Mercredi 11 juin 2025
- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France
M. Olivier Rietmann, président. - Mes chers collègues, après une interruption de près d'un mois, nous reprenons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition en visioconférence de M. Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Monsieur le président, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête, outre bien entendu votre mandat de président du conseil régional.
M. Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France. - Je n'en ai aucun, Monsieur le président.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Xavier Bertrand prête serment.
M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, poursuit trois objectifs principaux : tout d'abord, établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; ensuite, déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités.
Nous avons souhaité vous entendre aujourd'hui car la question des aides publiques occupe une place centrale dans notre réflexion, qu'elles soient versées par l'État, mais aussi par les collectivités territoriales.
Après avoir entendu le 22 avril dernier Mme Carole Delga, présidente du conseil régional d'Occitanie, nous avons souhaité, en vous auditionnant, avoir un regard complémentaire sur le rôle des régions en matière d'aides aux entreprises.
Je commencerai par vous soumettre quelques questions pour guider votre propos liminaire.
Quelles ont été les principales évolutions en matière d'aides des collectivités territoriales et des fonds européens aux entreprises depuis 2020 ?
Quelles sont les différentes aides que votre région a versé aux entreprises en 2023 ? Outre la présentation des dispositifs, vous voudrez bien nous préciser le cadre juridique applicable, les montants en jeu et les logiques économiques propres à chaque dispositif.
Quelles sont parmi ces aides celles qui sont issues de fonds européens ?
Faut-il selon vous faire évoluer le cadre juridique actuel de répartition des compétences entre collectivités territoriales issu de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ?
Nous vous proposons d'organiser cette audition en trois temps. Vous apporterez des réponses à ces différentes questions dans un propos liminaire de vingt minutes. Puis M. Fabien Gay, rapporteur, vous posera quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger s'ils le souhaitent.
M. Xavier Bertrand. - Les compétences obligatoires des régions se répartissent sur trois niveaux : les lycées, les transports, et l'économie. Pour les lycées, il s'agit de la propriété des bâtiments, de leur entretien, du personnel de restauration et de services. Concernant les transports, cela inclut les transports scolaires, les transports intérieurs de proximité, ainsi que, concrètement, la capacité de signer un chèque à la SNCF. Mais la première compétence du conseil régional, c'est l'économie : l'emploi, la formation et le développement économique.
À titre politique, je n'ai pas délégué cette compétence. Il n'y a pas de vice-président à l'économie ni de vice-président à l'industrie dans la région. J'ai choisi de conserver cette responsabilité, car les Hauts-de-France ont été parmi les régions les plus durement frappées par la désindustrialisation et la perte d'emplois. J'ai fait de l'action économique, du recul du chômage et du développement de l'emploi ma priorité absolue. J'assume donc personnellement cette compétence.
Nous travaillons avec une équipe resserrée, ce qui renforce notre réactivité. Cette « task force » économique se compose de Laura Marzouk, directrice générale adjointe chargée des affaires économiques, du directeur général de Nord France Innovation Développement (NFID), qui est le bras armé du conseil régional pour l'investissement, de Philippe Beauchamps, vice-président chargé des entreprises et de la formation, qui a auparavant présidé la commission des affaires économiques, de Louis Saphores, directeur de cabinet adjoint, de mon directeur de cabinet et de moi-même. Cette organisation nous procure une grande fluidité dans les échanges d'informations et les prises de décision, qu'il s'agisse de la gestion des entreprises en difficulté ou du développement de l'attractivité territoriale pour faire venir des entreprises.
Monsieur le président, vous avez évoqué la loi NOTRe. Pour une fois, une loi a permis de clarifier les choses : aujourd'hui, le chef de file en matière économique, c'est le conseil régional. Et pour répondre d'emblée à une question que vous allez certainement me poser : non, je ne souhaite pas que l'on rebatte les cartes entre les collectivités locales.
Les communes disposent de la clause de compétence générale, mais, dans les faits, elles ont la plupart du temps délégué la compétence économique aux intercommunalités - communautés de communes, communautés d'agglomération, communautés urbaines ou métropoles. Les départements, eux, ne détiennent plus cette compétence, ce qui ne nous empêche pas de signer des conventions, notamment dans les domaines du tourisme ou de l'agriculture, avec ceux d'entre eux qui souhaitent pouvoir agir. En réalité, les seules collectivités avec lesquelles nous partageons véritablement cette action sont les intercommunalités, en particulier en ce qui concerne le foncier, qui constitue bien souvent l'élément clé de leur intervention. Mais sur le fond, la région reste le chef de file, et cette clarification est salutaire !
Je sais qu'il existe des débats, y compris au sein de la Haute Assemblée, sur l'opportunité de restituer la compétence économique aux départements. Ce n'est pas que je ne sois pas partageur : je l'ai dit, nous avons signé des conventions agricoles avec des départements qui en ont fait la demande. Mais, selon moi, cette redistribution ne renforcerait pas l'efficacité et risquerait au contraire de la diluer, en nuisant à la lisibilité de l'action publique.
Je ne souhaite pas non plus ouvrir ici le débat sur les finances des collectivités locales, notamment celles des départements, même si - je n'en doute pas - des questions viendront sur ce sujet. Je ne cherche pas à être provocateur, mais peut-être que mes propos le sont, ce qui suscitera le débat.
La région est aujourd'hui seule compétente pour définir les règles d'attribution des aides aux entreprises et décider de leur octroi dans le périmètre régional. Les aides à l'immobilier et au foncier relèvent quant à elles du bloc communal - j'inclus ici les intercommunalités. L'objectif est clair : encourager la création d'emplois, la création de nouvelles entreprises et l'extension d'entreprises existantes.
Nous intervenons également de manière déterminante en soutien aux entreprises en difficulté. Pour cela, nous avons mis en place des dispositifs spécifiques tels que le Fonds 1er secours et Hauts-de-France Prévention. Ces outils ne visent pas tant le retournement que le traitement des difficultés immédiates que peuvent rencontrer les entreprises, notamment en lien avec les tribunaux de commerce.
Si les membres de la commission d'enquête le souhaitent, je pourrai vous exposer plus en détail cette expérience du Fonds 1er secours, qui est unique en France. L'initiative en revient à l'ancien préempteur du tribunal de commerce de Lille, également préempteur de la conférence des tribunaux de commerce de la région Hauts-de-France. Ce dispositif est efficace : il a permis de sauver des milliers d'emplois. C'est par ce biais que nous intervenons, notamment, auprès des entreprises en difficulté.
Nous disposons par ailleurs de nouveaux instruments financiers que nous sommes en train de consolider afin de pouvoir avoir une force de frappe, ou du moins une boîte à outils pour aider les entreprises.
Je terminerai cette présentation générale en reprenant plus précisément le questionnaire que vous m'avez envoyé.
Dans la région Hauts-de-France, quelles sont les aides que nous sommes aujourd'hui en mesure de proposer ? Il s'agit d'aides directes, bien entendu. Nous négocions nous-mêmes le montant des aides à l'implantation. Nous accompagnons les petites entreprises, les entreprises de taille moyenne, mais également les grands groupes. Cette aide s'accompagne toujours de contreparties, notamment en matière de garanties sur l'emploi à venir.
Je vous le dis d'emblée, monsieur le président, et je le redirai : la meilleure garantie du maintien de l'emploi et de l'activité réside dans le niveau des investissements consentis par les entreprises. Lorsqu'une entreprise met 500 millions ou 1 milliard d'euros sur la table, nous pouvons assortir notre aide de toutes les contreparties que nous voulons, nous savons que son projet s'inscrit dans la durée. En revanche, lorsqu'une entreprise n'investit plus, ou que le porteur de projet injecte peu de fonds propres, nous devons nous interroger sur la viabilité du projet. Le niveau des investissements consentis constitue la meilleure assurance-vie pour l'emploi et pour l'activité d'un territoire.
