Mercredi 7 mai 2025
- Présidence de Gilbert-Luc Devinaz, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Audition de Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l'étranger et de l'administration consulaire au ministère de l'Europe et des affaires étrangères
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Nous poursuivons notre cycle d'auditions avec Pauline Carmona, directrice des Français à l'étranger et de l'administration consulaire au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Mme Carmona est accompagnée de François Penguilly, chef de service des Français à l'étranger et de Gaëlle Le Pape, sous-directrice de l'état civil et de la nationalité.
Je salue la présence à mes côtés de Ronan Le Gleut, président du groupe d'études « Statut, rôle et place des Français établis hors de France », groupe auquel cette audition est ouverte.
Dès notre réunion constitutive, notre collègue Olivia Richard a suggéré cette audition, évoquant les services publics particulièrement innovants dont bénéficient nos compatriotes à l'étranger, et citant plus particulièrement la demande de renouvellement de passeport sous forme dématérialisée. Je remercie donc Olivia Richard d'avoir pris l'initiative de cette séquence.
Je donne la parole à Ronan Le Gleut pour une brève introduction, puis notre rapporteure, Nadège Havet, va vous poser quelques questions ; nous entendrons ensuite votre propos liminaire avant d'avoir un temps d'échanges.
M. Ronan Le Gleut, président du groupe d'études « statut, rôle et place des Français établis hors de France ». - Je vous remercie.
Mme la directrice Carmona, Mme le Pape, M. Penguilly, c'est un plaisir de vous revoir dans le cadre de cette mission d'information, pour nous présenter l'expérimentation novatrice menée par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Il y a un an jour pour jour, le Sénat adoptait une proposition de loi visant à poursuivre la dématérialisation de l'état civil par votre ministère. En 2018, lors du vote de la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite ESSOC, le législateur avait autorisé ce ministère à déroger au cadre général de traitement des actes d'état civil dont il est dépositaire pour expérimenter une démarche ambitieuse de dématérialisation.
Cette décision s'inscrivait dans un contexte de réduction importante des effectifs ministériels et face à une réalité structurelle : l'éloignement géographique de nombreux compatriotes qui vivent parfois à plus de mille kilomètres d'un consulat français. Par exemple, les Français du Paraguay doivent se rendre à Buenos Aires en Argentine pour leurs démarches. À l'étranger, nos consulats sont nos mairies, ce qui complique tout pour ceux vivant loin d'un poste consulaire.
Malgré d'énormes progrès dans certains domaines, il demeure de nombreuses difficultés d'accès au service public pour les Français établis hors de France. L'initiative France Consulaire est extrêmement appréciée par nos communautés françaises. J'ai pu assister, sur le site de Nantes, à l'extension de ce service et je témoigne de l'attente de son déploiement dans le monde entier, avec une grande satisfaction là où il est déjà en place.
Mme Nadège Havet, rapporteure. - Merci à Olivia Richard de nous avoir suggéré cette audition. J'ai quelques questions pour votre propos liminaire.
Le président Le Gleut a évoqué la satisfaction des usagers de France Consulaire. Y a-t-il un calendrier de déploiement sur les différents produits, et pouvez-vous nous expliquer les modalités de fonctionnement de ce dispositif pour les usagers ?
Nous sommes également intéressés par vos différents projets de dématérialisation, qu'il s'agisse du registre d'état civil électronique (RECE) ou de l'expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution, dont nous a parlé notre collègue Olivia Richard. Quels sont les retours des usagers et avez-vous constaté des gains à la fois pour eux et pour les agents ?
Dans ce programme, êtes-vous appuyés par la Direction interministérielle de la Transformation publique (DITP) ou par la Direction interministérielle du numérique (DINUM) ?
Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l'étranger et de l'administration consulaire -C'est un honneur de pouvoir témoigner devant vous aujourd'hui de ce que nous faisons pour nos concitoyens à l'étranger.
