Jeudi 22 mai 2025
- Présidence de M. Pierre Barros, président -
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Audition de M. Jean Verdier, président de l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique (Agence Bio), de Mme Laure Verdeau, directrice, de Mme Laurence Foret Hohn, directrice adjointe, et de M. Philippe Henry, ancien président
M. Pierre Barros, président. - Notre commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État poursuit ses auditions en recevant aujourd'hui les représentants de l'Agence Bio, ou Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique - il est utile de donner son intitulé complet pour mieux comprendre les missions de cette agence. Nous entendrons donc M. Jean Verdier, président de l'Agence Bio, Mme Laurence Verdeau, sa directrice, Mme Laurence Foret Hohn, sa directrice adjointe, et M. Philippe Henry, son ancien président.
L'Agence Bio est chargée, depuis 2001, de la promotion de l'agriculture biologique, du suivi statistique de la filière, de l'information des consommateurs ainsi que de la gestion du fonds Avenir Bio, destiné à soutenir le développement de la production biologique.
Lorsque nous vous avons contacté, il y a près d'un mois, pour vous convier à cette audition, nous ne savions pas que vous seriez aujourd'hui au coeur de l'actualité. En effet, le ministère de l'agriculture a annoncé, ce mardi 20 mai, la suppression de 5 millions d'euros de crédits dévolus à la communication de l'agence, ainsi que la suspension de 10 millions d'euros alloués à votre agence afin de soutenir ses projets pour l'année 2025.
La Cour des comptes, dans son rapport de 2022 sur le soutien à l'agriculture biologique, soulignait pourtant que l'Agence Bio ne dispose pas de moyens suffisants au regard de ses missions, notamment en matière de communication, et appelait à vous donner plus de moyens humains et financiers, notamment par une mobilisation financière accrue des interprofessions agricoles et par une augmentation des subventions pour charges de service public (SCSP).
Pouvez-vous nous confirmer les informations parues dans la presse ? Avez-vous été associé, au préalable, à ces éventuelles décisions, et quelles en sont les conséquences concrètes sur votre activité ? Je suis sûr que vous aurez à coeur de nous éclairer sur cette question majeure au regard du budget de votre agence.
Nous souhaiterions également nous arrêter sur les particularités juridiques de l'Agence Bio. Celle-ci prend en effet la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP) et non d'un établissement public. Pour quelle raison cette forme a-t-elle été choisie ? Quelle est la participation des différentes partenaires au financement du GIP ? Dans quelle mesure les mêmes partenaires participent-ils aux prises de décision ? Ne serait-il pas plus simple que ces missions soient exercées par un établissement public, en concertation bien entendu avec les professionnels du secteur ? À ce sujet, que pensez-vous du souhait exprimé devant nous par un responsable de syndicat agricole, qui demandait une plus grande implication des professionnels agricoles dans l'Agence Bio afin de mieux aligner le développement de l'agriculture bio avec le marché ?
Notre commission s'intéresse plus généralement aux missions des agences et opérateurs de l'État ainsi que des organismes consultatifs. En conséquence, nous sommes intéressés par toutes vos observations sur ce qu'apporte votre organisation en matière d'autonomie, de recrutement, de gestion budgétaire, mais aussi de relations avec vos tutelles et avec les autres administrations. Quelles sont vos relations avec ces dernières, ainsi qu'avec les préfets et les collectivités territoriales, qu'il s'agisse d'actions de communication ou du déploiement du fonds Avenir Bio dans les territoires ?
Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M Jean Verdier, Mme Laurence Verdeau, Mme Laurence Foret Hohn et M. Philippe Henry prêtent serment.
M. Jean Verdier, président de l'Agence Bio. - Je vous remercie de nous avoir invités dans le cadre de vos travaux consacrés aux missions des agences d'État dans leur ensemble ; vous nous donnez ainsi l'occasion de nous exprimer et d'expliciter nos missions.
Comme vous l'avez rappelé, nos budgets viennent d'être supprimés, avant même que nous ayons pu exposer nos missions et que vous ayez rendu vos conclusions, et ce sans aucune concertation avec les professionnels du secteur bio ou de l'agroalimentaire. Rappelons que nous sommes un groupement d'intérêt public avec sept familles professionnelles ; sur les dix administrateurs de l'agence, on compte sept agriculteurs issus de sept organisations professionnelles.
Notre incompréhension est totale aujourd'hui. Cette baisse significative, de 64 %, signifie que l'État se désengage du bio. Je suis chef d'entreprise ; pour une société privée, une telle annonce mènerait directement au tribunal de commerce... Elle a un impact énorme. Or l'agriculture bio est une agriculture d'intérêt général ; c'est pourquoi ses objectifs sont gravés dans la loi de finances, dans le droit européen et, tout récemment, dans la loi du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
L'agriculture bio n'a pas recours aux pesticides de synthèse ; ainsi, il y a moins de maladies professionnelles chez les agriculteurs et moins d'indemnisations à verser aux victimes de pesticides - malheureusement, il y a beaucoup de procès actuellement.
Cette approche met aussi fin aux fermetures de captages d'eau potable et réduit les dépenses engagées par les collectivités pour le retraitement et l'élimination des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) et autres résidus épandus sur les champs. André Santini, président du syndicat des eaux d'Île-de-France (Sedif), a annoncé l'année dernière devoir investir 1 milliard d'euros pour de la nanofiltration visant à préserver la potabilité de l'eau distribuée. Il y a 30 000 points de captage ; comment les préserver, surtout dans les petites communes, si ce n'est en ayant recours à l'agriculture biologique ?
Chaque ferme en bio, c'est de la souveraineté alimentaire en plus, c'est une meilleure balance commerciale, car le bio n'importe ni engrais azotés ni soja du Brésil. Quelque 70 % des produits bios consommés en France y sont produits ; la proportion monte même à 82 % si l'on exclut les produits exotiques. Le bio, c'est de l'emploi non délocalisé, ce sont 26 000 fermes qui vendent partout sur le territoire, recréant le lien si nécessaire entre agriculteurs et consommateurs.