À l'échelle européenne, nous mobilisons bien évidemment les différents fonds, dont le Fonds européen de développement régional (Feder), mais aussi des fonds pour la recherche et le développement. Un exemple très concret dans notre région est celui des batteries électriques pour les véhicules. Dans ce domaine, le respect des règles européennes s'impose à tous, en particulier les règles relatives aux aides d'État. Pour pouvoir bénéficier du cadre financier d'investissement dédié aux gigafactories de batteries électriques, le Gouvernement a dû obtenir de la Commission européenne une dérogation au régime classique des aides d'État, afin de pouvoir mettre en oeuvre un système ad hoc. Nous sommes donc très clairement tributaires des régimes d'aide notifiés ou modifiés par l'État.
Dernier point sur lequel je souhaite insister, la région assume également un rôle de coordination des aides accordées aux entreprises sur son territoire, notamment dans le cadre du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation. Comme je le rappelais précédemment, des conventions peuvent être conclues avec les départements, notamment dans les domaines de l'agriculture et du tourisme, mais aussi avec les intercommunalités. Ainsi, au plus fort de la crise covid, je n'ai pas hésité à conventionner avec toutes les intercommunalités qui le souhaitaient afin de pouvoir intervenir davantage. Je précise que cette coopération n'a jamais été l'occasion pour la région de se désengager financièrement ; au contraire, elle nous a permis de faire plus et de formaliser un grand nombre de conventions.
Telle est donc l'étendue des compétences régionales en matière de soutien aux entreprises. En résumé, qu'est-ce que je n'ai pas le droit de faire ? Tout simplement ce que la loi m'interdit de faire, c'est-à-dire très peu de choses. Qu'est-ce que je ne peux pas faire ? Ce que mon budget ne me permet pas de faire, car il n'est pas extensible à l'infini.
Depuis 2020 - vous m'interrogiez à ce sujet, monsieur le président -, les dispositions législatives et réglementaires ont peu évolué. La crise covid a constitué un moment exceptionnel. J'y reviendrai si vous le souhaitez, mais il est évident que c'est l'État, avec l'instauration du « quoi qu'il en coûte », qui a donné l'impulsion décisive.
Par la suite, avec la hausse des coûts de l'énergie, nous avons dû soutenir l'économie régionale dans un contexte que l'on peut qualifier d'interventionniste, contexte qui a été largement favorisé à la fois par l'État et par l'Union européenne.
Un mot encore concernant les fonds européens. Contrairement à la programmation 2014-2020, la programmation actuelle 2021-2027 a, par principe, exclu les grandes entreprises du bénéfice des aides européennes. Les seules exceptions concernent les collectivités territoriales et leurs opérateurs, qu'ils soient publics ou privés. En dehors de ce périmètre, il n'est plus possible d'accorder d'aides européennes aux très grandes entreprises.
Faut-il, selon moi, faire évoluer le cadre juridique applicable aux aides aux entreprises ? Je vous l'ai déjà indiqué, Monsieur le président : ce n'est pas une évolution que je souhaite. Je suis bien conscient que ma position ne fera pas consensus auprès de toutes les collectivités locales, mais je considère que le cadre actuel offre une vraie lisibilité. Le leader en matière d'aides économiques, c'est le conseil régional. Et, en l'état, je juge préférable de conserver cette organisation.
Si je puis formuler quelques propositions d'évolution, je souhaiterais avant tout que l'État laisse aux régions la pleine responsabilité de leurs compétences économiques. Cela impliquerait notamment la fin des financements croisés et de certaines complexités administratives, comme celles engendrées par le programme France 2030.
Certes, France 2030, sous l'autorité de M. Bruno Bonnell, veille à respecter la place, les compétences et les projets des collectivités locales - c'est en tout cas vrai pour la région des Hauts-de-France. Mais lors du plan France Relance, mis en place après la crise covid, le sentiment dominant a été que l'État cherchait à agir au maximum de son côté, sans réellement associer les régions, alors qu'il aurait été possible de faire autrement.
Permettez-moi également de soulever un point, même s'il ne relève pas strictement du périmètre de votre commission d'enquête. Lorsque je fais venir des entreprises et que je leur accorde des aides, cela a un effet direct sur l'emploi. Le chômage dans les Hauts-de-France atteint aujourd'hui son niveau le plus bas depuis quarante ans - ce n'est pas moi qui le dis, mais France Travail. Ce redressement économique profite à l'État, la hausse de l'activité générant un accroissement des recettes de TVA. Or, je ne perçois qu'une petite fraction de cette taxe. Pourtant, il serait légitime que les régions, qui agissent activement pour le développement économique, bénéficient d'un retour fiscal à la hauteur de leur engagement. Le rapport Woerth, dont je salue la qualité, proposait justement qu'une fraction de l'impôt sur les sociétés soit attribuée aux régions.
Monsieur le président, vous m'avez demandé un état des aides versées aux entreprises par la région en 2023. Je vous l'ai indiqué, il s'agit d'aides directes, sous forme de subventions ou d'avances remboursables, et de financements indirects via des partenaires. Parmi ces derniers, je citerai notamment Hauts-de-France Financement, un outil essentiel qui permet de mutualiser les crédits disponibles au sein du conseil régional et de ses partenaires afin d'intervenir efficacement. Nous agissons dans le cadre de fonds mixtes, associant capitaux publics et privés.
J'assume sans détour ne pas être un fanatique des schémas de spécialisation imposés aux conseils régionaux, pas davantage que des critères trop rigides. Je suis pour ainsi dire « mort de faim » en matière de création d'emplois et d'attractivité pour ma région. Je refuse donc de passer à côté d'un projet prometteur simplement parce qu'il ne rentrerait pas dans les cases d'un schéma établi ou ne cocherait pas tous les critères prévus.
Si j'avais établi un schéma très strict, je n'aurais jamais eu la réactivité nécessaire pour saisir l'opportunité des gigafactories de batteries électriques. Ces projets-là ne figuraient dans aucun schéma préétabli. Nous avons su saisir notre chance, si vous me permettez l'expression.
Aujourd'hui, nous visons également le développement des data centers et des supercalculateurs, et nous voulons faire des Hauts-de-France la vallée des data centers. Là encore, aucun document prospectif ne recommandait de nous positionner sur ce secteur. C'est pourquoi je reste très réticent à toute logique de spécialisation rigide ou à des critères normatifs susceptibles de nous entraver.
Pour en revenir au questionnaire que vous m'avez transmis, je préciserai que l'aide au développement des grandes entreprises constitue l'un des leviers de notre action publique. Cette aide repose sur des critères d'intervention définis : un programme d'investissement supérieur à 2 millions d'euros et la création d'au moins 100 équivalents temps plein (ETP). Nous évaluons les besoins financiers spécifiques de l'entreprise ainsi que la mobilisation des autres ressources de financement envisageables.
Nous prenons également en compte - j'insiste sur ce point - l'implication financière du porteur de projet. En effet, un porteur de projet qui vient avec trois sous et quatre bouts de ficelles, si vous me permettez l'expression, suscitera forcément la méfiance. En revanche, je considérerai comme sérieux celui qui met de l'argent dans son projet ou qui a réussi à réunir des financements. Nous examinons aussi les aides publiques accordées par le passé à l'entreprise, l'intérêt régional du projet de développement et le caractère financier du projet à proprement parler.
En outre, la région met sur la table des aides directes à l'investissement.
Dans les Hauts-de-France, nous avons davantage de foncier que dans d'autres régions, du fait d'une stratégie très offensive, notamment sur le zéro artificialisation nette (ZAN).
Nous avons également un véritable savoir-faire pour aider les entreprises à trouver leur personnel et à assurer directement le financement d'outils de formation pour eux.
