Mardi 24 juin 2025

- Présidence de M. Gilbert-Luc Devinaz, président -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition de Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Nous accueillons aujourd'hui notre ancienne collègue Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité.

Madame la ministre, je vous remercie de votre présence à nos côtés. Je rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport et que son enregistrement vidéo, accessible en direct sur le site du Sénat, pourra par la suite être consulté en vidéo à la demande.

Vous le savez, notre mission d'information a été constituée sur l'initiative du groupe RDPI, auquel appartient notre rapporteure, Nadège Havet. Depuis la fin du mois d'avril, nous avons auditionné des responsables administratifs, des membres de la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, des universitaires, la Défenseure des droits, ainsi que des représentants d'associations d'élus et de France Travail. Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville, a été entendue la semaine dernière, et nous recevrons M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification, demain.

Par ailleurs, lors de nos déplacements dans les territoires, nous rencontrons les acteurs de terrain, notamment les conseillers France Services, ainsi que les élus. Nous étions la semaine dernière dans le Rhône, puis dans le Loir-et-Cher, et nous serons demain dans le Finistère. Un autre déplacement est prévu dans l'Yonne.

Nous avons en outre procédé sur le site du Sénat à une consultation des élus locaux, ce qui nous a permis de recueillir quelque 1 200 témoignages, principalement d'élus de la France rurale. En effet, dès le début de nos travaux, nous avons souhaité privilégier la dimension territoriale.

Notre rapport devra être remis au mois de septembre prochain.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Madame la ministre, je me joins aux remerciements du président de notre mission d'information pour saluer votre venue : c'est toujours un plaisir de vous retrouver.

Quels sont les attentes et les besoins des habitants des territoires ruraux en matière d'accès aux services publics ? Quels constats avez-vous pu dresser à cet égard ? Dans quelle mesure la fracture numérique constitue-t-elle un obstacle spécifique à l'accès aux services publics en milieu rural ? Quelles conséquences a-t-elle sur les plus jeunes et sur les seniors ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. - Je suis toujours très heureuse d'être ici. Je tiens à vous remercier du travail que vous engagez sur un sujet ô combien essentiel. En effet, le vote de nos concitoyens est souvent extrêmement corrélé à leur sentiment de proximité avec les services publics.

Vos travaux m'intéressent particulièrement. Depuis le mois d'octobre dernier, dans le cadre de mes fonctions, j'ai entrepris un tour de France qui m'a conduite à me rendre dans quarante départements, et j'ai engagé une évaluation très précise des différents plans en faveur de la ruralité : Agenda rural, plan France Ruralités, etc. Vendredi dernier, lors d'un comité interministériel aux ruralités qui s'est tenu dans les Vosges, nous avons présenté le bilan de ces analyses et un certain nombre de pistes qui, je le crois, entrent bien dans le champ de votre mission d'information.

La ruralité, c'est 22 millions de Français et 88 % des communes. Il faut parler « des » ruralités. Il y a des ruralités qui vont bien : ce sont des ruralités résidentielles ou des ruralités touristiques qui se développent, y compris dans l'intérieur des terres ; depuis la covid, nos concitoyens ont envie d'espace, d'évasion, de dépaysement... Et il y a une ruralité qui est aujourd'hui en difficulté : la ruralité agricole, qui est enclavée. En l'occurrence, deux phénomènes se cumulent : la baisse démographique et le vieillissement de population.

L'accès aux services publics est un sujet majeur. J'évoquerai la santé, l'éducation, les mobilités, les services administratifs et le commerce.

Le sentiment de déclassement ou d'abandon naît de l'éloignement ou de l'inexistence de ces services. L'enjeu, c'est ce que l'on appelle le « premier » ou le « dernier » kilomètre : permettre à nos concitoyens, quel que soit l'endroit où ils vivent, d'avoir accès à des services dans des conditions raisonnables.

Il y a des situations d'enclavement et d'inégalités. La fracture numérique, que vous avez évoquée, n'est pas le fait d'une génération : si les jeunes utilisent le téléphone avec aisance - dans certains cas, on peut même parler d'addiction -, certains sont parfois plus en difficulté qu'un certain nombre d'adultes lorsqu'il s'agit d'accomplir des formalités numériques.

Aujourd'hui, 3 millions de jeunes vivent dans la ruralité. La possibilité pour eux d'accéder à l'ensemble des services et à ce que j'appelle un « chemin de vie » - éducation, choix d'une formation, etc. - est un sujet qui doit nous préoccuper. Si le niveau d'enseignement dans la ruralité est le même qu'en ville jusqu'au collège, les difficultés commencent ensuite, en particulier pour aller au lycée et, plus encore, dans l'enseignement supérieur, avec une orientation plus rapide vers des formations professionnelles. Un tiers des jeunes en difficulté scolaire habitent dans des secteurs ruraux.

