Mardi 17 juin 2025
Audition de Mme Salomé Zourabichvili, 5ème présidente de Géorgie
Le compte rendu sera publié ultérieurement.
Jeudi 19 juin 2025
- Présidence de M. Louis Vogel, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
» L'Union européenne face au défi de sa souveraineté énergétique » - Audition de M. Nicolas Berghmans, directeur du programme Nouvelles politiques industrielles à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), Mme Clara Calipel, chercheuse, Investissements climat européens à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), M. Dominique Jamme, directeur général des services de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice générale adjointe de la direction générale de l'énergie de la Commission européenne
M. Louis Vogel, vice-président. - Nous nous réunissons ce matin pour évoquer un sujet de grande importance : la souveraineté énergétique de l'Union européenne (UE). Cette table ronde, qui fait l'objet d'une captation et pourra donc être consultée sur le site internet du Sénat, nous permettra d'aborder deux thèmes.
Le premier est la nécessité de garantir la stabilité de l'approvisionnement en énergie de l'Europe et d'en finir avec la dépendance énergétique à l'égard de la Russie. Il s'agit là d'un enjeu majeur.
Le second concerne les investissements auxquels il sera nécessaire de procéder pour atteindre les objectifs climatiques et énergétiques de l'UE. Rappelons que l'Union a adopté des objectifs ambitieux en vue d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Pour évoquer ces sujets, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin quatre intervenants : M. Nicolas Berghmans, directeur du programme Nouvelles politiques industrielles à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) ; Mme Clara Calipel, chercheuse à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), spécialiste des investissements climat européens ; M. Dominique Jamme, directeur général des services de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ; enfin, Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice générale adjointe de la direction générale de l'énergie de la Commission européenne.
Mesdames, Messieurs, je vous propose d'ouvrir la première partie de cette table ronde, consacrée à la stabilité de l'approvisionnement en énergie de l'Europe et à la sortie de la dépendance énergétique à l'égard de la Russie. Je proposerai à chacun d'intervenir pendant environ cinq minutes. Puis, ceux de nos collègues qui le souhaitent vous poseront des questions.
Je m'adresse tout d'abord à la représentante de la Commission européenne.
Madame Wörsdörfer, pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de la feuille de route élaborée par la Commission européenne pour mettre fin aux importations d'énergie en provenance de Russie ? Quelles sont les mesures concrètes envisagées pour éliminer le gaz et le pétrole russes ? La Commission européenne a présenté avant-hier, le 17 juin, une proposition de règlement visant à interdire toutes les importations de gaz russe d'ici à la fin de l'année 2027. Pouvez-vous nous en détailler le contenu et les étapes ?
Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice générale adjointe de la direction générale de l'énergie de la Commission européenne. - Merci d'avoir invité la Commission européenne. Depuis la crise énergétique et économique de 2022, de nombreuses avancées ont été réalisées. Une feuille de route a été élaborée pour diversifier les sources d'importation de gaz, accélérer les investissements dans les énergies propres et améliorer l'efficacité énergétique.
Le 6 mai 2025, une nouvelle feuille de route a été présentée, couvrant les domaines du gaz, du pétrole et du nucléaire, afin de préserver la sécurité de l'approvisionnement énergétique, tout en limitant les incidences sur les prix et les marchés.
Depuis quatre ans, la part du gaz russe dans les importations de gaz de l'UE a été réduite de 45 à 13 %. Les importations de charbon russe ont cessé, tandis que la part du pétrole russe est passée à 3 %. En parallèle, tous les États membres ont favorisé les énergies propres, dont la production s'est accélérée.
Pour supprimer les 13 % restants de gaz russe, nous avons proposé avant-hier des mesures législatives concrètes. Nous visons trois objectifs : limiter les importations de gaz russe ; créer un cadre européen garantissant la transparence et le traçage de ces importations ; demander à chaque État membre d'élaborer un plan national de diversification en vue de l'élimination progressive des importations de gaz et de pétrole russes. À ce jour, seuls cinq États membres continuent d'importer du gaz russe. Tous les autres, dont les pays baltes, l'Allemagne et la France, ont mis fin à leurs importations.
La principale proposition législative prévoit l'interdiction de toute nouvelle importation de gaz russe, que ce soit par gazoduc ou gaz naturel liquéfié (GNL), à compter du 1er janvier 2026.
Nous proposons d'appliquer une phase transitoire pour les contrats existants : pour les contrats de fourniture à court terme, l'interdiction entrerait en vigueur le 17 juin 2026 ; pour les contrats à long terme, au 1er janvier 2028. L'objectif est de ne plus avoir de contrats avec des opérateurs russes fin 2027.
Nous prévoyons également d'interdire aux opérateurs sous contrôle russe d'offrir des services dans les terminaux GNL de l'UE, avec une interdiction effective au 1er janvier 2026 pour les services à long terme.
Concernant la transparence et le traçage, de nouvelles obligations sont introduites pour les autorités nationales, qui devront surveiller la mise en oeuvre des interdictions d'importation de gaz russe et transmettre les informations pertinentes à la Commission et aux autres services compétents au niveau national.
Enfin, tous les États membres devront, au plus tard le 1er mars 2026, élaborer des plans de diversification en vue de la suppression progressive des importations de gaz russe d'ici à 2028. Des études d'impact ont été publiées le 17 juin, suivies d'une première discussion, hier, entre experts des États membres.
S'agissant du nucléaire, des mesures spécifiques sont en préparation mais elles n'ont pas encore été proposées. Ce dossier, plus complexe, nécessite une compréhension commune des dépendances et des incidences dans ce secteur, ainsi que des mesures pour mettre un terme aux approvisionnements en provenance de Russie. Le sujet fera l'objet d'un traitement ultérieur.
Les premiers échanges au Conseil des ministres de l'énergie, lundi, et au sein du groupe d'experts témoignent d'un large soutien : vingt-cinq États membres appuient la feuille de route. Seules la Hongrie et la Slovaquie s'y opposent, en raison de leur forte dépendance, tant économique que politique, à la Russie. Des discussions sont engagées pour identifier des alternatives viables dans leur cas.
La présidence danoise du Conseil, qui débutera le 1er juillet, inscrit cette feuille de route parmi ses priorités pour le second semestre. L'objectif consiste à parvenir à une orientation générale pendant cette période et à conclure un accord avec le Parlement européen et le Conseil d'ici à la fin de l'année. Notre ambition finale est d'éliminer complètement les importations de gaz russe.
M. Louis Vogel, vice-président. - Monsieur Berghmans, quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels l'Union européenne est confrontée pour sortir définitivement de sa dépendance aux énergies en provenance de Russie ? Quelle stratégie vous paraît devoir être privilégiée dans le contexte géopolitique actuel ? Une sortie définitive est-elle vraiment réalisable et à quelles conditions ?
M. Nicolas Berghmans, directeur du programme Nouvelles politiques industrielles à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). - Merci pour cette invitation. Sur la dépendance au gaz russe, et plus largement aux énergies fossiles russes, il faut replacer la discussion dans le contexte. Une grande partie du travail a déjà été accomplie grâce à une stratégie qui s'inscrit dans le prolongement de la stratégie climat-énergie de l'UE. La sécurité énergétique et l'intérêt climatique sont pleinement alignés.
La stratégie européenne s'est articulée autour de trois piliers : renforcer l'efficacité énergétique, accélérer la diversification des sources d'approvisionnement et développer les énergies renouvelables. Un pilier spécifique a été ajouté : la transformation du secteur gazier, avec un basculement des importations par pipeline vers des importations en GNL d'autres provenances. C'est l'esprit du plan REPowerEU.
