Mardi 27 mai 2025

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 14 h 40.

Table ronde « Les enjeux du coût de l'énergie pour les entreprises » Audition de M. Patrick Maillard, président de l'Union des métiers du bois, de M. Dominique Weber, président du Comité stratégique de la filière bois, de M. Frédéric Coirier, président-directeur général du groupe Poujoulat, et de M. Philippe Denavit, président du groupe Malvaux

M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers collègues, le 12 novembre dernier, nous avions organisé une première table ronde consacrée aux difficultés d'accès aux assurances et aux coûts de ces dernières pour les entreprises. Nos échanges de cet après-midi prolongeront cette réflexion autour du deuxième volet de la mission d'information qui a été confiée à nos collègues Michel Canévet et Guillaume Gontard, à savoir l'énergie. Michel Canévet vous prie de l'excuser, ayant un empêchement cet après-midi.

De fait, l'assurance et l'énergie correspondent aux deux piliers de cette mission d'information riche en auditions et en enseignements. Celle-ci permettra d'identifier des propositions qui serviront la compétitivité des entreprises françaises. Nos collègues présenteront les conclusions de leur rapport avant la fin de la session ordinaire, à savoir le 24 juin prochain. Il est certain que l'audition de cet après-midi viendra enrichir leurs réflexions.

La filière bois est la toile de fond de nos débats. Les Français la méconnaissent trop alors qu'elle joue un rôle important dans leur vie quotidienne et qu'elle représente une brique de compétitivité pour notre économie. Les différents acteurs de la filière illustrent bien des facettes de la problématique de l'énergie pour les entreprises, depuis la production jusqu'à la consommation.

Je remercie donc nos invités d'avoir accepté de consacrer un peu de leur temps à la délégation sénatoriale aux entreprises. Chacun d'entre eux rentrera dans le vif du sujet sous un angle qui lui est propre.

Monsieur Patrick Maillard, vous êtes président de l'Union des métiers du bois (UMB), tandis que vous-même, Dominique Weber, êtes président du Comité stratégique de la filière bois (CSF Bois). Vous pourrez dresser un panorama d'ensemble de la filière, de ses forces et de ses faiblesses, en précisant les défis posés par la question de l'énergie. Vous nous apporterez aussi, vraisemblablement, un regard stratégique sur les orientations souhaitables pour les entreprises de votre secteur en la matière.

Monsieur Frédéric Coirier, vous êtes président-directeur général du groupe Poujoulat, spécialisé dans les cheminées et le bois-énergie. En effet, il ne faut pas oublier que le bois est aussi une source d'énergie ! Vous nous direz donc comment votre groupe développe cette activité depuis plusieurs années et comment vous percevez les enjeux pour une entreprise comme la vôtre.

Enfin, monsieur Philippe Denavit, vous êtes président du groupe Malvaux, premier fabricant français de panneaux bois décoratifs à partir d'essences fines et de contreplaqués techniques. Vous pourrez notamment partager avec nous les problèmes d'accès à l'assurance dont souffre votre branche d'activité.

Je propose que chacun d'entre vous prenne la parole pour un propos liminaire n'excédant pas huit minutes, puis je laisserai place aux échanges entre mes collègues et vous

Je rappelle que notre table ronde est diffusée en direct et accessible ensuite en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat.

M. Patrick Maillard, président de l'Union des métiers du bois. Le secteur du bois représente une part significative de notre économie. Il comptabilise 71 800 établissements - je pense aux charpentiers, aux menuisiers et aux agenceurs -, soit 13 % des entreprises du bâtiment. Les petites structures prédominent : 87 % de ces établissements comptent moins de dix salariés, avec une moyenne de 4,8 salariés par structure, ce qui témoigne d'un tissu entrepreneurial dense et local, partout sur le territoire.

Le bois-bâtiment est un acteur clé de l'emploi : il compte 127 000 salariés, soit 32 % des effectifs de la filière forêt-bois. Les métiers de la menuiserie dominent, représentant 78 % des établissements, suivis de ceux de la charpente et de la construction bois, à hauteur de 18 %, et de l'agencement, à 4 %. Le nombre d'entreprises a augmenté de 56 % entre 2010 et 2020. Ces emplois sont non délocalisables et ancrés sur nos territoires, ruraux comme urbains.

Le bois est un levier majeur de la transition écologique. Choisir la construction bois revient à choisir un matériau renouvelable, local et qui stocke le carbone. En moyenne, un mètre cube de bois stocke environ une tonne de CO2. Ce matériau permet de réduire l'empreinte carbone du bâtiment de 30 % à 60 % par rapport aux solutions conventionnelles : chaque construction en bois constitue ainsi un puits de carbone. Il est aussi recyclable, modulable et performant sur le plan thermique, contribuant à l'efficacité énergétique du parc immobilier.

Face à l'urgence climatique, le bois est un outil incontournable pour la décarbonation de la construction. Il permet la construction bas-carbone, s'inscrit dans une économie circulaire et durable, et dynamise une filière forêt-bois française qui valorise nos ressources locales.

Des projets d'envergure se développent partout en France. La construction bois n'est plus réservée aux maisons individuelles : elle permet de construire des immeubles de dix, voire de douze étages ainsi que des lycées, des salles de spectacle ou des complexes sportifs. En 2024, une progression continue du nombre de chantiers d'envergure a été observée, portés par des maîtres d'ouvrage publics et privés, preuve de la confiance qui s'installe malgré la complexité des normes et réglementations.

S'agissant du recyclage et du réemploi des déchets, le bois bénéficie d'un des meilleurs taux de revalorisation des matériaux du secteur du bâtiment : 92,5 %, c'est-à-dire que seulement 7,5 % des déchets-bois sont enfouis. C'est une performance remarquable qui témoigne de l'engagement historique de la filière dans une gestion responsable des ressources. Par conséquent, il est difficile de comprendre que les entreprises de construction doivent participer à la complexe filière à responsabilité élargie du producteur (REP) produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB), alors qu'elles prenaient déjà en compte la valorisation. Cette REP est un malus qui pèse sur l'usage du bois.

Toutefois, un défi reste à relever : seuls 2,5 % des produits sont valorisés. Le problème provient des normes et des réglementations des matériaux revalorisés.

