Jeudi 26 juin 2025

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Audition de Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous entendons aujourd'hui un acteur clé de la conception et de la mise en oeuvre des lois de décentralisation, la direction générale des collectivités locales (DGCL). Je remercie Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, et son équipe de s'être mobilisées pour cette audition, qui était très attendue. Celle-ci fait l'objet d'une diffusion en direct sur le site internet du Sénat, où elle restera disponible après l'audition.

Notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), n'a pas pour objectif de remettre en cause le principe de l'intercommunalité ni l'ensemble de l'architecture mise en place voilà maintenant dix ans ; il s'agit d'identifier les freins et blocages de toute nature qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales. Il est important que vous puissiez nous indiquer quelle est votre vision globale de l'application de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe, mais aussi nous expliquer quels sont les points qui vous semblent poser problème ou qui sont susceptibles d'évoluer.

Depuis le début de nos travaux, nous avons entendu de nombreux élus exprimer un sentiment de dépossession, au terme de la mise en place subie des grandes intercommunalités issues de la loi NOTRe. Vous nous direz si ce ressenti s'appuie sur des réalités concrètes. Je pense, par exemple, aux difficultés liées à des cotes mal taillées, lorsque les communautés de communes comptent plus d'une centaine de communes.

Au Sénat, chambre des territoires, nous avons vocation à dégager des voies d'amélioration pour garantir le meilleur fonctionnement possible de notre démocratie locale, notamment du point de vue de la gouvernance et du service rendu aux citoyens. Nous comptons sur vous pour nous aider à y parvenir.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je vous remercie, madame Raquin, de nous consacrer un peu de votre temps, que nous savons précieux, pour cette audition. Notre mission d'information s'inscrit dans le cadre d'un travail amorcé depuis plusieurs mois, à travers des auditions et des déplacements de terrain.

Notre mission est consacrée au bilan de l'intercommunalité, mais aussi au ressenti des élus après quelques années de fonctionnement de ces nouveaux formats sur les territoires. Il était donc important pour nous d'avoir votre vision de ces intercommunalités et de bénéficier de votre expertise de leur fonctionnement actuel. Selon vous, ont-elles atteint leur vitesse de croisière ou sont-elles encore en maturation ? Quel lien entretenez-vous avec elles au quotidien ?

Après votre propos liminaire, madame la directrice, nous reviendrons plus en détail sur plusieurs thématiques : l'état actuel de la carte intercommunale - estimez-vous qu'elle soit aboutie ou non ? -, la question de la gouvernance, l'exercice des compétences, et bien sûr, les mécanismes de solidarité qui s'exercent au sein des intercommunalités, avec des ressentis différents selon les territoires.

Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales. - Madame la rapporteure, vous parlez de ressenti des élus. Je commencerai, pour ma part, par citer une étude menée par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) en 2024, réalisée auprès d'environ 3 000 élus locaux. Celle-ci révèle que, selon les répondants, 60 % des intercommunalités ne connaissent pas de franche opposition interne ; dans la plupart des cas, les votes au sein des conseils communautaires se déroulent de manière unanime. Elle rappelle, au-delà de cette gouvernance relativement consensuelle, l'aspiration des élus à la stabilité, en indiquant que 68 % d'entre eux souhaitent maintenir la taille actuelle de leur intercommunalité et ne souhaitent pas en revoir le périmètre. En revanche, 9 % des élus indiquent souhaiter une réduction de la taille de leur intercommunalité.

L'intercommunalité s'inscrit dans une histoire très longue. Depuis les premières lois encadrant la gouvernance intercommunale, elle a connu une évolution progressive, marquée par la création des syndicats intercommunaux à vocation unique (Sivu), des syndicats intercommunaux à vocation multiple (Sivom), puis des communautés de communes, des communautés d'agglomération, et enfin des métropoles, dont la montée en puissance a été consacrée par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite Maptam.

À la suite de ces grandes réformes, une nouvelle phase s'est ouverte, marquée par une volonté d'assouplissement. L'objectif était alors de stabiliser les structures existantes, tout en leur permettant de mieux fonctionner. Depuis les lois Maptam et NOTRe, on observe ainsi une forme de stabilité institutionnelle, accompagnée d'une recherche de souplesse interne et d'amélioration de la gouvernance. Cela s'est notamment traduit par des mesures d'ajustement issues de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, dite Engagement et Proximité, et de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite 3DS.

Les intercommunalités souffrent encore de critiques, qui relèvent principalement de deux ordres : certaines concernent leur gouvernance, d'autres leur taille. En effet, certaines structures, qui se sont constituées dans le cadre des lois Maptam et NOTRe, regroupent aujourd'hui un très grand nombre de communes. Cela a parfois suscité des difficultés concrètes dans la conduite de politiques publiques, nécessitant des ajustements, tels que la possibilité de recourir à des plans locaux d'urbanisme (PLU) de secteur.

Par ailleurs, la gouvernance actuelle des intercommunalités a souffert de la pandémie de covid-19. Les élus issus du scrutin de 2020 ont pris leurs fonctions dans un contexte inédit, marqué par l'impossibilité de se rencontrer physiquement et d'apprendre à travailler ensemble dans des conditions normales. Ils ont également, dans certains cas, exprimé le sentiment de ne pas avoir été suffisamment accompagnés par les services de l'État au début de leur mandat.

Cette situation a induit des difficultés durables concernant la gouvernance, en particulier au sein des grands établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), où les habitudes de travail collaboratif ne se sont pas mises en place dès le départ. Le recours massif aux visioconférences a également contribué à compliquer la prise de décision et le lien entre élus. Nous attribuons une partie des difficultés de gouvernance constatées au cours du dernier mandat aux conditions exceptionnelles de cette élection.

Pour autant, les remontées que nous recevons à la DGCL font apparaître très peu de demandes de modifications de périmètres intercommunaux ou de transferts massifs de compétences. Ces sollicitations sont aujourd'hui rares, voire inexistantes.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous avez dit que les intercommunalités « se sont constituées », mais leur création reposait plus souvent sur une proposition préfectorale que sur une initiative qui leur était propre. Certains préfets ont fait montre d'un zèle et d'un gigantisme sans pareil. Cependant, vous avez tout à fait raison en soulignant les conditions particulières du début du mandat 2020-2026.

Nous connaissons tous, dans nos territoires, des élus nouvellement élus qui ont participé à leurs premières réunions intercommunales uniquement en visioconférence, sans réellement comprendre ce qu'ils y faisaient, découvrant tout dans un contexte particulièrement difficile. C'était moins compliqué pour les élus sortants reconduits, déjà familiarisés avec l'environnement intercommunal.

Concernant les 9 % de communes qui déclarent souhaiter une modification de périmètre, vous indiquez ne pas avoir beaucoup de remontées directes, hormis par l'enquête du Cevipof. Pourtant, sur le terrain, des demandes existent. En Moselle par exemple, des remontées ont été faites, mais le préfet les a renvoyées au-delà des élections municipales de mars prochain, peut-être en raison de sa prochaine mutation.

Dès lors, si des modifications devaient être envisagées, selon quelles modalités pensez-vous qu'elles devraient être conduites ? Faudrait-il maintenir le rôle actuel de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI), qui joue un rôle déterminant, puisqu'elle ne peut s'opposer à une proposition du préfet qu'à la condition de réunir une forte majorité ?

Mme Cécile Raquin. - Quand je disais que les intercommunalités « se sont constituées », ce terme était volontaire. Il s'agissait de nuancer l'idée, parfois entendue, selon laquelle les difficultés actuelles proviendraient uniquement de décisions préfectorales imposées. Dans bien des cas, ces intercommunalités dites XXL ont été souhaitées par les élus eux-mêmes, dans une volonté locale de créer une très grande intercommunalité. Cela a permis de donner une identité à un territoire ou une gouvernance vaste, même si, en pratique, certaines difficultés sont apparues.

Cela dit, les préfets ont aussi dû respecter les seuils prévus par la loi et ont été conduits à constituer des intercommunalités de dimension importante. Dans certains territoires, ils ont dû convaincre les élus de la nécessité d'atteindre une taille critique, voire, dans certaines circonstances locales, ont eux-mêmes souhaité dépasser ces seuils. Il n'existait pas de consignes nationales uniformes, mais les circulaires fixaient tout de même des critères à respecter : surface financière suffisante, logique de péréquation, cohérence géographique. Ces éléments ont été appréciés localement, notamment par les CDCI et les préfets, lesquels, en cas de désaccord, conservaient le dernier mot.

