Mardi 13 mai 2025

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Audition de M. Thani Mohamed-Soilihi, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux

Mme Micheline Jacques, président. - Monsieur le Ministre, cher Thani, chers collègues, dans le cadre du rapport d'information sur la coopération et l'intégration régionale des outre-mer, nous avons l'honneur d'auditionner M. Thani Mohamed-Soilihi, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE), chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux.

Je tiens à exprimer l'émotion et le plaisir sincères qui nous animent en accueillant Thani, dont la présence parmi nous revêt une signification toute particulière. En effet, sa contribution passée aux travaux de notre délégation a laissé une empreinte durable par la pertinence de ses analyses, la rigueur de ses rapports et ses qualités humaines unanimement saluées.

Monsieur le Ministre, nous vous remercions chaleureusement pour votre précieuse participation à nos réflexions sur la coopération régionale. Cette thématique, retenue comme axe de travail prioritaire l'an dernier, a déjà fait l'objet d'un premier rapport consacré à l'océan Indien, brillamment conduit par le président Christian Cambon, aux côtés de nos collègues Georges Patient et Stéphane Demilly.

Comme vous le savez, la coopération régionale dans les outre-mer demeure malheureusement insuffisamment développée, alors même qu'elle constitue un levier majeur pour renforcer le rayonnement international de la France et soutenir le développement des territoires ultramarins. Dans cette perspective, notre délégation poursuit ses travaux en abordant à présent le bassin Atlantique, sous l'impulsion de nos deux rapporteures, Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion, et Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d'Oise, que je remercie vivement pour leur engagement.

Monsieur le Ministre, qui pourrait mieux que vous porter nos propositions ? Votre participation récente, aux côtés du Président de la République, au 5e sommet de la Commission de l'Océan Indien (COI) à Madagascar, représente un moment fort. Cette instance, qui rassemble les États insulaires du sud-ouest de l'océan Indien, constitue en effet un espace privilégié de coopération, et nous sommes ravis de pouvoir recueillir votre analyse de la situation actuelle et des perspectives à venir. À cet égard, nous accordons une attention singulière à la question de l'intégration de Mayotte, qui nous tient particulièrement à coeur et que nous avions déjà identifiée comme un enjeu prioritaire dans notre précédent rapport.

Notre audition s'inscrit également dans le prolongement d'un déplacement effectué en Guyane et au Suriname par nos rapporteures, qui ne manqueront pas de vous faire part de leurs observations.

Une interrogation récurrente mérite à nouveau d'être posée, et plus encore à vous, Monsieur le Ministre, qui portez désormais cette responsabilité au sein de l'exécutif : existe-t-il réellement une diplomatie française des outre-mer ?

Plus précisément, dans quelle mesure les intérêts spécifiques des collectivités ultramarines influencent-ils les orientations prises dans les relations de la France avec les pays riverains ? Quel rôle concret les outre-mer peuvent-ils jouer dans la définition et la conduite de la politique étrangère de la France à l'échelle régionale ? Enfin, en quoi la francophonie pourrait-elle constituer un levier stratégique pour servir cette ambition ?

Ces questionnements, parmi d'autres, permettront de structurer nos échanges, dont je présage qu'ils seront particulièrement fructueux. Conformément à nos usages, cette audition fait l'objet d'un enregistrement et d'une diffusion en direct sur le site du Sénat. À l'issue de votre propos liminaire, nos rapporteures vous adresseront leurs questions, suivies de nos collègues qui souhaiteront également vous interroger.

Vous avez la parole, Monsieur le Ministre.

Thani Mohamed-Soilihi, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et Affaires étrangères, chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux. -Madame le Président, chère Micheline, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, Chers collègues, chers amis, je tiens à vous témoigner ma profonde reconnaissance pour votre invitation à m'exprimer devant votre délégation. C'est avec une émotion sincère que je retrouve cette maison à laquelle je demeure très attaché, et dont j'ai eu l'honneur de partager les travaux sur de nombreux sujets relatifs aux outre-mer.

Permettez-moi de structurer mon propos autour de trois axes : les enjeux et perspectives de la coopération régionale ; les actions concrètes conduites dans les trois bassins océaniques ; et, enfin, quelques éléments de réponse aux propositions formulées dans votre rapport sur l'océan Indien.

Comme l'a rappelé le Président de la République en début d'année, l'insertion des outre-mer dans leur environnement régional constitue une priorité stratégique. Je salue à cet égard l'attention constante que votre délégation accorde à cette ambition essentielle.

Les outre-mer partagent avec leur voisinage des liens historiques, culturels et sociaux profonds. Il apparaît désormais nécessaire que cette proximité s'exprime davantage dans les échanges économiques. Il convient, en ce sens, de consolider la relation naturelle qu'entretiennent les territoires ultramarins avec leur environnement géographique immédiat, sans pour autant affaiblir les liens structurants qui les unissent à l'Hexagone.

Cette dynamique suppose un travail déterminé pour lever les obstacles entravant la circulation des biens et des services, fluidifier les échanges et créer un environnement propice à l'investissement privé. Cette orientation permettra également de renforcer la solidarité régionale et de mieux répondre à la problématique de la vie chère. L'amélioration de la connectivité aérienne et maritime s'impose par ailleurs comme un chantier prioritaire : tant que les territoires demeureront difficilement accessibles entre eux, toute ambition de coopération régionale restera stérile.

Dans cette perspective, j'ai souhaité consolider notre stratégie dite « Trois Océans », en m'appuyant sur des ambassadeurs de coopération régionale désignés pour chaque zone, en associant étroitement les représentants des collectivités territoriales aux travaux, notamment à travers les conférences de coopération régionale organisées chaque année. Je rappelle ici le fondement juridique posé par la loi d'orientation pour l'outre-mer du 13 décembre 2000, renforcée par la loi du 5 décembre 2016, qui a permis des avancées significatives, notamment dans les départements et régions d'outre-mer.

Les collectivités ultramarines peuvent et doivent devenir des vecteurs d'influence pour la France dans leurs zones respectives. À cet égard, le développement de la coopération décentralisée offre un levier encore trop peu exploité.

Je me suis rendu en février dernier à la Barbade et à la Martinique afin d'accompagner l'adhésion de cette dernière à la Communauté des Caraïbes (CARICOM). Cette avancée majeure devrait, je l'espère, être suivie par la Guadeloupe et la Guyane.

