Mardi 27 mai 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 17 h 00.
Proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI) - Examen du rapport pour avis
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport pour avis de notre collègue Laurent Somon sur la proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations.
M. Laurent Somon, rapporteur pour avis. - La semaine dernière, trois personnes sont mortes dans le Var après un épisode orageux ayant causé d'importantes inondations. Au-delà des pertes humaines, irréparables, les territoires touchés déplorent également des dommages importants, qu'ils soient matériels, financiers ou psychologiques.
Les inondations constituent le principal aléa naturel en France, puisqu'elles expliquent à elles seules environ la moitié de la sinistralité liée aux catastrophes naturelles depuis 1982. Le drame récent dans le Var s'inscrit d'ailleurs dans une tendance à la récurrence et à l'intensification des événements météorologiques extrêmes, tels que les Hautes-Alpes et le Pas-de-Calais en avaient connu fin 2023 et début 2024, avec des conséquences terribles. J'ai moi-même connu, en 2001, un épisode tragique similaire dans mon département de la Somme.
Face à ces risques, les collectivités territoriales sont en première ligne : c'est en particulier le cas des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, qui exercent une compétence clé en la matière : la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, dite « Gemapi ». La création de cette compétence en 2014, avec la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam), n'a pas entraîné de transfert de moyens de l'État, mais s'est accompagnée de la création d'un nouvel impôt local facultatif, une taxe également dite « Gemapi » codifiée à l'article 1530 bis du code général des impôts (CGI).
Cette taxe est un impôt facultatif : l'organe délibérant de l'EPCI est libre de l'instituer ou non. Elle est également un impôt de répartition, c'est-à-dire que les élus délibèrent dans le but d'arrêter un produit - et non pas un taux -, l'administration fiscale se chargeant ensuite de le répartir entre les contribuables pour lever la taxe. Elle est un impôt affecté au financement de la compétence Gemapi : son produit ne peut être supérieur ni au montant des dépenses de Gemapi prévues ni à 40 euros par habitant.
Cette taxe constitue une ressource en croissance pour les collectivités : en 2018, 428 EPCI percevaient la taxe, contre 665 en 2021, soit un taux de couverture de 53 %. Selon les premières remontées, les trois quarts des EPCI auraient levé la taxe Gemapi en 2024. Le taux de cette taxe a également progressé, passant de 6 euros par habitant en 2018 à 7,5 euros en 2021. Ainsi, le produit de la taxe Gemapi a triplé entre 2018 et 2023. Pourtant, de nombreux élus indiquent que cette taxe n'est pas suffisante.
Ce point est souvent revenu pendant les auditions : si le produit potentiel de la taxe Gemapi - chiffré à 2,9 milliards d'euros par l'administration - est encore loin d'être atteint, de fortes disparités territoriales existent. Les territoires fortement exposés aux inondations mobilisent bien souvent la taxe Gemapi à un niveau proche du plafond de 40 euros par habitant, tandis que des marges existent dans les EPCI moins exposés : l'insuffisance de la taxe Gemapi serait donc liée à sa répartition inégale sur le territoire.
L'examen de la présente proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations au Parlement s'inscrit donc dans un contexte de forte mise à l'épreuve de la capacité des collectivités territoriales de faire face aux inondations et d'insuffisance des moyens à la disposition des collectivités territoriales. Elle a été renvoyée à la commission des lois, qui en traitera les articles 1er et 2, mais qui a délégué à notre commission des finances l'examen au fond des articles 3 et 4. Il s'agit du volet fiscal de la proposition de loi, qui porte sur la taxe « Gemapi », dont l'objet est de financer la compétence éponyme.
L'article 3 prévoit la remise d'un rapport par le Gouvernement au Parlement sur la mise en oeuvre de la taxe Gemapi, sur les modalités d'une répartition plus équitable de son produit sur le territoire et sur l'opportunité d'instaurer un fonds de péréquation de cette taxe.
Certes, le Sénat est généralement méfiant à l'égard des rapports demandés au Gouvernement : le dernier rapport d'information de Sylvie Vermeillet sur l'application des lois a ainsi relevé que seuls 20 % des rapports demandés sont effectivement remis.
J'aurais, pour ma part, été prêt à faire au Sénat une première proposition de création d'un fonds de péréquation de la taxe Gemapi : notre commission en a la capacité technique, et cela aurait permis d'engager un débat en forçant le Gouvernement à se positionner. Toutefois, à la suite de mes échanges avec les auteurs de la proposition de loi, je respecte leur choix d'en rester à une demande de rapport afin d'engager une réflexion partenariale avec le Gouvernement, et surtout d'affirmer qu'il lui revient en priorité de prendre ses responsabilités en matière de solidarité nationale.
Je vous propose donc d'adopter l'article 3 sans modification.
L'article 4, quant à lui, prévoit que les recettes de la taxe Gemapi puissent désormais financer les actions menées dans le cadre de la compétence « maîtrise des eaux pluviales en zone non urbaine », qui ne fait pas fait partie de la compétence Gemapi.
Il permet également aux personnes à qui la compétence Gemapi a été transférée de reverser la taxe, en partie ou en totalité, aux communes afin de prendre en charge la compétence « maîtrise des eaux pluviales » en zones non urbaines.
Cet article me semble tout d'abord superflu s'agissant des départements. En effet, l'article 1er de la proposition de loi prévoit la possibilité d'une délégation, et non pas d'un transfert de la compétence aux départements. Or il est déjà possible de reverser les financements aux communes dans le cadre d'une délégation.
En outre, il ne semble pas que la taxe Gemapi soit en mesure d'absorber le financement d'une nouvelle compétence. Comme je l'indiquais, cette taxe n'est pas suffisante aujourd'hui pour prendre en charge l'ensemble des dépenses relatives à la prévention des inondations, et de nombreuses personnes auditionnées nous ont fait part de leur inquiétude quant à l'intégration d'une nouvelle mission dans la Gemapi.
Il vous est donc proposé de supprimer cet article.
M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, nous vous proposons de considérer que, pour les articles 3 et 4 de la présente proposition de loi, le périmètre comprend les dispositions concernant le financement de la compétence Gemapi, ainsi que les dispositions relatives à la taxe Gemapi prévue à l'article 1530 bis du CGI.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je souscris aux orientations et aux propositions du rapporteur, que je remercie pour le travail réalisé. Les recettes issues de la taxe Gemapi ne sont pas du tout à la hauteur des besoins, et il me semble que ce dispositif doit encore se stabiliser.
La plus grande récurrence de pluies de forte intensité doit nous conduire à mener un travail spécifique, mais il ne me semble pas que cette taxe constitue, en l'état, une réponse adéquate. Dans le contexte actuel, proposer un accroissement de fiscalité qui pèserait au niveau des collectivités ne me paraît pas souhaitable.
M. Marc Laménie. - Combien de personnes sont-elles mobilisées pour percevoir cette taxe ?
M. Arnaud Bazin. - La demande de rapport semble proposer une démarche de mutualisation de la taxe Gemapi à l'ensemble des territoires. Si tel est le cas, des collectivités qui n'ont pas levé cet impôt en raison de l'absence de risques d'inondations sur leur territoire pourraient être sollicitées par celles qui y sont confrontées, ce qui pourrait être, selon moi, très mal perçu.
M. Grégory Blanc. - Ce texte part d'une bonne intention, qui consiste à corriger certaines carences. Dans le cadre du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), je rappelle que l'État chiffre à 143 milliards d'euros les impacts des catastrophes naturelles d'ici à 2050.
Autrement dit, présenter des propositions de loi qui s'apparentent à des rustines pour répondre aux enjeux de la transition écologique pose un problème de fond, puisque nous continuerons à multiplier les « petits » textes sur chaque sujet, qu'il s'agisse des inondations et des sols. Il faudrait plutôt une loi de programmation pluriannuelle de la transition écologique. Anticiper les événements climatiques coûtera cher, et il faut mener ce débat sereinement.
