Mercredi 18 juin 2025

- Présidence de M. Raphaël Daubet, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Examen du projet de rapport de la commission d'enquête

M. Raphaël Daubet, président. - Nous nous réunissons pour examiner le rapport de notre commission d'enquête, dont les pouvoirs s'arrêtent aujourd'hui.

Permettez-moi, pour restituer nos travaux, de commencer par quelques éléments statistiques. En un peu moins de cinq mois de travail intensif, nous avons mené 57 auditions, dont 52 plénières, ce qui représente 77 heures et 22 minutes d'échanges. Nous avons entendu 68 personnalités, 39 représentants des administrations et 3 ministres, soit 110 personnes en tout. Nous avons aussi effectué quatre déplacements que nous avons faits aux Pays-Bas, à Interpol, aux Émirats arabes unis et à Nanterre.

Ce nombre d'auditions important nous a permis, je pense, d'aborder tous les aspects d'un sujet large : l'évaluation des outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe. Nous formulons à cet égard des recommandations.

Nous avons examiné en détail les défis auxquels sont confrontés les services, qu'il s'agisse de ceux de Bercy, des services d'enquête de la police et de la gendarmerie, ou des services judiciaires. Nous avons étudié précisément l'efficacité, pour les professions assujetties, du cadre normatif relatif à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous avons aussi cherché à comprendre ce qui fait obstacle à la mobilisation de certaines professions du secteur non financier - je pense par exemple aux avocats ou aux antiquaires.

Nos auditions nous ont également permis de prendre connaissance de plusieurs trafics, dont les enjeux sont souvent méconnus ou minimisés. Je pense aux trafics d'or, de pierres précieuses ou d'espèces sauvages protégées, ou à la contrefaçon. Comme toujours, nos auditions nous ont conduits à faire des découvertes, comme celle de l'ampleur du trafic d'immatriculations. Surtout, nous avons pris le temps d'étudier de manière approfondie la question des cryptoactifs, qui méritait que l'on s'y attarde, car, comme souvent, le défi posé n'est pas celui que l'on croit. Nous n'avons pas négligé les autres aspects de la question qui nous a été posée. Je pense notamment au contournement des sanctions internationales.

Sur tous ces points, nous avons été guidés par notre rapporteur, et je tiens à rendre hommage à sa ténacité, à son aisance et à sa force de travail, qui ont placé haut la barre de notre exigence et ont garanti l'excellence de nos travaux. Le rapport que vous avez pu consulter en témoigne.

Nous avions, d'un commun accord, décidé de nous concentrer sur la question du blanchiment et du financement de la criminalité organisée qui irrigue tous les trafics. Mais nous n'avons pas négligé les autres aspects de la question qui nous a été posée. Je pense notamment au contournement des sanctions internationales.

Je tiens également à remercier les vice-présidents et l'ensemble des membres de la commission pour leur intérêt et leur implication. Leurs interventions ont toujours été avisées, pertinentes et enrichissantes pour nos travaux.

Je soutiens pleinement le rapport qui nous est présenté, qui reflète exactement nos travaux et me paraît très riche. Je soutiens également les préconisations concrètes de notre rapporteur qu'il inclut.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Nous avons travaillé en harmonie avec le président de cette commission. Je m'en réjouis.

Tous les services de police, de gendarmerie, de justice, des douanes ou diplomatiques qui nous ont reçus se sont montrés extrêmement intéressés par les travaux de notre commission d'enquête. Ces derniers s'inscrivent parfaitement dans la continuité du travail qui a été réalisé par la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Le narcotrafic ne constitue en effet qu'une partie de la criminalité organisée. Sur ces sujets, il est important de développer une vision à 360 degrés. C'est ce que nous nous sommes efforcés de faire, en prenant en compte d'autres types de criminalités, telles que le trafic de migrants ou le trafic d'or. Les membres des services que nous avons rencontrés étaient extrêmement contents que l'on ne se concentre pas uniquement sur le narcotrafic, car les criminels et les délinquants sont pluridisciplinaires.