Les dépenses engagées pour le bio sont donc un investissement collectif à haut rendement pour l'intérêt général et les finances publiques. Tant que l'objectif national de 21 % de surface agricole en bio et de 20 % de produits bios dans les cantines ne sera pas atteint, en l'absence d'interprofession, ce secteur nécessitera le bras armé de l'Agence Bio pour se développer. Or, amputée aujourd'hui de 64 % de ses crédits, celle-ci ne peut plus effectuer les trois missions d'intérêt général qui lui ont été assignées par les ministres successifs.
La première de ces missions, c'est de tenir un tableau de bord du bio, de diligenter les études nécessaires, de collecter les chiffres et de les publier. Sans indicateurs fiables et mesurables, il ne peut y avoir de politique publique pour le bio.
La deuxième mission, c'est de financer la structuration des filières. Depuis sa création en 2008 par le ministre Michel Barnier, le fonds Avenir Bio n'a cessé d'augmenter. On a ainsi construit plus de 350 infrastructures pour le bio made in France. Pourtant, son financement va passer de 18 millions à 8,7 millions d'euros.
Enfin, notre troisième mission est d'informer le citoyen, de lui expliquer les raisons de consommer bio. Notre campagne « C'est bio la France », qui démarre justement aujourd'hui, a été co-construite avec les régions, les interprofessions, les ministères et les organisations professionnelles. Tout le monde a été consulté pour élaborer une communication qui suscite des débouchés aux agriculteurs bios, pour mobiliser la grande distribution et les autres distributeurs. C'est historique, c'est la première fois que le bio sera visible à la télévision. Évidemment, faute de budget, l'année prochaine, cela ne pourra se reproduire ; la campagne s'arrêtera en septembre 2025. L'Agence Bio, que je qualifierai, si vous me permettez la métaphore, de capitaine de France du bio, se trouverait ainsi au vestiaire. Ses membres sont largement bénévoles, mais elle a des permanents.
Je laisse mes collègues vous décrire l'effet domino des décisions prises par la ministre sur le tissu de nos fermes et de nos PME bio, sur tout l'écosystème de la rupture biologique.
Mme Laurence Verdeau, directrice de l'Agence Bio. - Rentrons dans les détails concrets de l'impact des décisions qui nous ont été notifiées vendredi dernier par notre tutelle, avant d'être confirmées mardi matin et annoncées par Mme Genevard mercredi.
Pour le plan Avenir Bio - nous agissons autant sur l'offre que sur la demande de bio -, nous devions avoir 18 millions d'euros, aux termes du contrat d'objectifs et de performance que nous avions signé avec le ministère et du programme Ambition Bio, qui engage l'ensemble des acteurs. Selon les dernières décisions, au lieu de 18 millions, nous n'aurons plus que 8,7 millions d'euros. Dès lors, une fois payés les projets que nous avons engagés à la fin de l'année dernière, il nous restera 3 millions d'euros à distribuer, et ce alors même que les dossiers affluent : plus de 28 entrepreneurs ont déposé des dossiers qui sont en attente. Ils nous demandent 25 millions d'euros et nous n'en avons plus que 3 millions à distribuer : on voit à quel point nos moyens sont déconnectés des besoins du secteur.
Précisons que nos financements ont une immense ombre portée : lorsqu'un acteur obtient 1 euro du fonds Avenir Bio, il génère de la sorte 1 à 3 euros d'autres financements, publics ou privés, provenant de la région, de l'agence de l'eau, de fonds de private equity comme Sofiprotéol, ou encore du Crédit Agricole. Pour chaque euro retiré au fonds Avenir Bio, on peut donc considérer que 3 euros de financement s'évaporent pour les porteurs de projets.
C'est ce que nous allons devoir expliquer à la dirigeante de l'entreprise des Petites l'Ouches, à Bernay, dans l'Eure, qui s'apprêtait à construire une légumerie pour fournir les cantines de Normandie. La loi Égalim prévoit un minimum de 20 % de bio dans les cantines ; on en est à 6 %. En coupant les fonds, on affecte directement tant les maires qui veulent respecter la loi que les agriculteurs qui se trouvent privés de débouchés. Derrière chaque euro retiré au fonds, il y a des hommes, des femmes et des familles qui vont devoir remettre en question un choix de vie : ce n'est pas par opportunisme qu'on développe une gamme bio, la conversion prend trois ans. Malgré tout, les déconversions sont peu nombreuses, le solde est encore positif : quand l'on s'engage dans la bio, on n'y renonce pas.
Derrière le fonds Avenir Bio, il y a 61 000 fermes bios qui constituent notre trésor national, que nous avons patiemment constitué par les aides à la conversion. Le bio n'est pas une fin en soi ; il est un moyen de limiter l'imprégnation de notre environnement par les pesticides synthétiques. Mais si l'on veut du bio dans les champs, il faut qu'il y en ait dans les assiettes des Français, et nous sommes peu performants en la matière : nous ne consacrons que 6 % de nos courses au bio, contre 12 % chez beaucoup de nos voisins européens, ce qui aussi l'objectif inscrit dans la Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (Snanc).
