion de leurs systèmes de retraite, pour mettre fin aux incessantes réformes par à-coups, qui ne garantissent pas nécessairement la soutenabilité du système à moyen et long terme. Ces clauses de revoyure permettent d'ajuster le niveau des cotisations et des pensions ainsi que l'âge de départ à la retraite en fonction de l'évolution de plusieurs indicateurs démographiques ou économiques. En cas d'évolution favorable ou défavorable de ces indicateurs, les paramètres du système de retraite sont modifiés progressivement, selon des règles préétablies.

Ces mécanismes sont comparables à celui qui a été mis en place par les partenaires sociaux, dans le cadre du pilotage des retraites complémentaires de l'Agirc-Arrco. De telles règles, si elles étaient convenues par les partenaires sociaux et que vous les votiez, permettraient des adaptations prévisibles, progressives et concertées du système de retraite.

Ce rapport permet ainsi de conclure à plusieurs impératifs.

Tout d'abord, nous devons préserver et améliorer l'équité intragénérationnelle et intergénérationnelle de notre système de retraite.

Ensuite, il faut renforcer la compétitivité de notre économie, dans un contexte de décrochage européen.

En outre, il est essentiel d'améliorer le taux d'emploi en France, en particulier pour les hommes de plus de 55 ans, dont la part en emploi est très faible comparée à nos voisins.

Enfin, ce rapport offre une perspective : nous pourrions nous inspirer des réformes mises en oeuvre par nos voisins européens, en combinant plusieurs leviers, d'une part, et en instaurant des clauses de revoyure, d'autre part, qui nous feraient sortir d'un incessant stop and go en matière de réforme des retraites.

Il n'appartient pas à la Cour de formuler des propositions détaillées. Nous avons seulement fourni des données, qui ont été approuvées par tous les membres du conclave, quelle que soit leur appartenance, car elles ont le mérite d'éclairer le débat.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Vous avez insisté sur la nécessité d'améliorer le taux d'emploi des seniors ainsi que la situation des aidants. Nous étions d'ailleurs nombreux à estimer que les dispositions de la dernière réforme des retraites destinées à ces deux catégories n'allaient pas assez loin. Aussi, quelles mesures préconisez-vous spécifiquement ?

Par ailleurs, vous soulignez les différences entre les simulations du modèle Mésange employé par la direction générale du Trésor et celles du modèle e-mod.fr de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ainsi, dans le cas des cotisations employeurs, le modèle du Trésor indique un impact sur le PIB et sur l'emploi beaucoup plus négatif que celui de l'OFCE. Votre rapport explique que, selon le modèle de l'OFCE, la baisse de l'activité économique et la hausse du chômage annuleraient à long terme l'impact de la hausse des cotisations employeurs sur le coût du travail. Considérez-vous l'un des modèles comme plus plausible ou intéressant que l'autre ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Vous avez, une nouvelle fois, mis en évidence les sérieuses difficultés de notre système de retraite par répartition. Il sera toujours plus mis sous tension au fil du temps du fait d'une démographie défavorable : de plus en plus de bénéficiaires, pour une durée de plus en plus longue, soutenus par une population active qui a tendance à se réduire et à connaître une moindre productivité, par exemple du fait des carrières hachées. Si l'on ne touche ni aux pensions ni aux cotisations, le système aura du mal à tenir.

Vous avez fait le choix de ne pas faire figurer de solutions complémentaires dans ce rapport, mais, dans une approche prospective, j'aimerais vous interroger sur la possibilité d'explorer une autre voie. Pourrait-on profiter du débat sur une potentielle réforme pour expertiser le déploiement d'un « deuxième socle », autour d'une retraite dite par capitalisation ?

