Lundi 19 mai 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Projet de loi d'habilitation à prendre par voie d'ordonnance les mesures permettant de transférer à l'État les personnels de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna - Examen des amendements au texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons l'amendement au texte de la commission sur le projet de loi d'habilitation à prendre par voie d'ordonnance les mesures permettant de transférer à l'État les personnels de l'enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - L'amendement n°  1 de notre collègue Pierre Ouzoulias et de plusieurs de ses collègues porte sur l'obligation des enseignants au regard de la laïcité. Il rappelle l'un des grands principes de l'école de la République. Vous connaissez mon attachement à la République, que la Constitution définit comme indivisible, laïque, démocratique et sociale. Aussi, à titre personnel, je suis favorable à cet amendement, que j'aurais sans doute cosigné en d'autres circonstances.

Toutefois, en tant que rapporteure, je rappelle que, en intégrant le corps des professeurs des écoles, les maîtres d'école de Wallis-et-Futuna seront soumis aux mêmes droits et aux mêmes obligations que tous les fonctionnaires au regard de la laïcité et de la neutralité. Par ailleurs, l'enseignement primaire rejoindra l'école de la République avec la fin de la convention actuelle de concession prévue le 5 juin 2025.

Dès lors, cet amendement est satisfait par le code de l'éducation. Je m'en remets à la décision de la commission concernant l'avis que j'émettrai en séance.

M. Max Brisson. - Je remercie Mme la rapporteure pour cette dialectique particulièrement réussie. Notre collègue Pierre Ouzoulias souligne ici un point de vigilance, que nous partageons. Veillons à ne pas créer un statut dérogatoire pour les professeurs. Comme je l'ai indiqué la semaine dernière, la mise en oeuvre de ces dispositions devra se faire avec doigté et dans le respect de l'histoire wallisienne et de ses habitants. Les fonctionnaires sont soumis à un devoir de neutralité ; qui plus est les professeurs, qui enseigneront désormais dans le cadre d'une école publique, gratuite et laïque. C'est pourquoi cet amendement est effectivement satisfait par le code de l'éducation. Nous y serons défavorables, tout en restant attentifs aux mesures qui seront prises par ordonnance.

M. Pierre Ouzoulias. - Il sera intéressant d'entendre la ministre sur ce sujet.

Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Ces nouveaux fonctionnaires pourront s'appuyer sur nos débats quant au respect du principe de laïcité et du droit à la neutralité.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

La commission a donné l'avis suivant sur l'amendement de séance :

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er

M. Pierre OUZOULIAS

1

Obligation des enseignants au regard de la laïcité

Défavorable

La réunion est close à 14 h 10.

Mercredi 21 mai 2025

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Catherine Belrhiti rapporteure de la proposition de loi n° 571 (2024-2025) visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers.

Projet de loi relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030 - Désignation d'un rapporteur pour avis

La commission désigne M. Claude Kern rapporteur pour avis du projet de loi n° 630 (2024-2025) relatif à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2030.

Les conséquences des attaques contre la science aux États-Unis - Audition de Mmes Dominique Costagliola, directrice de recherche de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Pascale Ultré-Guérard, directrice adjointe de la stratégie et directrice de la science du Centre national d'études spatiales (CNES), et M. Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, j'en viens à notre ordre du jour, consacré aux conséquences de la nouvelle donne politique américaine sur le secteur de la recherche. Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ce sujet le 9 avril dernier lors de la visite du centre de recherche en maladies cardiovasculaires de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), puis de l'audition du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Philippe Baptiste. J'ai souhaité que nous puissions l'approfondir dans le cadre d'une table ronde réunissant des représentants d'organismes nationaux de recherche (ONR) et des chercheurs, dont les domaines de compétences sont particulièrement menacés par les mesures prises par l'administration Trump.

Le sujet qui nous réunit aujourd'hui est d'autant plus d'actualité que le 5 mai dernier, la France a accueilli, dans l'amphithéâtre de la Sorbonne, l'inauguration de l'initiative européenne « Choisir l'Europe pour la science » (Choose Europe for science), visant à « faire de l'Europe un pôle d'attraction » pour les chercheurs étrangers, américains en particulier. C'est dans le cadre de cette initiative européenne, dotée d'une enveloppe budgétaire de 500 millions d'euros pour la période 2025-2027, que le Président de la République a annoncé, à l'échelle de la France, un nouvel investissement de 100 millions d'euros pour attirer les chercheurs étrangers empêchés.

Nous avons donc le plaisir de recevoir ce matin deux éminentes scientifiques, qui connaissent d'expérience les enjeux de la coopération scientifique internationale et de la recherche française, dans les universités aussi bien que les ONR : Dominique Costagliola, épidémiologiste, biostatisticienne, directrice de recherche émérite à l'Inserm, membre de l'Académie des Sciences, ancienne directrice adjointe de l'Institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique (Sorbonne Université - Inserm) ; Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et directrice de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CEA-CNRS-Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines).

Mesdames, nous sommes très honorés de votre participation et vous remercions de vous être rendues disponibles alors que vous faites l'objet de très nombreuses sollicitations. Je précise que vous soutenez toutes les deux le mouvement Stand-up for science France.

Nous avons également le plaisir d'accueillir Pascale Ultré-Guérard, directrice adjointe de la stratégie et directrice de la science du Centre national d'études spatiales (CNES), et Antoine Schuhl, directeur général délégué à la science du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Mesdames, Monsieur, l'offensive extrêmement brutale de l'administration Trump contre la science et ceux qui la font - coupes budgétaires, licenciements, gels de programmes, fermetures de centres, atteintes à la libre circulation des chercheurs, restrictions d'accès à certaines données scientifiques... - provoque une onde de choc qui se fait sentir bien au-delà de son épicentre américain : c'est toute la recherche mondiale qui est touchée. Il n'est toutefois pas aisé d'en mesurer pleinement toutes les répercussions. Nous sommes donc très intéressés de connaître votre analyse de cette situation d'ingérence politique dans la recherche et de ses impacts, notamment en termes de libertés académiques, de production de la connaissance et de coopération scientifique. Face à la gravité de ce qui se joue en ce moment aux États-Unis, nous souhaiterions aussi avoir votre appréciation des leviers et moyens de mobilisation qui ont été annoncés par l'Union européenne et la France le 5 mai dernier. Ceux-ci vous paraissent-ils à la hauteur de l'enjeu ?

Je vous serai reconnaissant d'être relativement synthétiques dans vos prises de parole liminaires pour laisser le temps aux questions-réponses avec la rapporteure pour la recherche Alexandra Borchio Fontimp et les autres membres de la commission. Avant de vous céder la parole, je vous rappelle que cette audition est filmée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

Mme Dominique Costagliola, directrice de recherche de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). - Je commencerai par quelques éléments de contexte sur la situation aux États-Unis, sachant que le secteur de la recherche est affecté de diverses manières par les mesures prises par l'administration Trump. Je vais principalement m'attarder sur le domaine de la santé, car c'est celui que je connais le mieux.

Le National Institute of Health (NIH), qui est le plus gros financeur de la recherche médicale mondiale, est composé de plusieurs instituts et laboratoires dont un certain nombre ont été fermés ou dont les responsables ont été renvoyés. C'est le cas par exemple de l'institut consacré aux maladies infectieuses et allergiques, que je connais bien, le NIAID : la directrice et le directeur de la recherche clinique ont été remerciés. On estime que plusieurs milliers de personnes ont été renvoyées du NIH ou se sont vu offrir des départs anticipés aux modalités relativement inacceptables. Avec leur départ, ce sont des pans entiers de la recherche qui disparaissent.