S'agissant des conditions de retrait, le code général des collectivités territoriales (CGCT) les prévoit déjà, et la loi Engagement et Proximité les a facilitées. Le respect des seuils démographiques demeure la condition principale. On peut s'interroger, pour l'avenir, sur l'opportunité d'assouplir encore ces possibilités, tout en conservant l'exigence de viabilité des périmètres, tant sur le plan de la taille que sur celui de l'impact financier, sous l'appréciation du préfet.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Vous pointez deux critiques majeures de l'intercommunalité : sa taille et sa gouvernance.

Sur la taille, il semble aujourd'hui difficile de quitter une intercommunalité, sauf à la marge, pour une ou deux communes. Je n'ai pas connaissance de véritables scissions ; peut-être pourrez-vous nous éclairer à ce sujet.

Concernant la gouvernance, c'est souvent l'effet de masse qui pose problème. En effet, des assemblées de 100 ou 150 délégués communautaires diluent le sens de l'action. Avez-vous des remontées sur l'exercice des compétences, qui pourrait aussi faire l'objet de contestations ?

Plus globalement, quel bilan tirez-vous aujourd'hui de l'efficience de l'intercommunalité, notamment en matière de services publics ? Permet-elle une amélioration de l'offre sur les territoires, un meilleur investissement local, une gestion plus économique des politiques publiques ? Et l'État n'a-t-il pas aujourd'hui plus de facilité à travailler avec les intercommunalités qu'avec les communes ?

Mme Cécile Raquin. - Sur la gouvernance, la principale critique émane des maires de petites communes, qui ont le sentiment que leur poids est dilué lors des prises de décision. En raison de la jurisprudence Salbris du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 et des règles de composition des conseils communautaires applicables en 2026, ces communes conservent souvent un seul siège, ce qui limite leur influence dans les grandes intercommunalités, notamment quand des compétences transférées s'exercent sur leur territoire.

La réponse repose sur la capacité à construire ensemble, à associer les maires en amont de la prise de décision, notamment sur le PLUI ; certaines intercommunalités y parviennent très efficacement. Le législateur, notamment le Sénat, a d'ailleurs instauré des outils comme la conférence des maires ou le pacte de gouvernance au moment de la constitution du conseil communautaire. L'essentiel relève de la pratique locale, de la volonté des élus de travailler en commun. Les choses fonctionnent plus ou moins bien selon les territoires.

Sur les compétences, des difficultés sont aussi signalées, par exemple en matière d'urbanisme, quand le maire conserve le pouvoir de délivrer les permis, mais que l'instruction est mutualisée, ce qui complique la lisibilité. Là aussi, cela relève souvent de l'organisation managériale locale : mutualisation, services communs, autorités hiérarchiques et fonctionnelles distinctes.

Pour ce qui concerne les politiques publiques, il est difficile de faire une estimation précise des économies réalisées, faute de données scientifiques comparatives. Toutefois, notre sentiment est que l'intercommunalité a permis de maintenir un certain nombre de services publics grâce à la mutualisation, en particulier pour des équipements de grande envergure, ce qui était déjà, à l'origine, l'objet des Sivom. Cette logique se poursuit également avec, par exemple, des regroupements scolaires ou la gestion mutualisée d'infrastructures lourdes comme les réseaux, les déchets ou l'assainissement. Ces services sont généralement plus performants lorsqu'ils sont gérés à l'échelon intercommunal plutôt qu'à celui de chaque commune.

L'intercommunalité n'a jamais eu pour objectif principal de réaliser des économies, mais visait avant tout à répondre aux besoins des habitants en matière de services, d'équipements et de biens à l'échelle d'un bassin de vie. En ce qui concerne les données disponibles sur la fonction publique territoriale, on observe que les effectifs des communes et des intercommunalités ont eu tendance à se cumuler, plutôt qu'à se compenser. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il y ait eu des doublons. Cette évolution peut aussi traduire un élargissement du champ de l'action publique, en lien avec le transfert de compétences, pour mieux répondre aux attentes des citoyens et renforcer la réponse publique. Affirmer que les effectifs auraient dû être à tout le moins stabilisés et qu'il ne s'agissait que d'un simple jeu de vases communicants me paraît un peu trop simplificateur : les effectifs ont augmenté, car le périmètre du service public s'est élargi.

Du point de vue de l'État, conduire des politiques publiques est plus facile avec 1250 intercommunalités qu'avec 34 500 communes. Les intercommunalités sont devenues un acteur incontournable de la territorialisation de toutes les politiques publiques. L'État contractualise avec elles ; je pense, par exemple, aux contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Reste à trouver la bonne articulation avec les maires, afin que les politiques publiques parcourent bien le dernier kilomètre et atteignent les communes.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - En matière de gouvernance, nous avons essayé d'apporter des solutions législatives : ainsi, les commissions intercommunales sont désormais accessibles aux conseillers municipaux. C'est avant tout la qualité des relations humaines entre les élus qui explique probablement que les choses se passent bien, mais existe-t-il encore, selon vous, des outils de nature à améliorer la compréhension du fait intercommunal par les élus des petites communes, qui, parfois, ont le sentiment d'être noyés dans la masse ? La conférence des maires ou le projet de territoire pourraient-ils être utilisés à cet effet ?

Mme Cécile Raquin. - L'instauration de relations de confiance entre les élus est l'un des grands enjeux des débuts de mandat. La formation des élus est primordiale : les intercommunalités devraient organiser des « journées des maires » afin de leur expliquer leur organisation administrative, les services qu'elles peuvent leur apporter.

Elles étaient également attendues sur la mise en commun d'outils d'ingénierie ; peut-être n'ont-elles pas suffisamment agi auprès des communes en la matière.

Les conférences des maires sont parfois des lieux d'échanges, parfois des coquilles vides. Il faudrait mieux définir leur rôle, en lien avec le pacte de gouvernance : sur ce point, il y a encore des progrès à faire, en effet.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Dans certains départements, nous avons constaté que des services de l'État - parfois les préfectures, parfois les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (Dasen) - écrivaient directement au président de l'intercommunalité comme s'il appartenait à ce dernier d'en référer aux maires. Ces derniers sont très irrités par cette façon de procéder. Il n'y aurait pas d'intercommunalité s'il n'y avait pas de communes : c'est bien le maire qui donne sens à l'intercommunalité.

Vous avez raison, pour que les choses fonctionnent bien, le début du mandat est une étape fédératrice, cruciale même ; si celle-ci n'est pas menée à bien, certains maires risquent de se sentir marginalisés et de se retirer de la gouvernance de l'intercommunalité, car ils se sentent inutiles. Là encore, la personnalité du président de l'intercommunalité joue un grand rôle.

Pensez-vous qu'il soit pertinent de renforcer le travail sur le pacte de gouvernance et le pacte financier au début du mandant ?

Mme Cécile Raquin. - C'est absolument nécessaire. Cela passe sans doute par de nouvelles dispositions législatives et par des instructions aux préfets pour inciter les élus à mener ce travail sur le pacte de gouvernance, essentiel pour la suite du mandat. Les ministres François Rebsamen et Françoise Gatel sont très attachés à ce que, dans les six premiers mois du mandat, les services de l'État présentent aux nouveaux élus les outils à leur disposition et les contacts utiles, sans oublier les dispositifs de lutte contre les violences à leur égard.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - La liste actuelle des compétences obligatoires doit-elle être complétée ?

Avez-vous connaissance de projets de transfert de compétences au profit des intercommunalités, ou, à l'inverse, de restitution aux communes ?

Faut-il assouplir le transfert de compétences pour parvenir à un système « à la carte » ? Peut-être l'exercice de ces compétences s'en trouvera-t-il démesurément complexifié, mais peut-être aussi, à l'inverse, cette faculté permettrait-elle de mettre de l'huile dans les rouages. Que pensez-vous d'un exercice différencié des compétences, qui ne serait pas identique sur l'ensemble du territoire de l'intercommunalité ?

Mme Cécile Raquin. - Sur les compétences, nous ressentons une très forte demande de stabilité : ni transfert ni restitution.

Le dernier grand débat sur le sujet, tranché par le Parlement, était celui du transfert de l'eau et de l'assainissement aux communautés de communes. Il s'agissait de la dernière compétence obligatoire prévue par la loi NOTRe qui n'était pas encore entrée en vigueur. Depuis lors, il n'y a eu aucune autre demande de transfert. Ce débat ayant été clos, la demande aujourd'hui est plutôt à la stabilité des compétences.

Lors de l'examen de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), le Sénat avait adopté des dispositions autorisant la sécabilité, y compris géographique, des compétences facultatives. Ces possibilités, peu utilisées, mériteraient d'être mieux connues, car elles offrent de la souplesse dans l'organisation de l'intercommunalité.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Ces dispositifs sont peut-être peu utilisés parce qu'il est difficile de restituer une compétence ou de ne pas l'exercer sur une partie d'un territoire. Les impôts de tous les contribuables financent tous les services ; dès lors, pourrait-on aussi envisager une sécabilité financière ?