Plusieurs dispositifs existent. Celui des territoires éducatifs ruraux, mis en place dans le cadre du plan France Ruralités, est axé non seulement sur l'école, mais également sur l'ensemble des services éducatifs, avec un encadrement et un accès à la culture. Ces territoires éducatifs ruraux sont aujourd'hui au nombre de 200 ; l'objectif est de parvenir à 300. C'est extrêmement engageant, car les jeunes ruraux ont besoin d'un écosystème leur offrant la possibilité de dépasser l'assignation à résidence, souvent intellectuelle ou culturelle, qui est la leur.

Mme la ministre de l'éducation nationale a signé vendredi dernier avec le président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) une nouvelle charte autour de l'école qui inclut des points extrêmement importants. Pour l'école, le sujet, c'est la proximité. Beaucoup d'enfants doivent « supporter » du transport scolaire parfois dès la maternelle, puis pour aller au collège et au lycée. Les territoires éducatifs ruraux permettent aux jeunes de s'affranchir de la charge qu'ils s'infligent eux-mêmes quant à leur incapacité supposée à se sentir à l'aise dans des formations supérieures.

De même, des internats d'excellence ont été créés. C'est une formule extrêmement intéressante. Aujourd'hui, le taux d'occupation est de 71 %. Il s'agit d'améliorer les conditions d'apprentissage et de formation de jeunes qui sont handicapés par le temps de transport scolaire ; celui-ci dépasse parfois l'heure et demie.

J'insiste également sur la nécessité de développer à proximité des formations supérieures. Le Premier ministre a annoncé, dans le cadre du plan d'action pour renforcer l'accès aux soins, la création d'un cursus de première année de médecine dans chaque département, vraisemblablement dans le chef-lieu. L'enseignement pourrait se faire en présentiel ou d'une autre manière ; je vous invite, par exemple, à aller visiter le campus connecté de Nevers, dans la Nièvre, où les jeunes des territoires concernés peuvent s'engager dans des études supérieures sans sortir de leur univers, au moins dans un premier temps. Cela leur évite de devoir partir loin, louer un appartement et payer des frais de transport.

Nous devons travailler sur le transport scolaire. Aujourd'hui, certains jeunes font deux heures par jour de transport pour aller au lycée ; leurs journées sont plus longues que celles des adultes actifs.

Je souhaite lancer l'expérimentation - une région y est prête, la ministre de l'éducation nationale est intéressée, et nous avons déjà un transporteur qui pourrait être candidat - d'un bus scolaire qui permettrait aux élèves de travailler tranquillement à bord, comme on peut le faire, par exemple, dans un train. Cela me paraît très important : il est difficile de demander à un enfant qui se lève à cinq heures trente le matin pour prendre son bus scolaire et qui rentre chez lui à dix-neuf heures de continuer ses apprentissages à la maison...

Les maisons France Services sont une invention géniale. Cela fonctionne extrêmement bien. Aujourd'hui, on en compte 2 800. Nous espérons porter ce nombre à 2 900 en 2025 et 3 000 en 2026. Depuis leur création, en 2020, 37 millions de demandes ont été traitées. Vous le savez, dans ces maisons, l'État est présent, avec douze partenaires. On peut y gérer son dossier de carte grise, de caisse d'allocations familiales, de retraite, etc. À l'échelle nationale, le taux de satisfaction est supérieur à 96 %. Quatre démarches sur cinq sont résolues lors de la première visite.

Il existe des maisons France Services fixes et des maisons France Services itinérantes. Dans le milieu rural, l'accès aux services publics, à la santé et aux commerces doit s'effectuer de deux manières : le modèle traditionnel de l'installation fixe et l'itinérance, qui se développe aujourd'hui et qui me paraît très importante. Des maisons France Services mobiles sont installées dans des camping-cars et vont dans de nombreux villages au moins une fois par mois, par exemple le jour du marché. Le bus France Services circule partout sur le territoire ; les gens le voient sur la place du village. Faire venir le service au plus près des gens, c'est régler une partie des problèmes de mobilité, d'accessibilité et rendre visible la présence des services publics.

L'État est très engagé en la matière. Le plan France Ruralités, que nous avons présenté vendredi dernier, a acté le déploiement de ces 3 000 maisons France Services. Pour ma part, je souhaiterais que les 200 maisons que nous devons ouvrir entre 2025 et 2026 soient essentiellement, si possible, itinérantes, pour vraiment aller vers les habitants. Il s'agit de faire le premier kilomètre : le service va vers les personnes. Tout le monde a une maison France Services à vingt minutes de chez lui. J'ai dû en visiter trente-cinq : il y avait toujours des gens qui en avaient appris l'existence par un voisin, un collègue, etc. Le bouche à oreille est la meilleure des publicités.

