- Mardi 10 juin 2025
- Audition de M. Pascal Berteaud, Directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)
- Audition de MM. Charles-Antoine Gautier, Directeur général, David Beauvisage, Directeur général adjoint, et Régis Taisne, Chef du Département Cycle de l'eau, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)
- Mercredi 11 juin 2025
Mardi 10 juin 2025
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Pascal Berteaud, Directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema)
M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Pascal Berteaud, Directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, le Cerema.
Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.
Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.
Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal BERTEAUD prête serment.
Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Nous vous donnerons la parole pour une courte introduction avant que le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous posent des questions.
Avant cela je laisse la parole au rapporteur, Thomas Dossus, pour qu'il vous présente les axes de travail de notre commission d'enquête.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Cette commission d'enquête est proche de notre coeur de métier, puisqu'elle s'intéresse aux collectivités locales et à la façon dont les différentes réformes fiscales ont encadré leur libre administration. Nous souhaitons conduire cette analyse au regard des investissements nécessaires, notamment dans la transition écologique. Nous aimerions comprendre comment s'articulent ces besoins d'investissement avec l'accompagnement que vous proposez aux collectivités et les contraintes de financements locaux.
Nos intentions étant présentées, je vous laisse la parole pour une courte introduction, puis je vous poserai une série de questions.
M. Pascal Berteaud, directeur général du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). - Le Cerema est un établissement constitué à partir de l'expertise de l'ex-ministère de l'équipement. Nous comptons aujourd'hui 2 400 agents répartis sur six métiers : l'efficacité énergétique des bâtiments, les mobilités, les infrastructures, les risques et l'environnement, la mer et le littoral, et l'expertise territoriale intégrée. La transition écologique et l'adaptation au changement climatique constituent notre fil conducteur.
Depuis la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale dite 3DS, nous sommes un établissement national, mais aussi local. Nous comptons plus de 1 000 collectivités adhérentes, comprenant l'ensemble des régions et 87 départements - le reste se partageant entre intercommunalités et communes. Nous fournissons une expertise technique sur les sujets d'atténuation (sobriété foncière, mobilité, performance des bâtiments) et d'adaptation (gestion des risques naturels, résilience des infrastructures, gestion de l'eau). Ces questions climatiques touchent tous les secteurs de l'aménagement et constituent une boussole pour les 30 ans à venir.
Nos services incluent études de faisabilité, expertises techniques et Assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO). Nous éditons environ 80 guides méthodologiques chaque année, très utilisés par les bureaux d'études. Nous portons également des programmes collectifs d'intérêt national comme le « Programme National Ponts », et contribuons aux programmes gouvernementaux autour de la sobriété foncière et de la mobilité durable, notamment, ainsi qu'aux programmes tels que « Action Coeur de Ville » ou « Petites Villes de demain ».
Nous ne sommes que rarement un guichet de financement. Notre rôle est essentiellement de guider les collectivités, les aider à bâtir leur projet. Elles peuvent être confrontées à des difficultés pour financer leurs projets de transition écologique ou disposer de l'ingénierie nécessaire pour les concevoir.
Pour le bloc communal, l'intercommunalité est souvent le bon échelon, de par sa taille. Pour que nos interventions soient efficaces, nous avons besoin qu'une personne sur place comprenne nos experts. Notre expertise est difficilement exploitable dans une commune de 300 habitants qui ne compte qu'une secrétaire de mairie présente un jour par semaine.
À l'échelle départementale, les agences techniques peuvent être très utiles. Toutefois, tous les départements n'en sont pas dotés. En outre, leur fonctionnement reste très hétérogène - certaines emploient trois personnes lorsque d'autres en compte une centaine. De plus, les agences sont souvent peu compétentes sur les sujets émergents de transition écologique, car elles ont été bâties sur des compétences d'aménagement. Nous avons constitué un groupe de travail avec plusieurs d'entre elles pour les assister en expertise et leur permettre de monter en compétences.
Les agences ne sont pas organisées en réseau, ce qui pose une difficulté. Des choses simples peuvent être faites pour évoluer sur ce point.
Les sujets de gestion de l'eau et de prévention des inondations émergent. Sur ce plan, la France est en retard. Les bureaux d'études privés ne comblent pas totalement ce déficit. Bien que présents sur la quasi-totalité du territoire, y compris dans les zones très rurales, ces bureaux ne sont pas compétents sur ces thématiques nouvelles. Le Cerema a noué un partenariat avec Syntec Ingénierie et la fédération Cinov - le syndicat des « petits » bureaux d'études - afin de déployer des formations auprès de ces professionnels.
La création de l' Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) n'a pas complètement résolu la problématique non plus. Cela s'explique par le fait que ses agents sont basés à Paris et qu'ils possèdent des compétences « d'état-major » davantage que des compétences opérationnelles.
Nous essayons de combler ce déficit d'ingénierie locale. Il est toutefois dommage de mobiliser un établissement d'expertise pour des missions relativement basiques. De plus, notre maillage territorial - nous sommes présents dans 23 villes de métropole et 4 villes d'outre-mer - demeure insuffisant. Nos ingénieurs devraient se trouver à une heure ou une heure et demie de tout point du territoire afin de pouvoir effectuer un aller-retour pour participer à une réunion sans perdre toute une journée.
Nous avons fait le choix de proposer aux collectivités d'adhérer au Cerema. Nous accordons une priorité à nos adhérents. Pour autant, nous intervenons beaucoup sur les programmes de l'État, dans des zones généralement plus défavorisées.
En 2024, nous avons réalisé 2 300 prestations pour les collectivités : 40 % sur les infrastructures de transport, 20 % sur les mobilités et 20 % sur l'environnement et les risques. Nous assurons également une animation territoriale avec 90 journées techniques organisées en 2024, réunissant en moyenne 50 à 60 participants en présentiel et 80 en distanciel. Nos interventions varient selon le type de collectivité : aménagement et mobilité pour les communes, infrastructures pour les départements, et planification et sujets plus transversaux pour les régions. Ces réunions nous permettent de diffuser notre méthodologie.
Les collectivités, quel que soit leur niveau, sont démunies. Elles nous sollicitent sur tous types de sujets. Nous sommes parfois contraints de refuser, soit parce que la demande n'entre pas dans notre champ de compétences, soit parce que nous ne disposons pas de suffisamment de ressources humaines.
Pour les sujets complexes, il nous arrive de proposer des prestations d'AMO aux collectivités, au travers de conventions pluriannuelles ou de partenariats institutionnels.
Vous nous interrogez sur l'accompagnement des porteurs de projet dans le financement de leurs opérations. Hormis le Programme National Ponts, nous ne finissons pas les projets des collectivités. L'État ne nous donne même pas les moyens de payer ses fonctionnaires.
Dans le cadre du Programme National Ponts, nous avons sollicité, entre 2021 et 2025, 16 000 des 20 000 communes comptant au moins un pont. La démarche nous a permis de diagnostiquer 64 000 ponts. Parmi eux, 25 % sont en très bon état, 50 % sont dans un état correct et 25 % sont dégradés - dont 8 % nécessitent des mesures fortes et 4 %, des mesures très fortes. Nous avons fermé 400 ponts. Environ 780 millions d'euros d'investissements sont nécessaires uniquement pour traiter les 8 % d'ouvrages les plus dégradés. Nous finançons des dépenses à hauteur de 60 %, les communes parvenant à trouver les 40 % restants, notamment avec les départements. Sur dix ans, l'investissement représente 400 millions d'euros pour le Cerema. L'enveloppe du Programme National Ponts sera entièrement consommée à la fin de l'année. Ce sujet nécessitera un débat lors du projet de loi de finances (PLF) 2026.
Notre budget avoisine les 270 millions d'euros, comprenant près de 190 millions d'euros de dotation pour charge de service public et 70 à 80 millions d'euros de recettes propres, pour environ 30 millions d'euros de dépenses sur le Programme National Ponts. Cet équilibre est plutôt satisfaisant. Il nous semble opportun de devoir rechercher des financements extérieurs pour répondre aux exigences de nos clients. Dans le même temps, bénéficier d'une dotation pour charge de service public représentant 65 à 70 % de notre budget nous permet de maintenir notre statut de référent technique et d'éviter de devenir un bureau d'études privé.
Nous recevons également 30 millions d'euros de financement européens, étalés sur plusieurs années.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Recherchez-vous directement ces fonds ?
M. Pascal Berteaud. - Oui. Notre taux de succès, de 30 à 50 %, est supérieur à la moyenne nationale. Nous avons développé un savoir-faire dans la réponse à ce type d'appels d'offres - pour lesquels nous nous sommes toutefois appuyés par des prestataires privés - et ciblons nos projets.
Trois points me semblent essentiels pour l'avenir : la simplification des procédures, la création d'un guichet unique et le renforcement de l'ingénierie d'appui.
L'adhésion au Cerema simplifie les procédures. Une fois l'accord trouvé avec la collectivité, nous procédons via une simple lettre de commande. Nous pouvons ainsi nous concentrer sur le fond plutôt que sur les procédures.
La création d'un guichet unique nous paraît nécessaire, car la démarche n'est pas évidente pour le maire d'une petite commune.
S'agissant du renforcement de l'ingénierie d'appui, Syntec Ingénierie chiffre le besoin à 60 000 ingénieurs par an quand notre système éducatif n'en forme que 40 000. Aujourd'hui, près des deux tiers des Directions départementales des territoires (DDT) ne comptent plus un seul ingénieur. Ceux qui partent sont souvent remplacés par des personnels administratifs. Alors que le monde est de plus en plus technique et technologique, l'État et la puissance publique comptent de moins en moins de personnes à même d'adresser ces enjeux.
