Mardi 20 mai 2025
- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Audition de M. Éric Woerth, député de l'Oise, ancien ministre, auteur du rapport « Décentralisation : le temps de la confiance »
M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous propose de commencer cette audition avec M. Éric Woerth, député et ancien ministre. Cette audition est retransmise et sera disponible sur le site Internet du Sénat.
Monsieur le ministre, nous vous remercions de vous être rendu disponible pour nous parler d'intercommunalité et nous présenter les recommandations de votre rapport « Décentralisation, le temps de la confiance ». Vous y proposez notamment de réformer le schéma de financement des intercommunalités, de conforter la place des maires, de généraliser les projets de territoire et d'oser la subsidiarité en mobilisant des instruments tels que l'intérêt communautaire et la délégation de compétences.
Ces propositions alimenteront la réflexion de notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe RDSE. Notre objectif n'est pas de remettre en cause le principe de l'intercommunalité, mais d'identifier les freins et blocages qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales.
Nous avons à coeur de trouver avec les élus, en particulier avec les maires et les présidents d'intercommunalités, des voies d'amélioration pour garantir le meilleur fonctionnement possible de notre démocratie locale, notamment en termes de gouvernance et de services rendus aux citoyens.
D'autres instances du Sénat étudient plus spécifiquement la situation financière des collectivités locales. La question des métropoles de Paris, Lyon et Marseille est, quant à elle, un sujet trop vaste pour notre mission d'information et a déjà fait l'objet de plusieurs rapports du Sénat.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Notre mission d'information a commencé ses auditions il y a un peu plus d'un mois. Nous avons entendu d'ores et déjà beaucoup d'associations d'élus et nous sommes rendus sur le terrain, notamment la semaine dernière dans les Hautes-Pyrénées. Quelques grandes tendances commencent à se dégager des témoignages des élus sur le terrain.
Aujourd'hui, les élus - les maires en particulier - ont le sentiment que la mise en oeuvre de la loi NOTRe s'est faite à marche forcée, avec la création de nouvelles intercommunalités qui a créé des tensions, pour ne pas dire des inimitiés entre élus. Beaucoup de maires expriment également une forme de dépossession, de perte de sens de leur mission au niveau de la commune. Et ils regrettent aussi le manque de démocratie et de clarté dans les prises de décision au niveau de l'intercommunalité.
Les élus des petites communes se sentent parfois un peu désorientés, peu écoutés, voire écartés de la prise de décision qui souvent leur échappe. La répartition des compétences fait clairement débat, même s'il est vrai que l'intercommunalité paraît souvent l'échelon compétent et légitime pour porter des projets et oeuvrer en faveur du développement territorial. Nous l'avons vu la semaine dernière à propos de la gestion des eaux, notamment celle réalisée à l'échelle d'un bassin versant, où l'intercommunalité permet la réalisation de projets que la seule commune-centre ne pourrait pas faire. Autre exemple, à Tarbes, où nous étions la semaine dernière, l'ancien arsenal a été reconverti en centre sportif de référence. Le maire nous a confié que la commune n'aurait pas pu porter seule cet investissement.
Nous sommes très intéressés de connaître votre vision de l'intercommunalité. Est-elle, selon vous, une réussite ? La loi NOTRe a-t-elle ancré l'intercommunalité dans le paysage institutionnel ? L'intercommunalité est-elle, selon vous, aboutie ou reste-t-il encore des marges de manoeuvre et d'amélioration ?
M. Éric Woerth. - J'ai été maire pendant longtemps et président d'une communauté de communes d'environ 50 000 habitants. Le rapport que j'ai remis au Président de la République avait un objectif précis : essayer d'avoir une vision panoramique de la décentralisation, moins en diagnostic, mais plus en propositions. J'avais posé deux conditions au Président de la République : ne pas proposer la suppression d'une strate de collectivité locale, car cela est compliqué devant le Sénat ou l'Assemblée nationale, et éviter les guerres perdues d'avance qui font perdre du temps.
J'ai noté que le nombre de strates, en France, est équivalent à celui en Europe, à savoir trois strates de collectivités locales : communes, départements, régions, et une strate supplémentaire, les intercommunalités. Cela s'explique le très grand nombre de communes en France. Il faut les regrouper pour éviter qu'elles n'aient plus de moyens et qu'il y ait trop d'interlocuteurs pour mener les projets. C'est une caractéristique de notre pays, due à l'identité qui nous est chère, à savoir le nombre de communes, qui ont toujours la possibilité de se regrouper ou de fusionner si elles le souhaitent. Le rapport le dit d'ailleurs, et vise à enclencher un nouveau mouvement de fusion volontaire. Mais il n'est pas question d'imposer quoi que ce soit.
J'avais également indiqué que la recréation d'une fiscalité locale, comme une taxe d'habitation bis, n'était pas acceptable. Cela reste de l'argent que l'on prend à quelqu'un à un moment donné. La suppression de la taxe d'habitation n'était peut-être pas la meilleure des idées. Celle-ci étant actée, il était très difficile de proposer de recréer un nouvel impôt local, même si le lien entre le contribuable et l'usager du service public est un peu malmené. C'est pourquoi j'ai présenté un schéma de financement global, complet, appuyé sur d'autres éléments que la création d'une taxe.
La décentralisation fonctionne. Chaque jour, des projets sont adoptés, des budgets votés, des élus sur le terrain. On ne peut pas dire que ce soit une décentralisation bloquée ou en crise absolue. Cela fonctionne, mais il y a un débat malsain entre l'État et les collectivités locales sur les compétences attribuées et les moyens dévolus. Chacun a ses chiffres, mais cela ne mène à rien. L'État considère qu'il en fait déjà beaucoup, tandis que les collectivités estiment qu'elles en font beaucoup mais que l'État ne les aide pas. La « marque État » est extrêmement fragmentée. On peut entendre des discours contradictoires, comme « la sécurité n'est plus assurée, l'État n'est nulle part » et en même temps « bravo à la gendarmerie pour tout le travail effectué ». Il y a beaucoup de paradoxes de cette nature parce que l'État, ce sont beaucoup d'acteurs différents. Je ne parle pas que des agences et de « l'agenciarisation » qui est un sujet en soit. Il est important de remettre les choses dans le bon sens et c'est ce qu'on a essayé de faire de la façon la plus détaillée possible. Les lois qui se sont succédées à un rythme rapide dans les années 2010 à 2015, comme les lois RCT, Maptam, NOTRe, la création des grandes régions il y a 10 ans, ont contribué à cette situation.