Nous avons mis en place un contrat d'implantation, dans le cadre duquel la région, l'État et la collectivité locale d'implantation s'engagent par écrit sur des délais maximaux, y compris dans le dossier des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Le projet de loi relatif à l'industrie verte qui avait été ratifié et voté par le Parlement s'en inspirait mais n'est pas allé jusqu'au bout de la logique de ce contrat d'implantation, qui est un dispositif assez déterminant. Aujourd'hui pour les data centers, notamment, notre accès à l'énergie est facilité par rapport à d'autres régions.
Tels sont les outils qui nous ont permis de montrer que notre région est performante - ce n'est pas moi qui le dis, mais EY et Business France. Ce n'est ni la première ni la deuxième de France, que ce soit en taille, en produit intérieur brut (PIB) ou en démographie, mais elle surperforme à chaque fois grâce à l'ensemble de ces outils.
Par ailleurs, en 2023, la région a aidé 1 020 entreprises pour un montant de 123 millions d'euros et 19 295 emplois. En 2024, ce sont 1 041 entreprises qui ont été aidées pour un montant de 46 millions d'euros et la perspective de 27 932 emplois. Comme vous pouvez le constater, il n'y a pas de corrélation parfaite entre le nombre d'entreprises, les aides mobilisées et le nombre d'emplois. Tout dépend clairement des opportunités.
M. Olivier Rietmann, président. - J'avais peur que nous ne parlions pas de chiffres, mais vous avez fini par nous répondre très précisément, et c'est l'essentiel.
Pour approfondir, je souhaiterais vous poser une question, sans malice ni provocation, sur la redistribution des rôles. Il ne s'agit en aucun cas, dans mon esprit, de rendre une compétence économique aux départements. Mais à l'issue des auditions que nous avons menées, un constat s'impose : si l'on regroupe l'ensemble des aides versées aux entreprises à l'échelle nationale, qu'il s'agisse d'aides directes, d'exonérations de cotisations, d'accompagnements, d'avances remboursables ou autres, on se situe dans une fourchette de 150 milliards à 200 milliards d'euros. En parallèle, si l'on additionne toutes les aides versées par les collectivités territoriales, tous niveaux confondus, on arrive à une enveloppe de l'ordre de 6 à 7 milliards d'euros. Parmi elles, 1 milliard à 2 milliards d'euros proviennent des régions. Or ces aides sont distribuées au prix d'un investissement important dans des dispositifs d'accompagnement et des services dédiés, qui représentent un coût non négligeable.
Notre réflexion va donc au-delà de la simple répartition des compétences. Il s'agit, dans un souci d'efficience et de bonne utilisation des fonds publics, d'interroger la possibilité d'une recentralisation - le terme est sans doute mal choisi - de l'accompagnement des entreprises par le biais d'un guichet unique qui relèverait plutôt de la préfecture départementale, car celle-ci dispose d'une connaissance fine du territoire. Ce guichet unique départemental, géré par l'État, serait l'interlocuteur exclusif des entreprises pour l'ensemble des aides.
Cela aurait pour avantage - n'y voyez aucun jugement de valeur sur ce que font les régions - que les dispositifs d'aide seraient ainsi plus efficaces et plus économes, car on limiterait la multiplication des intervenants.
Qu'en pensez-vous ?
M. Xavier Bertrand. - Monsieur le sénateur, vous représentez les collectivités locales et le Sénat est leur garant. Derrière la recentralisation, ce que vous proposez en réalité, c'est la suppression pure et simple des conseils régionaux. Recentraliser, qui plus est à l'échelle départementale, pose une vraie question d'aménagement du territoire. Or, dans une région comme la nôtre, comment garantir une cohérence d'ensemble si chacun raisonne depuis sa vision départementale ?
Prenons l'exemple de la vallée de la batterie qui s'est d'abord implantée dans le Pas-de-Calais, puis s'est étendue au bassin minier, à Douai, à Dunkerque et au versant nord. Désormais, je souhaite qu'elle descende vers le département de la Somme.
Comment une préfecture de département, même si elle est à la main de l'État, pourrait-elle avoir une vision d'ensemble à l'échelle régionale ? C'est tout simplement impossible. Permettez-moi de rappeler que si j'ai repris la main sur l'objectif Zéro artificialisation nette (ZAN), avec une enveloppe régionale, c'est précisément pour préserver l'équilibre de l'aménagement du territoire. Je ne peux pas me contenter d'un pôle dynamique, tel que Lille ou Dunkerque, entouré d'un désert économique. Cela n'aurait aucun sens.
Par ailleurs, dans les Hauts-de-France, nous entretenons un partenariat de qualité avec les préfets de région. À mes yeux, la bonne échelle, c'est bien la région. Longtemps, les préfets ont été perçus comme les gardiens de l'ordre régalien. Aujourd'hui, le meilleur connaisseur, dans les services de l'État, de la réalité économique et des besoins du tissu productif, c'est incontestablement le préfet de région.
L'idée selon laquelle l'État ferait nécessairement mieux que les collectivités locales me semble discutable. Certes, dans le cadre du plan France Relance, l'État a distribué de l'argent, mais il aurait fallu s'interroger sur la cohérence et l'efficience des aides qui ont été données. Je suis convaincu, pour ma part, qu'une action conjointe de l'État et des régions serait plus efficace. J'irai même plus loin : dans l'instruction des dossiers comme dans leur financement, on aurait tout intérêt à ce que l'État joue le rôle de garant et que les régions disposent de davantage de compétences.
Il ne s'agit pas de rechercher absolument des compétences supplémentaires, mais il faut que les régions aient la plénitude de celles qui leur sont dévolues par la loi. En ce sens, je suis en opposition totale avec l'idée d'une recentralisation au profit de l'État, surtout à l'échelon départemental, qui n'est pas, à mon sens, le bon niveau d'action.
Pour autant - et je tiens à le dire - je suis probablement le seul président de région à plaider pour une forme de départementalisation des régions. En effet, les régions sont grandes et il est essentiel de tenir compte de l'ancrage départemental, sans pour autant sacrifier la vision stratégique à l'échelle régionale.
Il faut aussi du volontarisme. Les premières gigafactories, je suis allé les chercher, en me battant. À l'époque, le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, avait déclaré que la première gigafactory serait installée dans le Grand Est. Pourtant, c'est bien chez nous qu'elle s'est implantée. Nous sortions alors d'une longue période de difficultés économiques. Personne, ou presque, n'est venu nous tendre la main au niveau de l'État. Aujourd'hui, beaucoup se félicitent de la vallée de la batterie électrique, ou veulent s'approprier l'idée d'une vallée des data centers...
C'est aussi pour cela que je plaide avec force pour que la libre administration des collectivités locales puisse continuer à produire ses effets. C'est cette autonomie qui nous permet de faire la différence.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous remercie pour cette réponse, très claire, qui ne laisse aucun doute sur la direction que vous souhaitez prendre.
Au fil des auditions, notamment celles des représentants de l'administration centrale, nous avons constaté que s'il existait un contrôle de fait sur les subventions allouées, l'évaluation des dispositifs mis en place laissait à désirer.
Qu'en est-il dans votre région ? Avez-vous mis en place des critères d'évaluation des aides et subventions attribuées aux entreprises ? Et, le cas échéant, quel enseignement en tirez-vous ?
M. Xavier Bertrand. - Lorsque l'on observe la capacité de l'État à s'autoévaluer, que ce soit au niveau central ou déconcentré, il me semble que nous savons faire mieux.
Prenez le dossier ArcelorMittal dans notre région : sa gestion par l'administration centrale est édifiante. Heureusement que nous ne les avons pas attendus ! Il a fallu patienter jusqu'à aujourd'hui pour qu'une réunion en visioconférence soit enfin organisée, sur l'initiative de la ministre du travail. Cela fait pourtant des semaines que j'indique qu'un tel dossier relève du Premier ministre. On parle de 600 emplois supprimés. Il en faudrait combien ? Mille ? Deux mille ? À quel seuil estime-t-on qu'il est temps d'agir ? Et c'est à l'État que l'on confierait cette responsabilité ? Travailler ensemble, oui. Transférer à l'État une compétence exclusive en matière économique, au niveau départemental, certainement pas.