Mme Cécile Raquin. - Cette proposition, examinée lors de la loi 3DS, avait achoppé sur deux difficultés : le conseil communautaire doit se prononcer sur la totalité du périmètre de l'intercommunalité et cette faculté contreviendrait au principe d'unicité du budget. Il est difficile de transformer l'intercommunalité en syndicat de communes.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - La coopération intercommunale est ancienne en France, vous l'avez rappelé. Dans la période récente, elle a pris un nouveau tour : une coopération forcée, dans des périmètres pas forcément choisis. Est-elle encore en phase de maturation ? Les futures évolutions sont-elles plus rassurantes ?

Mme Cécile Raquin. - Les intercommunalités sont extrêmement diverses : métropoles, communautés d'agglomération, communautés de communes.

Des habitudes de travail en commun ont émergé récemment, à la suite de la loi NOTRe, tandis que d'autres existaient depuis les années 1960, lors de l'apparition des premières communautés urbaines. Il est donc difficile de comparer les intercommunalités en général, car les ressentis ne sont pas les mêmes selon les territoires.

Les intercommunalités ont beaucoup évolué au cours des dernières années, tant au niveau de leur périmètre, après la loi Maptam, qu'au niveau de leurs compétences, après la loi NOTRe. Elles ont mis du temps à absorber ces évolutions, qui ont nécessité un travail important de la part des élus, notamment au sein des commissions locales d'évaluation des charges transférées, les Clect. D'où le besoin de stabilité actuellement exprimé par les élus.

Cela dit, certains territoires n'ont pas atteint leur point d'équilibre : certains périmètres ou compétences pourraient être revus lors du prochain mandat, qui débutera en 2026. Le fonctionnement des intercommunalités pourrait ainsi être amélioré, afin de maintenir leur plus-value.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Vous parlez d'évolution de périmètre : pensez-vous à des élargissements ou à des scissions ?

Mme Cécile Raquin. - Il s'agit plutôt de répondre aux besoins sur la base des circonstances locales, et donc de faciliter des scissions ou des retraits pour certains cas spécifiques.

Si les élus souhaitent élargir les périmètres, ils peuvent déjà le faire. Mais telle ne semble pas être leur volonté.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Le périmètre de certaines intercommunalités est à cheval sur deux, voire trois départements. Cela suscite-t-il des complications, tant du point de vue de l'État que celui des conseils départementaux ?

Mme Cécile Raquin. - Pas du point de vue de l'État, en tout cas.

Si vous me le permettez, je voudrais aborder le sujet des communes nouvelles. Le développement des communes nouvelles et des intercommunalités est complémentaire. Les premières ont permis de peser davantage dans les secondes. Notre droit prévoit la possibilité de créer des communes-communautés, une disposition, qui, jusqu'à présent, n'a jamais été utilisée. Les communes-communautés représentent le cas extrême de l'intégration : l'intercommunalité se transforme alors en commune. Les communes-communautés poussent la philosophie de l'intercommunalité à son paroxysme : leur objectif est de se passer de l'intercommunalité.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - C'est tout de même assez pervers !

Les communes nouvelles fonctionnent bien dans certaines parties du territoire, moins dans d'autres. Sans doute l'investissement des élus explique-t-il le succès de certains projets. Ou peut-être est-ce dû à des raisons culturelles.

Mme Cécile Raquin. - En effet, les communes nouvelles sont souvent le fruit d'élus qui travaillaient bien ensemble.

La preuve par l'exemple a aussi joué un rôle important : les premières communes nouvelles ont montré que le regroupement autour d'un projet de territoire contribuait au maintien d'un service public, par exemple. D'autres élus s'en sont ensuite inspirés.

Dans plusieurs parties du territoire, la commune nouvelle ne s'est pas autant développée. Il est vrai que les services de l'État n'ont pas fourni le même niveau d'accompagnement partout, cela a pu jouer.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Les communes nouvelles et les communes-communautés, chères à Françoise Gatel, peuvent être des pistes intéressantes.

Le poids des communes dans les intercommunalités est parfois difficile à appréhender, même pour les communes moyennes qui disposent de plusieurs représentants au sein du conseil communautaire. Celles-ci se sentent parfois sous-représentées, car leur nombre de représentants n'est finalement pas si élevé par rapport aux petites communes : alors que leur population est dix fois plus importante, elles peuvent disposer de trois délégués, contre un pour les petites communes. Des accords locaux pourraient-ils prévoir des assouplissements sur ce point ?

Certaines intercommunalités ont une taille importante, avec des secteurs aux caractéristiques différentes. J'avais ainsi défendu un amendement au projet de loi relatif à l'engagement de la vie locale et à la proximité de l'action publique tendant à permettre plusieurs plans locaux d'urbanisme intercommunal (PLUi) au sein d'une même intercommunalité, afin de pouvoir adopter des dispositions en fonction des besoins de chaque secteur.

Mme Cécile Raquin. - Je serai assez prudente sur les accords locaux, en raison de la jurisprudence Salbris précitée du Conseil constitutionnel ; nous avons exploité toutes les marges de manoeuvre. Nous avons noté plusieurs tentatives législatives en la matière ; je considère que nous sommes parvenus à un point d'équilibre.

Les élus doivent se saisir de la possibilité qui leur est offerte de signer des accords locaux ; ils bénéficieront d'un accompagnement des services de l'État et de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), avec laquelle nous partageons les données dont nous disposons.

La capacité à territorialiser l'action des intercommunalités et à travailler par secteur a aussi été ouverte par la loi 3DS. Des marges de progrès demeurent. Sans doute pourrions-nous aller plus loin ou mieux faire connaître ces dispositifs. En effet, il est aujourd'hui possible d'avoir une sectorisation des politiques, ainsi qu'une organisation des services qui corresponde à ces secteurs, mais, d'après nos retours, cette possibilité est assez peu utilisée.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Dans de nombreuses intercommunalités, notamment les plus grandes, lorsqu'une commune, qui représente parfois une part significative de la richesse de l'intercommunalité, n'a qu'un seul représentant, les débats sont totalement déséquilibrés : ce représentant doit maîtriser, seul, toutes les compétences gérées par l'intercommunalité. C'est inégal. Cependant, vous avez exploité toutes les possibilités de la Constitution pour faire avancer cette reconnaissance de l'espace, qui correspond à une demande très ancienne des maires ruraux de France mais qui, en l'état actuel du droit, ne peut être satisfaite. Ce déséquilibre est un vrai problème, qui entraîne le malaise de certaines communes au sein des intercommunalités. Lorsque ce représentant envoie son remplaçant, celui-ci découvre tout le fonctionnement de l'institution le jour venu ! C'est un semblant de démocratie... Avez-vous conscience de cette difficulté ?

Mme Cécile Raquin. - Dans la législation, nous avons tenté de remédier à cette situation par divers moyens d'ordre technique, je pense par exemple à l'obligation pour le conseil communautaire d'envoyer une note de synthèse des affaires inscrites à l'ordre du jour plusieurs jours en avance, ou encore à l'obligation de communiquer l'ordre du jour et tous les points de synthèse à l'ensemble des élus, y compris à ceux qui ne siègent pas au conseil communautaire.

Il est également essentiel que les services des intercommunalités, qui ont souvent plus de moyens, appuient les élus qui siègent au conseil communautaire, car, parfois, le maire d'une petite commune ne dispose que du secrétaire de mairie pour l'assister !

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pouvez-vous nous indiquer le nombre précis d'intercommunalités en France ?

Mme Cécile Raquin. - On compte 1 254 EPCI à fiscalité propre.

Je vous transmettrai notre récent bulletin d'information statistique sur l'intercommunalité et les structures territoriales, qui comprend le nombre de syndicats, les structures par niveau de classification juridique des intercommunalités, ainsi que le nombre de scissions ou de fusions éventuelles de communes survenues dans l'année.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pour conclure, je veux vous interroger sur les écarts de richesse entre intercommunalités, car ce qui vaut pour les communes est également vrai pour les EPCI. Une augmentation des dotations de péréquation est-elle prévue, comme c'est le cas dans chaque loi de finances ? En effet, l'écart est très difficile à supporter par les intercommunalités qui sont très éloignées de la moyenne.

Mme Cécile Raquin. - Il faut distinguer l'écart entre les intercommunalités de l'écart entre les communes au sein des intercommunalités.