La construction bois est une réponse concrète aux défis de notre siècle : urgence climatique, réindustrialisation verte, relocalisation des filières, emploi qualifié et local. Elle a besoin de visibilité, de reconnaissance et d'un appui politique très clair. En la soutenant, vous soutenez une filière stratégique, moderne, durable et profondément française.

M. Dominique Weber, président du Comité stratégique de la filière bois. La filière bois a été reconnue en 2014 comme une des vingt-et-une filières stratégiques de l'industrie française, représentant 12,8 % des emplois du secteur secondaire dans notre pays. Les derniers comptages en 2023 dans le cadre de la veille économique mutualisée font état de près de 420 000 emplois sur tout le territoire, pour une valeur ajoutée de 30 milliards d'euros.

La valeur ajoutée provient essentiellement des métiers du bâtiment, en particulier de la construction, mais également de la pâte à papier, de l'ameublement, de l'emballage et de l'énergie. Ainsi, la chaîne de valeur est étendue et les emplois sont durables et localisés sur les territoires. Il convient de défendre cette filière.

Depuis la sortie du covid, les investissements industriels en France accélèrent, portés par des appels à projets comme France Relance puis France 2030. De 2021 à fin 2024, près de 2,1 milliards d'euros d'investissements supplémentaires ont été engagés dans la filière, pour un total de 4 milliards d'euros par an. L'accélération touche aux procédés essentiellement industriels, à la fois la capacité de sciage et le séchage. Alors qu'une des faiblesses de la France était le retard de la première transformation par rapport à l'Allemagne ou à l'Autriche, les appels à projets pilotés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ont eu d'excellents résultats, surtout vu le contexte.

Les investissements dans les capacités de sciage sont dirigés vers la fabrication de produits d'ingénierie pour le bâtiment, mais également vers la cogénération : de nombreuses entreprises de première transformation utilisent leurs déchets pour produire de l'électricité et travailler ainsi en autoconsommation.

Le rattrapage des investissements est loin d'être terminé. Actuellement, seulement 55 % de la croissance annuelle de la forêt est récoltée, contrairement à des pays comme l'Autriche ou l'Allemagne qui coupent presque l'équivalent de la croissance biogénique annuelle. L'enjeu est de relocaliser en France des produits industrialisés, principalement à destination du bâtiment, secteur qui tire le marché, mais aussi de l'ameublement : nous avons des champions dans la fabrication de cuisine, avec des modèles économiques portés par l'investissement industriel.

Il est crucial de continuer à soutenir ceux qui investissent dans la filière : nous ne sommes pas si nombreux. Le secteur compte 60 000 entreprises, dont beaucoup de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE). Il faut les consolider sur des marchés d'avenir. Par exemple, la décarbonation du bâtiment passera indéniablement par la filière bois.

La part de marché du bois dans le bâtiment en France est actuellement de 9 % à 10 %, mais il est possible de passer à 20 % comme en Allemagne, en Autriche ou en Suisse. À ce titre, la réglementation relative aux incendies est en cours d'adaptation. De fait, la filière est en croissance. Quelle autre filière a créé 50 000 emplois depuis 2016 ? Il faut continuer à la soutenir, car nous avons d'énormes besoins d'investissements face au changement climatique qui affecte énormément la ressource. Il faudra trouver un moyen de sortir le bois de la forêt pour ne pas le laisser dépérir, sachant qu'une abatteuse coûte 700 000 euros !

Les entreprises de travaux forestiers étant de petites entreprises, il faut aider le secteur à passer un certain cap. La réglementation environnementale, de plus en plus lourde, pèse sur le temps d'exploitation en forêt : il est paradoxal de construire des usines sans pouvoir les alimenter !

Le changement climatique impose un renouvellement forestier plus rapide. Un tiers du bois extrait par l'Office national des forêts (ONF) est dépérissant. Même si le fait qu'il soit récolté prioritairement représente un biais, le signal est clair : il faut récolter la ressource, la transformer et, si possible, le faire en France.

M. Frédéric Coirier, président-directeur général du groupe Poujoulat. Poujoulat est un groupe industriel français, spécialisé à l'origine dans la fabrication de conduits de cheminée et de cheminées industrielles. Nous sommes leader européen en matière de biomasse, avec un équipement sur cinq dédié à cette énergie et vendu en Europe. Nous sommes également leader français des granulés de bois, des bûches et du bois d'allumage.

Les pays européens mènent actuellement une réflexion stratégique sur leur politique énergétique, à l'image de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en France : souveraineté énergétique et industrielle, électrification des usages... Toutefois, il ne faut pas oublier que l'électricité ne représente que 25 % de l'énergie consommée. L'enjeu est d'avoir un approvisionnement en énergie de qualité au meilleur coût, tout en restant vigilant à l'état de nos réseaux ; en la matière, la France est plus en avance que l'Espagne. Il faut garder à l'esprit notre extrême dépendance aux fossiles, lesquels représentent encore les deux tiers de notre consommation d'énergie. Le bois, lui, est une énergie locale.

En quelques chiffres clés, le bois-énergie représente en France un quart de la chaleur produite dans le secteur du logement, contre 18 % en Europe. Il alimente environ 10 millions de logements, soit un sur trois dans notre pays et 50 % des maisons individuelles. De fait, 8 millions de maisons sont équipées pour recevoir cette source d'énergie : poêles, inserts, chaudières... Quelque 2 millions de logements sont alimentés par des réseaux de chaleur, au nombre de mille en France. L'industrie compte 5 000 chaufferies-bois, notamment dans l'industrie du bois - c'est naturel : les déchets sont sur site -, l'agroalimentaire et la chimie.

Le bois-énergie est aussi un outil de résilience, notamment en période hivernale. Le parc de production d'énergie à partir de bois installé en France couvre l'équivalent de la production de dix centrales nucléaires. Sans ces installations, notre pays aurait probablement connu de grandes difficultés à l'hiver 2022. La Bretagne, qui n'est pas forestière, est la région la plus équipée en France en installations de production d'énergie à partir de bois, car elle est aussi celle où les tensions énergétiques sont les plus importantes. Le bois-énergie est le plus utilisé lorsque l'électricité renouvelable est la moins disponible : il va donc de pair avec l'électrification des usages.