Les résultats obtenus à ce stade sont significatifs : en quelques années, la part du gaz russe dans les importations est passée de 45 à 13 %. Il s'agit maintenant de finir le travail, avec des mesures d'interdiction d'importations. Ce cap est tout à fait atteignable, sur le plan technique comme économique. Il nécessite un soutien collectif, car l'enjeu est à la fois politique et économique.
Depuis le début de l'invasion de l'Ukraine, l'UE a versé à la Russie 210 milliards d'euros pour son approvisionnement en énergies fossiles. Une part de ces dépenses était difficilement évitable, compte tenu de la forte dépendance à ces importations - une dépendance qui subsiste encore dans plusieurs États membres. L'objectif est désormais de fermer ce robinet financier, qui continue de soutenir l'économie russe, pour un montant d'ailleurs comparable à celui que les Européens ont alloué à l'aide militaire à l'Ukraine.
Sur le plan économique, la crise énergétique de 2022, marquée par l'envolée des prix du gaz, a révélé notre vulnérabilité. Sortir de cette dépendance aux combustibles russes, notamment au gaz, est indispensable.
Certes, la question se pose : en quittant la dépendance à l'égard de la Russie, n'entre-t-on pas dans une autre dépendance, notamment vis-à-vis du GNL américain ? Le marché du GNL, encore tendu, va se détendre à plus long terme grâce aux investissements réalisés à l'échelle mondiale. Surtout, il est plus flexible qu'un approvisionnement par pipeline : en cas de crise, on peut diversifier les fournisseurs. Mais ce n'est pas une solution parfaite, l'idéal restant de produire en Europe une énergie décarbonée et de transformer notre système énergétique pour renforcer notre autonomie. Cela passe par l'ajustement de la demande et le développement de l'offre d'énergie décarbonée.
L'efficacité des règles européennes repose largement sur l'action des États membres. Ce sont eux qui doivent établir leurs plans nationaux, car beaucoup de leviers sont entre leurs mains. Je soulignerai deux points importants à cet égard.
D'une part, bien que la France importe relativement peu de gaz russe aujourd'hui, elle joue un rôle clé en tant que plaque tournante du GNL en Europe - 25 % du GNL européen transite par ses terminaux méthaniers. Cela lui confère une responsabilité majeure dans le contrôle et le traçage des importations, notamment pour éviter que le gaz russe n'atteigne l'Europe par d'autres canaux.
D'autre part, la France prend des mesures pour sortir de sa dépendance au gaz russe, en se concentrant sur la réduction de la consommation de gaz naturel. Un des leviers majeurs est l'électrification, car c'est une solution de long terme pour réduire cette dépendance. Pourtant, aujourd'hui, un ménage paie deux fois plus de taxes sur l'électricité que sur le gaz, ce qui freine l'incitation à électrifier les logements et les véhicules.
La Commission européenne a proposé de réduire la taxation sur l'électricité dans le cadre de son plan d'action pour une énergie abordable, mais en France, cette taxation a été augmentée l'an dernier, une fois la crise passée. Il est donc essentiel de reconsidérer la différence de prix entre l'électricité et le gaz de manière plus profonde.
Un autre point clé concerne les arbitrages budgétaires dans un contexte contraint. Les soutiens à la rénovation énergétique, particulièrement dans le secteur du bâtiment, sont cruciaux, car ce secteur consomme une part importante du gaz naturel. Il est nécessaire de faire des arbitrages suffisamment efficaces pour éviter de freiner la dynamique de rénovation énergétique.
M. Louis Vogel, vice-président. - Monsieur Jamme, pouvez-vous nous faire part de votre analyse concernant la situation actuelle de la France par rapport aux importations de gaz, de pétrole et d'uranium russes ? D'après vous, quelles sont les mesures de substitution envisageables ? Quels sont les principaux obstacles à la diversification et les risques en termes de prix des énergies ? Comment la CRE envisage-t-elle de concilier transition écologique et sécurité d'approvisionnement ?
M. Dominique Jamme, directeur général des services de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). - Merci d'avoir invité la Commission de régulation de l'énergie. La CRE est une institution issue du droit européen ; elle a vingt-six homologues, qui exercent des missions similaires.
Ses deux attributions principales sont la régulation des réseaux et des infrastructures de gaz et d'électricité - tarifs, conditions d'accès, investissements, règles d'équilibrage - et la surveillance des marchés, tant pour le gros que pour le détail.
En France, une troisième mission a été ajoutée : contribuer au développement des énergies renouvelables en mettant en oeuvre la politique énergétique nationale, notamment en instruisant les appels d'offres. Nous collaborons fortement avec nos homologues européens, notamment allemands et britanniques.
Nous avons une action européenne très forte, car les marchés de l'électricité et du gaz sont étroitement liés, comme cela a été démontré pendant la crise. Au sein de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (Acer), nous travaillons à l'élaboration des régulations secondaires et à la surveillance des marchés.
Sur le gaz - le combustible nucléaire et le pétrole ne relèvent pas de la CRE -, nous partions d'une situation de dépendance extrêmement forte. La réponse du système gazier européen à la crise a été remarquable. En douze à dix-huit mois, de nombreux terminaux flottants ont été installés et la logique des flux a été inversée : autrefois, le gaz circulait principalement du nord et de l'est de l'Europe vers le sud ; il vient désormais plutôt du sud et de l'ouest vers le nord et l'est de l'Europe.
Grâce à ses terminaux, mais aussi à ses capacités de stockage et de transport, le système gazier français a joué un rôle majeur dans l'inversion des flux. En 2022, les terminaux méthaniers français ont affiché un taux d'utilisation de 95 %. Bien que ce taux ait légèrement baissé depuis la stabilisation de la situation et la mise en place de terminaux dans d'autres pays, il reste élevé.
En 2024, la consommation française était de 360 térawattheures et les exportations de la France de 123 térawattheures, dont près des deux tiers vers l'Italie, via la Suisse, et l'autre tiers vers l'Allemagne, via la Belgique. Certaines importations de GNL proviennent encore de Russie, mais ce phénomène est transparent et vient d'être exposé dans un récent rapport de l'Acer. Une partie du GNL est destinée à la consommation française et une autre part importante, provenant du terminal de Dunkerque, est envoyée directement en Allemagne via la Belgique.
Le marché gazier reste par ailleurs nerveux. Les prix ont ainsi augmenté - entre 5 et 7 euros - à la suite des récents événements au Moyen-Orient. Nous ne relevons pas de mauvais signal, mais cela risque de créer une tension supplémentaire et d'amoindrir les résistances face à d'autres événements géopolitiques.
Toutefois, concernant les capacités d'adaptation, les marchés ne sont pas inquiets. Les prix de gros futurs sont stables, le marché est efficace et liquide. Un industriel qui souhaite acheter du gaz pour 2028 ou 2029 peut parfaitement le faire. Les prix sont de 37 euros pour l'an prochain, 31,5 euros pour 2027, 27 euros pour 2028 et 24,5 euros pour 2029. La détente du marché mondial du GNL se confirme donc et n'a pas été bouleversée par l'annonce de la Commission européenne.
Si tout va bien, le marché mondial et européen du GNL a la flexibilité nécessaire pour revenir à des prix avoisinant les 27 euros ou 24,5 euros, sachant qu'ils s'élevaient à 20 euros avant la crise de 2022. Un industriel qui veut acheter son gaz à ce prix pour une livraison dans trois ou quatre ans peut le faire aujourd'hui.
