Mardi 17 juin 2025

- Présidence de Mme Olivia Richard, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 00.

Audition de Mme Marie-Agnès Petit, présidente du département de la Haute-Loire (association Départements de France)

Mme Olivia Richard, présidente. - Nous accueillons Mme Marie-Agnès Petit, présidente du département de la Haute-Loire, qui représente l'association Départements de France. Elle est accompagnée de M. Philippe Herscu, conseiller de Départements de France chargé de l'aménagement du territoire, et de Mme Marylène Jouvien, responsable des relations avec le Parlement au sein de cette association. L'accompagnent également Mme Karine Vincent, sa directrice de cabinet, ainsi que M. Mathieu Freyssenet-Peyrard, son directeur adjoint de cabinet.

Madame la présidente, je vous remercie de vous être rendue disponible pour nous. Je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de M. Gilbert-Luc Devinaz, notre président, que j'ai l'honneur de remplacer en tant que vice-présidente de cette mission d'information.

Je rappelle que cette réunion donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport et que son enregistrement vidéo, accessible en direct sur le site du Sénat, pourra être consulté par la suite en vidéo à la demande. Je précise par ailleurs que nos travaux ont commencé à la fin du mois d'avril et que le rapport de notre mission devrait être rendu public en septembre prochain.

Aux auditions conduites au Sénat s'ajoutent des déplacements sur le terrain. Dès le début de cette mission d'information, nous avons souhaité axer nos réflexions sur la dimension territoriale de l'accès aux services publics. Nous nous sommes donc adressés aux élus locaux, que nous avons consultés sur le site du Sénat afin de connaître leur ressenti sur la situation des services publics dans leurs territoires et, grâce à leurs témoignages, recueillir des exemples de bonnes pratiques susceptibles d'inspirer notre analyse et nos recommandations. Les élus qui nous ont répondu sont, dans leur très grande majorité, des élus du bloc municipal. L'audition de Départements de France complétera donc utilement les informations reçues à l'occasion de cette consultation.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - La dimension territoriale de notre sujet est essentielle. Les collectivités territoriales, pourvoyeuses de services publics décisifs pour le quotidien de nos concitoyens, sont, par leur dynamisme et leur proximité à l'égard des usagers, en mesure de mettre en oeuvre de bonnes pratiques susceptibles d'inspirer notre rapport.

Quelles améliorations spécifiques les départements ont-ils apportées aux services publics qu'ils gèrent ? Quels exemples de bonnes pratiques pourriez-vous nous donner ?

Quelles évolutions permettraient-elles de simplifier la gestion des services publics départementaux et de faciliter l'accès des usagers à ces services ?

Mme Marie-Agnès Petit, présidente du département de la Haute-Loire, représentante de Départements de France. - Merci d'avoir pensé aux départements de France. Les départements, par leurs compétences et leurs missions, interviennent effectivement dans les thématiques sociales ou territoriales. Par leurs interventions dans la culture, le sport, la petite enfance, la santé ou encore les services à domicile, ils contribuent au développement des services publics. Nombre de départements ont d'ailleurs élaboré ce que l'on appelle les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASaP), qui arrivent, pour beaucoup, à échéance. Nous verrons comment les départements s'emparent de cet outil pour répondre, au travers des services au public, aux enjeux de cohésion territoriale et sociale. Car tout l'enjeu est là : celui de la proximité des services publics.

Qu'en est-il de l'amélioration des services publics dans les départements ? Il y a dix ou quinze ans, les services d'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atésat) ont disparu, alors qu'ils étaient présents dans tous les départements. Les maires se sont alors tournés vers les départements pour chercher un appui. Un rapport d'information du Sénat a mis en évidence cet élan naturel. L'ingénierie a ensuite été déployée dans de nombreux départements. Nous comptons désormais environ 72 agences d'ingénierie départementales.

Face à la fermeture des services de trésorerie, des guichets bancaires, des écoles, à laquelle s'ajoute celle des commerces de proximité, nos populations se sentent abandonnées et ont un fort sentiment d'éloignement, particulièrement dans les territoires ruraux.

Le Gouvernement a souhaité inverser la tendance ces dernières années et aller vers les usagers, avec la création des maisons France Services. C'est un outil au service des usagers, grâce auquel il est possible de leur apporter des réponses, en lien avec l'ensemble des partenaires : caisses d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat), Mutualité sociale agricole (MSA), etc.

Le problème est que ces réponses sont souvent apportées au moyen des nouvelles technologies, dont certaines populations se retrouvent malheureusement exclues. C'est tout le travail qui doit être mené sur l'inclusion numérique.

En Haute-Loire, j'ai fait la tournée des maires à l'automne 2023. Or la première préoccupation des populations et des maires est celle de la santé. Veillons donc à ne pas sacrifier les outils de santé de proximité que sont les Ehpad ou les maisons de santé, sous prétexte qu'il faudrait plus de 80 lits pour qu'ils fonctionnent bien. Si nous en arrivons là, les déserts médicosociaux s'ajouteront aux déserts médicaux.

Lorsque nous évoquons les services publics, nous pensons aussi à l'école. La ruralité a perdu 13 % de ses élèves en dix ans, contre 3 % dans les zones urbaines. La démographie scolaire est à la baisse, à tous les niveaux. Pourtant, il demeure de notre responsabilité de service public de proposer une offre pédagogique à tous les enfants, où qu'ils soient, notamment dans les territoires ruraux. J'aimerais que l'on arrête de cocher des cases en fonction du nombre d'élèves, du nombre de classes... S'il fallait fermer un collège chaque fois qu'il descend sous la barre des 120 élèves, on en fermerait presque dix en Haute-Loire !

L'école est l'enjeu de demain du service public. Il faut placer le collège au coeur de la vie des territoires. C'est un outil essentiel de leur aménagement. Faisons sortir nos collégiens de leurs bâtiments, voyons comment mutualiser des projets avec les communes et les communautés de communes. C'est cela aussi, le service au public.

En Haute-Loire, un diagnostic a mis en évidence l'existence de 28 000 mètres carrés de bâtiments disponibles dans les collèges. J'envisage de laisser un bâtiment à la disposition d'une commune pour ouvrir une maison de santé. C'est cela, l'« aller vers », et le « faire ensemble ».

La mobilité - accessibilité routière ou numérique - est également un enjeu important de service au public. Dans nos territoires ruraux, qui sont nombreux, nous aurons besoin de notre voiture, demain comme aujourd'hui. La route est la condition essentielle d'accès à l'emploi et à la formation. Elle fait d'ailleurs partie du cadre de vie souhaité par les habitants qui voudraient venir s'installer chez nous. Il faut donc refonder le modèle économique de la route, surtout au vu des difficultés financières des départements, et oeuvrer également en faveur de l'accessibilité ferroviaire.

L'accessibilité numérique est également indispensable, avant même de parler d'inclusion numérique. Les bons tuyaux doivent arriver d'abord aux bons endroits.

Nous relevons donc plusieurs points négatifs sur les thématiques de la santé, de l'école et de l'enseignement en général, notamment concernant l'accès aux études supérieures. Les enfants de chez nous doivent partir à Lyon ou à Clermont-Ferrand pour faire leurs études, ce qui entraîne des coûts pour les familles, particulièrement en termes de logement. La crise du logement est d'ailleurs toujours très vive, particulièrement dans le logement social, notamment dans les zones tendues.

Pourtant, le service au public, notamment via les maisons France Services, a bien évolué. Selon un sondage récent, 81 % des Français sont satisfaits du service public de l'école, 80 % de celui de l'hôpital et 78 % de celui de la gendarmerie. Ces appréciations varient toutefois selon l'âge des répondants. Nous devons voir comment continuer à proposer ce service au public.

Cependant, au-delà de la satisfaction énoncée, les usagers continuent à dire que les dispositifs sont trop complexes, qu'il faut s'adresser à plusieurs personnes pour une même démarche, auxquelles il faut d'ailleurs envoyer les mêmes documents, et que les démarches sont bien trop longues. C'est le cas, par exemple, pour les caisses d'allocations familiales (CAF), les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), où les délais de traitement varient entre trois, six et huit mois.

Or les services au public accessibles désormais dans les maisons France Services risquent d'être mis à mal, car des questions se posent concernant la pérennité de cet outil. Ce dernier est financé pour moitié par les collectivités, lesquelles perçoivent 50 000 euros par an pour le faire, alors qu'un établissement de ce type coûte environ 100 000 euros par an. Nous devrons donc étudier la meilleure façon de pérenniser et de renforcer ce système.

Les découpages territoriaux engendrés par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, ont suscité des concurrences entre les territoires. Quand les élus départementaux que nous sommes se sont demandé comment faire pour créer de la cohésion territoriale, ce texte n'a pas aidé. L'échelon départemental est pourtant le plus adapté pour trouver cette cohésion et cette collaboration de proximité. Nous avions tout intérêt à le préserver, pour « aller vers », et « faire ensemble ». C'est ce que font de nombreux départements par l'intermédiaire des maisons France Services.

Certains se demandent s'il ne serait pas judicieux de labelliser les services des départements au sein de ces dernières structures. Mais cette question n'est pas la bonne. La question est de savoir comment les équipes du département, de l'État, de France Travail, de la Carsat, peuvent avoir la volonté de travailler ensemble pour répondre aux usagers. L'enjeu est de créer un guichet unique susceptible de servir de fil rouge pour que les services cherchent les réponses nécessaires auprès de leurs partenaires, et éviter ainsi que les usagers n'aient à faire toutes les démarches eux-mêmes.

C'est ce qu'ont fait de nombreux départements en créant les maisons départementales de l'autonomie et les maisons départementales de l'habitat. Quand on parle de logement, c'est illisible ! Personne n'y comprend rien. Les maisons départementales de l'habitat forment ce guichet unique, ce fil rouge, qui permet de répondre à l'usager. Il faut garder cette idée en tête.

Les démarches à effectuer pour un départ à la retraite sont impressionnantes : il faut envoyer les mêmes documents à quatre ou cinq organismes différents ! Quand aurons-nous un seul organisme qui les transmettra à tous ?

Les agences d'ingénierie tiennent précisément ce rôle : elles mettent tous les partenaires autour de la table et servent de guichet unique pour accompagner les maires et les présidents de communautés de communes dans leurs projets. De la même façon, il faut que nous regardions en coulisse comment procéder avec nos services, l'enjeu étant d'abord de répondre aux usagers.