Pour autant, la proposition de loi a le mérite de soulever une incohérence, à savoir l'incapacité à traiter de front la problématique des eaux de ruissellement et le financement des infrastructures. Pour prendre l'exemple des digues de Loire, certains territoires échappent au financement d'infrastructures qui les concernent pourtant.
Par ailleurs, une étude d'impact avant d'adopter un tel texte serait nécessaire.
Enfin, la suppression de l'article 4 que propose le rapporteur me gêne en ce qu'elle revient à vider la loi de sa substance : souhaitons-nous donc que ce texte disparaisse ?
M. Claude Raynal, président. - N'oubliez pas les deux articles qui seront examinés par la commission des lois.
M. Grégory Blanc. - Certes, mais l'article 4 est essentiel.
M. Christian Bilhac. - L'Hérault est particulièrement exposé à des événements climatiques tels que les épisodes cévenols. Par le passé, on accusait le « bon Dieu » lorsque des inondations survenaient, mais la responsabilité en est désormais imputée au président d'intercommunalité, plus facile à trouver et à traîner devant un tribunal !
Par ailleurs, je ne parviens pas à faire la distinction entre les eaux pluviales et les autres : selon moi, les premières sont à l'origine de toutes les inondations en aval. Je suis donc gêné par la suppression de l'article 4 et préférerais que nous arrêtions de construire des digues très onéreuses en aval, afin de nous concentrer, en amont, sur les eaux de ruissellement et les eaux pluviales.
Quelques décennies plus tôt, Nîmes avait été en proie à des inondations, et un rapport d'expertise qui avait coûté une fortune avait conclu que l'eau venait d'en haut, ce qui avait suscité l'hilarité générale. Négliger le volet des eaux de ruissellement constitue, selon moi, une erreur.
Mme Christine Lavarde. - La compétence Gemapi réunit deux politiques publiques assez différentes, dont, d'une part, la politique de prévention des inondations qui a fait l'objet d'un important travail au Sénat sous l'égide de Jean-François Rapin. Ce travail a débouché sur l'adoption de la proposition de loi visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations, le texte devant encore être inscrit à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale.
D'autre part, la Gemapi renvoie à la politique de gestion des milieux aquatiques, qui doit être portée par les agences de l'eau si l'on souhaite agir de manière mutualisée et plus fine, avec une gestion par bassin qui ne s'arrête pas aux frontières administratives. Sommes-nous capables de mettre en perspective les crédits desdites agences et la péréquation prévue par certains articles de la proposition de loi ?
M. Vincent Delahaye. - Le rapporteur nous suggère de supprimer l'article 4 : ne subsisterait donc que l'article 3, qui renvoie à une demande de rapport à laquelle je suis défavorable, comme l'est le Sénat de manière générale. Le rapporteur souhaite-t-il maintenir cette proposition de loi, ou envisage-t-il de demander à ses auteurs de la retirer ?
M. Michel Canévet. - Je suis exactement dans le même état d'esprit : pourquoi perdre du temps à examiner pareille proposition de loi ? L'article 2 impliquant de nouveaux financements, la suppression de l'article 4 pose problème, et je peine à identifier l'intérêt de ce texte.
M. Laurent Somon, rapporteur pour avis. - Certes, le texte n'a pas une grande portée et je suis en principe également réservé sur les demandes de rapport. Pour autant, le texte a le mérite de remettre en débat les fonctions et les limites d'une taxe qui reste tout à fait insuffisante, sujet sur lequel il convient d'interroger le Gouvernement, sauf à faire nous-mêmes des propositions, ce que nous n'avons pas souhaité faire : cela nous aurait en effet conduits à soulever les questions posées par Arnaud Bazin au sujet d'une éventuelle péréquation horizontale et de la perspective d'imposer une taxe à des territoires qui ne l'ont pas mise en oeuvre. Nous revient-il de proposer une fiscalité nouvelle dans le cadre d'un texte tel que celui que nous examinons aujourd'hui ?
Les auditions menées ont cependant permis d'identifier la diversité des problématiques dans les territoires, la possibilité de lever une taxe dépendant notamment du nombre d'habitants. Dans des zones exposées aux risques et faiblement peuplées telles que la montagne, il est difficile de lever les sommes suffisantes pour réaliser les travaux nécessaires, même en appliquant un taux maximum. Il existe donc bien un hiatus entre le cadre de la taxe Gemapi et les caractéristiques des territoires qui peuvent la collecter.
Plus généralement, je n'oublie pas la proposition de loi portée par Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux, qui laissait ouverte la possibilité de trouver les moyens nécessaires à la réalisation des travaux concernés. Par ailleurs, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation mène actuellement une mission d'information flash relative à la compétence de gestion de l'eau et des milieux aquatiques, afin d'améliorer l'efficacité de l'action publique dans ce domaine.
Monsieur Laménie, il faudrait solliciter la direction générale des finances publiques (DGFiP) pour connaître précisément le nombre d'agents affectés à la collecte de cette taxe.
Monsieur Bazin, vous avez raison, mettre en place une péréquation horizontale ou instaurer une fiscalité à des territoires qui ne le demandent pas serait effectivement malvenu dans le contexte actuel. C'est pourquoi nous avons conservé le texte tel que proposé par ses auteurs.
Monsieur Blanc, nous examinons en effet une série de propositions de loi « rustines », le Gouvernement ne s'attaquant pas à des projets globaux. Malgré tout, le texte a le mérite de lever un lièvre par le biais de cette demande de rapport, les inégalités territoriales étant ainsi mises en lumière.
Nos auditions nous ont permis de constater que certains élus ne souhaitent pas étendre la taxe Gemapi à la gestion des eaux pluviales en amont, tandis que d'autres ne désirent pas que le périmètre de la taxe intègre la protection du littoral. Nous devrons donc trouver des solutions au regard de la fréquence accrue des événements climatiques.
Madame Lavarde, la récurrence de ces événements incite justement les agences de l'eau à se réinterroger sur la gestion des milieux aquatiques. Dans le cas du bassin Artois-Picardie, des fonds ont ainsi été réalloués à la réalisation d'aménagements d'hydraulique, domaine d'action qui avait été totalement abandonné par le passé. Il incombe bien à ces agences de prendre en compte l'ensemble du cycle de l'eau.
Je comprends les observations de Michel Canévet et de Vincent Delahaye, c'est pourquoi la proposition que je présente aujourd'hui reflète une position médiane.
M. Jean-François Rapin. - Nous savons très bien sur quoi débouchera la demande de rapport : la dernière proposition d'un gouvernement relative à la taxe Gemapi remonte à Barbara Pompili, qui avait suggéré son déplafonnement, et celle-ci avait été rejetée à l'unanimité par le Sénat. Je ne pense donc pas qu'il y ait matière à attendre une volonté réelle du Gouvernement dans ce domaine.
Par ailleurs, il existe bien un problème d'articulation entre solidarité locale et solidarité nationale, le même problème se posant pour le recul du trait de côte, puisque le Gouvernement s'oriente peu à peu vers l'abandon de la solidarité nationale sur ces questions. Je crains donc qu'une demande de rapport sur le sujet n'amène des déceptions...
M. Laurent Somon, rapporteur pour avis. - Le recul de la solidarité nationale est effectivement préoccupant.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 3 (délégué)
La commission propose à la commission des lois d'adopter l'article 3 sans modification.
Article 4 (délégué)
L'amendement de suppression COM-1 est adopté.
La commission propose à la commission des lois de supprimer l'article 4.