Par ailleurs, beaucoup de crédits ont été gelés. Toujours dans mon domaine de compétences, il y avait des essais cliniques en cours sur l'infection au VIH. Or ceux-ci n'ont pas été financés en 2025. Ces essais sont donc à l'arrêt. Au-delà du fait que cela montre bien que le VIH n'est clairement pas une priorité de recherche, il y a un gaspillage d'argent puisque l'on arrête net une action de recherche qui était en cours. Autre exemple, il existe un réseau international sur la prévention du VIH, qui permet de tester des vaccins ou des prophylaxies. L'un des gros contributeurs de ce réseau, c'est l'Afrique du Sud, car le pays connaît un taux d'incidence de l'infection au VIH très élevé. Les collègues américains n'ont désormais plus le droit de collaborer avec l'Afrique du Sud. Or si vous travaillez avec un pays où l'incidence de la maladie est plus faible, cela va vous coûter plus cher parce qu'il faudra inclure plus de personnes. Vous voyez bien les effets en cascade... Sans compter que certains programmes de recherche, notamment ceux comprenant une dimension relative à la diversité, ont été arrêtés du jour au lendemain.

L'effet de ces mesures passe aussi par les coûts indirects des projets de recherche. Lorsque vous déposez un projet de recherche, il y a des coûts indirects qui vont revenir à votre structure d'accueil, votre université, par exemple, qui lui permette de financer votre environnement de recherche (infrastructure, personnels...). Aux États-Unis, selon les universités, les coûts indirects pouvaient aller de 20 % à 70 %. Le NIH a décidé que désormais, ce serait 15 %. Des procès sont en cours. On ne sait pas comment cela va finir.

Un certain nombre d'universités américaines ont également décidé cette année qu'elles ne recruteraient pas de doctorants parce qu'elles n'ont pas de quoi les rémunérer. On obère ainsi le futur de la recherche.

Les chercheurs peuvent aussi être touchés s'ils travaillent dans une université bannie. J'ai reçu cette nuit un courriel d'un collègue de Harvard, avec qui j'avais un projet collaboratif de cohorte. Il m'a appris que celui-ci ne serait plus financé. Il va falloir trouver des solutions pour financer les jeunes chercheurs participant à ce programme, qui devait durer encore sept ans. Du jour au lendemain, il faut se réorganiser.

La situation en Europe est également préoccupante, notamment sur le plan budgétaire. Par exemple, le Conseil européen de la recherche, que je connais bien, devrait financer le double des projets qu'il finance actuellement. Sa présidente réclame un doublement de son budget, nécessaire au financement de tous les excellents projets présentés.

Même si l'on augmente le budget de la recherche en Europe, on part de trop loin. On va peut-être accueillir au niveau européen quelques centaines de personnes, mais ce n'est pas à la mesure des milliers de chercheurs empêchés aux États-Unis.

Mme Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). - Je vais mettre l'accent, bien sûr, sur les sciences du climat, mais aussi, plus largement, sur les sciences de la durabilité, qui concernent également, par exemple, la gestion durable des écosystèmes.

Ce qui est très frappant dans ce qu'on observe depuis janvier dernier, c'est un rejet de la science. Cela passe par des censures, des coupes budgétaires ciblées, des purges. Ainsi, les mots interdits sont « science du climat », « variabilité et changement climatique », « risque climatique », « suivi des gaz à effet de serre », « pollution », « qualité de l'air », « de l'eau », « vulnérabilité », « technologie propre », « eau propre », etc.

Je voudrais vous faire un petit récapitulatif factuel des décisions prises par le gouvernement américain depuis janvier dernier :

- l'arrêt du National Nature Assessment, servant à évaluer l'état des écosystèmes américains terrestres ;

- le démantèlement des comités scientifiques de l'Agence de protection de l'environnement, y compris, par exemple, le conseil scientifique pour l'air propre ;

- le licenciement de la moitié des effectifs de l'Agence nationale de la recherche, la NSF, qui permet de faire une évaluation par les pairs des projets de recherche ;

- le licenciement de mille spécialistes de l'Agence de protection de l'environnement, du changement climatique, de la pollution de l'air ;

- l'interdiction faite aux scientifiques des agences fédérales de participer aux travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), comme ce fut le cas pour la précédente chef scientifique de l'Administration nationale de l'aéronautique et de l'espace (NASA)NASA, Katherine Calvin, coprésidente du groupe 3 du GIEC ;

- le licenciement de centaines de scientifiques de l'Administration nationale des océans et de l'atmosphère (NOAA) et du service national météorologique ;

- l'arrêt par le département de la Défense de tous les projets de recherche en sciences sociales, notamment les études sur les menaces actuelles et futures liées au changement climatique, à la désinformation et l'extrémisme ;

- l'interdiction faite au NIH de financer la recherche sur les effets sanitaires du changement climatique.

On voit, dès le mois de mars dernier, les répercussions de ces licenciements comme le ralentissement des opérations de lancement de ballons atmosphériques, qui affecte aussi la prévision météorologique européenne du fait du partage des données. Un certain nombre de services météorologiques dans quelques États américains sont maintenant fermés la nuit, ce qui ne permet plus de réactualiser les bulletins d'alerte 24h sur 24, faute de personnel. Sur les sites des ministères des transports, de l'énergie, de l'agriculture, les informations liées aux connaissances sur le changement climatique sont censurées. Les financements des programmes communs entre l'Université de Princeton et la NOAA sur la modélisation du climat ont été arrêtés. Le laboratoire du prix Nobel de physique Syukoro Manabe, pionnier de la modélisation du climat, est particulièrement concerné.

Sont aussi touchés :

- les programmes de recherche qui portent sur la disponibilité en eau, la modélisation des risques d'inondation pour les littoraux, ceux-ci n'étant plus en phase avec les priorités de l'administration américaine ;

- le financement de la recherche coordonnée sur la modélisation du système Terre qui, je cite, « promeut des menaces exagérées et contribue à l'éco-anxiété » ;

- le programme américain sur la recherche sur le changement global, qui est chargé par le Congrès de faire une évaluation nationale du changement climatique tous les quatre ans. Les scientifiques de quinze agences fédérales ont interdiction d'y contribuer ;

- le bureau du changement global au Département d'État, qui coordonne la participation du gouvernement américain au GIEC.

La National Science Foundation (NSF) accuse une baisse de budget de l'ordre de 50 %, avec des thématiques privilégiées en lien avec l'innovation et un arrêt quasi total des financements fédéraux sur les thèmes interdits. La coupe budgétaire est de pratiquement un tiers pour la NOAA, ce qui ferait disparaître quasiment tous les laboratoires de recherche travaillant sur la météorologie, le climat, l'océan, les espèces menacées. Dans quelques semaines, les scientifiques travaillant sur la modélisation du climat pour le centre de recherche basé à l'Université de Columbia ne seront plus hébergés. Les coupes budgétaires affectant la NSF menacent aussi le financement de la recherche américaine en Antarctique, à un moment où la Chine y possède plus de six bases. À cela s'ajoutent les 1 500 licenciements au sein des services des parcs nationaux et les 1 000 licenciements au sein du Geological Survey.

Toutes ces décisions vont entraîner l'arrêt des capacités de surveillance, par exemple, des stocks de poissons, l'arrêt des évaluations sur le coût des événements extrêmes et des catastrophes climatiques. Ces données sont pourtant extrêmement importantes non seulement pour la recherche, mais aussi pour les agences gouvernementales et les compagnies d'assurance. Alors que la saison des ouragans débute aux États-Unis, il manque 155 prévisionnistes.

Je mentionne également :

- l'arrêt de 130 projets en lien avec le changement climatique, par exemple le suivi par satellite de la déforestation, ce qui va enlever aux pays très vulnérables les moyens de faire face aux impacts du changement climatique sur la base de connaissances factuelles ;

- la fermeture de la moitié des centres de sciences de l'eau, qui font le suivi des inondations, des sécheresses, la mesure du niveau et de la qualité des eaux ;

- l'arrêt de la base de données sur le suivi de la neige, de la banquise, des glaciers et des calottes, ce qu'on appelle la cryosphère ;

- le démantèlement de toute la partie recherche de l'agence américaine de protection de l'environnement, qui met en danger la coopération internationale sur l'observation de la Terre.