M. Louis Vogel, vice-président. - Madame Calipel, nous sommes obligés de trouver des solutions pour atteindre nos objectifs climatiques. Quelles sont les actions à mettre en oeuvre pour réaliser la souveraineté énergétique de la France et de l'Union européenne ?
Mme Clara Calipel, chercheuse Investissements climat européens à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). - Au sein de l'I4CE, nous traitons des questions économiques liées à l'énergie et au climat.
Nous sommes à un moment où l'Union européenne doit prendre des décisions importantes. Nous pouvons profiter, d'une certaine façon, de la situation géopolitique pour gagner en résilience en matière de production et de sécurité énergétiques et pour atteindre nos objectifs climatiques. Cela passe par une diversification de l'offre énergétique et par le développement des énergies renouvelables, mais aussi par une diversification de la demande. La consommation énergétique des ménages, l'électrification des usages et l'efficacité énergétique permettront de sortir de la dépendance au gaz.
Si des investissements importants ont été effectués dans les énergies renouvelables ces dernières années, notamment dans l'énergie solaire et les réseaux électriques, la situation est plus compliquée sur le plan de la demande, pour le déploiement de pompes à chaleur, la rénovation énergétique des logements ou encore l'achat de véhicules électriques. Nous observons une baisse drastique des investissements dans les pompes à chaleur, due notamment au fait que le prix du gaz est de nouveau inférieur à celui de l'électricité. Nous avons relevé aussi un moindre soutien de la part des États membres pour l'achat de ces équipements. De même, pour la première fois, la vente de véhicules électriques à batterie a diminué en 2024, alors qu'elle ne faisait qu'augmenter jusqu'alors. Et nous sommes toujours très loin du compte en matière de rénovation énergétique.
S'il est essentiel de mener des politiques de diversification de la production d'énergie, n'oublions pas qu'il faut aussi soutenir la demande, si nous voulons que les ménages investissent dans les pompes à chaleur et se séparent, par exemple, de leurs chaudières à gaz.
Les subventions aux énergies fossiles s'élèvent à environ 200 milliards d'euros. Ce sont des charges d'exploitation, ou Operational Expenditure (Opex) dans le jargon économique. Ce ne sont pas des dépenses d'investissement, ou Capital Expenditures (Capex), qui créent de la richesse pour l'avenir. Or nous avons précisément une opportunité pour passer de ces charges d'exploitation à des dépenses d'investissement, afin de construire nos réseaux et nos infrastructures pour l'avenir et de favoriser la croissance européenne.
Passer d'un monde d'Opex à un monde de Capex serait une opportunité d'enrichissement pour l'Union européenne.
M. André Reichardt. - Monsieur Jamme, vous disiez qu'un consommateur pouvait d'ores et déjà acheter du gaz pour 2027 ou 2028. Comment cela se passe-t-il ? Puis-je l'acheter maintenant au prix actuel ? En ce cas, quand dois-je payer ? Et que se passera-t-il si une crise survient ?
M. Dominique Jamme. - Si vous êtes un très important industriel gazo-intensif, vous avez un accès direct au marché et pouvez donc acheter un contrat pour 2027 ou 2028, que vous paierez au fur et à mesure de la livraison, moyennant la présentation de certaines garanties financières. En effet, le vendeur doit s'assurer que vous serez là pour payer en temps voulu. Cela requiert une ingénierie financière complexe, qui concerne les très gros consommateurs.
Sinon, il faut passer par les fournisseurs. Si vous les mettez en concurrence pour qu'ils vous délivrent un contrat à trois ou quatre ans, ils vous apporteront une réponse et se chargeront de toute l'ingénierie nécessaire. Concrètement, ce type de démarche existe sur les marchés français et européen.
M. André Reichardt. - Que se passe-t-il en cas de crise, d'emballement de la demande ou d'une réduction drastique de l'offre ? Considérera-t-on toujours, en 2028, que mon contrat signé en 2025 demeure valable ?
M. Dominique Jamme. - L'Union européenne a tiré les leçons de la crise. Si votre fournisseur est sérieux et solide financièrement, il assurera pendant la crise la livraison des contrats à prix fixe, comme cela s'est fait pendant la crise de 2022 pour 99 % des clients. Pour certains clients, qui avaient signé, par exemple en 2021, un contrat à prix fixe pour trois ans, cette dernière crise a été indolore.
En revanche, les fournisseurs du dernier pourcentage de clients restant n'étaient pas couverts. Ils avaient promis des prix fixes à leurs clients, sans acheter les quantités nécessaires. Ils ont alors fait défaut ou ont dû résilier le contrat en ne respectant pas le prix fixé contractuellement. Cela s'est produit sur le marché professionnel comme sur le marché particulier.
La régulation prudentielle est une solution en pareil cas. Le nouveau règlement européen prévoit ainsi que tout fournisseur qui promet un prix fixe à ses clients doit avoir pris ses dispositions au préalable, en achetant les quantités correspondantes, et pouvoir le justifier auprès du régulateur.
La transposition de ces dispositions en droit français n'est pas encore votée mais un travail préparatoire est en cours sur la mise en oeuvre de ces obligations prudentielles.
M. Daniel Gremillet. - Il a fallu que nous vivions ce que nous sommes en train de vivre pour que l'Europe se réveille et prenne conscience du fait que son indépendance énergétique était essentielle à sa survie : pour nos concitoyens comme pour la performance de son économie.
Quand je vois le temps que la France a passé à discuter de la taxonomie du nucléaire avec Bruxelles, je me dis que nous rêvions un peu, d'autant que chaque État membre avait la liberté de définir son mix énergétique. N'oublions pas tout ce temps perdu.
Je me réjouis donc de cette réaction puissante, dont l'Europe sortira certainement renforcée. Quand on veut, on peut, comme le montre la rapidité avec laquelle nous avons pu avancer sur les terminaux méthaniers.
Monsieur Jamme, nous avons donc une visibilité à quatre ans, ce qui est peu. Cela reste néanmoins bon à prendre.
L'électrification des usages est un peu en panne. La fiscalité est à cet égard un enjeu important. Le Sénat l'a abordé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, et ce sujet sera à nouveau sur la table pour le prochain budget.
Toutefois, n'oublions pas de calibrer les mesures que nous prendrons en fonction des capacités financières et des revenus des ménages. En effet, il n'est pas certain que le choix européen d'accélérer sur la mobilité électrique soit supportable financièrement pour les ménages français, alors même que la mobilité est un élément essentiel dans nos territoires. Si l'on veut prévoir des moyens supplémentaires pour accompagner les ménages dans l'achat de pompes à chaleur ou de véhicules électriques, il faut définir un budget adapté.
Des questions se posent également au vu de la provenance des véhicules électriques, qui sont produits pour beaucoup en dehors de l'Union européenne. L'argent du contribuable n'a pas vocation à faire fonctionner des industries extérieures...
Par ailleurs, l'interconnexion de toutes les énergies, à tous les niveaux, est un autre enjeu important. L'Europe croit-elle à l'hydrogène ?
Si notre dépendance a basculé de l'est de l'Europe vers l'ouest, la fragilité qui lui est associée n'en demeure pas moindre, puisque nous restons dépendants. Comment pouvons-nous apporter plus de garanties, à moyen et à long terme, à l'Europe en matière énergétique ? C'est le défi que nous devons relever ensemble.