La criminalité organisée se nourrit des failles de notre système, car celles-ci permettent la fraude et l'évasion fiscale. Ceci dans un contexte international. J'ai souhaité que nous allions aux Émirats Arabes Unis qui a été cité dans toutes nos auditions comme un pays utilisé pour le blanchiment. Nous avons ainsi découvert en auditionnant des marchands de biens qu'à Dubaï, des Français achetaient de l'immobilier très régulièrement, en payant en espèces ou en cryptoactifs, et ce depuis la prison des Baumettes où ils sont incarcérés. Certes, ce n'est pas la faute des Émirats arabes unis si les détenus ont un téléphone en prison, mais cela est révélateur des limites de notre système.

Il existe également des ports francs, aux Émirats comme au coeur de l'Europe. Ces lieux doivent être étroitement contrôlés. En fait, la criminalité organisée utilise tous les réseaux de la délinquance financière.

Les sommes provenant du blanchiment d'argent se situent dans une fourchette située entre 2 000 et 5 000 milliards de dollars par an, ce qui représente entre 2 % et 5 % du PIB mondial. Tout cet argent manque à l'économie réelle. Il est utilisé pour alimenter des activités illicites.

Tout commence avec la production d'argent sale. Celui-ci provient de différents trafics : trafic de migrants, trafic d'or, trafic de plaques d'immatriculation, trafic de drogue, etc.

Il faut ensuite blanchir cet argent sale. Les méthodes de blanchiment sont variables. Il existe une forme de blanchiment de basse intensité, qui repose sur le recours à des entreprises éphémères. Ces dernières sont constituées uniquement pour frauder et ont une durée de vie limitée. Le Conseil national des greffes regrette de ne pas avoir plus de pouvoirs et de moyens pour contrôler les pièces d'identité, pour vérifier comment fonctionne une entreprise avant de délivrer un Kbis, qui est finalement le permis de conduire d'une entreprise et, à très court terme, le permis de frauder. Ces entreprises éphémères font du dumping social sur le territoire où elles sont installées. Elles paient leurs salariés partiellement ou totalement en espèces. Elles ne paient ainsi pas de charges.

En outre, comme elles ne respectent pas les normes, elles réalisent des travaux de mauvaise qualité. Dès qu'elles ont engrangé suffisamment d'argent, elles le virent sur des comptes à l'étranger. Les entreprises, en effet, à la différence des particuliers, ne sont pas obligées de déclarer à l'administration fiscale leurs comptes à l'étranger. Nous l'avons appris incidemment à l'occasion d'une audition de l'Urssaf...

Notre système qui semble a priori robuste comporte ainsi des failles, qui permettent de réaliser un blanchiment de basse intensité. Nous formulons un certain nombre de recommandations pour lutter contre les entreprises éphémères.

Les réseaux communautaires constituent un autre vecteur de blanchiment. Je pense, par exemple, au réseau chinois.

Une autre méthode de blanchiment consiste à racheter à leurs propriétaires des tickets gagnants de jeux ou de loterie, en espèces, avec de l'argent sale, en octroyant une plus-value au propriétaire. Même si les sommes en jeu sont modestes à chaque fois, si l'opération est répétée de nombreuses fois, on obtient des montants astronomiques. Le même phénomène se produit avec les tickets-restaurant.

Il existe donc un blanchiment de basse intensité, qui repose sur une multiplication de petites opérations. Selon les services de police, il n'y a jamais eu autant d'argent en espèces en circulation. Les agents des douanes ont arrêté à la gare du Nord une « mule » qui transportait 400 000 euros en espèces. Ils arrêtent couramment des personnes transportant des sommes de 10 000, 20 000, voire 40 000 euros. Lorsque l'on arrête une personne qui transporte 40 000 euros, cela signifie statistiquement qu'il y a 150 personnes qui passent avec 20 000 euros pendant ce temps-là ! Cela soulève la question des effectifs des services. Nous formulons des recommandations sur le sujet.