En effet, je m'étonne qu'aujourd'hui, en France, l'unique système obligatoire de retraite par capitalisation, le régime de retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), ne concerne que les fonctionnaires et soit géré par les partenaires sociaux ! Nous n'avons certes que vingt ans de recul, mais ce système, me semble-t-il, commence à faire la preuve de sa pertinence. Il est important de poser l'ensemble des sujets sur la table à l'occasion du conclave, au moins dans une perspective de long terme. Comment expliquer le paradoxe que la France se refuse à un tel système, à l'exception des fonctionnaires et de leurs représentants syndicaux ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. - Nous apprécions encore plus que de coutume de pouvoir vous auditionner sur ce sujet sensible et crucial des retraites.

Nous n'avions pas pu, dans la réforme des retraites de 2023, faire prospérer nos amendements relatifs à l'emploi des seniors ou à la pénibilité. Or vous relevez dans ce rapport la faiblesse du taux d'emploi des 15-64 ans en France, qui s'établit à 68,4 % en 2023, en dessous de la moyenne de la zone euro, qui est de 70 %. Cette faiblesse relative résulte d'un important écart dans le taux d'emploi des seniors. Par ailleurs, vous indiquez que l'allongement de la durée en emploi résultant des différentes réformes reculant l'âge de la retraite est très hétérogène suivant le sexe et la catégorie socio-professionnelle. Selon l'Insee, cette situation s'expliquerait par le rôle pivot des femmes en tant qu'aidants, qui les amène à sortir plus rapidement du marché du travail, notamment avant l'obtention du taux plein. Comment encourager les femmes à partir à la retraite à la fin d'une carrière complète ? Comment les accompagner alors que le ratio de dépendance va continuer à s'accentuer, passant de 38 % en 2022 à 53 % en 2050 ?

Vous soulignez aussi que l'Unédic constate un léger ressaut d'entrée au chômage trois ans avant l'âge légal de départ à la retraite, qui pourrait s'expliquer par un comportement stratégique visant à utiliser la filière senior de l'assurance chômage, qui prévoyait une durée maximale d'indemnisation de trois ans avant le 1er février 2023, comme un « sas » avant le départ à la retraite. La nouvelle convention d'assurance chômage entrée en vigueur au 1er janvier 2025 prévoit désormais de décaler cette durée maximale d'indemnisation à partir de 55 ans, contre 53 ans auparavant, et de la réduire à vingt-deux mois pour les personnes âgées de 55 ou 56 ans à la fin de leur contrat de travail, et à vingt-sept mois pour les personnes âgées d'au moins 57 ans. Quelles mesures pourraient être prises pour rompre ce phénomène de sas ?

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale de la commission des finances pour la mission « Régimes sociaux et de retraite » et le compte d'affectation spéciale « Pensions ». - Vous soulignez dans votre rapport l'importance du sujet du taux d'emploi des seniors, sur laquelle je rendrai moi-même un rapport prochainement.

Je m'intéresse notamment aux personnes qui ne sont ni en emploi ni à la retraite et sont en bonne santé. Selon l'Insee, cette catégorie, entre 60 et 64 ans, regroupe 323 000 personnes, soit un nombre non négligeable. Auriez-vous des préconisations à formuler pour favoriser leur emploi ? Faudrait-il développer des postes spécifiques, une culture d'entreprise ou de société propice à leur emploi, à l'instar de ce que l'on observe en Allemagne ?

Votre rapport n'analyse pas les conséquences de la baisse de notre natalité. Certes, celle-ci demeure un peu supérieure à celle de nos voisins, mais un taux de fertilité de 1,62 enfant par femme semble insuffisant. Ce n'est pas une fatalité, il convient de croire en notre jeunesse, mais c'est un souci de long terme, puisque le rapport entre cotisants et retraités est un défi majeur. Ne faudrait-il pas préconiser certaines politiques natalistes ?