Entre les intercommunalités, la tendance des dernières années a consisté, au sein de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à accroître la dotation d'intercommunalité, qui permet cette péréquation, et à écrêter la dotation de compensation, qui est figée sur des valeurs historiques. En outre, vis-à-vis de leurs communes, les intercommunalités peuvent avoir des répartitions dérogatoires du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) - c'est le choix opéré par environ un tiers d'entre elles - ou de la DGF - cette dernière possibilité n'a jamais été utilisée.

Entre les communes, au cours de ces trois dernières années, on a observé une forte augmentation de la péréquation au sein de la DGF sur la dotation de solidarité urbaine (DSU) pour les communes comptant des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou de la dotation de solidarité rurale (DSR) pour les communes rurales. Ainsi, l'an dernier, la péréquation a augmenté de plus de 290 millions d'euros. Cette hausse a été financée en partie par l'État et, pour le reste, par l'écrêtement de la dotation forfaitaire des communes. Ce mouvement est important, puisque la péréquation représente 48 % de la DGF.

Ce mouvement se poursuivra-t-il dans la prochaine loi de finances ? Ce choix dépendra du montant de la DGF.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - La pratique de la dotation de solidarité communautaire (DSC) est-elle généralisée en France ?

Mme Cécile Raquin. - Elle est largement répandue. Ce ne sont pas nécessairement les communes les plus riches qui la mettent en place. Une obligation vise celles qui comptent des QPV. Elle est très bien respectée. Pour les autres communes, il y a parfois des DSC, mais sur des montants très faibles.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Qu'en est-il des fonds de concours abondés par l'intercommunalité ?

Mme Cécile Raquin. - Les fonds de concours sont beaucoup plus répandus pour répartir le financement d'investissements entre communes et intercommunalité. Cela se fait projet par projet.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Il existe également des communes qui versent des fonds de concours, sans affectation particulière, sous la forme d'une subvention de fonctionnement.

Mme Cécile Raquin. - Nous ne connaissons que les fonds de concours à l'investissement, pour financer en commun des projets, ce qui représente d'ailleurs une dérogation au principe de spécialité de l'intercommunalité.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous vous remercions pour vos éclairages.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 heures 25.

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de MM. Jean-Pierre Viola, conseiller maître, président de section de la quatrième chambre de la Cour des comptes, Yves Roquelet et Hubert La Marle, présidents de section à la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine, Nicolas Billebaud, premier conseiller à la chambre régionale des comptes Bretagne et Jean-Pierre Rousselle, président de section à la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions de ce jour en entendant MM. Jean-Pierre Viola, conseiller maître, président de la section « Administration territoriale de l'État, finances publiques locales et certification des comptes des assemblées parlementaires » de la quatrième chambre de la Cour des comptes, Yves Roquelet et Hubert La Marle, présidents de section à la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine, Nicolas Billebaud, premier conseiller à la chambre régionale des comptes Bretagne, et Jean-Pierre Rousselle, président de section à la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes.

Notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE), n'a pas pour objectif de remettre en cause le principe de l'intercommunalité ni l'ensemble de l'architecture mise en place il y a maintenant dix ans, mais d'identifier les freins et blocages de toute nature qui entravent le bon fonctionnement de certaines structures intercommunales.

Vous avez tous, à un titre ou un autre, eu l'occasion de vous pencher sur cette question, que ce soit au niveau d'intercommunalités au fonctionnement parfois bloqué ou dans le cadre d'un examen plus global de leur fonctionnement et de leur gouvernance. Nous serons très attentifs à votre présentation des points qui vous semblent poser problème ou qui sont susceptibles d'évoluer.

Depuis le début de nos travaux, nous avons entendu de nombreux élus exprimer un sentiment de dépossession, au terme de la mise en place subie des grandes intercommunalités issues de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Vous nous direz si ce ressenti s'appuie sur des réalités concrètes. Je pense par exemple aux difficultés liées à des cotes mal taillées au départ, lorsque les communautés de communes comptent plus d'une centaine de communes.

Avant de céder la parole à notre rapporteure Maryse Carrère, je précise que cette audition fait l'objet d'une diffusion en ligne et qu'elle sera disponible sur le site internet du Sénat.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Messieurs, votre expertise territoriale sera précieuse aux travaux de notre mission d'information. Dans vos propos liminaires, je vous invite à nous donner votre avis sur votre perception actuelle de l'intercommunalité et sur son fonctionnement. Il existe autant d'intercommunalités que de fonctionnements différents, avec des particularités qui varient également en fonction des territoires.

Quelles sont les difficultés que vous constatez sur le terrain ? Les périmètres actuels et la carte intercommunale vous semblent-ils pertinents ? Quelles problématiques sont soulevées par la gouvernance et par les transferts de compétences ?

Nous aborderons ensuite les services publics apportés par les intercommunalités sur nos territoires, avant de conclure sur l'efficience de l'intercommunalité.

M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître, président de section de la quatrième chambre de la Cour des comptes. - Je précise que je suis accompagné par Benoît Lion, qui est le principal auteur du rapport de la Cour des comptes de 2022. Ce travail, qui dressait un bilan des intercommunalités et dont les conclusions restent d'actualité, s'inscrivait dans le cadre de notre rapport annuel sur les finances publiques locales.

J'ajoute que, sur les questions fiscales, la Cour a établi en janvier 2025, à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, un bilan des réformes récentes de la fiscalité locale. Je vise la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et d'une grande partie - désormais plus des quatre cinquièmes - de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Ce travail abordait également les intercommunalités.

Madame la rapporteure, vous le soulignez à raison : il y a autant d'intercommunalités que de situations différentes, qu'il est difficile de caractériser et de faire entrer dans une catégorie commune.

Un élément semble assez frappant : les orientations politiques successives sur les objectifs assignés aux intercommunalités ont évolué au fil du temps. En effet, nous sommes passés d'intercommunalités qui reposaient sur une démarche volontaire à des intercommunalités obligatoires, avec des périmètres qui n'ont pas toujours été consensuels.

Alors que l'objectif initial était de dépasser les problèmes réels soulevés par l'émiettement de la carte communale, en définissant un intérêt communautaire de plus en plus large, doté d'attributs de fonctionnement de plus en plus importants, nous assistons désormais à une forme d'essoufflement du potentiel des intercommunalités. Nous pourrions presque parler d'une syndicalisation des intercommunalités, qui se placent au service de leurs communes membres, sans pour autant que se dessine un projet politique commun, autour de l'offre de services publics ou des orientations en matière d'aménagement du territoire et de développement économique.

Dans le pire des cas, les dotations sont équiréparties entre les communes membres sans la moindre considération relative à la nature des projets ou à la typologie des équipements, qui peuvent n'avoir qu'une portée communale - ce qui est assez rare - et qui auront souvent une portée intercommunale.

Cet effet d'essoufflement n'est pas général : certaines intercommunalités fonctionnent bien. Elles sont porteuses de projets et l'intégration des services et des équipements progresse. Dans d'autres, on observe une forme de statu quo, voire de régression.

Au fond, les intercommunalités peuvent-elles dépasser les inconvénients soulevés par l'émiettement communal ? N'y a-t-il pas matière à favoriser plus fortement le regroupement de communes, notamment de petite taille, qui rencontrent d'importantes difficultés - outre les normes techniques, je pense aux normes juridiques, à l'appréhension du droit et à la responsabilité pénale et civile des exécutifs locaux.

Enfin, des sujets importants doivent être abordés, comme le logement. Dans les intercommunalités urbaines, il arrive que soient coexistentjuxtaposés des lieux de grande activité et des espaces de résidence : il faut donc s'assurer de la présence d'équipements suffisants en matière scolaire, périscolaire, sportive et culturelle. La répartition des ressources internes à l'intercommunalité tient-elle donc compte de cette réalité ?

Il est ainsi difficile d'apporter une réponse unique à l'ensemble de ces questions. Seul cet effet d'essoufflement semble se dégager, par rapport aux intentions initiales du législateur qui se sont exprimées dans les premières lois sur les intercommunalités, puis au travers de l'obligation de ce modèle et de l'extension de leurs attributions.

M. Benoît Lion, conseiller référendaire en service extraordinaire. - Il est en effet difficile de dégager une ligne directrice sur le statut de l'intercommunalité depuis trente ans.

En 1999, la volonté était de créer et de formaliser des catégories - communauté urbaine, communauté d'agglomération, communauté de communes -, tout en maintenant une liberté d'association.

La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (RCT) transforme cette approche. De nouvelles catégories émergent en 2010 et 2014, comme la métropole. À l'inverseEn outre, l'intercommunalité est devenue impérative. Seules quatre îles monocommunales ne sont pas membres d'une intercommunalité.