Le bois-énergie est une source de chaleur décarbonée, compétitive - elle est de deux à trois fois moins chère que les autres sources d'énergie -, locale et riche en emplois : 50 000 sont non délocalisables, dont 35 000 dans le chauffage individuel et 15 000 dans le chauffage collectif. Plus de 150 usines de production d'énergie à partir de bois se trouvent sur le territoire.

Cette ressource est une chance de réindustrialiser certaines régions rurales en difficulté. J'ai moi-même investi lourdement dans le Berry et la Haute-Saône, territoires ou de tels investissements n'étaient pas forcément attendus. Plus de 85 % de la valeur ajoutée du bois se crée en France. Peu de secteurs peuvent autant se prévaloir de cette échelle de proximité !

Le bois-énergie est un maillon essentiel de la filière bois. Il contribue à l'équilibre des forêts, même si aucune n'est destinée à cet usage. En effet, nous sommes plutôt un complément idéal à la production de bois d'oeuvre et de construction, à l'emballage et à l'industrie, notamment du panneau et du papier. J'en veux pour preuve que nos plus grands industriels, comme les scieries, les panneautiers ou les papetiers, sont systématiquement équipés d'une installation de cogénération et, pour beaucoup, d'installations fonctionnant aux granulés de bois, lesquelles permettent de valoriser leurs coproduits. Cette complémentarité fait partie de leur équilibre économique.

Le bois est aussi une part de notre art de vivre et de notre culture, particulièrement dans la cellule familiale. De nombreuses études européennes montrent que le bois-énergie est bon pour la santé, en tant que déstressant.

Contrairement aux idées reçues, la consommation de bois-énergie n'augmente pas : elle progresse dans les réseaux de chaleur et l'industrie, mais elle baisse significativement dans l'habitat individuel. La forêt grandit, elle a du potentiel, elle a besoin de se transformer et elle doit donc être exploitée ; or le bois n'est pas assez mobilisé. Il est difficile à sortir des sites du fait d'un manque d'équipement ou d'entreprises dédiées.

La qualité de l'air s'améliore très vite. Les émissions liées au bois-énergie ont déjà baissé de 10 % ces dix dernières années et elles baisseront presque des deux tiers sur les dix prochaines. Le sujet est en passe d'être réglé. La trajectoire est vertueuse : elle allie sobriété énergétique, développement local, qualité de l'air, pouvoir d'achat et souveraineté.

Pourtant, il existe une volonté de brider le développement de cette source d'énergie. Comme j'ai pu le constater à la suite de nos rencontres avec les administrations, le potentiel est sous-estimé. Le « bouclage biomasse » systématise le placement de cette énergie en bas de l'échelle des usages et rend la filière responsable des problèmes de qualité de l'air.

Concernant le potentiel, les chiffres que je vous ai fournis précédemment parlent d'eux-mêmes.

Concernant la qualité de l'air, les services de l'État communiquent depuis de nombreuses années des chiffres erronés : puisque le bois-énergie serait responsable de plus de 60 % de la pollution aux particules fines, nous avons été stigmatisés. Des études convergentes du Centre essais recherches des industries de la cheminée (Ceric) et du syndicat des énergies renouvelables ont finalement éclairé les pouvoirs publics : le bois-énergie n'est responsable que de 15 % à 20 % de la pollution. Le Roquelaure de la qualité de l'air a rétabli la vérité en reconnaissant que 18 % des émissions de particules fines sont issues du logement résidentiel, donc pas seulement de cette ressource. Comment peut-on se tromper à ce point ? Il faut réparer cette injustice.

Concernant le « bouclage biomasse », une étude a compilé tous les desiderata des consommateurs existants et les desiderata potentiels des consommateurs futurs. Des hypothèses extrêmement ambitieuses ont été mises sur la table et il est probable que beaucoup de projets ne se réaliseront pas. Il est quoi qu'il en soit possible de faire plus avec moins. Il serait donc logique de demander aux futurs consommateurs de faire autant d'efforts que les consommateurs existants.

Je terminerai sur une note positive et optimiste. Plus de 50 millions de maisons européennes sont équipées d'un appareil de chauffage au bois, soit une sur deux. Dans les pays les plus électrifiés, comme en Scandinavie, le taux d'équipement monte à 80 %, ce qui est peut-être la voie à suivre. Actuellement, le parc est composé à 40 % d'appareils anciens, responsables de 75 % des émissions polluantes. Il est donc essentiel de s'attaquer à ce problème.

D'après une étude européenne menée par l'association européenne des fabricants et le laboratoire Ceric, il sera possible d'ici à 2035 d'équiper 10 % de logements supplémentaires en consommant 25 % de bois en moins, en divisant par trois les émissions et en créant plus de 100 000 emplois. C'est une opportunité extraordinaire pour l'Europe et la France de gagner en souveraineté, en compétitivité et en potentiel industriel.

Je conclurai en adressant quelques recommandations.

Premièrement, il faut promouvoir collectivement le bois-énergie performant et valoriser son rôle essentiel dans le mix énergétique. Il est anormal que notre potentiel soit si peu valorisé, voire qu'il soit critiqué.

Deuxièmement, il faut accélérer le renouvellement du parc d'appareils. Soutenir l'acquisition d'équipements performants est essentiel.

Troisièmement, il faut promouvoir l'utilisation de combustibles de qualité et labellisés. Cela nous permettra de consommer mieux et moins : les produits de qualité permettent de baisser les consommations de 25 % à 30 %.

Enfin, il faut encourager les bonnes pratiques, soutenir la montée en professionnalisation et éduquer le consommateur. À ce titre, l'Ademe a lancé d'efficaces campagnes d'information. La France a un vrai potentiel : il ne faudrait pas le gâcher.

M. Philippe Denavit, président du groupe Malvaux. Je dirige un groupe industriel français disposant de neuf implantations, de trois usines et de quatre dépôts logistiques sur le territoire national. De plus, 100 % de notre fabrication est française. Nous distribuons essentiellement nos produits sur le marché national au travers des réseaux de la distribution professionnelle, grand public et industrielle. Le groupe emploie environ 400 personnes, soit 1 % des effectifs de la filière.