Le Fonds vert était une initiative intéressante, mais a été stoppé dans son élan. Sur les deux premières années, la mobilisation des crédits était pourtant positive. Le succès d'estime est notable. Nous sommes frappés de constater la forte mobilisation des collectivités sur les sujets de décarbonation, d'adaptation au changement climatique et de zéro artificialisation nette (ZAN). Elles se sont appropriées le fait écologique. Travaillant avec les communes depuis 35 ans, je constate que la prise de conscience est réelle.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les impacts du changement climatique commencent à se faire sentir très fortement. Compte tenu de la contraction des budgets, percevez-vous un risque d'effet ciseau pour les collectivités désireuses d'investir, mais ne trouvant pas les financements correspondants ?
M. Pascal Berteaud. - Cet effet concerne déjà l'ingénierie. Les collectivités souhaitent engager des projets, mais ne savent pas comment y parvenir. C'est la raison pour laquelle j'insiste fortement sur la nécessité de renforcer l'ingénierie. Nous travaillons en ce sens avec les agences départementales. Ces compétences permettent de mettre en oeuvre des projets avec des moyens restreints. Les collectivités ont besoin d'ingénieurs pour bâtir leur programme.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous touchons au coeur de notre commission d'enquête. Les enjeux de transition écologique montent en puissance. Je note que l'ingénierie manque, alors que les besoins s'accroissent. Les élus se trouvent démunis. Accompagnez-vous les collectivités dans le financement de la prise en compte des risques climatiques et des différents scénarios ?
M. Pascal Berteaud. - Non, nous n'intervenons pas dans le financement.
Nous ne procédons pas par appel à manifestation d'intérêt, mais en sollicitant directement nos adhérents. Nous travaillons avec une trentaine d'entre eux sur le scénario +4°C, en analysant les impacts sur leurs territoires et en développant des plans d'adaptation. Les collectivités sont demandeuses de cet accompagnement.
Il y a 30 ans, les maires des petites communes pouvaient s'appuyer sur les subdivisions de la Direction départementale de l'équipement (DDE) ou de la direction départementale de l'agriculture (DDA). Les sujets les plus techniques remontaient au siège du département, voire au réseau technique. Le Cerema a créé un réseau technique supra-départemental. En revanche, l'échelon infra-départemental reste insuffisamment structuré. Or, le maire d'une petite commune doit pouvoir s'appuyer sur une ingénierie publique de proximité pour bâtir son projet.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le Cerema est-il en capacité d'apporter ce soutien via son réseau actuel ?
M. Pascal Berteaud. - Il conviendrait de structurer davantage le réseau et d'être présent plus en profondeur dans les territoires. Notre maillage reste insuffisant. Pour aller à la rencontre des communes, tout point du territoire devrait être accessible en une heure ou une heure et demie en voiture.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - L'échelon approprié est-il celui de l'intercommunalité ?
M. Pascal Berteaud. - Une intercommunalité de 10 000 habitants dispose d'un service technique, ce qui facilite l'action. Le plus souvent, il s'agit de l'échelon adéquat. L'appréciation dépend toutefois du domaine. Pour ce qui est de l'eau, par exemple, les limites communales ne correspondent pas aux bassins versants. Tout est question de taille critique.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Pourriez-vous aider les communes à obtenir des financements européens ?
M. Pascal Berteaud. - Nous avons développé une expertise pour obtenir des financements sur nos domaines techniques, mais nous ne sommes pas compétents sur les thèmes propres aux communes.
Malgré les besoins, il existe peu d'appui aux communes sur les sujets de montage financier. La société de conseil et d'appui aux territoires (SCET) a commencé à développer un accompagnement en la matière. Quelque chose mérite d'être construit dans ce domaine, au travers de la Banque des territoires ou d'un autre acteur.
M. Olivier Henno, président. - La collectivité doit-elle nécessairement être adhérente au Cerema pour bénéficier de vos services ? Quel est exactement votre modèle ?
M. Pascal Berteaud. - Les collectivités adhérentes participent à notre gouvernance. Notre conseil d'administration compte 20 représentants de collectivités pour sept représentants de l'État. Les voix sont pondérées de manière à assurer un équilibre des pouvoirs. Ce modèle fonctionne depuis deux ans. Par le passé, les quelques représentants des collectivités venaient peu dans nos instances. Surtout, leurs exigences restaient relativement faibles. Ce n'est plus le cas. Les collectivités participent réellement aux orientations de l'établissement. Leurs demandes sont précises et orientent notre stratégie.
Pour travailler avec nous, les collectivités adhérentes bénéficient de la règle du « in-house », qui ne requiert qu'une simple lettre de commande.
L'adhésion est payante, à raison de cinq centimes par habitant, plafonnée à 2 000 euros pour le bloc communal, 2 500 euros pour un département et 5 000 euros pour une région. La collectivité doit faire approuver l'adhésion en instance délibérative. En contrepartie, chaque adhérent se voit attribuer un référent et bénéficie de 5 % de réductions sur nos prestations.
Nous avons développé des diagnostics semi-automatisés, à disposition gratuite de nos adhérents.
Nous travaillons également avec des non-adhérents, mais nous les encourageons à adhérer pour simplifier les procédures et réduire leurs coûts. L'avantage principal de l'adhésion reste d'avoir un interlocuteur direct, car les collectivités sont souvent très isolées dans leurs démarches.
M. Olivier Henno, président. - Les agences départementales et les agents de la DDE conseillaient les communes. Est-ce moins le cas aujourd'hui ?
M. Pascal Berteaud. - Avec les départements, le principal enjeu porte sur les infrastructures, notamment les routes et les ponts. Nous travaillons avec 87 départements. Environ 600 de nos 2 400 collaborateurs interviennent sur ces sujets, principalement pour les départements.
Les agences départementales avaient vocation à prendre le relais de l'Assistance technique fournie par les services de l'État pour des raisons de solidarités et d'aménagement du territoire (ATESAT). Or, tous les départements n'ont pas créé leur agence, et pas de manière homogène. Au-delà se pose la question de leur insertion dans un réseau technique plus large. Nous essayons de travailler avec des agences pour recréer cette base technique et scientifique.
Les agences départementales nous apparaissent comme un bon moyen de procéder. Pour autant, nous constatons des reculs dans certains départements, faute de moyens financiers.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Avez-vous renoncé à certaines de vos prestations ?
M. Pascal Berteaud. - Pas encore, mais la situation devient compliquée.
M. Olivier Henno, président. - Fournissez-vous également des conseils aux collectivités sur la pertinence de leur investissement - pour les orienter davantage vers des projets liés à la transition écologique, par exemple ?
M. Pascal Berteaud. - Oui, nous intervenons majoritairement en amont, pour de l'analyse et du conseil, lorsque la collectivité ne sait pas précisément ce qu'elle veut. Nous ne nous positionnons sur l'exécution que sur des sujets très techniques tels que les ouvrages d'art et les ponts.
En aval, les collectivités nous demandent souvent notre avis sur le travail réalisé par les bureaux d'études externes. Notre principe fondamental est de ne pas concurrencer l'offre privée quand elle existe. Un organisme public ne doit pas concurrencer les bureaux privés, cela n'aurait aucun sens. Cette règle est très importante. Elle nous permet par ailleurs de conserver d'excellentes relations avec la fédération Cinov, Syntec Ingénierie et les syndicats professionnels. Les dirigeants de bureaux d'études privés apprécient notre travail, car leurs ingénieurs utilisent quotidiennement nos guides techniques.
M. Olivier Henno, président. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM. Charles-Antoine Gautier, Directeur général, David Beauvisage, Directeur général adjoint, et Régis Taisne, Chef du Département Cycle de l'eau, de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)
M. Olivier Henno, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de MM. Charles-Antoine Gautier, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), David Beauvisage, directeur général adjoint, et Régis Taisne, chef du département cycle de l'eau.
Le Sénat a décidé de la constitution d'une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.
Ce type de formation entraîne un certain formalisme juridique.
Avant de vous donner la parole, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Charles-Antoine Gautier, David Beauvisage et Régis Taisne prêtent serment.
Je vous remercie également de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts.
Nous vous donnerons la parole pour une courte introduction avant que le rapporteur et les membres de la commission d'enquête vous posent des questions.
Je vous présente mes excuses, car je devrai m'absenter à 18 heures. En mon absence, Bernard Buis assurera la présidence.
Je laisse tout d'abord la parole au rapporteur pour qu'il vous présente les axes de travail de notre commission d'enquête.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Notre commission d'enquête a auditionné de nombreux élus et associations d'élus pour comprendre la place que prenait la transition dans le budget des collectivités. Le point de vue de votre Fédération nous semble particulièrement intéressant. Je vous laisse la parole pour répondre au questionnaire que nous vous avons envoyé, puis nous échangerons ensuite.
M. Charles-Antoine Gautier. - La FNCCR est une fédération de collectivités locales. Nous gérons l'essentiel des services publics locaux en réseau : l'énergie (électricité, gaz, chaleur, froid), l'éclairage public, la mobilité décarbonée, les déchets, l'eau et l'assainissement et, depuis quelques années, le numérique.
Nous fédérons les acteurs et essayons de partager les bonnes pratiques des collectivités pour permettre à chacune de progresser. Nous proposons des modèles de contrats, que nous gérons pour les collectivités avec les grands opérateurs énergétiques. Les modèles sont déclinés localement avec Enedis, EDF, GRDF et les différents opérateurs énergéticiens. Nous mettons également à disposition des accords-cadres et propositions de conventions liées à la transition énergétique.
