Lundi 23 juin 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale, relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024 - Examen des amendements de séance

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements de séance sur le projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Les amendements nos 4, 5, 1, 2 et 3 visent respectivement à supprimer les articles liminaire, 1er, 7, 8 et 9 du projet de loi. Les amendements de suppression ont généralement pour objet d'améliorer un texte que l'on souhaite ensuite adopter. Or, en l'occurrence, nous proposons de rejeter ce projet de loi, et il est vraisemblable que le vote soit sensiblement le même sur toutes les travées, pour des raisons diverses.

Je suis donc défavorable à ces amendements de suppression, car nous souhaitons rejeter un texte dans son ensemble, dont nous connaissons le contenu et dont nous avons déjà débattu.

M. Pascal Savoldelli. - Nous présenterons ces amendements en séance et tout se passera bien, comme d'habitude, car il y a encore des libertés parlementaires ! Nous avons en effet des raisons différentes de rejeter le texte. Nous les détaillerons dans les explications de vote, mais la présentation de deux de nos amendements nous permettra aussi de réhabiliter une forme de débat droite-gauche.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article liminaire

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  4.

Article 1er

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  5.

Article 7

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  1.

Article 8

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  2.

Article 9

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  3.

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

TABLEAU DES AVIS

Article liminaire

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

4

Suppression de l'article

Défavorable

Article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

5

Suppression de l'article

Défavorable

Article 7

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

1

Suppression de l'article

Défavorable

Article 8

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

2

Suppression de l'article

Défavorable

Article 9

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. SAVOLDELLI

3

Suppression de l'article

Défavorable

La réunion est close à 15 h 40.

Mercredi 25 juin 2025

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'Autorité nationale des jeux (ANJ)

M. Claude Raynal, président. - Nous auditionnons ce matin Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'Autorité nationale des jeux (ANJ), que nous avons déjà entendue au sein de notre commission à deux reprises : la première en juin 2020 à l'occasion de sa nomination dans le cadre de la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution, et la seconde en février 2023 pour évoquer la régulation des jeux d'argent et de hasard.

Une nouvelle audition, deux ans après la précédente, nous a semblé nécessaire au regard de l'actualité particulièrement riche du secteur et alors que vous publiez votre rapport annuel d'activité. L'année 2025 marque aussi le cinquième anniversaire de l'Autorité nationale des jeux, qui a succédé en 2020 à l'Autorité de régulation des jeux en ligne(Arjel).

L'Autorité que vous présidez, madame Falque-Pierrotin, a été créée dans le sillage de la privatisation de la Française des jeux - qui se nomme FDJ United depuis mars dernier -, permise par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte.

Notre collègue député Philippe Brun a d'ailleurs dressé un bilan de la privatisation de la Française des jeux dans un rapport publié l'an dernier. Il relève que la valeur de l'action s'est fortement appréciée au cours des dernières années.

Dans le même temps, le secteur des jeux connaît une croissance indéniable, avec un chiffre d'affaires record de 14 milliards d'euros en 2024. La France se positionne ainsi au dixième rang mondial des pays générant le plus de chiffres d'affaires dans ce secteur.

Ce dynamisme global ne doit cependant pas masquer certaines fragilités. L'opérateur des paris hippiques, le PMU, fait face à une situation financière dégradée, malgré une augmentation tendancielle du nombre de joueurs. En avril dernier, les comptes de l'année 2024 ont été rejetés par son assemblée générale, et la ministre chargée des comptes publics a saisi l'inspection générale des finances (IGF) pour dresser un état des lieux de la filière hippique.

En tant que régulateur, vous prêtez également une grande attention à la problématique de l'addiction. En septembre 2024, l'ANJ a publié sur des applications une campagne de prévention des applications mobiles, et vous prévoyez à partir de la rentrée 2025 de mettre en place des partenariats thématiques avec des clubs sportifs « ambassadeurs ». Considérez-vous que les normes applicables pour combattre l'addiction aux jeux d'argent sont suffisantes et adaptées ?

Par ailleurs, les articles 40 et 41 de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l'espace numérique ont introduit pour une durée de trois ans l'expérimentation d'un cadre de régulation des jeux à objets numériques monétisables (Jonum). Votre audition et la table ronde avec les acteurs économiques du secteur qui suivra pourront être l'occasion de faire le point sur ces nouvelles dispositions.

Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'Autorité nationale des jeux. - Cette audition me permettra de faire le bilan de la mise en place de l'Autorité nationale des jeux, après cinq années qui ont été extrêmement fertiles en événements sur le marché des jeux d'argent.

L'objectif central du législateur, lorsqu'il a souhaité la mise en place de l'ANJ en 2019, était de renforcer la protection des joueurs, et des mineurs, en unifiant la régulation dans une autorité administrative indépendante unique, compétente pour l'ensemble du secteur. Cet objectif de protection a-t-il été atteint ?

Premièrement, le territoire de régulation du secteur des jeux s'est profondément modifié par rapport à celui qui existait il y a cinq ans, dont on pouvait considérer qu'il était relativement figé. Le marché, en forte croissance, est passé de 11 milliards d'euros en 2019 à plus de 14 milliards d'euros en 2024. Ses deux principaux moteurs sont la loterie, mais surtout le pari sportif dont le taux de croissance atteint presque 20 %. La Française des jeux est un acteur massif qui représente plus de la moitié du marché français, celui-ci se situant au quatrième rang européen et au dixième rang mondial. Le secteur de régulation est donc en pleine dynamique.

Deuxièmement, le bassin de joueurs s'étend. Il est relativement stable pour la loterie, à 26 millions ou 27 millions de joueurs, mais il croît pour ce qui est des comptes joueurs, c'est-à-dire essentiellement pour l'activité en ligne : nous avions 4 millions de comptes joueurs en 2019, contre 5,7 millions aujourd'hui.

Troisièmement, les joueurs dépensent plus. Le panier moyen pour le pari sportif atteint désormais 360 euros, contre 256 euros en 2019. En moyenne, les joueurs de pari sportif ont une mise annuelle de 3 000 euros, alors que celle-ci s'élève à presque 800 euros pour les activités de loterie. Cette année, Roland-Garros a battu tous les records de mises avec 364 millions d'euros de mises, soit plus que pour les jeux Olympiques. C'est la première fois que ce tournoi génère un montant de mises aussi important.

Quatrièmement, l'offre de jeux se renouvelle et intègre de plus en plus d'innovations venues du jeu vidéo et des techniques marketing les plus avancées. Elle comprend désormais également les Jonum. Ainsi, alors que le jeu d'argent n'est pas un produit ni un service ordinaire, en cinq ans, il est devenu un produit de consommation courante, grâce à la digitalisation.

Cinquièmement, la croissance n'est pas uniformément répartie. J'ai mentionné l'existence d'un acteur majeur, la Française des jeux, qui représente un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros sur un total de 14 milliards d'euros. Pour l'activité en ligne, cinq acteurs se partagent plus de 95 % des parts de marché, ce qui indique une forte concentration, dans la mesure où plus de 16 acteurs sont enregistrés pour l'activité en ligne.

Face à un marché qui a totalement changé de physionomie en cinq ans, l'ANJ dispose de leviers de régulation solides, maîtrisés et reconnus. Ainsi, une récente décision du Conseil d'État a validé notre régulation des monopoles, en particulier de la FDJ, sur le contrôle de l'offre et de la publicité. Sans entrer dans le détail, je dirai que nous avons investi et exploré tous les outils que nous a confiés le législateur.

Les résultats sont là, car les opérateurs se sont clairement améliorés. Ils maîtrisent désormais le cadre qui résulte de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard. Ils disposent pour la majorité d'entre eux d'un algorithme spécifique dédié à l'identification, ce qui leur a permis de passer à 30 000 joueurs excessifs identifiés aujourd'hui, contre 8 000 il y a moins d'un an. En réalité, ils ont intégré ce que nous appelons la durabilité de leur modèle économique : il faut le saluer.

En outre, de premières sanctions importantes ont été prononcées par la commission des sanctions, dont une de 800 000 euros à l'encontre d'Unibet pour dysfonctionnement autour de l'auto-exclusion.

Concernant les publicités, qui constituent évidemment le levier principal de promotion de l'offre de jeux, leur ton a changé depuis la clarification apportée par l'ANJ sur les règles en matière de contenu des publicités. Par exemple, cela nous a conduits à demander le retrait de la campagne de Winamax intitulée « Tout pour la daronne ». Des campagnes de prévention se sont mises en place, soit sur l'initiative de l'ANJ, soit sur celle des pouvoirs publics. Enfin, la lutte contre l'offre illégale s'est considérablement renforcée grâce au pouvoir de blocage administratif dont nous disposons : nous avons multiplié par dix notre action de blocage par rapport à un blocage purement judiciaire.

Des avancées ont été obtenues grâce à notre stratégie très diversifiée de travail avec les réseaux sociaux et les plateformes, ainsi qu'avec des hébergeurs comme Cloudflare. Dernièrement, nous avons lancé une expérimentation avec un opérateur du secteur bancaire pour bloquer les paiements vers les sites illégaux. Notre action pour contrer l'offre illégale est particulièrement importante, d'une part parce que cela légitime la contrainte sur les opérateurs légaux, et d'autre part parce que l'offre illégale suscite très largement la fréquentation des joueurs excessifs ; si l'on veut protéger les joueurs, il faut donc en limiter l'accès.

Si, d'une certaine manière, la régulation a bien fonctionné, le risque de jeu excessif et d'interdiction de vente aux mineurs n'est pas encore sous contrôle. Les données de santé publique sont sans équivoque sur ce point. L'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), dans son dernier rapport, a estimé le nombre des joueurs problématiques à 1,1 million, dont 360 000 sont des joueurs de niveau excessif. Il considère que ces joueurs excessifs représentent plus de 20 % du chiffre d'affaires du secteur. À cet égard, les paris sportifs représentent le risque de jeu problématique le plus important, puisque la part des joueurs excessifs y est en moyenne quatre fois supérieure que pour le jeu de loterie. Toutefois, les jeux de grattage à cinq euros ne sont pas non plus totalement étrangers à ce risque, puisqu'ils attirent 3 % de joueurs excessifs.

Par ailleurs, un certain nombre d'indices restent préoccupants concernant le risque de jeu excessif. Ainsi, plus de 80 000 personnes sont inscrites aujourd'hui dans le fichier des interdits volontaires de jeu, contre 35 000 personnes lorsque l'ANJ a été mise en place. Or il s'agit essentiellement de joueurs jeunes.

Nous sommes également préoccupés par les caractéristiques de l'année 2025, au cours de laquelle aucun événement sportif spectaculaire n'est prévu, à la différence de l'année passée. La croissance du produit brut des jeux (PBJ) s'accompagne de fortes tensions concurrentielles entre les acteurs. Celles-ci se traduisent par des stratégies défensives de la part des opérateurs, qui veulent sauvegarder leur base de clients, voire l'augmenter, avec pour risque d'accroître le risque de surstimulation des joueurs. La hausse des budgets marketing de 11 % en 2025 semble confirmer cette tendance, alors qu'il n'y a pas d'événement sportif majeur prévu.

Enfin, concernant le jeu des mineurs, une étude récente révèle qu'un tiers des jeunes de 15 à 17 ans joue, en dépit de l'interdiction de vente aux mineurs. Cette étude indique même que l'âge de départ au jeu est autour de 13 ou 14 ans, avec des jeux de grattage.

La situation reste donc assez contrastée : malgré certains progrès, le coeur de la régulation, à savoir la protection des joueurs, n'est pas un objectif encore parfaitement maîtrisé.

Pour inverser la tendance, notre deuxième plan stratégique pour les années 2024 à 2026 repose sur la volonté de faire pivoter le modèle français des jeux d'argent vers un modèle moins intensif et moins centré sur les joueurs à risque. Cela implique concrètement que les opérateurs fassent baisser la part des joueurs excessifs dans leur chiffre d'affaires. Ils doivent identifier davantage de joueurs excessifs, les accompagner et, in fine, faire baisser cette population dans leur modèle d'affaires. Pour les y aider, nous sommes en train de développer un algorithme de référence que nous soumettrons prochainement à validation scientifique et que nous mettrons à leur disposition en 2026.

En ce qui concerne le jeu des mineurs, nous avons accentué notre pression sur les monopoles, qui permettent, comme vous le savez, le jeu anonyme et qui représentent encore une part très importante du marché. Nous avons souhaité renforcer l'interdiction de vente auprès des détaillants, augmenter les contrôles ainsi que les sanctions de la part des têtes de réseau, FDJ et PMU. Nous avons aussi souhaité que soit lancée dans les deux réseaux de la FDJ et du PMU une expérimentation de jeux avec identification des joueurs. Nous sommes en train d'étudier avec soin les enseignements de cette expérimentation.