Notre secteur subit une double peine : les exigences assurantielles sont de plus en plus lourdes et le désengagement des assureurs va croissant. Seulement 10 % de ces derniers s'intéressent encore à la filière bois, ce qui met en péril la pérennité même de nos activités. Je vous donnerai quelques exemples de réalités vécues sur le terrain, illustrant les difficultés quotidiennes des entreprises.

Les coûts sont devenus insoutenables. D'après des remontées des acteurs de la filière bois, les primes d'assurance ont au minimum doublé sur les trois à quatre dernières années, voire triplé pour certaines, malgré l'absence de sinistre. Lorsque les garanties sont encore disponibles, elles ne couvrent plus 100 % du risque : désormais, le porteur principal s'engage à hauteur de 30 % à 40 %. Il est donc obligatoire d'avoir recours à plusieurs co-assureurs et il est difficile de couvrir l'intégralité du risque, quelle que soit la situation de l'entreprise.

Parallèlement, les franchises atteignent des niveaux absurdes. Un négociant m'a fait part de ses préoccupations : alors même qu'il n'avait pas d'activité industrielle - le risque est donc moindre -, la franchise exigée pour 800 000 euros de stock était de 400 000 euros. Il s'agit donc de s'assurer pour ne pas être assuré : en cas de sinistre, il ne serait pas en mesure de reconstruire son entreprise ! Cette problématique concerne non seulement les PME, mais également les industriels de plus grande taille, pour lesquels la franchise peut représenter 40 % du montant global assuré.

Les exigences des assureurs sont de plus en plus nombreuses. Elles sont légitimes, car elles conditionnent la couverture à la mise en place de dispositifs complexes et coûteux, par exemple l'organisation d'audits réguliers, sachant que ces derniers sont financés par les assurés. Personnellement, je verse 9 000 euros par an pour que des collaborateurs des compagnies d'assurance viennent auditer mes usines et me disent que je ne suis pas aux normes, ce qui augmente ma prime d'assurance !

Ces mesures sont utiles, car nous sommes les premiers à vouloir sécuriser nos outils industriels. Mais ce sont des investissements lourds, souvent pluriannuels, qui n'ont pas de rentabilité immédiate pour l'entreprise. Et nous devons nous engager de façon pluriannuelle, alors que les assureurs s'engagent sur des contrats annuels qui nous laissent sans visibilité ni garantie de renouvellement d'année en année.

Par exemple, une de nos usines, d'environ 10 000 m² et pour laquelle j'ai fait un investissement supérieur à 1 million d'euros de sprinklage, a vu sa prime d'assurance doubler sur les quatre dernières années. Ces modalités d'assurance ne récompensent pas la prévention et quels que soient nos efforts, les assureurs continuent d'appliquer des hausses systématiques.

Le spectre de « l'inassurabilité » pèse sur les dirigeants, ils ne peuvent pas savoir si leur activité pourra continuer à être assurée. Dans ces conditions, comment voulez-vous investir et mener des projets ? Des assureurs se retirent, à peine un assureur sur dix couvre la filière bois - les autres refusent purement et simplement de couvrir les risques, en traitant de la même façon des négociants en bois et des entreprises à risques industriels plus sensibles. Or, il y a matière à discuter, la sinistralité réelle reste faible, en particulier les risques sur les dépôts de bois - ceux des négociants comme ceux des industriels - sont quasiment nuls.

J'ai par exemple une usine datant de 1928, elle a grandi avec le temps et s'étend sur 2,5 hectares ; il faudrait en refaire la toiture intégralement pour la doter d'un système de sprinklage, ce qui est impossible. Nous avons donc mis en place des solutions alternatives, comme des surveillances nocturnes et des réseaux d'inspection. Cependant, depuis 2022, l'assureur m'a proposé de doubler la prime d'assurance et de mettre en place une franchise de 10 millions d'euros, ce qui signifie qu'en réalité, je ne suis plus assuré. Nous avons donc mis en place nos propres équipes de surveillance et de veille sur le site industriel, ainsi que des relations avec les pompiers. Cela coûte, mais nous ne pouvons plus assurer ce site sans stopper l'exploitation ou en reconstruire un autre à côté - ce qui représente un investissement de 2,5 millions d'euros. Ce cas de figure se retrouve chez les fabricants de meubles et un grand nombre d'acteurs industriels, souvent des entreprises familiales qui existent depuis longtemps, qui ont grandi au fil du temps, mais ont aujourd'hui des niveaux de rentabilité faibles en raison de la crise économique. Il n'est pas facile pour elles d'investir à fonds perdus, mais elles ont besoin d'être assurées.

Le refus de renouvellement d'assurance peut signifier la fin d'une entreprise, même saine et rentable. Le défaut d'assurance complexifie la vie de l'entrepreneur en lui coupant l'accès à certains prêts, à des contrats et marchés publics qui ont des conditions d'assurance. Des entreprises vivent donc avec une épée de Damoclès, nous aimerions trouver une solution d'ensemble. Je ne suis pas venu me plaindre, mais vous rendre compte de la situation et vous présenter des solutions auxquelles nous pensons.

La première piste consiste à soutenir les investissements de prévention, pour que les entreprises accèdent plus facilement au crédit ou aux aides publiques pour moderniser leurs équipements sans compromettre leur équilibre économique. Il faut des financements longs, peu coûteux et des garanties, probablement des garanties d'État.

La deuxième piste serait de créer un mécanisme de garantie publique ou de coassurance mutualisée pour les secteurs à risque spécifique. Cela existe déjà dans d'autres filières, cette garantie donnerait aux entreprises la possibilité de continuer à fonctionner sans être sous la menace d'une rupture d'assurance.

Enfin, il faut rapprocher les acteurs, nous avons besoin de l'État pour coordonner une discussion entre les organisations professionnelles et les assureurs de façon à mieux distinguer la nature des risques. Il y a des façons de réduire les risques en répartissant les stocks, en réorganisant les flux, nous le faisons lorsque nous ne sommes plus assurés et nous sommes prêts à en parler avec les assureurs. Il faut pour cela une table ronde permanente organisée par l'État, ou bien nous allons dans une très mauvaise direction.