Souvent, je m'aperçois que ces lois, qui avaient un objectif, comportent bon nombre de contradictions. Ces contradictions sont de notre faute, aux parlementaires par principe, puisque ces lois ont été votées ici ainsi qu'à l'Assemblée nationale. Par exemple, la clause de compétence générale a été supprimée par la loi RCT en 2010, puis rétablie par la loi Maptam, s'agissant des départements et des régions, avant d'être à nouveau supprimée par la loi NOTRe. Cela fait beaucoup d'allers-retours.
La création du conseiller territorial, adoptée en 2010, a été suivie de sa suppression trois ans plus tard. Les départements sont toujours un sujet de débat. Initialement, il était prévu qu'ils seraient dévitalisés au fil des ans. Cependant, la création des grandes régions a nécessité leur maintien. Tout cela crée de la confusion, tant pour nous qui vivons la décentralisation au quotidien que pour les citoyens ; on a parfois du mal à s'y retrouver.
Cela signifie également que les décisions locales prennent plus de temps. La principale raison est le manque de financement. Les projets sont plus longs à mettre en oeuvre en raison des délais de financement et des files d'attente importantes. Il est donc nécessaire de clarifier notre direction.
La création des régions a pu être contestée. On aurait pu revenir à la carte de Michel Debré des années 50 avec des départements plus grands et des régions plus petites. La France aurait été divisée en 70 entités territoriales. Cependant, le choix a été fait de créer de grandes régions pour des grands projets. Les grandes régions ne sont pas faites pour la proximité, mais pour l'économie, la planification et les infrastructures. Les régions permettent une planification active, avec des moyens qui permettent de vérifier, de faire et de financer. Elles permettent de réaliser de grandes infrastructures comme les ports, les aéroports et les grandes routes éventuellement. Les départements deviennent alors des territoires avec des missions sociales et de solidarité.
La solidarité des territoires, c'est recoudre le milieu urbain et le milieu rural et assurer les compétences sociales des départements. C'est déjà beaucoup. Le bloc communal, établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et commune, a l'entièreté de la compétence de proximité. Cela peut fonctionner, mais cela nécessite d'orchestrer tout cela, sans doute de contractualiser. Ces outils ont été permis par des lois précédentes. Nous pouvons contractualiser, expérimenter. Le pouvoir réglementaire pourrait être donné aux collectivités locales mais il ne l'est pas en raison de problèmes de constitutionnalité. Il ne faut pas revenir sur les clauses générales de compétences. C'est un élément positif que les communes en disposent parce que la vie de proximité est assez intégrée ou intégrante. Le département ou la région ont besoin d'exercer les compétences que le législateur a décidé de leur donner. C'est ce qui me semble essentiel.
L'EPCI n'est pas une collectivité locale, c'est un accord, certes très poussé par l'État au moment de la loi NOTRe. Les collectivités ont été obligées d'appartenir à des établissements comptant au minimum 15 000 habitants, sauf dérogation.
Entre l'EPCI et la commune, c'est le principe de la subsidiarité qui doit prévaloir. On a un peu favorisé la dispersion par des allers-retours et multiplié les enchevêtrements. Il faut faire en sorte que cette subsidiarité soit la plus vivante possible. Les maires se sentent parfois perdus dans des intercommunalités s'ils ne sont pas président ou vice-président. C'est aussi le cas des maires ruraux, s'agissant des grandes intercommunalités qui sont géographiquement dispensées. De grandes intercommunalités, ce sont également de nombreuses réunions auxquelles l'élu doit se rendre, en plus de celles organisées par sa propre commune. Ces considérations peuvent paraître un peu basiques, mais c'est la réalité de la vie des élus qui peuvent exercer d'autres fonctions voire une activité professionnelle. Il faut prendre en compte la parole des maires qui font part d'un certain éloignement ou écrasement de l'identité de leur commune. Leur critique est légitime.
Intercommunalités de France, une grande association bien menée, doit prendre en compte certaines réalités. L'intercommunalité ne possède pas une clause générale de compétence car ce n'est pas une collectivité, mais une association, plus ou moins organisée et obligatoire. C'est une organisation entre égaux, qu'on soit grand ou petit.
Le rapport formule quelques propositions dans ce domaine. La première consisterait à permettre aux maires de déclencher une motion d'alerte, votée par le quart d'entre eux, pour exprimer leur opposition à un projet ou à la gouvernance de l'intercommunalité. Cette motion n'imposerait pas d'obligation de faire, mais obligerait à inscrire le sujet à l'ordre du jour et à en débattre. Cela redonnerait un peu de pouvoir à une partie des maires. En cas d'adoption de la motion, cela signifierait qu'il faudrait réfléchir différemment au projet en question. Ce serait un peu comme un parachute pour les maires.
Le projet de territoire constitue un autre outil important. Il est peu répandu et s'accompagne souvent d'une complexité technique chronophage. Il est cependant logique, au sein d'un EPCI, de savoir ce que l'on veut faire ensemble. Cela peut inclure des objectifs concrets, comme multiplier par deux le réseau de pistes cyclables ou changer les modes de recyclage des déchets. La notion d'habitat doit aussi y être intégrée. La définition de ce projet de territoire devait intervenir quelques mois après l'élection. Idéalement, cela devrait même se faire avant pour que l'électeur sache exactement pour quoi il vote dans le cadre de l'intercommunalité. Normalement, une tête de liste, avec ses candidats, devrait dire « je veux faire cela pour la commune et en ce qui concerne l'intercommunalité, nos représentants auront à coeur, par exemple, d'augmenter le nombre de crèches ». Les électeurs votent souvent sans connaître tous les détails des projets pour l'intercommunalité, ce qui est regrettable.
Le rapport propose par ailleurs d'instituer un statut juridique unique pour toutes les intercommunalités. Actuellement, il existe des communautés de communes, des communautés d'agglomération, des communautés urbaines et des métropoles. Il me semble que l'existence de statuts juridiques différents avait un intérêt au moment de la création des premières intercommunalités, mais aujourd'hui, il n'y a pas de raison d'en avoir plusieurs. Évidemment, les intercommunalités pourraient continuer à s'appeler comme elles le souhaitent tout en ayant le même statut juridique. Les statuts juridiques actuels compliquent les choses, notamment lorsqu'une communauté de communes souhaite passer en communauté d'agglomération pour acquérir de nouvelles compétences : certains seuils peuvent poser des difficultés. L'idée est donc d'avoir un seul statut et de permettre aux communautés de communes de « redescendre » des compétences vers les communes si nécessaire. Nous proposons que cela se fasse à la majorité simple et non à une majorité qualifiée, car il est important de prendre en compte les besoins des communes qui ne disposent pas de la majorité qualifiée mais qui souhaitent voir « redescendre » certaines compétences. Cette question d'exercice de la compétence devrait être décidée entre élus et non par le préfet.