Enfin, nous devons accompagner les évolutions du marché, tout en préservant l'équilibre des filières.

À cet égard, nous avons identifié plusieurs problèmes en 2025-2026. En effet, alors que les Jonum devaient être déployés en 2025, les retards successifs de l'élaboration du cadre réglementaire laissent un vide juridique problématique, plus d'un an après l'adoption de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (Sren) et moins de deux ans avant la fin de l'expérimentation voulue par le législateur. Pour autant, la nature des offres accessibles sur le marché rend plus que jamais nécessaire une régulation déterminée afin de prévenir les risques de blanchiment et de jeu excessif qui sont associés aux Jonum et, surtout, de préserver la frontière tracée entre ce nouveau marché et celui des jeux d'argent et de hasard traditionnels.

En outre, les deux monopoles de la FDJ et du PMU sont confrontés à des enjeux de marché et de croissance qui sont différents, mais également importants.

En ce qui concerne la FDJ, nous devons, en tant que régulateurs et conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), prévenir une dynamique de croissance qui serait trop expansive. Concrètement, nous avons exercé un contrôle étroit sur la FDJ au travers de son programme de jeux pour 2024 en procédant à un certain nombre de restrictions sur son offre, dès lors que celle-ci nous paraissait trop incitative et comportait trop de risques de jeu excessif. Par exemple, nous avons considéré que la mise en ligne du jeu de tirage Amigo n'était pas possible, ou encore qu'il fallait geler les jeux de grattage à cinq euros, qui sont particulièrement addictifs dans la catégorie des jeux de grattage. Enfin, nous avons demandé à la FDJ de modifier ou de retirer les jeux attirant plus de 20 % de joueurs excessifs.

La régulation et l'exercice d'un contrôle étroit peuvent contribuer à maintenir les monopoles dans les clous de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne en modérant leur croissance.

En ce qui concerne le PMU, la question se pose en des termes très différents, puisqu'il s'agit d'accompagner la transformation d'un modèle qui est en train de s'éroder, ce qui risque, d'après les chiffres que nous avons, de se traduire par une intensification du jeu excessif. Autrement dit, le PMU est dans une situation où il y a moins de joueurs qui jouent plus. Nous devons donc le soutenir pour éviter que l'intensification du jeu excessif se manifeste trop aisément.

Enfin, les casinos sont des acteurs en monopole local. Nous les avons accompagnés en préparant un certain nombre de guides et d'outils de mise en conformité. Nous avons également lancé l'alerte sur le risque important que représentait l'ouverture des casinos en ligne pour le réseau des casinos sur site.

Pour atteindre ses objectifs, l'ANJ mobilisera tous les leviers mis à sa disposition par le législateur, en conjuguant les actions de conformité et les actions de contrôle.

Nous continuerons également à travailler avec les autres administrations de l'État. En effet, l'autorité administrative indépendante, même si elle est investie d'un pouvoir de régulation, ne peut pas, à elle seule, résoudre toutes les questions posées. Ainsi, il est indispensable de travailler en continuum avec les services du ministère de la santé, sur la prévention du jeu excessif et sur la question des publics vulnérables.

Il faudra sans doute, en lien avec le Parlement, faire évoluer le cadre dans lequel s'inscrit l'action du régulateur pour en renforcer la portée. En 2023, nous avions fait plusieurs propositions d'évolution du cadre juridique au Gouvernement qui sont toujours d'actualité. Elles visent à réduire la pression publicitaire, qui est particulièrement forte en France, avec de nouveaux leviers comme le « whistle to whistle » ban, c'est-à-dire l'interdiction de publicité cinq minutes avant les matchs, pendant les matchs et cinq minutes après les matchs. C'est un dispositif qui fonctionne bien au Royaume-Uni.

Elles visent aussi à envisager l'encadrement du sponsoring, car nous considérons que le sponsoring sportif et le sponsoring par les opérateurs de jeux d'argent pourraient être limités, de manière à éviter que s'établisse un lien malsain entre les jeux d'argent et les compétitions sportives. Aujourd'hui, on constate, notamment chez les jeunes, une forme d'assimilation entre l'enjeu sportif et l'enjeu du pari, ce qui ne correspond pas à l'éthique du sport.

Enfin, il serait utile de prévoir une protection particulière pour les jeunes de 18 à 24 ans. De même qu'il existe un permis jeune conducteur, on pourrait mettre en place des protections particulières comme un plafond de mise ou une limitation des pertes, sachant que cette partie de la population est particulièrement vulnérable tant sur le plan financier que sur le plan émotionnel.

Je vous livre enfin une proposition sur laquelle nous sommes encore en train de réfléchir. Pour l'interdiction de vente aux mineurs, la politique de contrôle-sanction doit être réactivée, sans que nous soyons certains qu'elle fonctionnera pleinement. Il pourrait donc être opportun de mettre en place une carte joueur dans les points de vente, ou bien un QR code de majorité, de manière à combler une béance de la régulation qui permet à de nombreux mineurs de jouer dans les points de vente anonymes. Ce risque très important n'est pas entièrement sous contrôle aujourd'hui.

Je conclus par une réflexion sur l'outil fiscal. Dans le cadre des dernières lois de finances et de financement de la sécurité sociale, certains ont envisagé une taxation plus importante des jeux d'argent. Nous sommes favorables à une remise à plat systémique de l'outil fiscal, visant à favoriser une cohérence d'ensemble et, surtout, à aligner l'outil fiscal et les externalités négatives que suscite le marché des jeux d'argent. Tels étaient du moins les objectifs qui ont inspiré les propositions du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), dans son dernier rapport. Celles-ci vont dans le bon sens, même si elles impliquent de tenir une ligne de crête, qui est délicate. Il faudra non seulement conserver un certain rendement fiscal, mais aussi préserver la soutenabilité du modèle économique des opérateurs français, qui sont les plus taxés d'Europe, avec le risque de concentrer le marché autour de quelques acteurs en cas de nouvelles augmentations.

Je résumerai donc par trois mots la dynamique du secteur des jeux d'argent au bout de cinq ans : croissance, concurrence et innovation. Celle-ci représente un risque potentiel réel pour les joueurs qu'une régulation ferme et réactive doit pouvoir contenir.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre audition est comme toujours riche d'enseignements.

Le secteur des jeux d'argent me semble, d'une certaine manière, incarner tout et son contraire. C'est un domaine qui croît rapidement, mais dont je considère, à titre personnel, qu'il porte en lui une forme de perversité permanente.

Je me souviens de l'alerte que vous aviez lancée lors de votre précédente audition sur l'ambiance générale qui entoure les jeux. Vous aviez alors mis en lumière les effets délétères de la publicité, laquelle diffuse l'idée que le jeu s'accompagnerait d'un confort certain et d'une sorte d'ambiance émolliente qui inciterait à croire qu'il suffit de jouer pour obtenir sans effort des subsides.

Or j'ai le sentiment que, malgré les efforts engagés, cette tendance ne s'est guère atténuée. En France, comme vous l'avez rappelé, nous avons une situation de monopole. Cette situation m'interroge profondément.

Je formulerai trois questions.

Premièrement, la dynamique du chiffre d'affaires dans les jeux d'argent que vous observez en France est-elle plus soutenue que dans d'autres pays européens ? Et, si oui, quels sont, selon vous, les deux ou trois éléments marquants qui différencient la France de ses voisins ?

Deuxièmement, quelle est votre analyse du développement du marché illégal des jeux en ligne ? La législation actuelle vous paraît-elle suffisante pour y faire face efficacement, ou bien est-elle encore lacunaire ? Vous avez mentionné les actions engagées et les moyens alloués par le législateur ; toutefois, ceux-ci ne visent pas nécessairement à renforcer la lutte contre ce marché illégal.

Enfin, j'aimerais revenir sur un point que vous avez abordé : celui de l'outil fiscal. Vous avez évoqué la question de l'éthique. Pour ma part, j'y ajoute celle de la morale. Car, en définitive, le comportement et les pratiques auxquels ce secteur conduit sont à l'inverse, me semble-t-il, des principes de responsabilité que l'on devrait promouvoir. Or, en encourageant cette pratique et en en percevant, par le biais de l'impôt, des dividendes au bénéfice de l'État, nous développons une forme de contradiction persistante - telle est du moins mon interprétation. Avez-vous, dans le cadre de votre mission, des éléments d'analyse ou d'observation à nous apporter sur ce point ?

Mme Isabelle Falque-Pierrotin. - Le rythme de croissance du marché français des jeux d'argent se situe globalement dans la moyenne des pays européens, ce qui est assez extraordinaire, dans la mesure où le marché français est beaucoup plus contraint, en raison du niveau de fiscalité, que celui des autres pays européens.

Ce sur quoi je souhaiterais insister dans cette comparaison européenne, c'est que l'on observe dans ces pays un durcissement législatif bien plus marqué qu'en France, du fait de la mobilisation des opinions publiques face à la progression du jeu excessif. Ainsi, des restrictions ont été introduites au cours des deux ou trois dernières années dans plusieurs pays, notamment en Espagne, aux Pays-Bas, en Belgique ou même au Royaume-Uni. Elles portent sur la capacité de jeu, les machines à sous en ligne, la publicité et, surtout, sur l'interdiction du sponsoring, beaucoup plus fermement appliquée que chez nous. Il est intéressant de noter que, selon les autorités espagnoles, l'interdiction du sponsoring et de la publicité n'ont nullement freiné la croissance de leur marché.

S'agissant à présent de la deuxième question relative à l'offre illégale, l'ANJ a récemment lancé une étude à ce sujet. Cette offre représenterait entre 800 millions et 1,5 milliard d'euros et concernerait près de 3 millions de joueurs. Surtout, elle attire une part particulièrement élevée de joueurs excessifs : 65 % d'entre eux joueraient sur des sites illégaux. Il est donc essentiel, pour assurer la protection des joueurs, de contenir cette offre. D'ailleurs, les opérateurs légaux se montrent très soucieux de la voir disparaître, afin que les efforts qui leur sont imposés soient équitablement répartis.

Le dispositif français se révèle, à cet égard, relativement efficace. Le blocage administratif a permis de multiplier par dix notre capacité d'action. Bien entendu, la lutte contre ces sites relève encore du jeu du chat et de la souris : lorsqu'un site est bloqué, il réapparaît aussitôt sous une autre URL. Cependant, des mécanismes nous permettent désormais d'intervenir immédiatement dans ces cas-là.

La coopération que l'ANJ a instaurée avec l'ensemble des intermédiaires techniques constitue, à ce jour, une exception en Europe. Des accords de coopération ont été conclus avec toutes les grandes plateformes, y compris TikTok, Telegram, Instagram, Facebook et YouTube. Nous disposons de lignes de signalement dédiées auprès de chacune d'elles  : dès qu'un contenu illégal est repéré, il est retiré immédiatement. Je peux vous assurer que ce dispositif est très envié par nombre de nos homologues européens.

Nous avons également, et cela mérite d'être souligné, engagé une coopération internationale dans le cadre de la lutte contre l'offre illégale, non seulement avec les régulateurs européens, mais surtout avec les autorités nord-américaines. Pourquoi ce choix ? Parce qu'un certain nombre de contenus illicites auxquels nous sommes confrontés est hébergé aux États-Unis. Je mentionnais précédemment Cloudflare, qui héberge une part significative de ces contenus. Grâce à la mobilisation conjointe des régulateurs nord-américains et à la collaboration directe avec cette entreprise, nous avons pu accroître considérablement notre efficacité face à ce type d'infractions.

Globalement, en matière de lutte contre l'offre illégale, les outils dont nous disposons sont solides. Le dernier levier que nous mobilisons actuellement concerne le blocage des flux financiers. Une première expérimentation a été conduite sur une base contractuelle avec un opérateur financier, démontrant l'efficacité de ce mécanisme. Nous travaillons aujourd'hui, avec la ministre chargée du budget, à la mise en place d'un dispositif plus systématique visant à bloquer financièrement l'activité des opérateurs illégaux.

S'agissant, enfin, de l'aspect fiscal et de la contradiction apparente qu'il y aurait à percevoir des recettes issues du jeu tout en en régulant l'essor, je crois que les propositions formulées par le CPO ouvrent une voie intéressante. Il s'agit de réconcilier l'outil fiscal avec une forme de rationalité économique, mais aussi éthique. Le principe serait de faire varier la fiscalité en fonction des dommages générés par l'offre de chaque opérateur, autrement dit, d'appliquer un principe de type pollueur-payeur. Si un opérateur investit réellement dans la prévention du jeu excessif et dans la modération des pratiques à risque, sa charge fiscale serait allégée.