La filière bois est une filière d'avenir. Elle porte une partie de la solution aux grands défis climatiques en fournissant des matériaux durables, en stockant le carbone, en développant des emplois non délocalisables. Il serait paradoxal de promouvoir le bois comme une ressource stratégique tout en rendant son exploitation économiquement invivable. La transformation industrielle est décisive car si on ne transforme pas, si on n'exploite pas la forêt, on n'est alors pas capable de fabriquer des panneaux, des avant-produits pour le bâtiment, des éléments de charpente. Le marché européen ne nous a pas attendus : les industries allemande et autrichienne sont fortes, nos voisins utilisent beaucoup de bois et si nous n'exploitons pas notre ressource, c'est une ressource étrangère que nous allons consommer. Ce que nous défendons aujourd'hui, ce n'est pas un privilège, c'est la possibilité de continuer à produire, à investir et à embaucher dans une filière essentielle à la transition écologique. Nous sommes prêts à faire notre part, mais nous avons besoin de règles plus justes, de visibilité et d'un accompagnement à la hauteur des enjeux.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci à vous quatre pour vos propos liminaires, qui se complètent très bien.

M. Guillaume Gontard, corapporteur. - Avec Michel Canévet, nous avons choisi de nous concentrer sur les facteurs qui pèsent sur les entreprises, au-delà des charges telles qu'on les comprend en général. Nous avons sélectionné deux thématiques particulières : la question des assurances, vous en avez parlé, et la question énergétique, dans un contexte d'augmentation des coûts de l'énergie, que ce soit le gaz ou l'électricité, mais également de changements réglementaires, en partie liés à la décarbonation et qui ont un impact sur la compétitivité des entreprises.

La question des assurances ressort comme une véritable problématique, en termes de coûts - avec des primes qui augmentent considérablement et brutalement - mais aussi d'instabilité, avec des contrats que les compagnies décident de ne pas poursuivre. On en vient à ces situations que vous dites, où les entreprises n'ont plus d'intérêt à s'assurer, à supposer qu'elles le puissent, en particulier du fait des conditions posées par les assureurs, parfois peu compatibles avec l'ancienneté des installations. Ce problème existe aussi dans d'autres secteurs, comme l'agroalimentaire ; la mise en place d'un fonds de soutien aiderait à sécuriser les bâtiments, à condition que les assurances jouent le jeu sur les primes. Il me paraît également important qu'une discussion régulière se tienne entre assureurs et entreprises, pour mieux identifier les problèmes et avancer, les entreprises ont besoin de visibilité.

Ensuite, la question énergétique est cruciale et il faut remettre sur la table la question du bois-énergie et de la biomasse. Notre vision est trop électrique, en particulier pour le chauffage. Dans la commission d'enquête sur les politiques de rénovation thermique dont j'ai été le rapporteur, nous avons souligné l'importance de l'utilisation du bois-énergie, notamment à travers les réseaux de chaleur - il faut préserver et développer cette énergie. Quel est, cependant, l'impact du coût de l'électricité sur la filière, en tenant compte en particulier des contrats de fourniture, qui varient avec la taille de l'entreprise ? Les entreprises de la filière bois ont-elles du mal à contractualiser à plus long terme ? Et ne pensez-vous pas qu'il manque une tranche de contrat d'électricité, pour les entreprises qui sont au-dessus des 36 KVA, qui auraient besoin d'un encadrement des prix et de plus de visibilité ? Les métiers du bois sont souvent liés à l'hydroélectricité, les scieries se sont installées historiquement à proximité des barrages ; cependant, où en est-on aujourd'hui de la cogénération, et en particulier de la réutilisation de l'électricité dans les entreprises elles-mêmes ?

M. Dominique Weber. - Concernant l'assurance, la piste de la provision sur investissement n'a pas été évoquée, alors qu'elle est très intéressante, en particulier parce qu'elle ne coûterait pas à l'État, hors le report de l'impôt. La filière en fait la demande depuis longtemps, c'est un outil à mobiliser pour aider l'investissement.

La crise sur l'énergie s'est atténuée par rapport à ce qu'elle était il y a deux ans, où les factures d'électricité ont pu quadrupler. Nos besoins électriques sont à surveiller, il nous faut effectivement des contrats moyen-long terme sur des puissances modérées.

L'autoconsommation et la cogénération sont indispensables pour équilibrer l'exploitation de l'entreprise de première transformation. Ce sont des outils pour baisser le coût d'exploitation, qu'utilisent nos compétiteurs européens, il faut soutenir leur utilisation.

Le bois est une filière d'équilibre, l'énergie n'est pas là pour prendre la place du bois d'oeuvre. L'affaissement du puits forestier sera compensé par un puits carbone dans les matériaux. En réalité, le bois énergie équilibre le tout, et il est important qu'il ait sa ressource, ce qui demande aussi des mobilisations du bois d'oeuvre plus importantes qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, il y a un problème d'accès à la ressource. Le paradoxe est que l'exploitation forestière est compliquée par des conditions climatiques plus défavorables, et par une réglementation environnementale qui se durcit et empêche une exploitation normale de la forêt, alors même que la forêt en a besoin. Or, si nous n'avons pas ce bois dans les usines, nous n'aurons pas de quoi faire de la cogénération.

M. Frédéric Coirier. - Nos usines relèvent en général des électrosensibles. Nous pouvons trouver des contrats compétitifs pour acheter de l'électricité à 3 ans, à 5 ans - en réalité, la seule inquiétude concerne le mécanisme qui succèdera à l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). Actuellement, il est possible d'acheter en France une électricité plus compétitive que chez nos voisins - cela explique aussi pourquoi peu de gens se sont engagés sur du très long terme : ils avaient des solutions pour l'immédiat. La difficulté concerne ceux qui ont signé des contrats fin 2022 quand l'électricité était chère, et à qui les fournisseurs refusent de baisser leur tarif - une telle attitude est inacceptable, il faut trouver une solution pour que ces industriels puissent étaler leur réengagement, sinon la charge est insupportable.

La chaleur est un point important pour le bois-énergie. Nous consommons beaucoup de chaleur pour sécher notre bois et nos granulés. Il faut une continuité des mécanismes de soutien, comme la cogénération et les fonds chaleur, c'est un moyen très précieux de répondre aux besoins importants de chaleur pour sécher le bois, et finalement pour pérenniser les sites.