C'est pourquoi nous avons calibré une campagne de communication sur trois ans, pour 15 millions d'euros. Mais voici qu'elle s'arrête au milieu du gué, ou plutôt au tiers du gué, puisqu'elle n'aura duré qu'un an. Cette campagne est pourtant vitale, elle répond à une attente forte des Français. Depuis 25 ans que nous les interrogeons pour le baromètre de la consommation de bio, ils nous disent avoir besoin d'informations sur le bio pour éclairer leurs choix de consommateur : ils ne savent pas si c'est du marketing, ce qu'il y a derrière... Surtout, ces campagnes marchent : à chaque fois que nous avons pu en mener, on a constaté un effet sur les ventes, sur la confiance et la compréhension du bio par les consommateurs. Ainsi, le ministre Julien Denormandie nous avait octroyé à cette fin une dotation de 500 000 euros, à laquelle nous avons pu adjoindre 1,2 million de financement interprofessionnel. Cette campagne a eu un effet immédiat : 5 % de chiffre d'affaires en plus là où elle avait été déployée ; ce n'est pas nous qui le disons, mais l'interprofession laitière et celle des fruits et légumes frais, Interfel. La deuxième fois, au vu de ce succès, le ministre Marc Fesneau nous a alloué 750 000 euros et nous avons levé 1,6 million d'euros de financement public et privé, avec cette fois le soutien de plusieurs régions, comme la Bretagne et l'Occitanie. Chaque fois que le grand public est exposé à ces campagnes, l'envie de bio redémarre. Trop souvent aujourd'hui, le bio est classé en spam dans la tête des gens, qui sont saturés d'information.
La campagne qui démarre aujourd'hui a remobilisé la grande distribution, qui commençait à remettre les produits dans les rayons. La Fédération du commerce et de la distribution (FCD), qui regroupe les enseignes généralistes comme Carrefour, s'est déclarée choquée que la campagne soit tuée dans l'oeuf avant même d'avoir produit des résultats. Nous avions beaucoup d'espoir !
M. Philippe Henry, ancien président de l'Agence Bio. - Vous avez bien compris que la bio a aujourd'hui une place importante en France. Deux solutions sont possibles. Soit on revient quinze ans en arrière, on supprime l'Agence Bio et on invisibilise la bio dans l'ensemble de l'administration française ; soit on rectifie le tir, en reconnaissant que la bio est structurante pour nos territoires et importante pour l'économie française. L'agriculture biologique française occupe la deuxième position en Europe, mais elle est en train de se faire doubler. Tant que nous n'avons pas d'interprofession bio, l'Agence Bio est indispensable. Le débat entre agence et interprofession s'est tenu à l'époque de sa création ; le choix a été fait d'une agence.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Pourquoi n'y a-t-il toujours pas d'interprofession pour le bio ? Avez-vous le sentiment que la question du bio est complètement éludée par les interprofessions existantes ? Celles-ci permettent de structurer des filières de production : la viande, les céréales, les légumes... Pourquoi ne sont-elles pas un relais de l'agriculture biologique ?
M. Philippe Henry. - Nous travaillons avec les différentes interprofessions ; il y en a environ soixante-dix, chaque filière a une interprofession avec des financements spécifiques. Certaines d'entre elles ont des commissions bio, qui fonctionnent différemment suivant les filières : certaines interprofessions sont plus volontaires que d'autres. Nous devons composer avec ce paysage. Les interprofessions abondent souvent nos budgets de communication, quand ils existent. Néanmoins, même avec ce soutien, les budgets restent modestes, en dessous de notre proportion au sein de l'agriculture française. Alors que nous représentons 10 % de la superficie agricole et 15 % des agriculteurs, nous ne sommes pas représentés à hauteur de 10 % ou 15 % des budgets de chacune des interprofessions ; c'est un problème sur lequel il faudrait ouvrir un débat, car l'Agence Bio a contribué à rendre visible la bio dans un monde agricole qui ne le faisait pas. Telle était la motivation principale de ses fondateurs, et cela a bien fonctionné.
Ce dossier devrait être examiné, me semble-t-il, puisque l'objet de vos travaux est de discuter des réaménagements que l'État pourrait envisager pour ses agences. C'est un dossier compliqué, avec des enjeux financiers et politiques ; chacune des interprofessions a ses spécificités. La bio est une activité transversale : vous avez du lait bio, des céréales bios, des cochons bios, et chaque secteur fonctionne de façon différente. Pour notre part, nous ne travaillons pas en silo, mais d'une manière transversale. Ce fractionnement est l'un des handicaps de l'agriculture française : il faudrait se transformer, pour sortir d'une vue en silo et communiquer de manière transversale. Cette réflexion doit être menée.
Mme Laurence Verdeau. - Nous participons aux commissions bio des interprofessions, qui participent également aux nôtres. Nous échangeons des données pour établir des statistiques. Nous communiquons conjointement, nous les avons embarqués dans l'équipe de France du bio pour drainer des budgets de communication spécifiques au bio. Depuis la crise du bio, nous savons en effet qu'il faut une communication spécifique sur les produits biologiques. Ainsi, le mode de production du lait bio n'est pas le même que celui du lait non bio, leur prix n'est donc pas le même. À produit spécifique, campagne spécifique.
Les budgets des interprofessions sont assez hétérogènes. Ils vont de quelques millions d'euros à plusieurs dizaines de millions d'euros. Nous avons reçu des contributions financières : 90 000 euros d'Interfel, l'interprofession des fruits et légumes frais, 77 000 euros d'Interbev, l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, 50 000 euros du Cniel, le centre national interprofessionnel de l'économie laitière, et 50 000 euros d'Intercéréales, l'association interprofessionnelle des céréales, et de Terres Univia, l'interprofession des huiles et protéines végétales.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - La législation et la réglementation actuelles prévoient l'utilisation d'un pourcentage minimum de produits biologiques dans la restauration collective. Le simple respect de la loi devrait donc permettre à la filière de trouver des débouchés, sans avoir besoin du soutien public. Or vous dites qu'il n'y aura pas d'investissements privés à la place de la subvention qui vous est retirée. Est-ce que cela signifie qu'il y a en bout de chaîne des endroits où la réglementation n'est pas respectée ?
Mme Laurence Verdeau. - C'est le cas.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Vous demandez une subvention pour permettre à un écosystème de continuer de produire, alors même que l'outil qui a été conçu par le Parlement devrait lui assurer un débouché naturel, ou à tout le moins garanti. Peut-être faut-il agir sur le respect de la loi et des objectifs qu'elle fixe ? Nous demandons aux contribuables de subventionner une consommation, le bio, qui coûte effectivement plus cher.