Nous accompagnons les territoires sur la mobilité décarbonée. Nous nous sommes investis auprès des services de l'État pour la mise en place de schémas directeurs des infrastructures de recharge pour véhicules électriques. Nous sommes force d'animation et de relais auprès des collectivités, au plus près de la population, pour enclencher les dynamiques territoriales avec nos adhérents.
Notre Fédération est aussi un organisme de formation certifié Qualiopi. Nous formons les agents et les élus afin qu'ils s'inscrivent dans la dynamique. Nous mettons à disposition des collectivités divers guides et ressources.
Récemment, nous nous sommes engagés dans le programme ACTEE (Action des Collectivités Territoriales pour l'Efficacité Énergétique), qui soutient la rénovation énergétique des bâtiments publics. Avec l'appui de notre réseau d'économes de flux, nous dynamisons les études sur les territoires et accompagnons les projets. Chaque euro d'aide permet de générer dix euros d'investissement sur le terrain. L'effet multiplicateur est important.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Financez-vous les projets ou intervenez-vous uniquement sur le volet « étude » ?
M. Charles-Antoine Gautier. - Nous intervenons dans la partie études et accompagnement. Actuellement, 340 économes de flux sont déployés sur le terrain pour apporter une ingénierie territoriale aux élus et aux équipes municipales. Ils les aident dans la rénovation de leurs bâtiments - écoles, salles des fêtes, théâtres, piscines, etc. Cet appui permet un investissement dix fois supérieur à ce qui est initialement prévu.
M. David Beauvisage. - Notre Fédération compte environ 850 adhérents de tous statuts, en tête desquels se trouvent les grands syndicats d'équipements départementaux (en matière d'énergie, d'eau et d'assainissement) ainsi que des EPCI à fiscalité propre (communautés de communes, métropoles et départements). La semaine dernière, nous avons rencontré une partie de nos élus et adhérents, qui nous ont remonté leurs ressentis sur la situation actuelle.
Les élus constatent un écart grandissant entre les objectifs des politiques publiques nationales présentées comme prioritaires - notamment la transition écologique - et les moyens financiers alloués pour les atteindre. Ils comprennent les contraintes budgétaires, mais font plusieurs constats. S'ils comprennent les contraintes budgétaires qui s'imposent à tous, ils dressent plusieurs constats et émettent des propositions.
Tout d'abord, le remplacement de certaines taxes par des dotations de l'État est perçu comme une recentralisation et une atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Prenons l'exemple de la réforme des taxes locales sur l'électricité, adoptée dans la loi de finances 2021 pour répondre à une injonction de la Commission européenne sur les atteintes réelles ou supposées au droit de la concurrence. Le texte intègre ces taxes à composante locale et départementale dans l'accise nationale sur l'électricité. En tant qu'autorité organisatrice de la distribution d'électricité, les grands syndicats d'énergie perçoivent une fraction de la taxe communale à la place de leur commune membre - à titre obligatoire pour les communes de moins de 2 000 habitants ou à titre facultatif pour les communes classées en régime urbain au titre de leur population. Auparavant, un système de modulation locale des tarifs s'appliquait. La directive sur la taxation de l'énergie n'autorise pas les modulations tarifaires à une maille infra-régionale. La réforme qui a suivi a ainsi supprimé l'autonomie fiscale locale de modulation des tarifs.
Par ailleurs, plusieurs décisions récentes semblent en contradiction avec les engagements écologiques du pays. La baisse des crédits alloués au fonds Vert et au fond Chaleur impacte directement les projets des collectivités et risque de retarder l'atteinte des objectifs fixés.
Des projets en cours ou envisagés sont affectés par ces décisions.
Une Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie est actuellement examinée par l'Assemblée nationale. Elle contient des objectifs précis par filière. Cependant, je constate un décalage entre ces objectifs et les moyens alloués, particulièrement pour les projets nécessitant un soutien de la puissance publique en vue d'atteindre un certain niveau de rentabilité et d'acceptabilité.
Nos adhérents dénoncent ces politiques de « stop-and-go » : des filières sont activement soutenues par le biais d'aides financières brutalement supprimées après quelques années. Tous les projets locaux pensés en intégrant ces soutiens se trouvent impactés. Ces volte-face apparaissent contradictoires, voire schizophréniques. Les objectifs de communication sont maintenus, mais les moyens ne sont pas donnés de les atteindre.
Prenons l'exemple de l'arrêté tarifaire S21 pour les installations photovoltaïques. Ce texte, qui fixait les conditions d'achat de l'électricité produite, a été remplacé sans concertation ni études préalables. Les conditions définies dans le nouvel arrêté (Arrêté du 26 mars 2025 modifiant l'arrêté du 6 octobre 2021 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l'énergie solaire photovoltaïque, d'une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts telles que visées au 3° de l'article D. 314-15 du code de l'énergie et situées en métropole continentale) se révèlent bien moins avantageuses. Des syndicats d'énergie avaient investi plusieurs millions d'euros dans des panneaux photovoltaïques et se retrouvent en difficulté pour les exploiter.
Les changements de cap sont trop souvent décidés sans concertation ni études préalables.
Autre exemple : le compte d'affectation spéciale (CAS) « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (FACÉ). Ce dispositif de péréquation des charges d'investissement sur les réseaux de distribution d'électricité compense l'absence de rentabilité des investissements en zone rurale lorsque les travaux sont réalisés par les collectivités, sous leur maîtrise d'ouvrage. Dans une logique de simplification, de gestion et de sécurisation juridique, un changement d'allocation budgétaire a été décidé cette année, sans véritable concertation. Certes, l'enveloppe du CAS a été revalorisée - passant de 360 à 365,3 millions d'euros -, mais elle n'avait pas évolué depuis 2012, malgré l'inflation. D'ici 2040, les travaux de résilience et d'adaptation des réseaux aux enjeux de la transition énergétique sont estimés à 96 milliards d'euros pour Enedis, autant pour RTE, et 20 milliards pour les autorités concédantes. Si nous ne nous donnons pas les moyens de réussir la transition, les délais de raccordement des énergies renouvelables (EnR) continueront à s'allonger. Dans 95 % des cas, les réseaux ne sont pas en mesure d'accueillir les productions injectées. Cette situation est mal vécue par les acteurs de terrain.
M. Régis Taisne. - Sur le volet de l'eau, le petit cycle (correspondant aux services publics d'eau et assainissement) comme le grand cycle (eau pluviale, ruissellement, érosion, GEMAPI, trait de côte) sont face à un mur d'investissement. Ce besoin est lié au renouvellement d'équipements anciens, aux adaptations parfois substantielles des ouvrages face au dérèglement climatique et à la crise de biodiversité et aux traitements supplémentaires des eaux usées. Nous estimons les besoins d'investissement additionnels entre trois et cinq milliards d'euros par an à horizon 2030-2035, soit 50 à 100 % de l'investissement actuel.
Nous faisons également face à une augmentation des coûts d'exploitation pour le traitement. À titre d'exemple, une station de traitement des PFAS et de pesticides complexes multiplie par trois la consommation d'énergie et le prélèvement d'eau pour les besoins spécifiques des usines.
Nous sommes soutenus par les agences de l'eau. Toutefois, la loi de finances n'a pas suivi les objectifs du plafond mordant, le plan Eau prévoyant initialement 175 millions d'euros supplémentaires à compter de 2025. Compte tenu de la suppression de la prime d'épuration, le petit cycle de l'eau accuse également une baisse par rapport au onzième programme des agences de l'eau. Alors que trois à six milliards d'euros doivent être trouvés chaque année, nous observons une tendance à la baisse des moyens alloués aux agences de l'eau.
Le grand cycle de l'eau est également en fragilité. Si le fonds Barnier a été légèrement revalorisé, nous restons en deçà des dépenses supplémentaires et des objectifs.
- Présidence de M. Bernard Buis, vice-président -
M. Régis Taisne. - En matière de libre administration, les choses s'adaptent plutôt bien sur le petit cycle de l'eau. Des souplesses gagneraient toutefois à être accordées sur les règles de tarification, qui demeurent très contraintes et limitent la capacité des collectivités d'adapter leurs stratégies de financement de moyen et long termes en fonction des types d'usage, notamment pour les usages intermittents.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?
M. Régis Taisne. - En matière de tarification, nous distinguons les habitations au sens large, sans pouvoir différencier la tarification des résidences principales de celle d'autres types d'habitation. Or, les résidences saisonnières coûtent cher en investissement puisque les infrastructures doivent être dimensionnées pour la journée de pointe, souvent en période où les ressources sont les plus limitées.
Sur le grand cycle de l'eau, nous observons une tentation de l'État de reprendre la gouvernance des comités de bassin et des conseils d'administration des agences de l'eau. La faible mobilisation des élus et des autres secteurs dans ces instances est souvent relevée. Nous l'expliquons par le fait que ces comités de bassin deviennent de simples chambres d'enregistrement ou des chambres des pleurs.
La tentation est également grande d'organiser le cycle de l'eau de manière uniforme. Intellectuellement, il n'y a rien à redire. Pour autant, l'échelle du bassin versant n'est pas nécessairement la plus adaptée, car elle ne prend pas en compte les eaux souterraines. En outre, les périmètres géographiques diffèrent souvent. Il n'est pas opportun de superposer des choses différentes pour les intégrer dans un même périmètre administratif et géographique. Par ailleurs, tous les territoires ne sont pas encore sensibles ou en tension extrême ; il n'apparaît pas opportun de forcer les parties prenantes à constituer des clés et à s'engager sur des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, dans une vision purement administrative, sans stratégie politique. Cela revient à mettre en place un outil sans avoir préalablement conduit un diagnostic et organiser les discussions. In fine, les structures sont des coquilles vides.