Nos priorités dans cette zone concernent la sécurité régionale, avec un accent mis sur la lutte contre les trafics, la criminalité transfrontalière, l'orpaillage illégal et les flux migratoires qui déstabilisent notamment Haïti.

L'action sanitaire figure également parmi nos priorités. Grâce au soutien de l'Agence française de développement (AFD) et à la Caribbean Public Health Agency (CARPHA), des réseaux de veille épidémiologique ont été mis en place, notamment pour répondre aux épisodes de dengue, de zika ou encore à la pandémie de Covid-19.

L'adaptation au changement climatique constitue un enjeu transversal : cyclones, séismes, montée des eaux, et prolifération des algues sargasses nécessitent une approche coordonnée. La préparation de la Conférence des Nations Unies sur l'Océan (UNOC 3), co-organisée par la France et le Costa Rica à Nice, ainsi que le Forum mondial des îles que je présiderai s'inscrivent dans cette dynamique.

La France intervient également en matière de sécurité civile, en mobilisant des moyens en soutien aux États voisins, comme lors de l'éruption de la Soufrière à Saint-Vincent ou du cyclone Irma. Cette solidarité renforce notre présence dans un espace marqué par une forte concurrence d'influences - latino-américaine, nord-américaine, caribéenne, chinoise, africaine et orientale.

Enfin, les partenariats universitaires et scientifiques, tels que ceux avec l'Université des Antilles, le Campus caribéen des arts, la Caribbean Maritime University ou encore Sciences Po, favorisent les échanges académiques et la recherche appliquée, et participent au rayonnement de la francophonie dans la région.

Le bassin Pacifique revêt une importance stratégique pour la France, qui y compte 600 000 ressortissants et des zones économiques exclusives (ZEE) calédoniennes, polynésiennes et wallisiennes couvrant les deux tiers de sa ZEE nationale.

Les forces armées stationnées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie contribuent à la stabilité régionale et aux interventions humanitaires en cas de catastrophe naturelle. Lors d'un déplacement à Perth, j'ai réuni les ambassadeurs de la région ainsi que les élus locaux pour faire un point de situation sur les perspectives de coopération. Nous poursuivons notre engagement dans les principales organisations régionales : la Communauté du Pacifique, le Forum des îles du Pacifique, le Programme régional océanien pour l'environnement, et l'Association des États riverains de l'océan Indien (Indian Ocean Rim Association - IORA), dans le cadre de notre stratégie pour l'Indo-Pacifique. J'ai veillé à ce que nos collectivités soient pleinement associées à la révision en cours de cette stratégie.

Nous soutenons également des projets d'amélioration de la connectivité, qu'elle soit aérienne, maritime ou numérique. Le programme régional de mobilité lancé en 2024 favorise par ailleurs les échanges académiques et scientifiques entre les États insulaires du Pacifique et les collectivités françaises.

Nous entendons structurer et consolider cette dynamique prometteuse.

La région de l'océan Indien constitue un espace éminemment stratégique, tant par sa démographie - plus d'un million de ressortissants français y résident - que par son rôle dans les échanges mondiaux : un tiers du commerce mondial d'hydrocarbures y transite, et le canal du Mozambique a vu son trafic croître de 50 % en lien avec la crise sécuritaire en mer Rouge.

L'intégration de Mayotte à la COI constitue une priorité de notre diplomatie régionale. Ce point a été réaffirmé par le Président de la République et par moi-même lors du dernier Sommet des chefs d'État à Madagascar. Si les résistances demeurent vives du côté comorien, nous sommes déterminés à poursuivre le dialogue, et je me tiens prêt à me rendre à Moroni pour avancer sur ce dossier.

La France s'engage avec fierté au sein de la COI pour faire face aux problématiques régionales : pollutions marines, trafic de drogue, pêche illégale ou sauvetage maritime. Notre pays contribue activement à la sécurité maritime dans cette zone, notamment à travers une architecture régionale structurée autour de deux centres dédiés à la fusion des informations et à la coordination opérationnelle. La Réunion joue un rôle moteur à cet égard, et le projet de création de l'Académie de l'océan Indien, annoncé par le Président de la République, renforcera encore notre capacité à faire face aux défis sécuritaires communs.

Sur le plan agricole, des initiatives avec Madagascar visent à structurer un espace d'échanges agroalimentaires au sein de la COI. Le programme Varuna, soutenu par l'AFD, accompagne la préservation de la biodiversité et du parc naturel marin.

Nous soutenons également des coopérations bilatérales, notamment avec le Kenya, où un accord a été conclu entre la Chambre de commerce et d'industrie du Kenya et l'ADIM de Mayotte. Je m'y rendrai prochainement avec une délégation d'entreprises kenyanes. Par ailleurs, je soutiens pleinement le programme Interreg porté par le conseil départemental de Mayotte, axé sur le canal du Mozambique.

Je souhaite saluer la qualité du rapport produit par votre délégation, dont l'approche méthodique et pragmatique alimente utilement les politiques publiques. Je ne saurais prétendre à l'exhaustivité, au regard du travail minutieux que vous avez mené. Néanmoins, permettez-moi d'y apporter quelques éléments de réponse en trois volets : la structure administrative du MEAE, les orientations de politique étrangère, et la mobilisation européenne.

Je souscris pleinement à l'objectif d'un renforcement du dispositif de coopération régionale de l'océan Indien. Nous avons créé un poste de conseiller politique dédié à la coopération régionale, qui prendra prochainement ses fonctions à Maurice. Par ailleurs, les postes de conseillers diplomatiques des préfets sont aujourd'hui pourvus dans les trois bassins. Une convention signée en avril avec le conseil départemental de Mayotte permettra d'affecter des agents départementaux dans nos ambassades, selon un modèle déjà en place pour les collectivités françaises d'Amérique.

La plateforme de coopération régionale de la France dans l'océan Indien (PCFOI) a été réactivée, avec des réunions en mars et en juin. Cette instance constitue un pilier essentiel de notre politique de coopération régionale.