Les risques sont des pertes de compétences de très haut niveau. Cette recherche en sciences du climat est très longue à construire. Avec toutes ces décisions, elle est reléguée à son niveau des années 70. Cela soulève des enjeux sur la continuité de long terme des observations, notamment dans le cadre des missions spatiales, sur l'accessibilité des données d'observation et de modélisation, sur le fonctionnement des organisations internationales comme le GIEC, où les États-Unis font la politique de la chaise vide, sur le financement d'organisations internationales. Je veux en particulier alerter sur l'Organisation météorologique mondiale et le programme mondial de coopération sur la recherche pour le climat qui sont menacés par l'arrêt des financements américains. Derrière tout cela se posent aussi des enjeux stratégiques en termes de souveraineté et d'autonomie scientifiques.

Mme Pascale Ultré-Guérard, directrice adjointe de la stratégie et directrice de la science du Centre national d'études spatiales (CNES). - Les États-Unis constituent le premier partenaire de la France et de l'Europe dans le domaine spatial. Les annonces des budgets proposés par l'administration américaine nous inquiètent beaucoup, car il y a des coupes sévères qui sont proposées, notamment sur le budget de la NASA. Celle-ci prévoit une réduction de 52 % de son budget consacré aux sciences, que ce soit les sciences de la Terre ou les sciences de l'univers, avec la fermeture, par exemple, annoncée de l'Institut Goddard sur les études spatiales.

Dans les sciences de la Terre, les coupes sont de l'ordre de 1,2 milliard de dollars avec notamment, comme proposition politique, l'arrêt des missions climat jugées moins prioritaires. Dans les sciences spatiales également, les coupes envisagées sont très importantes, d'un montant de l'ordre de 2,3 milliards de dollars. Ces budgets ne sont pas encore définitifs, car ils n'ont pas été votés par le Congrès. Cependant, les propositions partent d'un point de départ qui est très inquiétant.

Mérite également d'être mentionnée la proposition d'arrêter la mission de retour d'échantillons martiens, qui est pourtant une forte priorité de notre communauté scientifique, réaffirmée au cours de tous les séminaires de prospective que le CNES a pu organiser ces derniers temps. Nous nous interrogeons aussi sur l'avenir du programme ExoMars, pour lequel la contribution des États-Unis est également très importante, puisqu'ils fournissent le lanceur, l'atterrisseur et les réchauffeurs radioisotopiques. Cette mission étant déjà un plan B, nous n'avons pas vraiment de solution de repli.

L'administration américaine propose de rediriger les budgets vers l'exploration de Mars par l'homme avec pour conséquence, dans le domaine de l'exploration spatiale, un arrêt du lanceur SLS, du vaisseau spatial Orion et du Lunar Gateway pour lequel les Européens ont des contributions importantes. Nous ne disposons encore toutefois pas de la déclinaison précise projet par projet.

Sur ces projets potentiellement annulés, la France a une participation financière importante. Nous avons engagé 300 millions d'euros en coopération directe avec les États-Unis sur les projets qui sont mis en péril et 500 millions d'euros dans le cadre de notre contribution à l'Agence spatiale européenne.

L'année dernière, le CNES a décidé, à travers son conseil d'administration, de participer à la mission AOS, d'observation de l'atmosphère depuis l'espace. Il s'agit d'une coopération entre la NASA, l'agence spatiale japonaise, le CNES et l'agence spatiale canadienne. Nous ignorons, à ce jour, si ce projet a des chances d'aboutir côté américain. Les Japonais ont décidé de continuer, mais nous ne sommes pas informés de la position américaine.

Nous sommes également en coopération avec la NASA sur la mission Odyssey d'étude des courants et des vents, qui est encore en compétition avec d'autres projets. Nous nous demandons toutefois si le programme sur lequel elle est positionnée, le programme Earth Explorer de la NASA, n'est pas en lui-même menacé.

Sur tous ces sujets, nous avons des plans B en instruction, mais évidemment, cela génère très souvent des surcoûts.

Notons également qu'il n'y a pas de représentants prévus de la part des États-Unis à l'UNOC, à la conférence des Nations unies sur les océans, prévue en juin prochain à Nice.

Prenons maintenant quelques exemples en sciences de l'univers. Nous entendons des rumeurs comme quoi le programme Roman Space Telescope serait arrêté, alors que la mission est quasiment terminée. Il en serait de même pour la mission Dragonfly, pratiquement terminée ou très avancée. Qu'est-ce que tout ceci va devenir ?

Nous avons également d'autres missions d'études du soleil et d'études d'astrophysique avec des contributions américaines importantes. Quand les Américains sont leaders des missions, nous n'avons pas de plan B possible. Quand les Américains apportent uniquement une contribution, les missions ne sont pas menacées, mais des plans B génèreraient des retards et des surcoûts. C'est le cas notamment des grandes missions de l'agence spatiale européenne telle que l'ISA pour l'étude des ondes gravitationnelles ou New Athena pour l'étude de l'univers énergétique. En exploration, il est beaucoup plus difficile de trouver des plans B, puisque très souvent, les États-Unis sont leader des projets.

Concernant la mission Mars Sample Return, l'Agence spatiale européenne réfléchit également à des plans de secours.

L'année dernière, le CNES a organisé un séminaire de prospective scientifique, comme il le fait tous les cinq ans. Parmi les projets considérés comme des priorités majeures par notre communauté scientifique, 50 % sont menés en coopération avec les États-Unis. Ceux-ci seront à réexaminer à l'aune de ce nouveau contexte.

Il convient également de signaler l'arrêt du laboratoire NIST, spécialisé dans la spectroscopie atomique, qui fournit des références pour l'astronomie, la médecine, la géologie, l'exobiologie.

En tant qu'agence de programme d'études spatiales, le CNES a été contacté par une dizaine de personnes, dont huit sont soit de nationalité américaine, soit travaillent aux États-Unis. Il s'agit d'un échantillon, car nous savons que certains chercheurs vont contacter directement les laboratoires et ne passeront pas forcément par le portail de l'agence de programme d'études spatiales qui a été mis en ligne sur le site « Choisir la France ». Cet échantillon n'est peut-être pas totalement représentatif, mais cela donne quand même une indication du mouvement qui s'enclenche.

M. Antoine Schuhl, directeur général délégué à la science du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). - Nous avons abordé la question de la science entravée dans les domaines de la santé, des sciences du climat et de l'environnement, ainsi que des sciences spatiales. Je voudrais souligner qu'il ne s'agit pas des seules disciplines touchées par les décisions de l'administration Trump. Le budget de la NSF, qui s'élève à 10 milliards d'euros, est destiné à soutenir l'ensemble des pans de la recherche. Or, ce budget serait réduit de moitié l'année prochaine ; les domaines scientifiques mentionnés ne seront donc pas les seuls touchés.

Quand un grand pays de tradition démocratique comme les États-Unis tourne le dos à la liberté académique, cela pose beaucoup de questions. C'est là, selon moi, que réside le principal problème.

Une autre urgence aujourd'hui, ce sont les bases de données. Il y a des bases de données qui sont arrêtées, d'autres qui sont menacées de disparition. Certaines, comme celle du NIST, existent depuis plus de cent ans. Il y a urgence à les sauvegarder.

Dès lors, quelle réponse apporter ? À mon avis, celle-ci doit être européenne. L'Europe doit se poser la question de son organisation pour récupérer une partie d'autonomie en matière scientifique. La réponse ne situe pas tant au niveau de l'aide à apporter aux chercheurs américains, qu'au niveau de l'autonomie scientifique et stratégique de l'Europe.

Le CNRS, que je représente, a mis en place un programme intitulé « Choisir le CNRS » destiné à attirer les talents scientifiques étrangers. D'ores et déjà, parmi les nouveaux embauchés au CNRS, il y a 30 % d'étrangers. L'idée est de monter en puissance les dispositifs incitatifs qui existent déjà.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis des crédits de la recherche. - Mesdames, monsieur, je tiens à vous remercier pour vos analyses très pertinentes, qui reflètent ce que nous avons ressenti avec certains collègues sénateurs, parmi lesquels David Ros, lors d'un récent déplacement de notre groupe d'amitié France-États-Unis au cours duquel nous avons pu échanger sur tous ces sujets avec nos homologues du Congrès et des chercheurs de l'Université de Floride.