Il convient d'inciter les territoires à prendre conscience des enjeux, sans entrer dans une logique purement administrative et uniforme.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Pouvez-vous préciser l'impact sur les finances des collectivités de l'intégration des taxes locales dans l'accise nationale ?
M. David Beauvisage. - Selon le rapport de la Cour des comptes relatif à la santé financière des collectivités, la taxe perçue par les syndicats d'énergie a fortement augmenté en 2024. Or, cette hausse est due au chevauchement entre l'ancien système - dans lequel les fournisseurs versaient directement la taxe aux collectivités - et le système réformé - qui transfère le recouvrement aux services fiscaux. Ainsi, en 2023, les services fiscaux ont versé aux collectivités un montant basé sur celui de l'année précédente actualisé de l'inflation. Dans le même temps, les collectivités ont continué à percevoir des impayés et des régularisations, gonflant artificiellement le montant.
L'accise est à corréler au rendement et à la consommation d'électricité sur le territoire. La consommation est aujourd'hui atone et retrouve ses niveaux d'il y a 20 ans. Les syndicats d'énergie - qui perçoivent une fraction de la part communale de l'accise sur l'électricité - constatent une très légère hausse du montant de taxe perçu. Seule la répercussion de l'inflation a permis de maintenir un certain niveau. L'inflation s'étant réduite, les collectivités s'attendent, au global, à une baisse des montants perçus.
La taxe s'élève à environ 800 millions d'euros. Les syndicats d'énergie ne la perçoivent pas nécessairement pour leur propre compte, mais la reversent à leur commune. Nous estimons ces reversements entre 250 et 300 millions d'euros. Le système est vertueux, car le reste est directement investi pour mettre à niveau les réseaux, les rendre plus résilients, les adapter à la transition énergétique ou encore développer les services d'ingénierie technique et financière. Dans ce cadre, le syndicat d'énergie a recruté pour aider les communes dans ces domaines.
M. Charles-Antoine Gautier. - Nous parvenons à porter des programmes lorsque la massification est importante. Ce fonctionnement est très efficace dans les différents services d'activité gérés avec nos adhérents.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Vous évoquiez le « stop-and-go » dans les politiques publiques de soutien. Constatez-vous, du fait de ces aléas, un ralentissement du nombre de projets et des volontés d'investissement de vos adhérents ?
M. Charles-Antoine Gautier. - Oui. L'arrêté S21 sur le photovoltaïque a donné un sérieux coup de frein aux projets. Plusieurs collectivités avaient investi dans du matériel via des achats groupés et se retrouvent avec un stock conséquent. Beaucoup avaient également investi dans l'humain en procédant à des recrutements. L'équilibre économique est quelque peu rompu par la soudaineté de ces décisions - voir leur rétroactivité. Nous n'avons pas encore quantifié ce phénomène, mais nous observons un retour en arrière. Cette tendance est accentuée par le fait qu'en fin de mandat, les élus réinterrogent toujours les projets à prioriser.
M. Régis Taisne. - Dans le même temps, une nouvelle directive européenne sur l'assainissement fixe une obligation de neutralité énergétique des services d'assainissement, à 80 % minimum - les 20 % restants devant provenir de l'achat d'électricité verte. En freinant les possibilités de déployer la méthanisation sur les boues d'épuration, le photovoltaïque sur les bâtiments ou la récupération de chaleur, nous n'atteindrons jamais les objectifs de 20 % d'autoproduction à horizon 2030 et 80 % à horizon 2045. Les projets de 2030 doivent être engagés aujourd'hui. Sans visibilité, les collectivités et leurs exploitants attendent ou s'engagent avec un modèle économique fragilisé.
M. Charles-Antoine Gautier. - Nous observons également un recul en matière d'éclairage public. Le fonds Vert a créé un engouement et une prise de conscience chez les collectivités. Leurs efforts, notamment dans la conversion progressive de l'éclairage public en LED, ont significativement contribué à la sobriété énergétique. Les gains étaient visibles. Revenir sur le fonds Vert conduit les élus à s'interroger sur l'opportunité de s'engager dans ce domaine.
Les impacts sont similaires sur la mobilité décarbonée. Malgré un soutien initial fort de l'État au travers de l'ADEME et des plans d'investissement d'avenir, notamment, le modèle économique des collectivités dans les zones rurales reste fragile. En effet, la mobilisation s'est concentrée autour des grands axes autoroutiers et du secteur privé, négligeant les territoires reculés. La baisse du soutien financier conduit les élus à questionner la rentabilité du modèle.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Selon vous, cette situation remet-elle en cause les objectifs fixés au travers des stratégies de planification de l'État ?
M. Charles-Antoine Gautier. - Dans les zones d'accélération prévues par la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (APER), deux tiers des collectivités ont pris des délibérations. Dans le détail, près d'un tiers ne savait pas quoi répondre. La mise en route s'est faite à marche forcée.
Nous relevons un second point d'alerte sur la mise en place des schémas régionaux. Dans la gouvernance locale, le pilote a une « coiffe » régionale. Dès lors, le projet local n'est pas nécessairement pris en compte dans la dynamique régionale. S'ajoutent les problèmes de financement des réseaux, qui génèrent un engorgement des Schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR) sur l'ensemble des territoires.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - D'où vient ce blocage ?
M. Charles-Antoine Gautier. - La montée en puissance du sujet n'avait pas été anticipée. De fait, il n'y a plus suffisamment de capacité d'accueil pour les projets d'EnR. À certains endroits, un redimensionnement des postes sources est nécessaire pour décongestionner le réseau. Selon RTE, deux à trois postes source devraient être recréés dans chaque département. À raison de cinq à six ans de mise en oeuvre, la mise en musique prendra du temps.
M. Bernard Buis, président. - Une commune avait obtenu un permis de construire pour un projet photovoltaïque. Toutefois, le projet ne pourra pas se concrétiser, car le raccordement est impossible avant cinq ans. Or, ce délai dépasse la validité du permis.
M. Charles-Antoine Gautier. - De nombreux élus constatent que les projets de transition écologique dépassent la durée d'un mandat compte tenu du temps nécessaire pour mener les enquêtes, concerter les citoyens, travailler l'acceptabilité du projet ou encore organiser les marchés publics. Il devient difficile de se projeter, d'autant que la continuité des mandats est moins évidente que par le passé.
L'avantage de nos adhérents est leur capacité à mutualiser les ressources, notamment pour accompagner les PCAET, alors que l'ingénierie fait souvent défaut au niveau intercommunal.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Le dernier projet de loi de finances (PLF) a instauré un fonds territorial Climat pour accompagner les plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Vos adhérents se sont-ils approprié ce dispositif ?
M. David Beauvisage. - Nous avons pris acte de l'enveloppe de 200 millions d'euros allouée pour la mise en oeuvre des PCAET. Les syndicats d'énergie que nous représentons sont des acteurs opérationnels au service des territoires. Un dispositif législatif leur permet d'accompagner les communautés de communes dans l'élaboration de leur PCAET, sans se substituer à elles. Combien d'EPCI « obligés », dans des collectivités de plus de 20 000 habitants, ont effectivement adopté leur PCAET ? Les syndicats d'énergie accompagnent leurs membres. Ils s'attachent avant tout à la mise en oeuvre de projet à un stade opérationnel. Un acteur public local doit être capable de monter rapidement et sérieusement les dossiers, d'une part, et de mobiliser les entreprises, d'autre part. Beaucoup de préfets ont sollicité les syndicats d'énergie pour leur expertise technique et financière.
L'optimisation de l'ingénierie est un élément essentiel. Pour les effets d'échelle et la synergie, nous soutenons l'idée de reconnaître le rôle des grands syndicats d'énergie. Nous défendons l'optimisation de l'ingénierie par la coordination entre réseaux et la reconnaissance du rôle des grands syndicats d'énergie. Alors qu'un problème d'acceptabilité des projets d'EnR se pose, la force des syndicats d'énergie est d'avoir conservé une gouvernance dans laquelle les communes sont présentes. Disposer d'une structure de grande taille, spécialisée et impliquant les communes dans la gouvernance est un atout majeur.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - L'actuel mode de financement du cycle de l'eau permettra-t-il d'investir les trois à six milliards d'euros nécessaires chaque année ? Les coûts pourraient-ils être augmentés pour participer au financement ? D'autres modes de financement devront-ils être trouvés ?
M. Régis Taisne. - Ne nous faisons pas d'illusion : l'usager de l'eau et de l'assainissement sera le premier à payer puisqu'il s'agit d'un service public à caractère industriel et commercial financé par redevance. Pour autant, selon le principe du « pollueur payeur », les dépenses générées par d'autres activités devraient prendre en charge une partie des coûts. Tel devrait être en partie le cas en matière d'assainissement des eaux usées, la directive « Eaux résiduaires urbaines » du 27 novembre 2024 prévoyant la mise en place d'une redevance de responsabilité élargie du producteur sur une douzaine de micropolluants. Selon la directive, les producteurs concernés doivent prendre en charge 80 % des surcoûts de traitement - investissement et exploitation. Une procédure est engagée auprès de la Cour de justice de l'Union européenne de faire annuler cette disposition.
Les augmentations seront plus importantes dans les territoires ruraux, qui dépendent d'une multitude de petites ressources en eau et pour lesquels le traitement de l'eau potable peut conduire à un doublement du prix. Seules les grandes unités de production peuvent bénéficier d'économies d'échelles. Des mécanismes de solidarité ou de péréquation seront impératifs, à l'échelle nationale ou du bassin.