Soyez assurés de notre attachement à associer systématiquement les élus mahorais aux démarches diplomatiques. Le président du conseil départemental de Mayotte, Ben Issa Ousseni, a ainsi participé au Sommet de la COI. Cette dynamique représente une priorité de notre stratégie. Concernant votre proposition d'une meilleure intégration de Mayotte dans son environnement économique, nous avons engagé une stratégie commerciale régionale en ce sens, avec une finalisation prévue cet été.

En matière migratoire, le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte prévoit des mesures concrètes, tandis qu'un dialogue étroit s'organise avec les Comores pour lutter contre les départs irréguliers.

Quant au croisement des lignes budgétaires entre l'aide au développement et les crédits ultramarins, il constitue une nécessité. Nous travaillons activement avec le ministère des Outre-mer en ce sens.

Nous enregistrons toutefois un point de divergence, mineur mais réel, s'agissant de la représentation française au sein de la COI. Le rôle de La Réunion dans ce cadre s'avère central, et nous lui réservons une attention particulière. Toutefois, la représentation nationale au sein de cette instance ne saurait être déléguée exclusivement aux collectivités réunionnaises. Confier un mandat permanent de représentation à La Réunion contredirait l'objectif poursuivi d'associer pleinement Mayotte à l'ensemble des programmes de cette organisation.

Une représentation portée par l'État garantirait ainsi un équilibre entre nos deux territoires, chacune pleinement légitime dans cette enceinte. Par ailleurs, nombre de thématiques traitées relèvent de compétences régaliennes, et ne peuvent dès lors être assumées par les seules collectivités territoriales.

Je ne doute pas du succès d'une telle complémentarité entre l'État et les collectivités.

Plusieurs des recommandations formulées par votre délégation appellent une mobilisation accrue au niveau européen. Nous partageons la même analyse quant à la position stratégique des territoires ultramarins : ils constituent, à bien des égards, des avant-postes de l'Union européenne dans leurs bassins géographiques respectifs. Il nous revient ainsi d'exploiter cet atout structurel et de veiller à ce que les outre-mer en tirent tous les bénéfices.

S'agissant de votre proposition relative à l'élaboration d'une politique européenne de voisinage spécifiquement conçue pour les régions ultrapériphériques (RUP), il me semble que les fondations en sont d'ores et déjà posées, à travers les dispositifs d'adaptation existants, notamment les programmes Interreg. Toutefois, je partage votre conviction : il s'agit là d'un point de départ, et non d'un aboutissement. Des instruments analogues à la politique de voisinage appliquée aux frontières continentales de l'Union pourraient en effet être envisagés, afin de renforcer l'intégration régionale des territoires ultramarins.

Nos partenaires européens, souvent moins exposés à ces enjeux, doivent être sensibilisés avec constance. Cette pédagogie diplomatique constitue un impératif, et je m'y emploie systématiquement lors de chaque séquence de travail européenne. À cet égard, il semblerait opportun que votre délégation présente les conclusions de ce rapport devant le Parlement européen. Je crois savoir que cette démarche est déjà engagée - preuve, s'il en fallait, de la parfaite convergence de nos intentions.

Par ailleurs, vous soulignez avec justesse les contraintes juridiques et réglementaires qui freinent la coopération régionale, en particulier en matière d'approvisionnement et de gestion des déchets. Le Président de la République a d'ailleurs mis en lumière ces difficultés lors de son déplacement d'avril dernier. La France continuera de défendre, dans le respect des traités européens, une évolution du cadre réglementaire permettant une meilleure prise en compte des spécificités ultramarines, afin d'améliorer concrètement les conditions de vie et le pouvoir d'achat de nos compatriotes, sans jamais compromettre les exigences en matière de santé publique.

Madame la Présidente, j'espère avoir exposé de manière claire les grandes lignes de notre action en matière de coopération régionale, ainsi que les principales réponses aux propositions émises par votre délégation au sujet de la zone océan Indien. Je souhaite remercier à nouveau l'ensemble des contributeurs pour la qualité du travail accompli.

Vous pouvez compter sur mon engagement pour prolonger et mettre en oeuvre les orientations que nous partageons. À cet effet, j'ai d'ailleurs procédé à la désignation, au sein de mon ministère, d'une conseillère spécifiquement chargée du suivi de la coopération régionale.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Monsieur le Ministre, pour ces annonces porteuses d'espoir.

La délégation a récemment déposé une proposition de résolution européenne visant à élargir le cadre législatif applicable aux RUP, notamment sur les volets alimentation, énergie et traitement des déchets, qui constituent des enjeux fondamentaux pour nos territoires. Dans cette perspective, nous nous rendrons à Bruxelles le 22 mai, en partenariat avec la commission des affaires européennes du Sénat, dans le cadre d'une mission conduite avec le président Jean-François Rapin. Le programme prévoit, entre autres, un entretien avec M. Younous Omarjee, vice-président du Parlement européen.

Je vous remercie, Monsieur le Ministre, pour le soutien que vous nous témoignez dans cette démarche.

Je cède à présent la parole à nos rapporteures.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Monsieur le Ministre, je suis très heureuse d'échanger avec vous aujourd'hui.

Notre récente visite en Guyane et au Suriname a mis en évidence les défis majeurs auxquels ce territoire est confronté : orpaillage illégal, trafics, pêche illicite -- cette dernière constituant également un véritable fléau.

Sans une diplomatie structurée, nos marges de manoeuvre demeureront limitées. De surcroît, malgré les difficultés, il convient impérativement d'instaurer un dialogue avec la Chine, particulièrement installée dans la région. Les élus locaux, en première ligne, ne peuvent être laissés seuls face à ces enjeux de sécurité et de développement. Leur implication dans l'action diplomatique paraît indispensable.

Notre mission nous a également permis de rencontrer le Président du Suriname, qui attend beaucoup de la France pour accompagner son développement. Cependant, une relation de confiance suppose un engagement réciproque. Or, un accord frontalier, signé par la France, reste à ce jour non ratifié par le Suriname. Ce point mérite une attention particulière, car ces tensions affectent non seulement la Guyane, mais également la Guadeloupe et la Martinique.

Ainsi, ne conviendrait-il pas de renforcer notre action diplomatique dans la région, en y associant étroitement les élus locaux, souvent démunis face à des enjeux d'envergure ?

Par ailleurs, l'Union européenne continue d'imposer un cadre uniforme, inadapté à la réalité des territoires ultramarins. En Guyane, par exemple, l'interdiction d'importer du boeuf brésilien - pourtant traditionnellement consommé - encourage le développement de circuits illégaux.