Les méthodes de blanchiment sont multiples et extrêmement créatives. Nous les décrivons dans le rapport. Les auditions que nous avons réalisées étaient toutes plus surprenantes les unes que les autres. Nous avons découvert le trafic de civelles ou le trafic d'oeuvres d'art, dont on connaît le rôle dans le financement du terrorisme et dont on a découvert le rôle dans le blanchiment. Une méthode consiste à se procurer une pièce archéologique, par exemple une statue antique parfaitement intacte lors d'une fouille, et à la détériorer pour pouvoir la vendre sur le marché sans qu'elle soit reconnue. Des statues, des sculptures voire des peintures ou des fresques, sont ainsi altérées afin d'être vendues sur le marché sans être repérées. Nous devons nous saisir de ce sujet, car ce trafic porte atteinte au patrimoine de l'humanité, à notre bien commun.

Nous proposons d'imposer aux experts ou aux marchands d'art l'obligation de faire une déclaration à Tracfin lorsqu'ils ont des doutes sur l'origine des fonds, mais aussi sur l'origine du bien qui est en vente. En cas de doute, le transfert de propriété serait différé pour vérifier la situation.

L'utilisation des cryptoactifs est un autre moyen de blanchiment bien connu. Nous avons ainsi auditionné un expert à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol). On entend souvent que les cryptoactifs sont techniquement intraçables et anonymes grâce à la blockchain. Mais en réalité, il est possible de « détricoter » la blockchain pour retracer les opérations, même si cela prend du temps. Nous consacrons ainsi un chapitre au mythe de l'intraçabilité des cryptoactifs.

Ces enjeux soulèvent la question de la compréhension des phénomènes et celle de la formation des personnels des services de police, de justice, et des parlementaires qui vont devoir, un jour ou l'autre, légiférer sur ces questions complexes. Le problème de la formation est global.

J'ai indiqué qu'il était possible de retracer les opérations sur la blockchain, en utilisant certains logiciels et outils informatiques. Toutefois, les ministères français passent des appels d'offres séparés en la matière. Les différents services, parfois même au sein d'un même ministère, ont des prestataires distincts, qui sont souvent incompatibles entre eux. Il conviendrait de prévoir un appel d'offres global, afin que, a minima, les systèmes soient compatibles entre eux.

Une fois que l'argent sale est entré dans l'économie, nos services de police et de justice rencontrent les mêmes difficultés. Ils travaillent en silo. Il y a un manque de formation et un manque d'effectifs. Je vous renvoie à cet égard au rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic.

Les douaniers qui luttent contre le trafic de migrants, qui est structuré en filières puissantes, lesquelles permettent de blanchir 7 milliards d'euros par an, ne peuvent pas s'occuper de la contrefaçon, qui est un blanchiment de basse intensité. Ils n'ont pas le don d'ubiquité !

Sur le problème des douanes et des contrôles, nous formulons plusieurs propositions, qui peuvent être déclinées dans les territoires, afin de renforcer la police des transports, d'améliorer la surveillance des gares et de mieux contrôler les voies fluviales, mais aussi l'aviation privée, qui est actuellement en dehors de tout contrôle et permet à des individus de partir avec des valises de billets partout où ils le veulent. Nous proposons des mesures très concrètes en la matière, dont la mise en oeuvre nous semble particulièrement urgente. Certaines sont législatives, d'autres sont réglementaires. Il s'agit de nous donner les moyens de lutter contre des délinquants pluridisciplinaires, qui font du trafic de drogue, du trafic de migrants, du proxénétisme, de la contrefaçon, etc.

Des réseaux d'une puissance extraordinaire se forment, qui parviennent, grâce à la corruption, à contrôler des territoires entiers, qui sont parfois insulaires, mais pas toujours. Nous avons eu connaissance de cas de corruption absolument extraordinaires.