Depuis le 1er janvier, tous les demandeurs d'emploi et bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) sont inscrits à France Travail. Le Gouvernement a demandé que France Travail travaille avec les départements. Mais en Haute-Loire, nous n'avons pas attendu cette loi ! Depuis des années, des équipes de France Travail et du département se mettent autour de la table toutes les semaines, avec des partenaires comme Cap emploi, pour répondre aux usagers : cela va de la jeune fille de 25 ans qui a terminé ses études et se demande ce qu'elle va pouvoir faire dans la vie à la mère de famille de 35 ans - autant de cas différents pour lesquels les réponses ne seront pas les mêmes. Notre volonté est d'aller chercher l'information pour l'apporter aux usagers, afin de les rassurer et de les sécuriser. Quand toutes les équipes partagent cette volonté, cela fonctionne. Laissons-les s'approprier le bon sens paysan, loin des labels, des lois, des décrets.

Quelles améliorations spécifiques ont-elles été apportées aux services publics gérés par les départements ? Les départements ont donc ouvert des agences d'ingénierie, des maisons départementales, comme je l'ai souligné. Mais voilà qu'arrive le programme Petites Villes de demain ! Qu'en faisons-nous ? Comment accompagner les maires dans le diagnostic proposé ? En Haute-Loire, nous avons fait réseauter les techniciens de ce programme, pour qu'ils entraînent les maires dans des projets.

Mais arrive le programme Villages d'avenir ! Qu'en faisons-nous ? Alors que 72 départements se sont déjà dotés d'agences d'ingénierie, le bon sens aurait voulu que l'État décide de faire travailler les agents du programme Villages d'avenir avec ceux des agences d'ingénierie. Arrêtons de travailler en silos ! Nous sommes élus pour rendre service aux usagers, ne l'oublions jamais.

J'aimerais d'ailleurs que l'on donne davantage de responsabilités au préfet, pour qu'il devienne un véritable patron dans son département, plutôt que d'être obligé d'interroger sans arrêt la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), etc. L'échelon départemental est certainement le plus adapté pour favoriser la cohésion sociale et territoriale.

Quels sont les services publics départementaux qui concentrent le plus de critiques ou d'expressions de besoins de la part des usagers ? Pour ce qui me concerne, la réponse est simple : le déneigement ! Tout le monde voudrait que le chasse-neige passe devant sa maison le matin de bonne heure, or c'est impossible. Les problèmes de l'accessibilité routière et numérique reviennent aussi régulièrement, tout comme celui de la complexité administrative.

Il ne faut pas baisser les bras, mais remettre l'usager au centre du dispositif, et tenter de former un chef de file, un fil rouge, pour l'accompagner dans son parcours. L'usager disposera alors d'un interlocuteur unique, et la complexité administrative sera traitée par les services et non plus par lui.

L'échelon départemental peut également jouer un rôle de facilitateur. Les secrétaires de mairie, les France Services, France Travail peuvent partager des informations afin de mieux répondre aux usagers. Il faut aller vers : les médicobus l'illustrent bien, tout comme les bibliobus ou les bus de la protection maternelle et infantile (bus PMI). L'aller vers devient indispensable.

Encore faut-il toutefois que les départements qui le proposent aient les capacités financières de l'assumer. Or, compte tenu de leurs contraintes budgétaires, ce n'est pas certain. Les départements ne sont ainsi pas sûrs de pouvoir maintenir les permanences des maisons des solidarités ou financer l'inclusion numérique.

Les services au public sont donc un véritable enjeu, surtout dans les territoires ruraux. Ils sont une garantie de cohésion sociale et territoriale et un facteur d'attractivité pour nos territoires.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Merci pour votre fraîcheur : dans mon département du Finistère, le déneigement n'est pas un enjeu... (Sourires)

Que trouve-t-on dans les maisons départementales de l'habitat ? Où les permanences s'organisent-elles ?

Mme Marie-Agnès Petit. - La maison départementale de l'habitat propose des informations sur les subventions disponibles en fonction des projets. Les usagers y trouvent également des personnes susceptibles de les aider à remplir leur dossier pour les demander, ainsi que des informations juridiques utiles, par exemple, en cas de conflit de voisinage au sein d'une résidence.

En Haute-Loire, les permanences se font soit dans les maisons France Services, soit dans les mairies, soit dans des locaux spécifiques dédiés pour l'occasion. Les équipes des maisons départementales de l'habitat sont aussi présentes dans les salons de l'habitat. C'est l'aller vers, qui implique un souci de la proximité à l'égard des usagers.

Certains départements, dont la Haute-Loire fait partie depuis le 1er janvier 2021, ont demandé par ailleurs une délégation de compétences en matière d'aide à la pierre, mais ce n'est pas le cas de tous. Or la situation du secteur du logement est tendue, et les départements délégataires peinent financièrement à continuer à accompagner les dossiers - d'autant que le dispositif MaPrimeRénov' fait une petite pause, comme vous l'avez remarqué...

La maison départementale de l'autonomie de Haute-Loire a été créée à partir de l'ancienne MDPH, pour répondre aux besoins des usagers, lesquels sont souvent à la fois âgés et handicapés. Un guichet unique était donc nécessaire pour les accompagner dans leurs parcours - technique, administratif, financier, juridique - et dans leur recherche de place.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Comment les usagers peuvent-ils accéder à ces maisons : peuvent-ils obtenir un rendez-vous par téléphone ou doivent-ils se connecter à une plateforme ou envoyer un mail ?

Mme Marie-Agnès Petit. - Non, nous n'aimons pas les plateformes... Nous les premiers, en tant qu'usagers, nous voulons un accueil humanisé.

Mme Catherine Conconne. - C'est bien !

Mme Marie-Agnès Petit. - Point de répondeur téléphonique demandant à l'usager de taper un, puis deux, puis trois. Nos maisons départementales de l'autonomie sont accessibles par téléphone et il est également possible de s'y présenter en personne et d'y être reçu. Un accueil humanisé est indispensable.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - C'est la clé.

Mme Marie-Agnès Petit. - Oui. Tous les présidents de communautés de communes et tous les maires se demandent par ailleurs si l'État sera toujours au rendez-vous pour financer les conseillers numériques. Les départements sont, eux, au rendez-vous pour financer l'inclusion numérique. Nous pensons notamment à l'accompagnement spécifique des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Il est hors de question de passer au tout numérique et au tout dématérialisé.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Les difficultés d'accès au numérique concernent aussi les jeunes, car s'ils savent très bien se servir de leurs portables pour les réseaux sociaux, il en va tout autrement lorsqu'il est question de faire des démarches administratives.

Mme Marie-Agnès Petit. - Tout à fait. Certains ont besoin d'un accompagnement pour remplir un tableau Excel.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Une maison France Services du Rhône assure des permanences dans des lycées ; cette bonne pratique nous a paru intéressante, notamment pour aider les jeunes gens dans leurs démarches d'obtention de leur carte d'identité.

Mme Marie-Agnès Petit. - Les systèmes numériques servant pour les demandes de passeport ou de carte grise sont souvent défaillants, ce qui décourage les usagers, qui renoncent à ces démarches. La maire de La Chapelle-Geneste s'est ainsi aperçue que 60 % de ses administrés avaient une carte d'identité non valable. Autrefois, il était possible d'en demander une nouvelle directement par l'intermédiaire du maire. Maintenant, ce n'est plus le cas. Il n'est pas étonnant que cela constitue un repoussoir pour les usagers. Il faut privilégier l'aller vers et l'humanisation de l'accueil.

M. Jean-Luc Brault. - Autrefois, on s'entraidait, on se rendait service dans les campagnes, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Il faut renforcer le pouvoir du préfet. Dans mon département, le Loir-et-Cher, cette nécessité se fait particulièrement sentir s'agissant de l'accueil des gens du voyage.

Par ailleurs, si la constitution d'un guichet unique est pertinente, encore faut-il trouver le personnel compétent pour y travailler. Or ces compétences ne sont pas forcément disponibles dans les campagnes. Et les salariés concernés ne sont pas assez payés, alors qu'ils assument de nombreuses missions. Il faudrait faire des efforts sur ce point. Mais qui les financera ?

Mme Marie-Agnès Petit. - Il faut effectivement des professionnels bien formés. De plus, la question se pose de savoir jusqu'où ils peuvent aller dans leurs missions. Ainsi, de nombreux usagers demandent aux assistantes sociales des maisons départementales des solidarités de faire leur déclaration de revenus. Cela soulève la question de la responsabilité que prennent les agents, qu'ils relèvent du département ou de l'État.

Le département de la Manche a créé une arobase spécifique « services Manche ».

En Haute-Loire, l'inclusion numérique a été mise au service des collégiens, notamment par le biais de la labellisation « bibliothèque numérique rurale » de notre médiathèque, destinée particulièrement aux enfants « dys », qui sont assez nombreux.

La fermeture des urgences comme la fermeture de lits dans les Ehpad ont un impact direct sur les pompiers, qui se trouvent alors tenus d'assumer des missions qui ne sont pas les leurs. Ce phénomène peut constituer un repoussoir pour cet engagement, notamment pour les sapeurs-pompiers volontaires. Attention à ne pas déséquilibrer les missions existantes, au risque d'aggraver les difficultés sanitaires. L'Ain déplore ainsi 13 000 carences ambulancières par an, soit un nombre équivalent au nombre annuel de sorties de pompiers en Haute-Loire.

M. Jean-Luc Brault. - L'Ain est un département très industrialisé, par rapport à la Haute-Loire.

Mme Marie-Agnès Petit. - Oui, mais il reste que, si l'on commence à mettre le doigt dans cet engrenage, il en résulte de l'activité supplémentaire pour les pompiers volontaires, ce qui pourrait fournir des arguments à la Commission européenne pour leur professionnalisation. Veillons à ne pas scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Les abandons de poste sont d'ailleurs nombreux. Un service d'urgences du centre Finistère est fermé depuis près de deux ans. Or, tous les mois, de nombreux sapeurs-pompiers abandonnent leur mission, car leur activité principale consiste désormais à transporter les patients à l'hôpital.

Mme Marie-Agnès Petit. - Oui, c'est un repoussoir pour eux, car ils n'assurent plus leurs missions. Les sapeurs-pompiers constituent pourtant le dernier service public à être disponible sept jours sur sept et 365 jours sur 365, dans 90 % des cas pour du secours à la personne.

Mme Olivia Richard, présidente. - Quelles coordinations existent-elles entre les départements et les régions ?

Mme Marie-Agnès Petit. - C'est une bonne question. La loi NOTRe ne nous a pas aidés sur ce point. Les cantons ne sont plus désormais qu'une entité administrative, et personne ne se retrouve dans les immenses régions actuelles. Il était ridicule par ailleurs de doter ces régions de la compétence économie en la retirant aux départements. De même, leur confier la compétence transports ne jouait pas en faveur de la proximité, alors qu'il existait une belle articulation entre les départements, les autorités organisatrices de premier rang (AO1) et de deuxième rang (AO2), les communautés de communes et les communes pour le ramassage scolaire. Une grande distance sépare la planète régionale des petits villages.