En outre, les périmètres ont été élargis, peut-être au détriment de l'approfondissement des intercommunalités dans les années 2010 - à l'exception de quelques compétences comme l'eau, l'assainissement ou la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). Cette question essentielle a été lourde à porter pour les intercommunalités. Certaines s'en sont chargées de manière volontaire, d'autres ont agi sous l'impulsion des préfets. Ceux-ci sont parfois allés bien au-delà du seuil de 15 000 habitants imposé par la loi NOTRe, pendant que le consensus local a été privilégié dans d'autres cas - d'autant qu'après 2010, une première révision avait déjà quelque peu essoufflé les élus, poussant les préfets à faire preuve d'une plus grande modestie dans la refonte de la carte.

À la fin des années 2010 et au début des années 2020, on a assisté à un retour vers la commune. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) marque un temps fort de bascule : des garanties sont données aux communes en matière d'intégration au sein de la communauté de communes.

Le rapport de la Cour des comptes de 2022 s'appuyait sur une lecture très approfondie des rapports des chambres régionales des comptes. En l'espèce, nous avons examiné environ 130 rapports, dont 99 portaient sur des intercommunalités et 36 sur des communes.

Là encore, il était difficile de trouver une ligne directrice. Nous avons constaté que la question du périmètre n'explique pas à elle seule les difficultés de gouvernance ou d'exercice des compétences. Cet exercice peut être satisfaisant dans des intercommunalités dites XXL, grâce à un projet de territoire et au volontarisme des élus. À l'inverse, des communautés de communes de petite taille ne parviennent pas à engager des projets.

Nous pourrons revenir sur les critères qui permettent le bon fonctionnement d'une intercommunalité : le projet et la définition des compétences jouent, semble-t-il, un rôle essentiel.

M. Yves Roquelet, président de section à la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine. - Au sein de la chambre régionale de Nouvelle-Aquitaine, nous partageons l'idée exprimée par le président Viola d'une forme d'essoufflement et de panne du mouvement de décentralisation.

Cela ne signifie pas que rien ne s'est passé depuis les grandes lois d'organisation. Cependant, il ressort des rapports et des interventions que les grandes réformes de ces dernières années sont passées moins par un approfondissement ou une amélioration de la décentralisation que par des réformes plus techniques d'aménagement du territoire. Nous avons changé de vecteur et de sens politique.

Par ailleurs, en Nouvelle-Aquitaine, nous avons une très grande majorité de communautés de communes qui se situent en milieu rural, voire très rural ou périurbain. Quel que soit leur emplacement sur le territoire, ces intercommunalités ont été marquées par la politique de métropolisation qui a progressivement structuré le territoire environnant. Aussi, plus on s'éloigne des métropoles, plus la situation des communautés de communes est devenue difficile.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Nous sommes un peu surpris par le mot « essoufflement ». Comment caractérisez-vous cet essoufflement du fait intercommunal ? Est-ce un essoufflement plus global ?

M. Jean-Pierre Viola. - L'essoufflement que j'évoquais est relatif à l'objectif, peut-être trop ambitieux, de développement des intercommunalités, c'est-à-dire réussir à dépasser les problèmes liés à l'émiettement communal. Nous constatons que ces problèmes sont atténués, mais pas dépassés.

Je ne pointais aucun essoufflement ni manque de volonté des acteurs. Cependant, on voit bien que la formule de l'intercommunalité n'a pas porté tous les fruits espérés de mise en cohérence, de mutualisation, d'efficience, d'économies de frais de gestion, de duplication de services administratifs ou d'équipements.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Pour être provocatrice, l'aboutissement dont vous parlez n'est-il pas la disparition des communes ?

M. Jean-Pierre Viola. - Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de faire disparaître les communes en tant que telles.

Certains types d'intercommunalités sont, historiquement, très intégrés, comme les communautés urbaines. D'autres, comme les métropoles, dont le cadre est fixé par la loi, se caractérisent aussi par une intégration de plus en plus poussée. Là où nous ressentons davantage de difficultés, ce sont effectivement dans les communautés d'agglomération et les communautés de communes.

Encore une fois, l'idée n'est pas de supprimer les communes, mais d'essayer d'améliorer l'exercice de certaines compétences, tout en conservant l'échelon de représentation politique fondamental, cellulaire et historique de la France que sont les communes.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - On peut comprendre que les relations entre le maire et l'intercommunalité soient un peu tendues, dans un contexte concurrentiel de partage de compétences.

Nos collègues du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) ayant sollicité une commission d'enquête sur la libre administration des collectivités territoriales, nous ne nous préoccupons pas de fiscalité locale. En revanche, vous avez parlé d'efficience et d'essoufflement, et nous aimerions savoir si l'intercommunalité est une réussite quant à l'investissement réalisé au bénéfice des populations. Y a-t-il desLes services publics sont-ils plus importants présents et plus efficaces ?

M. Benoît Lion. - Il est difficile de tenir un propos définitif, mais lorsqu'il y a transfert d'une compétence vers l'intercommunalité, globalement, celle-ci est exercée de manière plus approfondie. Jean-Pierre Viola évoquait le respect des normes. Lorsqu'une compétence technique, comme l'assainissement, est portée par une intercommunalité, on se rapproche des standards de qualité parce qu'il y a une ingénierie davantage présente à l'échelon intercommunal. On constate donc plutôt une montée en compétences. Cela vaut pour les réseaux, mais aussi pour les services à la population, comme la petite enfance et la lecture publique. Le transfert de compétences a amélioré l'accès à ces services, avec une logique non pas simplement centrale, mais bien souvent de pôle, qui fonctionne d'autant plus dans les intercommunalités XXL. On a souvent une médiathèque intercommunale qui s'appuie sur des bibliothèques éventuellement restées communales, en leur fournissant une offre de service.

Nous avons constaté, de manière générale, une augmentation du niveau de qualité de service lorsqu'il y a un transfert de compétences à l'intercommunalité.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Ce n'est pas forcément au même prix.

M. Benoît Lion. - Exactement. De fait, les dépenses d'investissement ont augmenté. La Cour des comptes notait en 2022 que, globalement, les dépenses du bloc communal se sont accrues dans les années 2010 , - et fortement s'agissant des intercommunalités.

Le niveau d'exigence des maires augmente en général lorsque la compétence est portée au niveau intercommunal. Il en résulte une augmentation de la dépense intercommunale, mais pas forcément une baisse de la dépense communale.

On a constaté une forte dynamique des dépenses, notamment parce qu'une compétence portée au niveau intercommunal est techniquement plus aboutie.

M. Jean-Pierre Viola. - Assez souvent, des communautés de communes ou des communautés d'agglomération ont pu réaliser des actions que les communes ne pouvaient pas mener individuellement, notamment en matière de services aux personnes.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - C'est vrai. Mais elles n'ont pas attendu qu'une loi soit votée pour savoir qu'elles avaient besoin de se regrouper.

M. Nicolas Billebaud, premier conseiller à la chambre régionale des comptes Bretagne. - La dynamique de la dépense évoquée par M. Lion a une implication, qui est réglée au cas par cas : celle de l'allocation des ressources. En effet, certaines dépenses sont des services facturés à l'usager, tels que l'eau et l'assainissement. D'autres sont gérées par le budget général ou par des taxes, par exemple les déchets lorsqu'ils ne sont pas financés par une redevance. Se pose la question du financement de ces services et de la dynamique d'investissement, qui peut parfois consister en un rattrapage sur les infrastructures, notamment en zone rurale. C'est là que l'on peut envisager un éventuel transfert de ressources par des pactes financiers et fiscaux, c'est-à-dire par des accords entre les communes et les intercommunalités qui relèvent de leur libre administration et donc du consensus politique obtenu localement.

Des questions d'efficience et de pertinence de l'allocation des ressources peuvent être soulevées assez régulièrement. Il existe évidemment beaucoup de cas de figure, mais une tendance majoritaire consiste à s'interroger sur le rebasage des taux d'imposition au bénéfice de l'intercommunalité pour financer ces services ou ces infrastructures mutualisées.

Évidemment, cela peut participer au sentiment de dépossession de certains maires, puisque, après la première vague du transfert de compétences se pose nécessairement celle des moyens et donc, potentiellement, du transfert de ressources. Celui-ci est beaucoup moins encadré par la loi que le transfert de compétences. Il relève bien plus de la libre administration des collectivités en question, ce qui accentue le traitement au cas par cas et, par conséquent, les marges de manoeuvre, mais aussi les risques de blocage prolongé au sein des intercommunalités qui ne parviennent pas à trouver de consensus. Parfois, cela peut se faire au préjudice du contribuable, puisque sans accord sur le transfert de ressources, les intercommunalités sont contraintes de relever les taux d'imposition sur lesquels elles peuvent agir, parce qu'il faut bien financer les infrastructures ou les services qu'elles développent après en avoir reçu la compétence.