La France utilise très peu les fonds européens sur le secteur de l'eau, particulièrement sur le petit cycle. La Commission européenne fixe certaines contraintes puisque les États ne peuvent pas mobiliser les Fonds européen de développement régional (FEDER) sur tous les secteurs. En l'occurrence, l'eau se trouve systématiquement sur un secteur non aidé. Face aux enjeux d'adaptation et de pollution, notamment en milieu rural, des leviers européens devront être activés pour financer les trois à six milliards d'euros nécessaires. Sans ces moyens, le retard d'investissement s'accumulera et deviendra critique.
M. Bernard Buis, président. - D'autres pays mobilisent-ils mieux les fonds européens pour l'eau ?
M. Régis Taisne. - Oui, nos voisins, notamment les Belges, parviennent à mieux orienter leurs projets pour mobiliser ces fonds européens. Les nouveaux adhérents et les anciens pays du bloc de l'Est bénéficient par ailleurs d'aides spécifiques.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Souhaitez-vous conclure sur un sujet particulier ?
M. Charles-Antoine Gautier. - Je tiens à attirer votre attention sur les investissements à venir sur le numérique. Nous attendons le projet de loi sur la cybersécurité pour accompagner les collectivités dans la mise à niveau de leurs services publics locaux. Des investissements colossaux sont devant les collectivités de plus de 30 000 habitants pour se conformer aux exigences en matière de systèmes d'informations et de cybersécurité. Selon les premiers retours des territoires, une centaine de millions d'euros seront nécessaires à l'échelle du département. Le sujet de préoccupation est fort pour nos adhérents.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous avons bien identifié les incertitudes qui pèsent sur ce texte quant au soutien aux collectivités. Je vous remercie pour ces éléments.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 30.
Mercredi 11 juin 2025
- Présidence de M. Olivier Henno, président -
La réunion est ouverte à 16 h 45.
Audition de M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
M. Olivier Henno, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Monsieur le ministre, comme vous le savez, le Sénat a décidé de constituer une commission d'enquête dont l'objet est de travailler sur la libre administration des collectivités territoriales et le financement de services publics de proximité et de la transition écologique.
Votre audition vient conclure la première phase de notre programme de travail. Nous allons maintenant entrer dans une phase de rédaction du rapport et de finalisation de nos recommandations.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre réunion d'adoption du rapport se tiendra le mardi 8 juillet ainsi que nous en avions décidé lors de notre réunion d'orientation du 27 mai. L'heure de cette réunion n'est pas encore fixée, mais avec votre accord nous souhaiterions la fixer à 14 h 30. À la même heure, le Sénat devrait examiner en séance, en deuxième lecture, la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.
À l'issue d'un délai de vingt-quatre heures suivant l'adoption de notre rapport, nous envisageons de tenir une conférence de presse, le mercredi 9 juillet après la séance des questions d'actualité au Gouvernement.
Le rapport sera mis à la disposition des commissaires la semaine précédant son adoption et sera consultable. Je rappelle les règles applicables en la matière : la prise de connaissance du rapport s'effectuera dans une salle de réunion retenue à l'avance, en présence d'un fonctionnaire de la commission. Le rapport ne sera donc pas adressé en amont de la réunion par voie électronique. Il serait souhaitable que vous puissiez vous organiser afin que vos éventuelles demandes de modifications puissent être transmises au président et au rapporteur en amont de notre réunion de publication, cela afin de pouvoir respecter le délai de vingt-quatre heures entre l'adoption du rapport et sa publication.
Monsieur le ministre, toute commission d'enquête entraine un certain formalisme juridique.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Rebsamen prête serment.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - La libre administration des collectivités semble menacée par plusieurs réformes, notamment de la fiscalité locale. L'autonomie financière des collectivités territoriales a été fragilisée. Une forme de défiance s'est installée entre les élus locaux et le Gouvernement. Les échanges ont d'ailleurs été vifs durant l'examen du projet de loi de finances. Les élus locaux ont l'impression que le Gouvernement leur demande de payer pour l'impéritie de l'État.
Parallèlement, des besoins de financement nouveaux apparaissent. Je pense en particulier à la transition écologique. La stratégie de l'État en ce domaine repose beaucoup sur les collectivités. Nous avons donc besoin de trouver les moyens de reconstruire la confiance entre l'État et les collectivités territoriales, et de jeter les bases d'un modèle garantissant une meilleure prévisibilité financière à l'avenir, qui servira de support à la programmation des investissements futurs.
Nous attendons donc, monsieur le ministre, des éclairages sur le prochain budget, même si les arbitrages n'ont pas encore été rendus. Une éventuelle réforme du pilotage des finances publiques locales est-elle prévue ? Nous avons des propositions à vous soumettre sur ce point.
Je profite enfin de votre présence parmi nous pour vous demander de bien vouloir donner la consigne à votre cabinet et à la direction générale des collectivités locales (DGCL) de nous transmettre leurs réponses au questionnaire que nous leur avons envoyé.
M. François Rebsamen, ministre. - Je suis très heureux de m'exprimer aujourd'hui sur des sujets tels que la libre administration des collectivités territoriales, le financement des services publics de proximité ou la transition écologique, qui sont, en effet, essentiels pour la démocratie locale et pour l'action publique.
J'aborderai d'emblée le coeur du sujet, afin de clarifier une position de principe du Gouvernement : non seulement celui-ci s'engage à respecter et à faire respecter le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, mais il y voit également un gage d'efficience, de rationalisation et, in fine, de succès.
La libre administration des collectivités territoriales, c'est d'abord, selon moi, la subsidiarité. J'ai la conviction que les solutions issues du terrain sont bien souvent plus adaptées que la norme générale. L'enjeu est de redonner aux collectivités locales le pouvoir d'agir. La libre administration des collectivités territoriales est donc bien plus qu'une norme à valeur constitutionnelle ; c'est une manière de faire, une garantie de bon sens, d'utilisation optimale des ressources et de réponse appropriée aux attentes de nos concitoyens.
J'ai été élu local et maire pendant vingt-cinq ans. J'ai toujours été un fervent défenseur de la décentralisation - il est d'ailleurs significatif que ce terme apparaisse dans l'intitulé même de mon ministère. Mon objectif est de renforcer l'autonomie des collectivités territoriales, en leur redonnant du pouvoir. L'effort de décentralisation constitue l'une des meilleures réponses aux critiques relatives à une prétendue impuissance des pouvoirs publics. En préservant les leviers à la main des élus locaux et en en inventant de nouveaux, on permet l'émergence de solutions locales, adaptées aux besoins et perceptibles par nos concitoyens.
Redonner du pouvoir d'agir aux collectivités, c'est confier les commandes aux responsables de terrain, aux élus. Je ne crois pas que l'on puisse administrer un grand pays comme la France depuis Paris. Les élus vivent sur leur territoire. Ils sont, de fait, comptables de l'action publique. Dès lors, si les maires doivent assumer les succès et les échecs des politiques publiques face à leurs administrés, il faut garantir qu'ils en soient bien les initiateurs.
L'autonomie financière des collectivités territoriales, principe inscrit à l'article 72 de la Constitution, se mesure à travers plusieurs indicateurs, parmi lesquels figure la part des ressources propres sur lesquelles les collectivités ont un pouvoir de décision. Contrairement à certaines idées reçues, cette part augmente, ce qui démontre que l'État n'a pas rogné l'autonomie financière des collectivités. En vingt ans, le ratio d'autonomie financière, tel qu'il a été défini par la loi organique du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, est ainsi passé de 61 % à 73 % pour le bloc communal.
La suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales a été compensée à l'euro près pour les collectivités, ce qui représente un montant de 3,7 milliards d'euros en 2021. Cette compensation préserve, grâce à l'instauration d'un coefficient correcteur, le bénéfice de la dynamique des bases fiscales et des choix de politique fiscale locale. Les communes ont bénéficié du transfert de la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), tandis que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont reçu une fraction de la TVA. Ces mécanismes ont été conçus pour garantir la stabilité des ressources des collectivités, tout en tentant de simplifier notre système fiscal.
Certes, toutes ces ressources propres ne sont pas directement pilotables par les collectivités elles-mêmes. C'est l'un des sujets majeurs auxquels il nous appartiendra de répondre collectivement. Pour ma part, dans le contexte actuel, j'estime qu'il est prioritaire de redonner une prévisibilité pluriannuelle aux collectivités sur les ressources dont elles disposent. C'est l'un des axes forts des travaux en cours de la conférence financière des territoires, qui se poursuivront jusqu'à la fin du mois de juin. Une réforme fiscale de plus grande ampleur sera nécessaire lorsque les conditions politiques seront réunies.
En attendant, les collectivités font face à de vrais défis : une réduction de leur liberté de fixation des taux et une augmentation des contraintes et des normes auxquelles elles sont soumises. Or, lorsque l'on tente de lever ces contraintes, on se heurte souvent au « gardien de la niche » que l'on souhaite réformer - pour reprendre l'image que j'ai utilisée précédemment.
C'est précisément pour répondre à ces enjeux que nous avons mis en oeuvre certaines actions concrètes, qui témoignent de notre engagement en la matière. Nous avons ainsi lancé un « Roquelaure de la simplification », avec la volonté de réduire les contraintes administratives qui pèsent sur les collectivités. M. Boris Ravignon m'a ainsi remis un rapport, dans lequel il était proposé de rendre facultatifs les centres communaux d'action sociale (CCAS) pour les communes de moins de 1 500 habitants. Je précise que le Gouvernement n'a jamais eu la volonté de déposer un amendement en ce sens.
Nous nous efforçons de lever les contraintes administratives, de rendre aux collectivités une marge de manoeuvre dans le processus de décision.