Il existe donc peu de relations entre les régions et les départements, chacun restant dans sa collectivité. Pour y remédier, certains avancent parfois l'idée du conseiller territorial. Mais si une telle fonction avait pu avoir du sens il y a dix ans, du temps des anciennes régions, il en va tout autrement aujourd'hui. Nous perdrions notre âme, et notre esprit.

Quelles relations pourrions-nous donc avoir ? Les départements ne sont pas sollicités sur les contrats de plan État-région. Les appels à projets ou appels à manifestations d'intérêt sont également peu pertinents : ce sont des carottes pour faire avancer les ânes...

L'État a proposé des contrats locaux des solidarités sur l'autonomie, ou l'insertion. Mais les départements sont déjà impliqués dans ces thématiques, et ce dispositif serait coûteux. En réalité, il faudrait changer les choses au niveau de l'État. En effet, si les relations sont très bonnes en Auvergne-Rhône-Alpes, chacun travaille dans son couloir en fonction de ses compétences. Et qu'en est-il des métropoles et des agglomérations, sans parler des parcs naturels régionaux ? Nous n'en sortons pas ! Nous devons favoriser le plus possible la proximité, pour répondre au mieux aux usagers.

Mme Catherine Conconne. - Absolument !

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Merci beaucoup.

Mme Marie-Agnès Petit. - Je vous souhaite bonne continuation dans vos territoires respectifs.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - La région Bretagne en est restée à quatre départements.

Mme Catherine Conconne. - En Martinique, le département et la région ont fusionné, comme en Guyane. Tout dépend en réalité des relations personnelles entre les membres des exécutifs.

Mme Marie-Agnès Petit. - Le bon sens et la volonté prévalent, nul besoin d'un décret ou d'un texte de loi. Ainsi, nous avons tous, en Haute-Loire, la volonté de travailler ensemble. Nous avons réuni tous les acteurs autour de la table pour l'élaboration du plan santé.

Par ailleurs, nous devons ouvrir au maximum le collège vers l'extérieur, en lien avec la commune et d'autres acteurs.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Paradoxalement, alors que la région Bretagne verra sa population croître de 10 % dans les dix à quinze ans, elle ne cesse de perdre des élèves, depuis plusieurs années. Nous envisageons d'ouvrir des collèges-lycées, pour éviter d'avoir à déplacer les enfants de plusieurs dizaines de kilomètres pour aller au lycée alors que leurs collèges ont des mètres carrés disponibles. La différence entre l'élève qui prend son bus à 6 heures du matin et celui qui se lève à 8 heures moins le quart pour commencer à 8 h 30 soulève un problème d'équité.

Mme Marie-Agnès Petit. - C'est l'enjeu de notre plan « ambition collège ». Nous étudions le nombre de mètres carrés disponibles dans les collèges, sachant que nous avons presque autant de collèges privés que de collèges publics, que nous attendons 300 élèves de moins à chaque rentrée, mais qu'il n'en faut pas moins présenter une offre pédagogique aux enfants. C'est une vraie responsabilité, et un vrai enjeu pour nos territoires.

Mme Olivia Richard, présidente. - Merci pour cette audition passionnante.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible  en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer

Mme Olivia Richard, présidente. - Nous auditionnons maintenant M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer.

Je vous prie d'excuser l'absence de M. Devinaz, notre président, que j'ai l'honneur de remplacer en tant que vice-présidente de cette mission d'information.

Je salue la présence à mes côtés de Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Cette audition est en effet ouverte aux membres de la délégation.

Je rappelle que cette réunion donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et que son enregistrement vidéo, accessible en direct sur le site du Sénat, pourra être consulté par la suite en VOD.

Dès le début de nos travaux, la dimension territoriale de notre réflexion sur l'accès aux services publics s'est imposée ; dans cette logique, les enjeux ultramarins nous semblent particulièrement importants. Lors de son audition, la Défenseure des droits a évoqué le manque d'espaces France Services dans les outre-mer. Un élu polynésien, qui s'est adressé à nous dans le cadre de la consultation en ligne à laquelle nous avons procédé en avril et en mai, a jugé que l'accès aux services publics dans son territoire s'était « plutôt dégradé » au fil du temps, la gendarmerie étant selon lui le « seul service public de l'État disponible physiquement ». Par ailleurs, cet élu évoquait l'intérêt, sur son atoll, du dispositif Fare ora. Vous allez certainement nous en parler.

Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je vous remercie de consacrer une séquence de vos travaux à la situation dans les outre-mer. Présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer depuis deux ans, j'ai cherché à développer les regards croisés et les réflexions transversales sur les outre-mer pour mieux étudier les problèmes de ces territoires. Cette mission d'information est une formidable opportunité d'aborder le sujet crucial de l'accès aux services publics dans les territoires ultramarins, qui sont éloignés et isolés, car ils sont tous insulaires, à l'exception de la Guyane. Cette année, à l'occasion de la publication du rapport d'information sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, rédigé par Philippe Bas et Victorin Lurel, nous avons pu mesurer combien certains services publics, comme la justice, étaient fragilisés et en difficulté. Cette situation suscite une perte de confiance des citoyens ultramarins en l'État et un véritable sentiment d'urgence.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Monsieur le directeur général, nous aimerions savoir quelles sont les principales difficultés d'accès aux services publics rencontrées par les territoires ultramarins, qu'il s'agisse des services publics nationaux ou des services publics locaux. À quoi ces difficultés tiennent-elles ? Concernent-elles plus particulièrement certains champs de l'action publique, comme le social ou la délivrance de documents d'état-civil ?

Compte tenu des contraintes géographiques propres aux territoires ultramarins, quelles synergies ou mutualisations sont envisageables pour assurer l'accès aux services publics, y compris locaux ? Le modèle de France Services pourrait-il être adapté plus précisément aux enjeux ultramarins ? Je pense notamment aux pirogues qui sont déployées en Guyane ou aux fare ora en Polynésie française.

M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer. - La mission quotidienne de la direction générale des outre-mer (DGOM) est d'attirer l'attention des autres administrations sur les spécificités des outre-mer. Ma direction ne gère pas directement les services publics en outre-mer et n'est donc pas responsable de leur accessibilité.

Vous m'avez interrogé sur les difficultés d'accès aux services publics dans les outre-mer. Mes réponses seront parfois transversales, parfois territorialisées, car les outre-mer présentent des spécificités marquées, qu'elles soient géographiques ou institutionnelles. Aucun territoire ultramarin ne ressemble à un autre, même lorsqu'ils sont voisins : Saint-Barthélemy ne ressemble pas à Saint-Martin ; la Guadeloupe ne ressemble pas à la Martinique ; la Polynésie ne ressemble pas à la Nouvelle-Calédonie, etc.

Outre ces particularités géographiques, il existe aussi des particularités institutionnelles, qui ont une incidence directe sur l'accessibilité des services publics. Certains territoires disposent d'une autonomie très avancée. En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, de nombreuses compétences traditionnellement exercées par l'État ont été transférées depuis longtemps aux collectivités territoriales ; je pense notamment à l'éducation nationale.

La première difficulté commune aux outre-mer en ce qui concerne l'accès aux services publics est évidemment d'ordre géographique. Ce qui frappe immédiatement lorsque l'on pense à ces territoires, c'est leur éloignement, leur isolement. La question de la continuité territoriale, notamment pour l'accès aux services publics, est parfois posée, notamment lorsque cet éloignement se conjugue avec une double insularité. La Guadeloupe, par exemple, est un archipel, qui regroupe la Guadeloupe continentale, composée de la Basse-Terre et de la Grande-Terre, et les îles des Saintes, de la Désirade et de Marie-Galante. La situation est comparable en Nouvelle-Calédonie, et plus encore en Polynésie française. Même lorsqu'il ne s'agit pas d'îles, l'isolement peut être extrême : en Guyane, certaines communes de l'intérieur, très éloignées de Cayenne, ne sont accessibles qu'en avion.

La deuxième difficulté est la faiblesse des transports en commun. Dans beaucoup de territoires ultramarins, le recours à la voiture est quasi systématique. Des transports en commun existent, bien sûr, mais ils restent insuffisants et leur efficacité varie fortement d'un territoire à l'autre.

La fracture numérique est une autre source de difficultés. De nombreux territoires ne disposent pas de réseaux en fibre optique. La couverture en téléphonie mobile, en 4G ou en 5G, n'est pas toujours bonne. Il faut aussi mentionner l'illectronisme. Dans certains territoires en effet, en raison de taux de pauvreté élevés, on observe également des taux préoccupants d'illettrisme et d'illectronisme. C'est le cas notamment à Mayotte et en Guyane. À Mayotte, le taux d'illettrisme dépasse les 30 % de la population. Dès lors, dans un contexte de numérisation croissante des services publics, les difficultés d'accès deviennent particulièrement aiguës.

Sur ce point, je peux également m'appuyer sur mon expérience passée. Avant d'être directeur général des outre-mer, j'ai exercé les fonctions de directeur du management de l'administration territoriale et de l'encadrement supérieur (DMATES). Cette direction gère notamment le réseau des préfectures et des sous-préfectures. J'ai donc eu à travailler sur les conditions d'accès aux titres fondamentaux - cartes d'identité, permis de conduire, passeports, cartes grises, etc.

Une autre source de difficultés tient au fait que les dynamiques démographiques sont très contrastées selon les territoires. Certains sont entrés dans un hiver démographique. C'est le cas, notamment, des Antilles françaises, où la part des personnes de plus de 60 ans est très élevée. À l'inverse, Mayotte et la Guyane se caractérisent par une population très jeune. Si les habitants maîtrisent l'usage du téléphone portable, ils sont moins familiers avec les outils numériques et les systèmes d'information administratifs.

Il convient aussi d'évoquer les difficultés liées à l'adressage. Dans les villages ruraux de l'Hexagone, il est parfois difficile de trouver une adresse, mais il y a généralement des rues, des numéros. On observe un retard dans les outre-mer à cet égard. Cela peut ralentir l'accès aux droits. Je pense par exemple au droit de vote : le taux de non-distribution de la propagande électorale envoyée par courrier est significativement plus élevé dans les outre-mer que dans l'Hexagone.

Les indicateurs sociaux - taux de pauvreté, taux de chômage, part des ménages allocataires du revenu de solidarité active (RSA), etc. - sont plus dégradés dans les outre-mer que dans l'Hexagone. Ces indicateurs traduisent un besoin accru de services publics, qui devrait logiquement se traduire par une plus forte présence de ces derniers. L'implantation des structures France Services est plus complexe dans les outre-mer à cause de l'immensité de certains territoires, tels que la Guyane, ou des problématiques liées à la dimension archipélagique et à la double insularité.