Il apparaît désormais indispensable que l'Union européenne reconnaisse pleinement la spécificité de ces territoires et adapte ses règles en conséquence. La France, seule à disposer d'une telle présence dans plusieurs bassins océaniques, doit porter cette exigence au niveau européen.

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteur. - Monsieur le Ministre, je vous remercie pour la clarté de votre intervention.

Vous avez rappelé à juste titre que la coopération régionale repose à la fois sur des enjeux sécuritaires et sur la qualité des relations de voisinage avec les États riverains. À ce titre, je souhaiterais vous interroger sur un levier important de cette coopération : la langue. En effet, la francophonie joue un rôle structurant dans l'intégration régionale, comme l'illustrent, par exemple, les cours de français développés au Suriname.

Pourrions-nous envisager, en retour, de favoriser dans les outre-mer l'apprentissage des langues régionales, notamment le portugais - langue du Brésil, frontalier de la Guyane, mais aussi du Mozambique, proche de Mayotte et de La Réunion ?

Le développement de programmes d'échanges, inspirés du modèle Erasmus, dans les bassins géographiques des outre-mer, mériterait d'être étudié.

Je souhaiterais également évoquer le sujet de la coopération sanitaire. La Guyane et l'Amapá au Brésil font face à des défis communs en matière de santé publique. Les épisodes épidémiques à La Réunion et à Mayotte rappellent l'ampleur de ces enjeux, qu'il s'agisse de maladies infectieuses, de prévention ou de vaccination. Des initiatives telles que la Semaine de la santé, relancée en 2024 par l'ARS de Guyane, s'inscrivent dans une dynamique vertueuse, d'autant plus que le changement climatique favorise l'expansion de virus dans des zones jusqu'alors peu exposées.

Pourrions-nous, en matière de santé publique, également aller plus loin dans la structuration d'une coopération régionale durable et ambitieuse ?

M. Thani Mohamed-Soilihi. - Je vous remercie, Mesdames les rapporteures.

Nous avons mis en place une coopération diversifiée avec le Suriname, afin d'apporter une réponse coordonnée aux différentes problématiques transfrontalières, auxquelles j'ajouterais la lutte contre les narcotrafics. Or, l'absence de ratification d'un protocole par le parlement surinamais constitue un obstacle majeur à toute négociation substantielle. Nous appelons à cette ratification avec insistance, sans toutefois tomber dans l'ingérence.

Je partage pleinement votre constat selon lequel nos territoires ultramarins constituent de véritables fers de lance diplomatiques, et nous devons intensifier les relations entre ceux-ci et leurs voisins. Des initiatives existent déjà, comme les programmes Interreg, qu'il convient désormais de développer. Les visites de terrain que vous effectuez, ainsi que les événements internationaux comme la prochaine Conférence des Nations Unies sur l'Océan, représentent autant d'occasions de renforcer cette dynamique. Nous y travaillons activement.

À cet égard, je propose que des membres de votre délégation puissent m'accompagner lors de déplacements liés à ces thématiques, afin de porter ensemble ces enjeux sur le terrain.

S'agissant des règles européennes, le traité permet de faire valoir certaines exceptions. Ce travail, engagé ici depuis de nombreuses années, notamment à l'initiative du sénateur Michel Magras, se poursuit. Naturellement, toutes les contributions visant à lever les obstacles normatifs, tout en assurant la protection de nos concitoyens, recevront notre plein soutien.

L'apprentissage du français relève principalement du ministère de l'Éducation nationale, mais il s'agit effectivement d'un sujet fondamental dans le cadre de la francophonie. Celle-ci ne se limite pas à une langue ; elle véhicule également des valeurs, au rang desquelles figure le multilinguisme, que nous encourageons vivement. L'exemple du portugais semble particulièrement pertinent, compte tenu de notre environnement caribéen et de la proximité du Mozambique. Nous devrions effectivement promouvoir et encourager son apprentissage.

Parmi les initiatives récentes, je souligne la création prochaine du Collège international de la langue française à Villers-Cotterêts, destiné à former des professionnels dans les domaines de l'enseignement et de l'interprétariat. Par ailleurs, une intelligence artificielle dédiée à la langue française, issue des engagements du dernier sommet sur l'IA, permettra d'améliorer les outils de traduction vers et depuis le français, et d'apporter ainsi une innovation au service du multilinguisme. J'en profite pour réaffirmer notre attachement à la valorisation des langues régionales, notamment le créole, le shimaoré ou le kibushi. Ces sujets demeurent au coeur de nos préoccupations.

Sur l'aspect sanitaire, nous disposons d'opérateurs reconnus tels que l'AFD, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), ou l'Institut Pasteur, dont l'expertise nous permet de mener des actions efficaces. Toutefois, je souhaite ici exprimer une vigilance particulière : la politique de développement, dont ces actions relèvent, fait l'objet de fortes contraintes budgétaires. Le récent vote du Parlement a réduit sensiblement ses moyens, et je me permets d'en alerter collectivement cette assemblée. Cette politique, portée historiquement par l'AFD depuis sa création par le général de Gaulle, demeure essentielle pour anticiper les crises, notamment sanitaires. La pandémie de Covid-19 a rappelé à quel point la capacité à prévenir et à agir en amont conditionne notre sécurité collective. Si demain une nouvelle épidémie survenait, amoindrir notre action en matière de développement reviendrait à affaiblir notre propre protection.

De ce fait, nous travaillons actuellement à l'affinement de cette politique stratégique afin qu'elle soit résolument orientée dans l'intérêt des Français.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur le Ministre, je m'exprime ici à la fois comme sénateur et rapporteur pour la commission d'évaluation de l'aide publique au développement.

Je partage pleinement votre alerte sur ce budget, qui a été l'un des plus touchés par les restrictions l'an dernier. Alors que nous préparons le budget 2026, avec un besoin de 40 milliards d'euros, il faudra nous mobiliser pour éviter une nouvelle réduction. Cela dit, l'efficacité de chaque euro engagé doit rester une exigence. En effet, si l'AFD demeure un opérateur essentiel, il convient de rester collectivement attentifs à son action.