La question pourrait se poser demain pour les filières industrielles françaises. Nous ne nous en sortirons pas tant que nous n'intégrerons pas le coût carbone du produit textile fabriqué en Chine. Nous devrions peut-être réorienter nos outils économiques et appliquer le principe pollueur-payeur.
M. Philippe Henry. - Votre remarque est tout à fait juste. D'une part, le fonds Avenir Bio permet de réaliser les études nécessaires à la mise en place de filières localement, autour d'un projet local, entre les agriculteurs et les transformateurs, entre autres, mais également de financer les équipements. D'autre part, le fonds permet d'alimenter la restauration collective. Ses subventions s'élèvent à 18 millions d'euros. Il s'agit de coups de pouce, si on les rapporte aux 13 milliards d'euros que représente l'agriculture biologique, mais ils constituent une incitation et ont un effet de levier.
La loi Égalim est une loi d'intention. Elle incite les collectivités à intégrer 20 % de produits issus de l'agriculture biologique dans leurs repas. Peut-être pourrait-on inciter davantage les hôpitaux, les prisons, l'armée - la meilleure élève en la matière - et les écoles, via la commande publique, à intégrer du bio. Les niveaux décisionnels sont différents et la situation est très contrastée selon les régions. Nous demandons le maintien de la subvention de l'Agence Bio. La commande publique de produits issus de l'agriculture biologique, si la loi était respectée, pourrait atteindre 1,5 milliard d'euros. Il serait en effet intéressant d'étudier de nouveaux outils législatifs permettant d'aller plus loin. Au sein de l'Agence Bio, nous faisons tout notre possible : nous avons trois à quatre collaborateurs qui travaillent auprès des secteurs de la restauration collective et de la restauration commerciale afin de les inciter à commander du bio et de faciliter la mise en oeuvre de projets sur le terrain. La ville de Toulouse fait le nécessaire, Lyon également. Nous avons besoin de collaborateurs - nous n'en avons pas assez - pour intervenir auprès des collectivités afin qu'elles appliquent la loi Égalim.
Mme Laurence Verdeau. - Un marché se pilote autant par l'offre que par la demande. Jusqu'à la crise du bio, nous étions focalisés sur la création d'une offre de produits biologiques afin de ne pas avoir à en importer. Le problème est que l'objectif du bio est libellé en hectares. Or on ne mange pas de grains : on a besoin de moulins, de silos à grains, de trieurs optiques. Le fonds Avenir Bio sert à les financer. Sans cela, il ne serait pas possible d'avoir des pâtes bios à base du blé dur d'Île-de-France et d'atteindre l'objectif des 20 % fixé dans la loi Égalim.
Pour avoir du bio dans les cantines et atteindre le 1,5 milliard d'euros de commandes publiques qui ruisselleraient sur nos agriculteurs bios, il faut un savoir-faire, un accompagnement. À cet égard, l'Agence Bio joue un rôle clé. Les salariés qui se consacrent à cette tâche sont payés par des fonds européens. La ministre nous a dit qu'elle allait nous aider à obtenir des fonds européens, mais nous en avons déjà et nous allons de nouveau les demander.
Nous avons mis en lumière les Ehpad, les hôpitaux, les cantines qui sont capables de proposer du bio pour le même coût moyen matière, soit entre 1,80 euro et 2,50 euros, sachant que le prix total d'un repas est de 10 euros. On sait que les cantines qui proposent entre 60 % et 80 %, voire 100 % de bio, peuvent le faire à budget équivalent, mais cela demande un accompagnement et un savoir-faire, notamment des formations. Actuellement, le mot « bio » ne figure même pas dans le manuel utilisé pour la préparation du CAP cuisine. Il ne comprend aucune information sur la manière d'optimiser le coût matière et les menus sur une semaine pour pouvoir proposer plus de bio. Il est donc vital que l'on puisse être présent, notamment au congrès des maires et des présidents d'intercommunalités de France, pour montrer qu'il est possible d'utiliser du bio et pour faciliter les échanges entre pairs. Or notre participation est compromise puisque nous n'avons plus de budget. Un chef n'écoute que ses pairs. Le plus efficace est de lui faire rencontrer un chef de cantine qui lui explique qu'il utilise 35 % de produits bios et locaux, après avoir construit des partenariats et contractualisé avec des filières, et que le fonds Avenir Bio a financé l'usine de pâtes bios.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Les grandes collectivités qui fonctionnent en délégation de service public ou qui passent des marchés ne construisent pas de partenariats, c'est l'entreprise qui prépare les repas qui le fait. Cela n'est possible que pour celles qui fonctionnent en régie.
Mme Laurence Verdeau. - La régie représente deux tiers de la restauration collective. Par ailleurs, nous sommes en lien avec Sodexo, qui utilise 8 % de produits bios en moyenne, ce qui est plus que la moyenne nationale, parce que l'entreprise a créé des partenariats de long terme avec les mairies les plus engagées. Ils accompagnent 44 000 PME pour pouvoir contractualiser.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Je suis convaincue par tout ce que vous dites, mais la question se pose de savoir jusqu'où cette activité a besoin de rester dans le giron public. Pourquoi ne serait-elle pas une activité privée ? L'agriculture non biologique n'est-elle pas trop favorisée ou pas assez défavorisée compte tenu des externalités qu'elle génère ?
Combien l'Agence Bio compte-t-elle de personnes ? Quel est leur statut ? S'agit-il de fonctionnaires, de contractuels ? Que se passe-t-il pour les personnes payées par des fonds européens si vous perdez ces fonds ? Faites-vous tout en interne - la gestion des ressources humaines, la paie, le support informatique - ou avez-vous mutualisé certaines de fonctions avec des structures plus grosses ?