Cette approche paraît prometteuse et ne devrait pas, au demeurant, diminuer le rendement global de la fiscalité sur les jeux. En revanche, il convient de se garder d'une stratégie de fiscalité de type « saupoudrage », qui aggraverait les inégalités de traitement entre les opérateurs. On a observé, par exemple, que les opérateurs en ligne ont subi une augmentation de plus de quatre points dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), bien plus marquée que pour les autres. Or leur rentabilité, lorsqu'on l'examine de près, demeure fragile. Ce relèvement de la fiscalité pourrait sérieusement compromettre l'équilibre économique d'au moins quatre opérateurs, et, de façon significative, celui d'au moins huit des seize actuellement agréés.

Nous formulons donc ici un point d'alerte : la fiscalité sur les jeux est déjà très élevée en France. Ce n'est pas en l'augmentant davantage que l'on parviendra à résoudre le déficit de recettes de l'État.

M. Jean Pierre Vogel. - Parmi les différents opérateurs de jeux, certains comme la Française des jeux rémunèrent des actionnaires. Ce n'est pas le cas du groupement d'intérêt économique PMU (GIE-PMU), qui constitue une structure au service d'une filière agricole, et non d'actionnaires. Les deux associés du GIE-PMU sont la Société d'encouragement à l'élevage du trotteur français (SETF) et France Galop, deux entités à but non lucratif qui redistribuent à la filière l'ensemble du produit brut des jeux ainsi que les résultats du GIE-PMU. Ce modèle mérite d'être souligné et a peut-être trop peu mis en valeur dans votre présentation.

De plus, je m'interroge sur une donnée figurant à la page 17 de votre rapport d'activité. Vous y indiquez que l'activité du GIE-PMU affiche une baisse de 2 % « par rapport à 2024 ». J'imagine qu'il s'agit en réalité d'une comparaison avec l'année 2023, puisque le rapport porte sur 2024.

Par ailleurs, il est écrit que le bassin de joueurs du PMU serait en progression de 6 % en 2024. Cela me semble quelque peu contradictoire avec votre propos, selon lequel le nombre de joueurs du PMU serait en baisse.

Enfin, le PMU traverse actuellement une phase de grande difficulté. Or, dans un communiqué de presse publié en 2021, l'ANJ rappelait qu'elle est chargée de veiller à une « exploitation équilibrée des différents types de jeux afin d'éviter toute déstabilisation économique des filières concernées ». Force est de constater qu'au vu des résultats depuis le 1er janvier 2025, la filière du PMU connaît une décroissance particulièrement marquée.

Dès lors, comment envisagez-vous un rééquilibrage durable de la filière des jeux, notamment en soutien au GIE-PMU ? Vous évoquez, à juste titre, les enjeux de régulation en matière d'addiction et de protection des joueurs. Mais un autre pan du sujet tient au modèle économique du PMU, qui s'érode. Comment assurer une régulation qui permettrait à ce modèle de perdurer, au même titre que dans d'autres pays où l'État s'est substitué au PMU sous d'autres formes ? Je rappelle que ce modèle, en France, contribue à hauteur d'environ 800 millions d'euros à la filière hippique. Compte tenu de l'état de nos finances publiques, il est difficile d'envisager que l'État se substitue au PMU pour assurer la survie d'une filière qui est en grande difficulté aujourd'hui.

Que des actionnaires soient rémunérés par la FDJ, soit, mais quand on voit le déploiement d'outils de communication pour récupérer des parts de marché extrêmement importantes alors que le PMU est en perte de vitesse, il semble indispensable que l'ANJ intervienne en tant que régulateur.

Mme Nathalie Goulet. - Nous avons tous nos addictions. Pour ma part, c'est la lutte contre la fraude, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Avec le président Daubet, nous venons de remettre un rapport dans le cadre de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, dans lequel les jeux ont fait l'objet d'un chapitre conséquent.

Je souhaite donc vous interroger sur deux points.

D'une part, au sujet des procédures de veille et des dispositifs de communication que vous avez mis en place en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, je note l'augmentation très significative du nombre de déclarations effectuées auprès de Tracfin. Pour les jeux en ligne et les opérateurs exclusifs, on est passé de 731 déclarations en 2021 à 2 306 en 2024, soit une part de 15,9 %, ce qui est considérable. De leur côté, les casinos et les clubs de jeux ont vu leur nombre de déclarations passer de 1 238 à 2 175, soit également environ 15 %. Ces deux secteurs, que vous régulez, représentent donc à eux seuls 30 % du total. En comparaison, les avocats n'ont transmis que 15 déclarations, soit 0,1 %. Ces chiffres illustrent à quel point le secteur des jeux constitue un point de vigilance majeur, ce dont il faut se féliciter, car la mobilisation semble bien réelle.

Je m'interroge toutefois sur certaines situations, notamment l'acquisition de débits de tabac ou de points de vente proposant des jeux de grattage. Il semblerait qu'une fraude assez répandue permette, dans certains cas, de « gagner sans jouer ».

En outre, quelle communication développez-vous à destination des opérateurs ou du grand public sur les sujets liés au blanchiment d'argent et au financement du terrorisme ?

Enfin, j'aimerais vous interroger sur l'application du texte récemment adopté - je précise que je ne l'ai pas voté personnellement -, à savoir la loi visant à réduire les inégalités territoriales pour les ouvertures de casino, qui autorise l'implantation de casinos dans les communes qui abritent un haras national. Une réunion de cadrage avait eu lieu l'année dernière au ministère de l'économie et des finances, mais depuis, plus aucune information ne semble avoir circulé. Ce texte est-il appliqué  ? Existe-t-il aujourd'hui des projets de construction de casinos dans des villes concernées par cette disposition, telles que Pompadour ou Le Pin-au-Haras, dans l'Orne ? Ce sont là des questions concrètes, mais la priorité reste, selon moi, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, car le secteur des jeux apparaît manifestement comme l'un des maillons les plus fragiles sur ce front.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Indépendamment de ce qui est indiqué à la page 60 de ce bilan, pourriez-vous approfondir la thématique de lutte contre la manipulation des compétitions sportives, notamment le football ?

Pourriez-vous nous dire s'il est entrepris quelque chose dans votre dialogue avec les ligues professionnelles pour protéger les vrais joueurs, c'est-à-dire les sportifs professionnels, notamment dans le football ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que vous seriez favorable à un encadrement du sponsoring des jeux d'argent, alors que l'on constate que c'est un des domaines qui rapportent aux clubs au moment même où le football français se trouve dans des conditions financières difficiles.

M. Michel Canévet. - J'ai quatre questions à vous soumettre.

Premièrement, s'agissant des casinos en ligne, sujet que nous avons déjà abordé lors du dernier projet de loi de finances, quelle est la position de l'ANJ sur leur éventuelle ouverture ? Cette question, qui reviendra très probablement dans nos futurs débats, suscite dans les territoires de nombreuses réactions.

Deuxièmement, à propos de l'EuroMillions, qui demeure un jeu à très grand succès au niveau européen, le plafond actuel est fixé à 250 millions d'euros. Ce plafond vous semble-t-il devoir être relevé ?

Troisièmement, depuis que la FDJ a procédé à une opération de croissance externe, constituant aujourd'hui FDJ United, comment s'organise la régulation à l'échelle européenne ? On observe en effet un développement accéléré des opérateurs. Disposez-vous, dans ce contexte, de collaborations accrues avec vos homologues européens ? Existe-t-il des modalités de traitement conjointes des dossiers et des opérateurs ?

Enfin, quatrièmement, vous avez évoqué le récent rapport du CPO. Je souscris au constat selon lequel les prélèvements actuels sont épars et il me semble effectivement pertinent de les regrouper. Le CPO en recense 33. Ce secteur constitue d'ailleurs un contributeur significatif pour les finances publiques. En 2023, les mises des joueurs ont atteint 14 milliards d'euros, tandis que la fiscalité prélevée s'est élevée à 7 milliards d'euros, soit 50 % du produit des jeux. Ces joueurs, contributeurs volontaires au budget de l'État, méritent, me semble-t-il, d'être encouragés.

Dans sa dernière publication, le CPO a également évoqué l'hypothèse d'une fiscalisation des gains au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales. Que pensez-vous de cette piste ? Ne risque-t-elle pas d'affecter le rendement des jeux si elle devait être mise en oeuvre ?

Mme Christine Lavarde. - J'ai été assez étonnée que la fusion entre la Française des jeux et Kindred, leader européen des jeux en ligne, ait été autorisée. Nous nous retrouvons aujourd'hui face à un acteur unique présent à la fois sur le marché des jeux en ligne et sur celui des jeux physiques.

Dès lors, l'État dispose-t-il encore des leviers nécessaires pour exercer une véritable pression sur un tel mastodonte ? Avant cette opération, une forme de concurrence subsistait entre les différents acteurs, chacun tentant d'empiéter sur le périmètre de l'autre. Ce n'est désormais plus le cas : un seul opérateur occupe l'ensemble du spectre.

Dans ce contexte, dans quelle mesure les dispositions favorables accordées à la FDJ lors de sa privatisation ne constituent-elles pas aujourd'hui un obstacle à la mise en oeuvre d'une régulation efficace ? Ne risquent-elles pas également de compromettre l'objectif de protection des joueurs, notamment les plus fragiles et les plus vulnérables ?

M. Jean-Baptiste Blanc. - Ma question rejoint celle posée par Mme Lavarde. Ce qui m'interroge, c'est la fusion entre la FDJ et Kindred. On sait que l'offre de cet opérateur repose en grande partie sur les casinos en ligne, déjà présents dans plusieurs pays de l'Union européenne.

Dans ce contexte, quel type de régulation préconisez-vous afin de sécuriser les joueurs tout en garantissant que cette évolution reste profitable aux finances publiques ?

Mme Isabelle Falque-Pierrotin. - S'agissant du GIE-PMU, si je ne l'ai pas explicitement mentionné dans mon propos liminaire, ce n'est ni par ignorance ni par désintérêt. J'ai simplement souhaité intervenir de manière concise. Le PMU demeure une pépite française, une forme d'excellence nationale, incarnée notamment par ses hippodromes répartis sur tout le territoire. Il importe de préserver ce dispositif et de veiller à ce qu'il continue d'alimenter solidement la filière hippique.

Le débat sur les chiffres n'en est pas vraiment un. Les indicateurs du PMU ont montré une amélioration en 2024, mais ont commencé à décroître à partir de 2025. Nous observons cependant, depuis quelque temps, une hausse du panier moyen par joueur, signe d'une intensification de jeu, qui suscite notre vigilance.

Le PMU fait face à plusieurs défis, dont une clientèle vieillissante et une offre trop cantonnée. Nous avons soutenu leurs récents efforts d'innovation, qu'il s'agisse du « pari du jour », lancé il y a deux ans sans réel succès, du pari sur les courses passées, ou encore du dispositif de paris en direct, ou live betting. Nous restons mobilisés à leurs côtés.

Désormais, les sociétés-mères du PMU - France Galop et Le Trot, également connu sous le nom de SECF - doivent s'interroger sur le projet d'ensemble et la gouvernance à mettre en place. Dans son rapport sur la filière équine, en 2018, Jean Arthuis avait déjà plaidé pour une transformation du PMU en société commerciale, afin de lui permettre d'investir. Or c'est bien le manque d'investissement qui le fragilise face à ses concurrents.

Nous attendons désormais les conclusions de l'inspection générale des finances. L'ANJ s'est pleinement tenue à disposition de l'inspecteur chargé du rapport et se tient prête à accompagner les parties prenantes dans les réflexions à venir. Il est clair que la situation actuelle appelle une révision en profondeur et non des ajustements à la marge.

Madame Goulet, la lutte contre le blanchiment constitue chez nous un sujet en pleine expansion. L'analyse de risque conduite sur le secteur des jeux d'argent concluait à une situation de risque moyen : les risques identifiés sont élevés, mais les mesures de mitigation mises en place demeurent robustes.

L'ANJ réunit régulièrement, une à deux fois par an, une commission consultative dédiée à la lutte contre le blanchiment, à laquelle participent notamment Tracfin, le service central des courses et jeux, ainsi que les administrations concernées.

À la suite d'échanges avec la ministre chargée des comptes publics, un constat s'est imposé : la situation n'est peut-être pas entièrement sous contrôle. Il subsiste un angle mort, en particulier au sein des réseaux de détaillants de la FDJ et du PMU, sur lesquels les informations précises font défaut. Il est donc légitime de s'interroger sur un risque potentiel plus élevé que celui renvoyé par une vision trop consolidée du secteur.

Dans ce cadre, l'ANJ a récemment auditionné la FDJ et le PMU, en présence de l'ensemble des membres de cette commission, afin d'examiner plus finement la situation et de vérifier dans quelle mesure les têtes de réseau, FDJ et PMU, prennent pleinement la mesure du risque de blanchiment.