Mme Mechthild Wörsdörfer. - Pendant la crise, la solidarité a joué entre les vingt-sept États membres. Nous avons créé en six mois des approvisionnements en GNL que nous n'étions pas parvenus pas à mettre en place auparavant. Nous avons accéléré leur déploiement ensemble, pour sortir de la crise. Cela a eu un coût, bien sûr.
La nouvelle Commission européenne, installée depuis six mois, met l'accent sur la sécurité, la décarbonation et le plan d'action consacré aux énergies abordables. Nous cherchons ce que nous pouvons faire à court terme, en matière fiscale notamment, mais aussi, structurellement, en matière de baisse de prix.
Lundi dernier, lors de la réunion du Conseil des ministres de l'énergie de l'Union européenne, nous avons lancé une task force, baptisée Energy Union Task Force, pour approfondir la coopération dans le secteur énergétique, tant au niveau législatif que sur le plan des interconnexions. La Commission européenne veut s'assurer que tous les pays membres sont bien interconnectés. Des manques ont été relevés à cet égard, au sud-ouest et au sud-est de l'Union. Ainsi, si la France est bien dotée en la matière, ce n'est pas le cas de l'Espagne et du Portugal. Un Grid Package consacré aux réseaux devrait paraître à la fin de l'année.
L'hydrogène peut aussi jouer un rôle en matière de décarbonation, surtout pour les industries intensives.
M. Nicolas Berghmans. - Au-delà du déploiement des terminaux de GNL, le développement des énergies renouvelables s'est aussi fortement accéléré, ainsi que celui des pompes à chaleur. Les industriels européens se sont montrés très réactifs et ils doivent maintenant faire face à un retournement de marché. C'est un enjeu industriel important pour l'Europe. Si nous voulons pouvoir électrifier à long terme, il est nécessaire de donner de la prévisibilité sur ces sujets.
Par ailleurs, en 2025, un quart des véhicules vendus dans le monde seront des véhicules électriques. Les choses vont très vite. Le marché automobile chinois va dépasser le marché américain sur les véhicules électriques. Les chiffres de vente de l'Europe ne la placent pas dans le peloton de tête des ventes de véhicules électriques. Cela doit nous faire réfléchir. N'avons-nous pas intérêt, à long terme, à ralentir le déploiement de certaines technologies, en l'occurrence, les véhicules thermiques, sachant que nous ne sommes pas sûrs d'avoir les ressources, c'est-à-dire les énergies fossiles, nécessaires pour les maintenir ? A contrario, nous avons des capacités électriques de long terme.
M. Ronan Le Gleut. - La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a dit qu'une unité sur cinq de l'énergie consommée dans l'Union européenne provenait auparavant des combustibles fossiles russes. Aujourd'hui, nous en sommes à une unité sur vingt. Mais en changeant de fournisseur, n'importons-nous pas une part de gaz ou de pétrole russe sans le savoir ? La Russie n'utilise-t-elle pas des États tiers pour vendre son gaz et son pétrole à l'Union européenne sans qu'elle le sache ? La traçabilité est-elle efficace ?
Mme Mechthild Wörsdörfer. - Les propositions juridiques que nous avons faites mardi dernier ont pour objet d'inciter les États membres et les fournisseurs d'énergie à faire preuve de davantage de transparence et de traçage : c'est l'un des trois objectifs que nous avons fixés.
Mme Florence Blatrix Contat. - Madame Calipel, comment les 200 milliards d'euros de subventions aux énergies fossiles se répartissent-ils ?
Concernant la baisse des ventes de véhicules électriques, les deux flottes - véhicules professionnels et véhicules pour particuliers - sont-elles touchées de la même façon ? Les freins au développement du secteur sont-ils structurels, liés à l'insuffisance du maillage en bornes de recharge, ou sont-ils seulement financiers ? Comment, dans ce secteur, protéger notre industrie nationale ?
S'agissant de la décarbonation nécessaire de notre industrie, l'électricité sera-t-elle compétitive à l'horizon 2029, sachant que l'on prévoit pour le GNL un prix de 25 euros le kilowattheure ?
Dans mon département de l'Ain, l'entreprise Storengy, qui stocke du gaz, est chargée du projet HyPSTER (Hydrogen Pilot Storage for large Ecosystem Replication) de stockage d'hydrogène et de production d'hydrogène par électrolyse. Des entreprises émergent-elles dans cette filière assez peu subventionnée ? S'agit-il d'une filière d'avenir, et pour quels usages ?
M. Dominique Jamme. - Le développement de l'hydrogène vert, qui n'est pas encore compétitif, est largement piloté et soutenu par les politiques publiques. Un premier appel d'offres a été lancé en France, mais les résultats n'ont pas encore été publiés ; c'est un début. Des fonds européens sont également consacrés à cette filière. Ce soutien public est nécessaire pour amorcer la pompe.
Mme Clara Calipel. - S'agissant des énergies fossiles, les subventions qui leur sont consacrées ont beaucoup augmenté dans tous les États membres à la suite de la crise énergétique, les plus gros contributeurs étant la France, l'Italie et l'Allemagne. Ces subventions qui étaient destinées aux ménages et aux entreprises diminuent progressivement du fait de la stabilisation de la situation et de la baisse des prix de l'énergie. Pour autant, leur niveau est beaucoup plus élevé qu'avant la crise. Il ne faut pas oublier que ces mesures servent à aider des foyers vulnérables et des petites entreprises. Il s'agit désormais de transformer ces subventions, qui relèvent de la dépense publique, en un accompagnement à la rénovation des bâtiments et au déploiement de pompes à chaleur, par exemple.
La baisse des ventes de véhicules électriques est une conséquence de l'inflation. Pour autant, le déploiement des bornes de recharge est un point essentiel : c'est la raison pour laquelle il est moins évident d'acheter une voiture électrique lorsque l'on habite à la campagne, où ces bornes font défaut. Cela explique sans doute la légère hausse des ventes de véhicules hybrides rechargeables par rapport aux « 100 % électrique ».
M. Louis Vogel, vice-président. - Madame Wörsdörfer, vous avez évoqué un défaut dans la cuirasse dû au positionnement de deux États membres. Quelle stratégie de négociation l'Union a-t-elle adoptée en vue de résoudre, ou en tout cas de réduire, ce problème ?
Mme Mechthild Wörsdörfer. - Nous croyons beaucoup au dialogue avec tous les États membres et nous avons mis toutes les alternatives sur la table. Mais je ne crois pas que cela changera la position de la Hongrie - pour la Slovaquie, nous verrons. Nous avons proposé un texte, pour lequel seule la majorité qualifiée est nécessaire. Pour prendre des sanctions contre ces deux pays, il aurait fallu un vote unanime. Le Parlement européen et le Conseil vont poursuivre les négociations, mais, quoi qu'il en soit, nous sommes déterminés à réduire à zéro les 13 % d'importations restantes de gaz russe.
M. Louis Vogel, vice-président. - Jean Monnet disait : « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » Il semble qu'il ait fallu la crise de l'énergie pour que notre politique énergétique progresse...
Pour se libérer de nos dépendances, il faut investir. Madame Calipel, les investissements programmés sont-ils à la hauteur des ambitions européennes ? Quel serait le risque d'un sous-investissement pour la compétitivité de notre industrie ?
Mme Clara Calipel. - La transition énergétique est en marche, notamment au travers du pacte vert. Les investissements dans les énergies renouvelables et les réseaux électriques ont augmenté de 17 % en 2023 : on observe toutefois un début de ralentissement en 2024.