Pour mieux lutter contre la corruption, nous formulons plusieurs propositions, parfois très simples. Actuellement les entreprises de moins de 500 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros sont soumises à des obligations de déclaration auprès de l'Agence française anticorruption (AFA) sur leur programme de lutte anticorruption. Nous proposons d'abaisser ces seuils. Il conviendrait aussi de prendre des mesures pratiques comme verrouiller les ports d'accès USB aux ordinateurs des services de police ou de justice, afin d'éviter que des personnes non habilitées n'interrogent les bases de données et que l'on puisse savoir précisément qui les consulte et à quelle heure. Il faudrait aussi prévoir un turn-over des personnels pénitentiaires pour que les détenus ne puissent pas nouer de contacts avec les surveillants.

Lors de notre déplacement aux Émirats nous nous sommes rendus sur le port de Jebel Ali. Son trafic est un des plus importants au monde. Les autorités nous ont indiqué qu'elles étaient très vigilantes. Toutefois, il est impossible de tout surveiller, y compris les mouvements des sociétés soumises à des sanctions.

Les Émirats arabes unis sont un État fédéral. Il y a des différences entre les émirats. Abou Dabi a fait beaucoup d'efforts en la matière, sous l'effet du développement du name and shame. Les Émirats arabes unis ne souhaitent pas apparaître comme de mauvais élèves en la matière. Ils ne sont d'ailleurs plus sur la liste de l'Union européenne des pays et territoires non coopératifs. Ils ont mis en place de nombreux dispositifs pour se conformer aux règles internationales. Toutefois, leur mise en oeuvre est lente. Il existe encore des lacunes dans les dispositifs, notamment à Dubaï, en matière de coopération judiciaire. Il est pourtant important de mettre les délinquants installés là-bas « à l'ombre », pour reprendre le titre d'un chapitre de notre rapport.

La coopération s'est améliorée, mais des difficultés persistent.

La coopération judiciaire est essentielle. Nos magistrats de liaison jouent un rôle crucial, malheureusement leur nombre est insuffisant et ils ne sont guère aidés. Nous proposons d'augmenter les effectifs, en ciblant les pays les plus importants en matière de trafics.

Telle est l'architecture globale de notre apport. Nous avons constaté que la société se gangrène et que, corollaire de cette situation, l'insécurité se développe. Notre système de lutte contre la délinquance financière semble robuste sur le papier, mais il n'est pas complètement efficace dans les faits. Les services de police, de gendarmerie et des douanes sont débordés. Il en va de même des services judiciaires et des magistrats, qui ne sont pas toujours bien formés sur ces enjeux. Les membres du parquet national financier (PNF), du parquet européen et de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) sont compétents et souhaitent que tous les parquets en province soient formés sur ce sujet. Mais il faut bien reconnaître, permettez-moi l'expression, que tous les services sont « à l'os » : c'est aussi une question de moyens.

Enfin, je note l'absence manifeste de volonté de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale. Lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, nous avions adopté deux mesures pour lutter contre les territoires non coopératifs et pour réguler les prix de transfert : ces dernières ont finalement été repoussées à la suite d'une seconde délibération ! Leur adoption n'aurait pourtant pas ruiné le pays !

Tant que nous ne mettrons pas le turbo, de manière déterminée, sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, nous ne pourrons pas lutter contre le blanchiment, car celui-ci est facilité par les failles de notre système en la matière. Et tant que nous ne lutterons pas contre le blanchiment, nous ne pourrons pas arrêter la criminalité, car celle-ci se nourrit de ce dernier.