Les notions d'intérêt communautaire et de subsidiarité sont, certes, inscrites dans la loi mais elles devraient être davantage mises en avant. Beaucoup de collectivités locales prennent déjà en compte l'intérêt communautaire, mais il est possible de faire mieux et d'augmenter les délégations des EPCI.
Le département, voire une région selon les circonstances, doit pouvoir confier plus de responsabilités à un EPCI. Les accords contractuels entre collectivités, qui émanent de la volonté des élus, sont extrêmement importants. S'ils ne fonctionnent pas, c'est qu'il y a des blocages ; ce n'est toutefois pas à l'État de les lever. Je crois nécessaire de faire revivre la subsidiarité réelle et d'augmenter les possibilités de délégation de compétences.
Il faut par ailleurs supprimer un maximum de syndicats intercommunaux. Avec quatre niveaux de collectivités, on peut s'en passer. Les anciens syndicats historiquement implantés, qui ne recouvrent aucune collectivité locale, peuvent perdurer s'ils fonctionnent bien. Mais, de manière générale, il faut élaguer et affirmer que c'est bien l'EPCI ou le département qui s'occupe de la gestion de l'eau par exemple.
Le rapport propose également de supprimer les pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) prévus par la loi Maptam. Les PETR sont des projets entre collectivités ; or telle est précisément la raison d'être de l'EPCI. Il n'est pas nécessaire d'avoir une autre structure qui engendre des réunions et des financements supplémentaires. Encore une fois, il faut élaguer pour que chacun retrouve sa place et tendre vers une meilleure articulation entre l'EPCI et le département.
Tout cela devait faire l'objet d'une discussion.
Le rapport propose que les intercommunalités recouvrant les actuelles métropoles ou représentant plus d'une certaine proportion de la population départementale, par exemple 40 %, aient l'obligation de conclure une contractualisation avec le département sur leurs compétences respectives. À titre d'exemple, l'Aube compte 13 intercommunalités dont la communauté d'agglomération de Troyes Champagne Métropole, qui représente 58 % de la population du département. Il apparaît logique que, dans ce cas, le département et l'intercommunalité organisent leurs compétences. Jusqu'à présent, seules les métropoles ont cette obligation et doivent prendre au moins trois compétences du département. Il faut appliquer cette délégation de compétences au niveau des intercommunalités de grande taille. Cela fonctionnerait, je pense, très vite.
L'organisation des compétences entre les départements et les EPCI, et plus largement entre les différents niveaux de collectivités, doit reposer sur des accords locaux. La contractualisation obligatoire existe entre les métropoles et les départements, mais pas avec les régions. Il serait judicieux que les métropoles puissent aussi contractualiser avec les régions.
La contractualisation pourrait aussi bien porter sur l'habitat, le social, l'environnement, la rénovation énergétique... Il faut raisonner en termes de projet de territoire. Je crois en revanche indispensable que les maires puissent garder la main sur l'affectation des logements.
Concernant le cas particulier de Paris, il y a une strate de trop, la Métropole du Grand Paris. Il faut garder l'idée d'une vision métropolitaine, mais est-ce que cela doit être porté par une structure administrative et politique supplémentaire ? Cela peut se discuter en définissant qui fait quoi. Lyon est le seul territoire où se superposent deux clauses générales de compétence - celle de la commune et celle de la métropole, ce qui peut poser un problème de chevauchement.
Enfin, le rapport propose de recentrer la fiscalité de proximité vers le bloc communal, de créer des fonds de péréquation entre les EPCI et d'affecter des parts de fiscalité nationale à l'échelon local, notamment la fiscalité foncière au bloc communal. Les départements ne percevraient plus de droits de mutation à titre onéreux (DTMO). Ceux-ci sont appréciés des départements quand les rentrées fiscales sont bonnes mais, en période de crise, les DTMO ne permettent plus de financer les dépenses sociales qui augmentent ; il y a un effet ciseau. Les départements pourraient bénéficier d'une part de contribution sociale généralisée (CSG), éventuellement sur la base d'un taux territorialisé et de mécanismes de péréquation et les régions, d'une part de l'impôt sur les sociétés, également territorialisé.
Le rapport propose aussi une loi de programmation des finances locales et une conférence annuelle entre les collectivités et l'État, afin qu'un dialogue s'instaure sur la répartition de la fiscalité nationale. D'où le titre du rapport, « Le temps de la confiance ».
Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé sur ces sujets. Nous poursuivons les mêmes objectifs.
Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Merci, monsieur le ministre, pour tous ces éléments.
De nombreuses possibilités sont prévues par les lois Maptam et NOTRe, mais elles ne sont pas toujours bien connues des collectivités.
La carte intercommunale telle qu'elle est aujourd'hui vous semble-t-elle aboutie ? Le seuil minimal de 15 000 habitants pour créer une intercommunalité vous paraît-il pertinent ?
Les mécanismes prévus par la loi pour assouplir la possibilité de sortir d'une intercommunalité sont-ils suffisamment connus ? Les retours que nous avons montrent qu'il y a peu de communes qui souhaitent quitter leur intercommunalité, à quelques exceptions près. Est-ce parce qu'elles s'y trouvent bien et que la carte est à peu près stabilisée ? Ou est-ce parce qu'il est trop compliqué de sortir d'une intercommunalité ?
M. Éric Woerth. - C'est un peu comme pour le dentifrice : il est plus facile d'en sortir que d'y rentrer ! Cela se comprend : c'est plus difficile de déconstruire. On ne peut pas changer les cartes tout le temps. Il y a un moment où vous consacrez de l'énergie à faire, défaire, refaire...
Lorsqu'il y a des cas flagrants d'impossibilité de fonctionnement, cela doit se régler entre élus. Si les élus n'y parviennent pas, l'État doit reprendre la main, ce qui est normal dans un État non fédéral.