Nous nous sommes engagés, auprès de la ministre, à formuler des propositions concrètes dans le cadre de la lutte contre la fraude et le blanchiment de capitaux. Il s'agit donc d'un dossier prioritaire, bien identifié au sein de l'ANJ, et sur lequel nous travaillons activement.

S'agissant à présent de la lutte contre les manipulations sportives, la France s'est dotée d'un dispositif innovant, en lien avec plusieurs États, avec la mise en place d'une plateforme dédiée, dans le cadre de la convention de Macolin sur la manipulation des compétitions sportives. Cette plateforme regroupe acteurs publics et privés investis sur ces enjeux.

Concrètement, la structure est présidée par le ministre des sports, tandis que l'ANJ préside la formation de surveillance. Y siègent également Tracfin, le parquet national financier (PNF), le service central des courses et jeux, ainsi que les opérateurs de jeux.

En pratique, nous assurons une surveillance en temps réel des cotes sur les compétitions sportives. Dès l'apparition d'un atypisme, qui est aussitôt partagé avec nos homologues - il existe plus de quarante plateformes étrangères similaires à la nôtre -, nous pouvons prendre des mesures immédiates. Lorsqu'un atypisme avéré est constaté, il peut nous conduire à suspendre les paris sur la compétition concernée.

Ce dispositif a fait ses preuves. Il a notamment permis que les jeux Olympiques se déroulent sans incident majeur, grâce à une coopération nationale et internationale de très grande ampleur.

S'agissant du sponsoring par les opérateurs de paris sportifs, notre position est claire : il convient de le limiter.

Le sponsoring des opérateurs de paris sportifs représente aujourd'hui 45 millions d'euros, un montant en hausse de 25 % en 2024. Cette croissance s'explique notamment par le fait que, à mesure que la publicité sur les jeux d'argent se trouve davantage contrainte par le régulateur, le sponsoring augmente. Cela fonctionne comme un vase communicant : plus les contraintes publicitaires s'intensifient, plus le recours au sponsoring progresse.

Cela étant, cette somme, qui peut paraître importante, ne représente que 2 % du sponsoring sportif total. C'est pourquoi nous considérons qu'il serait pertinent soit de l'interdire, afin d'établir une séparation nette entre l'univers sportif et celui du pari, soit de le limiter strictement, en particulier sur le naming, c'est-à-dire l'attribution du nom d'un opérateur de paris à une compétition ou à un équipement sportif. Cette pratique entraîne en effet une assimilation immédiate et complète, notamment chez les jeunes.

Nous avons par ailleurs été gênés par une disposition du PLFSS visant à instaurer une taxation de 15 % sur les dépenses marketing, tout en excluant le sponsoring de cette assiette. Cette exception risque d'encourager un recours accru au sponsoring, accentuant la concentration du marché au bénéfice des gros opérateurs, seuls capables d'absorber ce surcoût. Les opérateurs plus modestes, eux, n'ont pas les moyens de suivre.

En ce qui concerne l'ouverture des casinos en ligne, nous avons clairement exprimé la nécessité d'une extrême prudence. Il s'agirait là d'une ouverture massive, représentant plus de 2 milliards d'euros de mises, soit un impact équivalent à celui de l'ouverture du marché des autres jeux en ligne en 2010. Or le casino en ligne est probablement le produit le plus addictif de tout le secteur.

L'argument principal avancé pour justifier cette ouverture est la volonté d'assécher l'offre illégale. Nous avons donc examiné les effets de cette stratégie dans plusieurs marchés européens. En réalité, l'expérience montre que, dans un premier temps, l'ouverture n'entraîne aucune diminution significative de l'offre illégale. Celle-ci persiste durablement, même après l'autorisation des casinos en ligne.

Si les pouvoirs publics souhaitent persévérer dans l'intention d'autoriser les casinos en ligne, il convient d'accompagner cette ouverture d'une régulation extrêmement stricte, en prévoyant des plafonds de pertes et de mises, une limitation du temps de jeu horaire, l'interdiction éventuelle de la publicité, voire l'interdiction d'accès aux 18-24 ans. Ce sont des mesures de restriction importantes, que l'on peut tout à fait envisager. Le Royaume-Uni, par exemple, les applique déjà partiellement et a ainsi fortement réduit les enjeux sur ce type de jeux.

S'agissant de l'EuroMillions, la question du plafond soulève le problème des gains mirobolants. Des jackpots de 300 ou 350 millions d'euros sont une incitation très forte au jeu. Certes, le plafonnement des gains ne relève pas de la compétence de l'ANJ, mais notre position reste constante : nous ne sommes pas favorables à une élévation excessive des gains.

En matière de régulation européenne, le dispositif est assez original. Il n'existe pas d'harmonisation juridique, à proprement parler, mais une coopération étroite s'est développée entre les États membres à travers le réseau des régulateurs européens (Gref pour Gambling Regulators European Forum). J'ai eu l'honneur d'en assurer la présidence ces deux dernières années.

Le Gref fonctionne au moyen de groupes de travail thématiques très ciblés, notamment sur les sujets d'enforcement, c'est-à-dire les dispositifs de contrôle-sanction. Ce réseau permet de partager de bonnes pratiques, de cibler des priorités et d'élaborer des recommandations communes. Il s'agit d'une forme de régulation qui incarne ce que l'Europe fait de mieux tout en évitant d'ajouter une couche bureaucratique européenne aux législations nationales.

En ce qui concerne le CPO, nous avons exprimé notre adhésion à l'essentiel de ses recommandations, sauf sur un point : la fiscalisation des gains au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales. Nous n'y sommes pas favorables. Une telle mesure susciterait probablement un tollé et elle ne paraît pas opportune dans le contexte actuel.

La question de savoir s'il est possible de réguler un acteur de la taille de FDJ United est importante. L'acquisition de Kindred par la FDJ modifie en profondeur le périmètre de l'entreprise. Cette opération a conduit l'Autorité de la concurrence à renforcer les obligations de séparation des activités entre le domaine en monopole et celui ouvert à la concurrence, afin de garantir leur étanchéité effective, sous réserve de la promotion institutionnelle de la marque, qui demeure commune aux deux segments.

Avec l'acquisition de Kindred, la FDJ s'impose désormais sur le marché en ligne, c'est-à-dire le marché concurrentiel, à la troisième ou quatrième place, selon les critères retenus. Elle devient ainsi un acteur de tout premier plan. Cette évolution accentue une difficulté majeure que nous avions déjà identifiée, à savoir le conflit d'objectifs inhérent à la dualité de la FDJ. D'un côté, le monopole impose de limiter l'offre de jeux afin de mieux protéger les joueurs, car c'est là sa raison d'être. De l'autre, en tant que société cotée, la FDJ poursuit logiquement des objectifs de croissance et de rentabilité au service de ses actionnaires. L'écart entre les deux logiques est évident et notre rôle de régulateur est de faire en sorte qu'elles ne divergent pas excessivement pour que la régulation puisse fonctionner.

C'est tout l'enjeu de ce que nous appelons le contrôle étroit. Il ne s'agit pas d'interdire la croissance de la FDJ - une telle interdiction n'aurait pas de sens -, mais de faire en sorte qu'elle s'inscrive dans les limites définies par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, celles d'une croissance modérée qui n'incite pas explicitement au jeu excessif.

Ce principe de contrôle étroit a guidé les exigences formulées par l'ANJ dans le cadre du programme des jeux de 2024. Nous allons prochainement examiner le programme des jeux de 2025, afin de déterminer s'il convient ou non de durcir encore les conditions de ce contrôle étroit. Enfin, en ce qui concerne les haras, à Pompadour, on me dit qu'un emplacement a été décidé et qu'un groupe s'est présenté et a prévu 75 machines à sous. Je n'en sais pas plus.

M. Claude Nougein. - Je peux compléter votre information concernant Pompadour. La première pierre du casino sera posée le dimanche 6 juillet. L'opérateur vient d'Annecy où il a déjà un casino et où il oeuvre dans l'hôtellerie. L'ouverture est prévue en février 2026. Et comme on me dit que tous les casinos doivent ouvrir un vendredi 13, ce sera soit le vendredi 13 février, soit le vendredi 13 mars 2026.

M. Claude Raynal, président. - Madame la présidente, nous vous remercions de votre participation.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

L'actualité du secteur des jeux d'argent et de hasard - Audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'Autorité nationale des jeux (ANJ), Mme Stéphane Pallez, présidente-directrice générale de FDJ United, et M. Nicolas Béraud, président de l'Association française du jeu en ligne (AFJEL)

M. Claude Raynal, président. - À la suite de l'audition de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'Autorité nationale des jeux (ANJ), nous nous réunissons pour une table ronde consacrée à l'actualité du secteur des jeux d'argent et de hasard.

Le marché des jeux a connu en 2024 une croissance soutenue. Le produit brut des jeux (PBJ) a atteint 14 milliards d'euros, en hausse de 4,7 % par rapport à l'année précédente. Le secteur des jeux et paris en ligne a, quant à lui, généré un chiffre d'affaires record de 2,6 milliards d'euros en 2024, favorisé par l'organisation d'événements sportifs exceptionnels. Ainsi, l'ANJ recense désormais 5,7 millions de comptes joueurs actifs.

Le chiffre d'affaires du secteur des jeux de loterie a également connu une croissance de 5 % entre 2023 et 2024, pour atteindre 5,4 milliards d'euros. La Française des jeux (FDJ), devenue FDJ United depuis cette année, est l'opérateur en vertu d'un monopole légal.

Le revers de ce dynamisme est que les jeux créent des problèmes importants de santé publique. L'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) estime à 360 000 le nombre de joueurs excessifs en 2023.

Parmi les parieurs sportifs, 65 % ont entre 18 et 34 ans, ce qui soulève des questions quant à la protection des publics jeunes et vulnérables, notamment face à certaines pratiques commerciales et publicitaires que l'on peut qualifier d'« offensives », pour reprendre un terme employé par l'ANJ.

Dans ce contexte, la fiscalité du secteur a été renforcée par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2025. À compter du 1er juillet prochain, la fiscalité sur les paris sportifs affectée à la sécurité sociale passera au taux de 7,6 % en points de vente et à 15 % en ligne. Les jeux de cercle en ligne seront taxés à 10 %, et une contribution sociale de 15 % sur les frais de publicité et de promotion a été instaurée. La table ronde d'aujourd'hui doit également être l'occasion de faire le point sur les conséquences de cette nouvelle fiscalité.

Enfin, demeure la question d'une meilleure régulation du jeu en ligne. Le développement rapide du marché illégal, hors de tout cadre réglementaire et fiscal, constitue un défi majeur. À ce sujet, le Gouvernement avait déposé en première lecture du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, à l'Assemblée nationale, un amendement visant à autoriser les casinos en ligne, mais cet amendement a finalement été retiré.

Au regard de cette actualité très riche ainsi que d'un contexte budgétaire difficile, cette table ronde devrait nous permettre d'identifier les équilibres nécessaires entre développement économique, régulation efficace et protection des joueurs.

Pour nous éclairer sur ces enjeux, nous avons donc le plaisir d'accueillir Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'ANJ, que nous venons d'auditionner et qui pourra réagir aux nouvelles questions que nous pourrons lui poser, Mme Stéphane Pallez, présidente-directrice générale de FDJ United, M. Nicolas Béraud, président de l'Association française des jeux en ligne (Afjel) et M. Grégory Rabuel, président de Casinos de France.

Nous regrettons par ailleurs que le PMU, qui avait été initialement invité, ait répondu trop tardivement, de sorte qu'il ne participera pas à cette table ronde, mais nous aurons à coeur, évidemment, d'entendre ses représentants à une autre occasion.

Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, retransmise en direct sur le site du Sénat.

Mme Stéphane Pallez, présidente-directrice générale de FDJ United. - Je commencerai par rappeler brièvement où en est l'entreprise FDJ United que j'ai l'honneur de diriger, avant d'aborder certains des sujets que vous avez évoqués.

Tout d'abord, FDJ United, dans sa structure actuelle, tant pour ce qui est de son cadre juridique concernant ses droits de monopole que pour son régime fiscal, incarne le dispositif qui a été voté par le Parlement lors de la privatisation et qui a contribué au succès de l'opération pour l'État. Sans revenir en détail sur les modalités de la privatisation ou sur les bénéfices qu'en a tirées l'État, depuis cette opération intervenue en 2019, l'entreprise a enregistré une croissance modérée, mais régulière, de l'ordre de 5 % par an, qui a profité à l'ensemble des parties prenantes.