Les sommes en jeu sont considérables. On estime que le chiffre d'affaires des réseaux de blanchiment s'élève à plus de 5 milliards d'euros pour la contrefaçon - celle-ci concerne aussi bien les chemises Lacoste ou les sac Vuitton, que les faux médicaments, les pièces détachées de voitures, d'avions, etc. Les conséquences peuvent être graves pour la santé des consommateurs. Le blanchiment lié au narcotrafic se situerait dans une fourchette entre 3,5 et 6 milliards d'euros. De même, les montants seraient de 2 milliards d'euros pour la contrebande de tabac, de 1à 3 milliards pour l'exploitation sexuelle, de plus de 20 milliards pour la fraude aux finances publiques, de 1 milliard en ce qui concerne les atteintes à l'environnement, etc.

Les sommes sont vertigineuses et s'élèvent globalement, selon nos estimations, à plus de 50 milliards d'euros. C'est pourquoi je voulais intituler notre rapport : « 50 milliards volés aux contribuables » ou « 50 milliards qui gangrènent la société », mais nous vous proposerons, en application du principe de précaution, d'employer l'expression « des dizaines de milliards », car on ne peut pas procéder à un chiffrage précis de ces activités occultes. En tout cas, les sommes en jeu sont extrêmement importantes et manquent à l'économie française et à l'économie européenne.

Notre rapport est complémentaire de celui de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Notre démarche a l'intérêt de s'inscrire dans une vision à 360 degrés. On se rend ainsi compte de la pluralité des enjeux. Tant que l'on n'aura pas mis en place des outils pour y répondre, nous n'y arriverons pas. Certes, l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent (Amla) vient d'être créée, mais celle-ci n'est pas encore installée. Elle ne sera vraiment opérationnelle que dans deux ou trois ans.

Le temps des voleurs n'est pas le temps judiciaire ni le temps de l'administration. Le roman de Raphaële Billetdoux Mes nuits sont plus belles que vos jours relate une histoire d'amour merveilleuse. L'auteure dit que ses personnages « vivaient les heures comme mari et femme les années ». Je cite cette phrase dans le rapport, car elle me semble résumer parfaitement la situation. Pendant que les voleurs courent, nous mettons des années à nous doter des outils nécessaires.

Nous avons réalisé un état des lieux très précis. Nous formulons de nombreuses recommandations. Nous proposons des évolutions réglementaires ou législatives ainsi que des mesures de bon sens. Je vous invite à adopter ce rapport et à devenir les avocats de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière à chaque occasion, et notamment durant l'examen du projet de loi de finances.

M. Raphaël Daubet, président. - Le rapport compte cinquante recommandations qui figurent au début du rapport.

M. André Reichardt. - Les auditions auxquelles j'ai pu assister étaient très intéressantes. Le rapport est très instructif. J'ai beaucoup appris en participant à cette commission. Il faudra bien expliquer, dans notre communication, que le travail que nous avons mené est complémentaire de celui qui a été réalisé par la commission d'enquête du Sénat sur le narcotrafic et qu'il n'y a pas de concurrence entre les deux.

Lorsque cette commission a été créée, je ne voyais pas le lien entre la délinquance financière, la criminalité organisée et la problématique du contournement des sanctions financières, mais on comprend le lien en lisant le rapport.

M. Patrice Joly. - Je salue la qualité du travail de notre rapporteur. Celle-ci a une connaissance approfondie des sujets et elle a su animer les auditions en conséquence, en posant des questions pointues aux personnes interrogées afin d'obtenir le maximum d'informations. Notre commission a travaillé à un rythme effréné et les auditions ont été très nombreuses.

Nous avions une petite idée des enjeux financiers liés à la délinquance financière et à la criminalité organisée, même si les montants exacts sont difficiles à chiffrer. En revanche, ce que nous mesurions peut-être un petit peu moins, c'est à quel point la société est imprégnée par la question de la délinquance financière sous ses différents aspects. C'est dangereux et inquiétant pour notre démocratie. La question du contournement des sanctions mérite une réflexion approfondie.