Mme Laurence Foret Hohn, directrice adjointe de l'Agence Bio. - Nous avons un plafond d'emploi de vingt équivalents temps plein. Nous exécutons l'intégralité de notre plafond d'emploi en 2025. Nous avons dix-neuf employés de droit privé et une fonctionnaire détachée, en l'occurrence moi. Nous avons également des emplois hors plafond, qui font partie du global voté chaque année dans le projet de loi de finances : un CDD payé intégralement par le programme européen et deux alternants.
Nous avons emménagé en 2020 dans des locaux que nous partageons avec FranceAgriMer, l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom), l'Agence de services et de paiement (ASP) et d'autres services publics extérieurs au champ de l'agriculture. Nous partageons avec eux la logistique et toutes les charges immobilières. Nous avons également rejoint en 2020 l'agence comptable mutualisée de FranceAgriMer, de l'Inao et de l'Odéadom. En matière de gestion des ressources humaines, la mutualisation ne peut pas aller au-delà de la paie puisque nous avons des contractuels de droit privé, contrairement aux autres opérateurs. Notre petite taille nous impose d'avoir recours à des prestataires extérieurs.
Notre système d'information est important. Il permet d'offrir au grand public à la fois l'annuaire de tous les opérateurs bios français et toutes les données relatives au bio, qu'il s'agisse de la production ou de la consommation. Il s'agit d'une infrastructure spécifique, que l'on ne pouvait pas mutualiser. Nous mettons néanmoins nos données, qui sont en open data, à disposition de FranceAgriMer et de l'Inao. Ce système n'est pas un frein aux collaborations avec la recherche ou les autres opérateurs publics.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Ne pourriez-vous pas demain être une direction de FranceAgriMer, qui pourrait avoir pour mission de faire la promotion du bio à l'échelon national ?
M. Philippe Henry. - Si l'on a créé l'Agence Bio en 2001, c'est parce qu'il fallait rendre la bio visible. La question de rejoindre FranceAgriMer se posera lorsque nous en serons à 20 % ou 25 % de bio. L'Agence Bio n'aura alors plus de raison d'exister. Si on voulait supprimer l'Agence, on pourrait répartir ses effectifs entre plusieurs autres agences, dont FranceAgriMer, mais il n'y aurait plus de cohérence d'ensemble. En outre, il faut savoir que l'Agence est fédératrice. Le conseil d'administration de l'Agence comprend sept familles différentes. Nous parvenons à mettre autour de la table des organismes opposés politiquement et à les faire travailler ensemble, sur le même sujet. Les agriculteurs ne sont pas toujours très satisfaits de ce que fait la grande distribution, mais ils siègent ensemble au sein de l'Agence Bio. C'est un élément important, dans un pays où les clivages sont nombreux. L'Agence a été créée pour cela. La France s'est dotée d'un outil important parce qu'il permet à tout le monde de parler d'une voix pour développer le bio. Vous avez vu au mois de janvier que le soutien dont a bénéficié l'Agence allait bien au-delà du monde de l'agriculture biologique.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - On mesure ce soutien au nombre de mails que nous avons reçus ! Vous avez dit que le bio représentait 13 milliards d'euros. Comment l'Agence s'intègre-t-elle dans cet écosystème ?
Mme Laurence Verdeau. - Le bio, c'est en fait 12 milliards d'euros. Notre rôle de fabrique de consensus est reconnu. Le Danemark, qui compte 6 millions d'habitants, est le champion de la consommation de produits bios. Il vise 100 % de bio dans les cantines. Leur agence bio, Organic Denmark, qui est indépendante du ministère de l'agriculture, dispose d'un budget de fonctionnement de 12 millions d'euros. Le nôtre vient de passer à 2,5 millions d'euros. C'est bien la preuve qu'une politique publique, ça s'accompagne.
Nous sommes les seuls à agréger les données des sept débouchés. Le marché de 12 milliards d'euros repose en partie sur les exportations, de vin essentiellement. À 92 %, la consommation de produits bios est une consommation à domicile. Le bio consommé dans les cantines et dans les restaurants représente seulement 8 % des débouchés, ce qui est très problématique. Autant ce déséquilibre a été indolore pour le bio pendant le covid, quand les restaurants ont fermé - cela a même été une période faste -, autant il s'est révélé dramatique quand les restaurants ont rouvert et que plus personne ne voulait cuisiner à la maison.
Ce déséquilibre est très net, puisque dans l'alimentation lambda, la proportion est plutôt de deux tiers de consommation à la maison et d'un tiers à l'extérieur. Au sein des 92 % de bio consommés à domicile - pour 100 euros de courses, nous ne consacrons que 6 euros au bio -, la moitié des ventes est réalisée par la grande distribution. Cela explique le violent coup d'arrêt lié au déréférencement. Là encore, le bio présente une forte particularité. Si l'alimentation non bio est distribuée à 70 % ou 80 % par la grande distribution - une autoroute -, l'alimentation bio ne l'est qu'à 50 %. Elle est en effet distribuée également par le circuit spécifique des magasins 100 % bio, dont dépendent des filières agricoles et qui représente 2 800 magasins pour 28 % du business. Débouché moins visible et plus éclaté, quelque 8 % des produits bios - la boule bio chez votre boulanger, la saucisse de Morteau bio chez votre boucher - sont vendus par des artisans. Enfin et surtout, tout le monde parle du local, mais le local, c'est le bio qui le produit, puisque 26 000 fermes bios font de la vente directe en France. Cela représente 15 % des débouchés du bio, avec des prix ultra-compétitifs.