Je souhaite revenir sur une préoccupation majeure de notre délégation : l'implication des outre-mer dans la diplomatie française. Cette question, soulevée depuis le lancement de nos travaux, appelle des orientations claires, des décisions fortes et des moyens adaptés. Nous sommes, au sein de l'Union européenne, le seul État membre à disposer d'une telle présence outre-mer.

Comment l'intégrons-nous réellement dans notre diplomatie ?

Dans mes fonctions passées de président de la commission des affaires étrangères, puis aujourd'hui comme envoyé spécial du Président du Sénat pour les relations internationales, j'ai régulièrement entendu nos partenaires régionaux exprimer une attente forte, en réclamant des relations plus étroites, plus concrètes, et davantage de décisions communes avec la France. À cet égard, je tiens à attirer l'attention de la délégation sur les tentatives de déstabilisation visant certains territoires ultramarins, notamment Mayotte ou la Nouvelle-Calédonie. J'ai pu constater sur place que nos moyens militaires y demeurent modestes au regard des enjeux.

S'agissant de la diplomatie, ne serait-il pas pertinent de créer une direction de la coopération régionale des outre-mer, capable de coordonner les trois ambassadeurs délégués et de renforcer l'action du ministère ?

Enfin, quel bilan dressez-vous de notre participation aux organisations régionales telles que l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO), l'Association des États de la Caraïbe (AEC) ou la CARICOM ? Il importe d'y faire valoir les intérêts de nos territoires, notamment face à des partenaires qui, eux-mêmes, peinent à reconnaître pleinement leur rôle diplomatique autonome.

Quel diagnostic portez-vous sur les moyens actuels de la diplomatie française pour répondre aux attentes des outre-mer en matière de sécurité, d'approvisionnement, de santé publique ou de développement économique ? Chacun se souvient de l'intervention du sénateur Georges Patient, soulignant que la Guyane se voit contrainte de s'approvisionner en pétrole en Norvège, alors qu'elle pourrait, pour des raisons de proximité et d'efficacité, développer des partenariats avec des fournisseurs régionaux comme le Venezuela.

Comment pouvons-nous, en tant que parlementaires, vous aider à obtenir les moyens nécessaires pour renforcer cette diplomatie ?

Je me réjouis de vous savoir au sein du MEAE, tout en demeurant conscient de l'ampleur du travail à accomplir. Nous sommes prêts à vous accompagner dans cette direction.

Mme Lana Tetuanui. - Je suis ravie de retrouver notre ancien collègue, dont l'engagement en Polynésie française, notamment sur la question du foncier, a marqué les esprits.

La diplomatie française dans le bassin Pacifique demeure insuffisamment structurée. Alors que l'attention internationale se tourne massivement vers l'Ouest, les fragilités pourraient bien surgir à l'Est. L'influence croissante de la Chine, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, ainsi que celle de plusieurs petits États insulaires, interroge la capacité de la France à s'affirmer autour de ses trois « vaisseaux amiraux » que sont Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Sur ce plan, il faut le dire clairement : la diplomatie française pèche par son manque de présence.

Par ailleurs, je souhaite insister sur les programmes d'échanges universitaires. Pourquoi nos jeunes Polynésiens devraient-ils systématiquement venir en Europe pour bénéficier d'un programme de type Erasmus, alors que des opportunités existent dans notre environnement immédiat, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou dans les États voisins ? Ces destinations sont culturellement plus proches, les liens sont anciens, les coûts bien moindres, et les perspectives d'intégration régionale bien plus cohérentes.

Enfin, la stratégie dite « Indo-Pacifique » suscite, sur le terrain, une forme d'incompréhension. Nous en entendons parler régulièrement, mais les déclinaisons concrètes peinent à se matérialiser. Les élus locaux doivent être impérativement associés aux programmations concernées.

Ce soir, les trois entités françaises du Pacifique sont représentées dans cette salle. J'y vois un signal fort et une opportunité que nous devons saisir collectivement.

M. Thani Mohamed-Soilihi. - La meilleure implication de nos territoires dans la diplomatie constitue effectivement un enjeu central. Vous soulignez la nécessité de mieux associer les élus : c'est une démarche que je m'efforce de mettre en oeuvre au quotidien. Dans quelque temps, nous pourrons tirer pleinement les enseignements de mes premiers mois de fonction et formuler des propositions structurées. L'adhésion de la Martinique à la CARICOM, par exemple, constitue l'aboutissement d'un processus engagé depuis les années 2000, renforcé par la loi dite « Letchimy ». J'espère que la Guadeloupe et la Guyane pourront suivre cette voie, qui permet aux exécutifs locaux de dialoguer plus directement avec leur environnement régional.

J'ai moi-même constaté la qualité des relations entre La Réunion et l'île Maurice. Il s'agit d'un exemple de coopération concrète qu'il importe d'améliorer et de valoriser. Notre objectif doit être clair : favoriser l'adhésion des outre-mer aux organisations régionales, dans le cadre d'une stratégie de bassins portée par le ministère des Outre-mer et articulée avec notre politique de développement. Le rythme d'avancement peut sembler insuffisant, mais la dynamique engagée est réelle et porte déjà ses premiers résultats.

Nous disposons, avec nos outre-mer, de joyaux stratégiques que nos compétiteurs ont parfaitement identifiés. Aussi, certains cherchent à les fragiliser, à travers des campagnes de désinformation ou des stratégies de déstabilisation dans chacun des bassins océaniques.

Je vous informerai à l'avance de mes prochains déplacements, afin que nous puissions conjuguer nos efforts. Car, au-delà du langage diplomatique, la voix des élus, votre légitimité et votre liberté de ton représentent des atouts essentiels. Nous avons besoin de cette complémentarité.

Mme Annick Petrus- Monsieur le Ministre, je souhaite attirer votre attention sur le territoire de Saint-Martin, que j'ai l'honneur de représenter au Sénat. Cette île singulière, partagée entre deux États, dispose d'un potentiel régional important qu'il convient aujourd'hui de consolider.

Le 19 mars dernier, notre collectivité a rejoint l'OECO en tant que membre associé, devenant ainsi le troisième territoire français ultramarin à y adhérer, après la Martinique et la Guadeloupe. Cette adhésion historique marque une volonté forte de renforcer notre insertion dans l'espace caribéen, autour de coopérations accrues dans les domaines sanitaire, économique, culturel et éducatif.