Les investissements consacrés au système énergétique, notamment dans les secteurs des transports, du bâtiment et de la production de technologies propres, ont atteint environ 500 milliards d'euros en 2023. Il faudrait dépenser 842 milliards d'euros par an dans ces secteurs pour atteindre les objectifs de l'Agenda 2030 de l'UE. Le principal déficit d'investissement concerne la rénovation énergétique des bâtiments, secteur dans lequel il faudrait investir 127 milliards d'euros supplémentaires ; il manque aussi 64 milliards d'euros pour l'éolien et 19 milliards pour les réseaux électriques - un prérequis pour le déploiement des énergies renouvelables.
Concernant les technologies propres, la dynamique d'investissement a été très satisfaisante, qu'il s'agisse notamment des pompes à chaleur, des batteries électriques ou des voitures électriques. Pour autant, le secteur présente des risques - beaucoup d'usines ont fermé - du fait de la baisse de la demande et d'une compétition internationale très forte.
L'un des freins à l'investissement qui a été mis en avant par les acteurs, entre autres dans l'éolien, est le manque de prévisibilité des revenus, et donc du prix de revente de l'énergie. Il faut aussi citer le manque de soutien politique à long terme.
Notre institut plaide pour des stratégies pluriannuelles de financement des investissements climat mises en place à l'échelle de l'Union européenne et des États membres. Cela permettrait de redonner de la prévisibilité aux acteurs économiques afin qu'ils investissent dans les secteurs stratégiques, en visant les objectifs de développement durable, de résilience, de sécurité énergétique et de compétitivité.
Ce plan d'investissement prévoit certes l'apport de fonds publics, qu'il conviendra de dépenser efficacement, notamment - j'insiste sur ce point - pour aider les ménages les plus vulnérables et les petites entreprises, mais aussi de fonds privés via la fiscalité carbone, la modification de la réglementation et les banques publiques. La Banque européenne d'investissement (BEI) joue ainsi un rôle très important dans le financement de la transition énergétique, en fournissant des garanties et du capital-risque. Quant au leasing social qui a été mis en place en France, il pourrait être généralisé à d'autres États membres.
De multiples politiques publiques sont donc possibles, qui correspondent à des choix politiques forts devant être portés au niveau de l'Union européenne et des États membres. Nous avons ainsi démontré qu'avec la mise en place de telles politiques relais, en France, les besoins additionnels de dépense publique en faveur du climat pourraient passer de 70 milliards à 37 milliards d'euros.
Nous invitons l'Union européenne ainsi que les États membres à réfléchir sur le long terme, en prévoyant un plan pluriannuel d'investissement ; au sein des États membres, les plans nationaux intégrés énergie-climat (Pniec), excellents outils pour commencer ce travail, sont désormais, selon la Commission européenne, pratiquement alignés avec les objectifs européens ; la prochaine étape sera de réunir les informations relatives aux besoins d'investissement.
M. Louis Vogel, vice-président. - Monsieur Jamme, quelles dynamiques d'investissement la CRE envisage-t-elle ? Quels freins a-t-elle identifiés ? Quelles mesures de simplification faudrait-il mettre en oeuvre ?
M. Dominique Jamme. - Il convient de mener une politique d'électrification afin, à la fois, de décarboner et de renforcer la souveraineté énergétique de notre pays ainsi que de l'Union européenne. L'électrification soulève la question du mix de production, mais je ne m'étendrai pas sur ce point.
L'investissement dans les réseaux est un élément, intangible, de la facture d'énergie des ménages et des entreprises. Deux plans sur quinze ans, à hauteur de 100 milliards d'euros, ont été annoncés par RTE et Enedis. Pour cette dernière entreprise, cette transformation n'est pas une révolution : son investissement, qui est de 5 milliards d'euros par an, passera à 6 ou 6,5 milliards d'euros. Celui de RTE, en revanche, triplera, passant de 2 milliards à 6 milliards d'euros par an. Il s'agit, pour partie, d'investissements en anticipation, ce qui représente une certaine prise de risque, notamment pour RTE ; pour autant, ils sont approuvés par la CRE. Ainsi, de très nombreuses demandes de raccordement concernent la décarbonation des zones industrielles, mais il ne s'agit pas de commandes fermes. RTE a donc décidé, pour les grandes zones industrielles à décarboner - Dunkerque, Fos-sur-Mer, Le Havre -, de lancer des programmes massifs de plusieurs gigawatts.
Si l'électrification se fait plus lentement que prévu, on peut anticiper une diminution du soutien public pour les énergies renouvelables et une baisse des demandes de raccordement de la part des consommateurs. Le scénario de 100 milliards d'euros est donc modulable et ne vaut que pour une trajectoire d'électrification forte.
Concernant le gaz, les investissements servent essentiellement à maintenir les réseaux en état de sécurité physique et à raccorder le biométhane, ce qui se fait automatiquement lorsque le réseau est à une distance raisonnable. L'investissement dans ce biogaz n'est donc pas un enjeu majeur.
Il faudra investir beaucoup dans la flexibilité, car en France la consommation est très rigide, et déplacer quelques heures creuses de la nuit vers l'après-midi afin d'inciter à consommer à ce moment-là.
La flexibilité concerne aussi les producteurs d'énergies renouvelables (EnR) qui, à la suite de l'adoption de la loi de finances pour 2025, devront désormais cesser de produire en cas de prix négatifs et abonder les réserves de RTE afin d'assurer en permanence l'équilibre entre l'offre et la demande.
Enfin, il conviendra d'examiner si le stockage de l'électricité par batteries peut se développer en France sans soutien public.
M. Louis Vogel, vice-président. - Madame Wörsdörfer, quelles sont les principales orientations de la Commission en termes d'investissements ? Quels sont les objectifs du pacte pour une industrie propre ? Comment sera-t-il financé ?
Mme Mechthild Wörsdörfer. - L'UE a lancé un plan d'action pour une énergie abordable, qui vise à réduire les coûts de l'énergie. À cette fin, les réseaux doivent être plus efficaces, ils doivent notamment être digitalisés.
On estime les besoins d'investissement dans le secteur énergétique pour la période 2026-2030 à environ 660 milliards d'euros par an. L'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est presque atteint. Il faut investir davantage afin d'augmenter l'efficacité énergétique, notamment pour la rénovation des bâtiments. À cet égard, la France était en avance, mais il convient de poursuivre l'effort.
Les chiffres des besoins d'investissement sont énormes, mais la plus grande part de ces fonds devrait provenir du secteur privé. Au niveau européen, la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), destinée à relancer l'économie, a donné de très bons résultats. Le 16 juillet prochain, la Commission présentera le nouveau cadre financier pluriannuel (CFP). Les discussions avec les États membres seront rudes, mais il est important de convaincre leurs ministres des finances de continuer à soutenir le secteur de l'énergie, comme le recommandaient MM. Draghi et Letta dans leurs rapports.
En vue de débloquer des capitaux privés, la Commission a publié son programme indicatif nucléaire (Pinc), qui permet d'évaluer les besoins d'investissement dans ce secteur jusqu'en 2050. Elle présentera aussi d'ici à la fin de cette année une stratégie visant à lever les divers obstacles et continuera à travailler avec la BEI sur les garanties de contrepartie.
Enfin, la simplification est une priorité afin de renforcer la compétitivité du secteur de l'énergie.
M. Louis Vogel, vice-président. - Monsieur Berghmans, la France et l'UE sont-elles à la hauteur des objectifs qu'elles ont fixés et sont-elles en mesure de les atteindre ? Les mesures de simplification prévues sont-elles suffisantes ?