Dans la région des Hauts-de-France, l'évaluation des politiques publiques est assurée par un service dédié qui dépend de la direction Qualité et performance. Ce service compte une dizaine d'agents, qui disposent d'une indépendance fonctionnelle vis-à-vis des services opérationnels. Concrètement, ils ne relèvent pas des services d'action économique : les fonctions sont clairement distinctes.
Ces agents contrôlent si les objectifs fixés dans les conventions et les chartes ont été atteints. Mais l'essentiel, c'est que l'octroi des aides soit conditionné à la réalisation effective du projet. Nous examinons donc deux choses : les investissements ont-ils été réalisés ? Les emplois annoncés ont-ils été créés ? Si ce n'est pas le cas, l'aide n'est versée qu'à proportion des engagements tenus. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de valider des dossiers dans lesquels les investissements n'étaient réalisés qu'à moitié et les recrutements effectués au tiers : dans ce cas, le tiers seulement de la subvention est versé.
Nous avons également mis en oeuvre des clauses de remboursement inscrites dans les conventions. Certaines entreprises ont cessé leur activité avant même l'échéance contractuelle : nous avons alors menacé d'engager des procédures, y compris judiciaires.
Je veux une région pro-business, mais je veux aussi que les engagements soient respectés. Les aides que nous attribuons ne sont pas des cadeaux ; c'est de l'argent public. Et à ce titre, j'y suis particulièrement attentif.
Nous pourrons vous transmettre par écrit les éléments qui figurent dans certains dossiers, antérieurs à mon arrivée à la tête de la région, mais à propos desquels je me suis battu pour obtenir le remboursement des aides attribuées. C'est le cas par exemple de l'entreprise Tioxide à Calais, ou encore de RDM à Blendecques, dans le Pas-de-Calais, une entreprise détenue par des investisseurs italiens qui a fermé. Là encore, j'ai exigé le remboursement des subventions versées.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Lors de son audition, Mme Delga a utilisé des expressions extrêmement fortes au sujet de l'État. Elle a parlé de « confusion », de « difficulté de lisibilité » des aides nationales, ...
M. Xavier Bertrand. - Ce n'est pas très féroce.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Elle a même dit qu'il lui était arrivé de « contrer » des initiatives de l'État en appelant directement le ministre de l'économie ou de l'industrie. Enfin, elle a plaidé pour que les régions aient des compétences pleines et entières en matière économique.
Partagez-vous le constat d'un manque de concertation sur les grands projets industriels ? Vous venez d'évoquer le dossier ArcelorMittal, qui est, à mes yeux, non seulement crucial pour votre région, mais également un enjeu de souveraineté nationale. Ce dossier devrait mobiliser non seulement les élus locaux - et je sais que vous vous y employez activement -, mais aussi le ministre de l'industrie et le ministre de l'économie. Nous devrions hausser le ton, car il n'existe pas d'autre voie : soit des investissements sont engagés, soit il n'y aura rien. Il faut des engagements fermes.
Nous avons connu Gandrange et aussi Florange. Or aujourd'hui, sur la question de la construction des deux fours annoncés initialement, nous n'avons plus qu'une simple intention : celle d'en construire un seul. Par ailleurs, la ligne électrique à haute tension entre Gravelines et Dunkerque, longue de huit kilomètres, reste dans le flou. Nous ne savons toujours pas si elle sera réalisée. Or sans cette ligne, les intentions resteront lettres mortes. D'autant que 5 postes liés à cette ligne figurent parmi les 636 suppressions d'emplois.
M. Xavier Bertrand. - J'ai posé aujourd'hui très précisément la question à la ministre du travail et à ses services : parmi les postes supprimés, combien concernent la maintenance ? Car lorsque l'on sacrifie la maintenance sur un site industriel, c'est bien souvent le signe qu'on n'entend pas bâtir l'avenir. C'est, à mon sens, un excellent baromètre. Et aujourd'hui, nous n'avons aucune information à ce sujet sur le site d'ArcelorMittal. J'ai interrogé la direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) à ce propos, en présence de la ministre. Vous évoquiez la ligne à haute tension, mais la question de la maintenance est tout aussi stratégique.
Toutes les fonctions sont importantes, que ce soit la production ou les fonctions support. Mais lorsque l'on raye la maintenance des priorités, il y a matière à s'inquiéter.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Je souscris entièrement à ce que vous venez de dire.
Une des conditionnalités essentielles, c'est le niveau d'investissement. Lorsqu'une entreprise engage 500 millions d'euros, cela traduit une volonté claire de s'ancrer durablement sur un territoire. Il n'est pas crédible qu'elle investisse une telle somme pour, l'année suivante, délocaliser une partie de sa production. À l'inverse, lorsque des acteurs industriels vous font languir pendant trois ans et demi en expliquant que les conditions ne sont pas réunies pour investir ne serait-ce qu'un premier euro, c'est, à mon sens, la fermeture d'un site industriel que l'on prépare.
Sur cette question qui dépasse les clivages, que l'on soit communiste ou de droite, nous devrions pouvoir nous retrouver. Cela devrait aussi être le cas sur la maintenance des installations, tout comme sur l'enjeu des cinq équivalents temps plein affectés à la construction de la ligne à haute tension. S'il n'y a plus d'ingénieurs pour travailler sur la construction de cette ligne, fondamentale pour un ou deux fours, il n'y aura jamais de four électrique à Dunkerque et, en 2030, l'épisode ArcelorMittal appartiendra au passé.
Souscrivez-vous, comme Mme Carole Delga, à l'idée que, sur certains grands dossiers industriels, des doublons persistent, et qu'une meilleure fluidité pourrait être obtenue par une réorganisation des rapports entre les acteurs concernés ?
M. Xavier Bertrand. - La réponse est oui. La direction générale des entreprises (DGE), notamment sous l'impulsion de son directeur actuel, Thomas Courbe, accomplit un travail de qualité. Je l'observe sur de nombreux dossiers.
Pour autant, je plaide non seulement en faveur de la décentralisation, mais aussi pour une déconcentration forte, placée sous l'autorité des préfets de région, en partenariat étroit avec les conseils régionaux. J'y crois profondément.
Trop de décisions continuent d'être prises depuis Paris. La France est un pays remarquable, mais un État qui prétend tout gérer depuis la capitale ne peut pas disposer d'une vision juste et adaptée des réalités locales. Si l'on déconcentrait une part des crédits en les plaçant à la main des préfets, on gagnerait en coordination.
Prenons l'exemple des gigafactories de batteries : l'État a exprimé la volonté de créer un écosystème favorable à leur implantation, mais à l'époque, nous n'avons pas travaillé avec lui sur les projets concrets. Certes, nous regardions dans la même direction, ce qui a permis une convergence à terme, mais vous avez raison : les planètes ne sont pas toujours alignées d'emblée. Quand elles le sont, alors tout se met en place rapidement.
Même constat pour l'intelligence artificielle. Le Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle a représenté une avancée importante, notamment sur le plan pédagogique, et a traduit une volonté française claire. Mais, en réalité, si les choses ont pu avancer, c'est parce que j'ai moi-même constitué un écosystème local, en lien direct avec le préfet de région, qui nous a permis d'actionner RTE (Réseau de transport d'électricité). Si j'avais dû passer par Paris, cela n'aurait pas fonctionné. Voilà la réalité.
Je ne suis pas un élu anti-État. Ce n'est pas parce que j'ai été ministre que je tiens ce discours ou qu'il faut me prêter des ambitions. Certes, j'en ai, mais ce n'est pas une raison pour m'interdire de critiquer l'État lorsqu'il le mérite. Ce qui importe, c'est l'équilibre entre les élus locaux et l'État. Et il n'y a pas que le tandem maire-préfet qui fonctionne ; en matière économique, le tandem préfet de région- président de région peut être tout aussi pertinent.