La commission a donné l'avis suivant sur l'amendement dont elle est saisie qui est retracé dans le tableau ci-après :
Article 4 |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
M. SOMON, rapporteur pour avis |
COM-1 |
Suppression de l'article |
Favorable |
La réunion est close à 17h35.
Mercredi 28 mai 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 11 h 00.
Audition de M. Sébastien Raspiller, secrétaire général, de l'Autorité des marchés financiers
M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir ce matin le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), M. Sébastien Raspiller, pour présenter notamment le rapport annuel d'activité de cette importante autorité de régulation. Malheureusement, la présidente de l'AMF, Mme Marie-Anne Barbat-Layani, ne peut être parmi nous pour des raisons de santé. Nous l'excusons, bien naturellement, et lui souhaitons un prompt rétablissement. Cette audition sera donc l'occasion d'entendre pour la première fois M. Raspiller dans ses nouvelles fonctions, auxquelles il a été nommé en octobre 2023.
Monsieur le secrétaire général, vous nous parlerez peut-être de l'évolution des missions de l'AMF, notamment en matière de finance durable, de contrôle du reporting extrafinancier et de lutte contre l'écoblanchiment, en matière d'égalité professionnelle, ou encore en matière de réglementation du secteur des cryptoactifs.
À ce sujet, une des préoccupations évoquées par votre présidente lors de son audition en octobre 2022 avait été le souci de parler simplement et efficacement à des publics nouveaux particulièrement vulnérables, notamment les jeunes, souvent sensibles aux promesses de rendement de ce secteur. Le thème de la vulnérabilité des épargnants et de la multiplication des arnaques revient d'ailleurs régulièrement dans les interventions de l'AMF. Vous le savez, la commission des finances est toujours très sensible à la question de la protection des épargnants.
De façon plus générale, vous évoquerez, je l'espère, l'ensemble des chantiers que vous avez pu lancer depuis votre arrivée et, dans la mesure du possible, de ceux qu'a initiés Mme Barbat-Layani, mais aussi des chantiers à venir, et en particulier l'union de l'épargne et des investissements. Vous nous direz si vous estimez, comme Mme Barbat-Layani, qu'il s'agit du « projet le plus important de notre génération en matière financière ».
Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.
M. Sébastien Raspiller, secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers. - Je vous prie d'excuser l'absence de Mme Barbat-Layani, qui regrette de ne pas être présente aujourd'hui.
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous ce matin pour présenter les grands enjeux en matière de régulation financière à l'occasion de la publication du rapport annuel 2024 de l'Autorité des marchés financiers. J'en suis le secrétaire général, comme vous l'avez rappelé, depuis un an et demi.
Le rapport annuel est l'occasion de revenir sur quelques-unes des actions importantes de l'année précédente et, plus largement, sur celles menées depuis l'arrivée de la présidente à la fin de 2022, ainsi que sur celles des premiers mois de 2025, mais aussi d'évoquer les perspectives à venir.
Mme Barbat-Layani avait organisé en mars 2024 une rencontre avec des parlementaires de votre commission sur le thème de la politique répressive de l'AMF et sa contribution à la protection des épargnants et à la lutte contre les arnaques financières. Ce sujet « d'insécurité financière », selon les mots employés par la présidente lors de la présentation du rapport devant la presse lundi dernier, est toujours d'actualité. Elle souhaite renouveler cette initiative afin de nourrir un dialogue de qualité avec votre commission.
Je reviendrai sur trois grands enjeux dans mon propos liminaire.
Au niveau international, la nécessité de poursuivre les travaux sur la stabilité financière : beaucoup a été fait, mais il reste toujours des choses à faire.
Au niveau européen, celle de faire avancer concrètement, et si possible faire aboutir, le projet d'union de l'épargne et des investissements.
Au plan national, l'importance de rester mobilisés pour la protection des investisseurs, l'innovation, la finance durable et la lutte contre l'insécurité financière, qui affecte les épargnants via les arnaques et les délits.
Sur le plan international, nous avons vécu ces derniers mois des bouleversements importants. Début avril, à la suite des annonces du président Trump sur les droits de douane, les marchés financiers ont démontré une grande résilience technique, malgré des pics importants de volatilité et de très grands volumes de transactions. Il faut le souligner, car les marchés ont joué leur rôle de formation des prix et de révélateur des anticipations des acteurs économiques.
Ce bon fonctionnement technique des marchés est le fruit des réformes importantes menées lors de la dernière décennie, à la suite notamment de la grande crise financière de la fin des années 2000. Pour autant, la vigilance reste de mise. Il existe toujours des vulnérabilités structurelles liées aux évolutions rapides du monde financier qu'il faut commencer par bien comprendre avant, le cas échéant, de mieux les réguler. Dans ce cadre, il convient de poursuivre nos travaux en matière de stabilité financière.
À l'époque de la grande crise financière, la focale était mise sur les établissements de crédit, les banques. Aujourd'hui, la moitié de la finance au niveau mondial est de la finance de marché : les régulateurs de marché y jouent un rôle central.
L'AMF copréside avec son homologue britannique le groupe chargé de la stabilité financière qui réunit les vingt plus grands régulateurs de marché mondiaux. Elle y porte la voix de la France. Cette voix, c'est une vision d'une finance intègre, bien régulée, utile à l'économie. La France est un grand pays financier, l'un des plus importants et des plus respectés sur ces sujets si essentiels pour la vie de nos concitoyens.
Le deuxième chantier clé des années 2024-2025, et sans doute des années à venir, est celui de la relance de l'union des marchés de capitaux, avec sa nouvelle dénomination : l'union de l'épargne et des investissements, qui permet de mettre les épargnants et les investisseurs davantage au coeur des préoccupations. Ce chantier date déjà de plus d'une décennie, et si ses résultats ne sont pas nuls, ils sont jugés largement insuffisants.
La présidente de l'AMF a signalé qu'elle considérait ce projet comme le plus important de sa génération en matière financière. Le passage à l'euro a montré la capacité de l'Union européenne à obtenir de grands succès. Le projet de l'union de l'épargne et des investissements est fondamental pour mobiliser les financements nécessaires à l'Union européenne pour atteindre ses objectifs politiques : la transition énergétique, la transition digitale de son économie, le financement de son autonomie stratégique, notamment de la défense. La Commission européenne a fait très récemment des annonces en ce sens.
Les besoins sont très considérables, environ 1 000 milliards d'euros supplémentaires par an, selon la Commission européenne ou la Banque centrale européenne (BCE). Ce chiffre paraît très massif ; il n'est pourtant pas hors de portée, puisque l'Union européenne possède un atout que d'autres n'ont pas : une épargne abondante de ses concitoyens. C'est le cas en France, mais aussi dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Elle dispose par ailleurs de circuits d'acteurs, d'intermédiaires puissants et d'une attractivité pour les investisseurs internationaux qui lui permettent de réussir cette transformation. À cet égard, on peut noter que, durant ces derniers mois, en relatif, la stabilité de l'Union européenne est perçue par les investisseurs comme un facteur d'attractivité.
Trois grandes priorités semblent, selon l'AMF, devoir être poursuivies pour faire aboutir ce projet : une bonne mobilisation de l'épargne européenne, dans le respect des épargnants européens ; la mise en place d'une véritable supervision européenne des marchés de capitaux, qui est aussi une source de réelle simplification pour tous les acteurs ; et, à court terme, l'attente du projet de la Commission européenne en matière de relance de la titrisation.
Il s'agit, en premier lieu, de favoriser l'investissement des particuliers dans l'économie européenne, pour orienter l'épargne abondante des ménages vers des placements de long terme, qui sont les plus aptes, d'une part, à produire du rendement pour les personnes elles-mêmes et, d'autre part, à financer le terreau économique de l'Union, à savoir ses entreprises de taille moyenne et intermédiaire. Tous les pays européens n'ont pas forcément une place financière très développée, mais ils ont tous des entreprises non financières qui créent de l'emploi sur leur territoire. L'investisseur européen sera, aux côtés des investisseurs institutionnels, la clé de la réussite de l'union de l'épargne et des investissements. Nous nous félicitons donc du changement de dénomination.