M. Nicolas Berghmans. - Concernant le financement, même si différents leviers peuvent être utilisés, des dépenses publiques seront de toute façon nécessaires pour renforcer la transition énergétique.
Dans la situation présente, qui est contrainte, et compte tenu des enjeux, qui sont très européens - infrastructures énergétiques, compétitivité de l'industrie européenne, etc. -, il est important de discuter de plans communs d'investissement et de dégager des marges de manoeuvre au niveau européen ; la France a un rôle clé à jouer à cet égard. Beaucoup de synergies sont possibles, notamment en termes de transformation de l'industrie.
Nous devons nous souvenir de la réponse commune que l'Europe avait été capable de donner lors de la crise du Covid-19. La période actuelle n'est pas simple non plus, aux niveaux industriel et géopolitique.
Il convient de remobiliser les instruments financiers à l'échelle européenne, d'utiliser les marges de manoeuvre qui existent au sein de l'Union et de susciter l'appétence des investisseurs internationaux. C'est un sujet politique, qui doit être porté par les États membres.
Ensuite, il faut prendre en compte le moment de transition dans lequel nous nous trouvons : de nombreux investisseurs hésitent à s'engager et les montants actuels ne sont pas à la hauteur des besoins. La solution consiste donc à sécuriser ces investissements.
À ce titre, une idée intéressante est développée dans le Clean Industrial Deal, le pacte pour une industrie propre : la conception de marchés pilotes. Ces lead markets visent à sécuriser et à donner au marché de la visibilité pour certains produits « verts ». Il s'agit, par exemple, du leasing social pour les automobiles, qui démontre qu'il est possible de développer ces marchés en y associant des objectifs sociaux.
La commande publique, qui représente 14 % du PIB de l'Union européenne, peut également être mobilisée ; son rôle peut se révéler extrêmement important pour les nouveaux matériaux, pour les questions énergétiques ou pour la rénovation des bâtiments. L'annonce d'une révision de la directive-cadre sur ce sujet est un enjeu majeur pour l'Union européenne.
Enfin, pour favoriser l'émergence de nouvelles industries fondées sur la circularité, des obligations d'incorporation pour certains secteurs avals peuvent être envisagées, comme l'intégration d'acier vert dans les automobiles.
Agir au niveau européen est pertinent en raison du marché unique et de sa taille. Pour donner un avantage concurrentiel aux producteurs européens, il est important d'aligner les règles en Europe, afin de réaliser des économies d'échelle. Face à l'industrie européenne se trouvent le marché chinois et le marché américain, avec l'Inflation Reduction Act (IRA), dans lesquels les investissements se poursuivent. La taille du marché européen doit donc être utilisée ; c'est le message que l'on trouve au coeur des rapports de Mario Draghi et d'Enrico Letta. Une vérité économique le sous-tend : le marché unique européen pourrait être bien mieux mobilisé à cette fin.
Mme Karine Daniel. - Une question très simple : une idée d'inspiration nationaliste, selon laquelle nous aurions intérêt à sortir du marché européen de l'énergie, fait aujourd'hui son chemin et trouve parfois des traductions législatives. Nous sommes confrontés à ces propos simplistes. Bien que je ne les partage pas, il me paraît important que vous nous exposiez de manière très claire les deux ou trois arguments fondamentaux qui justifient notre intérêt commun à demeurer dans ce marché européen et à le promouvoir.
Mme Mechthild Wörsdörfer. - Nous avons également entendu ces critiques pendant la crise et quelques exemples me viennent à l'esprit.
En 2022, la France a éprouvé des difficultés de maintenance sur ses centrales nucléaires en activité et a dû importer, à défaut de quoi les prix auraient explosé. Le même phénomène peut se produire, comme en Espagne un an plus tard, où le très faible niveau de la production hydraulique a nécessité des importations.
Être connecté et faire partie du marché européen offre donc un avantage sur les prix de l'énergie, car chacun importe et exporte. Plus le marché est vaste et interconnecté, plus il est possible de répartir les coûts entre les vingt-sept États membres, plutôt que de les assumer seul et de dépendre de ses voisins en cas de difficulté. Il me semble que c'est là la raison principale.
M. Dominique Jamme. - Je complète volontiers, car il s'agit également d'une polémique très franco-française, même si elle peut exister dans d'autres pays.
Pendant la crise de l'hiver 2022-2023, nous n'aurions effectivement pas pu assurer la fourniture d'électricité sans les importations. Il convient de le rappeler, même si cela ne date que de deux ans. Les prix auraient peut-être grimpé encore davantage, mais nous aurions surtout risqué de manquer physiquement d'électricité. Les procédures prévues dans un tel cas ne consistent pas en un black-out général, mais en un délestage sélectif et maîtrisé. Nous avons évité ce scénario grâce à nos importantes capacités d'importation.
La crise passée, que se passe-t-il maintenant ? En 2024, la France a exporté 90 térawattheures (TWh) nets, pour une consommation totale de 450 TWh, ce qui représente une recette estimée à 5 milliards d'euros. Sans les interconnexions, ces 90 TWh n'auraient pas été produits. On évoque souvent la modulation de la production nucléaire, mais nous aurions dû l'arrêter bien davantage sans ces exportations.
Le solde de 90 TWh est net : nous avons exporté environ 115 TWh et importé 25 TWh, lorsque nous avions intérêt à le faire, notamment en hiver quand l'électricité était moins chère en Espagne, par exemple. Le gain économique pour l'ensemble de la société est donc extrêmement important.
M. Daniel Gremillet. - Je souhaite poursuivre sur ce point, car son importance est aujourd'hui accrue par les récents événements survenus en Espagne et au Portugal. L'Europe représente une véritable chance et le choc que nous vivons renforce même mon optimisme à ce sujet.
Pour autant, il est heureux que les systèmes de protection propres à chaque État, dont les mix énergétiques diffèrent grandement, aient fonctionné, malgré nos interconnexions. Autrement, après le Portugal et l'Espagne, le black-out menaçait la France, la Belgique, l'Allemagne et les Pays-Bas. La capacité de réaction rapide de notre système nous a protégés d'un phénomène de domino.
La semaine dernière, une réunion du groupe d'études « Énergie » du Sénat a permis de relever ce point et nous avons beaucoup appris, bien que nous ne disposions pas alors de tous les éléments, le rapport espagnol n'ayant pas encore été publié à ce moment-là.
Cet événement est riche d'enseignements de ce point de vue. Pour autant, il ne remet pas en cause l'intérêt de l'intégration européenne. Au contraire, il place sur la table des négociations la question de l'architecture du transport d'énergie et de la protection de chaque État pour éviter cet effet domino.
Certains pays, ayant fait des choix très différents, atteignent des niveaux de production d'énergies renouvelables très importants à certaines périodes, frôlant les 100 %. Ces énergies non pilotables offrent des chances, mais elles apportent aussi des fragilités, qui ne sont pas toutes maîtrisées, car l'élément climatique reste par nature imprévisible.
Je souhaite également vous entendre sur le volet économique des investissements, car le défi du prix de l'énergie est central en Europe. Pour qu'un investissement soit rentable et pour diminuer les coûts, il n'existe pas d'autre solution que de produire au maximum afin de limiter la part des frais fixes. Or, lorsque vous réalisez un investissement et que vous êtes contraint d'arrêter la production en raison d'une surproduction, vous augmentez mécaniquement les prix unitaires.