Un point me semble toutefois fondamental : pour réussir, le président de région doit tenir compte de ce que veulent les départements pour leur développement. Je connais suffisamment bien les enjeux pour en discuter directement avec les présidents de département.
Nous avons mis en place, de manière officieuse, un G6 réunissant les cinq présidents de département et le président de région, afin d'échanger sur les grandes orientations, les projets structurants et notre vision partagée du développement économique. De la même manière, je travaille en lien étroit avec le monde économique. Lorsqu'on travaille réellement ensemble, on peut produire des résultats solides. Mais si tout reste à la main de l'État, rien ne garantit que les choses fonctionnent mieux.
M. Fabien Gay, rapporteur. - En ce qui concerne les aides que verse votre région, y a-t-il un ratio pour les TPE-PME, les ETI et les grands groupes ?
M. Xavier Bertrand. - Au départ, lorsque nous avons lancé la première gigafactory ACC (Automotive Cells Company), la compétition fut de haute lutte. J'ai dû « sortir le chéquier » et il a fallu engager 80 millions d'euros pour remporter ce dossier. Nous avons mobilisé deux intercommunalités, qui ont elles-mêmes apporté 41 millions d'euros. Au total, 121 millions ont été mis sur la table, soit un effort considérable. On nous a accusés de favoriser les grands groupes, de financer la reconversion du site Stellantis, alors que ce n'était pas notre mission, bref, de faire n'importe quoi.
Mais, par la suite, pour les autres gigafactories, nous n'avons pas eu à débourser les mêmes sommes, parce que nous avions créé la base de l'écosystème. Dès lors qu'un premier constructeur de batteries s'installe, puis un deuxième, puis un troisième, les sous-traitants de l'amont comme de l'aval suivent naturellement. Les autres acteurs de la filière se mettent en mouvement.
Alors que certains considéraient au début qu'il n'y en avait que pour les grands groupes, on constate aujourd'hui une implication réelle des commerçants, des artisans, des très petites entreprises, ainsi que des petites et moyennes entreprises. Nous ne retenons pas de critère de taille à proprement parler. Les dispositifs sont ouverts en fonction de leur éligibilité, pas de la structure du bénéficiaire.
Un autre point fondamental est que je refuse d'être entravé par des critères rigides qui m'empêcheraient d'intervenir pour soutenir une activité ou un projet. De la même manière, je ne veux pas me retrouver bloqué budgétairement. Je ne me vois pas, demain, dire à une entreprise porteuse d'un projet formidable : « Je souhaite que vous veniez vous installer chez nous, mais je ne pourrai pas vous accompagner sur l'investissement, faute de moyens. » Je suis donc prêt à faire des arbitrages budgétaires au profit de l'économie, car encore une fois, je suis aujourd'hui, en matière de création d'emplois, totalement « mort de faim ».
Il y a tout de même une règle qui nous gêne considérablement aujourd'hui : c'est la règle de minimis, au niveau européen. Lors de la précédente mandature du Parlement européen, l'idée de faire évoluer cette règle avait été évoquée. Je sais qu'un parlementaire européen avait réussi à faire avancer le sujet en commission, mais le processus n'est pas allé jusqu'au bout.
Pourtant, la règle de minimis pose de réels problèmes. Elle contribue à rendre le système opaque, en particulier dans la distinction entre les grands groupes et les petites structures, ou encore sur ce qui relève ou non d'une extension d'activité. Je n'ai fait ni Sciences Po ni l'ENA, et je n'ai pas bac+10. Pour le dire franchement, j'ai du mal à comprendre précisément les mécanismes de cette règle. Mais je vois que la sénatrice Gruny, ancienne parlementaire européenne, est présente dans cette salle : peut-être pourrait-elle nous éclairer ?
M. Fabien Gay, rapporteur. - La question qu'a posée tout à l'heure le président Rietmann ne portait pas sur la suppression des régions, car ni lui, ni moi, ni personne dans cette commission ne porte une telle volonté. Ce n'est pas le sujet.
Mais nous voulons étudier la question lucidement. Si l'on additionne l'ensemble des aides publiques, en incluant les dispositifs qui bénéficient indirectement aux entreprises par le biais des ménages, on se situe dans une fourchette allant de 170 milliards à 250 milliards d'euros. Plus précisément, les 170 milliards se décomposent en 85 milliards d'euros d'exonérations de cotisations, auxquels s'ajoutent les aides directes et indirectes. On peut donc retenir un ordre de grandeur avoisinant les 200 milliards d'euros.
Dans ce volume, les aides régionales représentent 1,9 milliard d'euros. La question n'est pas de dire qu'il faudrait les raboter ou les recentraliser. Mais force est de constater que, face à une telle enveloppe, il faut éviter les doublons et le saupoudrage, et s'inscrire dans une logique d'efficience.
Aujourd'hui, on recense plus de 2 200 dispositifs d'aide. Les entreprises, en particulier les grandes entreprises, nous disent qu'elles ont besoin de visibilité, de lisibilité et de pérennité. C'est un constat partagé largement. Le président Rietmann, en tant que président de la délégation aux entreprises au Sénat, rencontre très régulièrement des dirigeants d'entreprise. Même lorsqu'il s'agit de petites ou moyennes structures, le même problème revient, à savoir la difficulté à identifier les aides disponibles, à remplir les dossiers ou à savoir à quelle porte frapper. D'où l'idée d'un guichet unique.
Cette piste mérite d'être examinée. Il ne s'agit pas de raboter, mais d'identifier les leviers d'une plus grande efficacité. Prenons l'exemple de la décarbonation : des dizaines, voire des centaines de dispositifs d'aide existent. Si nous parvenions à les rationaliser, à recentrer l'action sur quelques outils bien identifiés, personne ne s'en porterait plus mal.
Dans une discussion récente, en dehors de la commission, un président de région me disait : « Nous nous battons pour être utiles au tissu économique des TPE, PME et ETI. » Il avait raison. Mais il est vrai aussi que lorsqu'une région parvient à attirer un grand groupe, cela crée un écosystème : le premier acteur qui s'installe attire ensuite les sous-traitants, en amont et en aval. Le problème, c'est que cela suppose souvent de commencer par sortir un énorme chèque. Et ces engagements budgétaires lourds, nous le savons tous ici, se font parfois au détriment d'autres priorités.
Dès lors, la question est-elle si saugrenue que cela ? Ne pourrions-nous pas tester des pistes, en toute franchise, dans un esprit de dialogue ? Par exemple, pourquoi ne pas envisager que les régions conservent une compétence renforcée sur les TPE, les PME et les ETI, et que les grands projets industriels impliquant les grands groupes soient gérés par l'État, en concertation avec les régions, pour garantir l'ancrage territorial et le développement ?
M. Xavier Bertrand. - Certes, mais quelle garantie avons-nous que le Gouvernement ne viendra pas, demain, une nouvelle fois « flinguer » notre industrie avec ses erreurs ? Nous avons tous vu comment on a laissé filer l'industrie dans ce pays. Pour ma part, je contribue activement à sa réindustrialisation, à travers les politiques que je mène.
Hier encore, lors de la signature du contrat de filière sur la stratégie industrielle, le ministre de l'économie a reconnu que la région des Hauts-de-France se battait plus que d'autres. C'est un fait : parfois, nous faisons de la réindustrialisation à côté de l'État, et parfois même à la place de l'État.
Je ne le cache pas : ce levier, je veux le conserver. Si demain vous me dites que je dois me limiter aux seuls outils, très bien ; mais y a-t-il, de la part de l'État, une véritable vision qui garantisse à la fois un objectif industriel et une politique cohérente d'aménagement du territoire ?