L'administration consulaire offre un service public aux concitoyens de l'étranger, résidents comme personnes de passage, en leur fournissant des services administratifs : titres d'identité et de voyage, procurations de vote, légalisation de documents, établissement ou transcription des actes d'état civil (naissances, mariages, décès), protection consulaire, assistance en cas d'urgence, visites aux détenus, fourniture d'aide sociale et à la scolarité, et organisation des scrutins à l'étranger. Pour 2024, nous organiserons les élections européennes de mai et les législatives anticipées de juin-juillet, puis en 2026 les élections des conseillers des Français de l'étranger, suivies des présidentielles en 2027.
La population française résidant à l'étranger augmente régulièrement. Nous avons enregistré en 2024 une hausse de plus de 4% des inscrits aux registres, dépassant les niveaux pré-Covid. Fin 2024, le nombre d'inscrits était d'un peu plus de 1,7 million, et début 2025, nous avons dépassé les 1,8 million. L'inscription n'étant pas obligatoire, on estime la population réelle entre 2,5 et 3 millions, auxquels s'ajoutent les Français de passage ayant un besoin ponctuel de s'adresser au consulat (situation d'urgence, perte de passeport, etc.). Dans certains pays, il s'agit d'une population âgée, notamment des retraités, ce qui crée des besoins particuliers en termes d'accès aux services publics et au numérique.
Notre réseau comprend 208 postes consulaires dans environ 150 pays : 95 consulats généraux en capitale et hors capitale, 112 sections consulaires d'ambassade, plus le Bureau français de Taipei. Au sein des consulats généraux, on retrouve des réalités très diverses puisque 23 d'entre eux sont des postes consulaires d'influence dont la fonction principale est d'assurer la présence française (diplomatique, économique) hors des capitales, avec des fonctions consulaires réduites aux urgences et à l'organisation des élections.
En termes d'activité, nous constatons un accroissement de la population inscrite et par conséquent, des demandes de titres d'identité et de voyage. Notre réseau a enregistré en 2023 et 2024 des volumes record, avec plus de 500 000 demandes par an depuis 2023, soit un tiers de plus qu'avant la pandémie. Cette tendance devrait se poursuivre avec le développement de l'identité numérique régalienne, qui nécessite une carte d'identité électronique - peu répandue hors d'Europe - et la mise en oeuvre de l'European Travel Information and Autorisation System (ETIAS), qui incitera les binationaux à se doter d'un passeport français pour voyager alors que précédemment, ils utilisaient leur passeport étranger.
Pour contextualiser le grand chantier de modernisation de l'action consulaire mentionné par le sénateur Le Gleut, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères a mis en oeuvre depuis le début de la décennie des chantiers de modernisation et de dématérialisation. Ces initiatives permettent d'offrir à nos ressortissants à l'étranger des services qui n'existent pas en France, pour tenir compte des contraintes d'éloignement. Dans les pays continents, certains ressortissants habitent à deux mille ou trois mille kilomètres du consulat, ce qui représente un coût considérable pour les déplacements familiaux.
Le premier chantier majeur concerne l'état civil électronique, une réforme qu'aucune mairie française n'a entreprise. La première phase, désormais généralisée et intégrée au droit commun par la loi du 13 juin 2024, permet la délivrance d'extraits et de copies d'actes signés électroniquement. Les usagers reçoivent dans les 48 à 72 heures leur document authentifié par signature électronique, reconnue par l'ensemble des mairies. Cette mesure génère plus d'un million d'euros d'économies annuelles sur les frais d'affranchissement et a permis des redéploiements d'ETP sur d'autres chantiers.
Mme Gaëlle Le Pape, sous-directrice de l'état-civil et de la nationalité. - Le délai de réception était en moyenne de 3 jours en 2024.