J'évoquerai aussi les spécificités des territoires du Pacifique. Je pense notamment au décalage horaire. Lorsqu'il est 16 heures à Paris, il est quatre heures du matin en Polynésie française, tandis qu'en Nouvelle-Calédonie, il fait nuit et le jour suivant a déjà commencé. Ce décalage est un obstacle à l'accès aux plateformes téléphoniques nationales, telles que celle de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), qui fonctionnent selon les horaires hexagonaux. Le problème peut être surmonté aux Antilles, car le décalage horaire n'est que de quatre ou six heures : il est possible d'avoir un interlocuteur en appelant tôt le matin. Il en va de même dans l'océan Indien. Dans le Pacifique, en revanche, les difficultés sont nettement plus aiguës. Ce problème est aggravé par le fait que les opérations de maintenance informatique ont lieu la nuit ou le week-end, selon l'heure de Paris, ce qui correspond à la journée dans le Pacifique. Cela perturbe l'activité des services des mairies ou des hauts-commissariats de la République, qui sont chargés de délivrer des titres et des documents d'identité.

Il faut aussi mentionner les coûts liés à un éloignement géographique extrême.

Je terminerai en rappelant que les structures institutionnelles sont différentes en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. L'éducation nationale, l'assurance maladie ou l'assurance chômage y relèvent de la compétence non pas de l'État, mais du territoire ultramarin.

Il arrive également que l'on rencontre, dans les outre-mer, des difficultés d'accès à certains services publics qui paraissent élémentaires dans l'Hexagone, mais qui, là-bas, le sont beaucoup moins. Je pense notamment à l'accès à l'eau potable. En Martinique, le service ne fonctionne pas de manière satisfaisante, même si la situation y est un petit peu moins grave qu'en Guadeloupe. À Mayotte, les difficultés sont encore plus importantes.

Dans l'Hexagone, les problèmes d'accès à l'eau surgissent en général lors des périodes de sécheresse ou à l'occasion de ruptures ponctuelles du système d'alimentation. Ces problèmes restent toutefois sporadiques. Dans ma carrière de sous-préfet, j'y ai été assez peu confronté. Mais en Guadeloupe, des tours d'eau sont organisés. Cela signifie que des coupures d'eau ont lieu quotidiennement. Chaque jour, environ 80 000 personnes n'ont pas accès à l'eau courante. À Mayotte, la situation est encore plus critique : on y organise également des tours d'eau, mais à l'échelle de toute la population. L'eau est coupée un jour sur trois, afin de préserver la ressource, car il n'y a tout simplement pas assez d'eau disponible. Contrairement à la Guadeloupe, où l'eau est présente, mais où la gestion pose problème, à Mayotte, c'est la ressource elle-même qui manque.

J'en viens maintenant à votre deuxième question, qui porte sur les synergies et le déploiement du modèle France Services outre-mer.

Vous avez cité un témoignage faisant état d'une dégradation de l'accessibilité aux services publics ces dernières années. Cela ne vous étonnera pas si, en tant que représentant de l'État, je tiens à souligner que, malgré certaines difficultés structurelles - en ce qui concerne, par exemple, l'eau ou l'assainissement - et malgré les défis liés à la forte croissance démographique dans certains territoires, comme à Mayotte ou en Guyane, l'accès aux services publics s'améliore. Mais nous pouvons bien sûr débattre de ce point.

Je souhaite ainsi vous faire part des remontées que nous avons reçues du terrain. Vous citiez la Guyane. Les politiques d'« aller vers » y sont particulièrement développées. Vous évoquiez ainsi les pirogues France Services. Celles-ci sont très utiles pour les populations vivant le long des deux grands fleuves. Sur le Maroni, une pirogue est animée par la sous-préfecture de Saint-Laurent-du-Maroni. Une autre pirogue circule sur l'Oyapock. Il existe aussi une pirogue de l'éducation nationale, ainsi qu'une pirogue du droit, mise en place par les services judiciaires, etc.

En Polynésie française, nous estimons également que l'accès aux services publics s'est amélioré, notamment grâce au développement de la 4G et d'internet ces dernières années, en particulier à Tahiti et à Moorea. En Polynésie, comme dans d'autres territoires insulaires ou isolés, le réseau Starlink est largement répandu. Certes, il ne s'agit pas d'une solution souveraine, mais ce réseau permet un accès à internet de qualité, à des prix abordables. On observe son déploiement dans les Terres australes et antarctiques françaises, ou encore en Guyane. C'est un sujet préoccupant, car Starlink est entre les mains d'Elon Musk. L'avenir et la continuité de ce service ne sont donc pas entièrement garantis.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Starlink se développe aussi en métropole, dans les zones où le réseau n'est pas très bon, notamment dans les zones non fibrées !

M. Olivier Jacob. - La direction générale des outre-mer plaide, en lien avec d'autres États qui possèdent eux aussi des territoires ultramarins, tels que les Pays-Bas, l'Espagne ou le Portugal, pour le développement de solutions souveraines européennes. Des recherches sont en cours. Le problème, c'est que les solutions concurrentes sont aujourd'hui coûteuses, alors que Starlink est très peu cher : l'abonnement est très accessible, même pour une petite commune.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Ils peuvent ainsi aspirer toutes les données !

M. Olivier Jacob. - Nous sommes aussi très attentifs à la question des câbles sous-marins. C'est une question de souveraineté numérique. Nous ne disposons pas toujours de solutions souveraines en la matière. Nos données empruntent des câbles détenus par de grands opérateurs, pas nécessairement français ni même européens. Je pense, par exemple, à Google. Mon homologue néerlandais m'a fait part de la volonté des Pays-Bas de développer des câbles numériques souverains pour leurs îles situées dans les Caraïbes.

Je souhaite aussi mentionner une initiative originale menée à La Réunion, dans le cadre de la démarche Services publics +, où les membres de l'équipe préfectorale, en particulier le sous-préfet chargé de la cohésion sociale et de la jeunesse, ont développé une politique de proximité en direction des publics vulnérables, en s'appuyant sur les sous-préfets d'arrondissement.

À la Martinique, la préfecture nous a signalé les efforts importants de la caisse générale de sécurité sociale (CGSS) en matière d'organisation interne et de traitement des dossiers.

Nous pensons qu'il faut densifier le réseau France Services dans les outre-mer, en renforçant sa présence dans les zones rurales et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Nous pensons qu'il faut amplifier l'aller vers, notamment en finançant les pirogues et les minibus aménagés. Il faut aussi - c'est ce qui remonte du terrain - développer les kits de type Starlink, notamment pour les communes éloignées ou en zone blanche. Il faut bien sûr renforcer la présence des agents des services publics, via France Services par exemple ; porter une attention particulière à l'illectronisme, en proposant des formations et des accompagnements individualisés pour favoriser l'autonomie des publics ; et améliorer l'accès de tous aux réseaux de télécommunications - on travaille beaucoup sur le déploiement de la fibre à Mayotte, à Saint-Martin et en Guyane. De gros efforts d'investissement dans les infrastructures sont réalisés. Les outre-mer ne sont pas oubliés. Ensuite, on se heurtera à des réalités géographiques difficilement dépassables - je songe aux 117 îles de la Polynésie française.

L'État doit être attentif à la qualité de son immobilier et à l'accessibilité des services. À Miquelon, nous allons reconstruire une délégation de l'État, dans le cadre de la relocalisation du village due à la montée des eaux et l'érosion du littoral. En Guyane, un gros projet immobilier concerne l'ancienne caserne Loubère à Cayenne. D'importants investissements sont également prévus pour la nouvelle cité judiciaire de Saint-Laurent-du-Maroni, qui a défrayé la chronique. À Cayenne, nous inaugurerons bientôt le nouvel hôtel de police, attendu depuis de nombreuses années.

Parmi les pistes d'amélioration et de synergie en matière de dématérialisation, nous insistons beaucoup sur la nécessité de simplifier l'ergonomie des plateformes en ligne. Souvent, elles ne sont pas assez intuitives ; or elles doivent être plus accessibles aux personnes peu familières du numérique ou allophones. C'est particulièrement le cas à Mayotte et en Guyane.

Nous devons renforcer l'accompagnement personnalisé au sein des plateformes, qu'il s'agisse de France Services ou de l'ANTS. Il faut mieux prendre en compte le retour des usagers. Ainsi, l'identification des usagers pose parfois problème, car le recours aux adresses mail est moins répandu dans certains outre-mer que dans l'Hexagone.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Y a-t-il des structures France Services dans tous les territoires ? Comment les pirogues fonctionnent-elles techniquement ?

M. Olivier Jacob. - Les maisons France Services ne sont pas présentes partout. Elles se trouvent essentiellement dans les cinq départements et régions d'outre-mer. En revanche, il n'y en a pas en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie.

À ma connaissance, les pirogues réalisent des tournées selon des dates prévues à l'avance. L'agent, fonctionnaire de la sous-préfecture, embarque sa valise sécurisée de l'ANTS et honore les rendez-vous programmés. Je ne sais pas si la pirogue embarque des éléments relatifs à la caisse d'allocations familiales (CAF) ou aux caisses générales de sécurité sociale. Le sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni me signalait que la tournée de pirogue coûte 15 000 euros, entre le coût du carburant et l'entretien. Il est obligé de restreindre le nombre de tournées à trois ou quatre par an.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - C'est un véhicule de l'État ?

M. Olivier Jacob. - À Saint-Laurent-du-Maroni, c'est une pirogue de la préfecture. À Saint-Georges-de-l'Oyapock, c'est une pirogue France Services.

Mme Catherine Conconne. - Les pirogues assurant le transport public relèvent souvent d'entrepreneurs privés. À Saint-Laurent-du-Maroni, il y a 1 500 allers-retours par jour d'une rive à l'autre, payés par les usagers au quotidien. L'usage du fleuve est partagé entre les deux rives, entre le Suriname et la Guyane française.

Mme Olivia Richard, présidente. - La tournée de pirogue fonctionne un peu comme une tournée consulaire à l'étranger, la principale difficulté étant qu'en sortant un agent de derrière le guichet, on appauvrit l'équipe.

M. Olivier Jacob. - D'après ce que j'ai vu à Saint-Georges et à Saint-Laurent-du-Maroni, même si, en effet, la personne qui part ne remplit plus sa mission au guichet, il existe une profonde volonté de se déplacer, d'aller au contact. En outre, il n'y a que trois ou quatre missions par an. Ce n'est pas chaque semaine.

Mme Évelyne Perrot. - Je ne comprends pas ce coût élevé.

M. Olivier Jacob. - Le carburant coûte très cher, et les distances sont grandes. Ce n'est pas un canoë-kayak, mais une grosse pirogue.

Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Les villages sont très isolés, à plusieurs centaines de kilomètres. Il est plus facile d'aller vers les habitants que de les faire venir à Cayenne, car les distances sont très élevées. Entre Saint-Laurent-du-Maroni et Cayenne, il y a trois heures et demie de voiture.

Monsieur Jacob, vous avez évoqué les caisses de sécurité sociale en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. Les Polynésiens et les Calédoniens qui suivent des études dans l'Hexagone ont une grande difficulté à s'y faire soigner, car leur couverture sociale n'est pas reconnue dans l'Hexagone et ils peinent à se faire radier chez eux pour s'inscrire ici. Parfois, ils n'ont aucune couverture sociale pendant plusieurs mois en raison des complications administratives. Il y a un problème d'harmonisation entre les caisses privées et la sécurité sociale.

L'accès aux titres sécurisés pour les policiers municipaux est difficile. Depuis que la vignette d'assurance n'est plus obligatoirement apposée sur le véhicule, les policiers municipaux peinent à savoir si les véhicules sont assurés ou non. Ils doivent recourir à la gendarmerie, qui n'est pas forcément disponible. Il en est de même pour les plaques d'immatriculation.

M. Olivier Jacob. - Le modèle France Services est apprécié, mais son cahier des charges est assez peu adapté aux outre-mer. Il peut y avoir des difficultés de recrutement pour armer une maison France Services outre-mer. Se pose la question du financement : souvent, les coûts de fonctionnement sont plus élevés dans les outre-mer que dans l'Hexagone alors que le financement est le même. Se pose également la question des permanences, plus difficiles à organiser que dans l'Hexagone.

M. Olivier Bitz. - Les services publics peuvent être dématérialisés, mais ce sont souvent des femmes et des hommes qui les incarnent. Quelle appréciation portez-vous sur l'attractivité de la fonction publique ? Trouve-t-on les profils compétents ? Fait-on émerger de ces territoires-là des fonctionnaires capables de gérer ces services publics locaux ? La question des fonctionnaires venus de métropole se pose, avec pour corollaire une diversité de statuts telle qu'une chatte ne retrouverait plus ses petits. Les dispositifs de carrière s'appuient sur des critères définis il y a des décennies, qui ne correspondent plus à grand-chose. Je sais que le sujet est extrêmement sensible. Avons-nous les outils de gestion de la fonction publique outre-mer qui conviennent ?

Mme Catherine Conconne. - Merci à Olivier Jacob d'avoir rappelé que la DGOM ne représente pas le service public outre-mer. Ce n'est pas par cette audition que l'on pourra obtenir une vraie évaluation des services publics dans ladite outre-mer. Je suis martiniquaise, et pas ultramarine, car philosophiquement je ne me retrouve pas dans ce concept. Pourquoi nous met-on tous ensemble ? S'il ne s'agissait que de l'éloignement par la mer, il faudrait inclure la Corse. En quoi y a-t-il une ressemblance qui nous pousserait à nous retrouver dans ce vrac ? Ce n'est que la conséquence de l'atavisme de feu le ministère des colonies. Dans vingt ans, l'histoire me donnera raison.

La Martinique est un pays jeune. En vingt-cinq ans, j'y ai occupé toutes les fonctions d'élue : je la connais bien. Nous avons 400 ans d'existence. Or nos outils de référence sont relatifs à la France.

Notre réalité ressemble à celle des territoires ruraux, pour lesquels il a fallu abaisser l'âge du permis de conduire, faute d'accès au bus. Si à Paris je ne prends que les transports en commun, ce n'est pas possible à la Martinique, où l'habitat est diffus, éclaté. La facture du transport public, de 180 millions d'euros pour 355 000 habitants, est très élevée. On ne pourra pas desservir le moindre mètre carré. C'est impossible.

Il faut absolument changer de prisme. J'entends parler d'isolement, mais je ne suis pas isolée en Martinique. Il y a de la production locale, du très haut débit, de la fibre. Internet y est plus rapide que dans mon appartement du 15e arrondissement de Paris. Il faut absolument procéder aux estimations pays par pays. C'est ce que je me suis attachée à faire lors de l'élaboration de mon rapport sur la continuité territoriale outre-mer. La Guyane est un pays à part. Pour aller à Maripasoula, il faut prendre l'avion. Cela n'a rien à voir avec la Martinique.

J'ai entendu parler de l'adressage. Chez nous, il est complété quasiment à 100 %. Il n'y a plus, pour le facteur, « tourner après le manguier n° 3 ». Les plateformes d'accès aux services publics sont de plus en plus recentralisées. Par exemple, la plateforme sur les violences faites aux femmes est gérée par une association martiniquaise, calée sur les horaires du pays.

J'habite depuis quinze ans à 700 mètres d'altitude, dans la campagne de Fort-de-France. Je n'ai eu que quatre jours de coupure d'eau au total. On ne peut pas dire que je vis dans un pays qui souffre de problèmes d'eau ! Certes, le réseau est vieillissant, car, grâce à Aimé Césaire et Alphonse Jean-Joseph, on a eu l'eau potable au robinet dès les années 1950, ce qui était assez révolutionnaire. Le réseau doit être adapté, ce qui coûte cher, mais en dehors d'énormes sécheresses, comme il peut y en avoir aussi en France, on n'a pas de problème d'eau, contrairement à la Guadeloupe.

Je tiens beaucoup à ce que les territoires soient envisagés de façon extrêmement différenciée.

J'ai en revanche un problème avec les services publics à la Martinique, problème que l'on retrouve en Guadeloupe et en Guyane. Certainement pour des questions de climat, les syndicats ont obtenu deux ou trois après-midis de fermeture hebdomadaire, en plus du samedi. Cela signifie que l'on n'a pas accès aux administrations le mercredi après-midi et le vendredi après-midi, ainsi que le samedi toute la journée. Pour aller faire faire son passeport, il faut prendre un jour de congé. Ma fille, à l'inverse, avait pu aller refaire son passeport à 20 heures à la mairie du 15e arrondissement de Paris.

Le tout numérique pose en effet problème. J'ai perdu la raison à faire refaire ma carte grise, que j'avais perdue, et pourtant je maîtrise assez bien les outils !

On a un vrai problème de proximité. Je me suis beaucoup retrouvée dans le discours de la présidente du département de la Haute-Loire, auditionnée tout à l'heure. On a un problème d'« aller vers », d'illectronisme et d'illettrisme supérieur à la France.

Si l'on jette tous les pays d'outre-mer dans le même vrac, on se met le doigt dans l'oeil jusqu'au coude, et cela donne une vision tronquée qui nous fait passer à côté de l'essentiel.

Mme Annick Petrus. - Monsieur le directeur général, vous avez dit que la DGOM ne pouvait pas régler tous les problèmes administratifs d'outre-mer et je vous entends. Je me réjouis que vous les connaissiez, puisque vous les avez presque tous énumérés.

Saint-Martin a connu, ces dernières années, une évolution institutionnelle significative. De simple commune rattachée à la Guadeloupe, nous sommes devenus en 2007 une collectivité territoriale d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution, ce qui a profondément modifié la répartition des compétences.

Nous avons des difficultés de services publics, avec la CAF et la CGSS. En octobre, nous avons mis en place une table ronde, avec les services de l'État, afin d'évoquer toutes les difficultés, pour les régler. Il convient de saluer les avancées déjà réalisées, par exemple avec l'éducation nationale, qui dispose à Saint-Martin d'un vice-rectorat de plein exercice, ce qui permet une gestion de proximité des établissements scolaires et des personnels éducatifs, même si des marges de progrès demeurent dans la stabilisation des effectifs.

L'accès aux services publics demeure un véritable parcours d'obstacles pour les Saint-Martinois. La complexité des démarches administratives, souvent inadaptées aux réalités locales, les délais d'instruction et les difficultés d'accès aux administrations engendrent beaucoup de frustration et un sentiment d'abandon.

À Saint-Martin, les tours d'eau et les tours d'électricité rendent le quotidien de la population et le fonctionnement des entreprises très difficiles. Il conviendrait qu'ensemble, nous essayions de trouver des solutions. Il faut restaurer la confiance par des actes concrets. Il importe de renforcer durablement les effectifs de l'État à Saint-Martin, de simplifier les circuits administratifs, de réduire les délais de traitement, d'instaurer des guichets uniques et lisibles qui apportent des réponses à l'usager, et d'accompagner la montée en puissance de la justice sur place. Un rapport du Sénat préconise la création d'un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin, après celle d'une préfecture de plein exercice. L'accès aux services publics est une exigence de proximité, une exigence républicaine et la condition de la confiance que nos concitoyens accordent à l'État.

Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Les contraventions sont gérées par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai) à Rennes. Le conducteur d'un véhicule qui se fait flasher en Guadeloupe, en Martinique ou à Saint-Barthélemy reçoit une contravention sur papier, par courrier postal, depuis Rennes. Compte tenu des délais d'acheminement et des problèmes d'adressage, le courrier arrive après le délai de quinze jours. De ce fait, le contribuable se voit poursuivi pour ne pas avoir réglé son amende dans les temps. Jusqu'à présent, les procès-verbaux (PV) sur papier pouvaient être remis sur place, mais les PV électroniques ont compliqué les choses. Il faut réfléchir à des solutions locales, pour une gestion rapide.

M. Olivier Jacob. - Il y a un an et demi, nous avons travaillé sur une charte de l'attractivité concernant Mayotte, la Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Le problème n'est plus indemnitaire ni indiciaire. Nous avons surtout travaillé sur l'accompagnement du fonctionnaire dans sa prise de poste, la recherche d'un logement - à Mayotte, c'est la croix et la bannière, tout comme à Saint-Barthélemy -, la scolarisation des enfants et le travail du conjoint. Cette charte de l'attractivité est signée par les secrétaires généraux des principaux ministères, dont celui de l'intérieur, de la justice, de l'économie et de la santé. Nous avons aussi travaillé sur l'accompagnement du fonctionnaire quand il revient dans l'Hexagone, afin de le récompenser, d'une certaine manière. Lorsque le fonctionnaire a réussi sa mission, il s'agit de lui assurer une progression de carrière. Les gendarmes savent très bien organiser le retour dans l'Hexagone, en proposant le choix de l'affectation ou une promotion.

La charte comporte six engagements, que je pourrai vous communiquer en détail.

Madame Conconne, je sais que la Martinique n'est pas assimilable à la Guadeloupe. J'ai été forcément synthétique dans mon propos, mais nous savons, à la DGOM, que chaque territoire est spécifique.

Mme Petrus a cité la création d'une préfecture de plein exercice à Saint-Martin. À la DGOM, nous encourageons le ministère de la justice à y créer un tribunal judiciaire de plein exercice. La décision arrivera, j'en suis sûr.