Actuellement, de nombreuses commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) se réunissent pour traiter de sujets sensibles sur leur territoire. Une commune ne peut pas être isolée, elle doit trouver un EPCI adapté. Si elle le souhaite, elle peut changer, mais cela doit se faire par des accords locaux et sans douleur.
Cependant, il faut faire attention, car le fait politique local peut être atténué par rapport au fait politique national. Les frontières ne sont pas faites pour être modifiées tous les jours. Il faut se concentrer sur les compétences exercées par les EPCI et sur la logique de subsidiarité.
Comme vous l'avez dit, Madame la rapporteure, beaucoup de possibilités sont prévues par les lois votées depuis les années 2010, mais elles sont souvent inopérantes. Le chef de filât, par exemple, est inopérant car il revient à permettre à une collectivité d'exercer une tutelle sur les autres.
Le rapport propose une réécriture de l'article 72 de la Constitution. Il faut des chefs de file sur les compétences, même si celles-ci ne sont pas toujours partagées. Il est évident qu'il faut plusieurs acteurs pour porter un projet de territoire. L'idée selon laquelle chacun peut agir seul est irréaliste. Entre le département et la commune ou l'intercommunalité, il y a un partage de projets et, par conséquent, un partage des financements. Il faut un chef de file doté d'un véritable pouvoir réglementaire. C'est, selon moi, extrêmement important.
M. David Margueritte. - Monsieur le ministre, votre rapport comporte de nombreux points qui peuvent éclairer utilement nos travaux. La notion de chef de file, que vous venez de mentionner, pourrait répondre à l'enchevêtrement des compétences.
Je suis également séduit par votre proposition sur la conférence des maires avec la motion d'alerte. En effet, la conférence des maires est un échelon peu utilisé ou parfois inexistant. Lui donner le pouvoir de provoquer un débat pourrait renforcer le rôle des communes et répondre au sentiment qu'ont certaines de ne pas suffisamment participer à la délibération collective.
J'ai une question sur les communes nouvelles. Vous proposez d'identifier les freins qui expliquent le coup d'arrêt de leur création et de relancer ce mouvement pour consolider les ressources des plus petites communes. Mais ne croyez-vous pas que cela risque d'affaiblir le poids de la commune dans l'EPCI ? Une commune nouvelle peut passer de dix représentants des communes fusionnées à un ou deux, ce qui pose la question de sa représentation au sein de l'EPCI. Cela pourrait affaiblir les communes rurales au profit des villes.
Enfin, je pense que le projet de territoire est essentiel. Il serait préférable qu'il puisse être établi au moment du débat électoral plutôt qu'après. Je ne vois pas de solution permettant qu'il puisse avoir lieu avant. Lorsqu'une intercommunalité compte des dizaines de communes, cela supposerait que tous les candidats s'entendent pour défendre un projet communautaire commun, ce qui serait contraire à l'esprit intercommunal tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, fondé sur le consensus et l'absence de prise de position partisane.
M. Éric Woerth. - Sur le chef de file, nous avons élaboré des tableaux pour expliquer comment cela pouvait fonctionner concrètement.
La conférence des maires est une sorte de conseil de surveillance, liée à l'idée de subsidiarité. Si cela ne fonctionne pas, il faut le dire, il faut des éléments pour le dire, et un outil juridique pour le dire.
S'agissant des communes nouvelles, le rapport préconise de les relancer sur la base du volontariat. Je connais des communes qui ont fusionné il y a 50 ans, 60 ans, et même s'il n'y a plus de conflit, la fusion est encore présente dans la tête d'un certain nombre de gens. Je ne vous parle pas des communautés de communes issues de la loi NOTRe. Certaines connaissent des difficultés parce qu'elles ne voulaient pas se regrouper avec celles d'à côté. Elles préféraient d'autres options. Cela se retrouve partout en France.
Nous nous sommes intéressés au financement. Il faut un intérêt financier durable. Il ne faut pas qu'il y ait de pertes, mais au contraire un avantage.
Sur le nombre de représentants, il faut procéder par accord local. Il y a des accords locaux dans les EPCI pour répartir les sièges de manière plus ou moins proportionnelle, dans le cadre de fourchettes définies par la loi. Ce système surreprésente les communes rurales. Il peut en effet y avoir moins de représentants après une fusion dans une commune nouvelle.
Cependant, même si la commune nouvelle dispose de moins de représentants, ceux-ci vont peut-être voter dans le même sens et peser plus que s'ils avaient voté séparément au nom de leur commune. Il y a beaucoup de cas de figure et d'humain derrière tout cela.
Je pense qu'il faut favoriser la création de communes nouvelles. Les intercommunalités ne voient cependant pas cela d'un très bon oeil parce que les communes nouvelles ont plus de poids. En allant jusqu'au bout du raisonnement, si tout l'EPCI devient une commune nouvelle, il n'y a plus besoin d'EPCI.
Devant les électeurs, c'est compliqué, car on ne sait pas qui sera maire et quel projet il portera. Il ne faut pas non plus décider pour les candidats ce qu'ils doivent dire dans leurs documents de campagne. Mais je trouverais naturel que la liste indique quel sujet elle va porter au niveau intercommunal, étant donné que l'électeur vote à la fois pour des élus au conseil municipal et au conseil communautaire. Cela dépend de la majorité intercommunale, puisque l'on fait moins de politique dans les intercommunalités que dans les communes. Il y a des majorités municipales et des oppositions municipales. Le concept de majorité et d'opposition est moins rigide dans les intercommunalités, notamment celles de taille modeste, et c'est une bonne chose pour les territoires.
M. Jean-Marc Delia. - Vous parlez de simplifier et de clarifier les compétences au sein des intercommunalités. Je voulais connaître votre sentiment sur la coopération entre intercommunalités. Dans mon département, un pôle métropolitain qui fonctionne bien a vu le jour. Il permet d'organiser des compétences sur un même territoire sans financement particulier, chaque intercommunalité prenant à tour de rôle un sujet ou un projet à sa charge avec ses équipes. Cela évite une couche administrative supplémentaire, tout en portant des projets.
Dans le cadre de votre rapport, avez-vous remarqué, dans le bilan des 10 ans de la loi NOTRe, des économies d'échelle au niveau de chaque entité intercommunale ? N'a-t-on pas ajouté au millefeuille territorial de nouvelles charges qu'il serait maintenant possible de réduire ?