Je voudrais tout d'abord revenir sur la question centrale du respect des libertés académiques et de l'indépendance scientifique. Lors de la présentation de l'initiative « Choisir l'Europe pour la science » le 5 mai dernier à la Sorbonne, la présidente de la Commission européenne a annoncé son intention d'inscrire les libertés académiques dans la législation européenne. Ici, au Sénat, une proposition de loi transpartisane a récemment été déposée pour affirmer dans la Constitution le principe de la liberté académique. Ces inscriptions en droit européen et en droit national vous paraissent-elles nécessaires ? Au-delà de cette reconnaissance juridique, quels autres leviers identifiez-vous pour garantir une recherche libre et indépendante ? Je pense notamment à celui de l'hébergement des données scientifiques en Europe : comment développer les banques de données européennes ? Comment accueillir les données américaines empêchées ?

J'en viens ensuite à la question des moyens, elle aussi essentielle. Les 100 M€ annoncés par le Président de la République pour accueillir des chercheurs empêchés ne sont clairement pas à la hauteur des besoins, lorsqu'on sait notamment les écarts de rémunération entre les chercheurs américains et les chercheurs français. Qu'attendez-vous de l'activation de la clause de revoyure de la loi de programmation de la recherche (LPR) par le ministre Philippe Baptiste en termes d'effort de financement ? Dans le contexte de dégradation des finances publiques, faut-il axer cet effort sur certaines priorités comme le niveau des rémunérations ?

Je terminerai par un sujet qui me tient à coeur, la collaboration public-privé en matière de recherche, aussi bien à l'échelle de la France que de l'Union européenne. Quels préalables identifiez-vous pour que cette collaboration fonctionne davantage et mieux, sans porter atteinte aux libertés académiques et à l'indépendance scientifique ?

M. Antoine Schuhl. - La première urgence, c'est de préserver et de revendiquer la liberté académique. La proposition de l'inscrire dans la législation européenne va dans le bon sens.

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Les enjeux liés à la liberté académique sont effectivement extrêmement importants. Elle est attaquée aux États-Unis via l'interdiction de communiquer librement avec des collègues d'autres pays, l'interdiction de s'exprimer auprès de la presse et même, à présent, l'interdiction de publier librement.

Je fais partie d'un groupe de scientifiques au sein duquel certains collègues américains se sont vu interdire d'être co-auteurs d'une étude sur la réactualisation des indicateurs clés du climat et de l'influence humaine sur celui-ci. On constate ainsi que la liberté académique est attaquée à tous les niveaux.

La liberté académique est parfois appréhendée sous l'angle du devoir de réserve des fonctionnaires. Actuellement, aux États-Unis, c'est ce principe qui est actionné, via l'interdiction faite aux agents fédéraux de s'exprimer en tant que fonctionnaires. Ce sujet nécessiterait une réflexion particulière qui pourrait être nourrie par des échanges entre des chercheurs américains travaillant pour des agences fédérales et des chercheurs français qui ont le statut de fonctionnaire.

Sur les autres leviers, notamment celui relatif aux données, je vous propose de solliciter directement Jean-François Doussin, qui est chargé de mission à l'Institut national des sciences de l'univers, et qui s'est vu confier un rôle de coordination nationale au sujet des données. Il a formulé une proposition assez précise de besoin de financement pour une autonomie scientifique en la matière. Il a chiffré le besoin de stockage des données à environ 600 téraoctets, ce qui nécessiterait un investissement d'environ 17 millions d'euros pour un coût de fonctionnement de 2 millions d'euros à la charge des opérateurs scientifiques.

La difficulté est que parfois, nous produisons des données brutes, qui sont ensuite traitées aux États-Unis, et que nous récupérons en bout de chaîne. Nous aurions besoin de maîtriser cette étape intermédiaire de traitement pour avoir une autonomie sur l'ensemble de la chaîne de données.

Mme Pascale Ultré-Guérard. - J'aurai une demande de précision, Valérie. Au total, cela fait près de 20 millions d'euros sur 10 ans, n'est-ce pas ? Pour une discipline donnée ?

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Oui, tout à fait, pour les sciences de l'univers.

M. Laurent Lafon, président. - Ce n'est pas un budget invraisemblable.

Mme Dominique Costagliola. - Il y a également des enjeux en biologie, notamment avec les banques de séquences. Nous n'avons pas d'alerte à ce sujet pour l'instant, mais nous pouvons craindre que les accès à GitHub, aux banques de séquences, au laboratoire national de Los Alamos, soient remis en question. Cet enjeu concerne d'autres disciplines également.

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Il est nécessaire de réfléchir à la vision du gouvernement fédéral américain, qui semble transactionnelle. Celui-ci pourrait accepter de préserver certains jeux de données en prévision météorologique sous réserve de leur commercialisation. Cela se ferait au détriment de la construction, depuis les années 1950, du partage de données pour la prévision météorologique au niveau mondial. Le risque est réel pour les jeux de données qui ne sont pas perçus comme ayant une vocation commerciale, comme le suivi du contenu de chaleur de l'océan. Ces données jouent un rôle crucial pour comprendre les risques liés à la montée du niveau de la mer. Sans elles, nous serions incapables de comprendre certains aspects de la réponse du climat.

Sachant que les États-Unis financent environ 50 % des flotteurs Argo, qui pourra prendre leur relais pour ne pas affaiblir nos capacités de suivi de l'océan ?

M. Antoine Schuhl. - Je voudrais revenir sur les 100 millions annoncés par la France pour accueillir les chercheurs empêchés et sur le niveau des rémunérations des chercheurs en France. C'est une question très importante.

Au CNRS, nous avons des programmes pour embaucher des chercheurs étrangers, qui permettent notamment de recruter directement au niveau de directeur de recherche. LA date limite pour postuler était fixée au 10 janvier, bien avant les décisions prises par l'administration Trump. Nous avons sélectionné cinq candidats qui rentreraient très bien dans le programme « Choisir la France ». Ces personnes subiront une diminution importante de leur salaire, mais le point essentiel n'est pas le salaire en lui-même. Il faut considérer l'ensemble de l'environnement de recherche et le coût de la vie en France, qui n'est pas le même qu'aux États-Unis. C'est pourquoi il est important d'offrir des packages d'accueil, c'est-à-dire des moyens financiers pour s'installer, acheter des équipements, accueillir des étudiants en thèse ou des post-doctorants. Les 100 millions d'euros annoncés pourraient être utilisés à cette fin.

Attention, je n'ai pas dit que le niveau des rémunérations des chercheurs en France était satisfaisant. Je dis simplement que la recherche française a d'autres atouts pour être attractive et que des dispositifs existent déjà pour accueillir des chercheurs étrangers. Il ne faut pas attendre d'avoir obtenu des avancées en matière de rémunération pour faire des propositions aux chercheurs américains.

Mme Dominique Costagliola. - Le niveau de salaire est un élément d'attractivité important, mais il n'est pas le seul : il faut aussi prendre en compte l'environnement administratif de recherche. En Europe, la couverture sociale et les capacités d'enseignement sont également très différentes de celles en vigueur aux États-Unis. Il faut donc nous comparer à nos collègues étrangers sur l'ensemble de ces aspects.

Je rappelle aussi que le budget de la recherche a largement été amputé cette année par rapport à ce que prévoit la trajectoire de la LPR.

La question se pose également de savoir si l'on va accueillir des chercheurs empêchés sur des postes permanents ou non permanents et sur quelle enveloppe leur salaire va être financé.

Mme Valérie Masson-Delmotte. - Je voudrais insister sur la situation des jeunes scientifiques - post-doctorants, thésards, chercheurs en début de carrière, car ce sont eux qui sont le plus directement affectés aux États-Unis, notamment par les licenciements et l'arrêt des financements. Ce constat n'est pas sans implication sur la construction des parcours de recherche européens. De nombreux jeunes chercheurs européens se forment en effet aux États-Unis avant de revenir. Mes collègues américains m'ont dit que les candidats européens de haut niveau ne voulaient plus partir aux États-Unis. Cela pose la question de l'âge et du niveau d'expérience du recrutement des chercheurs en France, car il y aura moins de possibilités de financement de post-doctorats pour les jeunes scientifiques européens sur les sujets interdits aux États-Unis. Une réflexion stratégique est nécessaire.