Vous avez insisté sur la nécessité de l'équité intergénérationnelle. À cet égard, il me semblerait dangereux de compromettre le niveau de vie des retraités tant que nous n'aurons pas résolu le problème du financement de la dépendance. Vous préconisez une éventuelle indexation des pensions de retraite sur les salaires, qui pourrait être modulée en fonction de l'évolution du rapport entre cotisants et retraités. Cela témoignerait d'une solidarité, mais non d'une équité intergénérationnelle. Si l'on veut sauver notre système par répartition, système éminemment vertueux et moins exposé à l'inflation que les systèmes par capitalisation que nous avons connus avant-guerre, il me semble essentiel de lui adjoindre un fonds de réserve des retraites chargé de gommer les déséquilibres entre générations.

M. Pierre Moscovici. - Je tiens à redire que nous avons fait le choix de ne pas inclure dans ce rapport-ci - d'autres suivront ! - de préconisations ou de recommandations. Celui-ci est le fruit de missions flash menées dans des délais très resserrés en réponse à une demande précise du Premier ministre ; nous devions dresser un état des lieux objectif et incontestable. De ce point de vue, mission accomplie : il n'a été contesté que par certains croisés épousant des thèses sans grand soutien politique ou financier. Je ne pourrais donc sans doute répondre à toutes vos questions, à moins de vous apporter des réponses assez spéculatives.

Mme Doineau m'interroge sur l'accompagnement des seniors les plus fragiles. Si l'on s'intéresse à ce que font d'autres pays, on constate que le mot-clé, c'est la formation, notamment dans les TPE et PME. L'Allemagne a mis en oeuvre un vaste programme de cette nature, qui a produit des effets très importants.

Quant aux éventuelles divergences entre les simulations des modèles Mésange, du Trésor, et e-mod.fr, de l'OFCE, je relève tout de même que les résultats de ces deux modèles vont largement dans le même sens, mais avec une ampleur très différente. De fait, leur construction même diffère largement : l'un, celui du Trésor, repose plutôt sur les coûts, c'est une approche orientée vers l'offre ; l'autre, celui de l'OFCE, est plus keynésien et raisonne davantage sur les effets économiques d'investissements additionnels. Dès lors, le second fait moins apparaître d'effets négatifs sur l'emploi d'éventuelles augmentations de cotisations. Mon expérience personnelle, en tant qu'ancien élu, m'inciterait plutôt à juger que le modèle Mésange a tendance à surestimer ces effets, mais je sors de mon rôle de Premier président de la Cour des comptes en vous le disant... Cela explique en tout cas pourquoi je me garde de citer des chiffres précis de possibles destructions d'emplois, mais il n'en reste pas moins que l'impact serait négatif selon les deux modèles.

Mme Gruny demande comment l'on pourrait encourager les femmes à ne prendre leur retraite qu'après une carrière complète, sachant que le ratio de dépendance va continuer à s'accentuer. Il y a là une grande diversité de situations, et ce problème concerne également d'autres politiques publiques, comme la prise en charge du grand âge ou de la petite enfance.

Sa question sur le « sas » de chômage entre l'emploi et la retraite rejoint celle de Mme Vermeillet sur les seniors en bonne santé ni en emploi ni retraités. Il faudrait, comme le prévoit d'ailleurs l'ANI de novembre 2024, inciter les entreprises à anticiper les fins de carrière. Les entretiens à mi-carrière ont un rôle à jouer, la formation est également cruciale, de même que le recours au temps partiel. Il faut aussi lutter contre les comportements de discrimination affectant les seniors qui cherchent un emploi. Tous les chômeurs ne sont pas volontaires, loin de là ! Toutes ces pistes doivent être explorées et de nombreuses politiques publiques doivent être adaptées.

M. Husson a le mérite de souligner un point absolument incontournable : on ne peut pas faire comme si notre système de retraite était en bonne santé financière. Les conclusions de notre premier rapport sur ce point n'ont été contestées par personne, même si les réponses proposées divergent, entre économies, augmentation de cotisations, nouveaux impôts... Le déficit actuel est de 6 milliards d'euros ; le besoin de financement à l'horizon 2035, de 15 milliards ; à l'horizon 2045, de 30 milliards. Je ne reprendrai pas certaines thèses sur la fonction publique auxquelles la Cour ne croit pas, mais l'ordre de grandeur du problème est incontestable.