L'industrie représente, au total, 20 % de la consommation électrique française, les électrosensibles en prennent la moitié : le problème ne parait donc pas insurmontable, il y a des solutions, la valorisation de la filière bois passe par là.

Mme Pauline Martin. - Si vous deviez hiérarchiser entre les problèmes qu'il faut traiter, par lequel d'entre eux commenceriez-vous ?

M. Clément Pernot. - Dans le Jura, lorsqu'on parle de filière, on pense immédiatement au Comté, puisque l'activité va de la ressource au produit fini, du lait au fromage ; par comparaison, je ne pense pas que vous fonctionniez comme une filière, car vous n'avez pas de partage organisé de la valeur ajoutée.

Notre forêt est en grande difficulté, elle a été touchée par le scolyte, qui a été une véritable pandémie pour notre territoire. Dans le Jura, notre forêt est malade du fait des évolutions climatiques, l'ensemble de la forêt nationale va être touchée - vous n'avez pas parlé de ces difficultés pour la ressource, alors que c'est la priorité absolue.

Je crois que vous gagneriez à vous organiser en filière, avec une maîtrise de la ressource jusqu'au produit, il me semble que c'est la seule façon de faire pression sur les autorités - je crois qu'elles ne bougeront pas à moins de cela. Nos agents des eaux et forêts font ce qu'ils peuvent pour la ressource, ils mènent des expériences locales sur des parcelles, ils font des tentatives de plantation diverses et variées ; mais le temps qu'ils en étudient les résultats, le problème est déjà passé à une autre échelle. Il faut agir plus fort, faire une sorte de plan Marshall pour la forêt, et si la filière était organisée, les industriels pourraient faire valoir leurs intérêts et mettre en avant la nécessité de s'adapter rapidement pour que la forêt devienne une véritable richesse pour le pays. Sur le volet énergie, nous avons tenté localement un dispositif soutenu par des communes, qui allait de la forêt jusqu'à la vente de chaleur ; nous avons vu combien c'est compliqué quand on n'a pas la main sur la ressource. Les sacs de pellets sont passés de 3,50 à 14 euros, on ne maîtrise pas les coûts si on n'a pas la main sur l'ensemble du circuit, de la ressource jusqu'à la production.

Comment vous, les industriels, pouvez-vous agir pour structurer une filière, y compris en vous appuyant sur les collectivités publiques, pour faire pression au niveau national ?

M. Olivier Rietmann, président. - Avec Daniel Gremillet, nous avions organisé une audition au moment où le prix du pellet avait brutalement augmenté. On nous a expliqué que l'augmentation coïncidait avec l'agression de l'Ukraine par la Russie, car une grande partie de l'approvisionnement de la ressource utilisée pour fabriquer le pellet, provenait de Russie ; il y a eu aussi une psychose à la fin du printemps 2022, lorsque chacun s'est mis à constituer des stocks, et le prix d'un sac de 15 kilos de pellets est passé de 5 euros à 13 euros, avant de revenir à son prix initial.

M. Frédéric Coirier. - Le pellet est utilisé pour des usages collectifs et individuels. Les Anglais en consomment quatre fois plus que nous, en particulier dans des usines qui, auparavant, tournaient au charbon. La crise énergétique a provoqué une ruée sur les approvisionnements, désorganisant les chaînes d'approvisionnement et de vente. Les particuliers se sont jetés sur les produits disponibles, stockant jusqu'à 3 à 4 années de consommation, et ce mouvement a été amplifié par la désorganisation des flux liée au prix du gaz, qui a atteint 300 euros le mégawattheure. Aujourd'hui, le prix du gaz est revenu à un niveau plus normal et le granulé est revenu au prix pratiqué en 2020-2021.

M. Dominique Weber. - La filière est organisée avec une interprofession, France Bois Forêt, qui a vocation à s'étendre à toute la filière : nous nous organisons pour travailler mieux et davantage ensemble.

Il nous faut compter avec la répartition de la propriété forestière en France : les trois-quarts de la forêt sont détenus par 3,5 millions de propriétaires privés, dont 2,2 millions possèdent moins de 1'hectare ; on estime que la moitié seulement de la forêt privée est gérée avec un plan de gestion - pour le reste, il y a bien des cas où des petites parcelles sont partagées en indivision et ne sont tout simplement pas gérées. Le centre national de la propriété forestière (CNPF) aide les propriétaires à se fédérer et à mettre en gestion leurs forêts, mais ce processus est long. L'État pourrait faire un remembrement forestier, comme il y en a eu pour la propriété agricole, cela aiderait certainement - mais on sait bien que les propriétaires privés n'aiment pas que l'État s'occupe de leurs affaires. En tout état de cause, l'échelle du problème à résoudre fait que la solution n'est pas individuelle, mais collective, et à ce titre le rassemblement de la filière autour d'une interprofession unique a du sens.

Nous devons avoir une politique repérable par les pouvoirs publics. Notre comité stratégique se réunit tous les trimestres avec les quatre ministères qui s'occupent de la forêt, c'est déjà un progrès, mais il faut aller plus loin.

M. Olivier Rietmann, président. - Je vous propose cet exercice : citez-nous, chacun d'entre vous et sans reprendre celle de l'autre, une priorité pour les métiers du bois.

M. Dominique Weber. - Il faut soutenir l'investissement industriel, à la fois sur les aspects énergétiques, notamment la cogénération, mais également sur les capacités de sciage, de transformation du bois, pour faire du bois d'ingénierie qui sera utilisé dans le bâtiment, le mobilier ou dans d'autres secteurs de la filière forêt-bois. S'il n'y a pas de crédits budgétaires supplémentaires, la provision sur investissement est une solution qui ne coûterait rien à l'État aujourd'hui, il est intéressant de regarder ce qu'il en est.

M. Philippe Denavit. - La première chose à faire, c'est de nous reconnaître comme une filière unie. Pendant trop longtemps, on a opposé les agriculteurs et les industriels ; nous avions même des interprofessions au sein de nos organisations. J'ai dirigé France Bois Industries Entreprises (FBIE) jusqu'à l'année dernière, nous avons décidé de fermer cette association professionnelle pour faire avancer toutes les organisations professionnelles dans une seule et même direction. Il faut aller plus loin, travailler sur les usages du bois et structurer l'industrie en fonction de la ressource, le mouvement a été initié - en particulier par Dominique Weber, qui, par modestie, ne le dit pas - et il faut le poursuivre.