Nous sommes donc les seuls à remonter ces données, ce qui n'est pas chose aisée puisque nous devons agréger une cinquantaine de sources différentes et que nous recoupons nos chiffres avec les territoires. L'une de vos questions portait justement sur nos liens avec les territoires. Nous pilotons nationalement l'ensemble des observatoires régionaux de l'agriculture biologique (Orab), en nous appuyant sur un réseau de correspondants. Les associations interprofessionnelles bio régionales (interbio), présentes dans 8 régions sur 13, sont un peu nos homologues. Elles sont dotées de missions similaires aux nôtres et nous correspondons étroitement avec elles. D'ailleurs, les zones dépourvues d'interbio sont en quelque sorte des zones blanches. Ainsi, nous recevons de nombreuses demandes de journalistes qui recherchent, par exemple, une ferme en polyculture et élevage présentant telle ou telle caractéristique. Dans les zones couvertes par les interbio, nous pouvons en général y répondre, grâce à ces relais de terrain avec lesquels nous travaillons en lien étroit. Nous avons même partagé nos budgets de communication et doté toutes les régions de 50 000 euros afin qu'elles diffusent nos slogans communs et, ainsi, créer une caisse de résonance locale.
Nous pourrions tout à fait imaginer, en effet, que l'Agence bio soit fongible dans FranceAgriMer, une fois que l'État aura lui-même atteint les objectifs qu'il s'est fixés. La dernière loi d'orientation agricole fixe un objectif de 21 % de bio dans les champs à l'horizon 2030 ; or nous n'en sommes qu'à 10 % et nous reculons cette année. Nous sommes même à contresens de la tendance européenne, puisque tout le monde progresse. Comme le disait Philippe Henry, nous sommes désormais sur la deuxième marche du podium des surfaces bio cultivées en Europe, alors que nous étions les premiers. Nous aurions dû le claironner à l'époque. L'Espagne, qui mène une politique beaucoup plus volontariste de développement du bio, affiche désormais 3 millions d'hectares cultivés et elle s'en félicite : elle est absolument ravie de nous avoir damé le pion. Nous restons tout de même le premier vignoble bio mondial.
Mme Christine Lavarde, rapporteure. - Quid de la structuration ? Il y a là manifestement une stratégie de portage d'une politique publique. Pourquoi n'est-ce pas finalement le ministère qui s'en charge ? Je mets entre parenthèses le statut de GIP et je parle pour l'instant de la politique en tant que telle.
Vient ensuite la question de l'organisation, et le reste. Si je comprends bien, vous avez voulu créer une agence pour exposer le bio et c'est ce qui explique la taille modeste de la structure. Quels étaient les effectifs à la création ?
M. Jean Verdier. - J'étais parmi les cosignataires, à Rambouillet en 2001. Au départ, nous étions trois structures professionnelles, puis nous avons été rejoints progressivement, par la Coopération agricole, par les interprofessions bio régionales, mais également par la grande distribution au travers de la FCD et de la distribution spécialisée bio. Nous avons donc regroupé des personnes partageant une vision commune du développement de l'agriculture biologique, depuis le champ jusqu' à la distribution.
Au moment de la création de l'agence, le statut de GIP était peut-être plus courant qu'il ne l'est aujourd'hui. Au départ, le GIP avait été envisagé comme une première étape vers la constitution d'une interprofession bio. Cela ne s'est pas fait et se fera peut-être. Le statut de GIP permettait une souplesse de fonctionnement et d'évolution dans le tour de table, dans les financements ou encore dans l'accueil de nouveaux membres. C'est probablement cette souplesse qui, à l'époque, avait motivé le ministre Jean Glavany, tout comme la mission qu'avait lancée son prédécesseur, d'une couleur politique différente, quelque temps auparavant.
Vous posez la question d'une éventuelle réintégration des missions au sein du ministère, avec certainement pour objectif - c'est tout de même le sujet du moment - de faire des économies. L'Agence Bio compte vingt collaborateurs. Si nous voulons, comme l'a réaffirmé la ministre de l'agriculture, poursuivre les trois missions que je citais tout à l'heure, il faut bien que des gens s'attellent à la remplir. En tant que chef d'entreprise, je vois comment fonctionne l'Agence Bio : heureusement que ses collaborateurs ont, comme on dit, la foi du charbonnier chevillée au corps ! Je constate, en particulier depuis les amendements Juvin et Duplomb et depuis les dernières annonces, que nous gardons une motivation extrême. Il faut vraiment y croire en effet et l'Agence Bio fait preuve d'une très grande efficience. Je le répète : si nous cessons de travailler au sein de la structure ad hoc qu'est l'Agence Bio, il faudra bien transférer les effectifs. Ou alors on dit que l'on coupe dans les missions, ce qui, me semble-t-il, n'est pas à l'ordre du jour. Ce n'est donc pas là qu'il faut chercher l'économie.
Mme Laure Verdeau. - Nous sommes en relation très étroite avec le ministère : nous faisons des points bimensuels avec l'équipe qui assure notre tutelle, à savoir la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), qui assure également la tutelle de l'Inao et celle de FranceAgriMer. La DGPE nous fait signer à chacun des contrats d'objectifs et de performance et joue un rôle de chef d'orchestre en s'assurant que tout le monde joue sa partition sans doublon. Nous ne sommes donc pas une agence hors sol. Notre travail est étroitement monitoré et l'information largement partagée. J'en veux pour preuve que la DGPE, par exemple, n'était pas au courant, en janvier, de notre suppression.
Mme Christine Lavarde. - Puisque vous évoquez la DGPE, avez-vous le sentiment d'avoir une caisse de résonance ou un appui au niveau des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et de leurs structures départementales ?
M. Jean Verdier. - Nous associons les Draaf à nos actions. Nous parlions précédemment du fonds Avenir Bio, dont la structure est extrêmement fine et qui, à ma connaissance, est unique au sein du ministère de l'agriculture : à chaque fois qu'une entreprise ou un porteur de projet présente une demande d'aide, nous réunissons un comité consultatif, la décision se prenant in fine collectivement sur la base de critères de recevabilité, notamment financiers. Y participent les Draaf, mais aussi les interprofessions « filière », ou encore les organisations de commerce équitable, puisque nous essayons d'évaluer la juste rémunération des agriculteurs. Nous associons également les banquiers : cela a été dit, le fonds Avenir Bio a un effet de levier puissant, un euro engagé par l'Agence Bio sur un projet ou un investissement permet en général, suivant les dossiers, de lever trois à quatre euros auprès des financeurs habituels, en private equity, au niveau des associés ou de la région.