M. Éric Woerth. - Sur les accords locaux, nous avons essayé d'avoir une vision générale des finances, car il est rare d'avoir des propositions globales sur le système financier des collectivités locales. Notre proposition est faite pour soutenir des compétences clairement définies. Je n'ai pas cherché à créer un système idéal, car la vie locale est plus complexe que cela.
Nous avons besoin d'organiser des croisements de compétences et d'éviter les enchevêtrements. Le chef de file et la méthode de financement sont essentiels pour cela. La loi doit permettre aux EPCI de travailler ensemble, voire de se déléguer l'un à l'autre des compétences. C'est la meilleure manière de faire, plutôt que d'imposer un système qui descend d'en haut, auquel je ne crois plus du tout.
Les économies d'échelle n'ont pas vraiment été mesurées. Dans son rapport, Boris Ravignon a tenté de chiffrer le coût du millefeuille, c'est-à-dire le coût des doublons. Il arrive à un chiffre de plusieurs milliards d'euros.
Il n'est pas possible de dire que la décentralisation coûte moins cher aujourd'hui du fait d'efforts de productivité et de rationalité. Cependant, personne ne connait le coût qu'elle représenterait s'il n'y avait pas eu de mutualisation. Les exigences et les normes ont changé depuis 10, 15 ou 20 ans.
Le nombre de normes a augmenté, la réglementation s'est également durcie, ce qui coûte cher. Faire bien coûte plus cher que faire mal. Par exemple, mettre toutes les ordures en décharge coûte peu. Mais demander aux gens de les trier, c'est leur faire faire un travail pour la collectivité. Et en plus, on leur demande de payer plus cher. Certains disent que c'est contre-intuitif, mais ce n'est pas le cas. Si l'on veut vivre dans un monde plus propre, chacun doit prendre sa part. Cela coûte plus cher. Mais cela coûte moins cher à la planète et à la France au final. C'est un progrès qu'on ne mesure pas.
Il peut y avoir des choses mal organisées, mais c'est pourquoi nous proposons des contrôles plus étroits de la productivité des services publics locaux. La Cour des comptes devrait travailler en étroite relation avec les collectivités locales pour établir des normes de comparaison. Cela permettrait de comparer les coûts et de donner des points de référence aux électeurs. C'est de la transparence démocratique, mais cela nécessite des outils fiables. Nous proposons donc de mettre en place ces outils.
Mme Ghislaine Senée. - D'une manière globale, on constate que des territoires ont vraiment intégré le fait intercommunal, travaillent ensemble et mutualisent leurs ressources. Des effets de leviers importants sont constatés.
Cependant, d'autres territoires ont subi cette évolution, avec des périmètres pas toujours bien définis. Vous proposez de renforcer la place des maires, car souvent, surtout dans les grosses intercommunalités, les élus se sentent dépassés. Lors des réunions du conseil communautaire, de nombreux points sont inscrits à l'ordre du jour, dont ils ne comprennent pas toujours les enjeux et en ayant parfois l'impression de prendre des décisions d'aménagement de villes qui ne sont pas les leurs.
Nous avons connu des situations où les élus locaux, malgré leur passion et leur volonté de comprendre, se heurtent à des difficultés. Dans beaucoup d'intercommunalités, les élus se déchargent de leurs responsabilités, laissant les administrés dans l'incertitude, sans véritablement savoir qui est compétent, ce qui a parfois des conséquences très concrètes.
Le transfert des compétences de voirie ayant un intérêt communautaire est un exemple concret de ces difficultés. Avant, lorsqu'il y avait un nid de poule, les équipes municipales réglaient le problème rapidement, mais, maintenant, cela peut prendre plusieurs mois. La réaction systématique est de dire « ce n'est pas nous, c'est l'interco », ce qui entretient une méfiance et une défiance fortes envers cette structure.
Ma première question est : comment construire un pacte de gouvernance avec un projet de territoire ? Comment améliorer la transparence ? Ne faudrait-il pas des documents obligatoires à transmettre systématiquement aux habitants ?
Est-il raisonnable de penser que dans certains territoires, nous n'ayons pas encore de PLH ou de PLUI ? Faut-il imposer la réalisation des schémas de planification ?
M. Éric Woerth. - Si l'on ne comprend rien à la commission locale d'évaluation des charges transférées (CLECT), c'est que l'on est sain d'esprit. Et si l'on ne comprend rien à la dotation globale de fonctionnement (DGF), c'est que l'on est très sain d'esprit. Tout ceci n'est bien sûr pas normal, car la transparence voudrait que les élus comprennent ces dispositifs.
En général, les nouveau élus, lors de leur première année de mandat, vont essayer de rentrer dans la technique de la DGF, puis vont comparer avec l'année précédente les années suivantes.
Il faut recréer de la transparence. Nous proposons de travailler autrement sur la DGF, en retirant les racines locales anciennes qui sont parfois fondées sur une fiscalité morte depuis 30 ou 40 ans. Il faut repartir de zéro.
Nous proposons aussi une autre manière de recevoir les dotations de l'État. Il faudrait informer les communes de la manière dont les intercommunalités agissent pour elles.
Je ne suis pas favorable à créer trop de normes. Au fond, c'est au président de l'intercommunalité, à son bureau, aux maires ou au conseil communautaire de dire : « J'ai besoin d'un bilan chaque année sur ce qui a été fait, sur combien j'ai payé » Beaucoup font leurs comptes et se disent qu'ils paient plus qu'ils ne reçoivent. Mais la vérité, c'est que ce n'est pas ainsi que cela devrait fonctionner. Il y a un intérêt municipal et un intérêt communautaire qui agrège les intérêts municipaux. Vous payez peut-être 100 et vous n'avez récupéré que 70 au travers de projets, mais la valeur générale de votre commune, la fluidité dans votre commune et autour de votre commune font que la vie est meilleure. Défendre les intérêts de sa commune ne devrait pas être la seule motivation des élus lors d'un conseil communautaire. Il faudrait plutôt défendre les intérêts d'un territoire plus large.
Les habitants ne doivent pas être mêlés à nos problèmes de gestion. Quand vous allez au restaurant, vous cherchez que ce soit bon et au juste prix, vous ne vous intéressez pas à la manière dont on fait la cuisine. D'où le fait que quand il y a un nid de poule, l'élu municipal ne devrait pas renvoyer à la communauté de communes. Il devrait dire qu'il s'en occupe, car c'est ce qu'on lui demande de faire, puis contacter les services de l'intercommunalité chargés de réaliser l'opération pour que cela soit fait.