Le premier sujet pour moi, c'est donc de nous reconnaître comme une filière unie. Cela nous aidera, car nous dépendons de plusieurs ministères, qui doivent se parler. C'est le travail du Comité stratégique de filière (CSF) d'accompagner à la fois les membres des ministères et les organisations professionnelles.

Le deuxième sujet pour moi, c'est l'assurance. On l'a évoqué largement, son incidence est très grande pour l'investissement ; il entraîne le dépérissement des entreprises anciennes et des savoir-faire, il y a urgence à se mobiliser, les industriels sont inquiets.

M. Patrick Maillard. - Le problème assurantiel ne concerne pas uniquement les grosses structures mais également les petites entreprises disposant d'ateliers de 1 000 à 3 000 m². Une entreprise de 1 000 m² représente environ 1,8 million à 2 millions d'euros de chiffre d'affaires, tandis qu'une entreprise de 3 000 m², c'est 4 millions à 4,5 millions d'euros. Les assureurs leur demandent d'investir 300 000 euros, dans des équipements qui ne sont pas productifs et qu'il faut entretenir dans le temps. Des adhérents sont audités parfois plusieurs années après la signature du contrat d'assurance, les auditeurs leur font des prescriptions qui, si elles ne sont pas suivies, ont des conséquences importantes en cas de sinistre : c'est un véritable problème pour les petites structures.

Si je devais citer mes priorités, ce serait d'arrêter que l'assurance « malusse » la filière bois - et de simplifier les réglementations, en particulier pour faciliter l'intégration du bois dans la construction.

M. Frédéric Coirier. - Je mettrais en priorité le renouvellement des quelque 8 millions d'équipements de chauffage au bois, dont 40 % sont anciens et représentent 80 % des équipements - en particulier les foyers ouverts et les équipements de plus de vingt ans. Il faut le faire sans freiner l'augmentation du parc, on peut passer de 8 à 10 millions d'équipements, tout en consommant moins, en produisant plus d'énergie renouvelable, en protégeant mieux les consommateurs des variations de coût de l'énergie et en ayant une énergie plus souveraine. Cela suppose, cependant, que MaPrimeRénov' continue de financer des actions, et qu'un effort particulier soit fait en direction des ménages les plus modestes.

Je reviens sur la question de la filière. Je crois qu'elle existe, en tout cas sur certains territoires. C'est le cas en Haute-Saône, une usine de mon groupe travaille directement avec un exploitant forestier. Nous faisons du bois de construction et nous valorisons nos déchets en énergie via des granulés, que nous vendons. Il existe des connexions multiples et variées entre industriels de la première transformation ; nous pensons désormais partout à la valorisation et nous faisons de la deuxième transformation, en intégrant parfois la distribution. Il y a aussi des industriels qui font de l'énergie et qui viennent collecter des déchets pour les transformer. En réalité, il y a de plus en plus d'imbrications entre les secteurs, de travail en bonne intelligence et d'économie circulaire, c'est une évolution d'ensemble.

Sur les « dépérissants », je crois que nous avons une opportunité. Nos voisins allemands et autrichiens ont été plus touchés que nous par le scolyte, ils sont les plus gros scieurs européens et leurs stocks ont considérablement diminué. C'est, pour les scieurs français, qui ont encore un accès plus facile à la matière, l'occasion de gagner des parts de marché. Il faut certes continuer à planter, mais aussi exploiter tous ces « dépérissants » : il y a du hêtre, du chêne, nous sommes capables de transformer des bois impropres à la construction en bois-énergie, nous avons tout un panel de solutions - sachant qu'aujourd'hui, nous ne récoltons que 50 à 60 % du potentiel de croissance de notre forêt, bien moins que nos voisins belges, allemands ou autrichiens qui, eux, ont des problèmes de fourniture parce qu'ils ont été obligés de couper de façon accélérée une grosse part de leur parc à cause des scolytes.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Les exploitants forestiers nous disent souvent que la réglementation est de plus en plus contraignante, au point de rendre difficile l'accès à la ressource : qu'en est-il ? De quelles contraintes parle-t-on ?

M. Gilbert Favreau. - Un scieur important du nord de mon département m'a alerté sur l'affiliation obligatoire de la filière bois à la responsabilité élargie du producteur (REP) ; nous nous sommes saisis du sujet au Sénat en adoptant, le 15 mai dernier, la proposition de loi d'Anne-Catherine Loisier pour exclure le bois du versement d'écocontributions sur les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB). Qu'en pensez-vous ? Notre débat a montré que si tout le monde s'accorde sur le diagnostic, la solution est plus complexe qu'en apparence, alors que l'impact est évident pour des entreprises du bois : quelle est votre position sur la question ?

M. Michel Masset. - Dans mon département, une usine importante va s'implanter pour faire du lamellé-collé, ce qui inquiète les professionnels : ils se demandent si l'accès à la ressource ne va pas s'en trouver déséquilibré.

Pour compléter les questions sur la REP : quelles sont vos relations avec les éco-organismes, chargés des écocontributions ?

Enfin, quelle est l'incidence des droits de succession sur la propriété forestière, en particulier sur les bois ? Dans le Lot-et-Garonne, les fermes avaient souvent un bois dans leur propriété ; avec les successions, ces bois se sont retrouvés en indivision et leur exploitation devient quasiment impossible : ne faudrait-il pas légiférer, pour prévoir des cas d'expropriation publique par exemple ?

M. Dominique Weber. - L'accès à la ressource est de plus en plus contraint, effectivement. Il y a les événements climatiques, on sort d'années où il a beaucoup plu, ce qui rend plus difficile d'entrer en forêt. Il y a aussi la réglementation environnementale, qui limite l'accès en forêt à certaines périodes de l'année ; il va falloir trouver un terrain d'entente, parce que les équipements doivent tourner - une abatteuse, par exemple, coûte 700 000 euros, les entreprises qui les détiennent sont souvent très petites, elles ne peuvent pas se permettre de laisser ces investissements au repos. Nous sommes tous sensibles à la biodiversité, mais à un moment, il faut savoir ce qu'on veut. On ne peut pas avoir des usines, investir, mettre de l'argent public et que le bois n'arrive pas dans les usines. Il y a un travail à faire sur l'accès à la ressource. Il faut s'emparer du sujet de la propriété privée mais aussi sur celui de l'environnement, je pense en particulier aux problèmes posés par l'article L. 411-1 du code de l'environnement et ses décrets d'application.