Par ailleurs, depuis le 4 janvier 2025, un projet structurant s'engage dans le cadre du programme Interreg Caraïbes 2021-2027, soutenu par les fonds européens de développement régional. Cette initiative répond aux ambitions de la Commission européenne à l'égard des RUP dans sa communication du 24 octobre 2017 appelant à un partenariat renforcé par la coopération régionale. Saint-Martin vise ainsi à bâtir une stratégie commune de développement avec Sint Maarten autour de problématiques partagées : mobilité, santé, sécurité, économie, environnement. Le radar météorologique commun, inauguré en 2024, constitue un exemple emblématique de cofinancement par l'Union européenne, la Collectivité de Saint-Martin et le gouvernement de Sint Maarten.

En avril 2024, Saint-Martin a également accueilli la 17e Conférence de coopération régionale Antilles-Guyane, organisée pour la première fois sur notre territoire. Présidée par la ministre déléguée des Outre-mer de l'époque, cette rencontre a réuni élus, diplomates et acteurs économiques autour de quatre thématiques clés : intégration régionale, sécurité globale, exportations, échanges culturels et linguistiques. Cet événement confirme le rôle croissant que Saint-Martin peut jouer en tant que plateforme régionale d'échange, de dialogue et de convergence, dans une logique d'intégration renforcée en lien avec les grandes organisations caraïbéennes - l'AEC, l'OECO et le Cariforum.

Enfin, le président de la collectivité, Louis Mussington, a participé à la 19e Conférence des Présidents des RUP à La Réunion. Cette rencontre a permis de réaffirmer une position commune des RUP au sein de l'Union européenne et de rappeler l'importance d'intégrer pleinement leur dimension géopolitique dans la diplomatie française, notamment dans un contexte mondial incertain où solidarité et action collective s'avèrent plus que jamais nécessaires.

Monsieur le Ministre, à travers ces trois niveaux d'engagement - régional, transfrontalier et européen - Saint-Martin affirme sa volonté d'être pleinement actrice de son avenir. Dans cette perspective, le soutien de l'État apparaît indispensable. Je souhaiterais, à ce titre, vous poser trois séries de questions :

S'agissant de l'adhésion à l'OECO, quels moyens la France envisage-t-elle de mobiliser pour accompagner ses collectivités ultramarines dans le renforcement de leur intégration régionale dans la Caraïbe ?

Existe-t-il, entre la France et les Pays-Bas, des mécanismes bilatéraux ou multilatéraux permettant de soutenir concrètement les projets portés localement sur cette île partagée ?  Quel rôle votre ministère peut-il jouer pour appuyer cette diplomatie de proximité ?

Enfin, comment votre ministère collabore-t-il avec les institutions européennes pour défendre les intérêts des RUP dans leur environnement régional ? Selon vous, cette dimension géographique est-elle aujourd'hui suffisamment prise en compte dans la diplomatie française ?

Monsieur le Ministre, pour Saint-Martin comme pour l'ensemble de la Caraïbe, la coopération régionale incarne une promesse d'avenir. Notre ambition est claire : renforcer notre ancrage, intensifier nos échanges, et garantir une intégration harmonieuse dans cet espace stratégique.

Avec votre soutien, cette ambition peut devenir une réalité concrète et porteuse d'espoir pour nos territoires.

Mme Viviane Artigalas. - Les Alliances françaises font aujourd'hui face à une concurrence accrue, notamment de la part de la Chine, qui déploie une stratégie active de soft power en promouvant sa langue et sa culture à travers les Instituts Confucius. Cette dynamique s'inscrit dans une volonté d'expansion de son influence culturelle à l'échelle mondiale. Malgré ces pressions, le réseau des Alliances françaises a su faire preuve d'une remarquable capacité d'adaptation, en particulier lors de la crise sanitaire de 2020. L'accélération de sa transition numérique a permis d'assurer la continuité des cours et des activités culturelles à distance, préservant ainsi sa mission fondamentale.

Ce réseau culturel et diplomatique constitue un levier stratégique pour maintenir et renforcer l'influence française, notamment dans les pays limitrophes de nos territoires ultramarins. Or, le contexte international représente un moment charnière.

Quelle stratégie le Gouvernement entend-il déployer pour assurer la préservation et le renforcement des Alliances françaises ?

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Monsieur le Ministre, j'aimerais à mon tour évoquer la situation spécifique de la Guyane.

Quelle place cette dernière occupe-t-elle dans la stratégie française de coopération régionale dans le bassin Atlantique, en particulier dans ses relations avec le Brésil et le Suriname ?

La Guyane cherche depuis de nombreuses années à diversifier et à intensifier ses échanges économiques avec ces pays frontaliers, notamment le Brésil. En tant que ministre chargé des partenariats internationaux, quelles actions concrètes envisagez-vous pour accompagner ce territoire - unique département français en Amérique du Sud - dans son intégration régionale ?

Enfin, je participerai prochainement à une nouvelle réunion de la Commission transfrontalière à Cayenne. À ce titre, envisagez-vous une évolution du rôle des élus guyanais au sein des instances de coopération bilatérale ?

M. Thani Mohamed-Soilihi. - Vous avez rappelé à juste titre les trois niveaux de coopération auxquels Saint-Martin est désormais associée. La politique visant à améliorer l'insertion dans le bassin régional tend précisément à conférer des marges de manoeuvre plus directes aux collectivités vis-à-vis de leur environnement régional. Dès lors, une éventuelle intervention de l'État devra impérativement reposer sur une approche concertée. Si la délégation sollicite effectivement une contribution étatique plus importante, nous veillerons à nous appuyer sur les propositions émanant directement de la collectivité de Saint-Martin. Les mécanismes bilatéraux existants posent nécessairement l'enjeu de leur coordination, imposant un dialogue renforcé entre l'État et la collectivité. Concernant les relations spécifiques avec les Pays-Bas, je n'ai pas à ce stade d'éléments précis à vous apporter, mais je m'engage à revenir vers vous avec des informations complètes sur ce point.

Ensuite, je confirme que la promotion de la francophonie constitue l'une de nos priorités. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'Organisation Internationale de la Francophonie et nos partenaires bilatéraux à l'étranger. Les Alliances françaises jouent un rôle central dans cette stratégie. Avec plus de 800 implantations dans le monde, elles forment le coeur battant de notre diplomatie culturelle, bien que le MEAE n'exerce pas de compétence directe sur ces structures. Je porterai ce sujet à l'attention des services concernés et vous tiendrai informés des développements.