Mme Pauline Carmona. - La deuxième étape concerne la dématérialisation de l'intégralité des démarches dans l'état civil électronique. Cela permettra aux usagers de faire transcrire un acte sans se déplacer, ni envoyer des documents par courrier. La loi du 13 juin 2024 a prolongé l'expérimentation jusqu'au 10 juillet 2027. À cette date, le chantier devra avoir été mené à bien avec une loi pérennisant ce système dans le droit commun avec toutes les garanties associées. Les premiers bénéfices concrets pour les usagers et nos postes sont attendus fin 2026.
Le deuxième chantier concerne le vote par internet. Les conseillers des Français de l'étranger sont les seuls à en bénéficier pour les élections nationales depuis 2012. Lors des législatives anticipées de 2024, 75% des votants ont utilisé cette modalité. Nous devons travailler à la sécurisation maximale de cette modalité de vote et à simplifier les modalités d'authentification, tout en restant extrêmement rigoureux sur la sécurité. Aujourd'hui, l'identification, pour le vote par internet, repose sur une double authentification avec un identifiant que l'on reçoit par mail et un mot de passe que l'on reçoit par SMS. Or en raison de la grande diversité des opérateurs téléphoniques, il peut être difficile dans certains pays - pas toujours ceux auxquels on s'attend - de recevoir ce SMS. Nous pallions cette difficulté pendant les scrutins en mettant en place une plateforme d'assistance téléphonique, en renvoyant les SMS, en intervenant auprès des autorités locales. Notre objectif, pour le prochain scrutin qui est l'élection des conseillers des Français et de l'étranger, est de faciliter l'authentification en permettant l'usage d'une identité numérique certifiée portée par la carte d'identité électronique.
Le troisième chantier est l'expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution, menée pendant un an au Canada et au Portugal. Ce processus permet aux Français majeurs de renouveler leur passeport entièrement à distance, depuis l'introduction de la demande, le paiement et l'envoi des justificatifs jusqu'à la réception du passeport à domicile. Encadrée par le Conseil d'État, cette expérimentation a duré un an, entre le 1er mars 2024 et le 28 février 2025. Un rapport d'évaluation des inspections générales des ministères des affaires étrangères et de l'intérieur en a recommandé la poursuite, voire l'extension à de nouveau pays. Un arbitrage rendu en réunion interministérielle au cabinet du premier ministre a donc prolongé l'expérimentation et ajouté deux pays, qui seront l'Australie et l'Espagne.
Le quatrième chantier est le service de réponse téléphonique France Consulaire, qui répond à la principale frustration des Français de l'étranger : l'impossibilité de joindre leurs consulats. Pourquoi ? Parce que qu'au fil des réductions d'effectifs dans l'ensemble du réseau, les priorités ont été données aux fonctions les plus essentielles : état civil, affaires sociales, guichet. Souvent, soit la réponse téléphonique n'était plus assurée, soit elle l'était par les agents qui n'étaient pas accaparés par d'autres tâches. C'est pourquoi, à partir de 2020-2021, la DFAE a commencé à réfléchir à une centralisation de la réponse téléphonique. Ce service centralisé déchargerait les postes des questions générales pour qu'ils puissent se concentrer sur les sujets individuels. Nous avons privilégié le contact humain par téléphone plutôt qu'une réponse par mail ou site internet.
Le service fonctionne sur deux niveaux : au premier niveau, des téléconseillers (entreprise Télétech basée en France) et au second niveau des agents de la direction, qui assistent les téléconseillers sur les cas complexes. L'intégration de chaque pays nécessite deux mois de préparation d'une base de données questions-réponses adaptée aux spécificités locales.
Le service France Consulaire a démarré en 2021 et couvre désormais 115 pays depuis l'intégration, hier, de six nouveaux pays, ce qui représente 71% des Français de l'étranger. L'objectif est de couvrir le monde entier d'ici fin 2025. Ce service, qui n'est pas un service d'urgence, fonctionne actuellement de 8 heures à 17 heures et passera de 7 heures à 22 heures à la fin de 2025, pour couvrir des fuseaux horaires plus éloignés.