À un moment donné, il y a de la vie là-dedans. Plus vous mettrez de règles et moins elles seront respectées, ou seulement en façade. Or, il n'y a rien de pire que la superficialité.
Il faut faire en sorte que les élus disposent d'une véritable liberté et de vraies compétences, ainsi que la responsabilité qui va avec.
Nous proposons également de réévaluer les bases locatives. Chaque année, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, l'Assemblée nationale et le Sénat adoptent une indexation, mais les bases locatives n'ont jamais été revues. Cette révision a été faite pour les locaux professionnels mais pas pour les locaux d'habitation car elle est extrêmement difficile à mettre en oeuvre. Chaque année, on reporte cette révision de trois ans, en espérant que cela ira mieux d'ici là, mais cela n'est jamais fait.
Nous proposons que cette révision puisse être faite au niveau national, mais je pense que cela n'aura jamais lieu. Cela pourrait également être réalisé à la demande d'un EPCI. Cette révision serait faite par la direction départementale ou la direction générale des finances publiques, pas par l'EPCI lui-même ni par un cabinet d'audit.
Une telle possibilité pourrait lancer un mouvement de réactualisation des bases locatives par le bas, ce qui apporterait plus de justice fiscale et de transparence. À contrario, s'il n'y a pas de demande, cela clôturera le débat puisque cela voudra dire que personne n'en veut localement.
M. Clément Pernot. - Je partage l'idée qu'il faut mettre en avant les effets positifs de l'intercommunalité si l'on veut avoir un jugement objectif. Face à la multiplicité des situations, que j'ai pu à nouveau constater lors du déplacement récent d'une délégation de notre mission d'information dans les Hautes-Pyrénées, il faut être ambitieux pour avoir l'idée de commettre un rapport cohérent sur la notion de l'intercommunalité !
L'hétérogénéité des situations rend difficile la fixation d'une règle unique qui s'applique de manière cohérente à l'ensemble des structures qui peuvent exister aujourd'hui sur le territoire. Nous avons créé une espèce de monstre doté de multiples membres et de multiples têtes. Bien qu'ancien président d'intercommunalité, je ne pensais pas qu'il existait une telle diversité de situations.
Si je prends l'exemple de ma communauté de communes dans le Jura, mes mentors, initiateurs du projet intercommunal, étaient partis du principe simple de s'associer pour faire ce qu'ils ne pouvaient pas faire seuls. Je ne sais pas si l'intercommunalité a généré des économies sur notre territoire mais elle a permis d'offrir des services dont la population ne disposait pas par le passé, comme les piscines couvertes, ou de maintenir des activités culturelles, telles que les cinémas, qui n'existeraient plus s'il n'y avait pas eu la participation intercommunale. Ces prestations, au-delà de leurs performances économiques, apportent un bien-vivre et donnent une attractivité à nos territoires. Les élus ruraux ont la certitude que c'est un outil indispensable pour pérenniser l'organisation de vie sur ces territoires qu'ils affectionnent particulièrement.
Toutefois, il faut laisser la liberté dans le choix des compétences à transférer. Rendre obligatoire le transfert de la compétence mobilité pour les petites intercommunalités de moins de 30.000 habitants serait une source de complexité et de blocage et ce d'autant plus qu'il n'y a pas de demande de nos concitoyens en la matière.
Je regrette que nous n'ayons pas conservé les outils de fiscalité locale. Les anciens partaient du principe qu'on ne dépensait que ce qu'on gagnait. Il fallait développer l'économie pour envisager de développer les services. C'était une règle de base simple, mais efficace, qui a permis d'assurer la pérennité de nos structures. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'une partie de la taxe foncière pour les communes et les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), une taxe qui dépend du niveau d'activité économique, pour les départements. Je pense qu'il faudra peut-être avoir le courage de dire à nos concitoyens que l'euphorie d'une campagne présidentielle ne peut pas justifier la fin d'une fiscalité qui avait sa cohérence et qui n'était pas discutée. En tant qu'ancien maire, je n'ai jamais entendu quelqu'un venir se plaindre de sa taxe d'habitation.
La réflexion sur l'outil intercommunal devrait porter sur la manière de laisser une autonomie de décision aux structures en place et de retrouver une autonomie fiscale qui permette à chaque territoire d'avoir une véritable politique dans son périmètre.
M. Éric Woerth. - Il existe une autonomie financière, mais pas fiscale. Sur le plan juridique, cela a une signification précise. Nous essayons de sortir de cette opposition dans notre rapport en redonnant un peu de pouvoir de taux sur les impôts nationaux ce qui n'est pas sans poser des questions existentielles à nos amis de Bercy.
La diversité des réponses est une bonne chose. Il faut correspondre au territoire tout en restant dans un cadre national. Nous ne sommes pas un État fédéral. Nous sommes dans un cadre national dans lequel il y a une fiscalité à peu près claire et où les compétences s'arrêtent quand il y a des compétences déterminées. Les départements ne peuvent pas intervenir dans le secteur économique et il ne faut pas qu'ils le fassent. De même, les régions ne doivent pas faire de la proximité.
Pour les départements, les compétences sociales sont des compétences obligatoires et ils doivent les exercer avant toute autre compétence. La responsabilité des élus dans cette diversité est formidable si elle est clairement répartie. Les usages locaux seront différents car les territoires sont différents. Ce qui compte, c'est d'agir dans la transparence vis-à-vis de l'électeur et de disposer des outils juridiques pour le faire. Les DMTO des départements représentent 15 milliards d'euros. Notre rapport propose de transférer ces 15 milliards au bloc communal, tout en retirant d'autres éléments pour maintenir un système équivalent. Le rapport maintient le lien entre foncier et proximité.
Il faut rebaser correctement le fiscal. D'une part, tout ce qui est outil de fiscalité foncière doit être assis sur le bloc communal, d'autre part il faut s'assurer que les départements puissent se financer, évidemment lourdement, et aient une garantie de financement pour assurer les dépenses sociales qui leur incombent.
La proposition de statut unique est faite pour simplifier les choses. Les compétences de base sont celles des communautés de communes, vous ne pouvez pas faire moins. De nouvelles compétences peuvent être développées, si vous le souhaitez, mais vous n'êtes pas obligé d'adopter un statut différent.