J'écrirai au directeur général de l'Antai au sujet des amendes. N'y a-t-il pas un texte à modifier sur le délai de quinze jours ? C'est la première fois que j'entends parler de ce problème, mais effectivement, le temps que le courrier arrive, le délai est expiré.

Nous vous adresserons une réponse écrite plus détaillée sur l'ensemble de vos questions.

-Présidence de M. Jean-Luc Brault, vice-président-

M. Jean-Luc Brault, président. - La difficulté concernant les PV paraît simple à résoudre.

Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - L'important est que l'État récupère son argent. Puisque la collectivité, à Saint-Barthélemy, a la compétence routière, cela pourrait être géré sur place puis transféré à l'État.

M. Jean-Luc Brault, président. - C'est une question de bon sens.

Mme Vivette Lopez. - Quid des radars ?

Mme Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - On ne peut pas faire des excès de vitesse à Saint-Barthélemy, sur vingt et un kilomètres carrés, mais le problème concerne plutôt les PV de stationnement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible  en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 17 h 00, est reprise à 18 h 00.

Audition de Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville

M. Jean-Luc Brault, président. - Nous entendons à présent Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Je vous prie, Madame la ministre, de bien vouloir excuser l'absence du président Gilbert-Luc Devinaz, que j'ai l'honneur de remplacer en tant que vice-président de la mission d'information.

Je rappelle tout d'abord que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport, et que son enregistrement vidéo, accessible en direct sur le site du Sénat, pourra être consulté par la suite en VOD.

Notre mission d'information s'est constituée sur l'initiative du groupe RDPI auquel appartient notre rapporteure, Nadège Havet. Depuis la fin du mois d'avril, nous recevons en audition des responsables administratifs, des universitaires, la Défenseure des droits, des associations d'élus, France Travail... Mme Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, ainsi que M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification, seront prochainement auditionnés. Par ailleurs, lors de nos déplacements dans les territoires, nous rencontrons les acteurs de terrain, notamment les conseillers France Services, ainsi que les élus - nous étions hier dans le Rhône et nous rendons jeudi dans le Loir-et-Cher, puis la semaine prochaine dans le Finistère.

Nous avons en outre procédé sur le site du Sénat à une consultation des élus locaux qui nous a permis de recueillir quelque 1 200 témoignages, principalement d'élus de la France rurale. En effet, dès le début de nos travaux, nous avons souhaité privilégier la dimension territoriale de notre sujet. Enfin, notre rapport devrait être rendu public en septembre prochain.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Merci de votre présence, madame la ministre. Nous abordons la dernière phase de nos travaux. L'objet de notre mission, débutée en avril, est de voir comment rétablir un lien de confiance entre l'usager et les services publics, que l'usager soit une personne privée ou un représentant de collectivités territoriales.

Comment définissez-vous les besoins et les attentes des usagers qui résident dans les villes, plus particulièrement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), en matière d'accès aux services publics ? Quel est le bilan de l'action du Gouvernement pour améliorer l'accès aux services publics et plus particulièrement aux services publics de proximité dans les territoires urbains ? De manière générale, comment la politique de la ville intègre-t-elle les mesures destinées à améliorer l'accès aux services publics de nos habitants ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. - Merci de cette invitation, que je goûte avec beaucoup de plaisir. Il est toujours enrichissant et constructif pour les ministres d'échanger avec les parlementaires. Si tous les concitoyens regardaient ces auditions, le lien de confiance serait restauré. Ils verraient que le Gouvernement et le Parlement sont capables de travailler en bonne intelligence, avec nuance et raison.

Je vous félicite pour le titre de votre mission, qui pose la grande question au coeur de la désaffection de la politique par le citoyen, depuis plus de quarante ans. Cette question concerne l'efficacité de l'action publique et la capacité des administrations, des collectivités territoriales comme de l'État à répondre à une demande de l'usager toujours plus exigeante, complexe et changeante. Il y a une question très politique derrière cette problématique, qui est que le désintérêt du citoyen pour la politique s'appuie sur ses difficultés de plus en plus récurrentes et marquées d'accès aux services publics, en particulier essentiels, de sécurité, de tranquillité, d'éducation - de la petite enfance à l'entrée dans la vie professionnelle -, de la santé, de l'emploi, de la vie économique et commerciale. Ces besoins, que j'ai classés par ordre de priorité, sont inégalement satisfaits.

Bien sûr, les attentes des habitants des quartiers sont les mêmes que celles des habitants des zones rurales. La petite spécificité des quartiers est que leurs habitants concentrent un nombre de difficultés considérables. J'en dresserai un portrait-robot. Tout d'abord, ils sont plus jeunes que la moyenne nationale : 40 % ont moins de 25 ans, contre 30 % dans les environnements urbains hors-QPV. Plus qu'ailleurs, il faut les aider à bien grandir, donc à avoir accès à une éducation de qualité et à s'épanouir. Nous avons choisi, avec François Bayrou, d'en faire le premier axe du comité interministériel des villes 2025 qui s'est tenu le 6 juin à Montpellier : c'est « L'enfant au coeur de la ville. » Ensuite, les personnes y sont plus précarisées qu'ailleurs. Le taux de pauvreté y est trois fois plus élevé que sur l'ensemble du territoire, à 42 % en 2020, contre 14 % au niveau national, et quatre fois plus élevé qu'en zone rurale où il est de 10 %. Cette pauvreté se conjugue avec des problématiques sanitaires. La précarité sociale est le premier facteur de risque des troubles psychiques lourds ; elle entraîne aussi des troubles légers. Or la dépression non soignée chez l'enfant accroît les risques de suicide à l'adolescence et de maladie à l'âge adulte. En outre, la pauvreté a un impact sur l'éducation. Le taux d'illettrisme, qui affecte l'accès aux services publics, est à 13 %, très au-delà de la moyenne nationale de 4 %. Enfin, la population est plus diversifiée qu'ailleurs. La part d'étrangers résidant dans les quartiers est trois fois plus importante que dans les autres environnements urbains, ce qui a un impact sur le type de services publics sollicités, tels que les préfectures pour le droit au séjour, ce qui n'entre pas dans le champ des maisons France Services.

Ce portrait-robot me semble essentiel pour vous montrer les exigences de la politique de la ville et les conditions d'existence des habitants des quartiers. Or ces chiffres ne sont pas très connus. La politique de la ville est mal comprise par l'opinion publique. Certains considèrent que l'on déverse des tombereaux d'argent public sur les quartiers, ce qui n'est pas vrai. Simplement, la vocation de la République française est d'assurer l'égalité d'accès aux services publics et il est naturel que le droit et l'organisation des pouvoirs publics s'adaptent à la diversité des situations.

J'insiste sur la nécessité de préserver l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV), abrité par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui coûte très peu cher au contribuable puisqu'il ne compte que 1,5 équivalent temps plein (ETP), aux côtés d'une cinquantaine de chercheurs bénévoles, qui rendent bien des services à la République. Dans le grand mouvement « trumpiste » de suppression des agences publiques, il faut garder de la modération.

Nous avons augmenté la présence des services publics dans les quartiers, avec près de 1 800 établissements d'accueil du jeune enfant, 586 maisons France Services, près de 1 000 équipements sportifs et 258 agences France Travail. En tant que ministre de la ville, je soutiens le tissu associatif, avec 333 contrats de ville renouvelés fin 2024 et 4 500 postes d'adultes relais, dont 77 % au sein d'associations qui concourent notamment aux démarches administratives et à l'accès au droit.

Depuis ma prise de fonctions, nous avons agi, d'abord avec le soutien du Premier ministre et du ministre de l'aménagement du territoire. Nous avons tenu le comité interministériel des villes le 6 juin, pour donner une nouvelle impulsion à la politique de la ville. Je salue le soutien parlementaire, qui n'était pas acquis. Le Premier ministre est très engagé : il a beaucoup fait à Pau, comme François Rebsamen à Dijon.

En 2025, lors de ce comité, nous avons fixé une priorité sur l'enfance et l'adolescence, pour proposer plus de services aux habitants des quartiers en augmentant l'offre de services publics dans ces zones. Cela commence par la petite enfance, avec la crèche. La garde d'enfant est le seul moyen pour les femmes de pouvoir travailler. Nous comptons ouvrir 100 nouvelles crèches prochainement, financées par le fonds de co-investissement de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Nous ouvrirons 40 nouvelles maisons France Services dans les quartiers d'ici 2027. Nous allons aussi instaurer un accueil psychologique dédié aux enfants et aux jeunes dans les QPV avec les programmes de réussite éducative. Ces maisons seront adossées à l'école et financées dans le cadre de « Mon soutien psy ». Nous voulons faire de l'école un véritable lieu d'accueil, de protection et d'épanouissement des enfants.

Nous cherchons à améliorer la qualité des services publics implantés dans les quartiers. Nous allons poursuivre la labellisation des cités éducatives. Nous en avons labellisé 40 nouvelles en 2025, malgré les restrictions budgétaires. La cité éducative, outil parfait de coordination des services publics de 0 à 25 ans, renforce l'efficacité des programmes de réussite éducative, présents dans 1 400 QPV, soit presque la totalité.

Enfin, nous renforcerons l'« aller vers ». Nous avons toute une série d'outils, dont les bus de l'entrepreneuriat avec Bpifrance.

La politique de la ville a amorcé une mue au dernier comité interministériel des villes, qui s'est tenu à Montpellier. Nous avons fait le bilan du passé en retenant les mesures pertinentes et en les amplifiant, sur l'enfance, la sécurité et la tranquillité, ainsi que l'économie. Tout cela est financé.

Nous avons un grand chantier, celui de réparer : réparer la France, réparer la République, dont le tissu de confiance se déchire parce que le service public n'est plus totalement à la hauteur de la demande des citoyens. Nous voulons réparer dans un contexte budgétaire contraint, qui nous oblige à nous concentrer sur l'essentiel et à mobiliser le droit commun. J'étais heureuse que sept ministres nous accompagnent, avec le Premier ministre, à Montpellier.

Nous avons priorisé nos enjeux et avons avancé, pour réparer les villes et les vivants, dans une démarche d'intelligence collective.

Le service public est le coeur de la politique de la ville. Il irrigue notre action tous les jours. On ne fabriquera pas des citoyens si l'on n'est pas capable de les protéger ni de leur donner accès à une vie épanouie. Cela va de la petite enfance jusqu'à l'entrée à l'âge adulte, sans oublier l'épanouissement dans la vie économique et commerciale des quartiers.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Madame la ministre, vous avez dit que l'une des plus grosses difficultés était liée aux titres de séjour, gérés par les préfectures. N'y a-t-il pas une réflexion à conduire pour réduire l'éloignement entre les services de la préfecture et les populations ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - On ne laisse pas les gens sans rien. Simplement, l'instruction du dossier ne peut pas se faire au sein d'une maison France Services. Mais évidemment, les maisons France Services sont des lieux d'information. Il y a toujours quelqu'un pour expliquer ce qu'il faut faire et où il faut aller.