Le taux de satisfaction reste supérieur à 90%, même avec l'extension du périmètre. L'impact est positif pour les consulats, qui constatent une réduction des appels téléphoniques et des mails : le téléphone ne sonne plus pour les démarches générales, et ils reçoivent beaucoup moins de courriels puisque les personnes qui n'arrivaient pas à les joindre par téléphone envoyaient des mails. Enfin et surtout, les Français et les élus sont contents, ce qui tient à coeur à tout le monde. Les marges dégagées, notamment dans les postes où une réponse téléphonique était encore apportée, ont été utilisées pour redéployer les agents concernés vers les guichets ou d'autres services. Le chantier est véritablement « gagnant-gagnant » pour nos postes, les Français et l'administration centrale.
Enfin, je mentionnerai la possibilité dans 28 pays de recevoir directement son passeport par voie postale. Depuis février 2024, la certification de l'identité numérique via la carte nationale d'identité est disponible, avec déploiement dans six consulats pilotes en mars et généralisation d'ici l'été. Le paiement à distance des droits de chancellerie est expérimenté depuis le 15 avril dans cinq consulats et sera généralisé. D'ici à la fin de l'année, le raccordement à la pré-demande en ligne de l'ANTS pour les cartes nationales d'identité (CNI) et passeports sera également disponible à l'étranger, couplé au paiement à distance.
La dématérialisation ne peut cependant pas répondre à tous les besoins. Nous déployons le vote par internet pour les scrutins où la législation nous autorise à le faire. Cette modalité est certes très appréciée - j'ai mentionné les 75% de votants par ce système lors des législatives anticipées - mais elle n'exonère pas les consulats de la tenue de bureaux de vote : en 2024, leur nombre s'élevait à 2024.
Sur les titres d'identité et de voyage, l'expérimentation du renouvellement des passeports sans comparution, lorsqu'elle reprendra, ne concernera que quatre pays, avant, nous l'espérons, un déploiement plus large. En revanche, aucune exception n'est faite au principe de comparution pour le dépôt de la demande de CNI - d'où la forte demande de tournées consulaires de la part de nos compatriotes éloignés des consulats. De même, si dans 28 pays les passeports peuvent être envoyés par voie postale, la possibilité n'existe pas pour les CNI, pour des raisons de sécurité et de lutte contre la fraude - bien que la demande de nos concitoyens au Canada, aux États-Unis ou dans certains pays européens soit forte.
Je sais combien le sujet de la dématérialisation de la propagande électorale est important pour les élus des Français de l'étranger. Notre ministre a souhaité sa mise en place dans son discours du 7 janvier 2025 à la Conférence des ambassadrices et ambassadeurs. Pour les élections législatives, cela nécessite une modification législative. C'est une nécessité car l'envoi papier au 1,7 million de Français inscrits coûte deux millions d'euros pour chaque tour, avec un bilan carbone l élevé, et surtout en pure perte, puisqu'n raison des délais, de l'éloignement et de l'aléa postal, dans la quasi-totalité des cas la propagande n'arrive pas à temps dans les boîtes aux lettres des électeurs à l'étranger.
Pour conclure, j'insiste sur le fait que l'action consulaire reste avant tout une action de proximité. Nos sénateurs et sénatrices des Français de l'étranger connaissent très bien nos concitoyens et vont régulièrement au contact. Nous ressentons fortement ce besoin de proximité, , nos consulats jouant, de fait, le rôle de maisons France Services pour nos ressortissants. C'est pourquoi nous avons consacré l'intégralité des créations de postes du programme 151 au réseau consulaire : 20 créations nettes en 2024 et 19 en 2025, avec comme priorités l'administration des Français, la lutte contre la fraude et les services des visas - à la fois pour lutter contre l'immigration irrégulière et pour attirer les meilleurs talents.
La modernisation de l'action consulaire s'appuie sur la recherche du meilleur équilibre entre centralisation, numérisation et services de terrain. France Consulaire illustre cet équilibre, en permettant aux postes de se concentrer sur les activités à valeur ajoutée : visites aux détenus, renforcement de la lutte contre la fraude, ouverture de guichets supplémentaires, suivi des dossiers individuels, gestion des urgences.