Cette croissance a naturellement bénéficié aux actionnaires de l'entreprise, notamment aux 400 000 actionnaires particuliers, ainsi qu'aux associations d'anciens combattants qui détiennent aujourd'hui 16 % du capital. Elle a également profité à l'État, au travers du versement de dividendes. Mais le principal bénéficiaire de cette croissance modérée, sur la période 2019-2024, demeure l'État lui-même, via la fiscalité. Ce point était d'ailleurs central dans les débats parlementaires au moment de la privatisation : comment garantir que les intérêts de l'État resteraient préservés et alignés avec ceux des actionnaires de l'entreprise ? Comment faire pour que les recettes fiscales continuent à augmenter de manière alignée avec la croissance de l'entreprise ?

Cela a effectivement été le cas puisque, dans le cadre défini à l'époque de la privatisation, la contribution fiscale de FDJ United a fortement progressé, de 1,3 milliard d'euros sur la période concernée. À la fin de l'année 2024, elle s'élevait ainsi à 4,7 milliards d'euros, soit un niveau jamais atteint auparavant. L'objectif fixé a donc été pleinement rempli. C'était important non seulement pour l'État, mais également pour l'entreprise, puisque cet objectif s'inscrit au coeur même de notre modèle économique.

Ensuite, cette croissance modérée, tout comme celle des recettes fiscales, a été portée essentiellement par le développement de notre activité principale, la loterie, ce qui nous a permis de maintenir un taux de jeu excessif particulièrement bas. En effet, en matière de loterie, ce taux demeure cinq à six fois inférieur à celui qui est observé dans d'autres segments du marché, tels que les paris sportifs, secteur dans lequel FDJ United est également présente, mais de manière plus marginale. Il est essentiel de rappeler cette spécificité, car elle correspond à notre stratégie et à notre modèle.

Ce modèle repose sur une croissance combinée à la maîtrise des risques, dans le cadre d'une politique extensive, fondée sur un large bassin de joueurs jouant de manière modérée et sans risque. Dans le même temps, nous nous engageons activement dans l'identification et la gestion des comportements à risque, en ciblant spécifiquement les joueurs excessifs. Sur ce sujet, nous entretenons un dialogue continu avec notre autorité de régulation. Je rappelle en effet que, en matière de loterie en monopole, tous nos jeux sont soumis à son autorisation préalable. Chaque année, nous lui présentons un programme de jeux qui fait l'objet d'une validation. Ce dialogue au long cours porte sur une question centrale : le développement de notre portefeuille de jeux et de notre bassin de joueurs permet-il toujours d'atteindre les objectifs fixés ?

En 2024, nous avons franchi un nouveau cap dans l'histoire de l'entreprise en devenant un acteur européen. Je pourrai développer ce point plus en détail si vous le souhaitez. Nous avons en effet procédé au rachat d'un opérateur de jeux en ligne, Kindred, ce qui a permis de faire de FDJ United un groupe de dimension européenne.

Il me semble toutefois important de souligner, pour la clarté des travaux de cette assemblée, que si cette acquisition visait à faire émerger un champion européen, capable de rivaliser avec des opérateurs internationaux, l'essentiel de notre activité demeure en France. Aujourd'hui, plus de 66 % de notre activité relève de la loterie et cette activité est réalisée à près de 70 % sur le marché français.

Avec cette acquisition et les politiques que nous poursuivrons, notre conviction profonde est que, dans ce secteur, il ne saurait y avoir de croissance sans contrôle des risques. Cela fait partie intégrante de notre modèle économique. Cette exigence s'est toujours appliquée à notre périmètre historique en France ; elle s'appliquera également dans le cadre élargi issu de l'intégration de Kindred.

D'ailleurs, Kindred, qui opère sur le marché français sous la marque Unibet, s'est toujours montré très engagé sur les questions de réduction des risques, notamment ceux qui sont plus marqués dans les paris sportifs en ligne.

Nous demeurons par ailleurs très attachés au modèle redistributif que j'évoquais précédemment. Il permet de générer des ressources fiscales substantielles pour l'État et de les orienter vers des causes qui nous paraissent étroitement liées à notre mission et à notre histoire. Il s'agit, bien évidemment, du sport, via un mécanisme de fléchage qui ne concerne pas uniquement FDJ United, mais dont nous constituons un contributeur important ; il s'agit aussi du patrimoine, par le biais du loto du patrimoine, ou bien encore du soutien à la biodiversité. Ce sont là des manières concrètes de démontrer la contribution positive de notre activité à la société, dans un cadre transparent et sous le contrôle du Parlement.

Je terminerai par quelques observations sur les évolutions récentes, notamment en matière de fiscalité. Monsieur le président, vous avez déjà évoqué dans votre propos liminaire celles qui ont été introduites l'an dernier dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Je ne m'attarderai pas sur le détail chiffré, mais je tiens à souligner que l'impact de cette réforme a été majeur. D'un point de vue quantitatif d'abord, le mode de prélèvement de cette contribution sociale généralisée (CSG) sur les jeux repose sur un prélèvement direct sur le produit brut des jeux, autrement dit l'équivalent de notre chiffre d'affaires. Il n'a donc aucun effet sur les joueurs, mais s'applique intégralement à l'entreprise. Par conséquent, il affecte directement le compte de résultat dans son ensemble. Cela explique que l'année 2025 sera marquée par une absence de croissance, ce qui est une première depuis 2019. Ce point a été relevé, à juste titre, par nos investisseurs, avec pour conséquence que l'entreprise a perdu environ 20 % de sa valorisation à l'annonce des effets de cette mesure fiscale.

Deux observations s'imposent. D'une part, il ne s'agit en aucun cas d'une fiscalité comportementale, puisque les joueurs n'en perçoivent aucun effet, mais il s'agit bel et bien d'une hausse de la fiscalité pesant sur l'entreprise. D'autre part - et je me permets ici d'exprimer une certaine perplexité -, si l'on examine l'efficacité réelle de cette mesure du point de vue de l'État, le rendement net apparaît, selon moi, très inférieur à ce qu'il est supposé être. En réalité, en réduisant le chiffre d'affaires de l'entreprise, cette mesure entraîne mécaniquement une diminution de l'ensemble des impôts prélevés sur l'activité, qu'il s'agisse de la TVA ou de l'impôt sur les sociétés (IS), étant précisé que je ne tiens pas compte des éventuelles augmentations de cet impôt. Ainsi, au final, le rendement net de cette mesure reste relativement faible pour les finances publiques.

Je me permets de rappeler que les mesures adoptées en 2019 visaient à stabiliser le cadre fiscal et que cette stabilité a été perturbée.

De plus, du fait de sa croissance régulière, l'entreprise génère souvent des recettes supérieures aux prévisions de la loi de finances initiale (LFI). Tel est le cas, par exemple, lorsque le jackpot d'EuroMillions atteint 250 millions d'euros, événement qui s'est produit à deux reprises cette année.

J'estime donc qu'un accroissement de la fiscalité ne constitue pas, pour l'État, la meilleure manière d'augmenter les recettes perçues.

M. Nicolas Béraud, président de l'Association française du jeu en ligne. - Monsieur le président, merci de nous donner l'occasion de prendre la parole. Le secteur des jeux d'argent en ligne est un secteur nouveau, créé par la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne. L'Afjel a comme membres la plupart des opérateurs de jeux en ligne agréés auprès de l'ANJ et promeut un secteur éthique, innovant et sécurisé, en collaborant de manière approfondie avec le régulateur, les institutions et les associations.

Notre secteur étant assez méconnu, je tiens à corriger quelques idées reçues, en précisant tout d'abord que sa contribution à l'économie française est considérable : depuis 2010, il emploie 11 200 personnes, directement ou indirectement, dont 50 % dans les régions. Il est un moteur de croissance pour l'économie française, l'étude d'IN France montrant que son impact économique avoisine 3,6 milliards d'euros sur le territoire. Au total, il génère un PBJ de 2,6 milliards d'euros, avec une retombée pour l'État d'environ 1,4 milliard d'euros.

La loi de 2010 a permis à deux jeunes start-up d'éclore et de devenir des fleurons de la tech française : il s'agit de Betclic et de Winamax, qui ont créé de nombreux emplois. La première, dont je suis le directeur général, a ainsi créé 900 emplois à Bordeaux ces dernières années, et la seconde près de 600 emplois en région parisienne.

Depuis l'ouverture à la concurrence en 2010, les opérateurs de jeux d'argent en ligne, qui ont généré près de 10 milliards d'euros de taxes pour l'État, sont un partenaire important du sport français, y ayant injecté plusieurs centaines de millions d'euros, dont 40 millions d'euros l'année dernière.

Une autre idée reçue a trait à la forte croissance - voire à l'explosion - du marché du jeu en ligne. Les chiffres sont en réalité plus modestes : sur les quatre dernières années, le produit brut des jeux d'argent en ligne a ainsi progressé de 2,1 milliards d'euros à 2,6 milliards d'euros, soit une croissance annuelle d'environ 6 %. Par rapport aux autres pays européens, ce secteur progresse peu, alors qu'il est voué, au même titre que l'e-commerce, à se développer dans les années à venir.

J'en viens à un autre indicateur essentiel, à savoir le nombre de joueurs uniques. En effet, si l'ANJ dénombre 5,7 millions de joueurs actifs en 2024, je rappelle qu'un certain nombre de joueurs disposent de plusieurs comptes, ce qui explique que le nombre de personnes uniques s'est établi à 3,3 millions en 2024, contre 3,1 millions en 2021. La progression est donc de 4 % en l'espace de quatre ans, ce qui ne permet guère de diagnostiquer une explosion des jeux d'argent en ligne.

Au contraire, la France accuse un retard sur ses voisins européens en la matière, puisque les jeux d'argent en ligne y représentent 18 % des jeux d'argent totaux, alors que la moyenne européenne s'élève à 39 %.

Quant à la problématique des addictions, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a fortement renforcé les obligations des opérateurs, l'ANJ veillant à leur mise en oeuvre depuis 2020. D'énormes progrès ont été réalisés en la matière avec l'adoption de lignes directrices et de chartes, le dernier rapport de l'OFDT révélant une baisse du nombre de joueurs problématiques entre 2019 et 2023, dont la proportion est passée de 6 % à 4,9 %.

En outre, le nombre de joueurs excessifs a diminué alors que le nombre total de joueurs a progressé, ce qui signifie que les mesures mises en oeuvre ont produit leurs effets. Les opérateurs ont joué le jeu sous le regard exigeant du régulateur, et aucune alerte particulière n'est identifiée.

Je souligne que le cadre réglementaire français est strict : chaque année, les opérateurs présentent à l'ANJ leur plan promotionnel, ainsi qu'un plan relatif à la protection des joueurs, plans qui font l'objet d'une révision annuelle. Le régulateur assure donc un suivi complet des opérateurs et nous adresse régulièrement des recommandations.

J'en arrive à un point essentiel : comme vous l'avez signalé, une augmentation significative des taxes pesant sur notre secteur a été décidée dans le cadre de la LFSS de 2025.

Avec cette hausse, nous avons dépassé un seuil problématique dans la mesure où la pérennité financière d'une bonne partie des opérateurs n'est pas garantie, ce matraquage risquant de laisser le champ libre au jeu illégal. Prenons l'exemple des paris sportifs en ligne : en additionnant la taxe sur le PBJ - elle est de 59 % - et la TVA, la taxation atteint 67 %, alors qu'elle se situe entre 10 % et 35 % dans les autres pays.

Par conséquent, le secteur officiel est affaibli tandis que le marché illégal flambe. L'étude menée par l'ANJ en 2023 a alerté sur ce point en montrant que ledit marché illégal atteignait la même taille que le marché illégal, avec environ 4 millions de personnes qui jouent sans aucune protection sur des sites hébergés dans des paradis fiscaux et ne rapportant donc aucune taxe à l'État. Il en résulte une concurrence déloyale avec les opérateurs agréés qui investissent et qui créent des emplois en France, puisque les acteurs non régulés peuvent proposer des offres plus attractives.

L'un des problèmes majeurs que nous affrontons aujourd'hui réside dans la grande facilité d'accès à cette offre illégale : je vous invite à aller sur Google et à taper « casino en ligne », ce qui vous permettra de constater que vous pouvez jouer en deux minutes. J'ajoute que différentes études ont montré que l'immense majorité des joueurs français qui jouent sur ces sites ignorent leur caractère illégal.

Ce marché illégal est donc un immense problème qu'il nous faut absolument résoudre. L'initiative portée par le précédent gouvernement, à savoir le lancement d'une concertation visant à examiner les modalités permettant de ramener ce marché illégal vers le secteur légal, était à mon avis appropriée.

M. Grégory Rabuel, président de Casinos de France. - Je vous remercie de nous donner l'opportunité de nous exprimer aujourd'hui, car nous vivons un moment charnière pour notre modèle, nos établissements et les territoires que nous faisons vivre.