M. Hubert La Marle, président de section à la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine. - Dans le Lot-et-Garonne, se trouve une communauté de communes est complètement coincée sur le financement de la compétence voirie par le refus de deux communes de signer le pacte de gouvernance. Pour le reste, la communauté de communes fonctionne bien. Mais ces deux communes n'ont pas accès aux services communs de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sur la voirie, ce qui engendre des difficultés pour l'ensemble.

M. Yves Roquelet. - J'irai dans le même sens. L'allocation des ressources, qu'il s'agisse de la parafiscalité ou de la fiscalité, est l'un des éléments du sujet. Un autre élément est que, bien souvent, lorsque l'on analyse les conditions de construction des intercommunalités et de leur fonctionnement, on a le sentiment que le moment du transfert de charges n'a pas été complètement apprivoisé, tant par les intercommunalités que par les communes, qui discutaient dudit transfert et que des équilibres ont été trouvés, à un instant t, entre les charges et les ressources transférées, qui ne correspondaient pas à une réalité opérationnelle.

On continue aujourd'hui de constater que les attributions de compensation sont insuffisantes pour permettre aux intercommunalités, sans ressources supplémentaires, de maintenir les équipements transférés, puis d'approfondir et d'exercer les compétences qu'elles détiennent. Cela a évidemment un impact sur la qualité du service en exploitation et sur les projets.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Seriez-vous favorables à une simplification des règles régissant l'attribution de compensations ?

M. Yves Roquelet. - Il est clair qu'aujourd'hui, la capacité - offerte, mais très encadrée - de rediscuter des attributions de compensation peut aboutir à des blocages, car quand le déséquilibre est patent, celui qui en bénéficie a plus de difficultés à réajuster la ligne.

Faute d'accord sur une révision des attributions de compensation, on restitue à la commune des compétences intercommunalisées, qu'elle ne sera pas toujours capable de maintenir au même niveau de service, notamment si c'est une petite commune rurale.

On retrouve ce problème en matière scolaire, notamment pour ce qui est du transport des élèves de l'enseignement primaire dans des territoires extrêmement vastes avec une dispersion très importante des équipements. On le retrouve également pour des services à la population comme l'assainissement ou l'eau, où le fait communal est très prégnant, alors que la complexité des sujets et, surtout, le risque sur l'approvisionnement et la qualité ne peuvent être traités qu'à une échelle supérieure.

M. Jean-Pierre Viola. - Les attributions de compensation mériteraient très certainement d'être revisitées au regard des coûts réels d'exercice des compétences, en supprimant la règle de l'unanimité pour accord qui, objectivement, est bloquantesource de blocages.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Je suis entièrement d'accord avec vous, mais il est toujours difficile de prévoir un assouplissement du mécanisme de révision. La légitimité des communes est en effet assez forte.

M. Jean-Pierre Viola. - Distinguons le fait de décider d'une révision du résultat et la révision elle-même. La condition de la règle de l'unanimité, avant même de savoir quelles options sont sur la table, conduit à statufier les transferts financiers. Ce n'est pas propre aux relations financières entre les intercommunalités et les communes, puisque, en vérité, les finances publiques locales sont principalement constituées d'objets statufiés, qu'il s'agisse de la plus grande partie de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ou des compensations de pertes de recettes fiscales par des attributions de parts de TVA. Les choses ont été déterminées de manière homothétique par rapport aux pertes de recettes, ce qui a consolidé des inégalités.

Un système financier local entièrement constitué de blocs figés, indépendamment des évolutions démographiques, de la manière d'exercer les compétences et du service rendu aux usagers, ne peut objectivement que créer de l'illisibilité et conduire à la désadaptation, c'est-à-dire concrètement à la juxtaposition de situations de surfinancement et de sous-financement.

Cela devient de plus en plus problématique au moment où les collectivités territoriales sont appelées à contribuer au redressement des finances publiques. En effet, avec des attributions de compensation complètement figées, tout comme d'autres éléments dans le panier de recettes des communes et des intercommunalités, quand il s'agit de répartir justement les ponctions en faveur de l'État pour redresser les finances publiques, concrètement, on surtaxe certaines collectivités et on en sous-taxe d'autres. C'est donc inéquitable.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Les mécanismes de solidarité financière vous semblent-ils suffisamment connus et utilisés, notamment la répartition dérogatoire du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) et l'institution de la dotation de solidarité communautaire (DSC) ? Vous paraît-il pertinent de rendre obligatoires l'adoption d'un pacte financier et fiscal ainsi que la distribution d'une DSC dans toutes les intercommunalités ? Avez-vousDisposez-vous d'es éléments sur l'utilisation de ces mécanismes ?

M. Jean-Pierre Viola. - Je ne sais pas ce qu'il en est de 2025, mais à ma connaissance, la double dérogation au Fpic n'était pas utilisée en 2023, pas plus que la possibilité d'obtenir le versement de DGF au niveau de l'intercommunalité, puis de la répartir en son sein en fonction de critères qui seraient peut-être mieux adaptés que ceux de la loi.

Le législateur ne peut pas intégrer parfaitement 35 000 situations locales. Là encore, il faut constater une forme de blocage.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Diriez-vous que sur vos territoires respectifs, les intercommunalités riches fonctionnent mieux que les intercommunalités pauvres ? Peut-on caricaturer la situation à ce point ? Je connais des communes pauvres où cela l'intercommunalité fonctionne bien, mais ce n'est pas la majorité des cas.

M. Nicolas Billebaud. - La Bretagne est un creuset de l'industrie agroalimentaire, un territoire extrêmement riche, avec des communes qui le sont aussi. Précisément parce que chacune pourrait presque assumer seule financièrement une grande partie des services assurés par l'intercommunalitésés, elles sont très réticentes à coopérer. Centre Morbihan Communauté est l'une des deux seules intercommunalités de France à avoir défusionné après la mise en oeuvre de la loi NOTRe.

Pour rejoindre MM. Lion et Viola, la mutualisation peut en effet être incitée par des contraintes budgétaires, mais la pertinence du bassin de vie, donc du territoire, et la volonté politique locale de coopérer sont des facteurs tout aussi importants. S'ils font défaut, ils peuvent infirmer la corrélation entre richesse et bon fonctionnement.

M. Jean-Pierre Rousselle, président de section à la chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes - J'irai dans le même sens, de manière un peu plus systémique. Je travaille sur un territoire en grande partie très riche. Dans le Rhône et l'Ain, il y avait très peu de volonté d'intégrer davantage l'intercommunalité. Des communautés de communes qui ont une ville-centre pourraient largement devenir des communautés d'agglomération, mais elles s'y refusent volontairement pour éviter davantage d'intégration. La communauté de communes qui comprend l'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, qui est une coquille vide, très riche, qui ne cherche absolument pas à développer davantage de compétences.

Nous avons bien sûr des intercommunalités très intégrées. Dans les métropoles, il y a en effet une tendance à exercer davantage de compétences, à avoir beaucoup plus de moyens et donc des compétences techniques qui rendent un service utile à la population.

Il y a aussi, y compris dans des zones riches, des communautés d'agglomération assez importantes qui, parce qu'elles sont des moteurs grâce à des élus très motivés par l'amélioration du service public, atteignent effectivement un tel résultat. Mais ce que je relève surtout, c'est que, dans de nombreuses zones riches, on traîne vraiment les pieds pour aller plus loin dans l'exercice des compétences. C'est aussi pour cette raison que les outils intégrateurs que sont les pactes de territoire, les pactes financiers et fiscaux, voire les chartes de gouvernance, ne sont pas mis en place. Les schémas de mutualisation ont parfois existé, mais, dès que la loi l'a permis, ils n'ont pas été renouvelés. Tout cela rend difficile la poursuite de l'intégration dans ces territoires. Nous avons notamment, dans le Rhône et l'Ain, des coefficients d'intégration fiscale parmi les plus bas de France.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Que font ces intercommunalités de cet argent ? Le redistribuent-elles aux communes ?

M. Jean-Pierre Rousselle. - Elles le redistribuent beaucoup, effectivement. Elles réalisent tout de même un certain nombre d'investissements nécessairement intercommunaux, car il s'agit aussi de territoires à forte progression démographique. Il n'y a pas, toutefois, de volonté de disposer d'un plan d'investissement à long terme qui répondrait aux besoins de la population.