Enfin, la Guyane occupe une place essentielle dans notre stratégie de coopération régionale dans cette zone géographique. La frontière qu'elle partage avec le Brésil et le Suriname représente une plateforme d'échanges quotidiens, marquée par une forte mobilité des populations. Cette situation justifie une coopération dense et multithématique : migrations, sécurité, santé, culture, éducation, populations autochtones, agriculture, etc.

Des structures spécifiques, comme les Conseils du fleuve Maroni et Oyapock, permettent d'intégrer les spécificités locales, tout comme les Commissions mixtes transfrontalières (CMT). Après une suspension liée à la pandémie, les réunions annuelles de la CMT franco-brésilienne ont repris depuis 2024. Nous avons également renforcé notre présence au Suriname, avec l'arrivée d'un attaché de sécurité intérieure et la création en cours d'une commission de gestion commune des bassins hydriques du Maroni et de l'Oyapock. La CMT franco-brésilienne, créée en 1996, demeure l'outil principal de coopération dans cette région. Elle permet aux acteurs locaux de faire remonter leurs besoins et de proposer des solutions concrètes. Nous continuerons à la soutenir activement.

Pour accompagner l'intégration régionale de la Guyane, une procédure d'adhésion à la CARICOM a été lancée en partenariat avec l'État. Forts de l'expérience martiniquaise, nous sommes déterminés à accélérer cette dynamique. L'ambassadeur prépare actuellement la 18e Conférence de coopération régionale Antilles-Guyane, prévue au second semestre 2025 en Martinique. Elle permettra de faire le point sur les priorités identifiées précédemment : sécurité, environnement, diplomatie territoriale, économie et échanges culturels. Ces travaux compléteront les coopérations transfrontalières déjà en place, notamment avec le Suriname et le Brésil.

En outre, nous associons étroitement les élus en amont de la CMT, comme ce fut le cas lors de la réunion préparatoire du 11 mars dernier avec la Collectivité territoriale de Guyane. Une évolution formelle de leur rôle nécessiterait une révision de l'accord intergouvernemental du 28 mai 1996. Je n'y suis pas opposé, mais cette démarche suppose l'accord des autorités brésiliennes. En attendant, nous pouvons et devons continuer à impliquer pleinement les élus dans la préparation des travaux.

Je me tiens à votre disposition pour poursuivre ces échanges en amont des prochaines échéances régionales. Mon ministère reste ouvert et mobilisé sur l'ensemble de ces sujets.

Mme Audrey Bélim. - Monsieur le Ministre, je souhaiterais profiter de votre récente participation au déplacement dans l'océan Indien aux côtés du Président de la République pour vous interroger plus précisément sur le bilan que vous tirez de ce Sommet de la COI, ainsi que sur les projets concrets de coopération qui en découlent.

Depuis plusieurs années, nous évoquons l'opportunité d'un véritable projet de coopération alimentaire et agricole dans la zone, visant à confier à Madagascar un rôle structurant - celui de « grenier régional », pour reprendre l'expression consacrée - en matière de production rizicole. Sa superficie agricole permettrait en effet de couvrir une part significative des besoins en riz de La Réunion, de Mayotte et de Maurice, que nos propres territoires ne peuvent satisfaire. Un tel projet, économiquement et écologiquement cohérent, renforcerait nos approvisionnements intrarégionaux.

Quelles perspectives concrètes identifiez-vous à ce sujet ?

Je souhaite également rappeler l'urgence de voir disparaître les structures de domination anciennes et de traduire nos ambitions régionales en actions concrètes : en matière de solidarité, de protection de l'environnement, mais aussi de coopération opérationnelle. Face aux défis sanitaires ou climatiques - lutte contre les épidémies, prévention des risques cycloniques -, une intégration régionale plus aboutie devient indispensable. Or, à ce jour, Mayotte ne figure toujours pas parmi les membres de la COI.

Quelles avancées ont été réalisées récemment dans les négociations pour permettre son adhésion pleine et entière ?

Enfin, je me permets de revenir sur un point que nous avons déjà évoqué ensemble : la signature, après plus de 60 ans, de l'extension de la Charte sociale européenne aux territoires ultramarins.

Dans quel délai l'ajout des outre-mer pourrait-il se concrétiser ?

M. Frédéric Buval. - Monsieur le Ministre, comme l'ensemble de mes collègues, je me réjouis sincèrement de vous revoir au sein de notre délégation.

Je souhaite aujourd'hui attirer votre attention sur un enjeu sanitaire, environnemental et économique majeur pour nos territoires : la prolifération massive des sargasses. En avril et mai 2025, la Guadeloupe et la Martinique ont une nouvelle fois été confrontées à d'importants échouements, avec des conséquences particulièrement lourdes pour les populations côtières.

En Guadeloupe, les zones de Marie-Galante, Petit-Bourg, La Désirade et Saint-François ont franchi les seuils de préalerte en raison de fortes émissions de gaz toxiques. En Martinique, les communes du Robert, du Vauclin, de Sainte-Anne, du François, du Diamant, de la Trinité et de la côte Caraïbe ont été sévèrement impactées, tant sur le plan sanitaire qu'économique.

Pour y faire face, un groupement d'intérêt public « Services publics anti-sargasses » a été mis en place en Martinique, réunissant l'État, la Collectivité territoriale de Martinique, les EPCI et les communes concernées. Cependant, ce phénomène transfrontalier, aggravé par les effets de l'agriculture intensive en Amérique du Sud, exige une réponse coordonnée à l'échelle régionale.

Dans ce contexte, quelles démarches concrètes votre ministère entend-il engager, en lien avec les pays de la Caraïbe et les organisations internationales, pour renforcer la coopération scientifique et opérationnelle face à ce fléau ? Et surtout, comment cette coopération renforcée se traduira-t-elle, de manière tangible, pour nos collectivités les plus exposées ?