Quant à la capitalisation, c'est un débat que les partenaires sociaux peuvent avoir au cours de leurs négociations. Notre rapport rappelle qu'il existe bien en France des dispositifs de retraite, individuels ou collectifs, fonctionnant par capitalisation. De nombreux autres pays, notamment l'Allemagne, ont introduit des mécanismes comparables en complément de leur système par répartition. Mais il me semble que la question de la mise en place d'un étage de capitalisation n'a pas de lien direct avec la nécessité d'équilibrer les comptes du système de retraite par répartition. Mario Draghi concluait certes qu'une généralisation de la capitalisation pourrait avoir des effets bénéfiques sur l'économie européenne, notamment via le financement des entreprises, mais l'actualité récente nous montre que de tels dispositifs comportent des risques, qui doivent être limités par une diversification des actifs investis.

En toute hypothèse, si la capitalisation peut être retenue dans le cadre des négociations entre partenaires sociaux, il ne faudrait pas y voir une solution magique ; elle doit rester un complément. Nos deux rapports montrent que la retraite par répartition est viable, ou à tout le moins sauvable, et qu'elle doit rester le fondement du système français. C'est d'ailleurs pourquoi nous avons effectué des comparaisons avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, trois pays où la répartition est encore au fondement du système de retraite. Un équilibre doit être trouvé, et si une part de capitalisation est retenue, de manière complémentaire, les risques doivent en être mitigés.

Enfin, en réponse à Mme Vermeillet, je confirme que la natalité n'entrait pas dans le champ de notre rapport. Il y a un autre problème très important que nous n'avons pu traiter dans ce rapport-ci, même si nous l'avons abordé dans notre rapport public annuel : celui de l'emploi des jeunes. Si la situation est globalement assez satisfaisante, il reste 12 % de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation, ce qui engendre des phénomènes de pauvreté.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Merci de ce rapport très complet. Nous partageons largement votre constat, mais notre appréciation des causes diffère, ce qui explique notre dissensus quant aux solutions. Nous partageons aussi votre préoccupation de maintien de l'équité. À cet égard, il est important de relever la bonne performance du système français en matière de lutte contre la pauvreté des personnes retraitées, et de la préserver. Une indexation insuffisante des pensions de retraite reviendrait sur cette réussite ; la part de retraités pauvres, qui diminuait tendanciellement, commence d'ailleurs à remonter.

Vous constatez que l'amélioration du taux d'activité des personnes atteintes par le recul de l'âge légal de départ à la retraite et de l'allongement de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein repose essentiellement sur les personnes qui occupaient un emploi avant d'entrer dans cette classe d'âge. On observe très peu de progrès pour les autres, aucun effet d'horizon ne semble avoir joué. Selon Dominique Méda, il n'y aura pas d'amélioration du taux d'emploi des seniors sans un effort massif d'amélioration des conditions de travail. Les constats de la Dares sont accablants quant à l'évolution des conditions de travail depuis vingt ans. Avez-vous pris en compte les conditions de travail dans votre appréciation de l'emploi des seniors ?

Vous avez parlé d'espérance de vie, mais pas d'espérance de vie en bonne santé, alors que cette donnée est essentielle pour apprécier le temps passé à la retraite. Les premiers déciles de niveau de vie ont vu leur durée de vie à la retraite en bonne santé diminuer ; plus de personnes meurent même avant d'atteindre la retraite. Du fait de la réforme de 2010, tous les gains d'espérance de vie ont été, depuis lors, absorbés par l'allongement de la période de travail. On évoquait une répartition de deux tiers de l'allongement de l'espérance de vie pour la période travaillée et un tiers pour la retraite, mais ce n'est plus le cas : la durée de vie à la retraite a même tendance à baisser.