M. André Reichardt. - Le terme de « gangrène », qui a été employé, est tout à fait approprié. Sans doute devrait-il être employé dans notre communication. Il avait déjà été utilisé dans les travaux sur le narcotrafic. Différents trafics se développent très vite, mais à bas bruit.

M. Raphaël Daubet, président. - Le terme de gangrène devrait figurer dans le titre de notre rapport.

Mme Nadine Bellurot. - Je salue à mon tour la qualité du travail de notre rapporteur et de notre président. Il faut bien insister sur le fait que ce rapport est complémentaire du rapport de la commission d'enquête sur le narcotrafic. Toutefois, alors que cette dernière s'était intéressée à la question du narcotrafic dans une optique française, notre commission met davantage l'accent sur la dimension internationale des enjeux. Nous cherchons à avoir une vision globale de la délinquance financière. J'ai appris beaucoup durant les auditions. Les recommandations sont très intéressantes. Peut-on envisager que notre travail aboutisse au dépôt d'une proposition de loi ?

M. Grégory Blanc. - Je remercie à mon tour notre rapporteur et notre président, qui ont su nous guider dans notre réflexion. J'ai beaucoup appris durant nos travaux. J'ai découvert l'ampleur du problème. Nous avons réalisé un grand nombre d'auditions qui nous ont ouvert des pistes de réflexion : à mesure que nous avancions et que déroulions la pelote, on s'apercevait qu'il fallait aller encore plus loin. Ce rapport fournit une synthèse précise, à la fois dense et concise, agréable à lire sur le sujet. Il devrait faire référence. Nous avions besoin d'un tel document. Il faudra poursuivre le travail engagé, en déposant une proposition de loi ou en demandant la création d'une nouvelle commission d'enquête pour approfondir certains aspects.

Je voudrais mettre quatre points en avant.

Premièrement, la faiblesse des études et de l'information disponible sur le terrain. Ce que nous disons ici à l'échelle nationale doit être connu dans les territoires.

Deuxièmement, l'interpénétration entre réseaux licites et illicites. Cela rejoint les travaux que nous avons réalisés sur le narcotrafic et les dépasse même d'un certain point de vue, parce que les acteurs du blanchiment sont souvent dans une zone grise, en particulier en cas de basse intensité.

Troisièmement, l'importance de certaines professions, notamment marchandes, pour aboutir à des montages complexes. La question se pose alors de la manière de réguler ces professions. Le législateur devra certainement intervenir pour ne pas nous en remettre à la seule autorégulation.

Quatrièmement, la faiblesse en nombre et en compétences de l'appareil policier et judiciaire, que ce soit au niveau national ou local.

M. Pascal Savoldelli. - Le champ d'investigation à 360 degrés me convient.

Je crois que nous devons nous-mêmes regarder ce qui relève d'une évolution législative ou d'autre chose, par exemple un simple laxisme - si je puis me permettre ce terme. Dire, c'est faire ! Si nous disons des choses fortes, nous devons aussi agir de notre côté.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Pour moi, chaque membre de la commission d'enquête est un ambassadeur des mesures que nous allons approuver et je dis oui à une proposition de loi et oui à la poursuite de notre travail.

Je veux prendre un autre exemple : en 2021, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon ; on attend toujours son inscription à l'ordre du jour du Sénat et, de fait, le texte est devenu obsolète vu l'évolution des trafics ! Cela montre bien que ces sujets sont souvent hors des radars...

Je crois que nous avons des opportunités à saisir. Cet argent est volé aux contribuables et, dans le contexte difficile actuel, il manque cruellement à l'économie française, aux collectivités locales, aux hôpitaux, aux écoles, etc.

Nous devons par ailleurs avoir des liens plus sérieux avec des instances comme Europol ou Interpol. Alors que cette dernière organisation est basée à Lyon, la délégation de notre commission d'enquête était seulement la seconde délégation du Sénat à rencontrer ses responsables - je faisais déjà partie de la première délégation... On le voit, des choses fonctionnent mal, alors que ces institutions sont essentielles dans de très nombreuses affaires.