Enfin, nous avons fait porter un effort important sur la qualité du service. Depuis janvier 2024, nous mesurons mensuellement la satisfaction des usagers via des enquêtes. Le questionnaire, qui porte sur la qualité de l'information, les délais de rendez-vous, la qualité de l'accueil et la satisfaction globale, est affiché, dans le cadre du programme Services Publics +, dans les salles d'accueil, disponible sur les sites et envoyé après chaque rendez-vous en consulat. Si nous avions reçu 10 000 réponses sur toute l'année 2023, nous en recevons désormais environ autant par mois.
Nous publions les résultats de nos enquêtes de satisfaction sur notre site et sur le Service Public, détaillés par poste pour tous les consulats recevant du public. Notre taux de satisfaction global atteint 90% en 2024, un niveau très élevé pour un service public. Les relevés d'avril confirment que nous maintenons ce niveau. Nous analysons ces données consulat par consulat pour identifier les problèmes éventuels, qu'il s'agisse d'une baisse de satisfaction ou d'un faible taux de réponse qui peut laisser penser que l'envoi automatique n'est pas activé, ou que la publicité autour du questionnaire est insuffisante.
À la fin 2024, nous avons engagé un partenariat avec le ministère de la fonction publique et la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) pour organiser des missions « excellence consulaire » dans les postes. L'objectif est de travailler sur l'organisation des processus, d'évaluer si le nombre de guichets ouverts correspond à la demande, de rationaliser. Si une meilleure organisation permet l'ouverture d'un guichet supplémentaire, nous le faisons ; mais nous pouvons également repérer les postes en souffrance lorsque, une fois réalisés tous les efforts de productivité, ils n'arrivent toujours pas à répondre à la demande - notamment dans les pays où la population française croît rapidement.
Notre priorité est de diffuser les bonnes pratiques dans l'ensemble du réseau, celles qui viennent de l'administration centrale, mais aussi de nos consulats, où il y a énormément d'intelligence et d'innovation, afin d'assurer un service public de qualité et de libérer du temps pour nos collègues dans les postes.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Merci de cette présentation claire, avec un déroulé très cohérent.
Mme Olivia Richard. - Je vous remercie pour cet exposé complet et convaincant. Je suis ravie que cette mission d'information nous permette d'en apprendre davantage sur ce service public innovant et unique offert aux Français de l'étranger.
Permettez-moi d'apporter une petite correction : le vote par internet existe depuis 2003, date de sa mise en place pour les conseillers de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) et non 2012, date à laquelle il a été autorisé pour les élections législatives. Concernant les élections, j'apprends avec enthousiasme que France Identité pourrait permettre aux électeurs votant par Internet de s'authentifier dès les prochaines échéances. Êtes-vous optimiste quant à cette mise en oeuvre rapide ?
J'ai évoqué la semaine dernière une dématérialisation bénéfique pour les Français à l'étranger, mais ce tableau peut sembler trop optimiste. Certains compatriotes, peu à l'aise avec les outils numériques ou ne disposant pas des moyens nécessaires, se sentent exclus. Quelle réponse l'administration consulaire apporte-t-elle à ces personnes ?
À la suite de l'audition de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, je m'interroge sur la pertinence de développer une structure similaire à France services pour accompagner nos ressortissants à l'occasion de leur retour en France, question particulièrement complexe. Je comprends la difficulté de réunir des compétences relevant d'autres administrations, mais le modèle des maisons France Services pourrait être inspirant pour créer un guichet unique, même dématérialisé, facilitant cette transition qui doit s'anticiper dès l'arrivée dans le pays d'accueil.
Mme Mathilde Ollivier. - Merci pour cette présentation, madame la directrice, et je félicite la mission d'information pour l'organisation de cet échange. Discuter des services consulaires aux Français de l'étranger est particulièrement pertinent dans le contexte de restauration de la confiance entre administrés et administrations, notamment grâce au caractère novateur de vos actions.