Recourir à un système par capitalisation ne résoudrait en rien le rapport démographique ; c'est absolument neutre en la matière. Si de tels systèmes existent depuis trente ans, y compris pour des régimes obligatoires, il faut noter qu'il s'agit de systèmes en montée de charge, disposant de trois fois plus de cotisants que de bénéficiaires ; ils disposent donc de réserves, comme en avait naguère notre système de retraite par répartition, mais le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), qui devrait nous permettre de faire face au choc démographique, a été dilapidé !

M. Pascal Savoldelli. - Votre expertise et celle de vos équipes sont toujours précieuses pour un exercice critique de l'action publique. Je vous avoue m'être interrogé en vous écoutant, mais le souvenir des propos que vous teniez la semaine dernière devant la commission des finances m'a permis de saisir la cohérence de votre pensée.

Vous parlez d'équité ; pour ma part, particulièrement en matière sociale, je préfère la notion d'égalité, qui figure au coeur de notre devise républicaine. Je ne souhaite pas la voir remplacer, dans nos réflexions, par celle d'équité, qui n'appartient pas de la même façon à notre modèle républicain. Nous sommes égaux, en droits comme en obligations. Le problème de l'équité, c'est de savoir qui décide du caractère juste ou injuste d'une inégalité.

Dès lors, même si vous vous refusez à formuler des recommandations, de manière à maintenir une forme d'objectivité, on ne peut pas parler de neutralité. Vous évoquiez la semaine dernière une « révolution de la dépense publique » ; pour ma part, j'attends plutôt une révolution de la recette publique... Vous avez fait montre d'une expertise de qualité, dans des délais très courts. Vous avez examiné, entre autres éventualités, celle d'une sous-indexation des pensions sur l'inflation ; cet examen est nécessaire, mais il n'est pas neutre !

Si l'on maintient le système de retraite par répartition, l'on devra débattre, de manière apaisée, mais argumentée, de la nature de ladite répartition, et de l'effort qu'elle exige. Dès lors, faudrait-il selon vous prendre en compte le régime fiscal des travailleurs, des plus modestes à ceux qui reçoivent les plus hauts salaires, et celui des revenus du capital, qui leur est beaucoup plus favorable ? Quelle est la ligne d'équilibre, d'harmonie, entre les efforts demandés à tous ceux qui travaillent et la contribution des revenus du capital ?

Mme Monique Lubin. - Je veux en préambule rappeler un propos que vous avez tenu lors de votre présentation de la première partie de ce rapport devant la commission des affaires sociales : vous affirmiez clairement que le système de retraite par répartition avait des bases solides et qu'il n'était pas en danger. J'aime à le répéter, parce que certains parmi nous ont tendance à dramatiser la situation. Notre rôle de politique est de ne pas effrayer la population, notamment les jeunes qui, persuadés qu'ils n'auront pas de retraite, ne se mobilisent pas pour sauver le système actuel.

Cela étant dit, vous avez produit un rapport étayé sur les prévisions de déficit, qu'il convient de mettre en rapport avec les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR). Nous n'avons rien à redire quant aux prévisions à cinq ou dix ans ; méfions-nous en revanche de ce que l'on peut dire pour 2045, car ce qu'il s'est passé ces cinq dernières années doit nous inciter à la prudence : nous ne savons pas quels événements économiques peuvent survenir, et à l'inverse certaines prévisions très inquiétantes faites au moment de la crise du covid ne sont pas avérées. Prenons les chiffres tels qu'ils ont, mais n'affolons personne !