Mme Pascale Ultré-Guérard. - Dans le contexte de la revoyure de la LPR, il est extrêmement important de maintenir, a minima, l'ambition budgétaire initiale. Le soutien à la recherche aujourd'hui est fondamental pour notre avenir. Un vide se crée actuellement outre-Atlantique, et nous ne devons pas laisser passer l'opportunité de nous positionner à la hauteur des ambitions et des besoins de la recherche mondiale.

Je le dis en particulier pour le programme de recherche spatiale, le P193, inscrit dans la LPR. Si nous ne voulons pas tout arrêter, compte tenu des projets abandonnés par les Américains, les plans B seront plus coûteux. Nous allons essayer d'être imaginatifs, de chercher de nouveaux partenaires, mais ce n'est pas toujours simple à réaliser avec un budget constant.

M. Laurent Lafon, président. - Cela implique des partenariats publics-privés, comme le suggérait notre rapporteure.

Mme Pascale Ultré-Guérard. - Sachant qu'il ne faut pas considérer que le partenariat public-privé consistera à acheter nos places d'astronautes aux Américains ; nous voyons les choses différemment.

Sur ce sujet des collaborations entre le public et le privé, nous constatons, au moins au niveau du CNES, la difficulté d'avoir des passerelles entre les deux univers. C'est pourquoi il est important d'avoir des mécanismes comme les bourses Cifre (Conventions industrielles de formation par la recherche). Comme le CNES n'est pas éligible à celles-ci, nous avons mis en place des allocations de thèse cofinancées par le secteur privé, ce qui donne aux doctorants une double culture, publique et privée.

Il y a assurément un manque de souplesse et de passerelle entre les deux mondes. Des améliorations sont nécessaires.

Mme Laurence Garnier. - Je m'interroge sur la lecture qui peut être faite du choix de la nouvelle administration américaine de réduire les crédits attribués à la science.

On peut en faire une lecture financière et administrative. La mission confiée à Elon Musk à la tête du Département de l'efficacité gouvernementale est très claire : économiser de l'argent.

On peut aussi en faire une lecture politique. J'ai été interpellée par un certain nombre d'analyses, faisant suite à l'annonce par le Président de la République de sa volonté d'attirer les chercheurs américains, disant que Donald Trump avait ciblé spécifiquement dans ses réductions budgétaires des départements de recherche considérés comme gangrénés par le wokisme. Pensez-vous qu'il y a clairement une volonté politique de la part du président américain de s'attaquer à ses opposants universitaires au travers des coupes budgétaires ?

Une troisième lecture possible est une lecture historique et sociétale : on voit poindre depuis plusieurs d'années au sein des sociétés occidentales, pourtant pétries de la tradition des Lumières, la montée d'une forme d'irrationalité sur laquelle la science a de moins en moins prise. Le Covid a peut-être accéléré cette lame de fond, mais ne l'a sans doute pas complètement créée. Cette lecture sociétale n'est-elle pas encore plus inquiétante que les deux précédentes ?

Je me souviens par ailleurs d'un ouvrage de Steven Koonin, ancien conseiller du président Barack Obama, intitulé « Climat, la part d'incertitude », qui avait fait beaucoup débat au moment de sa sortie. Ce livre remettait en effet en question les méthodes d'analyse du GIEC et la lecture climatique faite par l'administration américaine depuis plusieurs années. Ne contenait-il pas déjà des signaux faibles qui conduisent à la situation que nous connaissons aujourd'hui ?

M. David Ros. - Il y a d'abord eu les coupes budgétaires annoncées par l'administration américaine, puis le signal envoyé par l'Europe et la France le 5 mai dernier. La question qui se pose désormais est celle des récepteurs : le récepteur extérieur, c'est-à-dire l'international, avec la volonté de faire de la France une terre d'accueil scientifique, et le récepteur intérieur, à savoir la communauté scientifique nationale et la façon dont elle accueille l'investissement annoncé. 100 millions d'euros, c'est peu au regard du budget de la recherche américaine, mais c'est beaucoup aux yeux de la communauté scientifique française, alors que le budget 2025 de la recherche est amputé de 500 millions d'euros. Le risque est que ces sommes s'opposent, ces communautés s'opposent.

L'urgence est d'élaborer une stratégie pilotée par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, en collaboration avec les organismes que vous représentez, ainsi que les universités, pour définir les axes stratégiques scientifiques que l'on souhaite prioriser. On peut parler du climat, de l'intelligence artificielle, de l'énergie.

Une autre priorité est la sauvegarde du patrimoine scientifique : on pourrait envisager des sites miroirs pour préserver les données américaines menacées.

J'ai rencontré des post-doctorants français lors de la mission de notre groupe d'amitié aux États-Unis, qu'Alexandra Borchio-Fontimp a mentionnée. L'un d'entre eux m'a confié que son contrat ne serait pas renouvelé. Ce type de situation questionne nos procédures de recrutement.

Au-delà des effets d'annonce, une stratégie s'impose. Le contexte actuel est peut-être une occasion à saisir pour l'Europe, pour la France en particulier. Un récent rapport recommande de réorienter 5 à 10 % des lycéens vers les filières scientifiques compte tenu du manque d'ingénieurs français. Plutôt que de clamer « Choisir l'Europe pour la science », il vaudrait mieux appeler à « Choisir la science » !

M. Pierre Ouzoulias. - Il y a un proverbe qui dit que ce n'est pas en cassant le baromètre qu'on arrête la tempête. Donald Trump vient de montrer rigoureusement l'inverse. Il pense pouvoir arrêter le réchauffement climatique en cassant les appareils qui le mesurent. Nous sommes extrêmement dépendants des données collectées par les États-Unis. 50 % des bouées de surface déployées dans l'hémisphère nord sont américaines. Si on perd ce référentiel, on sera dans l'incapacité demain, pour l'hémisphère nord, de prévoir des phénomènes extrêmes. Cela nous empêcherait de prévoir des cyclones à Mayotte, à La Réunion ou en Polynésie. C'est un souci majeur.

En tant que petit-fils de résistant, je me demande si les mêmes choses pourraient nous arriver en France. La France mesure depuis 1874 la proportion d'ozone au sommet du pic du Midi. Ces données sont fondamentales, car elles sont disponibles sur la très longue durée. Leur interruption, même pour quelques années, les rendrait moins précieuses.

Le relevé de certaines données fondamentales pour la compréhension de notre environnement sur le long terme ne pourrait-il pas constituer une mission de service public que l'État confierait à une agence ? Une telle mission pourrait être inscrite dans la loi, ce qui permettrait de préserver ces données.

Il a été très peu question des sciences humaines. L'invasion de l'Ukraine par Poutine a commencé par un oukase du président Poutine pour contrôler l'histoire et le récit national. Ce qui se passe aux États-Unis est rigoureusement la même chose. L'État fédéral et Trump veulent contrôler le récit national et considèrent que l'histoire, qui est une discipline sensible politiquement, doit être contrôlée par le pouvoir. Même si très souvent nous nous moquons un peu de cette science, je rappelle que l'histoire obéit à des méthodes, une déontologie, et que ses résultats sont validés par les pairs, ce qui est fondamental. Les sciences humaines, notamment l'histoire, sont essentielles pour faire comprendre aux populations la façon dont nous pouvons résister aujourd'hui à ce qui nous semble pourtant inévitable.

Je partage totalement votre inquiétude par rapport à ce qui arrive aux États-Unis, mais aussi en Europe. Il est indispensable de réaffirmer - c'est ce que fait la proposition de loi constitutionnelle que j'ai cosignée avec notre collègue Louis Vogel - que la science n'est pas une opinion. Elle obéit à une toute autre logique ; nous devons fortement insister sur ce point. Donc, bienvenue en France aux scientifiques !