M. Yves Roquelet. - Mon éclairage, depuis le Sud-Ouest, converge : il n'y a pas vraiment de lien entre le potentiel financier - au sens de l'argent pour agir - et les projets de développement. On pourrait même parfois constater que, dans certains territoires objectivement pauvres, notamment par rapport aux intercommunalités périurbaines ou urbaines, il y a plus de cohésion publique et d'habitude de travailler ensemble, de sorte que les difficultés financières, finalement, n'empêchent pas la réalisation du projet.

Sur les 127 communautés de communes de Nouvelle-Aquitaine, il n'y en a que quatre dont les niveaux de criticité du risque financier supposent une action. Pour l'instant, la situation financière des intercommunalités n'est pas un obstacle à la réalisation des projets, dès lors qu'il existey a une dynamique politique, un territoire adapté et des habitudes de travail commun vers un objectif, que celui-ci soit modeste, quand il s'agit par exemple de relier des villages par le transport scolaire, ou bien plus important. Le facteur dominant, c'est la capacité de la gouvernance à dégager une autorité qui entraîne tout le monde.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Quelle est votre appréciation de l'usage des fonds de concours ? À quoi sont-ils destinés ?

M. Benoît Lion. - On peut formuler les mêmes remarques sur les fonds de concours que sur le Fpic et la DSC : les critères utilisés pour leur répartition sur le territoire sont parfois absents. Le fonds de concours a plutôt pour objet l'équipementl'investissement, mais l'on peut admettre qu'il porte sur du le fonctionnement de l'équipement. Toutefois, selon les rapports des chambres régionales des comptes que nous avons consultés, les critères de répartition des fonds de concours n'étaient pas très satisfaisants quand ils existaient.

M. Jean-Pierre Viola. - Il y a une logique de redistribution...

M. Benoît Lion. - Et pas vraiment une logique de solidarité.

M. Yves Roquelet. - Dans des intercommunalités très intégrées, comme la communauté urbaine du Grand Poitiers, ou dans des communautés de communes au fonctionnement plus habituel, le manque d'encadrement de l'utilisation des fonds de concours sert parfois de prétexte pour diminuer très fortement l'emploi et la répartition de la DSC. L'intercommunalité peut ainsi dire qu'elle dispose de nombreux outils au travers des fonds de concours, grâce auxquels les communes pourront passer des appels à projets, qui sont de surcroît souvent plafonnés. Cela a pour inconvénient d'inciter les communes membres à tenter de s'inscrire dans des fonds de concours, en détachant le projet de sa pérennité et de sa capacité à être soutenu en fonctionnement. Cela dissuade aussi les intercommunalités d'adopter un discours de solidarité à l'échelle du territoire.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Les fonds de concours sont-ils fréquemment utilisés dans les 1 254 intercommunalités que compte notre pays ?

M. Jean-Pierre Viola. - Nous ne disposons pas de statistiques récentes.

M. Nicolas Billebaud. - Lesdits fonds peuvent être utilisés pour contourner ou atténuer les inconvénients ou la rigidité des mécanismes de reversement que nous avons évoqués précédemment avec les attributions de compensation.

Les chambres régionales des comptes constatent régulièrement que les motifs d'attribution des fonds de concours ne sont pas tout à fait orthodoxes au vu de la réglementation : si lesdits fonds peuvent couvrir le fonctionnement d'un équipement, le lien avec cet item n'est pas toujours évident dans les motivations d'attribution.

Cela s'explique par le fait que ce levier est moins encadré que la DSC, qui implique de fixer des critères et d'effectuer un important travail de diagnostic en amont. À l'inverse, le fonds de concours est un dispositif bien plus discrétionnaire qui permet d'apporter de la souplesse lorsque les dispositifs financiers sont trop rigides.

J'ajoute que la rigidité et le déficit d'actualisation des attributions de compensation ont pu être accentués par la chronologie. Depuis désormais plus de trente ans, des lois successives tendent à généraliser l'intercommunalité ; or il existe des effets de seuil et de gel des calculs au moment des transferts de compétences et de charges estimées, d'où des dynamiques fiscales différenciées selon qu'une commune a été intégrée en 1994 ou - pour certaines des dernières communes isolées - en 2016-2017.

Dans le premier cas, c'est l'intercommunalité qui aura le plus bénéficié des transferts de ressources, et les situations qui résultent de ces écarts ne correspondent plus nécessairement aux besoins de financement des différentes parties.

M Jean-Marie Mizzon, président. - Je souhaiterais savoir si des communes nouvelles ont été créées dans vos territoires respectifs afin de peser davantage au sein des intercommunalités. Si tel est le cas, ces nouvelles communes ont-elles été bien inspirées de procéder ainsi ?

M. Yves Roquelet. - Nous avons recensé environ 125 communes nouvelles en Nouvelle-Aquitaine, mais n'avons pas analysé précisément les causes de ces créations. Ces communes nouvelles sont essentiellement des rassemblements de communes rurales qui cherchent ainsi à atteindre une masse critique, y compris pour peser davantage dans les problématiques intercommunales du territoire auquel elles appartiennent.

Une prise de conscience d'un isolement et d'une relative impuissance semble s'être produite : ce sont souvent des sujets liés aux réseaux ou aux infrastructures de base qui enclenchent la dynamique de regroupement, mais il subsiste encore une certaine inquiétude quant à la dissolution du fait communal.

Cet outil me semble être de nature à répondre progressivement à un enjeu absolument fondamental, à savoir relier le pouvoir de décision et le fait fiscal à une représentation politique.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - De nombreuses communes nouvelles existent dans l'ouest du pays, en particulier en Bretagne.

M. Nicolas Billebaud. - C'est un fait, monsieur le président. Les quelques fusions que nous avons pu contrôler ne semblent pas motivées par le souhait de peser davantage au sein de l'intercommunalité, mais plutôt par des circonstances locales, notamment lorsque l'émiettement communal est particulièrement fort. Les dispositifs d'incitation financière ont également contribué à ce mouvement.

En dehors de très rares cas, la rationalisation de la carte intercommunale s'est plutôt bien déroulée et il ne me semble pas que le degré de conflictualité des fusions d'intercommunalités ait généré une logique de regroupement visant à peser davantage dans les arbitrages locaux.

M. Benoît Lion. - L'intercommunalité a considérablement évolué dans l'Ouest dans les années 2010, une partie des communes nouvelles ayant été créées à des fins défensives, par exemple pour faire face à un EPCI de très grande taille.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - La gouvernance des intercommunalités explique-t-elle le ressenti négatif des maires, qui peuvent s'estimer dépossédés de leurs compétences, vis-à-visau profit de cet échelon ? Des outils tels que la conférence des maires, les projets de territoire ou les pactes de gouvernance pourraient-ils être davantage mis en avant ? Sont-ils utilisés ?

M. Jean-Pierre Viola. - L'amélioration du fonctionnement de l'échelon intercommunal représente un véritable enjeu, afin qu'il apporte une valeur ajoutée plus importante et qu'il garantisse l'intégration et l'égalité de traitement des communes membres.

Les intercommunalités dont le fonctionnement laisse à désirer se caractérisent souvent par l'absence d'un projet de territoire ou par la fragilité d'un projet qui se résume à une somme d'intentions de chacune des communes membres. On observe également des problèmes de méthode, avec des projets de territoire conçus un peu hâtivement, sans diagnostic préalable, alors que ce travail préparatoire est important.

De la même manière, certains diagnostics ont été effectués en urgence afin de conclure un contrat de relance et de transition écologique (CRTE) avec l'État, sans que les élus communaux et communautaires se soient véritablement approprié le document en question.

S'ajoutent à cette liste des projets de territoire orphelins, c'est-à-dire qui ne sont pas accompagnés d'un projet pluriannuel d'investissement, alors qu'il s'agit d'une des fonctions essentielles des intercommunalités. Enfin, certains projets de territoire se bornent à traiter l'objet « intercommunalité » sans aborder le devenir des entités qui la constituent, c'est-à-dire les communes.

Pourtant, les projets de territoire les plus intéressants et les plus pertinents sont ceux qui intègrent à la fois l'exercice des compétences des intercommunalités et les moyens dont elles disposent à cette fin, mais aussi la mise en oeuvre des compétences des communes et la question de leurs moyens.

En résumé, un projet de territoire, un diagnostic préalable et un projet pluriannuel d'investissement nous semblent être des prérequis indispensables au bon fonctionnement d'une intercommunalité, en précisant que ce dernier ne se décrète pas.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - Qu'en est-il de la conférence des maires ?

M. Benoît Lion. - Ce nouvel outil, qui existait déjà dans certaines intercommunalités avant même l'intervention du législateur, n'est utilisé que très partiellement.