La commission des affaires économiques du Sénat a consacré de nombreuses auditions à ce sujet et tous les experts ont souligné le delta de compétitivité qui nous sépare des États-Unis ou de la Chine sur le plan énergétique. L'enjeu est donc bien de concilier l'investissement et la compétitivité, afin de garantir des prix accessibles pour notre économie, pour nos concitoyens et pour nos collectivités.
À cet instant, je ne peux omettre d'évoquer l'hydroélectricité. Il s'agit d'un cas dans lequel nous ne pouvons pas investir, alors que c'est une solution pertinente pour répondre aux enjeux sociétaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Je suis peiné de constater que le conflit entre Bruxelles et la France sur les concessions hydroélectriques bloque des investissements qui permettraient à la France, et donc à l'Europe, de disposer d'une capacité de production supplémentaire. De surcroît, le secteur coche toutes les cases : sur le plan industriel, les entreprises qui fabriquent les turbines sont européennes. L'ensemble de ces éléments devrait nous conforter dans nos choix politiques.
Enfin, je voudrais vous interroger sur notre capacité industrielle, qu'il s'agisse de pompes à chaleur, de véhicules électriques voire de rénovation énergétique. Il ne me semble pas que la puissance publique, qu'elle soit européenne ou nationale, ait vocation à subventionner en permanence de tels investissements. Son rôle est de les lancer et de les accompagner jusqu'à leur industrialisation ; par la suite, la réponse économique doit venir de nos entreprises. Nous devons soutenir l'innovation et le développement de notre capacité industrielle, mais il revient ensuite à l'économie de prendre le relais. La subvention perpétuelle n'a pas de sens. Ce défi constitue aussi une chance de reconquête et de relocalisation de la production sur le sol européen.
M. Vincent Louault. - L'agriculteur que je suis se réjouit de constater que la Commission, l'Europe et les économistes européens commencent à comprendre le fonctionnement d'un marché économique !
Lorsqu'un produit n'est pas stockable, il est difficile d'établir un marché sur une plaque continentale. C'est là l'un des principes de base de l'économie. Nous avons été dans une forme de négationnisme en affirmant qu'un marché complètement libéralisé, sur le modèle du blé ou du pétrole, pouvait fonctionner. C'est vrai à l'échelle mondiale ou transcontinentale, mais pas sur un seul continent. Lorsque nos entreprises sont en concurrence, elles supportent alors des coûts supplémentaires, sans valeur ajoutée. Le cas d'Arcelor nous l'a confirmé : l'acier vert ne vaut pas un euro de plus sur le marché. Il en va de même pour moi, agriculteur : mon blé, produit en respectant toutes les normes possibles, se vend au cours de Chicago, comme tous les autres : circulez, il n'y a rien à voir !
Je suis donc satisfait que la Commission prenne conscience de la nécessité de faire baisser les prix. Ce n'était pas le cas auparavant, et c'est le principal reproche que l'on pouvait faire à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) : l'inflation masquait la réalité et rendait rentables toutes les intermittences. En laissant glisser les prix au-delà de 100 euros le mégawattheure, tout devient automatiquement profitable et les idiots utiles de toutes les intermittences l'avaient bien compris.
Je vais vous fournir un rapport qui est encore sous embargo, commandé par les services du Premier ministre, sur l'énergie décarbonée. En vous écoutant, j'ai décidé de vous le communiquer, car rien ne justifie qu'il reste confidentiel. Je vous demande simplement de ne pas le diffuser. Ce document, qui émane du secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et du comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA) de France 2030, explique tous ces enjeux ; c'est la première fois à ma connaissance qu'un rapport aborde la question des coûts et des objectifs de coûts de l'énergie produite. Jusqu'à présent, il était tabou de parler du prix de l'hydrogène ; nous étions dans une bulle. Or les industriels qui en achètent sont confrontés à la concurrence de l'hydrogène d'origine fossile, et ce sera le cas même lorsque tout fonctionnera de manière optimale, avec des électrolyseurs performants. Je suis heureux que la Commission s'empare de ce sujet.
La taxe carbone aux frontières, prévue pour 2029, est une urgence absolue pour nos entreprises. Elles nous le disent : « Nous en avons besoin tout de suite, en 2026. Si nous attendons 2029, nous serons morts. »
Il y a quinze jours, dans Le Point, Pierre-Antoine Delhommais écrivait que 200 milliards d'euros de l'épargne des Français sont investis chaque année aux États-Unis, en raison d'une meilleure rentabilité. Pendant ce temps, comme nous subventionnons à l'excès les énergies renouvelables, ce sont BlackRock et les fonds de pension américains et canadiens qui viennent investir en France. Cherchez la logique ! Nous plaçons notre argent aux États-Unis, et BlackRock revient l'investir chez nous, comme avec ce milliard d'euros destiné à EDF Renouvelables. Si personne n'est choqué que BlackRock vienne investir dans nos énergies renouvelables (EnR), il faut savoir qu'ils ne le font pas pour une rentabilité de seulement 2 ou 3 % !
Je suis très heureux de voir que vous souhaitez passer des dépenses d'exploitation (Opex) aux dépenses d'investissement (Capex). Nous allons en effet consacrer 12 milliards d'euros par an d'Opex aux EnR intermittentes via la charge pour compensation de service public. Nous sommes à 8 milliards aujourd'hui et atteindrons 12 milliards si la trajectoire n'est pas revue. Pour ceux qui ne se rendent pas compte de ce que représentent ces montants, c'est une fois et demi le budget de la politique agricole commune...
Enfin, que peut-on faire pour ramener un peu de bienséance, alors que la France est un peu le cocu de l'histoire ? Nous apportons l'inertie au système européen grâce à nos turbines hydrauliques et nucléaires, et nous sommes déjà décarbonés ; refuser de considérer le nucléaire comme une énergie décarbonée est une injustice pour notre pays. Dès lors, je n'ai pas très envie de construire des interconnexions pour faciliter le transit de l'énergie allemande, alors que ce pays n'est même pas capable de construire des réseaux sur son propre territoire et ne reconnaît pas l'excellence de notre nucléaire.
Mme Florence Blatrix Contat. - J'insiste sur le sujet de l'hydroélectricité. Cette énergie pilotable, qui représente 17 % de notre production électrique et la moitié de nos énergies renouvelables, constitue un véritable enjeu européen, marqué par deux précontentieux.
Nos collègues députés Marie-Noëlle Battistel et Philippe Bolo ont rédigé un excellent rapport à ce sujet, mais ils reconnaissent eux-mêmes que les solutions qu'ils présentent ne sont pas satisfaisantes.
Une directive est donc essentielle pour que les concessions continuent d'être gérées comme elles le sont aujourd'hui. L'enjeu sécuritaire est majeur : le transfert de ce type de compétences au privé entraîne souvent un sous-investissement qui peut engendrer de graves difficultés.
Mme Mechthild Wörsdörfer. - La priorité numéro un de ce mandat de la Commission européenne est clairement la compétitivité. Le pacte pour une industrie propre que nous avons présenté est un véritable plan d'action pour les cinq prochaines années. L'accès à une énergie abordable pour nos industries et les ménages est une priorité de ce plan.
Celui-ci contient des mesures à court terme car, pour les industriels, le problème n'est pas tant le niveau des prix que leur volatilité. Dans le contexte géopolitique actuel, cette dernière fait malheureusement presque partie de notre quotidien. Nous proposons donc des outils, tels que les contrats de vente directe d'électricité (Power Purchase Agreements ou PPA) et les Contracts for Difference (CFD), afin d'offrir aux entreprises une visibilité sur dix à quinze ans, avec un prix plus stable, et de limiter cette volatilité, néfaste au climat d'investissement. Le plan prévoit aussi d'agir auprès des États membres qui taxent encore davantage l'électricité que le carbone.