L'intérêt de l'épargnant peut être aligné avec les objectifs politiques qui ont été assignés à la réussite de l'union de l'épargne et des investissements, en améliorant la génération d'argent pour nos concitoyens. La présidente Barbat-Layani, vous le savez, accorde une grande importance au sujet de l'égalité femmes-hommes. Les femmes épargnent beaucoup par rapport aux hommes et investissent moins ; elles placent davantage sur des comptes bancaires non rémunérés : ce déficit d'investissement leur nuit et nuit à l'économie. J'en profite donc pour saluer la mise en oeuvre, par la loi du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (« Ddadue ») en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, de la directive européenne Women on Boards.
La mobilisation de l'épargne européenne peut aussi passer par la mise en place de labels désignant les produits financiers les mieux adaptés au bon financement de l'économie européenne. Le rôle des régulateurs de marché sera déterminant pour maintenir un niveau de protection élevé des investisseurs. Une mobilisation accrue de l'épargne des citoyens sur les marchés conduit évidemment à une responsabilité accrue du régulateur de marché vis-à-vis de cette mission socle, car il faut assurer la confiance des citoyens dans les marchés financiers ; la confiance est la base de tout investissement.
Il s'agit, en deuxième lieu, de mettre en place une véritable supervision européenne des marchés de capitaux. Nous sommes sans doute, au sein de l'Union européenne, l'autorité nationale de marché qui défend le plus un accroissement significatif des pouvoirs de supervision à l'échelon européen. Cette ambition est partagée par les politiques, et donc l'exécutif français. C'est moins le cas dans d'autres pays, mais, pour nous, ce point est essentiel.
D'une part, parce que l'architecture actuelle est source de complexité et d'inefficience. La responsabilité reste au niveau des autorités nationales, ce qui fait sens dans une logique de proximité des épargnants, mais qui est, je le redis, source d'inefficacité pour de nombreuses activités. Une autorité nationale peut octroyer un agrément à un produit d'épargne, qui sera ensuite « passeporté » dans le cadre du marché unique dans tous les pays européens. Or la protection des épargnants et de l'épargne est une responsabilité qui reste au niveau national.
Nous devons pouvoir nous assurer que ce qui est commercialisé auprès de nos concitoyens respecte les standards fixés au niveau européen. Pour ce faire, il faut s'assurer que nos homologues font correctement leur travail. Or certains d'entre eux ont structurellement peu d'épargnants domestiques, et donc pas nécessairement les connaissances nécessaires sur ce sujet. Par ailleurs, nous constatons une grande diversité des cultures d'épargne au sein de l'Union européenne et une méconnaissance de la part d'acteurs lointains des épargnants auxquels ces produits sont destinés.
D'autre part, si des efforts ont été faits en matière de convergence des pratiques de supervision, celle-ci nécessite un travail important pour des résultats qui ne sont pas toujours à la hauteur. Un organe central au niveau européen permettra d'éviter ces divergences entre régulateurs nationaux et d'accroître la responsabilité des superviseurs.
La multiplication des acteurs est aussi une source de déresponsabilisation, par exemple quand on se passe la présidence tournante d'un collège de régulateurs tous les six mois. C'est le cas pour des acteurs paneuropéens.
La supervision européenne des marchés de capitaux est un enjeu fort et difficile. Il faut une impulsion politique, car elle dépasse le cadre d'action de l'AMF. Notre voix peut néanmoins porter en montrant qu'une autorité nationale sait dépasser ses intérêts particuliers - cette évolution se traduirait, en effet, par une perte de substance pour nous -, pour oeuvrer dans le sens du bien collectif européen et de l'intérêt général.
Il s'agit, en troisième lieu, de la titrisation, dont la première traduction législative au niveau européen est attendue pour la mi-juin. Le terme est connoté négativement en raison de ce qui s'est produit aux États-Unis en 2008. Néanmoins, je rappelle qu'il n'y a eu aucune défaillance de titrisation européenne à l'époque. Par ailleurs, peu de temps après, en 2011, la Banque centrale européenne et la Banque d'Angleterre, qui était à l'époque dans l'Union européenne, avaient appelé à une relance de ce marché. Cet appel venait des banquiers centraux, et non des acteurs financiers.
L'Europe a un système bancaire très développé ; les bilans bancaires sont complets. Or les besoins de financement s'accroissent. Les banques risquent de ne plus pouvoir suivre l'augmentation naturelle de l'activité, de la croissance, et donc des besoins de financement. Par ailleurs, elles ne sont pas forcément les intermédiaires les plus adaptés pour financer la prise de risque : développement rapide d'entreprises moyennes ou intermédiaires, financement d'innovation. Dans ce cadre, nous observons l'arrivée de financements de marché par des acteurs qui ne sont pas européens.
Se pose donc la question des capacités de financement des projets de croissance portés par les entrepreneurs au sein de l'Union européenne et celle de la mobilisation de l'épargne, qui verra son rendement croître puisque ces projets sont porteurs de croissance, au lieu de servir à financer les rendements de futurs pensionnés.
La titrisation a bénéficié d'un cadre, développé au sein de l'Union européenne, transparent, sécurisé et clair, qu'il n'est pas question de remettre en question. En revanche, il s'agit de faciliter un désengorgement des bilans bancaires, tout en maintenant la qualité du regard bancaire sur la qualité des financements octroyés.
Dernier point, la simplification au niveau européen. La simplification est une oeuvre souvent complexe ! Vous avez mentionné la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) sur le reporting de durabilité, qui a été transposée en France. L'AMF a la responsabilité de la vérification de l'information extrafinancière et financière. Nous avons reçu les premiers rapports de durabilité sur la base de la directive ; le fait qu'elle soit en cours de réexamen au niveau européen ne nous enlève pas notre responsabilité. Nous continuerons notre travail dans ce contexte mouvant avec compréhension et pragmatisme.
Nous menons un dialogue avec les émetteurs, c'est-à-dire les entreprises cotées qui émettent des titres sur le marché auprès du grand public, en tenant compte de deux éléments. D'une part, il s'agit de la première année d'application ; d'autre part, certains des éléments requis pour ce rapport auront vocation à ne plus l'être dans deux ans, si l'on s'en tient à la proposition de la Commission européenne.
La finance durable demeure une priorité de l'AMF, qui ne baisse pas son ambition dans la lutte contre l'écoblanchiment. L'AMF est garante de la complétude, de la clarté et du caractère compréhensible de l'information auprès du public dans sa mission première de bonne protection des investisseurs et des épargnants.
Autre priorité : comprendre et accompagner l'innovation lorsqu'elle est utile. C'est dans l'ADN de l'AMF. Nous avons été moteurs dans l'élaboration, au niveau européen, du régime pilote permettant l'usage sécurisé de la blockchain pour des opérations financières ; il a pour le moment du mal à se déployer. Nous avons fait des propositions très récemment avec notre homologue italien pour essayer d'améliorer ce régime, qui place a priori l'Union européenne en bonne position.
En matière de cryptoactifs, nous sommes entrés, depuis le 30 décembre 2024, dans l'ère du règlement Mica (Market in Crypto-Assets). Il concerne l'agrément des plateformes de services sur cryptoactifs, les offres initiales de jetons, ainsi que l'offre de services sur cryptoactifs par les acteurs traditionnels de la finance. Ce bouleversement prend acte d'une réalité. L'Union européenne peut se féliciter d'avoir offert, dès à présent, un cadre de régulation aux activités sur ces actifs. Des études, notamment les nôtres, montrent que davantage de Français possèdent des cryptoactifs que des actions d'entreprises cotées en direct. En effet, 10 % à 12 % de nos concitoyens possèdent des cryptoactifs ; parmi les moins de 35 ans, cette proportion est de plus de la moitié. Le phénomène est amené à perdurer et à croître. Il est donc important que nous puissions assurer la confiance nécessaire aux citoyens qui souhaitent s'exposer à ces actifs.