Mme Sonia de La Provôté. - Je souhaiterais rebondir sur la question d'une stratégie à afficher de la part du ministère, mais aussi de l'ensemble des acteurs de la recherche. En existe-t-il vraiment une aujourd'hui ? Le sujet principal n'est pas tant l'accueil de scientifiques américains que celui de la souveraineté et de l'autonomie scientifiques de l'Europe, ce qui appelle la mise en place d'une véritable stratégie.

Ma deuxième remarque concerne la recherche biomédicale. Nous avons vu, à l'occasion du développement des vaccins à ARN-messager, à quel point le financement et l'organisation de la recherche, notamment sous l'angle de la coopération public-privé, étaient des questions fondamentales. Nous connaissons la force de frappe et la puissance des États-Unis quand une priorité de recherche est affichée. Il y a donc nécessité, dans le secteur de la recherche biomédicale, d'avoir une vraie stratégie et d'afficher des priorités. Faute de quoi nous perdrons des technologies, des innovations qui sont essentielles pour les médicaments de demain, d'après-demain, et même pour ceux d'aujourd'hui.

Le troisième sujet que je voudrais soulever est celui de l'émergence possible d'une forme d'ignorance ou d'obscurantisme dans la population américaine. Il risque d'y avoir un effet générationnel. L'essor des réseaux sociaux, l'utilisation d'outils générés par l'intelligence artificielle comme ChatGPT pour effectuer des recherches, bouleversent complètement l'accès à l'information. Nous ne recherchons plus activement différentes informations, mais recevons plutôt des informations préformatées. Ce phénomène peut conduire à l'ignorance et à l'obscurantisme. Il s'agit d'un sujet politique important, avec des implications géostratégiques à l'échelle mondiale. J'aimerais avoir votre avis.

Mme Mathilde Ollivier- Le tableau préoccupant que vous nous avez dressé corrobore l'inquiétude que j'ai ressentie le mois dernier en effectuant un déplacement aux États-Unis. J'y ai rencontré des chercheurs français et américains travaillant dans différents instituts.

J'ai constaté que le degré d'inquiétude n'était pas le même entre un chercheur travaillant à la NASA, dont le financement est à 80 % fédéral, et un chercheur travaillant dans une université, dont le financement repose largement sur des ressources propres.

Un autre point qui m'a paru particulièrement saillant est la question des visas pour les chercheurs étrangers installés aux États-Unis. Ils sont inquiets pour leur capacité à rester et à continuer leur recherche, notamment sur des sujets censurés par le gouvernement américain, comme le changement climatique. Ces chercheurs se posent aussi la question de leur participation à des conférences internationales, comme celles de l'ONU ou du GIEC, et de leur capacité à revenir ensuite aux États-Unis.

Le programme PAUSE de soutien des scientifiques et artistes en exil pourrait permettre d'accueillir des chercheurs américains.

Je voudrais aussi insister sur la situation des doctorants. Certains d'entre eux, notamment étrangers, sont encouragés à quitter les États-Unis pour poursuivre leur carrière à l'étranger. Comment pouvons-nous développer en Europe des capacités d'accueil pour ces doctorants ? Quelle est notre stratégie envers eux ? Plus largement, quels sont les leviers politiques pour éviter que les attaques contre la science aux États-Unis n'arrivent en France ?

M. Stéphane Piednoir- L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), que je préside, a réuni jeudi dernier son Conseil scientifique composé de 24 membres. Nous avons notamment débattu des nouvelles orientations de la politique américaine en matière de recherche et des difficultés que celles-ci posent. La question de l'articulation entre le politique et les scientifiques a également été abordée. La décision politique appartient aux politiques, mais elle doit se nourrir des alertes et des situations pointées par les scientifiques.

Plus grave que les licenciements et les réductions budgétaires, il y a l'effacement des données. Cela me choque profondément. Des pans entiers de données scientifiques sont effacés, ce qui peut avoir de graves conséquences sur l'état de la connaissance scientifique si on ne veille pas à reproduire ces données. Des licenciements peuvent se compenser par des recrutements, mais les données qui sont perdues, elles sont perdues pour toujours. C'est une forme d'autodafé numérique qui est extrêmement inquiétante.

J'ai aussi recueilli les témoignages de chercheurs américains qui, aujourd'hui, n'osent plus appeler leurs confrères en Europe. Nous nous dirigeons vers un cloisonnement extrêmement rigide. Les cibles, on les connaît : les sciences sociales et la santé - une part belle est faite aux antivax. Mais je rappelle qu'en France, la situation était assez similaire au moment du Covid. Il faut savoir regarder les choses en face.

Sur l'espace, nous avons besoin d'une stratégie européenne. Aujourd'hui, il y a une juxtaposition de stratégies nationales. Nous pensons qu'avec nos moyens, nous sommes capables de rivaliser avec les 75 milliards investis par les États-Unis dans le domaine spatial. Cela pose la question d'une gouvernance plus cohérente.

Il est par ailleurs illusoire d'espérer attirer des chercheurs installés aux États-Unis avec notre niveau de rémunération. En revanche, pour les doctorants et post-doctorants, il y a un vrai sujet de congestion pour ceux qui souhaitent faire une mobilité aux États-Unis.

La brutalité de Donald Trump met en lumière la nécessité pour un pays de s'interroger sur sa véritable performance en matière de recherche. Nous ne sommes pas non plus des chevaliers blancs dans ce domaine ; nous devons balayer devant notre porte. Des priorités de recherche doivent être définies. Il est également important de réhabiliter le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) qui est sur le point d'être supprimé, après le récent vote de l'Assemblée nationale.

Notre effort de recherche est toujours à 2,2 % du PIB, très loin de l'objectif des 3% défini par la stratégie de Lisbonne. Nous avons laissé faire pendant des décennies... Je ne suis malheureusement pas sûr que le moment soit opportun pour augmenter nos dépenses budgétaires de recherche.

M. Adel Ziane. - Je tiens à remercier le président Lafon d'avoir organisé cette table ronde et d'avoir pris la mesure du sujet. Nous avons reçu le ministre il y a quelques semaines et discuté de cette problématique. L'organisation de cette table ronde nous permet de préciser un certain nombre de sujets.

La question de la liberté académique est cruciale, notamment face aux attaques récentes subies par le monde de la recherche. Il aura suffi de quelques semaines au président Trump pour dynamiter la science aux États-Unis, avec des postes de doctorants supprimés, des enseignants-chercheurs poussés vers la retraite, des financements coupés, des bourses supprimées, des jeux de données menacés, et des mots bannis dans le champ de la recherche.

Ces attaques s'inscrivent dans une tendance plus large de recul de la liberté académique à l'échelle mondiale. L'indice de liberté académique est sans appel : alors qu'en 2006, un citoyen sur deux vivait dans un pays respectant cette liberté, aujourd'hui il n'y en a plus qu'un sur trois. Ce contexte est alarmant, mais il place la France face à une responsabilité et une opportunité.

Sommes-nous en capacité de devenir un pôle d'attraction pour les chercheurs étrangers qui fuient les pressions politiques ? Cela suppose un cadre protecteur qui soit à la hauteur. Il y a la question des moyens, mais aussi et surtout des garanties que nous devons offrir en matière de liberté académique dans ses trois dimensions : la liberté de la recherche, la liberté d'enseignement et la liberté d'expression académique. Pour l'instant, en France, nous restons à l'abri des formes les plus brutales d'ingérence, mais rien ne nous dit que demain les conséquences ne pourraient pas être plus graves. L'Université a été la cible d'attaques de tous bords ces derniers mois, voire ces dernières années. Pensez-vous qu'un renforcement législatif serait utile pour mieux protéger la liberté académique ? Vous avez mentionné la difficulté pour certains fonctionnaires américains de s'exprimer dans le cadre de leurs activités. Je voudrais vous entendre davantage sur ce sujet.