Je souhaite aborder trois points. D'abord concernant le vote par internet : une étude récente sur la participation démocratique des jeunes a montré que le vote en ligne était perçu comme le moyen le plus efficace d'encourager leur participation. Avez-vous, ou des chercheurs travaillant avec le ministère, étudié l'appétence spécifique des jeunes Français à l'étranger pour le vote en ligne par rapport à leurs aînés ? Cette question pourrait éclairer plus largement le débat sur le vote électronique en France.
Concernant l'état civil, vous avez évoqué sa dématérialisation. Pourriez-vous nous faire part de votre évaluation du processus de centralisation des démarches d'état civil, soit à Nantes, soit dans un poste pour certaines régions du monde ? Quelle est l'efficacité de ces dispositifs ?
Enfin, sur la qualité de l'accueil, les durées de rendez-vous pour les passeports varient de vingt à quarante minutes selon les postes. Comment évaluez-vous l'efficacité du service rendu selon ces durées, sachant que les Français profitent souvent de ces rendez-vous pour poser d'autres questions aux agents ?
Mme Mélanie Vogel. - En tant que sénatrice des Français de l'étranger, je veux vous dire le plaisir que nous avons à travailler avec vous, Mme la directrice, et à quel point nous apprécions votre engagement et votre réactivité sur tous les sujets que nous portons à votre attention.
Ma question concerne les certificats de nationalité française (CNF), parfois demandés aux personnes souhaitant renouveler leurs titres d'identité lorsque les postes ont un doute sur leur nationalité. Or les CNF ne sont pas un jugement. Ces certificats constituent une preuve légale de la nationalité, mais le fait qu'ils ne soient pas délivrés ne signifie pas nécessairement que les demandeurs ne sont pas français. Interrogé sur le sujet, le ministère a bien indiqué que la majorité des refus de délivrance sont liés à un défaut de pièces, ce qui n'implique pas forcément l'absence de nationalité française.
Pourtant, ces refus entraînent souvent des conséquences graves : radiation des listes électorales, refus de délivrance d'actes d'état civil, voire demande de restitution de titres. À la suite d'une jurisprudence du Conseil d'État établissant que l'administration n'a pas compétence liée pour exiger cette restitution en l'absence de CNF, et à la résolution adoptée par l'AFE, de nouvelles instructions ont-elles été données aux postes ? Dans certains endroits, comme au Mali, nous constatons toujours des demandes systématiques de CNF.
M. Olivier Cadic. - Merci pour votre présentation et les progrès réalisés. J'aimerais soulever un aspect qui n'apparaît pas clairement : l'assistance sociale fournies par les consulats, qui n'est pas reflétée dans les statistiques budgétaires. Disposez-vous d'une équipe qui comptabilise ces interventions ? Car un cas social requiert bien plus de temps qu'un simple renouvellement de titre. J'ai pu constater cet impact lors de ma visite au consulat de Barcelone.
Par ailleurs, concernant le volume d'activité, quel pourcentage représentent les services rendus aux touristes français par rapport aux résidents ? À Barcelone, il nous a été fait état de quatre à cinq vols de passeport quotidiens en période estivale.
Enfin, avec l'avènement de l'intelligence artificielle, envisagez-vous d'anticiper les besoins des usagers plutôt que d'attendre qu'ils se manifestent ? Actuellement, nous fonctionnons dans un système où l'usager doit toujours venir vers l'administration, ce qui crée des engorgements puisque les gens se manifestent souvent au dernier moment. Pourquoi ne pas anticiper proactivement les renouvellements de passeports ou d'inscriptions consulaires ?