Dans le cadre de la conférence financière des territoires, quatre groupes de travail ont été mis en place : sur la situation financière des départements, les modalités des relations financières entre l'État et les collectivités, la fonction publique territoriale et la prévisibilité pluriannuelle des recettes. J'espère que ces travaux permettront de définir, avec les collectivités, des solutions durables et équitables, pour les impliquer dans le redressement de nos finances publiques.
Je suis convaincu que nous devons également redonner aux collectivités un pouvoir en matière de taux. Cela signifie qu'elles doivent pouvoir décider plus librement de l'utilisation de leurs ressources, dans le respect de leurs compétences et de règles claires. Cette simplification et cette clarification sont essentielles pour parvenir à une gestion plus efficace et responsable de nos finances publiques.
Au-delà des aspects financiers, il faut créer un modèle de gouvernance qui laisse la possibilité aux territoires d'agir : il importe de faire confiance a priori aux élus locaux et aux habitants. La différenciation n'est pas un gros mot. L'adaptation des normes doit être possible, y compris par la voie de dérogations, lesquelles pourraient être édictées par les préfets de département. Cela peut se faire sans porter atteinte au principe d'égalité ni renoncer à la volonté de réduire les fractures territoriales.
Les préfets doivent pouvoir répondre aux enjeux locaux. C'est pourquoi nous suivons avec une attention particulière le parcours au Parlement de la proposition de loi visant à renforcer et sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation afin d'adapter les normes aux territoires, qui a été déposée par Rémy Pointereau et Guylène Pantel.
Le Gouvernement engagera, de son côté, un nouvel effort de déconcentration. En donnant des marges d'action aux préfets, on leur permet de mieux répondre aux enjeux locaux. Les préfets ne sont pas que des délégués territoriaux de certaines agences...
Il nous faut également encourager les expérimentations, ainsi que leur évaluation. Donner aux territoires la possibilité de tester des solutions nouvelles comporte sans doute un risque d'échec, mais cela permet de mesurer la prise de risque.
Cette autonomie, corollaire de la liberté, doit cependant s'accompagner d'une responsabilité accrue. C'est l'esprit même de la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, qui repose sur les principes de liberté et de responsabilité. Les élus locaux doivent assumer leurs choix devant les électeurs, sans systématiquement solliciter l'État pour des financements supplémentaires.
Finalement, l'État, les collectivités locales et les caisses de sécurité sociale sont tous sur le même bateau, celui des administrations publiques. Nous devrons oeuvrer ensemble pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques, dont l'état, permettez-moi cette litote, n'est pas au beau fixe. La situation financière de notre pays est semblable à celle d'un navire qui navigue en eaux troubles et qui est secoué par les flots en raison du gros temps. Nous devons tous contribuer à l'effort de redressement des finances publiques, sans nous réfugier derrière des nomenclatures comptables. La solidarité entre les différents niveaux de collectivités est plus que jamais nécessaire. Toutes les contributions sont les bienvenues à cet égard.
Enfin, je tiens à souligner notre engagement en faveur de la transition écologique, domaine dans lequel les collectivités locales jouent un rôle clé, car, en réalité, tout se joue sur le terrain. Si des décisions sont prises au niveau national, ce sont les collectivités territoriales qui agissent concrètement, grâce, le cas échéant, aux dotations d'investissement.
Le fonds vert, instrument entièrement dédié à la transition écologique, a mobilisé 1,6 milliard d'euros en 2024 - 100 % des autorisations d'engagement disponibles ont été consommées. Depuis 2023, le soutien de l'État à l'investissement des collectivités dans ce domaine s'élève à 3,6 milliards d'euros. Ce dispositif, fortement soutenu par le Président de la République, a fait ses preuves. Il n'existait aucun mécanisme d'une telle ampleur auparavant.
En 2023, 9 000 projets ont été financés en France, pour un coût total de plus de 10 milliards d'euros. Ces projets ont bénéficié de 534 millions d'euros de subventions, ce qui représente plus de 25 % des crédits ouverts au titre de quatre dotations : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) et la dotation politique de la ville (DPV).
La transition écologique est un objectif transversal qui doit irriguer toutes les politiques publiques. Les projets que j'ai évoqués s'inscrivent dans différents domaines. Plus de 3 000 dossiers de rénovation énergétique de bâtiments publics ont été subventionnés, pour réaliser des gains énergétiques moyens de 55 %. Plus de 950 dossiers de renaturation de villes et de villages ont permis de renaturer 610 hectares. Enfin, plus de 670 projets de recyclage de friches ont été accompagnés : 1 200 hectares ont ainsi été recyclés, ce qui a permis la création de 30 000 logements et de libérer 1,6 million de mètres carrés pour de nouvelles activités.
En conclusion, je réaffirme l'engagement du Gouvernement en faveur de la libre administration des collectivités territoriales. Nous travaillons à renforcer leur autonomie financière et à simplifier les normes qui pèsent sur elles - des normes qui sont souvent issues d'une loi bavarde. Cette autonomie doit s'accompagner de responsabilités partagées, dans l'intérêt de tous nos concitoyens. Notre engagement pour la transition écologique, illustré par le financement de milliers de projets verts, témoigne de notre détermination à construire ensemble un avenir durable et respectueux de l'environnement.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur les différentes réformes de la fiscalité locale ? Les collectivités locales ont l'impression d'être victimes d'une double peine. Alors qu'elles ont perdu un grand nombre de leviers fiscaux, certes avec des compensations, elles doivent aujourd'hui contribuer au redressement des finances publiques. L'État a mené des réformes de la fiscalité locale et il demande maintenant aux collectivités de participer au financement de ces mêmes réformes, parce que le budget dérive ! Quelle est votre analyse sur ce sentiment qui s'installe chez des élus à qui l'on demande des efforts, alors qu'on les a privés de leurs leviers d'action ?
M. François Rebsamen, ministre. - Vous avez raison, la question de la participation des collectivités locales au redressement des finances publiques fait débat. Deux discours s'expriment aujourd'hui. Le premier, porté notamment par des associations d'élus, telles que l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) consiste à dire que les collectivités ne peuvent pas participer à cet effort de redressement des comptes publics, parce que l'État leur a retiré des recettes, et notamment celles qui provenaient de la taxe d'habitation. Le second discours, que je tenais moi-même il y a encore un an en tant que président de la commission « finances et fiscalité » de France urbaine, consiste à dire que les collectivités ne peuvent se soustraire à cet effort, mais que leur participation doit être raisonnable et raisonnée.
Le Président de la République avait annoncé, durant la campagne électorale, qu'il supprimerait la taxe d'habitation s'il était élu. Initialement, le dégrèvement ne concernait que 80 % des foyers, mais la réforme a été amplifiée ensuite, au nom du principe d'égalité, pour répondre aux exigences du Conseil constitutionnel, et tous les ménages ont été exonérés. Il ne faut pas oublier toutefois que 30 % à 35 % de nos concitoyens ne payaient déjà plus cet impôt. Cette mesure a représenté un gain de pouvoir d'achat indéniable, mais elle a également fragilisé nos finances publiques. Je comprends donc ceux qui tiennent le premier discours.
Pour autant, cette décision a été, d'une certaine manière, approuvée par le peuple français lors de l'élection présidentielle, puisque la mesure avait été annoncée durant la campagne. Je remarque d'ailleurs qu'aucun de ceux qui dénoncent cette mesure ne propose de rétablir cet impôt.
Toutefois, on a rompu le lien qui existait entre les ressources locales et les citoyens. Désormais, l'impôt local ne repose quasiment plus que sur la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), qui pèse sur une proportion très variable des habitants en fonction des lieux. Dans certaines communes, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), la part des propriétaires est faible. Dans certaines communes, cette part n'est que de 27 % ou 28 %. L'impôt local pèse alors sur une fraction très restreinte de la population.
À titre personnel, j'estime que cette rupture du lien fiscal sera intenable sur la durée. C'est pourquoi j'avais émis l'idée d'instaurer une contribution locale, qui ne serait pas une nouvelle taxe d'habitation, dont les défauts et l'injustice étaient réels, mais une contribution modeste qui permettrait de rétablir le lien entre les citoyens et le service public, tout en redonnant du sens à ce dernier. Nos concitoyens risquent en effet de considérer que le service public est gratuit. Mon idée a été reprise par de nombreuses associations d'élus et je suis convaincu qu'elle fera son chemin.
Vous avez également évoqué la question de la prévisibilité des ressources pour les collectivités locales. Je ne pense pas que la libre administration des collectivités territoriales soit menacée, à condition évidemment que nous sachions redresser nos finances publiques. Toutefois l'État central est tenu de respecter certains engagements internationaux ; il doit notamment ramener le déficit sous le seuil des 3 % du PIB. Il est normal qu'il associe les collectivités à la réflexion sur la trajectoire des finances publiques, dans la mesure où il finance une part du budget des collectivités territoriales.
Encore faudrait-il toutefois que l'État respecte la parole qu'il a donnée. Le non-respect de cette parole est, à mon sens, l'une des causes de l'apparition de tensions entre les collectivités et les administrations centrales. C'est pourquoi la première des mesures que je proposerai cette année sera le remboursement, conformément aux engagements pris, d'un tiers des sommes versées au titre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico). Si l'État ne tenait pas parole sur ce point, il serait quasiment impossible de poursuivre une réflexion commune avec les élus.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Que l'État tienne parole, voilà qui me semble être la moindre des choses ! Mais je vous remercie de préciser ce point.