S'agissant des sanctions internationales il faut avouer que le législateur et l'administration ont peu de pouvoir. Pour autant, les circuits sont les mêmes, qu'il s'agisse de contourner des sanctions internationales ou de blanchir un trafic. Sachez qu'en ce moment il existe un énorme mouvement sur les cryptomonnaies, parce qu'il faut savoir que, sur les 51 milliards placés illégalement en cryptomonnaies, 39 milliards appartiennent à des Iraniens... Vu le contexte, je peux vous dire que beaucoup de personnes communiquent leurs clés, parce que, s'ils meurent, tout cela est perdu !

M. Raphaël Daubet, président. - Nous en venons à l'examen des propositions de modification.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je suis très favorable à la proposition de modification n° 1 de Grégory Blanc qui vise à envisager une révision du code pénal pour alourdir les sanctions pénales en matière de corruption privée.

La proposition de modification n° 1 de M. Grégory Blanc est adoptée.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je suis également favorable à la proposition n° 2 de Grégory Blanc, sous réserve d'une modification rédactionnelle. Il s'agit d'étendre la protection des lanceurs d'alerte ; ce sujet a souvent été évoqué lors de nos auditions.

La proposition de modification n° 2, ainsi modifiée, de M. Grégory Blanc est adoptée.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je suis en revanche défavorable à la proposition de modification n° 3 de Grégory Blanc : il me semble trop compliqué de créer une présomption de corruption, alors même qu'existe déjà la présomption de blanchiment qui marche très bien. Je propose toutefois de continuer à travailler sur ce sujet.

La proposition de modification n° 3 de M. Grégory Blanc n'est pas adoptée.

M. Raphaël Daubet, président. - Nous en venons à deux propositions de modification présentée par notre rapporteur.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Il ressort de nos auditions que certaines banques transmettent aux services d'enquête des fichiers difficilement exploitables, ce qui représente une perte de temps importante pour les enquêteurs financiers dans la mise en forme ou la récupération des données. Dans un contexte où la donnée irrigue de plus en plus les dossiers d'enquête, il est essentiel de réfléchir à une modernisation des modalités de transmission des réponses des établissements financiers aux réquisitions qui leur sont adressées.

La proposition de modification n° 4 du rapporteur est adoptée.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - L'audition du conseil des maisons de vente a montré des failles dans le dispositif de contrôle de l'activité des experts sur le marché de l'art. Ces derniers sont parfois seuls responsables de la certification de l'authenticité des oeuvres. Or tout le monde peut se déclarer expert sans devoir présenter des qualifications spécifiques. Il convient donc de réfléchir à des modalités d'habilitation de ces professionnels.

La proposition de modification n° 5 du rapporteur est adoptée.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Après de nombreux échanges entre nous, nous voulions mettre l'accent sur la « gangrénisation » de la société, si bien que je vous propose le titre : « Ces dizaines de milliards qui gangrènent la société ! »

M. Hervé Reynaud. - Je crois que le terme gangrène est important, parce qu'on voit bien dans le rapport que le résultat de ces trafics se retrouve dans nos commerces, dans nos rues.

M. André Reichardt. - Nous pourrions aussi dire : « 50 recommandations pour récupérer 50 milliards ».

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - La difficulté est que la somme de 50 milliards fait partie d'une fourchette d'évaluation qui est assez large. Qui plus est, nous mettons justement l'accent dans le rapport sur les difficultés d'une telle évaluation...

Le titre du rapport est adopté.

La commission d'enquête adopte le rapport ainsi modifié, ainsi que les annexes, et en autorise la publication.

Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.

M. Raphaël Daubet, président. - Mes chers collègues, une conférence de presse aura lieu vendredi 20 juin à 14 h 30. Vous y êtes tous conviés.

Je veux tous vous remercier pour votre contribution et saluer l'implication de notre rapporteur.

La réunion est close à 17 h 30.