Nous avons besoin d'une vision plus panoramique. Les lois précédentes, comme la loi Maptam, avaient des objectifs précis, mais on s'aperçoit qu'on a souvent atteint un objectif contraire. Il faut donc avoir une vision plus générale car les problèmes sont à tous les niveaux.
Résoudre les problèmes liés au droit électoral ne suffira pas et l'électeur pourra, à juste titre, s'interroger sur le choix de cette priorité. On a besoin de mieux définir les compétences de chacun. Cette répartition a déjà fait l'objet de trois lois, mais on finit toujours par constater que les frontières s'estompent, notamment en matière de développement économique. Les régions doivent s'occuper de cette compétence. Elles doivent le faire totalement et en lien avec leurs correspondants locaux. C'est d'ailleurs pour cela que les communes ont conservé leur clause générale de compétence. Lorsqu'une entreprise s'implante, qu'elle soit très grande ou très petite, un dialogue s'installe toujours entre les deux acteurs.
Le département a bien autre chose à faire en essayant d'assurer l'équité territoriale. Il aide notamment la ruralité et les petits EPCI en termes d'ingénierie. Il a aussi en charge la grande compétence sociale, les collèges, les routes. Il faut que la charge soit mieux répartie.
Avoir cette vision globale devient utile parce qu'elle permet de s'adapter, via la contractualisation, et des accords locaux très larges. Il faut définir une fiscalité la plus claire possible, même si chacun regrettera qu'il n'y ait pas plus de fiscalité directe locale et donc plus de pouvoir sur les taux.
Je n'ai pas vu de parti politique ou d'élus qui soient d'accord pour recréer la taxe d'habitation. Ils regrettent certes la perte du lien avec le territoire ; mais il n'y a que quelques élus extrêmement courageux ou en fin de carrière qui disent qu'il faut la recréer, même en la renommant contribution.
M. Clément Pernot. - Le ministre Rebsamen a abordé le sujet ....
M. Éric Woerth. - Cela n'a pas duré. Cela serait probablement mieux, mais personne ne s'est opposé à la suppression de la taxe d'habitation.
M. Clément Pernot. - Si l'on supprime demain l'impôt sur le revenu, il y aura beaucoup de partisans. Peu d'élus décideront ensuite de le rétablir.
M. Éric Woerth. - Je suis sensible aux personnes qui se posent les questions des deux côtés. Lorsque je supprime un impôt, je le remplace par autre chose, car les dépenses, elles, continuent à courir. Sinon, il faudrait une réduction de dépenses équivalente, mais pour l'instant, nous n'avons pas trouvé de solution.
M. Lucien Stanzione. - Si la notion de statut unique s'appliquait aux intercommunalités, n'y aurait-il pas un risque que les intercommunalités accèdent au statut de collectivité territoriale ? Dans ce cas, quel serait le devenir des communes ?
Réviser les valeurs locatives à la demande des intercommunalités pourrait conduire à des disparités à l'intérieur d'un même département ou d'une même région. Cela ne risquerait-il pas de créer, à terme, des pôles d'attraction au détriment de ceux qui n'ont pas fait de révision ?
M. Éric Woerth. - Notre rapport ne propose pas de faire de l'EPCI une collectivité locale. Nous avons mis l'accent sur la subsidiarité, qui signifie que nous faisons mieux collectivement que tout seul sur un certain nombre de sujets.
Concernant le devenir des communes, si elles veulent fusionner, elles le font, mais peu le souhaitent. Ce qui compte, c'est qu'elles soient le premier maillon de l'action publique. Beaucoup de communes ont très peu de moyens et font donc de l'hyper-proximité. Elles sollicitent l'EPCI quand elles veulent accroitre les prestations, qu'il s'agisse de transport, d'ordures ménagères ou de travaux d'aménagement.
Je pense que cet équilibre peut durer longtemps. Le citoyen aura toujours besoin d'une porte d'entrée vers le service public et le maire est plus facilement visible que le président de l'EPCI. Il faut donc valoriser ce premier maillon de l'action publique qui devient le correspondant de l'ensemble de la commune qu'il représente vis-à-vis des administrations centrales mais aussi des administrations des autres collectivités qui ont leur propre complexité administrative. Le rapport propose plusieurs pistes : des plateformes, le devoir de réponse des administrations lorsque c'est un maire qui pose la question .... Il propose de mieux valoriser la fonction de maire en lui donnant plus d'outils. L'État, la région et le département doivent entendre la parole des maires. Cela ne doit pas rester un voeu pieux mais être écrit dans les textes.
Vous avez raison sur la problématique des valeurs locatives. Mais comme la révision des bases n'est pas faite sur le plan national, le rapport propose de commencer par l'échelon local, là où se crée la valeur foncière, au niveau des EPCI. Cela peut créer des disparités entre EPCI mais la loi fiscale pourrait en tenir compte avec une différentiation lors de l'actualisation nationale des valeurs locatives.
M. Jean-Claude Anglars. - Monsieur le Ministre, depuis le début des travaux de notre mission d'information, nous avons constaté que là où le périmètre de l'intercommunalité avait été choisi, cela fonctionnait assez bien. La gouvernance suivait. Lorsque le périmètre a été imposé, les choses sont plus compliquées.
À l'intérieur d'un périmètre imposé, l'intercommunalité ne peut exercer qu'une partie de ses compétences, sur une portion de son territoire et pas l'autre. Personne n'ose s'y lancer.
Sur le terrain, le citoyen ne se reconnaît pas dans ces communautés de communes. Il ne voit pas la valeur ajoutée de la structure intercommunale.
Comme vous le dites, les élus doivent faire un effort d'explication. Mais vous donnez de bonnes explications quand vous choisissez d'aller quelque part, pas quand vous subissez.
Pouvez-vous préciser votre proposition relative au conseiller territorial ?
M. Éric Woerth. - Je suis complètement d'accord avec vous sur les périmètres subis. Mon rapport ne comporte aucun élément coercitif. J'ai le souvenir des contrats de Cahors qui permettent d'associer les collectivités locales à la maîtrise de la dépense publique. Chaque strate doit contribuer à l'effort de finances publiques, sans stigmatisation des uns et des autres. Cela ne marche pas si seul l'État fait des efforts.