Mme Marie-Lise Housseau. - J'ai l'impression que vous avez une longueur d'avance dans les dématérialisations et les démarches qualité. C'est la première fois que j'entends parler d'enquêtes de satisfaction dans l'administration - dans les mairies, nous n'en avons pas, alors que ce serait très utile. L'exemple du ministère des affaires étrangères est-il suivi ailleurs ? Peut-on espérer bénéficier en France de ce dont vous nous avez parlé, notamment des copies actes d'état civil électroniques - une demande de copie d'acte prend quinze jours actuellement -et de la dématérialisation pour la délivrance d'actes ? Les mesures que vous avez mises en place, qui semblent fonctionner même en phase expérimentale, pourraient-elles être déployées à l'échelle de la France entière ?
M. Ronan Le Gleut. - Juste une question pour faire le point sur la situation des permis de conduire : pertes, renouvellements et nouveau format pour les services à l'étranger.
Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l'étranger et de l'administration consulaire. -Madame Richard, l'authentification par identité numérique certifiée via le consulat est notre objectif pour 2026. C'est inscrit dans le nouveau marché signé avec le prestataire Voxaly Docaposte en août 2024. Cette solution sera bien sûr testée avant déploiement - au moins deux tests avant les élections, avec validation par un expert indépendant et par l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). La décision finale de déploiement sera sous ma responsabilité.
Cela nécessite d'avoir un volume suffisant d'identités numériques certifiées. Nous avons lancé ce service mi-mars, mais l'engouement n'est pas encore très important, nos compatriotes ne réalisant pas tous les avantages que cela apportera, notamment pour la procuration de vote dématérialisée. Aujourd'hui, une procuration doit se faire en personne au consulat, auprès d'un consul honoraire français ou lors de tournées consulaires, ce qui a représenté une charge considérable lors des européennes et législatives. Nous comptons sur vous pour expliquer à nos ressortissants l'importance de faire certifier leur identité dès maintenant.
Sur la dématérialisation, je dois reconnaître ses limites : le cadre réglementaire ne la permet pas toujours, et il existe des contraintes techniques. Notre population à l'étranger est en partie vieillissante, notamment dans certains pays où résident beaucoup de retraités - un public peu à l'aise avec les outils numériques, voire pour se déplacer physiquement. C'est pourquoi nos tournées consulaires restent essentielles : en 2024, nos postes en ont réalisé 874, soit 10% de plus qu'en 2023. Parfois, ces tournées vont jusqu'au domicile d'un ressortissant, comme ce Français handicapé résidant dans un île Grèce qui avait besoin d'une carte d'identité : elle lui a été délivrée par la consule générale à son domicile. Nous faisons le maximum pour nous adapter aux situations particulières.
Concernant le guichet unique pour le retour en France, le site service-public.fr s'est globalement amélioré avec les « moments de vie », incluant le retour de l'étranger et des menus déroulants d'information. La difficulté reste d'avoir un contact téléphonique ou mail avec une administration capable de répondre à une demande spécifique. Concernant l'idée d'une « maison France Services pour les Français de l'étranger », nous sommes ouverts à toutes les suggestions, même si cela dépasse les compétences de notre ministère.
Madame la sénatrice Ollivier, nous n'avons pas d'étude sociologique complète sur l'engouement pour le vote par internet, mais notre constat est qu'il est particulièrement fort dans les grandes capitales comme Berlin, Singapour ou Montréal. Notre intuition est que le vote par internet amène aux urnes des populations qui, bien que proches d'un bureau de vote, ne se déplaçaient pas habituellement. Entre 2012 et 2024, la participation à l'étranger est passée de 21% à 37%, suggérant que le vote en ligne ne se substitue pas simplement au vote à l'urne mais attire de nouveaux votants.
Sur l'état-civil, je laisserai Gaëlle Le Pape revenir sur les expériences de centralisation.
Pour l'accueil aux guichets, l'instruction récente que nous donnons aux consulats est de ne pas dépasser vingt minutes par rendez-vous pour l'enregistrement d'une demande de titre d'identité et l'inscription au registre. Avec l'introduction de la pré-demande en ligne et son rattachement à l'ANTS fin d'année, ce temps pourrait être réduit car les données auront déjà été saisies et vérifiées.