De plus, une collaboration accrue permet de réduire le coût global pour le système. Lorsqu'un pays rencontre une difficulté, les autres peuvent l'aider. En utilisant mieux le réseau existant, grâce à de nouvelles règles qui entreront en vigueur en 2026, nous ferons baisser les prix ; nos études le confirment. Nous sommes donc déterminés à poursuivre la décarbonation, qui est nécessaire, tout en mettant l'accent sur la compétitivité et sur la sécurité d'approvisionnement.
Concernant l'hydroélectricité, je sais combien il s'agit d'un point sensible. Ce dossier n'est pas directement géré par ma direction générale, mais nous travaillons avec nos collègues pour trouver une solution. Je tiens à être claire : nous soutenons toutes les ressources énergétiques propres. Je n'apprécie pas le terme technology neutral, car nous ne sommes pas neutres : nous sommes en faveur de toutes les énergies propres, qu'il s'agisse de l'hydroélectricité, du biogaz, des énergies renouvelables ou, pour les pays qui le choisissent, du nucléaire. Nos systèmes sont complémentaires et interconnectés, ce qui nous permet de collaborer et d'orienter les investissements dans la bonne direction.
Nous souhaitons intensifier ce travail avec les États membres et le Parlement européen. Le cadre réglementaire est désormais largement en place ; il ne manque que quelques textes finaux concernant le gaz russe et les réseaux. L'enjeu est maintenant sa mise en oeuvre. Si nous appliquons tous ensemble ce qui a été prévu, nous obtiendrons rapidement un impact positif pour faire baisser les prix de l'énergie.
Enfin, concernant le black-out en Espagne, un panel d'experts indépendants du Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité (ENTSO-E) a été constitué et nous attendons ses résultats. J'ai lu le rapport espagnol, il règne dans ce pays une véritable guerre entre les producteurs et les gestionnaires de réseaux pour savoir qui paiera à la fin. Nous attendons le rapport final pour en tirer toutes les conclusions et, surtout, pour éviter qu'un tel événement se reproduise dans l'Union européenne.
Mme Florence Blatrix Contat. - Puisque vous avez évoqué la flexibilité, essentielle pour les années à venir, une question demeure sur un sujet que nous n'avons pas abordé : l'autoconsommation. Comment l'évaluez-vous et comment l'intégrez-vous ?
Mme Mechthild Wörsdörfer. - Cela fait partie de la mise en oeuvre de notre réglementation, qui inclut des projets d'autoconsommation, comme les energy communities, ou des collectifs de citoyens. De nombreuses bonnes pratiques existent et je pourrai vous transmettre des exemples concrets.
M. Nicolas Berghmans. - La nécessité de produire davantage pour réduire les coûts a été soulignée. L'investissement dans la production d'électricité est bien au coeur des plans.
Par ailleurs, la comparaison avec le blé a une certaine limite. Nous pouvons consommer l'énergie de manière plus efficace, dans les processus industriels par exemple, ou dans les logements. Modérer la demande constitue également un enjeu.
Concernant la taxe carbone, nous pouvons nous interroger sur l'efficacité de ce mécanisme. Un agenda européen de révision est en cours de constitution pour le faire évoluer. La première question qui se pose est celle de son extension sectorielle, notamment de l'extension à l'aval, l'enjeu étant que l'instauration de ce mécanisme ne se traduise pas par une perte de compétitivité des secteurs avals - pour le producteur de voitures, par exemple, lors de l'importation d'acier. De nombreux travaux sont en cours sur ce sujet, portant notamment sur l'équilibre entre les coûts et les bénéfices.
La deuxième question qui se pose est celle de la simplification. Un compromis a été trouvé au niveau européen pour exclure les importateurs modestes du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, ce qui réduit considérablement les coûts administratifs pour de petits acteurs économiques, tout en retirant seulement 1 % des émissions de gaz à effet de serre du périmètre de la taxe.
Enfin, la troisième question est celle des moyens permettant d'éviter le contournement de ce mécanisme. Un producteur étranger pourrait se dire décarboné, au motif qu'il dispose d'un contrat d'approvisionnement en énergies renouvelables, alors que son mix énergétique est en réalité encore très carboné. Une évolution est nécessaire pour rendre les règles plus strictes et éviter ce genre de contournement. La France est mobilisée sur ce sujet.
Mme Clara Calipel - Les aides n'ont effectivement pas vocation à être permanentes. Nous avons besoin d'aides pour stimuler l'innovation mais l'objectif est de créer des marchés rentables, pour les entreprises comme pour les ménages. Pour y parvenir, il faut créer des conditions favorables à une hausse de la demande. Ainsi, la réglementation visant à interdire la vente de véhicules thermiques neufs en 2035 encouragera, de fait, la demande de véhicules électriques, car de nombreux ménages ont les moyens de les acheter.
De plus, l'État peut aussi investir en fonds propres.
Le prix de l'énergie est un sujet important. Nous devons pouvoir faire des prévisions sur les prix de l'énergie à dix ou quinze ans, pour donner de la visibilité aux acteurs et encourager les investissements.
M. Dominique Jamme. - Nous pouvons nous réjouir du fait que les systèmes d'arrêt automatique de RTE aient fonctionné lors du black-out survenu en Espagne et au Portugal, pour éviter la propagation.
Le rapport des autorités espagnoles semble montrer que le problème n'était pas lié à la proportion des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Le rapport d'ENTSO-E, indépendant, paraîtra toutefois dans quelques semaines. Un point important à relever est que l'Espagne dispose d'un grand nombre d'énergies renouvelables, mais de peu de batteries. Or, si l'électricité n'est pas stockable facilement, il existe de plus en plus de batteries, dont les prix ont fortement diminué. Ce sont des systèmes extrêmement sophistiqués, utiles notamment pour la sauvegarde du réseau ou pour stocker l'appoint en énergie solaire.
Enfin, la compétitivité est évidemment un facteur important. La CRE fait de son mieux pour avoir des opérateurs de réseaux efficaces, qui sélectionnent les investissements les plus rentables et gèrent leurs dépenses efficacement.
Les marchés valorisent par ailleurs l'excellence du nucléaire français depuis la sortie de la crise. Les prix français de l'électricité annoncés pour 2026 et 2027 sont inférieurs de 20 euros à 25 euros à ceux de l'Allemagne et de 40 euros à ceux de l'Italie. La stabilité de la production française est donc valorisée par les marchés, ce qui se répercute directement sur les factures des industriels et des particuliers. Le fonctionnement du marché européen envoie, à cet égard, de bons signaux, à moyen comme à très court terme, pour développer les batteries et la flexibilité de la consommation.
En revanche, il ne fournit pas de signal de prix à dix ou quinze ans. Mais sommes-nous certains qu'aucun problème de production nucléaire ne se présentera d'ici là, comme en 2022 ? Pour rappel, cette année-là, 280 térawattheures ont été produits, contre 360 en 2021 et 320 en 2023. Le parc nucléaire a connu une année de défaillance, après quarante années d'excellence. Or nous dépendons toujours de lui. Il est donc difficile de garantir un prix pour dix ou quinze ans dans le cadre du marché européen de l'énergie.
M. Louis Vogel, vice-président. - La coordination entre l'intervention publique et celle des opérateurs privés est également une question importante.
Merci à tous.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 50.