La France compte 203 casinos terrestres implantés dans 196 communes et répartis dans 63 départements, principalement dans des communes à forte vocation touristique - littoral, montagne, thermalisme, grandes agglomérations... Il s'agit d'établissements régulés exerçant une délégation de service public, qui forment un modèle de proximité, de responsabilité et d'ancrage territorial.

Comme l'a rappelé Madame Falque-Pierrotin, la croissance de ce secteur a été de 1,2 % en 2024, ce qui est très faible comparé aux autres opérateurs de jeu ; en tenant compte d'une inflation supérieure à 2 % sur la même période, le secteur est de fait en décroissance.

Même si les casinos voient leur PBJ augmenter chaque année, la part de marché du secteur est passée de 50 % en 2000 à 19 % en 2024, tandis qu'environ 30 % des casinos français ne sont pas rentables.

En 2024, nous avons réalisé 2,7 milliards d'euros de PBJ, dont plus de 80 % proviennent des machines à sous. Notre secteur est taxé en moyenne à 58 %, ce qui représente plus de 500 millions d'euros de fiscalité directe par an pour les communes, auxquels s'ajoutent plus de 1 milliard d'euros par an pour l'État et la sécurité sociale.

Notre impact ne se résume cependant pas à la fiscalité : acteur économique structurant pour le pays, la filière représente plus de 45 000 emplois directs et indirects - non délocalisables - et 95 % de nos salariés sont en CDI à temps plein. Plus précisément, 57 % d'entre eux travaillent dans les activités de jeu et 43 % dans la restauration, la sécurité, l'animation ou encore l'administration. Il s'agit, de surcroît, d'emplois locaux, pérennes et qualifiés.

Les casinos constituent également un pilier de l'attractivité locale : à Deauville, par exemple, le casino fournit 30 % du budget de fonctionnement de la commune. De manière générale, nos établissements entraînent une activité économique induite massive, qu'il s'agisse de l'hôtellerie, de la restauration, du commerce, des événements ou encore des salons, et attirent une clientèle à la fois locale, régionale, nationale et étrangère.

Nous sommes également des opérateurs culturels à part entière dans la mesure où nos établissements financent ou organisent plus de 12 500 événements culturels chaque année, dont les Francofolies et le festival du cinéma américain de Deauville. Grâce au crédit d'impôt pour les manifestations artistiques de qualité, nous contribuons à la création artistique, à l'emploi de dizaines de milliers d'intermittents du spectacle et à la démocratisation culturelle partout sur le territoire.

Enfin, nous investissons dans la préservation du patrimoine : nombreux sont les casinos classés ou inscrits qui sont restaurés sur nos fonds.

Depuis 2018, nous avons aussi expérimenté une offre encadrée dans la capitale : les clubs de jeux parisiens. Aujourd'hui, les sept clubs en activité représentent 1 500 emplois - directs et indirects - et dégagent un chiffre d'affaires de 120 millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui permet à l'État et à la Ville de Paris de percevoir respectivement 40 millions d'euros et 10 millions d'euros de recettes fiscales par an.

Nous tenons à rappeler l'importance de pérenniser les clubs de jeux parisiens dans le cadre du prochain budget, car ils n'exercent leur activité que dans un cadre juridique provisoire : l'expérimentation, entamée en 2018, a été prolongée deux fois et arrive désormais à échéance sans perspective claire, d'où notre demande visant à la pérenniser par une loi. Les objectifs fixés ont en effet été atteints, à la fois en termes de réduction du jeu clandestin, d'encadrement strict, de contrôle de l'ordre public et de contribution fiscale. Ce modèle a fait ses preuves, et il mérite d'être considéré.

Plus largement, notre filière est confrontée à de sérieuses menaces, à commencer par la prolifération des casinos en ligne illégaux, souvent domiciliés à l'étranger, échappant à toute régulation ou fiscalité et usurpant même parfois nos marques. Parallèlement, la tentation d'ouvrir des casinos en ligne légaux émerge, sans étude d'impact approfondie : une telle décision aboutirait à la suppression de 15 000 emplois en France et à la perte de 450 millions d'euros de recettes fiscales pour l'État, de banaliser le jeu numérique, tout en faisant exploser les cas d'addiction et en nous entraînant dans une logique de dumping social et fiscal.

La dernière des menaces réside dans la pression constante qui s'exerce sur la fiscalité applicable à notre secteur, qui est déjà la plus lourde d'Europe avec des taux qui atteignent en moyenne 58 % du chiffre d'affaires des casinos - sans tenir compte des obligations de service public que nous assumons.

Aussi, nous souhaitons consolider l'existant avant d'ouvrir de nouveaux marchés, démarche qui passe par la pérennisation des clubs de jeu, la lutte contre le jeu illégal en ligne - je salue le travail continu de l'ANJ sur ce sujet - et le refus d'une ouverture dérégulée des casinos en ligne. J'ajoute que nous souhaitons préserver une fiscalité différenciée et équitable qui reconnaisse notre ancrage territorial, notre contribution à l'emploi et notre rôle culturel. Il est également essentiel de rétablir des conditions de concurrence loyale, notamment face aux opérateurs en ligne et aux autres segments de jeu. En somme, nous souhaitons que l'équilibre des filières tel que souhaité par le régulateur soit respecté.

Une fois encore, les casinos terrestres sont des établissements encadrés, sûrs et transparents, les clients étant soumis à un contrôle d'identité physique systématique : aucun mineur n'est présent dans nos établissements. Nous sommes par ailleurs fortement engagés dans la prévention de l'addiction et ne diffusons pas de publicité de masse, assumant ainsi notre responsabilité sociale.

Ce que nous défendons aujourd'hui n'est pas un privilège, mais un équilibre fragile entre divertissement, fiscalité, emploi et lien social. C'est bien dans cette optique que près de 200 maires - dont David Lisnard, président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) - ont écrit au Premier ministre à l'automne, afin de rappeler ces évidences.

En conclusion, je crois pouvoir dire qu'il existe une exception culturelle française du jeu, voire un modèle français des casinos. 40 % des casinos européens sont en France. Je rappelle que les jeux d'argent n'ont été autorisés que pour servir l'intérêt public : tel a été le cas pour les courses de chevaux, destinées à soutenir l'élevage au moment de la démocratisation de l'automobile, des loteries pour financer les associations de blessés de guerre, et des casinos pour développer des communes touristiques rurales et lutter contre la saisonnalité des revenus.

Notre modèle repose sur les trois piliers que sont les jeux, la restauration et l'animation culturelle, avec une programmation ouverte à tous les publics. Véritables pôles de vie, les casinos sont ancrés dans nos territoires et contribuent à la solidarité nationale. Nous sommes bien sûr disposés à faire évoluer ce modèle, mais pas au détriment de son utilité bien réelle pour les Français.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Ces témoignages et ces points de vue ont permis de rappeler la contribution de chacun à l'activité économique et aux finances publiques. Néanmoins, les difficultés budgétaires que connaît notre pays m'amènent à plusieurs interrogations. Tout d'abord, que pensez-vous de la proposition du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) visant à remplacer les prélèvements sur les opérateurs du jeu par une taxe unique assise sur le PBJ ? Ensuite, quels sont, selon vous, les effets de la hausse de la fiscalité adoptée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 sur l'économie du secteur ? Enfin, quelle est votre position sur l'autorisation des casinos en ligne ? Pensez-vous qu'une telle mesure permettrait de mieux protéger les joueurs et de faire reculer le marché illégal ?

M. Grégory Rabuel. - Le jeu illégal perdure dans tous les pays ayant procédé à cette légalisation des casinos en ligne, ce qui montre que cette mesure ne permet pas d'atteindre cet objectif.

De surcroît, une telle autorisation déséquilibrerait la filière de manière dramatique, l'ANJ ayant estimé que les casinos pourraient perdre environ 24 % de leur PBJ dans cette hypothèse. Il en résulterait une suppression de 15 000 emplois et une perte de fiscalité de l'ordre de 450 millions d'euros pour l'État et les collectivités. Le risque est également culturel et social.

De plus, l'addiction aux jeux en ligne ne pourrait que s'aggraver, notamment pour les mineurs, qui pourraient alors jouer à toute heure de la journée et de la nuit. Le casino en ligne est le jeu le plus addictogène qui existe : n'importe qui pourra jouer chez lui à n'importe quelle heure, sans aucune limite. Outre le fait que les casinos physiques n'accueillent que les majeurs, ils déploient des mesures visant à contrer les pratiques addictives et comptent des psychologues en leur sein, l'ensemble du personnel étant formé à la prévention de ce risque.

Nous ne sommes donc pas favorables à l'ouverture des casinos en ligne. Toutefois, nous nous adapterions si le législateur décidait d'une telle légalisation : c'est pourquoi nous soumettons à la discussion, depuis des années, un projet intitulé « Jade » (jeu à distance expérimental) consistant à réserver aux casinos physiques l'exploitation des casinos en ligne.

Il s'agirait de transposer les jeux physiques de nos casinos dans un environnement numérique, en maintenant les liens fiscaux existants avec les communes, en adoptant des mesures de protection drastiques - dont l'interdiction éventuelle aux jeunes âgés entre 18 et 24 ans - et en ne recourant pas à la publicité. En résumé, nous sommes prêts à digitaliser notre activité si le législateur l'exige, mais pas à n'importe quel prix, et en évitant de déstabiliser les territoires.

M. Nicolas Béraud. - Si une refonte globale de la fiscalité des jeux d'argent me semble nécessaire, nous avons des réserves à l'égard du rapport du CPO, qui présente de nombreux biais et de manques, dont l'absence de prise en compte du marché illégal, auxquels s'ajoutent des erreurs factuelles et d'interprétation. Une nouvelle étude devrait donc être conduite pour avancer vers une fiscalité homogène et cohérente.

Décidée à la dernière minute et en catimini, la récente hausse de la fiscalité a été dramatique pour notre secteur, sans que ses conséquences aient été évaluées. Je rejoins d'ailleurs le constat de Mme Pallez quant au caractère assez faible des gains retirés par l'État de ces hausses massives. Les conséquences seront dramatiques pour la moitié des opérateurs. Dans la perspective de 2026, il faudrait donc revenir sur cette hausse et prendre le temps d'une remise à plat de la fiscalité de notre secteur.

Concernant les casinos en ligne, les entreprises de l'Afjel ne souhaitent aucunement affaiblir les casinos physiques, avec lesquels ils partagent une série de problématiques. La question me semble en fait mal posée puisqu'il ne s'agit pas d'autoriser les casinos en ligne, car celui-ci est déjà pratiqué par 4 millions de joueurs, avec un PBJ estimé à 2 milliards d'euros. Nous avons demandé au cabinet de conseil PwC de mettre à jour une étude sur le jeu illégal, et les premiers résultats montrent que le phénomène s'aggrave. Ce marché existe donc déjà, il croît, et a une taille équivalente à celle du marché légal : logiquement, son existence aurait déjà dû produire ses effets sur le chiffre d'affaires des casinos physiques, mais force est de constater que ce dernier continue à progresser, certes moins rapidement que le reste du secteur.

Les autres pays européens, quant à eux, ont ouvert ce secteur du casino en ligne, en le régulant. Cette légalisation a globalement plutôt bien fonctionné et a contribué à faire reculer le jeu illégal, à l'exception de l'Allemagne, qui avait instauré un cadre si restrictif qu'il retirait toute attractivité à l'offre légale. Dans d'autre pays, à l'inverse, le marché illégal a significativement régressé, sans disparaître totalement. Selon nous, l'autorisation des casinos en ligne assécherait l'offre illégale, les joueurs préférant utiliser des sites connus et apparaissant en premier dans le référencement des moteurs de recherche.

S'agissant de l'addiction, celle-ci existe bien, mais la meilleure manière de protéger les joueurs réside dans un encadrement adéquat et la réglementation française commence à produire ses effets positifs, comme le prouve l'étude de l'OFDT que j'évoquais. Il sera toujours préférable que les joueurs fréquentent nos sites réglementés : discutons donc des modalités d'une autorisation encadrée des casinos en ligne, qui a bien fonctionné au Danemark, par exemple.

Relançons la concertation, car rien ne justifie que nous ne parvenions pas à sortir d'un statu quo qui est perdant pour tous les acteurs. L'État y perd en effet entre 1 milliard d'euros et 2 milliards d'euros de recettes fiscales, le régulateur n'assume pas son rôle de protection des joueurs et les casinotiers physiques perdent l'opportunité de développer une nouvelle activité qui est exercée par des sociétés offshore. Certains casinotiers recrutent d'ailleurs des personnes compétentes dans le domaine du jeu en ligne, ce qui montre qu'ils croient au potentiel de cette activité.

N'attendons pas trop longtemps : chaque année perdue équivaut à des milliards d'euros envolés et à la fragilisation accrue d'une industrie déjà menacée par la surtaxation.