Je rappelle que le sénateur Louis Vogel a déposé une proposition de loi pour constitutionnaliser la liberté académique. Je vais moi-même déposer une proposition de loi dans les prochains jours, fruit de discussions avec des enseignants-chercheurs et des représentants du monde de l'université, visant à garantir la liberté académique des enseignants-chercheurs et l'indépendance des travaux de recherche.

Je reviens enfin sur la question fondamentale des données. Nous sommes face à une perte très inquiétante de données immatérielles, un autodafé numérique comme l'a dit Stéphane Piednoir. Quelles solutions identifiez-vous ?

Mme Catherine Belrhiti. - Selon vous, le désengagement des États-Unis des forums internationaux tels que le GIEC nuit-il à la crédibilité des résultats scientifiques globaux ? Quel rôle la communauté scientifique européenne peut-elle jouer pour soutenir la recherche scientifique face aux pressions politiques et à la défiance croissante envers les sciences ?

Mme Karine Daniel. - Les universités n'étant pas représentées à cette table ronde, je voudrais savoir comment vous travaillez avec elles sur l'accueil des chercheurs étrangers. Le contexte budgétaire est certes préoccupant pour vos organismes de recherche, mais il l'est encore plus pour les universités, qui font face à une baisse structurelle de leurs crédits. Dans quelle mesure celles-ci ont-elles la capacité de se mobiliser ?

Mme Laure Darcos. - La LPR a créé le dispositif des chaires de professeur junior afin de permettre aux organismes de recherche et aux universités de recruter des profils scientifiques très spécifiques. Pourrait-il être utilisé pour accueillir des chercheurs américains en France ?

Mme Monique de Marco- Je tenais à alerter sur ce qui se passe en France, en particulier à Bordeaux. Le laboratoire bordelais de recherche en informatique (LABRI) est devenu une zone à régime restrictif. Une chercheuse, recrutée pour un post-doc sur l'impact de l'intelligence artificielle en matière environnementale, s'est vu refuser l'accès au laboratoire en raison de son activisme « vert ». Je ne souhaite pas que ce régime restrictif, dont j'ignorais l'existence, puisse être appliqué plus généralement en France sans arguments solides.

M. Antoine Schuhl. - Vous avez été plusieurs à alerter sur le danger qui, selon moi, est le plus préoccupant : l'obscurantisme et la défense de la parole scientifique. On la met souvent au même niveau qu'une opinion, alors qu'elle n'en est pas une. On la remplace par une vérité décidée, non appuyée sur des faits scientifiques. C'est très dangereux.

Je vous suis totalement : il faut choisir la science. Mais donnons-nous-en les moyens ! En 2014, la dépense intérieure de recherche et développement était de 2,22 % en France, en 2025, on en est toujours au même point alors que l'Allemagne est passée de 2 % à 3%.

Nos réponses se déploient en fonction des moyens dont nous disposons. Nous proposons des solutions pour accueillir des chercheurs, en privilégiant la qualité scientifique. L'objectif étant que ces personnes puissent apporter une plus-value à notre système de recherche. Le CNRS met effectivement en place des chaires de professeurs juniors : 47 ont été ouvertes cette année pour attirer des candidatures de chercheurs américains, mais pas que. Nous choisirons les meilleurs profils scientifiques.

Nous avons beaucoup parlé de la liberté académique. Tout ce qui peut la stabiliser, la consolider ou la sanctifier, nous le défendrons. Au CNRS, nous avons travaillé à la publication d'un guide de l'expression publique des chercheurs, qui est le fruit de six mois de travail de notre conseil scientifique et d'autres acteurs. Les chercheurs sont confrontés à un dilemme : s'ils parlent à la presse, ils ont l'impression de trahir leur statut de fonctionnaire. En même temps, ils ont des informations précieuses à lui transmettre, notamment sur le changement climatique. Ce guide doit les aider à prendre la parole, tout en respectant leur devoir de réserve.

Mme Valérie Masson-Delmotte. - La liberté académique est importante en termes de diplomatie scientifique, c'est-à-dire de capacité à échanger librement entre scientifiques des différents pays.

La liberté académique est également liée aux financements ouverts. Plus nous avons des financements fléchés sur des priorités politiques, plus nous sapons la liberté académique. Celle-ci permet d'examiner des thématiques innovantes et de créer des ruptures de compréhension et d'innovation à long terme. Les financements ouverts, comme ceux du Conseil européen de la recherche ou des projets blancs de l'Agence nationale de la recherche (ANR), favorisent cette liberté académique en faisant confiance au monde académique pour évaluer les projets de rupture. La liberté académique est menacée aux États-Unis, où les financements de la NSF sont arrêtés pour certaines thématiques ou priorités de court terme.

Enfin, la réflexion sur la liberté académique doit se nourrir d'échanges avec les sociétés savantes. En France, nous avons un congrès des sociétés savantes, lesquelles sont organisées par champ disciplinaire. Aux États-Unis, ce sont les sociétés savantes qui défendent la science, car l'Académie nationale des sciences dépend à 80-90% de financements fédéraux et ne peut pas prendre position sans risquer de perdre ses financements. Ces sociétés savantes jouent un rôle important dans la protection de la liberté académique et dans le soutien aux candidatures de scientifiques américains aux évaluations internationales comme celles du GIEC. Cela permet de maintenir un canal de diplomatie scientifique et la participation d'universitaires américains aux évaluations internationales, même si le gouvernement américain y est opposé.

Comment les États-Unis en sont arrivés à ce point de bascule ?

Depuis l'après-guerre, il y avait cette idée qu'une recherche libre de haut niveau améliorerait le bien-être de la société par son rôle en matière d'innovation, de santé, et beaucoup d'autres domaines. Les États-Unis ont été leader au niveau mondial en sciences du climat, notamment sur les observations, la modélisation et les évaluations. Cependant, à partir des années 1980, des acteurs économiques, notamment des multinationales liées au pétrole et au gaz fossile, ont fait le choix du climato-scepticisme. Cela a été une stratégie pensée, mise en oeuvre, de laisser la recherche se faire au meilleur niveau, mais de créer un rideau de fumée entre les connaissances scientifiques et les décideurs, les médias, le grand public. Se sont alors développées des stratégies d'influence visant à faire de la pseudo-science et à semer le doute dans l'esprit du grand public.

Le réchauffement au niveau planétaire atteint, sur les dix dernières années, 1, 24°C. La quantification du rôle de l'influence humaine en tenant compte de toutes les incertitudes, observations, méthodes, c'est 1,23 sur 1,24 degrés. Le constat scientifique est établi et ne fait que se renforcer. La trajectoire du climat, même avec l'année record 2024, est celle qui était anticipée depuis des décennies par les travaux de modélisation. Le climato-scepticisme vise à garantir la commercialisation d'énergies fossiles sans contrainte.

Aujourd'hui, nous constatons un changement d'échelle. Le fait scientifique est implacable sur l'aggravation des dommages et la capacité à relier cause et conséquence, malgré les incertitudes inhérentes à la démarche scientifique. Les États-Unis ont causé entre 1 500 et 2 000 milliards de dollars de pertes économiques depuis 1990, rien que par leur effet sur le réchauffement qui dope les vagues de chaleur, lesquelles entraînent des pertes de rendement agricole dans les pays tropicaux. Ce constat scientifique qui relie cause et conséquence est extrêmement solide et ne fait que s'affiner. Or il est perçu comme une menace par une partie de la société américaine.

La capacité à porter des transitions, c'est-à-dire à répondre aux besoins humains par l'efficacité et la décarbonation du mix énergétique, est en progrès. Les émissions de gaz à effet de serre américaines baissent depuis 2005, celles de la Chine ne montent plus depuis un an, et celles de l'Europe baissent depuis les années 90. L'objectif de la politique du gouvernement américain actuel est de freiner cette capacité de transition et de faire taire les sciences du climat.

Les attaques contre la science visent à détruire les fondements du droit de l'environnement. Le but est de favoriser les énergies fossiles et la consommation d'énergie sans contraintes réglementaires. Or ces contraintes découlent de la preuve des effets néfastes pour la santé de la pollution atmosphérique ou de la dégradation de la qualité de l'eau.