Le maire qui a géré son budget le mieux qu'il pouvait ou le président de département qui a fait ce qu'il pouvait n'a pas le sentiment de participer à la dégradation de la situation financière de la France. Il essaie de faire correctement son budget, sans se demander comment cela entre dans les objectifs financiers de la France. Il sait que c'est la dépense publique qui s'agrège, mais il n'a pas l'impression de mal faire. Répondre par une coercition ne fonctionne pas. Il faut trouver d'autres niveaux de réponse, comme le Premier ministre l'a demandé.
C'est pourquoi, je propose un cadre, une loi de programmation des finances locales, qui doit fonctionner aussi par strate, et une pratique de partage, notamment des ressources et de l'impôt national, entre égaux, par des conférences annuelles de financement des collectivités locales.
Je propose également que les fonctionnaires territoriaux soient gérés comme une branche de la fonction publique, par les élus locaux Cela éviterait de faire reposer sur l'État les conséquences de l'augmentation du point d'indice sur les budgets locaux.
Si les collectivités ne remplissent pas leurs responsabilités, je propose que le préfet puisse considérer qu'il y a carence. Dans un État central, l'égalité des citoyens devant le service public est essentielle. Si une collectivité traite un sujet de manière légère ou ne le traite pas du tout, il est naturel que l'État intervienne pour défendre les droits des citoyens. Il y a un jeu entre concentration, déconcentration et décentralisation.
Je pense que le conseiller territorial est une bonne idée. Supprimer des strates est compliqué et prendrait beaucoup d'énergie. La création du conseiller territorial avait été adoptée en 2010, puis supprimée en 2013. Nous avons étudié une quinzaine de modes de scrutin pour éviter que les assemblées régionales ne soient trop grandes. Nous avons trouvé un mode de scrutin qui fonctionne, fondé sur les racines cantonales, avec les binômes de conseillers départementaux. Il faudrait redécouper légèrement les cantons, mais pas trop. Cela bouleverse la politique locale, mais pourquoi pas ? On a peut-être besoin de changement.
Les collectivités agiraient différemment, de manière plus organisée, plus orchestrée. Je crois que tout ce qui peut rationaliser les strates, plutôt que d'en supprimer une, est nécessaire. Cela passe fondamentalement par les hommes, plus que par les règles. Un conseiller territorial permet d'avoir un élu local puissant, en dehors des maires. Dans ce schéma, le député et le sénateur représentent le pouvoir de légiférer et le conseiller territorial représente réellement quelque chose, au niveau territorial. Aujourd'hui le conseiller régional, quels que soient sa qualité et l'effort qu'il met à l'accomplissement de son mandat, a du mal à se faire connaître, sauf s'il a un autre mandat.
Mme Marie-Jeanne Bellamy. - Vous avez évoqué le redécoupage des cantons préalable à l'élection de conseillers territoriaux. Qu'entendez-vous par redécoupage ? Les découpages actuels posent déjà des difficultés, notamment les grands cantons. La proximité est essentielle, car les élus et les administrés l'apprécient.
Pouvez-vous définir les missions des conseillers territoriaux ? Pour moi, cela reste un peu flou.
M. Éric Woerth. - Les missions du conseiller territorial consistent en la fusion des missions du conseiller départemental et du conseiller régional. Ainsi, il siégera dans les deux assemblées, à la fois en tant que conseiller régional et conseiller départemental, donc en tant que conseiller territorial, cet élu a du poids.
Cette réforme nécessiterait de redécouper un certain nombre de cantons et d'augmenter leur taille, parce qu'une grande région comporte de nombreux cantons. C'est indispensable pour préserver la taille des assemblées régionales d'aujourd'hui.
Mais vous gardez un scrutin organiquement territorial. Je ne suis pas un grand fan de la proportionnelle. Comment rapprocher les électeurs des élus que nous sommes en ajoutant une élection au scrutin de liste ?
Mme Marie-Jeanne Bellamy. - J'ai l'impression que votre proposition ne simplifie pas les choses ; elle ajoute une autre strate, d'autres personnes. Et comment s'identifier au mode de scrutin ?
M. Éric Woerth. - Les conseillers départementaux forment des binômes. Je propose que l'un deux siège au département, et l'autre siège au département et à la région.
Cela supprime un certain nombre d'élus, mais qui exercent plus de pouvoir. La meilleure cohérence, c'est celle qui est adaptée à notre capacité à décider humainement.
Il y a une grande différence entre les nombreuses lois adoptées par le Parlement et leur application sur le terrain. La cohérence et la rationalité par le mandat sont donc essentielles. C'est une grosse responsabilité.
Mme Maryse Carrère. - La question du conseiller territorial pose celle du cumul des mandats.
Lorsque vous évoquez le conseiller territorial, vous faites abstraction de l'idée selon laquelle le département pourrait être l'assemblée des intercommunalités. Cela signifierait que le département serait composé non plus d'élus cantonaux, mais de présidents d'intercommunalités, voire de quelques élus supplémentaires dans chaque intercommunalité.
Quelle appréciation portez-vous sur l'exercice de la compétence économique par les intercommunalités et sur le couple région-intercommunalité dans ce domaine ?
M. Éric Woerth. - Je suis favorable au cumul des mandats. Le poste de président d'intercommunalité devrait entrer dans le cumul, car l'EPCI dispose d'un budget. Il est normal qu'un maire puisse également être président d'intercommunalité. En revanche, il n'est pas possible d'être à la fois président d'intercommunalité et président de région, par exemple.
Notre proposition, de bon sens, tient compte de l'évolution des intercommunalités au niveau départemental, avec les conseillers départementaux représentant les intercommunalités. C'est un peu différent. Nous n'avons pas travaillé sur ce point, car cela retire de la démocratie. Et comme nous sommes partis sur le conseiller territorial, cela devient compliqué de faire siéger quelqu'un dans les deux instances. Cela n'est pas non plus bénéfique pour les maires ; leur fonction serait écrasée, avec tout le pouvoir donné au président de l'intercommunalité.
La compétence économique des EPCI est fondamentale et s'accorde bien avec celle des régions. Le couple EPCI-région fonctionne bien, car l'EPCI possède les structures destinées à gérer l'économie. C'est un territoire suffisamment petit pour avoir une cohérence. La région peut développer des outils puissants d'aide à l'économie sous toutes ses formes. Et cela fonctionne bien. Le département ne doit pas s'en mêler.
M. Clément Pernot, président. - Il est vrai qu'il exerce déjà beaucoup de compétences. Un grand merci pour votre disponibilité. Vous êtes une référence en la matière. Nous vous écoutons toujours avec beaucoup de joie et de bonheur.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 35.