Vous avez évoqué les travaux en cours pour instaurer une prévisibilité pluriannuelle, qui pourrait prendre la forme d'une contractualisation. Or les associations d'élus gardent un mauvais souvenir des contrats de Cahors. Quelle forme pourrait prendre cette nouvelle contractualisation entre l'État et les collectivités ?
M. François Rebsamen, ministre. - Nous pourrions sans doute annexer à la loi de finances une trajectoire prévisionnelle des finances locales, qui serait définie en commun avec les collectivités locales. Cela permettrait de donner de la visibilité à ces dernières, notamment sur les dotations d'investissement. En ce qui concerne les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, les strates de la dotation globale de fonctionnement (DGF) continuent de s'accumuler et de se sédimenter.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - C'est vrai.
M. François Rebsamen, ministre. - Lorsque j'étais sénateur, nous avions demandé la réalisation d'une étude de la DGF, je crois qu'elle est toujours d'actualité.
Il convient aussi de tenir compte du cycle électoral, qui joue un rôle important pour l'investissement. Je n'ai pas encore rencontré la ministre des comptes publics. Je la rencontrerai la semaine prochaine. Je m'exprime donc à titre personnel sur ce point. Si l'on se fie au modèle des cycles électoraux, on peut s'attendre à ce que l'année prochaine ne soit pas celle où les subventions d'investissement seront les plus utilisées, car les nouvelles équipes municipales devront d'abord élaborer leur programme pluriannuel d'investissement (PPI). Cela nous laisserait une marge de manoeuvre pour établir une trajectoire ascendante des subventions d'investissement sur la durée du mandat. Si un accord était trouvé et si l'État respectait ses engagements sur le remboursement d'un tiers du Dilico - ce qui est essentiel pour recrédibiliser sa parole -, nous pourrions avancer ensemble et annexer cette programmation à la loi de finances. Telle est la forme de prévisibilité que j'estime possible.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Dans la réflexion sur la libre administration se pose la question des compétences obligatoires ou contraintes. Celles-ci s'accompagnent souvent de dépenses non pilotables. Je pense notamment aux dépenses sociales, qui pèsent lourd dans les budgets des départements et dont le financement a été adossé à des ressources volatiles, comme les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Ne faudrait-il pas remettre à plat l'ensemble des compétences des collectivités pour mieux assurer leur financement, afin d'éviter un « crash », alors que les chiffres sur l'épargne des départements sont très inquiétants ?
M. François Rebsamen, ministre. - La part des dépenses sociales dans le budget des départements est en effet de plus en plus importante. Ceux-ci ne veulent cependant pas être cantonnés à ce seul rôle ; ils ont d'autres compétences, en matière de voirie, de soutien aux EPCI, d'école, de culture, de tourisme, de gestion des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), etc. Le financement de ces dépenses est parfois partagé entre les départements et le bloc communal.
Cette situation ne pourra pas perdurer. Cependant, une réforme ne pourra pas se faire sans un grand débat, qui, espérons-le, aura lieu lors des prochaines élections présidentielles. En attendant, nous faisons du rafistolage. Nous avons ainsi donné la possibilité aux départements d'augmenter de 0,5 % le taux des DMTO. Or les départements qui ont le plus de charges sociales par habitant sont souvent ceux qui perçoivent le moins de DMTO ! Les dépenses sociales augmentent d'environ 6 % par an en moyenne, mais les dépenses sociales par habitant sont souvent plus importantes dans les départements les plus pauvres, pour des raisons historiques : je pense par exemple au recours aux nourrices dans la Nièvre, aux foyers pour handicapés dans l'Yonne, etc.
La seule ressource propre des départements est donc devenue les DMTO. La hausse de 0,5 % des DMTO devrait rapporter entre 350 et 650 millions d'euros selon Bercy, mais l'estimation est difficile à réaliser. Il serait judicieux de mettre en place une péréquation horizontale. Sinon, nous continuerons d'appauvrir les départements les plus pauvres et d'enrichir les plus riches. On compte deux départements très riches, Paris et les Hauts-de-Seine, puis les départements se répartissent en trois tiers, en fonction de leur richesse. Mais dans le premier tiers, certains départements sont également très riches.
La hausse des DMTO permettra donc de colmater les brèches à court terme, mais elle ne résoudra pas le problème de fond : les dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité continueront de progresser, indépendamment des recettes. Des solutions ont été avancées, comme l'affectation d'une part de la TVA - mais il s'agit d'une recette indexée sur le cycle économique - ou d'un point de contribution sociale généralisée (CSG) - qui pourrait rapporter 19 milliards d'euros, mais qui aurait l'inconvénient de cantonner les départements à l'action sociale.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - J'ai l'impression que vous partagez nos conclusions : le mode de financement des collectivités locales est arrivé à bout de souffle. La défiance des élus naît aussi d'un manque de transparence de la part de l'État. Ne faudrait-il pas, comme le proposait Éric Woerth dans son rapport sur la décentralisation, créer une instance qui, à l'image du Conseil d'orientation des retraites (COR), pourrait objectiver les trajectoires financières des collectivités, avec des données transparentes et fiables ? Ce conseil d'orientation des finances locales remplacerait le Comité des finances locales (CFL) et les autres instances existantes en ce domaine.
M. Olivier Henno, président. - Si l'on recréait un lien fiscal entre les collectivités et le citoyen, par exemple au travers d'une contribution assise non seulement sur les valeurs locatives, mais aussi sur le revenu, n'accentuerait-on pas ainsi les écarts entre les départements riches et les départements pauvres ? Cela rendrait la péréquation encore plus nécessaire.
M. François Rebsamen, ministre. - Les strates de collectivités connaissent des situations très différentes. Pour les régions, tout dépend de la gestion qui est faite. Quant aux départements, certains sont à bout de souffle. Le bloc communal, pour sa part, ne s'en sort pas trop mal. Les taux d'épargne, très dégradés pour les départements, sont confortables pour les communes ; ils ont peu évolué ces huit dernières années.
Concernant la question du président Henno, je propose de ne pas moduler la contribution selon l'impôt sur le revenu. Celle-ci doit être la même pour tous les citoyens d'une même commune, sachant qu'ils paient des taxes différentes en fonction de leur statut de locataire ou de propriétaire - le calcul se fait en fonction de la surface occupée et de la qualité de la maison.
Je ne peux pas toucher au Comité des finances locales, car son président s'appelle André Laignel. Il a autour de lui des élus et les services de l'État. Il rend des avis sur de nombreux sujets.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - C'est lui-même qui nous a parlé du manque de transparence des services de l'État.
M. François Rebsamen, ministre. - Il peut certes regretter parfois que les documents demandés n'arrivent pas assez vite. J'en conviens.
Nous pourrions renforcer ou valoriser le rôle du CFL, comme nous pourrions partager plus d'informations avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), notamment en matière de normes existantes et de modifications à apporter.
Dans les groupes de travail de la conférence financière des territoires, nous travaillons aussi avec les associations des directions générales des services, pour élaborer des propositions concrètes, disposer de données pluriannuelles et essayer d'avancer sur les rentrées fiscales et le partage des prévisions.
Les prévisions locales des directions régionales des finances publiques (DRFiP) et de la direction générale des finances publiques (DGFiP) sont moins fiables qu'auparavant : nous manquons de retours ; les bases n'évoluent pas alors que la population augmente ; les retards sont récurrents, et je constate un léger « brouillard » en matière de prévisions.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Parlons-nous franchement, monsieur le ministre. Vous cochez toutes les cases pour ce ministère, au regard de votre parcours. Vous savez de quoi vous parlez.
M. François Rebsamen, ministre. - C'est ma passion !
M. Jean-Raymond Hugonet. - Même si nous ne partageons pas les mêmes convictions politiques, je vous écoute toujours avec beaucoup d'intérêt.
Cela étant dit, étant élu local depuis plus de vingt-cinq ans, je précise que nous avons le sentiment que nous sommes gentiment menés en bateau. Ce que j'ai réalisé lors de mon premier mandat municipal en 2001 ne serait plus possible aujourd'hui, pour une commune de 6 600 habitants en région parisienne.
M. François Rebsamen, ministre. - Je me rappelle de mon premier mandat, entre 2001 et 2008 : j'ai exactement la même expérience.
M. Jean-Raymond Hugonet. - À l'heure où nous parlons beaucoup de déconstruction, les deux piliers de notre démocratie - les communes et les départements - sont dans l'oeil du cyclone. Les départements sont dans le rouge financièrement, car ils n'ont plus de dynamique fiscale, alors que leurs compétences augmentent - je précise que les DMTO relèvent bien d'un problème de gestion. Quoi qu'il en soit, les départements sont exsangues.
Quant aux communes, elles restent relativement en bonne santé, car elles sont contraintes à une gestion rigoureuse ; elles ne peuvent, contrairement à l'État, emprunter pour des dépenses de fonctionnement.
À contrario de ce qu'il aurait fallu faire, nous avons augmenté le fameux millefeuille territorial, avec les régions, dont certaines rencontrent des problèmes qui sont bien des problèmes de gestion, et les intercommunalités, qui prospèrent grassement. L'intercommunalité est un échec cuisant. Et je ne parle pas des métropoles !
À l'heure où nous parlons d'économies, ne pensez-vous pas que ces collectivités - régions, intercommunalité et métropoles - pourraient contribuer un peu plus que les deux collectivités qui sont à la base de notre démocratie, à savoir les communes et les départements ?
Nous avons beaucoup de mal à faire des prévisions dans notre pays. Je souhaite vous croire, monsieur le ministre : j'attends le premier remboursement lié au Dilico.
M. François Rebsamen, ministre. - Moi aussi.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je le dis d'autant plus librement que ce sont des amis politiques qui ont été les architectes de cette hérésie ! Pour ma commune, cela ne représente pas qu'un pourboire.