La mise en oeuvre de ce règlement européen pose plusieurs questions importantes qui devront trouver rapidement des réponses. J'ai évoqué la supervision unique au niveau européen. Nous avons là un cas d'espèce majeur. Les plus grandes plateformes sont par essence totalement digitales et complètement internationales, en particulier paneuropéennes. Nous observons, depuis l'entrée en vigueur du règlement Mica, des divergences d'interprétation dans la délivrance des agréments. Pour l'instant, il y en a un peu moins d'une trentaine. Nous venons de faire le premier la semaine dernière ; d'autres viendront sans doute d'ici à l'été. Ces divergences posent question ; elles sont traitées au sein de l'Autorité européenne des marchés financiers (Esma), mais nous aurions préféré que cela soit fait en amont de la délivrance par telle ou telle autorité de certains agréments.
Il existe donc une marge de progression. Honnêtement, il nous paraît évident qu'une supervision européenne ferait pleinement sens, étant donné que ces activités nouvelles ne remettent pas en cause l'existant, et ce dans aucun des pays de l'Union européenne.
S'y ajoutent des défis majeurs en termes de protection des avoirs, comme l'ont illustré les affaires largement médiatisées de cyberattaques et de hacking de plateformes. La cyberattaque ayant visé la plateforme Bybit en février a ainsi abouti à la perte de près de 1,4 milliard de dollars d'actifs. Il convient de rappeler que cet acteur n'avait pas le droit de fournir ses services en France et que nous lui avons demandé, après l'avoir inscrit sur liste noire, de reverser ses actifs aux citoyens français qui avaient quand même été exposés : cette demande ayant été faite en janvier, nous sommes donc probablement le seul pays dans lequel aucun citoyen ne s'est fait dérober des cryptoactifs sur cette plateforme.
Nous sommes très exigeants dans ce domaine : la loi Pacte (loi relative à la croissance et la transformation des entreprises), à la différence malheureusement du régime Mica même si j'espère que la situation pourra évoluer assez rapidement, exigeait un audit cyber pour les acteurs du marché des cryptoactifs.
J'en viens aux nouvelles missions de l'AMF, à commencer par l'amélioration de la résilience opérationnelle et de la cybersécurité des acteurs financiers. Nous avons déjà été entendus par le Sénat au sujet du projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, qui vise notamment à transposer le règlement européen Dora (Digital Operational Resilience Act).
Cette amélioration de la résilience opérationnelle des acteurs financiers est fondamentale, et il est indispensable que nous puissions recruter des personnes compétentes sur le sujet. Le règlement Dora s'applique à toutes les entités se situant dans le champ de l'AMF, en particulier aux 700 sociétés de gestion qu'elle supervise directement, mais également aux prestataires de services d'investissements, en lien avec nos collègues de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Un champ d'action extrêmement vaste s'est donc ouvert depuis la mi-janvier 2025, la résilience opérationnelle recouvrant des aspects très concrets : par exemple, le blackout qu'ont connu l'Espagne et le Portugal amène à s'interroger sur la capacité des infrastructures de marché les plus critiques - chambres de compensation, dépositaires centraux, plateformes de négociation, marchés réglementés comme Euronext pour nous - à continuer à fonctionner dans ce type de situations.
Je rappelle, par ailleurs, que de nombreux conseillers en investissements financiers et d'assureurs ont été touchés par la cyberattaque qui a visé Harvest, fournisseur de données et de services : des attaques de ce type peuvent donc avoir d'importantes répercussions sur l'écosystème financier. Une fois encore, la résilience est un sujet majeur, et je pense que nous pouvons nous féliciter du rôle pionnier de l'Union européenne dans ce domaine.
Au niveau national, notre stratégie en matière de protection des investisseurs et de l'épargne consiste à comprendre et à agir. Nous faisons face à un paysage de l'épargne qui est en proie à de profonds bouleversements et qui a été marqué, ces derniers mois, par le succès significatif des fonds indiciels et des actions fractionnées. Ces dispositifs sont très souvent promus par des acteurs digitaux offrant une plateforme de produits à des épargnants, y compris à de nouveaux investisseurs qui n'étaient pas présents sur les marchés précédemment.
La digitalisation des plateformes de distribution d'épargne est un phénomène massif, bien qu'il reste relativement limité en volume par rapport à l'intermédiation financière traditionnelle via les réseaux bancaires ou assurantiels. L'analyse du comportement des nouveaux investisseurs, que nous avons pu étudier grâce à l'OCDE et à un financement de la Commission européenne, montre qu'ils garderont l'habitude d'aller sur ces plateformes, d'où l'importance de dialoguer avec ces acteurs, même s'ils viennent souvent d'autres pays de l'Union européenne.
Lesdits acteurs recourent massivement à des techniques digitales - y compris en utilisant l'intelligence artificielle (IA) - afin de promouvoir des produits d'épargne dans le cadre d'un parcours client qui se veut aussi simple que possible, en limitant au maximum le nombre de clics nécessaires pour obtenir un produit. Cette démarche s'inscrit à rebours du traditionnel contact avec un conseiller bancaire ou assurantiel, dans une logique de conseil sur des produits.
Les études approfondies que nous avons menées pour mieux comprendre les spécificités de ces nouveaux investisseurs nous ont aidés à adapter nos actions d'éducation financière. Nous avons ainsi mené, en fin d'année dernière, une campagne que nous renouvelons régulièrement sur les réseaux sociaux, à destination des jeunes investisseurs intitulée « Les mystères d'Investipolis », qui a brisé nos codes habituels de communication vis-à-vis des épargnants.
Nous avons ainsi adopté des codes graphiques et un langage adaptés à ces nouveaux investisseurs, tout en allant sur des réseaux sociaux sur lesquels nous n'avions pas l'habitude de nous positionner, dont TikTok. Nous avons rencontré un grand succès - à la différence de l'autorité québécoise, par exemple, qui s'était lancée avant nous - qui a justifié notre démarche consistant à s'adapter aux usages des nouveaux investisseurs, afin que le discours du régulateur puisse être entendu clairement. Cet enjeu nous tient particulièrement à coeur, car ces investisseurs placeront des sommes plus importantes à l'avenir.
Nous n'oublions pas, pour autant, les épargnants plus âgés, d'où un travail mené en commun avec l'ACPR sur les investisseurs plus vulnérables en raison de leur âge.
Outre cette action sans cesse renouvelée en matière d'éducation financière, notre action de supervision nous amène à travailler avec de nouveaux acteurs de distribution de l'épargne tels que Trade Republic ou eToro, qui, bien qu'étrangers, ont un accès massif aux épargnants français par le biais de leurs succursales.
Nous souhaitons également accompagner les initiatives prises au niveau européen dans la promotion de produits pertinents pour les épargnants. Dans ce cadre, nous observons plusieurs bouleversements en termes d'attrition des marchés ouverts au grand public - en particulier une attrition de la cote pour les entreprises - et de développement de marchés privés, avec par exemple des actions non cotées.
La France occupe d'ailleurs la deuxième place de domiciliation de fonds « ELTIF » (fonds européens d'investissement de long terme) à destination des épargnants après le Luxembourg, ce qui pose un défi dans la mesure où les marchés sont moins transparents et la formation des prix plus complexe que sur des marchés caractérisés par l'abondance de l'offre et de la demande.