La filière forêt-bois connaît bien la REP, ensuite, puisque nous l'avons mise en place dans l'ameublement. En 2013, 90 % du mobilier était enfoui en fin de vie ; aujourd'hui, 90 % des meubles sont recyclés, le broyat est devenu un intrant important pour les panneaux de particules - les fabricants intègrent plus de 40 % de bois recyclé dans leur production, c'est un élément important pour l'équilibre de la filière. Nous ne sommes donc pas opposés à ce type de dispositif. Dans l'ameublement, nous avons défendu l'idée d'une « visible fee », c'est-à-dire une taxe visible tout au long de la chaîne de production. En fait, si l'éco-participation n'est pas visible, elle est réduite par des marges au fur et à mesure de la transformation de la matière. Le bois n'avait pas besoin de la REP pour trouver son recyclage. L'éco-participation n'est pas une mauvaise chose en soi, mais il faut l'adapter, parce que si elle se traduit par une charge triple ou quadruple pour les entreprises, ceci pour un résultat comparable à celui que nous avons déjà obtenu, ce sera difficile. Madame la Sénatrice Anne-Catherine Loisier a fait un bon travail, la proposition de loi que vous avez adoptée comprend un moratoire pour un décret, il faut discuter pour trouver une solution équilibrée.

M. Clément Pernot. - Ce qui est important, c'est que les industriels puissent faire pression, au nom de leur filière. Je crois, également, qu'il est temps de légiférer sur la propriété de la forêt, avec des schémas d'obligation, pour que les communes puissent préempter ou exproprier si nécessaire. Nous devons agir pour assurer une ressource à nos industriels, ou bien il ne se passera rien.

M. Frédéric Coirier. - Sur la mobilisation de la ressource, nous ne faisons pas n'importe quoi et il ne faut pas laisser penser que nous faisons mal le travail ou que nous ne respectons pas les règles, parce qu'un tel discours a des conséquences très concrètes sur les professionnels. Nous déplorons des agressions contre des personnes et des destructions de matériel en forêt, des comportements inacceptables. Les professionnels font leur travail correctement, ils investissent et prennent des risques importants, il faut les protéger, expliquer qu'ils travaillent dans le cadre des règles et dire clairement que les agressions qu'ils subissent ne sont pas acceptables.

Sur la REP, ensuite, on nous demande une participation tout à fait disproportionnée, c'est véritablement un scandale quand on sait que nos produits sont valorisés. La REP sur le bois est un impôt de production, un racket qui ne correspond à aucun service. Il faut valoriser les produits, mais sans surfacturation : nous sommes pour l'économie circulaire, mais pas pour cet impôt, qui est exigé sans contrepartie d'un service. J'espère que la ministre Pannier-Runacher, qui s'est saisie du sujet, ira jusqu'au bout de manière à ce que le coût corresponde au service rendu à la collectivité.

M. Olivier Rietmann, président. - Attention quand on parle d'expropriation, la propriété privée est un principe de valeur constitutionnelle. On ne doit pas parler d'expropriation à la légère, car on est alors proche de considérer la forêt comme un bien commun - et pourquoi pas, alors, la terre elle-même. Je m'insurgerai toujours contre cette idée, car la terre est un bien privé qu'il faut protéger.

M. Patrick Maillard. -  La REP sur le bois est un véritable scandale. Alors que nous recyclons très bien nos déchets, mon groupe paie actuellement 85 000 euros pour le traitement de ses déchets, et on nous demanderait désormais 220 000 euros. Je ne comprends pas comment des sociétés commerciales peuvent faire un prélèvement dans des entreprises sans surveillance ni garantie de l'usage qui est fait de cet argent.

Comment, ensuite, appliquer la REP alors que les bases de calculs unitaires varient ? Le même produit va être compté en mètres linéaires, en unités, en tonnages et en mètres cubes. Comment imaginer que des sociétés qui ont parfois trois ou quatre salariés et qui ne sont pas équipées en mesure numérique, vont pouvoir faire les calculs nécessaires ? C'est un véritable enfer et une catastrophe.

M. Philippe Denavit. - Le temps du bois n'est pas le temps de la politique. Les décisions prises pour l'environnement ne s'accordent pas au cycle forestier, aux décisions de planter que nous avons prises il y a 15 ou 20 ans. Il faut ouvrir une discussion globale avec les associations protectrices de l'environnement, certaines sont très agressives et soutenues par des politiques.

La REP fonctionne quand il y a de la transparence et que les organisations professionnelles participent à la vie des éco-organismes : c'est ce qui s'est passé avec la filière ameublement. Ce qui est important pour nous, c'est l'équité et la transparence. Dans l'analyse du cycle de vie, on doit tenir compte de la nature des matériaux utilisés. La difficulté vient d'une forme d'opacité des éco-organismes, et du fait que les solutions proposées sont plus onéreuses que celles auxquelles nous parvenons - en réalité, les déchets bois sur les chantiers ne coûtent presque rien, parce qu'ils sont recyclés par les ouvriers du bâtiment qui les utilisent pour divers usages, par exemple pour construire chez eux des niches pour les chiens ; c'est comme cela que les chantiers ont toujours fonctionné. Il faut analyser les coûts pour arriver à un prix raisonnable, sans supporter le coût des éco-organismes ; il faut adapter le mécanisme au coût réel des matériaux dans leur recyclage. Le panneau dans l'ameublement montre l'exemple : l'essentiel des déchets du bois part dans la fabrication de panneaux, avec un coût raisonnable et il est supporté par tous. Il faut faire de même dans le bâtiment ; nous sommes encore loin du compte, ce qui explique les frustrations - mais nous sommes tous concernés et il faut trouver la juste mesure.

La réunion est close à 16 h 15.

Ce point de l'ordre du jour fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.