On parle beaucoup d'emploi des seniors ; je lirai avec beaucoup d'attention le rapport que Sylvie Vermeillet remettra sur ce sujet. En 2019, René-Paul Savary et moi-même en avions publié un, où nous préconisions déjà certaines solutions. Les années ont passé, mais les entreprises ne se saisissent absolument pas de ces recommandations, en dépit de leur bonne volonté. Je crains que nous soyons enfermés en France dans une culture du non-emploi des seniors : les entreprises n'en recrutent pas ; en cas de difficultés, elles licencient toujours les plus âgés. C'est très regrettable ; il faudrait vraiment sortir de l'incantation en la matière et trouver des mesures qui inciteraient, sans en venir à la coercition, à les employer davantage.

Nous devons donc décider si nous voulons réellement conserver notre modèle de retraite par répartition. Nombreux sont ceux qui, parmi nous, ont compris les limites des systèmes par capitalisation. Il faudrait un modèle de répartition qui permette à ceux qui ont exercé les métiers les plus difficiles de partir relativement tôt, sans avoir à travailler jusqu'à un moment où ils ne pourraient plus profiter de leur retraite, et garantir aux retraités un niveau de revenu décent par rapport à celui des salariés. Dès lors, tout comme Pascal Savoldelli, j'estime qu'il faut certainement se poser la question des recettes.

M. Pierre Moscovici. - Le propos de Pascal Savoldelli m'a considérablement rajeuni, me ramenant à une époque où je n'étais pas Premier président de la Cour des comptes et où je ne faisais pas même de politique : jeune étudiant, je me plongeais dans des débats philosophiques sur les notions d'égalité et d'équité... Il y a d'ailleurs plusieurs types d'égalité, de celle des chances à celle des conditions, égalité formelle et égalité réelle.

Mais quand nous parlons d'équité dans ce rapport, notre intention est bien de réduire des situations d'inégalité. Quand on regarde de trop loin le système de retraite, on passe à côté de situations qui doivent être traitées : inégalités entre femmes et hommes, liées aux carrières hachées, au rôle d'aidant que la société fait encore peser surtout sur les femmes, ou encore à des paramètres sanitaires ; inégalités subies aussi par ceux qui exercent les métiers les plus pénibles, ou par ceux qui ne sont ni en emploi ni en formation.

M. Savoldelli m'invite aussi à réfléchir à la fiscalité. Ce n'est pas par idéologie que nous ne l'avons pas fait ; c'est parce que ce n'est ni le rôle de la Cour des comptes en général - nous travaillons presque exclusivement sur la dépense publique - ni la commande qui nous a été faite en l'occurrence. Oui, j'ai évoqué une nécessaire révolution de la dépense publique : il faut sortir des réflexions mécanistes selon lesquelles toute dépense serait suspecte, ou encore il ne faudrait agir que sur son volume. La révolution, selon moi, consisterait à travailler sur la qualité de la dépense publique.

Celle-ci représente 57 % du PIB dans notre pays ; c'est beaucoup. Ce niveau de dépense s'explique par le fort attachement des Français à leur modèle social, mais la différence de 8 points par rapport à la moyenne de la zone euro n'en est pas moins énorme et se pose la question de l'efficacité de cette dépense. Celle-ci a augmenté de 3 points de PIB depuis 2019 ; peut-on croire que cela corresponde à un surcroît équivalent d'efficacité du service public, en particulier pour l'éducation et la santé, les deux enjeux cruciaux d'aujourd'hui ? Nous venons de publier une revue des dépenses d'assurance maladie ; ce rapport montre que l'on pourrait en la matière économiser quelque 20 milliards d'euros sans toucher, pour l'essentiel, aux assujettis, mais en réglant des questions de gouvernance, en pratiquant davantage la prévention ou encore en luttant mieux contre la fraude. Certains m'ont critiqué : lutter contre la fraude sociale serait de droite ! Mais ceux qui trichent sont loin d'être les plus modestes. On peut faire des économies sans affaiblir le service public.

À mon tour, monsieur Savoldelli, de vous taquiner sur la sémantique : il me semble que vous confondez quelque peu répartition et redistribution. La répartition, c'est le fait que notre système est financé par des cotisations sociales assises sur la masse salariale. La redistribution suppose d'introduire dans ce système des éléments de réduction des inégalités ; c'est l'un des objectifs de la fiscalité, mais ce n'est pas inhérent à notre système de retraite.