Mme Stéphane Pallez. - La fiscalité n'a pas d'effet comportemental, mais place la FDJ sous pression, celle-ci étant contrainte de compenser ces nouveaux efforts par un plan d'économies qui réduit nos capacités à investir sur le territoire français. Il s'agit pourtant d'un axe essentiel pour nous, car notre activité crée près de 50 000 emplois, dont la moitié se situe dans le réseau de proximité que représentent les bars-tabac-presse.

Je tiens à le souligner devant votre assemblée, nous sommes fiers d'avoir maintenu ce réseau et d'avoir favorisé sa croissance, dans le cadre d'une trajectoire bien différente de celle qui a été retenue par mes confrères du secteur des loteries, lesquels ont privilégié le développement du jeu en ligne. Pour notre part, nous avons développé ces deux types d'activités de front et de manière équilibrée.

Par ailleurs, le niveau de la fiscalité est déjà très élevé en France et toute augmentation serait porteuse de dangers.

Concernant les propositions du CPO, j'ai été étonnée de voir ce rapport publié sans aucune concertation avec les représentants du secteur. Ce rapport s'apparente donc à une construction technocratique basée sur des idées à la fois simplistes et difficiles à mettre en oeuvre, sans oublier une série d'erreurs. Nous restons toujours ouverts au dialogue, mais j'attire votre attention sur le fait que les décisions prises dans le cadre du dernier budget ont installé l'idée que la fiscalité n'était pas stable dans notre secteur. Or la stabilité revêt une grande importance pour nous, et je crains que la discussion autour dudit rapport ne soit interprétée comme ouvrant une nouvelle période d'instabilité, susceptible d'aboutir à une nouvelle hausse. Il faut au contraire éviter d'ajouter de nouvelles incertitudes.

Le sujet des casinos en ligne, quant à lui, est complexe, plusieurs arguments devant être examinés. S'agissant de l'effet de leur autorisation sur le marché illégal, il est exact que ce dernier ne disparaît pas instantanément et qu'il faut mener, dans le même temps, une politique bien plus répressive. Il convient de déployer une régulation équilibrée, c'est-à-dire garantissant à la fois l'attractivité du circuit officiel et la mise à l'écart du jeu illégal.

La France est dotée d'une régulation plutôt équilibrée et efficace, comme l'a illustré l'encadrement des paris sportifs : ce marché s'est ainsi développé dans le cadre d'une régulation plus stricte que sur d'autres segments. Une discussion sur l'ouverture potentielle des casinos en ligne doit être menée en conciliant l'exigence de régulation et le bon fonctionnement de l'activité économique, et il faudra prendre le temps de conduire un débat sérieux sur le sujet s'il est question de s'orienter vers cette autorisation.

M. Jean Pierre Vogel. - Je déplore l'absence de représentants du PMU, qui joue un rôle de sauvegarde de la filière hippique. Je regrette, en outre, la politique commerciale agressive menée par la FDJ. J'ai été surpris de voir dans le supermarché d'une petite commune de 6 000 habitants telle que la mienne qu'était accrochée dans ses locaux une énorme affiche informant la clientèle de l'arrivée de la FDJ à l'accueil du magasin.

Alors que le PMU est confronté à une réduction de ses moyens, seriez-vous opposée, madame Pallez, à l'organisation d'un tour de table avec des représentants de cette structure, de manière à envisager des produits communs et à organiser un juste équilibre au sein de la filière, tel que c'était prévu par le législateur, c'est-à-dire pas uniquement au profit de la FDJ, mais aussi au bénéfice des casinotiers et du PMU, qui fait vivre une filière agricole ?

Mme Isabelle Briquet. - En matière de prévention, pourriez-vous préciser les modalités d'évaluation de la diminution de l'addiction au jeu ?

Par ailleurs, le représentant de Casinos de France a indiqué qu'une part non négligeable des établissements souffrait d'un manque de rentabilité. Dans ce contexte, comment expliquer les nouvelles créations d'établissements qui sont envisagées ?

M. Pascal Savoldelli. - Comment envisagez-vous l'entrée des algorithmes dans la personnalisation des jeux ?

Sur un autre point, quelles mesures pourriez-vous prévoir pour lutter contre le désendettement, ce dernier touchant les populations les plus modestes ?

Enfin, pourrions-nous évoquer une fiscalité « de réparation » destinée à soigner les conséquences parfois catastrophiques de l'addiction au jeu ? Ces ressources gagneraient à être orientées vers le sport amateur et la prévention.

M. Olivier Paccaud. - Le jeu est formidable puisqu'il procure de l'adrénaline et apporte parfois des gains aux joueurs, tout en contribuant au développement de certains territoires. Pour autant, le jeu est une sorte de Janus avec un visage malveillant, celui de l'addiction.

Une problématique est absente de vos interventions, à savoir celle du blanchiment : quelles actions menez-vous en la matière dans les casinos ?

Mme Nathalie Goulet. - Je signale que la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis vient de publier un rapport qui comporte une série de recommandations destinées à lutter contre le blanchiment.

Le nombre de déclarations de soupçon effectuées par les établissements est en forte hausse, ce qui est à mettre au crédit du secteur. De manière générale, quels sont les mécanismes internes déployés pour lutter contre le blanchiment et la fraude d'identité ? Auriez-vous des suggestions en vue d'améliorer la réglementation, de manière à faciliter la mise en oeuvre des mesures de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ?

M. Jean-Baptiste Blanc. - La FDJ a racheté l'opérateur Kindred, dont l'offre repose sur le jeu en ligne dans le reste de l'Union européenne. Quel type de régulation faut-il envisager pour protéger les joueurs tout en garantissant des ressources pour l'État ?

M. Grégory Rabuel. - Madame Briquet, nous ne demandons pas l'ouverture de nouveaux casinos, pas moins de 40 % des casinos européens se situant en France, d'où notre sensibilité particulière à la perspective de l'autorisation des casinos en ligne par rapport à d'autres pays d'Europe - comme la Suède, où il n'y a plus aucun casino. Certains maires, députés ou sénateurs peuvent plaider en faveur de l'ouverture d'un casino dans leur territoire, et qui obtiennent parfois gain de cause. Actuellement, c'est lié notamment à la présence de haras et au nombre de compétitions internationales équestres qui se sont tenues pendant plusieurs années successives. En tout cas, personne ne demande chez Casinos de France l'ouverture de nouveaux établissements.

En revanche, il existe des zones blanches dépourvues de tout établissement, et les groupes de casinos peuvent éventuellement répondre à une initiative locale appuyée par les pouvoirs publics. Il est vrai que cela peut paraître contradictoire avec la décroissance que je mentionnais. Compte-tenu de la fiscalité écrasante, la question se pose de l'ouverture de nouveaux casinos.

S'agissant des actions contre l'addiction au jeu, les casinos mènent une politique des plus strictes : une fois encore, pas un seul mineur ne peut entrer dans nos établissements, une pièce d'identité étant systématiquement exigée, sachant que le jeu explose pour les jeunes âgés de 13 à 15 ans. Outre la formation de l'ensemble des personnels à l'identification des comportements déviants et la présence de psychologues que j'évoquais précédemment, nous pouvons effectuer des signalements et interdire l'accès à certains joueurs. Ces derniers peuvent aussi se voir imposer une limitation de leur fréquentation ou de leur mise par le biais d'un contrat signé. Nous pouvons le faire car ils sont présents physiquement et nous les connaissons.

Vous aurez noté qu'il est rarement question de drames liés à l'addiction impliquant des joueurs de casino, grâce à ces outils et à un lien de proximité avec nos clients. Notre lutte en faveur du jeu responsable est déterminée, d'autant qu'il y va de la crédibilité même du métier de casinotier : si les problèmes liés à des joueurs non surveillés se multipliaient, notre filière en souffrirait.

Pour ce qui est du blanchiment, chaque joueur présente une pièce d'identité et tout gain supérieur à 2 000 euros doit être enregistré et déclaré, tandis qu'aucun échange de chèque contre des espèces n'est autorisé. Les casinos sont soumis à des obligations de déclarations d'informations à la cellule de renseignement financier nationale, et appliquent des processus de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

Nous sommes extrêmement suivis - dans le bon sens du terme - par le service central des courses et des jeux du ministère de l'intérieur, chargé de mener des inspections de contrôle et de s'assurer du respect de nos obligations au titre de la lutte anti-blanchiment. Ladite police des jeux est présente au quotidien dans nos établissements et je m'en félicite, car elle permet de dissiper deux fantasmes courants : d'une part, il ne s'agit pas d'un métier rentable, mais d'un secteur en décroissance ; d'autre part, les casinos ne sont pas des lieux sulfureux, mais des espaces très contrôlés qui peuvent accueillir les familles et leur proposer des divertissements variés.

M. Nicolas Béraud. - Lors de l'inscription à un jeu d'argent en ligne, nous exigeons un RIB, une pièce d'identité et une preuve de domicile, aucun mineur n'étant accepté. Ces papiers sont contrôlés. L'avantage du jeu en ligne réside dans le fait que nous connaissons toutes les habitudes de jeu des individus qui jouent sur nos applications et sur nos sites ; de même, l'ANJ, qui a accès à nos coffres-forts électroniques, dispose d'une vision complète du marché. Il existe donc une transparence totale sur le marché en ligne légal.

Les seuls mineurs qui pourraient jouer le feraient avec la complicité de leurs parents, d'où un partenariat de l'Afjel avec l'association e-Enfance afin de mener des actions de prévention auprès des parents.

Les chiffres concernant l'addiction que je citais, madame la sénatrice Briquet, sont ceux de l'OFDT. Comme je l'indiquais en introduction, les opérateurs font valider leur plan d'action par le régulateur, qui exerce un contrôle strict.

S'y ajoute une obligation de prévention, la même étude de l'OFDT montrant que 82 % des Français ont vu nos messages de prévention, qui fonctionnent très bien. Nous avons également une obligation de détection et d'accompagnement des personnes à risques : pour reprendre l'exemple de la société que je dirige, Betclic, une centaine de personnes s'occupent de ces sujets.

Des progrès significatifs ont donc été accomplis en matière de protection des joueurs depuis la loi Pacte et la création de l'ANJ. De la même manière, le secteur est soumis à des obligations sévères en matière de lutte anti-blanchiment, les opérateurs devant détecter et rapporter à Tracfin toute anomalie. Si le jeu d'argent en ligne ne représente pas le meilleur vecteur pour blanchir de l'argent, une augmentation du nombre de signalements a été constatée.

Enfin, nous recourons à des algorithmes pour améliorer la protection des joueurs et détecter des anomalies en termes de blanchiment d'argent.

Mme Stéphane Pallez. - Je ne souhaite pas m'exprimer à la place du PMU, mais je rappelle que notre activité s'exerce sous le contrôle de l'Autorité de la concurrence et que ledit PMU est un partenaire, ne serait-ce que parce que nous partageons une série de points de vente. J'ai toujours entretenu un dialogue régulier et de bonnes relations avec les dirigeants du PMU, et leur ai fait des propositions lorsqu'ils m'ont sollicitée en vue de mener des actions communes. Cette ouverture est néanmoins circonscrite, à la fois par le droit de la concurrence et par les droits exclusifs qui nous ont été octroyés par le Parlement.

S'agissant du blanchiment, le dispositif français est très complet puisque l'ensemble du secteur est soumis aux exigences de la lutte anti-blanchiment, à la différence d'autres pays. Les contrôles réguliers menés dans le cadre des plans que nous soumettons à l'ANJ se conjuguent avec des relations denses avec Tracfin, d'où un niveau très élevé de déclarations de soupçon. Le réseau physique fait l'objet d'une surveillance particulière afin de détecter toute transaction atypique, des signalements ayant été effectués à plusieurs reprises.

Nous entendons d'ailleurs compléter ce dispositif en surveillant plus particulièrement certains points de vente dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic. Enfin, l'intelligence artificielle (IA) nous permettra de gagner en réactivité sur ces sujets.

En ce qui concerne la perspective d'un impôt de réparation, l'impact de notre activité doit s'apprécier en tenant compte de ses aspects positifs, dont les recettes fiscales, mais également les investissements considérables effectués par la FDJ dans le sport, qu'il s'agisse des jeux Olympiques et du sport amateur.

S'y ajoute le financement des actions de prévention : nous sommes ainsi inscrits dans un réseau d'associations engagées contre le surendettement, dont Crésus.

Vous m'avez interrogée, enfin, au sujet du rachat de Kindred. Nous n'exerçons que sur des marchés légaux avec cet opérateur, après avoir fermé certaines activités qui avaient cours sur des marchés non régulés. Dans le cadre de ce rachat, nous tâchons de réduire les risques en fonction de régulations nationales qui peuvent varier, et prenons aussi un engagement de réduction de la part du PBJ lié à des joueurs à risques : Kindred a d'ailleurs été la première entreprise à s'orienter dans cette direction.

Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l'Autorité nationale des jeux. - Concernant l'évolution du marché, le taux de croissance du marché en ligne s'établit à 11,9 % pour la France, à 8,9 % en Allemagne et au Royaume-Uni, et à 15,9 % pour l'Espagne. La France se situe donc dans la moyenne européenne, voire au-dessus du taux de croissance de pays comparables.

Sur un autre point, l'étude de l'OFDT précise que son évaluation du nombre de joueurs excessifs pour l'année 2024 est « prudente ». Si cette population est globalement stable, elle représente l'équivalent d'une grande ville française et nous devons nous efforcer de la réduire, d'autant qu'une étude anglaise a montré que pour une personne souffrant d'addiction au jeu, six personnes en subissent les conséquences en termes de difficultés financières, familiales, psychologiques, etc.

Nous ne devons donc pas clore cette audition avec l'idée que l'addiction est sous contrôle : elle ne l'est pas complètement.

Pour ce qui concerne l'offre illégale, je souligne qu'elle est contenue entre 5 % et 15 % du marché légal, ce qui n'est certes pas satisfaisant, mais ce qui reste inférieur à d'autres marchés, dans lesquels sa part peut atteindre 40 %.

J'en termine avec la proposition du CPO : l'inspiration nouvelle basée sur le principe du « pollueur-payeur » est intéressante et mériterait d'être examinée afin de déterminer si elle permettrait de remettre à plat une fiscalité du secteur que je qualifierais d'« hirsute ».

M. Claude Raynal, président. - Merci pour vos éclairages, qui nous seront utiles dans le cadre des discussions portant sur le prochain PLF.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Contrôle sur pièces et sur place effectué le 19 juin 2025 sur les modalités d'application de l'article 96 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 visant à mettre un terme aux opérations frauduleuses d'arbitrages de dividendes dites « CumCum », en application de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons à présent la communication du rapporteur général sur le contrôle sur pièces et sur place qu'il a effectué, le 19 juin dernier, sur les modalités d'application du dispositif visant à mettre un terme aux opérations frauduleuses d'arbitrages de dividendes, dites CumCum.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comme vous le savez, je vous en ai prévenu dès le matin même, je me suis rendu jeudi dernier à Bercy pour un contrôle sur pièces et sur place portant sur l'application du dispositif de lutte contre la fraude à l'arbitrage de dividendes, dite fraude « CumCum », introduit à l'initiative de notre commission dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2025. J'ai réalisé ce contrôle en application de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) qui permet aux présidents et aux rapporteurs généraux des deux assemblées de procéder à toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu'ils jugent utiles dans le cadre de leur contrôle de l'application de loi fiscale.

Je voudrais tout d'abord détailler les raisons qui m'ont poussé à me rendre à Bercy. J'ai souhaité comprendre les motivations qui ont conduit le Gouvernement à publier le 17 avril dernier au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) une instruction fiscale qui, selon moi, fragilise la portée de ce dispositif anti-fraude qui avait pourtant été adopté à l'unanimité par notre assemblée.

J'avais alerté notre commission le 26 avril dernier sur le fait que l'instruction fiscale publiée par le Gouvernement introduisait une brèche dans le dispositif voté par le Parlement, en excluant explicitement du champ d'application du mécanisme anti-CumCum un certain nombre d'opérations réalisées sur les marchés réglementés. L'instruction fiscale prévoit notamment que l'établissement payeur, c'est-à-dire la banque, n'a pas à appliquer la retenue à la source sur le produit d'un dividende s'il « ne connaît effectivement pas sa contrepartie ». Mes travaux sur le sujet, et les notes que j'ai récupérées à Bercy, ont pourtant confirmé que la majorité des montages CumCum est aujourd'hui réalisée sur les marchés réglementés, et bien souvent, sans que l'identité de la contrepartie soit connue par l'établissement payeur. Comment expliquer que le Gouvernement ait choisi d'exclure du champ d'application d'un dispositif anti-fraude les opérations qui sont justement à l'origine de la majorité des montages frauduleux ?

Pour tenter d'obtenir des réponses à cette question, le président Claude Raynal et moi-même avons demandé au ministre de l'économie et des finances, par un courrier daté du 7 mai dernier, de nous communiquer l'ensemble des notes produites par ses services sur le sujet des CumCum depuis 2018.

Les quelques éléments qui nous ont été transmis ne nous ont pas permis de comprendre les raisons pour lesquelles le Gouvernement n'a pas respecté le vote du Parlement. J'ai donc décidé d'aller chercher l'information « à la source », en allant m'entretenir directement avec plusieurs représentants de la direction générale des finances publiques (DGFiP), de la direction de la législation fiscale (DLF), de la direction générale du Trésor, ainsi que des membres des cabinets du ministre de l'économie et des finances et de la ministre chargée des comptes publics.

Je souhaite vous livrer les principaux enseignements que je tire de cette visite à Bercy.

Le premier enseignement de ce contrôle est l'omniprésence du lobby bancaire sur le sujet des CumCum depuis 2018, ainsi que la complaisance des gouvernements successifs à son égard.

C'est en effet la Fédération bancaire française (FBF) qui a demandé à Bercy de prévoir ces cas de non-application de l'impôt, alors que les banques elles-mêmes profitent de cette fraude. Par ailleurs, le directeur de la législation fiscale m'a clairement indiqué que c'était la FBF elle-même plutôt que sa direction qui était intervenue dans la réécriture du dispositif législatif que nous avions proposé lors du projet de loi de finances (PLF) pour 2019. On se souvient du résultat : le dispositif anti-abus finalement adopté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale s'est révélé totalement inefficace et n'a jamais été utilisé par l'administration fiscale.

La complaisance des gouvernements successifs à l'égard du lobby bancaire dans ce dossier est d'autant plus problématique qu'elle s'est accompagnée d'un manque criant de volontarisme de leur part sur le sujet des CumCum depuis la révélation dans la presse de ces pratiques frauduleuses en 2018. Les personnes que j'ai auditionnées jeudi dernier m'ont confirmé n'avoir reçu aucune demande de rédaction d'un dispositif de lutte contre les CumCum de la part du Gouvernement depuis 2018, en particulier rien depuis la décision du Conseil d'État du 8 décembre 2023 qui a mis en lumière la nécessité de légiférer pour combler les failles béantes dans notre dispositif de lutte contre ces montages. Comment justifier l'immobilisme du Gouvernement dans ce contexte ? Comment expliquer que les initiatives menées par notre commission depuis 2018 pour lutter contre cette fraude aient systématiquement été balayées ou vidées de leur substance par les gouvernements successifs ? Là encore, j'ai été frappé par l'absence d'explication claire de la part des services de Bercy et des cabinets des ministres.

L'argument d'un risque de perte d'attractivité de la place financière de Paris a souvent été agité, en particulier par la FBF, pour justifier l'absence d'initiative des pouvoirs publics pour renforcer la législation anti-CumCum.

Pourtant, il m'a été confirmé lors des auditions de jeudi qu'« aucun élément suffisamment solide pour être remonté au ministre » n'avait pu être produit par la direction de la législation fiscale et la direction générale du Trésor. Les travaux visant à évaluer les risques de délocalisation de l'activité sur les actions françaises qu'impliquerait un durcissement de cette législation n'ont ainsi débouché sur aucun élément malgré les cris d'orfraie poussés incessamment par le secteur bancaire.

Le positionnement de la direction générale du Trésor dans ce dossier peut d'ailleurs susciter quelques interrogations. Celle-ci m'a indiqué avoir été régulièrement consultée sur le sujet de la lutte contre les montages CumCum depuis 2018, tout en certifiant n'avoir produit qu'une seule note sur le sujet en sept ans ! De la part d'une administration qui se présente comme le régulateur du secteur bancaire, cela me semble difficilement compréhensible.

Autre enseignement de mon contrôle, qui est peut-être le plus affolant : le Gouvernement n'a pas tenu compte des recommandations de son administration sur la rédaction du texte d'application publié au Bofip le 17 avril dernier.

L'administration fiscale a en effet conseillé au ministre de l'économie et des finances de ne pas répondre aux interrogations de la FBF sur l'application du dispositif anti-abus aux opérations réalisées sur les marchés réglementés. Dans une note datée du 7 mars 2025, la DGFiP et la DLF ont indiqué au ministre que « compte tenu de l'intention du législateur, une exclusion large de ces opérations soulèverait un risque polémique sévère » ; « la direction de la législation fiscale et la direction générale des finances publiques sont d'avis de ne pas répondre » à la FBF « afin d'écarter tout risque que l'administration ou le Gouvernement ne soit perçu comme revenant sur la volonté du législateur ».

Le ministre avait donc doublement conscience du fait que ce texte d'application entrait en contradiction avec l'intention exprimée par le législateur : d'une part, par les deux courriers que le président Raynal et moi-même lui avions adressés le 31 mars et le 17 avril et, d'autre part, par son administration elle-même.

Le Gouvernement a donc sciemment passé outre les mises en garde de son administration et l'opposition de notre commission, qui était pourtant à l'origine du dispositif législatif en question !

L'administration fiscale a toutefois tenté de me rassurer sur le fait que la rédaction finalement retenue n'entraverait pas son action de contrôle, mais cet optimisme me semble surtout refléter la loyauté des services de Bercy à l'égard des décisions prises par leur autorité politique. Le directeur de la législation fiscale m'a indiqué que, si sa direction était opposée à cette version du Bofip pour des raisons d'opportunité politique, la rédaction finalement retenue n'affaiblissait en rien la portée du dispositif. La DGFiP m'a confirmé avoir soutenu une autre rédaction, mais elle m'a également indiqué que celle finalement publiée ne l'empêcherait pas de poursuivre son action de lutte contre ces montages frauduleux. Les services du contrôle fiscal auraient toutefois probablement apprécié une rédaction moins sécurisante pour les pratiques des banques mais plus sécurisante pour l'efficacité de leurs contrôles !

En tout état de cause, il est indéniable que le ministre a publié, contre l'avis de son administration, un texte d'application de la loi qui revient sur ce qu'a décidé le Parlement. Cela est d'autant plus inacceptable que, en cinq heures d'audition, aucun élément communiqué par l'administration de Bercy n'a permis de justifier l'arbitrage qui a été rendu.

Voilà donc, mes chers collègues, les conclusions de ce contrôle sur pièces et sur place. Je l'indiquais devant la presse la semaine dernière, il serait difficile de demander aux Français des efforts de redressement des comptes publics en 2026 si ce texte d'application n'était pas retiré. C'est pourquoi le président Raynal et moi-même avons envoyé lundi un courrier au ministre de l'économie et des finances, dans lequel nous lui demandons officiellement et solennellement de retirer cette instruction fiscale. Je vous tiendrai informés des suites qui seront données à cette demande.

J'ai finalement une principale interrogation qui ne trouve pas aujourd'hui de réponse : pourquoi le Gouvernement tient-il absolument à son texte d'application ? Quel serait le coût économique ou politique de le retirer ?

Mme Nathalie Goulet. - Je remercie le rapporteur général de son initiative sur ce sujet fondamental. Nous ne pouvons pas laisser passer ce qui est un détournement complet du travail que nous menons depuis des années. Quels sont les arguments de la FBF pour justifier cet escamotage ? Il doit bien y avoir une raison majeure pour laquelle le Gouvernement cède à ses pressions. Quels éléments figuraient dans les pièces que vous avez examinées ?

M. Claude Raynal, président. - Aucun élément tangible n'a été communiqué au rapporteur général lors de son contrôle pour expliquer l'arbitrage qui a finalement été rendu. Dans la mesure où le Parlement a délibéré, nous ne pouvons pas tolérer un tel détournement, sauf à ce que l'on nous donne des motifs sérieux qui le justifient, ce qui n'est pas le cas. Par ailleurs, on peut rappeler que des conventions fiscales existent avec certains pays qui laissent aussi une marge de liberté sur ce type d'opérations. Sans doute faudrait-il aussi revenir sur ce point pour clôturer définitivement le sujet et que le ministère gère cette double contrainte. Toutefois, rien d'officiel ne nous a été dit sur le sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Plus qu'un risque de polémique sévère, il y a un risque politique majeur. Nous avons agi en toute transparence, mais nous nous sommes retrouvés dans un dialogue de sourds. J'interpellerai le Gouvernement sur ce sujet lors de la séance des questions d'actualité au Gouvernement, cet après-midi. Nos collègues de l'Assemblée nationale l'ont déjà fait hier, et les réponses qui leur ont été données n'ont pas été convaincantes. Il appartient maintenant au Gouvernement, sous la responsabilité du Premier ministre, de faire preuve de courage sur ce sujet et de retirer cette instruction fiscale.

La réunion est close à 12 h 30.