Si l'État avait eu la main sur les grands groupes, je n'aurais eu, moi, que mes yeux pour pleurer. Les 15 000 emplois liés aux batteries électriques, je ne les aurais jamais vus émerger. Et dans quelques années, qu'aurais-je eu dans la région ? Après les mines, la sidérurgie et le textile, l'industrie automobile se serait effondrée. Voilà ce qui m'attendait si je ne m'étais pas battu. Et je vais vous dire une chose : je ne risquais pas de pouvoir compter sur l'État à cette époque.
Oui, le volontarisme existe. Mais encore faut-il disposer de moyens. Or à l'époque, je n'avais pas confiance dans la capacité de l'État à mener une véritable politique d'aménagement du territoire à l'échelle nationale. Regardez où nous en sommes aujourd'hui : nous avons presque la nostalgie de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité des régions (Datar), tant manque une vision stratégique d'aménagement dans ce pays.
Pardonnez-moi ce détour, mais vous avez évoqué tout à l'heure les communistes, et je suis gaulliste. Il paraît que c'était une époque bénie, où communistes et gaullistes partageaient une forme de vision stratégique. Aujourd'hui, il n'y en a plus. Les politiques ne pensent qu'à une chose : jusqu'à quand vais-je rester au Gouvernement avant d'être renversé ? Et les autres raisonnent en fonction de la prochaine élection. Moi, je raisonne à l'échelle de la décennie. Voilà la différence. Je le dis très tranquillement, car personne ne se rappellera que je me suis battu pour implanter les batteries électriques, lorsque les parkings seront pleins, que les usines tourneront et qu'elles auront créé des milliers d'emplois. Vous savez bien qu'on ne fait pas de la politique pour la reconnaissance.
Néanmoins, sur la question de l'aménagement du territoire, non, je ne vois pas quel gouvernement ni quel État pourrait aujourd'hui me garantir quoi que ce soit. Voilà pourquoi je veux garder ce levier - je le dis très clairement. Le volontarisme ne peut pas se limiter à des formations ou à la création d'un écosystème favorable. Je veux pouvoir intervenir.
Laissez-moi vous donner un exemple. Dans la région des Hauts-de-France, la carte grise est la moins chère de France. Pourtant, nous sommes, avec la Corse, l'une des régions les plus pauvres. Mais j'ai appliqué un taux très bas, ce qui m'a permis d'avoir une assiette très large. Résultat : depuis des années, les sociétés de location immatriculent leurs véhicules dans les Hauts-de-France. J'aimerais vous dire que c'est uniquement grâce aux atouts de la région, mais en vérité, c'est à cause de la fiscalité. Avec un taux faible et une assiette large, je m'y retrouve. Et c'est possible parce que je dispose de ce levier fiscal.
Or ce dont je souffre aujourd'hui, monsieur le rapporteur, c'est de n'avoir quasiment aucun levier fiscal. Je peux moduler, à la marge, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et la carte grise. C'est ridicule, mais c'est tout.
En revanche, si je me battais pour l'économie et que j'avais une fraction d'impôt sur les sociétés, alors là, ce serait autre chose et cela vaudrait la peine.
Certains États, qui ne sont pas forcément un modèle, surtout par les temps qui courent, avec le président qu'ils ont - je pense aux États-Unis -, peuvent consentir des rabais fiscaux importants lorsqu'il s'agit d'investissement. Ils se rémunèrent ensuite sur le niveau d'investissement, les taxes liées à l'investissement et l'emploi créé. Voilà ce dont j'ai envie, voilà ce que je souhaiterais.
M. Fabien Gay, rapporteur. - J'entends le volontarisme, et nous partageons de nombreux constats, notamment sur le manque de vision stratégique de l'État en matière de réindustrialisation. Il faut une autre politique industrielle et, surtout, il faut livrer une bataille féroce. Mais cela passe nécessairement par la question énergétique.
À chaque fois que nous rencontrons un président-directeur général, le même message revient : « Je n'investirai pas en France tant que le coût de l'énergie reste incertain. » Il y a quinze ans, nous avions une compétitivité extraordinaire grâce à notre électricité d'origine nucléaire. Aujourd'hui, avec le marché européen, il devient impossible de savoir à quel tarif sortira le mégawattheure. Au Canada, ils disposent d'une électricité aussi décarbonée que la nôtre grâce à l'hydroélectricité, mais à 30 dollars le mégawattheure. C'est un exemple parmi d'autres.
M. Xavier Bertrand. - Entre 2016 et 2024, nous avons pris du retard. Dès 2016, j'étais demandeur et je m'étais porté candidat pour accueillir les EPR2. Je les voulais en même temps que la Normandie. Pendant longtemps, sans prêcher dans le désert, je me suis quand même largement époumoné. Aujourd'hui, au niveau gouvernemental, on observe parfois une ferveur toute nouvelle... la foi du converti. Pendant ce temps, le retard s'est accumulé.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Ce n'est pas à moi qu'il faut expliquer la nécessité de défendre le nucléaire.
Ma dernière question porte sur votre volonté de garder la main. Je la comprends, mais reconnaissez qu'en réalité, vous n'avez la main que sur moins de 1 % du budget national alloué aux entreprises. Vous nous dites que vous connaissez le terrain, que vous faites de l'aménagement du territoire et que vous seriez sans doute les plus efficaces. D'ailleurs, Arnaud Montebourg a lui aussi suggéré d'associer plus fortement les élus locaux, notamment lorsqu'il s'agit de garder des entreprises stratégiques comme ArcelorMittal. Mais concrètement, vous ne disposez ni du budget ni du levier fiscal pour agir à la hauteur des enjeux. Il y a donc un dysfonctionnement.
Nous essayons de tracer des pistes. Peut-être n'avons-nous pas encore trouvé la bonne, mais nous allons continuer à réfléchir.
Comme il n'existe pas de véritable levier fiscal régional, certaines régions peuvent se battre parce qu'elles disposent d'un budget leur permettant de le faire, tandis que d'autres sont clairement désavantagées. Ce n'est pas satisfaisant. Cela crée une inégalité entre territoires. Et dans ces conditions, on passe à côté de l'objectif. Nous ne pouvons accepter qu'une part significative de nos régions reste à l'écart de la réindustrialisation faute de moyens.
M. Olivier Rietmann, président. - On parle beaucoup, ces dernières années, de la volonté de l'État en matière de réindustrialisation. Mais, je vous le demande sans vergogne : ne sommes-nous pas, depuis cinq, sept ou huit ans, davantage engagés dans le financement de la décarbonation de l'industrie, plutôt que dans une véritable politique de réindustrialisation ?
L'enjeu, au regard de l'état budgétaire de notre pays, de la situation de notre appareil industriel et du manque criant de compétitivité de nos entreprises face à nos voisins européens comme l'Italie, sans même parler des États-Unis, ne serait-il pas de réorienter une partie de ces financements ?
Le ministre de l'économie Éric Lombard a lui-même reconnu en audition, il y a deux ou trois semaines, que certains investissements consacrés à la transition écologique, qui représentent pourtant des milliards d'euros dans le budget de l'État, ne seront pas rentables avant vingt-cinq ou trente ans, voire jamais. Mais ils sont vertueux pour la planète.
Je ne parle pas de renoncer à la décarbonation, mais d'admettre que, par nécessité, une partie de ces crédits pourrait utilement être fléchée vers une réindustrialisation réelle et vers une compétitivité accrue de nos entreprises.
N'oublions pas que ce sont les entreprises qui créent la richesse, alimentent le budget de l'État, et rendent possibles des politiques publiques ambitieuses. Favoriser une réindustrialisation concrète et renforcer la compétitivité de nos entreprises, c'est donc aussi garantir les budgets et les politiques publiques ambitieuses de demain. Si l'on concentre tous les financements sur la décarbonation, en négligeant l'industrie, on passera à côté de pans entiers de notre tissu productif. Et avec lui, de notre avenir budgétaire.