Mme Corinne de La Mettrie, directrice générale déléguée à la politique de la ville à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). - Un comité de pilotage aura lieu lundi sous l'autorité du ministre Laurent Marcangeli. À ce stade, le bilan de nos collègues de France Services montre que l'offre de services s'est beaucoup élargie, avec notamment l'intégration de l'Urssaf au 1er janvier 2024. Les conseillers France Services couvrent un champ de politiques publiques important. La logique est de consolider l'offre de services plutôt que de l'élargir. C'est aussi la position des associations d'élus. Néanmoins, les conseillers France Services accueillent et orientent les habitants.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Ils les accompagnent dans leurs démarches, leur expliquent ce qu'ils doivent faire à la préfecture, mais celle-ci n'est pas présente au sein de la maison France Services.

M. Jean-Luc Brault, président. - J'ai été président, pendant plusieurs années, d'une communauté de communes dans laquelle nous avons créé quatre crèches de taille importante et des micro-crèches privées. Quelle est votre position sur les crèches publiques et privées, et sur les micro-crèches, dont on constate l'essor ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Notre ambition est de proposer le plus possible de solutions de garde et cela inclut tout type de solutions. Nous avons de nombreux partenariats différents, que ce soit avec Méridiam et l'Anru ou avec la fondation Léo-Lagrange. En tout état de cause, et comme le financement passe aussi par de l'argent public, notamment de la part des CAF, nous devons assurer un contrôle sur la qualité du service rendu, y compris en matière d'encadrement. Nous ne devons pas donner les clés de la gestion des crèches au secteur privé sans un regard public, surtout dans les quartiers de la politique de la ville où nous devons être attentifs au recrutement et aux modalités d'accueil.

M. Hugues Saury. - Madame la ministre, j'ai trouvé le parallèle entre politique de la ville et politique en faveur de la ruralité intéressant, d'autant que mon département, le Loiret, qui est à la fois rural et urbain, est directement concerné par ces deux problématiques. Les difficultés sont différentes, mais je trouve que la précarité est souvent sous-évaluée en milieu rural.

La France mène depuis longtemps maintenant une forte politique en faveur des quartiers prioritaires de la ville. Nous avions en particulier l'objectif de reconstruire la ville. Or vous avez parlé de réparer la République, en associant cette idée à l'accès aux services publics. Si les choses sont si cassées que cela, je serais tenté de vous demander : que comptez-vous faire de plus que ce qui a déjà été fait ?

On voit bien que les enjeux de la politique de la ville sont transversaux et nécessitent une coordination entre de nombreux ministères. Comment les ministères travaillent-ils ensemble ?

Enfin, il est évident que la dématérialisation a des aspects bénéfiques, mais elle crée aussi de nouvelles fractures, en particulier dans des milieux déjà précarisés. Comment lutter contre ces fractures qui éloignent le citoyen des services publics ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Je n'irai pas aussi loin que vous, monsieur le sénateur, en parlant de choses qui seraient cassées, mais je partage votre constat - c'est d'ailleurs l'intitulé de cette mission d'information - sur la nécessité de restaurer un lien de confiance entre les administrations et les administrés. Rappelons-nous la crise des gilets jaunes !

S'il existe un ministère en charge de la ruralité et un autre en charge de la ville, c'est bien qu'une partie de nos concitoyens a le sentiment d'être exclue du service public, que ce soit en matière de transport, d'école ou de santé. À partir de ce constat, oui, il faut réparer ! Je rappelle que les déserts médicaux touchent à la fois les villes et les campagnes ; nous sommes maintenant loin de la seule diagonale du vide...

Et finalement, cela pose une question crue : est-ce que les citoyens en ont pour leur argent ? En tant que responsables politiques, nous devons rendre des comptes.

Vous avez abordé un autre sujet, qui est très important pour la politique de la ville : l'interministérialité. C'est ce qui fait le génie de cette politique et je veux rendre hommage à ceux qui l'ont mise en place de cette manière. Lorsque j'ai dû imaginer, en tant que membre du Gouvernement, une autre politique interministérielle, celle en faveur de l'aide aux victimes, j'ai déjà mesuré l'importance de cet aspect des politiques publiques.

Pour la politique de la ville, cela passe d'abord par le comité interministériel des villes (CIV) qui est une sorte de conseil des ministres thématique. Il se réunit tous les ans, mais il est surtout le point d'orgue d'un travail que je mène avec chacun de mes collègues tout au long de l'année et qui est arbitré par le Premier ministre.

Par exemple en matière d'éducation, Élisabeth Borne a accepté d'augmenter le nombre des écoles dites orphelines : nous allons créer une centaine de ces écoles, qui, non classées en réseau d'éducation prioritaire (REP), ont quand même un taux d'encadrement supérieur aux autres établissements. Le ministère de l'éducation nationale va aussi travailler sur une plus grande scolarisation des enfants de deux ans : nous allons créer chaque année, par appel à projets, cent classes de très petite section de maternelle afin d'offrir à des enfants précarisés un apprentissage précoce, en particulier pour la langue française. Pour ces enfants, plus on les met tôt dans le système scolaire, mieux ils apprennent et, dans le même temps, on intègre mieux les parents.

Autre exemple, la santé. Le sujet de la santé mentale des enfants et des adolescents me tient particulièrement à coeur et j'ai mobilisé mon collègue Yannick Neuder sur cette question. Il a ainsi participé à un séminaire de travail, au ministère de la ville, avec des psychologues, des pédopsychiatres et d'autres spécialistes. Nous avons ainsi abouti ensemble à la proposition d'installer, dans les pôles de renforcement de l'éducation, des maisons de l'enfant et de la cité éducative, où seront déployés des psychologues.

Dernier exemple, l'enseignement supérieur. J'ai rencontré mon collègue Philippe Baptiste pour mettre en place un conventionnement entre les lycées des quartiers prioritaires de la politique de la ville et les filières d'excellence, en nous inspirant de ce qu'a mis en place Sciences-Po.

Vous le voyez, comme pour la ruralité, nous ne pouvons rien faire sans interministérialité : chaque ministre fait travailler son administration et nous échangeons. C'est évidemment une démarche collective qui dépend aussi de la volonté du Président de la République et du Premier ministre. J'ai proposé deux évolutions : la réunion d'un comité de suivi du CIV tous les trois mois et la coconstruction des réunions du CIV avec quatre collèges - maires, associations, bailleurs sociaux et spécialistes de l'enfance.

Au sujet de la dématérialisation, nous avons mis en place des espaces publics numériques (EPN), qui offrent un accueil pour que chacun puisse réaliser les démarches qu'il a à faire. Ce sont en quelque sorte des cybercafés publics, où les habitants peuvent trouver de l'aide. Nous savons que 56 % des personnes de 18 à 59 ans connaissent les EPN ; le taux est plus élevé pour les personnes disposant de moins de 1 400 euros de revenus par mois. Les maisons et espaces France Services peuvent aussi être utiles en la matière. La fracture que nous constatons pour l'accès aux services publics concerne principalement les personnes qui ne parlent pas la langue ou qui ne maîtrisent pas la complexité de nos procédures administratives. Ces lieux donnent également accès à une connexion numérique pour ceux qui se débrouillent bien seuls.

Mme Marie-Pierre Richer. - Cela pose aussi la question de l'illectronisme, qui touche à la fois des jeunes et des moins jeunes. Je pense à la mission d'information du Sénat sur ce sujet, à laquelle j'ai participé en 2020. D'ailleurs, de manière générale, on peut s'interroger sur la logique d'ensemble : si en dématérialisant on crée un besoin d'accompagnement, cela pose quand même un problème... J'ajoute que même des gens qui comprennent l'informatique, y compris des jeunes, peuvent rencontrer des difficultés pour réaliser des démarches de manière dématérialisée.

Il existe une autre politique interministérielle : le handicap. Pour cette politique aussi a été mis en place un comité interministériel. Est-ce que tout cela se recoupe correctement, sachant que la loi de 2005 se fonde en particulier sur la notion d'accessibilité universelle ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Je partage vos inquiétudes en ce qui concerne l'illectronisme, qui touche surtout les personnes âgées.

Mme Marie-Pierre Richer. - Les jeunes aussi !

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Vous avez raison. En ce qui concerne les jeunes, tout se joue à l'école, dans l'apprentissage du numérique, et il reste des progrès à accomplir.

Plus largement, il existe des conseillers numériques dans les maisons France Services - ils sont quatre mille, ce qui n'est pas négligeable.

En ce qui concerne le handicap, sachez que j'ai proposé, lors du dernier CIV, qu'il y ait une feuille de route à ce sujet - c'est une innovation. Dans ce cadre, j'ai fait adopter, par la fédération des ascensoristes, un plan pour accélérer la mise aux normes des ascenseurs dans trente départements. J'ai demandé aux préfets de me faire remonter des éléments et les travaux devraient commencer en septembre. Les choses se déploient donc vite.

Tous ces exemples vous montrent l'intérêt de cet interministériel à la française, qui n'existe pas ailleurs. Cela nous donne la capacité de travailler ensemble, de faire arbitrer les décisions, puis de les faire appliquer par les préfets et leurs 291 délégués. À la rentrée, nous organisons un benchmark international : nos atouts sont l'interministériel et la capacité à travailler avec les élus, sans lesquels la politique de la ville n'existerait pas ! La méthode des comités interministériels permet d'assurer la coordination et l'animation d'ensemble.

Mme Marie-Pierre Richer. - C'est la même chose pour le handicap : c'est une politique profondément transversale.

- Présidence de M. Hugues Saury, vice-président -

M. Hugues Saury, président. - Madame la rapporteure, je crois que vous avez encore des questions à poser.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Madame la ministre, vous avez évoqué quatre priorités. Pouvez-vous nous donner des précisions en ce qui concerne la santé et la sécurité ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - La santé me tient particulièrement à coeur. Les QPV sont très touchés par la désertification médicale : nous y avons 350 médecins pour 100 000 habitants contre 608 médecins sur l'ensemble du territoire ; 222 médecins spécialistes pour 100 000 habitants dans les QPV contre 520 sur l'ensemble du territoire.

Yannick Neuder et moi-même avons annoncé que, outre la mobilisation du réseau des psychologues cliniciens formés pour suivre les enfants, nous ferons appel aux médecins juniors, c'est-à-dire des internes : mille offres de stage seront ainsi proposées dans les quartiers. C'est une première réponse d'urgence et ce n'est pas une mesure contraignante.