Mme Isabelle Briquet. - J'aborderai l'une de mes marottes : l'effort demandé aux collectivités devrait être déterminé en fonction de leur poids dans la dette publique.
Les administrations publiques locales (Apul) comprennent les collectivités locales et les organismes divers d'administration locale (Odal). Parmi les Odal, nous comptons la Société du Grand Paris (SGP) et Île-de-France Mobilités (IDFM), qui ont des besoins de financement et des investissements très lourds. Les Apul représentent 7,9 % de la dette, avec une progression de leur part en valeur de 13,8 milliards d'euros l'année dernière. Quelle est la répartition de la dette des Apul entre les collectivités locales et les Odal ? Sur une dette de 40 milliards d'euros, la question est importante.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Vous avez parlé de visibilité pluriannuelle, monsieur le ministre. Qu'y a-t-il derrière ce concept ? Quelles sont les implications pour le quotidien des élus qui s'engagent pour six ans ?
M. Olivier Henno, président. - Je vous prie de m'excuser, monsieur le ministre, je dois m'absenter pour auditionner M. Mignola.
- Présidence de M. Jean-Raymont Hugonet, vice-président -
M. François Rebsamen, ministre. - L'architecture des collectivités françaises repose sur 36 000 communes, d'où des débats à n'en plus finir pour savoir s'il faut les regrouper ou non. De nombreuses tentatives ont eu lieu - je pense à la loi du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes, dite loi Marcellin. Ce fut un échec. Il en va de même pour les communes nouvelles. Le Sénat tente de faciliter les regroupements, mais cela n'avance pas beaucoup.
Les très petites communes - de moins de 200 habitants, avec peu de moyens - sont très nombreuses ; on a pensé qu'elles pourraient collaborer. J'étais alors jeune commissaire du Gouvernement auprès du ministre de l'intérieur de l'époque. Nous avons fait adopter la loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, dite loi ATR, avec une part « préfet » plus importante. Depuis, à cause des opérateurs, les préfets ont perdu beaucoup de pouvoir - je trouve gênant que des opérateurs expliquent qu'ils ont comme délégué territorial le préfet, ou d'apprendre, comme ministre, qu'ils ont dépensé des crédits que je ne connaissais pas. La loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi Chevènement, a donné un coup d'accélérateur. Nous avons alors vu fleurir les communautés d'agglomération. Le principe du regroupement est né à ce moment-là, se poursuivant avec la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) puis la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam).
Monsieur Hugonet, ce que vous dites est juste, mais surtout en Île-de-France, là où personne n'est allé au bout de la logique de simplification. On a ajouté la strate de la métropole du Grand Paris (MGP), et empêché la constitution d'EPCI. L'organisation territoriale de la République n'y est pas achevée.
Concernant les métropoles, qui sont peu nombreuses, le Sénat, sous l'impulsion de Mme Gourault, s'était opposé à ce que certains regroupements de communes deviennent des métropoles, comme Toulon. L'Assemblée nationale l'a autorisé. Aujourd'hui, les régions, pour certaines, ne correspondent pas à grand-chose. Les départements font incontestablement partie de l'histoire de France. Il y a des problèmes de tutelle de certaines collectivités sur d'autres. Avec seulement des communes et des départements, des territoires se retrouveraient sous une dépendance clientéliste. Il est donc normal que les communes se soient regroupées en EPCI, même si cela a eu lieu à marche forcée.
En Île-de-France, certaines choses ne vont pas bien, contrairement au reste du territoire. Le Mouvement des entreprises de France (Medef) a accepté que le forfait mobilités durables (FMD) soit augmenté de 3,5 %, mais seulement en Île-de-France : il y a donc la « belle France », et la France en souffrance, qui, elle, n'a pas le droit d'avoir des transports en commun.
Il faudrait revoir les choses, comme il faudrait revoir la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui est très inégalitaire : elle varie du simple ou double ! Dijon touche 25 millions d'euros, Angers et Le Havre 53 ou 55 millions d'euros ! Il faudra revenir sur ce point, en espérant une loi de programmation pour les collectivités locales.
Les Odal représentent 30 % de la dette des Apul. Il est légitime qu'ils contribuent.
En cumul sur douze ans, le besoin de financement des collectivités territoriales s'élève à 13 milliards d'euros, contre 30 milliards pour les Odal. Le poids de la dette ne peut cependant être le seul indicateur, le potentiel financier doit aussi être pris en compte. En Côte-d'Or, la région vitivinicole participe tout particulièrement.
J'en viens à la prévisibilité. Les contrats de Cahors - on agissait par la contrainte - avaient fonctionné, mais ils ont laissé un souvenir cuisant aux collectivités. À l'époque, le Premier ministre voulait maîtriser la dépense publique, on ne peut lui en vouloir. Depuis, cela part dans tous les sens.
Je souhaiterais que l'on instaure de la prévisibilité au moins pour les subventions d'investissement. Les dépenses de fonctionnements dépendent des recettes et des choix des élus, qui peuvent par exemple modifier la taxe foncière sur les propriétés bâties. Les comparaisons sont ainsi difficiles, d'autant plus que les communes ont récupéré une part départementale de la taxe, qui varie aussi.
Les contrats de Cahors représentent une somme de 3,1 milliards d'euros en trois ans.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Concernant les dotations d'investissement, des craintes existent sur leur fusion, notamment dans les territoires plus ruraux. Le fonds vert, qui a bien fonctionné, a subi un coup de rabot l'année dernière. Quel est l'avenir de ces dotations ?
M. François Rebsamen, ministre. - Nous aimerions conserver le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), dont la souplesse d'utilisation, à la main des préfets, est utile aux communes. Je me bats pour que nous le conservions.
Il ne faut pas toucher à la DETR. La France compte 32 000 communes de moins de 1 000 habitants, parfois au sein d'EPCI ou de métropoles. Je ne citerai qu'un chiffre : 87 % des projets financés par la DETR concernent des communes de moins de 10 000 habitants. Elle est donc ciblée sur les communes essentiellement rurales. Certains souhaitent exclure du dispositif certaines communes rurales ou rurbaines des métropoles et des communautés d'agglomération, au motif qu'elles auraient leur propre circuit de financement. Je voudrais mettre ces dotations à la main du préfet, pour les protéger.
L'autre volet de la décentralisation, c'est la déconcentration. Les élus savent qu'il faut renforcer le pouvoir des préfets et leur donner la main sur les dotations. Telle était mon idée. Je pensais ainsi protéger les collectivités des coupes budgétaires de Bercy. Je voulais une dotation rurale et une dotation urbaine. Il fallait donc rassembler, d'une part, la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) et la DETR dans une dotation rurale et, d'autre part, la dotation politique de la ville (DPV), qu'il faudra modifier face à de criantes inégalités, et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) dans une dotation urbaine.
Outre le fonds vert, existent aussi les crédits de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui nous échappent.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Mais qui fonctionnent bien ! Je pense au fonds Chaleur.
M. François Rebsamen, ministre. - Oui, mais les crédits sont mal consommés.
M. Rémi Cardon. - Qu'en est-il de la visibilité pour les labels Petites Villes de demain (PVD) ou Villages d'avenir ? Dans la Somme, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) n'est pas toujours très engagée ; c'est bien le préfet qui gère la question dans les départements. Les investissements en ingénierie pour les communes restent bien faibles. Je n'ai aucune visibilité sur ces labels.
M. François Rebsamen, ministre. - Le ministère de l'aménagement du territoire a produit un document sur le nombre et l'implantation des programmes de l'ANCT. Je vous le transmettrai demain. Ces programmes ont en fait été inventés par les élus. L'État a porté en propre France Services. Pensons aussi à Territoires d'industrie.
Cela étant dit, voilà qui ne fait pas une politique d'aménagement du territoire. C'est de l'aménagement du territoire, mais pas une politique d'aménagement du territoire, qui devrait dessiner les orientations de mobilité et les grandes infrastructures au niveau national.
En France, l'aménagement du territoire passe plutôt par des coups de coeur. Il faut plutôt refaire de l'aménagement global, pour de grandes infrastructures, et piloter plus finement. L'ANCT doit changer de nature, et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) devrait participer un peu plus à l'ingénierie des collectivités, là où les départements n'ont plus les moyens de le faire. Le Cerema compte 2 545 agents. Il est né à Bron, et s'est ensuite implanté dans l'Ouest du pays, puis dans le Sud, mais des territoires entiers ne sont pas couverts.
M. Rémi Cardon. - L'Ademe va-t-elle perdurer jusqu'en 2027 ?
M. François Rebsamen, ministre. - Je ne vois pas pourquoi nous y toucherions.
M. Bernard Buis. - La dotation globale de fonctionnement (DGF) est devenue un vrai maquis. Dans la Drôme, certaines communes de 10 000 habitants n'ont plus de DGF. Certaines communes de 12 habitants ont 160 000 euros de DGF, quand d'autres communes de 20 habitants ont 15 000 euros de DGF. Personne ne comprend rien aux critères, ni les élus ni la DGFiP. Nous sommes incapables de renseigner les maires. Nous avions voté le maintien de la DGF pour toutes les communes il y a deux ans ; or des communes qui voient leur population augmenter perdent de la DGF, et inversement. L'aberration est totale. Il faut donner un grand coup de balai.
M. François Rebsamen, ministre. - Vous avez tout à fait raison. Nous pouvons expliquer les variations, mais cela est si complexe que c'est incompréhensible pour les citoyens, comme pour un grand nombre d'élus.
La réunion est close à 18 h 10.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.