Je ne dis pas cela parce que je défends les entreprises en tant que telles. Je dis cela parce que je défends le budget de la Nation, et les politiques publiques de la France.
M. Xavier Bertrand. - Pour moi, la décarbonation constitue un préalable incontournable à toute stratégie de réindustrialisation. Aujourd'hui, ces deux enjeux sont indissociables. Je ne dis pas cela uniquement au regard de la situation à Dunkerque et du dossier ArcelorMittal : sans décarbonation à Dunkerque, nous n'aurons plus d'industrie dans cinq, dix ou quinze ans. C'est une évidence.
Monsieur le président, la question que vous soulevez touche en réalité au coeur du problème, à savoir l'énergie, et surtout son coût. Regardons ce qui se passe aux États-Unis : bien avant l'élection de Donald Trump, ils avaient déjà misé massivement sur l'exploitation du pétrole et du gaz de schiste. En France, ce sujet n'a même pas été ouvert.
M. Fabien Gay, rapporteur. - Le gaz naturel liquéfié (GNL) américain, notamment importé par TotalEnergies, arrive aujourd'hui sur notre territoire. Nous n'exploitons pas de gaz de schiste en France, mais nous en importons massivement.
M. Xavier Bertrand. - Et c'est la même planète qui en souffre.
Le fond du problème, c'est que nous refusons de nous battre avec nos propres atouts. Et pourtant, nous en avons, clairement. Heureusement que nous avons l'énergie nucléaire ; heureusement, également, que nous avons enfin décidé d'accélérer en la matière ! D'ailleurs plusieurs pays, comme l'Allemagne, sont en train d'évoluer, mais souvenez-vous des batailles homériques qu'il a fallu mener pour que l'énergie nucléaire puisse bénéficier de financements européens ! C'est tout simplement ahurissant. Pendant ce temps, d'autres pays, eux, se battent avec des gants de boxe - et non avec des gants blancs !
Force est de constater que la France et l'Union européenne ne sont pas les plus mauvais élèves de la planète en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, nos règles ne sont pas les mêmes que celles des autres pays, alors même que nous sommes dans un système de concurrence internationale.
À cet égard, permettez-moi de le dire clairement : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) est une passoire. Pourquoi ? Parce que les Allemands ont imposé un système aussi light que possible, simplement pour continuer à vendre des Mercedes, des BMW et des Audi en Chine et aux États-Unis ; voilà la réalité !
C'est aussi pour cela que l'Europe n'a plus le choix : soit elle se défend véritablement, soit elle sort de l'histoire. Il s'agit non pas simplement de décarbonation ou de réindustrialisation, mais du problème du coût de l'énergie, qui est devenu un facteur déterminant, comme nous l'avons notamment vu à la suite de la guerre en Ukraine. Il est grand temps de rattraper notre retard : sans acier vert, c'en est fini de la production d'acier en France.
Monsieur le président, vous avez raison : on ne cesse de mettre des bâtons dans les roues des constructeurs automobiles ; il ne faut pas s'étonner que, bientôt à l'agonie, ils s'inquiètent pour leur avenir ! Un jour, c'est la taxe sur le poids ; un autre, ce sont les règles relatives à la fin des véhicules thermiques en 2035, dont on se demande si elles vont encore changer ; tous les jours, leur action est entravée. Pourtant, les constructeurs pourraient produire chez nous les véhicules des petits segments, qui sont les plus vendus en Europe ; d'ailleurs, les aides d'État pourraient être mobilisées dans le cadre d'une stratégie nationale soutenue par certaines régions. Il n'y a pas mille solutions ; il suffit de limiter, à l'échelle européenne - le combat n'est pas simplement national -, les importations d'acier à 15 % de la demande pour qu'ArcelorMittal n'ait plus aucune excuse pour ne pas engager la décarbonation de sa production ; on verrait alors s'ils jouent ou non au poker menteur ! Ce n'est pas compliqué, et cela peut être mis en oeuvre très rapidement.
J'irai plus loin encore sur la réindustrialisation : nous ne prenons pas certains paris, car Bercy fait des calculs de court terme, mais pourquoi ne pas baisser les impôts de production ? Comme le souligne l'Institut économique Molinari, cela ne coûterait rien à l'État, car les recettes générées par les investissements supplémentaires viendraient compenser l'effort ; ce serait une rentrée d'argent. Or Bercy ne regarde que ce qui sort et ce qui ne rentre pas, pour ainsi dire ; il n'y a aucune analyse dynamique. C'est cela le véritable problème.
Dans ma région, nous avons mis en place la dynamique REV3, pour troisième révolution industrielle, qui promeut l'alliance de l'économie et de l'écologie - vous l'aurez compris, je ne suis pas un militant de la décroissance. Lorsqu'on avance avec l'écologie et l'économie main dans la main, on peut concrétiser des projets comme le canal Seine-Nord Europe, dont le coût est aujourd'hui estimé à 6,5 milliards d'euros et qui représente 20 000 emplois, entre le chantier et les retombées économiques ; c'est également le cas des projets de nouveaux réacteurs nucléaires EPR2, de la production de batteries électriques, et demain, de l'industrie circulaire. Pour ce faire, l'investissement est la clef.
Or la logique actuelle de Bercy - je l'entends - vise à tenir les comptes publics, mais l'industrie est une recette à venir, un investissement dynamique - j'en suis profondément convaincu.
Enfin, je le dis très clairement : la décarbonation n'est pas l'ennemie de la réindustrialisation. Pour qu'elle le comprenne, l'Europe doit sortir de sa naïveté ; il est grand temps !
Monsieur le rapporteur, vous avez raison d'évoquer une moyenne de 1,9 milliard d'euros d'aides régionales, mais je précise que les collectivités locales participent à hauteur de près de 10 % à l'investissement global d'ACC. En effet, si je n'avais pas proposé cet investissement de 10 %, ACC ne se serait pas installé dans ma région ! C'est un peu comme dans le secteur du cinéma - ma région soutient activement le financement de nombreux films. Parfois, quelques dizaines de milliers d'euros suffisent à faire l'équilibre d'un projet. De la même manière, ces 10 % peuvent faire toute la différence. Ainsi, pour obtenir l'implantation d'une deuxième ligne de production du SUV Yaris Cross de Toyota - je fais un peu de publicité au passage -, il a fallu que la région s'engage. Nous étions en concurrence avec l'Europe de l'Est et le Portugal. C'est en apportant une participation ciblée que nous avons remporté la décision.
Ces 10 %, que l'on peut mobiliser sur certaines opérations spécifiques - et vous avez raison, au total cela ne représente pas plus que deux points de pourcentage dans l'ensemble des cas -, ce sont eux qui constituent la maille, ce sont eux qui créent la différence, en complément du reste.
M. Olivier Rietmann, président. - Je ne mettais pas en opposition la décarbonation et l'industrialisation. Mon propos était simplement de souligner que l'on ne peut pas se concentrer uniquement sur la décarbonation en négligeant, dans le même temps, la dimension industrielle. Il faut mener ces deux politiques de front.
S'agissant des impôts de production, il faut rappeler qu'il s'agit d'une imposition due avant même d'avoir produit quoi que ce soit. Les chefs d'entreprise que je rencontre me le disent régulièrement : l'impôt sur les sociétés ne pose pas de problème en soi, car il est assis sur des bénéfices réalisés. En revanche, les impôts de production sont dus en amont, avant même que l'entreprise ait gagné un euro...
M. Xavier Bertrand. - C'est dingue !
Mme Anne-Sophie Romagny. - Votre territoire est aujourd'hui à la carte grise ce que la Marne était autrefois à la vignette automobile ! (Sourires.)