Ce lien avec les territoires est très fort. Les actions de communication ont été soulignées : l'année dernière, nous avons soutenu les interprofessions régionales pour favoriser l'éclosion et mener des actions communes. Nous avons également mis en place un « bio Tour » au cours duquel un bio bus sillonne les régions, et dont le financement a été renouvelé pour cette année sans que nous ne sachions toutefois ce qu'il en sera pour l'année prochaine. Ses étapes sont l'occasion de faire venir des écoles, ainsi que les différents acteurs de l'organisation bio locale. Nous avons également créé un réseau de 37 ambassadeurs bénévoles.
En résumé, nous essaimons autour des structures du ministère de l'agriculture, qui sont évidemment consultées sur chaque dossier, mais également, au-delà, auprès des structures privées et associatives. Nous jouons donc un véritable rôle de chef d'orchestre et de rayonnement. Nous contribuons aussi à lever des financements et à promouvoir le bénévolat.
Mme Ghislaine Senée. - Pour préparer cette audition, j'ai consulté le contrat d'objectifs et de performance signé en février 2024 par le ministre de l'époque, Marc Fesneau. Ce dernier appartenant, me semble-t-il, à la même tendance politique que le Président de la République, nous devrions retrouver une certaine continuité. Vous avez parfaitement justifié le rôle du bio et son impact sur le quotidien de nos concitoyens, mais également sur les économies à venir, au travers notamment de l'utilisation de modes d'agriculture qui obligent à traiter particulièrement les questions de l'eau ou de la pollution de l'air.
Cette commission d'enquête a pour objectif évident de trouver des économies et de rationaliser ce qui peut l'être. Or nous nous sommes vite rendu compte que si nous voulions réellement faire des économies, c'était sur les politiques publiques qu'il fallait taper, et pas tant sur les frais de structure, même s'il est possible d'y faire quelques économies.
La décision qui a été prise la semaine dernière souffre manifestement d'un mauvais timing. Elle intervient au moment où vous lancez une grande action de communication dans la presse, et où l'on fête les quarante ans du label AB. Soit c'est malencontreux, soit c'est volontaire, mais en tout état de cause, il y a franchement un problème de calendrier.
La politique publique actuelle est le résultat d'une décision politique. Je veux dire par là que nous avons une ministre qui a décidé de tuer le bio. Nous avons des engagements européens et nationaux très forts. Nous savons désormais que le coup d'arrêt auquel nous avons assisté était lié non pas directement aux agriculteurs eux-mêmes, mais aux déréférencements sur le marché. Le choix politique a donc été fait de se dédire du contrat d'objectifs et de performance qui a été signé voilà à peine un an. Je pose la question : dans le cadre de cette audition, ne sommes-nous pas, nous aussi, garants de la longévité des politiques publiques ou, en tout cas, de la continuité de l'État ? C'est une vraie question. On ne peut pas exprimer de manière très claire que l'un des leviers les plus importants pour développer les produits biologiques est la communication, affecter 15 millions d'euros à la promotion de la filière - c'est écrit noir sur blanc dans le contrat signé par le ministre de l'agriculture, qui précise en outre que, pour déployer cette campagne, les filières agroalimentaires seront consolidées et que 5 millions d'euros sur trois ans à compter de 2024 y seront de nouveau consacrés au titre de la planification écologique - pour dire tout à coup, un an plus tard : « Cela coûte trop cher, on arrête tout. » J'aimerais savoir exactement quel est le coût réel de votre structure, hors frais de communication. À combien s'élèvent vos charges d'exploitation ? En d'autres termes, si nous devions non pas fusionner l'Agence Bio, mais la supprimer, combien d'économies ferions-nous par an ? J'aimerais aussi connaître la part des fonds européens qui financent ces coûts de structure, et qui minimiseraient le coût réel de l'agence. Je voudrais, en d'autres termes, mesurer le travail de fond qui a été fait, avec vos partenaires et les ministères. Combien de temps met-on, par exemple, pour réaliser un contrat d'objectifs et de performance ? Savez-vous l'évaluer ? Je suis curieuse de connaître - nous pourrions le demander au secrétariat général - combien cela coûte chaque fois que la tutelle produit un tel document. Peut-être aurions-nous les éléments objectifs pour éclairer notre avis et dire si oui ou non il serait rentable ou efficace de supprimer ou de fusionner l'Agence Bio, ainsi que le propose la ministre.
M. Philippe Henry. - Je laisserai Laurence Foret Hohn répondre sur les chiffres, mais je précise que, en tant que professionnels, nous siégeons bénévolement à l'agence. Le président touche une indemnité de 600 euros.
M. Jean Verdier. - Beaucoup de bénévoles travaillent autour de l'Agence Bio. Nous ne l'avons pas évoqué, mais l'agence fonctionne grâce à plusieurs commissions. Dans ces commissions siègent essentiellement des professionnels, beaucoup d'agriculteurs, mais pas seulement. On y trouve également des gens de la transformation et de la distribution. Ces groupes de travail produisent également, et contribuent à diffuser de l'information incitative dans les territoires.
Mme Laurence Foret Hohn. - Concernant les coûts de structure, nous évaluons le fonctionnement courant, l'immobilier et les frais de salaire et de personnel à 2,3 millions d'euros annuels. Nous avons commencé à travailler sur le contrat d'objectifs et de performance en mai 2023 pour une signature en février 2024, mais nous n'avons pas évalué son coût de production à ce stade.