L'association des maires au débat se fait souvent par l'intermédiaire d'un bureau communautaire élargi afin de ne pas avoir, d'd'un côté, un bureau communautaire et, de l'autre, côté une conférence des maires : les deux formules ont été regroupées par souci d'efficacité.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Partagez-vous l'idée selon laquelle les choses importantes se jouent au en début du de mandat ? Il semble essentiel, par ailleurs, de se donner le temps nécessaire pour fédérer les maires autour d'un projet de territoire.

M. Yves Roquelet. - Les instances sont généralement mises en place et associent le plus souvent l'ensemble des élus et des maires. Une instance qui ne produit pas nécessairement des résultats immédiats ou qui laisse apparaître des désaccords majeurs n'est pas inutile pour autant : au contraire, il s'agit sans doute d'un premier jalon très positif dans la structuration intercommunale, puisque ces conférences créent des espaces de dialogue et de négociation sur des sujets structurants qui pourraient en théorie échapper à l'échelon communal.

Même les maires qui se sentent dépossédés en matière d'assainissement, d'eau ou de voirie, ou qui expriment un profond désaccord par rapport à tel ou tel schéma de ramassage scolaire viennent y exprimer leur point de vue. Il me semble que les intercommunalités accordent une grande attention à ces expressions divergentes, et qu'elles tentent jusqu'au bout de rapprocher les points de vue. Elles jouent donc un rôle de « pacification » et non d'exclusion d'une partie du territoire.

M. Hubert La Marle. - Le choix d'une politique communautaire intervient dans les six premiers mois suivant l'arrivée d'une nouvelle équipe. Dans le contre-exemple que j'évoquais en Lot-et-Garonne, on observe que le pacte de gouvernance a fait l'objet d'un refus, d'où des difficultés prévisibles pour certaines politiques communautaires.

Vous avez eu raison de rappeler que le conseil communautaire joue un rôle central, tout comme la conférence des maires. La présidence de l'EPCI donne toutefois le « la » dès le début du mandat.

M. Jean-Pierre Rousselle. - Une intercommunalité de très grande taille rassemble près d'un tiers du département de la Loire - soit quatre-vingt-dix communes -, son président ayant dépensé une énergie exceptionnelle pour aller sur le terrain et instaurer un climat participatif, en expliquant pourquoi il serait plus pertinent, par exemple, de gérer la compétence « eau et assainissement » à l'échelon intercommunal. Il est donc possible de bâtir une véritable acceptabilité, y compris dans des intercommunalités d'une telle taille.

Je tiens également à nuancer fortement l'affirmation selon laquelle les maires seraient « dépossédés ». Ces derniers ne le réalisent peut-être pas, mais ils ne sont dépossédés de rien dans la mesure où ils ne disposent déjà plus de moyens financiers, techniques et humains suffisants. À rebours de cette affirmation assez démagogique, les intercommunalités représentent plutôt l'opportunité de continuer à mener des projets sur le territoire des communes.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Votre remarque est très pertinente. J'ajoute que les maires qui connaissaient le monde d'avant l'intercommunalité sont de moins en moins nombreux et que les futurs édiles auront sans doute une perception différente de ces transferts de compétences déjà actés, ce qui pourra sans doute faciliter les choses.

J'ai également une question concernant l'attrait qu'exercent certaines métropoles sur les communautés de communes voisines, notamment en raison des services qu'elles offrent en matière de mobilité. Avez-vous connaissance de phénomènes de ce type ?

M. Jean-Pierre Rousselle. - Dans le Rhône, la métropole de Lyon a un réseau de transport très développé qui bénéficie à des petites communautés de communes très riches, situées à l'ouest, au sud-ouest et au sud-est de Lyon. Cela résulte non pas d'un accord avec la métropole, mais de la mise en place d'un syndicat mixte départemental chargé de la mobilité, qui permet d'associer des communes au réseau dans un large périmètre. Tel n'est pas le cas, a contrario, de la métropole de Saint-Étienne.

Mme Maryse Carrère, rapporteure. - L'objectif d'intégration de l'intercommunalité semble marquer le pas : cela s'explique-t-il, selon vous, par un contexte difficile ? N'oublions pas, en effet, que ces intercommunalités ont vécu la crise pandémie deu covid-19 et ont été immédiatement confrontées à des difficultés de fonctionnement, des nouveaux exécutifs ayant dû travailler en visioconférence.

Une autre hypothèse consiste à avancer que la maturation des intercommunalités n'est pas encore suffisante. Dans ce cadre, il conviendra de ne pas rater manquer l'étape des prochaines élections municipales, qui pourraient fournir l'opportunité de repartir du bon pied avec des équipes renouvelées et peut-être rajeunies.

M. Jean-Pierre Viola. - Le contexte n'est assurément pas très facile : outre le covid, l'inflation a été source de perturbations pour les finances locales. En outre, des réformes telles que la suppression de la CVAE sont loin d'être neutres pour les intercommunalités, sans oublier le fait qu'une contribution au redressement des finances publiques des collectivités locales leur est demandée en 2025.

En tant que juridiction financière, notre démarche consiste à encourager la réussite des intercommunalités, afin qu'elles remplissent au mieux les missions de service public au bénéfice de nos concitoyens. À cet effet, la Cour avait émis en 2022 un certain nombre de recommandations visant à approfondir l'intercommunalité.

Nous avions entre autres préconisé de rendre à nouveau obligatoire l'adoption d'un schéma de mutualisation, ce dispositif ayant été supprimé par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, ce qui nous semble passablement dommageable. De la même manière, nous avions préconisé de rendre obligatoire l'élaboration d'un projet de territoire pour les EPCI à fiscalité propre, en lien avec un programme pluriannuel d'investissement.

Nous avions aussi préconisé de verser la DGF au niveau des seuls EPCI, ce qui n'a pas suscité une franche adhésion ! Nous avons donc fait marche arrière par la suite, en proposant, dans le cadre d'un rapport consacré à la DGF, en octobre 2024, d'encourager le versement de la part communale de la DGF au niveau des intercommunalités. Selon nous, c'est en effet bien l'échelon local qui est pertinent pour apprécier au mieux les besoins de répartition, en lien avec la démographie et avec l'évolution des besoins des habitants.

Il s'agit aussi de desserrer les contraintes institutionnelles en permettant au conseil communautaire de modifier les montants des attributions de compensation à la majorité qualifiée des deux tiers. Si cette mesure n'est pas nécessairement consensuelle, elle nous semble essentielle étant donné que celles-cices attributions représentent 11,7 milliards d'euros en 2024, pour des produits de fonctionnement des intercommunalités qui s'élèvent à 69,1 milliards d'euros avant déduction de ces mêmes attributions.

Ce montant des attributions de compensation, considérable, est largement gelé et ne sert aucun objectif particulier, puisqu'il est déconnecté des politiques publiques d'équipement et de la démographie. Il nous semble donc impératif de mettre un terme à cette situation et de s'orienter vers une répartition qui serve un objectif de solidarité à l'intérieur de la communauté.

Au total, avant même de tenir compte des attributions de compensation, il faut savoir que près de 38 % des produits de fonctionnement des intercommunalités correspondent en fait à la compensation homothétique des pertes de recettes au titre de la taxe professionnelle et de la CVAE. Cela signifie que près de 40 % des produits de fonctionnement nets sont gelés.

Cet énorme kyste, qui n'évolue pas en fonction de la démographie, des besoins ou de critères objectifs de ressources et de charges, représente un réel problème. De surcroît, des recettes à ce point désincarnées ne favorisent pas la visibilité et l'acceptation des compétences des intercommunalités.

M. Nicolas Billebaud. - Madame la rapporteure a évoqué l'enjeu de la maturation : il convient de rappeler que les intercommunalités sont responsables de services publics indispensables à la population, mais aussi très techniques. Le panier de compétences standard des intercommunalités englobe ainsi l'eau, l'assainissement, les zones d'activité, voire la mobilité ou la gestion des déchets, ce qui les expose à des murs de financement, à la fois en termes d'investissement et de fonctionnement. L'assimilation de ces secteurs à la fois décisifs et très techniques constitue donc déjà une mission très importante pour les intercommunalités.

En Bretagne, les préfets freinent souvent l'attribution de permis de construire en raison des insuffisances des réseaux d'eau et d'assainissement : il est donc bien question d'éléments fondamentaux pour le développement de l'ensemble du territoire, au-delà même du seul périmètre de l'intercommunalité.

La prise en main de ces compétences structurantes est très chronophage et nécessite une maturation qui explique, à mon sens, le palier provisoire atteint par la dynamique intercommunale.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous remercie pour vos contributions et votre expertise.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 50.