À ce propos, pour répondre à Mme Lubin, je tiens à dire que je ne vois pas de contradiction entre nos deux rapports. Je crois que notre système de retraite par répartition repose sur des bases solides et qu'il doit perdurer. Pour autant, les problèmes de soutenabilité et de financement à venir ne peuvent pas être ignorés. Et ce n'est pas anticiper sur les conclusions du conclave que de vous rappeler que les constats faits dans le premier rapport ont été approuvés de la CGT jusqu'au Medef. Ensuite, à chacun de choisir les solutions qu'il préfère, entre fiscalité et économies ; notre rôle est simplement d'éclairer le débat. Nous restons donc attachés au système par répartition ; la capitalisation, si elle peut être développée avec précaution, ne saurait être qu'un étage complémentaire.

Madame Poncet Monge, je conviens avec vous que la capitalisation n'améliore pas le rapport démographique. Elle ne peut pas être la solution au problème du financement du système de retraite, mais seulement un plus.

Pour ce qui est de l'espérance de vie en bonne santé, pardonnez-moi, mais il convient selon moi de tordre le cou à la légende selon laquelle les Français à la retraite ne seraient pas en bonne santé : heureusement, l'espérance de vie en bonne santé a beaucoup augmenté. À 65 ans, elle est estimée aujourd'hui à 12 ans pour les femmes et 10,8 ans pour les hommes. Certes, il existe des disparités, qui rejoignent les inégalités socio-professionnelles que j'ai relevées : la différence entre ouvriers et cadres ou professions intermédiaires est de 2 ans pour les femmes, 3 ans pour les hommes. Cette question doit absolument être traitée.

Enfin, madame la sénatrice, vous avez évoqué les conditions de travail. Certes, nous ne les avons pas abordées en tant que telles dans notre rapport, mais cette question recoupe notre réflexion sur l'équité telle que nous l'avons définie. Je ne sais pas ce qui sortira des discussions des partenaires sociaux à ce sujet, même si nous les avons consultés. J'ai tout de même constaté chez eux tous un état d'esprit propice à la discussion. Ils doivent être capables de modifier la gouvernance du système et de définir des clauses de revoyure. L'important est qu'ils travaillent aux trois chantiers que j'ai relevés : la situation des femmes, de ceux qui ont des conditions de travail plus pénibles que d'autres, et de ceux dont la situation sanitaire est plus difficile. On ne s'en sortira pas sans traiter ces trois questions.

M. Laurent Somon. - L'équité intergénérationnelle me paraît un enjeu extrêmement important. Dans votre étude bibliographique et comparative, avez-vous pris en compte l'espérance de vie à la retraite par profession par rapport à l'écart-type de la moyenne ? Avez-vous relevé en la matière, dans d'autres pays ou systèmes de retraite, un impact sur la compétitivité et l'emploi ?

M. Pierre Moscovici. - C'est une colle que vous me posez là... Nous vous ferons parvenir une réponse détaillée en creusant les références du rapport.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - Avant de clôturer cette audition, je vous remercie encore, monsieur le Premier président, de ce rapport qui éclaire notre réflexion et nos travaux.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Thierry Cozic, vice-président -

Proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur

M. Thierry Cozic, vice-président de la commission des finances. - Il vous est proposé que notre commission se saisisse pour avis de la proposition de loi n° 416 (2024-2025) portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI), qui pourrait être inscrite à l'ordre du jour du Sénat prochainement, et de désigner M. Laurent SOMON comme rapporteur.

La commission des lois, saisie au fond, devrait déléguer l'examen au fond des articles 3 et 4 à notre commission.

La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi n° 416 (2024-2025) portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) et désigne M. Laurent Somon rapporteur pour avis.

La réunion est close à 11 h 30.