M. Thani Mohamed-Soilihi. - Le déplacement du Président de la République à Madagascar a permis de réaffirmer la qualité de nos relations bilatérales et notre volonté commune de renforcer la coopération avec ce partenaire essentiel dans l'océan Indien. Un mois plus tôt, j'y avais déjà signé plusieurs accords, notamment dans les domaines de la santé et de la nutrition, pour un montant de 5 millions d'euros.

Sur le plan économique, notre coopération bilatérale s'intensifie, atteignant chaque année environ un milliard d'euros. Nous souhaitons approfondir ces échanges, en particulier dans le domaine agricole, en misant sur la proximité géographique. L'expression de « grenier » peut prêter à discussion, mais elle renvoie à une réalité historique : Madagascar a longtemps approvisionné la région, comme en témoignent de nombreux récits transmis localement.

Le Président de la République a également engagé plusieurs accords structurants, parmi lesquels le projet de barrage hydroélectrique de Volobe, porté par EDF, destiné à améliorer l'accès à l'énergie et à l'eau.

En matière d'aide au développement, l'action de la France à Madagascar s'élève à environ 130 millions d'euros annuels. Le Président a également rappelé l'engagement de la France en faveur du dialogue mémoriel et des coopérations patrimoniales, à travers notamment la restitution annoncée des crânes Sakalava. Par ailleurs, la présence d'une importante communauté francophone à Madagascar a donné lieu à plusieurs séquences autour de la francophonie.

S'agissant de la Charte sociale européenne, je vous confirme que le ministre Jean-Noël Barrot a annoncé l'extension de son application aux territoires ultramarins. Nous avons officiellement notifié cette intention au Secrétaire général du Conseil de l'Europe, Alain Berset. Le processus est désormais en cours, et je reste bien entendu disponible pour vous fournir toute précision complémentaire.

Enfin, concernant les sargasses, je partage entièrement votre analyse : il s'agit d'un phénomène transfrontalier qui nécessite une réponse concertée. Le Forum des îles, que je présiderai en marge du sommet UNOC 3, réunira les petits États insulaires et les territoires ultramarins autour de pratiques et solutions partagées face aux défis communs.

Je vous invite à participer à cet événement, qui constituera une étape importante vers une réponse régionale coordonnée.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Permettez-moi de revenir sur la place croissante de la Chine dans les enjeux qui concernent nos territoires ultramarins.

La présence chinoise dans nos outre-mer constitue une réalité préoccupante, qu'il s'agisse de la multiplication des Instituts Confucius ou de l'influence économique et commerciale. En Guyane, la pêche illégale qui ravage nos ressources halieutiques s'explique en grande partie par la forte demande du marché chinois. Sur les bords du fleuve Maroni, le matériel utilisé pour l'orpaillage clandestin provient principalement de commerces tenus par des ressortissants chinois, de l'autre côté de la frontière.

Par ailleurs, l'or extrait illégalement en Guyane transite par le Suriname avant d'être exporté vers la Chine, sans aucune traçabilité, laissant derrière lui des conséquences environnementales désastreuses, notamment liées à l'usage du mercure.

Cet enjeu d'envergure ne peut pas être occulté. Sans verser dans l'ingérence, il nous revient de garantir une meilleure protection de nos territoires face à ces dynamiques. Bien que ce sujet ne relève pas exclusivement de votre portefeuille, il me paraît essentiel qu'il soit pleinement intégré à la réflexion sur les outre-mer.

Mme Micheline Jacques, président. - Monsieur le Ministre, je souhaiterais conclure en évoquant la situation en Haïti, dont l'instabilité croissante produit des répercussions directes sur nos territoires ultramarins. En Martinique, nous observons une recrudescence inquiétante de violences, parfois à l'arme lourde.

Quelle place la crise haïtienne occupe-t-elle dans votre feuille de route diplomatique ? Que pensez-vous de l'hypothèse d'un état civil biométrique, sur le modèle expérimenté notamment en Guinée équatoriale ? La France pourrait-elle y apporter une contribution ?

Je vous laisse, bien entendu, le soin de répondre maintenant ou ultérieurement par écrit, selon les contraintes de votre emploi du temps.

M. Thani Mohamed-Soilihi. - S'agissant de la Chine, j'entends votre plaidoyer. Ce sujet dépasse en effet le périmètre de mon portefeuille, mais je tiens à vous assurer que la France adopte une posture beaucoup moins naïve qu'il n'y paraît. Nous sommes pleinement engagés dans la lutte contre la désinformation, et renforçons nos coopérations internationales en privilégiant nos intérêts face aux principaux compétiteurs, qu'il s'agisse de la Chine ou, par exemple, de l'Azerbaïdjan.

Concernant Haïti, je rappelle que la France reste l'un des seuls États membres de l'Union européenne à maintenir une présence diplomatique à Port-au-Prince. Nous apportons un soutien constant au processus de transition, même si celui-ci demeure complexe, notamment en l'absence d'un engagement américain clairement défini. Par ailleurs, nous restons ouverts à tout dialogue approfondi, tant sur le plan sécuritaire que sur les dimensions historique et mémorielle.

Je pourrai vous faire parvenir une réponse écrite plus détaillée, conformément à votre suggestion. En tout état de cause, je vous confirme que la France continue de se tenir aux côtés d'Haïti.

Mme Micheline Jacques, président. - Votre vision de la coopération régionale et du rôle des territoires ultramarins dans la diplomatie française rejoint pleinement celle portée par notre délégation.

La création d'un poste de conseiller à la coopération au sein de votre ministère témoigne de votre engagement, et je vous en remercie. Votre proposition d'associer les membres de la délégation à vos déplacements est très favorablement accueillie : elle contribuera à renforcer le lien avec les élus locaux et à mieux ancrer nos représentants dans leur environnement régional.

Enfin, les travaux de notre délégation demeurent à votre disposition pour alimenter la réflexion gouvernementale dans tous les domaines concernés.

Je ne doute pas, Monsieur le Ministre, que vous en serez le meilleur ambassadeur.

M. Thani Mohamed-Soilihi. - Merci beaucoup, Madame le Président, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs.

Nombre d'entre vous ont déjà été reçus au ministère dans le cadre de nos travaux sur l'aide au développement ou la francophonie. Les portes vous restent bien entendu ouvertes, en particulier sur ce sujet qui me tient à coeur : celui d'une meilleure intégration de nos territoires ultramarins dans leur environnement régional.

Encore une fois, merci pour la qualité de nos échanges.