Dans le même temps, cette situation reflète la réalité de notre économie, dans laquelle les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui ont de forts besoins de financement et qui apportent les plus belles sources de futurs revenus pour les épargnants, ne sont pas cotées et n'ont a priori pas le souhait de l'être dans un avenir proche.
S'il est envisageable de travailler à l'amélioration de l'attractivité de la cotation, il faut donc aussi prendre en compte l'importance du cadre des marchés privés dans le développement des entreprises. De plus, aucune raison ne justifie que les épargnants français et européens n'aient pas accès à cette source de rendement, qui a dégagé des performances relativement significatives par rapport à d'autres classes d'actifs, même si l'AMF a pu corriger certains chiffres un peu généreux.
J'en termine avec la lutte contre les arnaques financières que nous menons en lien avec la justice, l'ACPR - pour les arnaques aux faux livrets bancaires et assurantiels - et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il s'agit d'un partenariat : Mme Barbat-Layani l'a démontré à l'occasion d'une conférence de presse en fin d'année dernière avec la procureure de Paris, la directrice de la DGCCRF et la secrétaire générale de l'ACPR.
Les arnaques financières connaissent une augmentation considérable et inquiétante : 15 % des Français estiment ainsi avoir été victimes d'une escroquerie financière ou d'une tentative d'escroquerie financière, ce chiffre atteignant 35 % chez les moins de 35 ans. Il s'agit bien d'un phénomène de société significatif qui contribue à dégrader la confiance de nos concitoyens dans les offres de produits d'épargne et les marchés financiers, sans oublier le fait que ces arnaques peuvent avoir des conséquences tragiques, le montant moyen des pertes étant estimé à 29 500 euros.
Face à cette situation inadmissible, l'ensemble des autorités compétentes doivent se mobiliser et nous devons être en mesure d'agir dès lors que nous détectons une situation de ce type : c'est ce que nous faisons au travers de la publication et de la mise à jour régulière de nos listes noires d'acteurs non autorisés, ainsi qu'en détectant les sites internet qui doivent être fermés - leur nombre est en constante augmentation.
Il importe d'intervenir le plus en amont possible afin de traiter efficacement ce problème, ce qui me ramène à l'éducation financière. Nous avons un message clair : il n'est jamais urgent de perdre son argent, la première étape devant consister à se poser des questions et à ne pas se précipiter, quand bien même les escrocs pressent les personnes de prendre une décision en leur envoyant régulièrement des messages tels que : « Attention, vous allez rater l'opportunité du siècle ! »
Nous entendons marteler plusieurs messages, en rappelant qu'il faut savoir prendre le temps, qu'il n'existe pas de produit ou de rendement miracle, et que tout rendement correspond à un risque. Si ce dernier est correctement présenté, il est acceptable, et la décision relève alors de la liberté des épargnants, mais les arnaques constituent bien un sujet majeur, qui n'est d'ailleurs pas propre à la France.
C'est pour cette raison que nous avons engagé un travail avec les grandes plateformes et les réseaux sociaux, tant au niveau international qu'au niveau européen. L'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), qui réunit plus de 130 régulateurs, a envoyé la semaine dernière un message - relayé par l'Esma - pour rappeler aux grandes plateformes la nécessité d'intégrer les listes noires établies par les autorités des différents pays, afin de stopper la diffusion de ces fausses promesses.
En conclusion, c'est bien notre action coordonnée avec nos homologues européens et internationaux qui nous permettra de mener à bien notre tâche d'éducation financière en diffusant des messages simples, compréhensibles et non pas paternalistes, mais destinés à faire acquérir à nos concitoyens les réflexes permettant d'éviter des drames humains.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Afin de porter l'union de l'épargne et des investissements, vous avez mis en avant trois priorités, dont une véritable supervision européenne des marchés de capitaux. Quelle serait la place des autorités de supervision nationales si une telle perspective venait à se réaliser ?
Une autre priorité concerne la relance de la titrisation : vous avez souligné que le terme était connoté négativement alors qu'il ne devrait pas l'être, ce qui semble laisser entendre que les banques n'avaient aucune responsabilité dans la crise de 2008. Que pourrait entreprendre l'AMF pour dépassionner le débat s'agissant des risques ?
L'AMF prône par ailleurs, dans la lettre de sa présidente au Président de la République, une simplification du parcours d'investissement. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ?
Sur un autre point, comment se manifeste votre action face au développement des réseaux internationaux qui utilisent les délits d'initiés pour blanchir des capitaux ?
Enfin, vous avez mentionné votre recours à l'IA. Pouvez-vous détailler votre utilisation de cet outil, ainsi que les objectifs poursuivis ?
M. Claude Raynal, président. - Nous entendons parler de l'union des marchés des capitaux depuis plus d'une décennie, et maintenant de l'union de l'épargne et des investissements, sans voir d'avancées concrètes au-delà de nombreux rapports et colloques : pouvons-nous espérer que les choses bougent dans ce domaine ? Si oui, de quelle manière ?
Le même constat s'applique à la supervision européenne, les Français étant très allants sur le sujet, mais pas ses partenaires : des avancées peuvent-elles être envisagées ?
M. Michel Canévet. - Je vous remercie pour cet exposé. Je me demandais si le fait que vous évoquiez longuement l'éducation financière était un message adressé en creux à nos gouvernants.
S'agissant de l'IA, comment l'AMF pourrait-elle agir afin que des solutions souveraines puissent être retenues par les entreprises ?
Pour ce qui est de la cybersécurité, comment l'Autorité entend-elle s'organiser pour assurer la continuité du contact avec les acteurs concernés dans la mesure où les incidents devront être signalés dans les plus brefs délais ?
En matière de cryptoactifs, ensuite, la France a joué un rôle assez précurseur avec la loi Pacte en 2019, le règlement Mica n'ayant été adopté qu'en 2023. Vous avez indiqué qu'un prestataire de services en cryptoactifs avait enfin été agréé par l'AMF alors que de multiplies agréments ont été délivrés chez nos voisins, d'où une interrogation des acteurs du secteur quant au délai moyen de traitement. Quelles sont vos priorités d'action afin de promouvoir ces services innovants ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Si je salue votre sens de l'innovation et du progrès supposé, je ne vous cache pas que j'ai peiné à saisir le lien entre l'AMF et un réseau social tel que TikTok, qui se prête davantage à des singeries, d'autant que votre conclusion a été explicite sur le sujet.
Mme Ghislaine Senée. - L'algorithme de recommandation de TikTok touche de nombreuses personnes et participe justement à l'éducation financière.
Si vous avez consacré beaucoup de temps à la cybersécurité, qui est un risque prégnant, vous n'avez guère évoqué les risques climatiques. En 2022, la BCE avait promis d'intégrer ces aspects dans son cadre de garanties, mais elle a manifestement abandonné ce projet puisqu'elle a récemment intégré près de 13 milliards d'euros d'actifs d'entreprises utilisant des énergies fossiles. Alors que la BCE s'apprête à revoir sa stratégie, quelle est la position de l'AMF sur ce sujet ?
M. Thierry Cozic. - Face aux dérives à l'oeuvre sur les réseaux sociaux en matière de conseil financier, quelles sont les prochaines étapes de votre action pour mieux protéger les investisseurs, et notamment les plus jeunes ?
M. Didier Rambaud. - La directive européenne Women on Boards impose la parité dans les conseils d'administration des sociétés cotées : comment l'AMF entend-elle faire respecter ces mesures ?
S'agissant du greenwashing, de quelle manière l'AMF s'assure-t-elle de la réalité de l'impact environnemental des produits financiers « verts » ?
M. Hervé Maurey. - En matière de cryptoactifs, je souhaitais savoir si le dispositif d'enregistrement renforcé voté dans le cadre de la loi Ddadue de mars 2023 avait été opérant, ou si le système d'agrément avait été directement adopté dans les faits.