En ce qui concerne la priorité relative à la tranquillité et à la sécurité, c'est d'abord une très forte attente des habitants. J'ai répondu à ce sujet de deux manières.

Comme vous le savez, il existe un abattement, au bénéfice des bailleurs sociaux, sur la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Théoriquement, cette somme doit être consacrée par les bailleurs à un meilleur entretien des parties communes et au soutien à la vie associative - on appelle parfois cela le « sur-entretien ». On sait que, dans ces quartiers, il existe plus de précarité, de difficultés et d'incivilités ; on doit donc investir davantage pour que les bailleurs aient les moyens d'assurer des conditions de vie dignes aux habitants.

Cette politique, qu'on appelle la gestion urbaine de proximité, n'avait jamais été pilotée au niveau ministériel, alors que son coût est de 450 millions d'euros pour les communes et l'État, et personne ne vérifiait que le sur-entretien était bien réalisé en échange de cette somme. Or j'ai souvent été interpellé à ce sujet lors de mes déplacements. J'ai donc adressé une circulaire aux préfets le 13 février dernier : ils doivent dresser un diagnostic de l'entretien des parties communes et me remonter l'état des lieux. Selon les premiers retours, dans un département sur deux, il y a de gros problèmes de déchets, d'encombrants et de voitures épaves. Les préfets doivent demander aux bailleurs de faire leur travail d'entretien au risque de perdre l'avantage de l'abattement sur la TFPB. À la suite de ce travail, 85 % des bailleurs donnent satisfaction. Nous allons accompagner de manière renforcée les 15 % restants, mais si la situation ne s'est pas améliorée au 15 juillet, certains bailleurs perdront leur avantage.

Nous avons donc obtenu des résultats sans crédits supplémentaires, en mobilisant un dispositif existant. Je dois dire que la majeure partie des bailleurs travaille bien, mais nous avons pu mettre en avant quelques difficultés. Ces dernières sont parfois extérieures aux bailleurs, elles peuvent venir du trafic de drogue : on ne peut pas demander aux bailleurs ou aux communes de réparer toutes les semaines un ascenseur régulièrement endommagé parce qu'il sert à stocker de la drogue !

Cela rejoint l'autre action que nous menons en matière de sécurité : accroître la présence policière. Grâce à une gestion concertée, nous remobilisons les services de sécurité de l'État, en particulier dans le cadre des opérations Place nette, et nous soutenons les bailleurs, dont les agents - je veux le dire - font preuve de beaucoup de courage. Je demande d'ailleurs aux bailleurs de maintenir un maximum de présence sur place.

Avec François-Noël Buffet, nous avons également engagé un processus de rapprochement entre la police nationale et les polices municipales : nous avons ainsi inauguré à Montpellier, dans le quartier de la Mosson, un commissariat commun pour que chacun, dans le respect de ses compétences, se déploie au mieux.

M. Hugues Saury, président. - Une question générale se pose en France : la simplification des démarches. Menez-vous un travail spécifique en la matière pour les populations dont nous parlons, qui sont précarisées ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Naturellement, les habitants des quartiers prioritaires sont soumis aux mêmes démarches, formulaires ou traitements administratifs que le reste de la population. Pour ceux qui sont entravés, notamment pour des questions de langue ou de compréhension du système, les maisons France Services, qui sont implantées au plus près du terrain, jouent un rôle fondamental, mais c'est aussi le cas des centres communaux d'action sociale (CCAS), des associations ayant pour mission d'accompagner les habitants, des départements ou encore des adultes-relais - ils font plutôt de la médiation, mais ils contribuent aussi à aider les habitants.

La France a fait beaucoup de progrès en la matière, que ce soit avec le coffre-fort numérique ou la possibilité de se connecter à beaucoup de services publics avec le seul numéro Ameli. Mais il faut pouvoir se connecter, c'est-à-dire disposer d'un matériel et savoir le faire ; c'est là que les quatre mille conseillers numériques peuvent intervenir.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Nous nous sommes rendus hier dans le Rhône, où nous avons rencontré plusieurs acteurs liés à ces questions. Nous avons notamment rencontré des écrivains publics, qui jouent encore un rôle important : ils nous ont signalé que les dossiers papier mettaient beaucoup plus de temps à être traités que les démarches dématérialisées - il faut attendre deux ou trois mois pour une demande de RSA auprès de la CAF contre quelques jours en version numérique ! Que comptez-vous faire pour résoudre ce problème ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Le dispositif des écrivains publics est financé sur le budget de la politique de la ville.

Mme Blandine Georjon, adjointe au sous-directeur de la cohésion et de l'aménagement du territoire à la direction générale des collectivités territoriales (DGCL). - Des démarches en ligne peuvent être réalisées dans les maisons ou espaces France Services, avec un accompagnement des agents présents.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Nous avons constaté qu'il était encore nécessaire, dans certains cas, de réaliser des démarches papier.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Madame la rapporteure, pourrez-vous nous donner des informations détaillées afin que mon ministère et l'ANCT puissent expertiser le problème ?

Mme Blandine Georjon. - Dans les maisons ou espaces France Services, un agent peut créer une adresse mail pour les demandeurs et ces derniers peuvent venir quand ils veulent pour consulter leur boite de messagerie, y compris pour des raisons personnelles. J'ajoute que le cahier des charges de ce dispositif inclut le respect de la confidentialité.

Mme Corinne de La Mettrie. - Il existe aussi le dispositif des Aidants Connect : ce sont des professionnels formés pour effectuer des démarches administratives à la place des personnes qui en ont besoin, en particulier quand la fracture numérique est trop forte ou pour les personnes en grande vulnérabilité sociale ou psychique. Il est aussi important de souligner que ces 14 500 professionnels sont labellisés et qu'ils suivent un cahier des charges respectueux des personnes. Ils sont présents dans de nombreux endroits, sur tout le territoire national.

Nous devons prendre en compte le fait que des personnes ne sont pas en état de faire certaines choses eux-mêmes - résidents des Ehpad, personnes hospitalisées, etc. - ou ne peuvent tout simplement pas se déplacer, d'autant que certaines démarches ne peuvent plus être faites qu'en version dématérialisée.

Ces sujets seront à l'ordre du jour d'un prochain comité de pilotage national. Il nous faudra notamment examiner la possibilité de réintroduire ou non des solutions alternatives à la dématérialisation.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Pour la Défenseure des droits, les usagers doivent toujours avoir le choix entre le numérique et le papier.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Cette question nous montre au moins une chose : si les écrivains publics connaissaient l'existence des Aidants Connect, ils pourraient renvoyer les demandeurs vers eux.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Je crois qu'il est effectivement très important de faire connaître le dispositif des Aidants Connect et de fluidifier la circulation de l'information.

M. Hugues Saury, président. - Je voudrais aborder un autre point. Le développement de l'intelligence artificielle (IA) rend déjà beaucoup de services, même si les résultats ne sont pas toujours parfaits. Avez-vous des réflexions en cours pour utiliser l'IA afin d'améliorer l'accès aux services publics ?

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Je voudrais d'abord dire, de manière générale, qu'il existe un incroyable dynamisme dans les quartiers sur les nouvelles technologies et l'intelligence artificielle. J'ai d'ailleurs créé le club Quartiers 4.0 dans lequel je réunis, tous les quatre mois, les meilleurs entrepreneurs des quartiers sur la tech et l'IA.

Pour autant, je suis relativement perplexe sur l'intérêt de l'IA en ce qui concerne les relations des citoyens avec le service public. Les maisons et espaces France Services sont déjà modernes et l'IA pourra certainement être intégrée d'une manière ou d'une autre, mais nous devons rester attentifs au lien avec le public. L'un des apports majeurs de la politique de la ville est de tisser ce lien entre les habitants et la puissance publique ; c'est particulièrement important pour ces territoires où l'isolement et la solitude sont si prégnants. Il ne faudrait pas oublier ce lien, en misant trop sur l'IA.

M. Hugues Saury, président. - Je parlais de l'IA pour améliorer les démarches administratives, pas pour remplacer le lien humain.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Les maisons et espaces France Services sont un lieu très important pour cela, car des agents accueillent les habitants.

M. Hugues Saury, président. - La relation humaine est effectivement essentielle. Beaucoup de nos auditions portent sur cette question à un moment ou à un autre.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - On a bien vu pendant la crise du covid combien l'absence de relation humaine pouvait être dévastatrice. Or les populations des QPV sont souvent en grande précarité et aider une personne à remplir une démarche administrative va en fait au-delà de cette seule démarche : cela donne l'occasion de parler, d'échanger, de tendre la main.

Mme Marie-Pierre Richer. - Je soutiens le dispositif des maisons France Services, mais il révèle finalement la grande complexité de notre système administratif. Il y a encore quelques années, les gens allaient en mairie et cela renforçait la citoyenneté. Nous avons perdu ce lien.

Nombre d'autres pays ont avancé en marchant sur leurs deux jambes : le numérique et le papier. Ils n'ont pas développé le premier en oubliant le second. C'est un enjeu très important pour la confiance et les relations entre l'administration et les citoyens.

Je voulais aussi rappeler que l'illectronisme peut provenir d'une certaine peur, la peur de mal faire, la peur d'être piraté, etc. Et on sait bien qu'un outil comme Parcoursup peut aussi créer de la peur !

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. - Je rejoins moi aussi l'idée qu'on ne peut pas refuser l'accès à un service public en raison de ses seules modalités. On ne peut miser uniquement sur le numérique, et cela pour de nombreuses personnes, qu'elles soient jeunes ou âgées. C'est d'ailleurs pour éviter d'exclure des gens que nous soutenons les écrivains publics.

J'ai parfois le sentiment, y compris en tant qu'élue locale, que nous sommes allés trop vite dans la numérisation.

Vous avez également raison de pointer du doigt la complexité des procédures. On assiste à une forme de bureaucratisation, qui provient du législateur - il faut bien le dire -, des changements de gouvernement, de la superposition des couches de décision - la loi NOTRe n'a pas vraiment simplifié les choses... - ou encore de l'accroissement des exigences juridiques - plus personne ne veut prendre de risque !

En tout cas, je veux rendre hommage aux agents des maisons et espaces France Services, qui font vivre douze services publics auprès de la population. Simplifier est un peu devenu un serpent de mer, mais c'est pourtant essentiel. Il me semble, à titre personnel, que nous pourrions mieux répartir les compétences entre l'État et les collectivités locales, mais aussi entre les collectivités elles-mêmes. Il y a aujourd'hui surabondance d'interventions, ce qui rend difficile la tâche de pilotage, qui est pourtant primordiale. Finalement, tout cela est bien opaque pour le citoyen.

M. Hugues Saury, président. - Madame la ministre, nous vous remercions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible  en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.