Mme Laure Verdeau. - Il faudrait compter le nombre de participants et le multiplier par le nombre d'heures de réunion... Vous évoquez les programmes européens. Nous avons par exemple déposé une demande de renouvellement de notre programme européen, qui entame sa troisième année et qui cartonne auprès des chefs, puisque son objectif est de développer le bio dans la restauration. Il n'y a que 1 % de bio dans les restaurants de France, c'est quand même dommage ! Ce programme doit être cofinancé à hauteur de 30 %. Or, à supposer que nous soyons lauréats, nous ne pourrions plus le cofinancer. Nous verrions alors 2,1 millions d'euros issus des financements européens nous échapper.
La même logique prévaut, par exemple, pour le Bio Tour, ce bus qui fait la tournée des plages pour expliquer le bio au grand public et qui s'arrête partout dans les provinces françaises. Sur ce projet, nous émargeons au fonds Écophyto, mais pour obtenir 400 000 euros, nous devons apporter un quart de cette somme. Là encore, nous ne savons pas où nous trouverons les 100 000 euros nécessaires, et ce d'autant moins que nous avons été informés à la fin du mois de mai que notre budget nous condamne à ponctionner notre trésorerie de l'an prochain. Nous avons donc un an d'espérance de vie devant nous, mais quid de l'après ?
Mme Ghislaine Senée. - Qu'en serait-il si l'agence était intégrée au sein du ministère ? Le ministère de l'agriculture pourrait-il solliciter les fonds européens en direct ?
Mme Laurence Foret Hohn. - Ce sont surtout les interprofessions et FranceAgriMer qui gèrent les fonds.
M. Jean Verdier. - Nous pourrons vérifier ce point.
Vous évoquiez les interprofessions, avec lesquelles nous travaillons pour leur fournir des outils - audio, télé, etc. - de communication. Tous ces gens-là nous apportent de l'argent à condition que nous leur fournissions un service. Cela a été rappelé pour le fonds Écophyto et pour les fonds européens. J'ai cité le fonds Avenir Bio, dans le cadre duquel le tissu économique va chercher trois euros quand l'Agence Bio en offre un. Personnellement, je siège dans d'autres comités, d'investissement notamment, et cela n'a rien à voir. Il est évident que l'expertise et le tampon de l'Agence Bio constituent une recommandation de poids, si bien que, je le répète, quand l'agence met un euro sur un dossier, les porteurs de produits et les entreprises peuvent en lever trois ou quatre à l'extérieur. Il en va de même pour la communication : quand l'agence met 1 000 euros en achats d'espace, cela permet un relais par les interprofessions et par la presse. Nous sommes en quelque sorte la poutre de l'échafaudage qui soutient l'écosystème. Et l'écosystème de la bio en France a été construit de cette façon depuis un quart de siècle. Autant dire que si on le supprime ou si on bouscule les relations entre ses acteurs du jour au lendemain... Admettons, hypothèse d'école, que l'agence soit absorbée. Cela créerait un séisme. Je parle ici aussi en tant que chef d'entreprise. On ne « blackboule » pas les gens comme ça. Les statuts, les projets sont tout à fait différents. Le personnel de l'agence se retrouverait soudainement parmi des gens qui ne pensent pas bio du matin au soir et qui ne sont pas totalement tournés vers l'objectif que nous a fixé le ministère. Il y aurait donc nécessairement des secousses et les conséquences seraient extrêmement importantes sur l'écosystème global de l'agriculture biologique en France comme sur le développement du bio.
Mme Ghislaine Senée. - Ce serait antinomique dans la mesure où cela nous empêcherait d'atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé dans le cadre de la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - L'examen de votre structure budgétaire révèle que, bien que constitué en GIP, vous dépendez presque exclusivement de recettes publiques provenant du ministère de l'agriculture et du ministère de la transition écologique. Vos ressources propres ne représentent que 0,4 million d'euros sur 28 millions d'euros. Cela pose question quant à la pertinence même du modèle de GIP.
M. Jean Verdier. - Toute transition nécessite un accompagnement par une politique publique. Nous sommes engagés dans la transition alimentaire et agricole et l'agriculture biologique en constitue véritablement le fer de lance.
Toute transition requiert des politiques publiques, qu'elles soient d'ordre financier ou qu'elles offrent d'autres types d'avantages. L'intervention de l'Agence Bio représente l'un des outils de l'action publique pour accompagner et favoriser cette transformation à la fois dans les champs, dans les outils et sur les tables. La question demeure celle des modalités de mise en oeuvre.
Aujourd'hui, tout va tellement vite que ce questionnement s'impose naturellement. Cependant, gardons-nous d'agir dans la précipitation, de procéder d'une façon abrupte en coupant tous ces financements, car nous ne pouvons pas aujourd'hui en anticiper les conséquences.
Mme Laure Verdeau. - Je me permets de vous remettre un exemplaire du livre que nous distribuons aujourd'hui. Il contient les portraits de quarante acteurs du secteur de tous horizons et de tous âges montrant que le bio s'appuie avant tout sur des hommes et des femmes : il concerne 10 % des surfaces et 15 % des fermes.
M. Jean Verdier. - L'agriculture biologique s'inscrit sur le temps long et implique des mutations très fortes et des transitions. Elle est porteuse de beaucoup d'aménités dans de nombreux domaines. À ce titre, l'Agence Bio joue un rôle dans la formation du consensus et demeure transpartisane : au fil du dernier quart de siècle, tous les ministres ont consolidé et conforté son action et ses moyens de rayonnement et de fonctionnement.
Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion d'expliciter nos missions. Nous l'apprécions d'autant plus dans le contexte qui nous est imposé depuis six mois et nous espérons que vous serez nos avocats.
M. Pierre Barros, président. - Je vous remercie. Nous avons entendu combien ce secteur représente souvent l'engagement de toute une vie pour ses acteurs.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 h 05.