Vous avez aussi évoqué des divergences d'appréciation dans la délivrance des agréments : est-ce à dire que nous figurons parmi les pays les plus rigoureux dans ce domaine, notamment par rapport à l'audit cyber des dispositifs de gestion ?
Sur un autre sujet, vous avez rendu au mois de janvier une étude consacrée à la finance immobilière, assortie d'une série de préconisations : commencent-elles à être appliquées ?
Enfin, vous avez évoqué une insuffisance de vos moyens humains et matériels. Allez-vous être en difficulté pour accomplir vos missions, sachant qu'il sera difficile de vous accorder davantage de ressources dans le contexte actuel ?
M. Claude Raynal, président. - Un mouvement de dérégulation en matière bancaire et financière est à l'oeuvre outre-Atlantique, phénomène à mettre en perspective avec la volonté de l'AMF de rendre la place de Paris plus attractive : où le point d'équilibre se situe-t-il ? Faudrait-il prendre davantage de risques pour contrer une attractivité américaine accrue ?
M. Sébastien Raspiller. - S'agissant de l'union de l'épargne et des investissements et de la supervision à l'échelle européenne, les résultats sont en effet décevants compte tenu de l'ambition affichée il y a environ cinq ans. Il serait préférable d'apporter de la clarté à nos utilisateurs finaux - les épargnants, les investisseurs et les entités qui entrent dans le champ de notre régulation - afin qu'ils puissent respecter les textes et effectuer leurs choix en toute connaissance de cause.
Nous tâcherons de défendre, auprès de nos homologues, l'idée selon laquelle cette union représente une opportunité de simplification, d'autant que les modalités d'élaboration de la norme européenne, qui est la source essentielle de la législation applicable, sont elles-mêmes complexes : après le premier niveau, c'est-à-dire celui du compromis entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européenne, l'élaboration de standards techniques à un deuxième niveau s'avère chronophage, d'autant que les sources de divergence d'interprétation se multiplient au fur et à mesure de la rédaction : avec vingt-sept régulateurs nationaux, la complexité engendre la complexité.
S'y ajoutent des spécificités culturelles, les comportements d'un épargnant néerlandais vis-à-vis de la préparation de sa retraite étant bien différente de ceux d'un épargnant français. Aussi, imaginer qu'une autorité centrale déconnectée de ces réalités puisse agir efficacement paraît illusoire.
À l'inverse, la création d'un régime de résolution et de recouvrement des chambres de compensation - au nombre de quatorze situés dans treize pays de l'Union européenne - a abouti à créer vingt-sept autorités nationales de résolution, ce qui laisse penser qu'une plus grande efficience pourrait être trouvée.
De la même manière, la plateforme de négociation Euronext, également marché réglementé, qui a un caractère paneuropéen, associe sept pays : si un collège des régulateurs se réunit fréquemment, la coordination laisse à désirer et cet opérateur peut être l'objet de trois contrôles sur le même sujet dans la même année, ce qui le conduit à demander une réelle supervision européenne.
Concernant les cryptoactifs, la coexistence de vingt-sept autorités nationales interroge alors que certains acteurs ont la volonté d'être présents dans de nombreux pays. L'AMF, qui a déjà publié des propositions en réponse à des consultations lancées par la Commission européenne, entend continuer à contribuer à ce débat.
De manière générale, il faut tâcher de convaincre les partenaires d'avancer sur les sujets les plus simples, mais n'oublions pas qu'il existe des réticences au fonctionnement actuel de certaines autorités européennes.
Sur un autre point, je rappelle que l'union des marchés des capitaux était une initiative de Jean-Claude Juncker peu de temps après la grande crise financière : il craignait - à raison - que l'agenda de réglementation amoindrisse les capacités de financement bancaire. Plus dépendante de ce mode de financement que d'autres continents, l'Union européenne a été davantage touchée par ces évolutions.
Cela me permet de répondre au rapporteur général : je n'ai pas dit que les banques n'avaient aucune responsabilité dans la crise financière, mais que les titrisations européennes n'ont pas connu, à la différence des titrisations américaines, de défaillances majeures d'informations sous-jacentes, notamment sur les subprimes, dont la qualité n'était pas correctement évaluée.
S'y sont ajoutées des innovations financières délétères de découpage et de complexification non justifiées, ensuite transmises à l'échelle internationale et européenne via des produits vendus avec des informations incorrectes.
Postérieurement à cette initiative de Jean-Claude Juncker sur la base d'un appel de la BCE et de la Banque centrale d'Angleterre, Christine Lagarde a récemment évoqué, dans son discours intitulé « Une révolution kantienne pour l'union des marchés de capitaux », une supervision unique, ainsi que la titrisation ; de plus, les rapports d'Enrico Letta, de Mario Draghi et de Christian Noyer appellent à opérer ce mouvement vers la titrisation : il ne s'agit donc pas d'un appel d'acteurs financiers, même si certains le réclament.
Dans ce cadre, l'AMF est compétente non pas sur les sujets prudentiels mais sur les diligences qui doivent être menées. J'ai l'honneur de présider un groupe de travail qui associe soixante superviseurs bancaires, assurantiels et de marché : nous avons publié un rapport à la demande de la Commission européenne dans le cadre du règlement relatif à la titrisation et avons formulé des propositions consensuelles de simplification en matière de diligences, non pas en abaissant les exigences, mais en responsabilisant les acteurs. En effet, lorsque l'un d'entre eux accomplit une tâche, il n'est pas utile qu'un autre s'en charge également, car il en résulte une dilution des responsabilités.
Si ces évolutions ne seront pas décisives dans la mesure où les aspects prudentiels restent essentiels, la Commission européenne doit publier ses orientations en la matière à la mi-juin, ce qui donnera la tonalité de son ambition.
Concernant la relation avec les États-Unis, notre premier axe stratégique est d'accroître l'attractivité tout en maintenant notre niveau d'exigence. Les acteurs anglo-saxons qui ont choisi la place de Paris pour leurs activités post-Brexit n'ont pas été attirés par notre laxisme, mais au contraire parce que la qualité de nos superviseurs était reconnue par leurs superviseurs nationaux.
Enfin, la lutte contre les réseaux d'initiés internationaux appelle la coopération : plus de 95 % de nos enquêtes nécessitent un acte de coopération avec au moins un homologue étranger. Cela explique un certain allongement de la durée de nos enquêtes, durée qui demeure toutefois « compétitive » par rapport à ce que peut faire la justice.
Cela exige des moyens humains, évidemment. Le succès de nos enquêtes peut se traduire par des décisions de la Commission des sanctions de l'AMF, mais aussi, notamment pour les réseaux d'initiés internationaux, par des transferts à la justice, en particulier au parquet national financier.
La justice dispose de moyens d'investigation bien supérieurs à ceux d'une autorité administrative, tels que la mise sur écoute ou la garde à vue. Or il faut en passer par là dans nombre de dossiers. C'est pour cela que nous appelons de nos voeux certaines évolutions législatives permettant une amélioration de l'efficacité de notre collaboration avec le parquet national financier, notamment la possibilité que nos enquêteurs soient saisis par commission rogatoire : pour faire avancer des enquêtes au niveau judiciaire sur certains sujets, il faut disposer d'une forte compétence technique - comme celle de nos enquêteurs.
Contre les arnaques et les influenceurs, nous avons aussi besoin d'être autorisés au niveau législatif à faire du web scraping et à utiliser des identités d'emprunt. Il faut parfois donner une identité et un numéro de compte bancaire : nos collaborateurs ne vont pas donner les leurs. Cela nous permettrait de démontrer qu'il y a un schéma frauduleux. Le législateur a autorisé des expérimentations pour le fisc ; nous pourrions obtenir les mêmes pouvoirs pour les mêmes raisons. Monsieur le sénateur Maurey, merci d'avoir noté que cela nécessitait des moyens humains.