M. Xavier Bertrand. - Exactement ! J'ai toujours été marqué par ce qu'avait fait Albert Vecten, à l'époque - c'était une idée particulièrement maligne. De fait, tous les véhicules des loueurs portaient la plaque de la Marne, le 51, plutôt que celle du 60, l'Oise - c'est un très beau département, d'ailleurs, dans lequel je suis né, mais le coût de la carte grise passait alors avant l'attrait touristique !
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je me permets également un court aparté concernant vos doutes sur la réelle volonté du groupe ArcelorMittal de maintenir son implantation sur votre territoire. À Reims, ils ont commencé à déménager l'outil industrie et à transférer l'activité, avant de prétendre que le site n'était ni performant ni rentable. Évidemment, sans outil de production, la rentabilité baisse ! Cela en dit long sur les intentions stratégiques du groupe.
J'ai été attentive à vos propos relatifs aux subventions. Vous avez évoqué deux choses : soit les aides ne sont pas versées en l'absence d'engagements tenus, soit vous en demandez le remboursement une fois que les engagements n'ont pas été tenus. Obtenez-vous effectivement ces remboursements ?
M. Xavier Bertrand. - Oui, car j'ai un principe : je suis quelqu'un d'un peu remuant et je n'hésite pas à porter l'affaire dans les médias nationaux. Je ne prétends pas que cela règle tout, mais cela aide un peu, tout de même. Parfois, il faut aller en justice. D'autres fois, la seule menace de poursuites suffit ; et, je l'assume totalement, le fait de médiatiser la situation simplifie souvent les choses.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Certaines études ont souligné un déséquilibre dans la répartition des aides économiques régionales, souvent concentrées sur les grandes agglomérations, au détriment des territoires ruraux et des zones en déclin industriel. Par exemple, une part importante des aides à l'innovation et à l'investissement est dirigée vers la métropole lilloise. Comment peut-on s'assurer que l'octroi de ces aides ne contribue pas à accentuer les déséquilibres régionaux ?
M. Xavier Bertrand. - Vous apportez de l'eau à mon moulin : ce ne peut pas être l'État qui pilote directement ces dispositifs, car pendant très longtemps, et de façon très explicite, l'État a fait le choix des métropoles. L'argument avancé était clair : il fallait des métropoles de taille européenne pour tirer le reste du territoire ; il nous fallait des « locomotives ».
L'Allemagne a fait un autre choix : elle a cru en l'industrie et en la réindustrialisation. Elle a joué la carte des métropoles, certes, mais aussi celle des villes moyennes, lesquelles sont capables d'entraîner avec elles les territoires ruraux et semi-ruraux ; les métropoles, en revanche, ont plus de mal à le faire.
Je crois à un équilibre fondé sur cette approche. C'est pourquoi, madame la sénatrice, en défendant l'industrie, je fais un choix en faveur de l'aménagement du territoire. Ainsi, ACC a implanté son usine de batteries à Douvrin, et AESC à Douai, qui ne sont pas des métropoles. Les grandes métropoles se sont fortement spécialisées dans le secteur tertiaire ; certaines se sont même définies comme des « turbines tertiaires ».
Pour ma part, je considère que le choix de l'industrie relève d'une logique d'aménagement équilibré du territoire ; je ne mets pas tous mes oeufs dans le même panier. J'aime beaucoup les métropoles, il serait absurde de vouloir freiner leur dynamique, mais celle-ci, dans une certaine mesure, s'entretient d'elle-même.
Si le politique n'est pas capable de remettre de l'activité dans les territoires hors métropoles, alors il n'a rien compris à ce qui est en train de se produire : les classes moyennes n'en peuvent plus, les territoires hors métropoles sont totalement délaissés. C'est cela qu'il faut briser, car c'est précisément là-dessus que prospèrent la misère et ceux qui en profitent.
M. Marc Laménie. - Monsieur le président, je tiens à vous remercier sincèrement pour la clarté et la pédagogie de vos propos. Il est utile de rappeler les compétences des régions. Ma question porte plus précisément sur les dossiers soutenus par la région. On évoque souvent la complexité de ces dossiers, qui peuvent faire appel à différents dispositifs d'aide. Les aides régionales sont-elles réellement efficaces ? À partir de quel seuil les entreprises peuvent-elles y être éligibles ? Je pense ici aux aides à l'investissement - ma question est donc d'ordre technique ou matériel, s'agissant de constituer des dossiers et de les suivre.
M. Xavier Bertrand. - L'aide à la formation est tout aussi essentielle. Le fait de pouvoir accompagner les entreprises dans leur recrutement, leur sourcing, et dans la formation de leur personnel, est absolument déterminant. Même pour les entreprises déjà implantées, nous avons mis en place un dispositif régional que nous avons appelé DVRH, pour « appui au développement des ressources humaines des entreprises ». Ce mécanisme nous permet de proposer un véritable accompagnement - c'est un atout décisif.
Je crois profondément que les ressources humaines constituent, aux côtés du foncier, l'or noir des années à venir ; c'est, à mes yeux, la véritable richesse. Nous nous engageons fortement à ce sujet.
Bien sûr, l'aide à l'investissement compte. On pourrait se demander si les très grands groupes en ont véritablement besoin ; ma réponse est : oui ! Des entreprises comme Safran ont pu bénéficier de dispositifs régionaux, et cela a constitué le petit delta qui a fait toute la différence.
Mais il n'y a pas que cela. Il faut regarder tout l'écosystème. Un exemple très concret : pendant des années, la région produisait des pommes de terre, mais la transformation en frites se faisait en Belgique. Ce n'est pas anecdotique. Aujourd'hui, cette transformation se fait dans les Hauts-de-France. Pourquoi ? Parce que nous avons su montrer que notre écosystème facilitait l'installation rapide. Le parcours du combattant a été remplacé par un tapis rouge. Nous avons aussi négocié, avec l'État, des ajustements réglementaires : par exemple, une dérogation sur les eaux usées permettant de laver des pommes de terre non épluchées. Cela a également contribué à faire la différence.
Ce sont les élus régionaux qui ont porté ces demandes auprès du préfet. Et des préfets courageux ont accepté cette dérogation, qui n'était pas extra legem, et cela nous a permis d'aboutir.
C'est l'ensemble de ces éléments qui fait l'efficacité d'un territoire. Et si l'on nous prive de nos moyens d'action, je ne vois pas comment nous pourrions être tout aussi efficaces.
Je l'ai dit et je le répète : si l'État nous avait garanti une véritable politique de déconcentration, s'il avait cru à l'industrie et à la réindustrialisation depuis des années, s'il avait vraiment fait de l'aménagement du territoire une priorité, je ne tiendrais sans doute pas ce discours. J'ai moi-même été ministre, j'ai toujours travaillé en bonne intelligence avec les collectivités locales.
Aujourd'hui, je suis à la tête d'une grande région. Je ne suis pas en conflit avec l'État dans les Hauts-de-France. Mais si l'on veut un État connecté aux réalités du terrain, c'est dans les territoires qu'il faut aller le chercher.
Le meilleur alliage, c'est celui qui unit l'État, les collectivités locales et le monde économique. C'est ce que j'essaye de mettre en oeuvre dans la région des Hauts-de-France. D'ailleurs, ce n'est pas moi qui vous dis que nos résultats sont exceptionnels - il suffit de regarder les chiffres du chômage ou ceux qui sont publiés par Business France ou EY. Cela dit, je peux vous affirmer que le volontarisme compte ; aussi, il ne faut pas l'entraver. Que l'on ne nous coupe pas les ailes, voilà ma conviction profonde !
M. Olivier Rietmann, président. - Monsieur le président du conseil régional, nous vous remercions pour votre disponibilité, votre engagement et le dynamisme dont vous avez fait preuve tout au long de cette audition, que nous avons tous trouvée particulièrement intéressante.
Si vous souhaitez transmettre les contributions écrites que vous évoquiez tout à l'heure, nos services se feront naturellement un plaisir de les recevoir.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 45.