On veut réduire le suivi des espèces protégées, affaiblir les fondements du droit de l'environnement et limiter les possibilités de recours juridique. En ce qui concerne le climat, ce qui est ciblé, ce sont les conséquences sanitaires du changement climatique, comme les vagues de chaleur, les maladies infectieuses, les feux de forêt et la pollution de l'air.

Pour moi, cela n'est pas une vision obscurantiste due à un défaut de compréhension des faits scientifiques, mais un projet politique pensé, construit et porté par The Heritage Foundation. C'est une vision restrictive de l'intérêt national, favorable à certaines personnes et acteurs économiques, mais qui ignore les inégalités environnementales.

Pour mettre ce projet en oeuvre, il faut produire de la désinformation. Vous avez raison, les réseaux sociaux jouent un rôle toxique en propageant de fausses informations et en les rendant accessibles au détriment des faits et des connaissances scientifiques. Nous sommes extrêmement désarmés face à cela.

Le livre de Steven Koonin auquel vous avez fait référence est une forme de climato-scepticisme élégant. Il ne nie pas les faits scientifiques, mais les minimise et alimente le soupçon. La popularité des influenceurs sur les réseaux sociaux - je pense à ce jeune qui vend des produits pour gonfler ses muscles et qui fait un million de vues - montre nos difficultés à communiquer sur nos faits et connaissances face à ces capacités d'influence ciblant certaines catégories de la population.

Nous sommes confrontés à une situation très grave, car ce qui est également ciblé, c'est la place des faits dans la délibération démocratique. Et pas seulement sur le sujet climat. Que veulent dire les mots diversité, égalité, inclusion ? En science, nous ne sommes pas divers, nous ne sommes pas nécessairement inclusifs. Il y a beaucoup moins de femmes qui s'engagent dans les parcours scientifiques, et cela s'est même aggravé récemment. C'est très préoccupant, car nous perdons la moitié des talents possibles si nous n'avons pas autant de femmes que d'hommes qui s'engagent dans les parcours scientifiques. De plus, nous avons du mal à encourager les enfants issus de milieux très modestes à s'engager dans des parcours scientifiques de haut niveau, en France comme dans le reste du monde. Les mots diversité, égalité, inclusion étant désormais interdits aux États-Unis, tous les programmes de la NSF visant à faciliter l'accès des enfants de milieu modeste aux parcours scientifiques ont été gelés. Cette vision idéologique supprime la possibilité d'élargir la participation à la production de connaissances.

Mme Pascale Ultré-Guérard. - Je souhaiterais réagir à l'intervention qui a évoqué la somme des stratégies nationales, notamment dans le domaine spatial. Nous avons un rendez-vous important pour l'Europe spatiale, le conseil au niveau des ministres de l'Agence spatiale européenne, qui aura lieu à la fin de cette année. C'est une opportunité pour affirmer un projet commun et soutenir l'autonomie stratégique européenne.

Ces enjeux sont extrêmement importants, notamment dans le domaine spatial, mais pas uniquement. À l'Agence spatiale européenne, nous constatons bien des tiraillements entre les ambitions et les enjeux nationaux. Cela n'a jamais été facile, mais c'est devenu plus difficile de soutenir un projet européen. Pourtant, nous savons que l'échelle européenne sera importante pour peser dans nombre de domaines. L'autonomie stratégique et la souveraineté sont fondamentales dans le domaine scientifique.

La force des États-Unis a été leur liberté de chercher et la force de leur système de recherche. On se demande comment on peut défendre « Make America Great Again » tout en affaiblissant son système scientifique. Il faut que nous nous emparions de l'enjeu de préserver et de renforcer la science en Europe, y compris spatiale.

Mme Dominique Costagliola. - La liberté académique est avant tout liée à la possibilité d'être financé pour faire ses travaux de recherche. Une loi pour la garantir, pourquoi pas, mais le diable sera dans les détails. L'élément essentiel, c'est qu'il puisse y avoir des financements non thématisés. Les priorités qu'on peut mettre en avant à un moment t sont souvent déjà dépassées. Il y a vingt ans, personne n'aurait priorisé l'ARN-messager. Et puis, d'un seul coup, c'est la recherche qui permet de faire l'avancée que constituent les vaccins à ARN-messager. Ce qui me semble fondamental, c'est d'avoir un équilibre entre des thématiques que l'on priorise et le fait de pouvoir garder de la liberté non thématisée.

Il y a aussi un enjeu autour de ceux qui font la recherche. Ces jeunes chercheurs qui ne pourront pas faire ou pas finir leur doctorat ou post-doctorat aux États-Unis, ces chercheurs plus expérimentés qui ne pourront plus faire carrière. Tout cela mettra des années à se reconstruire...

Je voudrais mentionner un exemple montrant que l'échelle européenne est vraiment la bonne échelle pour agir. À la suite du Covid, une autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire a été créée. Cette autorité, qui se met en place progressivement, devrait nous aider à mieux comprendre comment passer de la recherche au développement, puis à la disponibilité de produits, que ce soit des vaccins ou des traitements. Il faut voir comment cela va fonctionner concrètement, mais nous avons bon espoir.

Mme Valérie Masson-Delmotte. - La question du désengagement des États-Unis par rapport au GIEC se pose. Qu'en sera-t-il notamment du groupe 3 alors que le gouvernement américain a supprimé l'équipe d'appui de sa coprésidente américaine ?

Les sociétés savantes et les universités américaines ont mis en place un canal pour que les chercheurs américains puissent continuer à contribuer aux travaux du GIEC. Cependant, il manquera une relecture coordonnée au niveau du gouvernement américain, qui était toujours d'excellente qualité et permettait d'améliorer la qualité scientifique des rapports.

La force des travaux du GIEC réside dans le mécanisme de co-construction avec les représentants de tous les pays, de relecture et d'approbation. Si un État s'en désengage, cela fragilise ce constat scientifique dans le cadre des relations internationales.

La crédibilité des résultats scientifiques est également en jeu. Cela est étroitement lié à la place de la culture scientifique dans nos sociétés. J'ai participé à l'élaboration d'une feuille de route sur la culture scientifique avec le ministère de la Culture, qui me semble essentiel. Cette dimension est menacée aux États-Unis, où certains États visent à retirer les contenus liés à l'évolution ou au changement climatique des programmes scolaires.

Je voudrais aussi souligner l'importance du maintien, dans la durée, du volet « services publics d'observation ». En France, les services nationaux d'observation sous l'égide de l'Institut national des sciences de l'univers jouent un rôle crucial. À l'heure actuelle, les missions d'observation de la NOAA sont fortement fragilisées. La communauté scientifique française est très inquiète, comme vous l'avez peut-être perçu. Il est peut-être nécessaire de réfléchir à une sécurisation de cette mission de service public d'observation.

Un dernier mot sur le mouvement Stand Up for Science qui a très vite reçu un soutien massif de la part de jeunes scientifiques, d'enseignants, d'enseignants-chercheurs, d'organismes de recherche, d'universités... Les échanges en son sein ont révélé une grande inquiétude sur les sujets du financement de la recherche, des opportunités de carrière, des conditions de travail, qui sont souvent catastrophiques. Les attaques politiques contre des disciplines ou des organisations scientifiques sont également une source d'inquiétude ; de nombreux collègues ont le sentiment de ne pas être protégés. Je veux ici relayer leur inquiétude.

Nous avons besoin de scientifiques qui travaillent sur des sujets sensibles pour apporter des éléments de connaissances factuelles et éclairer les choix de politiques publiques. La politisation de la science est dangereuse. En revanche, un débat public associant les scientifiques permet d'améliorer la compréhension des enjeux contemporains, tout en protégeant les scientifiques de tout risque d'ingérence politique.

M. Laurent Lafon, président. - L'organisation de cette table ronde, la réunion du Conseil scientifique de l'OPECST la semaine dernière, les différentes initiatives sénatoriales en termes de propositions de loi, constituent assurément une marque de soutien à vos préoccupations.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 20.