Le rapport de la Cour des comptes nous a permis, à la présidente et à moi-même, d'atteindre une meilleure efficience de l'utilisation de nos moyens. Il a aussi souligné une dichotomie entre l'accroissement significatif des missions confiées à l'AMF et le moindre accroissement de ses moyens. L'Esma a conduit une étude comparative entre les vingt-sept autorités nationales de marché : sur la période 2016-2024, l'AMF est, juste après le régulateur roumain, l'autorité qui a vu ses moyens le moins croître.
L'AMF a eu au minimum la même extension des champs de compétences, auxquels il faut ajouter la protection des épargnants, entre autres. Nous souhaitons avoir avec les autorités budgétaires un dialogue construit, pérenne, exigeant - nous comprenons l'exigence d'une bonne utilisation des deniers publics.
L'AMF est financée exclusivement par les contributions versées en vertu de dispositions de lois de finances par les assujettis sur les entités régulées, ou bien pour des travaux que nous menons au service d'entreprises cotées. Nous avons un plafond de recettes et un plafond d'effectifs.
Notre première priorité est d'avoir les moyens humains pour mener à bien nos missions. La première recommandation du rapport de la Cour des comptes est d'établir une trajectoire pluriannuelle. C'est ce que nous avons documenté l'année dernière, dont nous avons discuté longuement avec les services du ministère de l'économie et des finances, et qui a été intégré dans le projet de loi de finances par le Gouvernement. Nous l'en remercions et remercions le Parlement d'avoir voté une augmentation pour 2025 du plafond de recettes et du plafond d'effectifs.
Pour nous, ce qui compte est d'adopter une logique pluriannuelle qui donne de la visibilité à nos collaborateurs pour la mise en oeuvre des règlements Mica, Dora et Finance durable. Nous poursuivons le dialogue cette année en prévision du projet de loi de finances pour 2026 avec Bercy. Nous y sommes prêts et faisons notre part.
Le budget informatique reste identique en euros courants, malgré les exigences de sécurité accrues et l'inflation. Nous recevons près de 200 milliards de données par an du fait du reporting et nous devons maintenir la qualité d'innovation et de technologie pour nous.
L'IA est très développée chez les acteurs que nous régulons. Nous devons pouvoir suivre ; c'est une source potentielle d'amélioration de notre efficience. Nous avons pour objectif de publier notre feuille de route en matière d'IA d'ici à la fin de l'année. Nos collaborateurs sont très technophiles, en tout cas très capables. Nous devons encadrer les cas d'usage pour améliorer le service et être en connexion avec les acteurs régulés pour les encadrer en amont. Nous devons avoir une capacité d'investissement maintenue et être à l'écoute. Nous avons obtenu de la Commission européenne le financement d'une mission de conseil qui nous aide dans ce domaine.
Sur la protection des investisseurs, nous avons utilisé pour la première fois TikTok pour diffuser une campagne de communication et d'éducation financière auprès des jeunes investisseurs. Pourquoi ? Parce que c'est là qu'ils se trouvent ; ils ne regardent pas en replay le journal télévisé !
Par ailleurs, nous avons noué un dialogue avec TikTok concernant les listes noires et les influenceurs. Les grandes plateformes internet sont hétérogènes, mais il faut s'adresser à ces acteurs importants, qui sont désormais un vecteur de communication incontournable. Le paysage de l'épargne est en plein bouleversement par rapport à une époque où cela passait majoritairement par les conseillers bancaires ou assurantiels. Les gens écoutent leurs amis, les influenceurs, regardent les réseaux sociaux...
Nous allons publier prochainement une étude sur le comportement des investisseurs en actions des entreprises du CAC40 - ce ne sont pas les mêmes que ceux qui achètent des bitcoins. Ce que l'on observe, c'est que le nombre de messages sur X - pas le contenu - a un impact.
Concernant les cryptoactifs, nous avons eu trois enregistrements renforcés, mais en réalité sept au total ; il y en a donc sept agréés ou enregistrés. Cela explique une partie non pas du retard de l'AMF par rapport à Mica, mais d'une différence avec des autorités qui ont pu délivrer des agréments très rapidement.
Nous avons eu encore beaucoup de demandes dans le régime Pacte, qui a notamment été renforcé grâce à vous, monsieur le sénateur Maurey, au deuxième semestre et en toute fin d'année 2024. Cela a accaparé les équipes de l'AMF et nous avons eu peu de demandes d'agréments Mica à cette période, contrairement à d'autres pays préparés au cours du deuxième semestre 2024 à la délivrance de tels agréments au début de l'année 2025. La France a par ailleurs fait le choix d'avoir la période transitoire autorisée la plus longue, c'est-à-dire dix-huit mois, pour favoriser les acteurs français. C'est une pression moindre que dans d'autres pays où la période transitoire a pu être limitée à six mois.
Nous respectons toutes les exigences de Mica, mais ne faisons pas de surtransposition. Nous invitons les acteurs à mener un audit cyber, ce qui a donné de bons résultats et démontre un certain niveau de maturité et de compréhension pour les acteurs qui souhaitent être agréés chez nous. Cependant, nous ne pouvons pas l'imposer, faute de base juridique. Nous ne freinons pas les acteurs, bien au contraire. Nous aurons sans doute des retours prochainement, d'ici à la pause estivale et d'ici à la fin de l'année. Il faut se préparer dès à présent. Outre le stock de la loi Pacte, nous avons des demandes de nouveaux acteurs.
Nous avons un spectre extrêmement large de nouvelles missions qui ont un impact sur notre organisation, sur nos moyens humains et législatifs. En tant qu'autorité publique indépendante, notre devoir est d'adopter une organisation aussi efficiente que possible par rapport aux moyens dont nous disposons. C'est ma responsabilité au quotidien.
Nous mettons l'accent sur le recrutement de compétences ; on ne peut pas tout faire par redéploiement. Nous avons par exemple besoin de compétences en cyber ; or c'est un marché extrêmement concurrentiel pour lequel nous ne bénéficions pas de filières publiques de recrutement. Nous devons donc entrer en concurrence avec le secteur privé, avec des niveaux de salaire qui sont ceux du public et des contraintes de déontologie que nous respectons scrupuleusement. Il faut insister sur l'accompagnement des collaborateurs et l'intérêt des missions.
L'intérêt général attire toujours des gens de qualité ; mais il faut les accompagner par des augmentations limitées - elles ne dépassent pas l'inflation - et les outiller correctement. Je suis le sponsor du développement de l'IA : c'est très attendu parce que nos collaborateurs l'utilisent déjà dans leur activité privée ou familiale. Nous avons donc des défis en matière de ressources humaines. Le sixième axe stratégique de l'AMF est la capacité d'attirer des talents de très bon niveau, motivés par l'intérêt général. Bien que nous ne puissions pas offrir les mêmes salaires que le secteur privé, ces collaborateurs trouvent un sens à leur action dans la régulation.
J'ai peu parlé de la lutte contre l'écoblanchiment, mais c'est une ambition forte. Nous avons entrepris des actions pour modifier la directive CSRD et le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation). Nous avions averti très tôt au niveau européen que la réglementation allait conduire à des abus. Nous avons publié des propositions pour modifier le SFDR.
Je comprends que cela relève de la Commission européenne, il faut attendre la révision de la directive CSRD pour avoir quelque chose de clair et de cohérent sur le SFDR. Cela demeure une priorité.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie pour ce tour d'horizon complet.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 1456 (A.N., XVIIe lég.) d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2024, sous réserve de sa transmission, et désigne M. Vincent Delahaye rapporteur pour avis.
La réunion est close à 12 h 30.