Concernant les certificats de nationalité française (CNF), nous avons envoyé de nouvelles instructions à nos postes en décembre 2024 pour ne demander aux usagers de solliciter un CNF qu'en dernier recours, notamment quand il existe déjà des éléments de possession d'état (carte d'identité ou passeport antérieur). Les demandes systématiques sont à éviter, sauf cas particuliers comme certaines naturalisations par mariage où la sous-direction de la nationalité du ministère de l'Intérieur a des exigences spécifiques.
Monsieur le sénateur Cadic, nous comptabilisons les visites à domicile pour l'aide sociale. Je n'ai pas le chiffre global sous les yeux, mais nous pourrons l'ajouter au questionnaire. Ces visites ont effectivement un fort impact, comme les tournées consulaires, puisqu'elles nécessitent une préparation et une absence du consulat. Pour les visites d'aide sociale à domicile, nous en comptons 642 en 2024 sur l'ensemble du réseau, et 1 688 pour les aides à la scolarité. Concernant le nombre de touristes assistés, je dois vérifier si nous disposons des statistiques. Ces besoins nous ont conduits ces dernières années à renforcer notre réseau consulaire, notamment avec la réouverture du consulat général à Séville et la création d'un consulat général à Athènes, qui permettent un meilleur accès aux autorités locales.
Pour l'intelligence artificielle, nous souhaiterions effectivement proposer des SMS automatiques informant les Français de l'expiration prochaine de leur passeport. Nous le faisons déjà pour le registre avec un mail de rappel avant l'échéance des cinq ans, mais pour les titres d'identité, cela nécessiterait une collaboration avec le ministère de l'Intérieur.
Madame la sénatrice Housseau, concernant l'extension des démarches qualité et des expériences de dématérialisation sur le territoire français, notamment en matière d'état civil, c'est aux élus nationaux d'impulser ce genre d'initiatives. Nous sommes à votre disposition pour venir expliquer notre méthodologie.
Sur le nouveau format des permis de conduire, je n'ai pas l'information.
Mme Gaëlle Le Pape, sous-directrice de l'état-civil et de la nationalité à la DFAE. - Différents dispositifs de centralisation existent dans les pays à réseau, notamment à Berlin, Washington, Los Angeles et Nantes. À Nantes, nous avons centralisé la transcription des actes d'état civil établis par des autorités locales pour trois zones géographiques. Le dispositif fonctionne depuis une quinzaine d'années pour la zone Maghreb, et même trente ans pour l'Algérie, avec des délais de traitement comparables à ceux observés lorsque l'activité était assurée en poste.
Depuis 2018, nous avons centralisé cette compétence pour cinq pays européens, mais avec moins de succès : les délais se sont allongés et le coût a augmenté pour l'usager qui doit envoyer ses dossiers à Nantes. Cet obstacle sera bientôt levé grâce à la dématérialisation complète de l'état civil prévue pour 2026, permettant aux usagers de faire des déclarations en ligne qui incrémenteront directement les futurs actes.
Concernant les CNF, nous avons envoyé en décembre 2024 de nouvelles instructions aux consulats pour qu'ils ne les demandent qu'en cas de doute sérieux sur la perte de nationalité, notamment par désuétude. Nos instructions précédentes étaient trop générales. Les demandes systématiques peuvent être liées aux procédures d'acquisition de nationalité par mariage (article 212 du code civil). Nous avons précisé dans notre note de décembre 2024 qu'il fallait nous signaler les demandes de CNF qui semblent injustifiées. Du côté du ministère de la Justice et du tribunal judiciaire de Paris, des démarches sont également entreprises pour réduire les refus dits techniques liés au défaut de pièces, notamment en renforçant le dialogue avec l'usager.
M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Je vous remercie, Mme Carmona, M. Penguilly et Mme Le Pape, pour vos éclairages.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 heures.