Globalement, ce sont surtout les femmes qui les fréquentent. Il y a très peu de jeunes : à peine 6 %. Je pense que le concept ne leur est pas adapté. Culturellement, à moins d'y être incité par un parent ou un grand-parent, aller dans une maison de services publics et dans une administration est assez inhabituel pour un jeune. Pour ceux qui ont des formalités à accomplir, les maisons France Services ne peuvent pas, me semble-t-il, être la seule réponse. Il faut réfléchir - je sais qu'Élisabeth Borne y travaille actuellement - à un concept comme celui des espaces services jeunesse, implantés sur le trajet des jeunes, à proximité de leurs lieux de loisirs, de leurs lieux d'études et de leur domicile. Dans les lycées, il y a déjà des points d'information consacrés à l'orientation ; il faut y mettre aussi des services. Si les maisons France Services ont du succès, c'est parce qu'elles sont culturellement et géographiquement adaptées à leur « clientèle » ; il me paraît important de faire de même avec les jeunes.

J'aborderai ensuite le sujet de la mobilité. Les habitants des territoires ruraux qui ne sont pas desservis par les transports sont en quelque sorte assignés à résidence ; en parallèle, les personnes de l'extérieur sont découragées de venir s'y installer. Or, pour améliorer les services publics et pour permettre l'installation de commerces, il faut que la population augmente et que l'activité économique se développe.

La mobilité soulève la question de l'itinérance : il est préférable d'aller vers les gens plutôt que de les amener à se déplacer. À l'époque de la création des cantons, la distance parcourue était en moyenne de 5 kilomètres par jour ; aujourd'hui, les personnes vivant dans un milieu rural font souvent 40 kilomètres dans la journée. Le mode de déplacement majeur et incontournable est la voiture, qui est le support de plus de 80 % des déplacements, et le sera toujours à l'avenir.

On n'installera pas dans la ruralité des navettes de bus ou de train, lesquelles seraient totalement inadaptées en l'absence de flux importants : les gens n'allant pas tous travailler à la même heure, il faut une offre de mobilité souple, agile. À l'heure actuelle, on constate que les bus sont peu utilisés parce qu'ils ne passent jamais à la bonne heure ni au bon endroit, alors même qu'ils coûtent « un pognon de dingue », si vous me permettez cette expression.

Des collectivités inventent des systèmes remarquables, empreints de bon sens, pour substituer à la voiture individuelle l'autopartage et le covoiturage. L'État a financé par le biais du fonds vert, dans le cadre d'un plan doté de 90 millions sur trois ans, un certain nombre d'innovations : grâce à des applications développées par des start-up, la ligne de covoiturage remplace la ligne de bus. Ce système très vertueux crée du lien social ; il est sécurisé - ce n'est pas comme faire du stop ! - et contrôlé ; et celui qui met sa voiture à disposition touche une indemnité et bénéficie d'un système d'assurance.

Dans la Vienne, face aux problèmes de mobilité rencontrés par des jeunes qui doivent, par exemple, se rendre à un entretien professionnel ou aller faire leur apprentissage, des maires ont décidé de participer au financement du dispositif du « permis à un euro par jour » - nous en soutenons le déploiement dans le cadre du plan France Ruralités - et une partie du permis de conduire des jeunes, moyennant, par exemple, une dizaine ou une vingtaine d'heures de missions au service de la collectivité. Un maire a également passé un contrat avec Citroën pour mettre des voitures sans permis à la disposition des jeunes.

Dans le cadre du plan de 90 millions d'euros que j'évoquais - 30 millions par an sur trois ans -, 224 projets, sur les 326 déposés, ont été financés, au bénéfice de 3,9 millions d'habitants ; 19 millions d'euros ont été distribués. Les porteurs de projets sont souvent les communautés de communes, lesquelles peuvent avoir une compétence mobilité partielle, qui est souvent la mobilité du premier ou du dernier kilomètre.

Pour le financement de ces innovations en matière de mobilité, deux pistes sont envisageables.

La première existe déjà : le Parlement a autorisé le prélèvement du versement mobilité par les régions. La région doit alors reverser 10 % du montant prélevé aux communautés de communes qui sont des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) secondaires.

La seconde est relative aux recettes des amendes de police. À l'heure actuelle, une partie de ces recettes est affectée aux communes ou intercommunalités de plus de 10 000 habitants ; une autre, répartie par les départements, est versée aux communes pour financer des opérations liées à la sécurité routière. On pourrait allouer une partie de ces recettes aux intercommunalités qui développent des solutions de mobilité de premier ou de dernier kilomètre.

Je veux évoquer le déclin de la commercialité dans les territoires ruraux. Sur les 35 000 communes de notre pays, 21 000 n'ont aucun commerce. Travailler 60 heures par semaine pour tenir une épicerie dans un village permet de gagner à peine un Smic : sans viabilité économique, les commerces ne sont pas pérennes. La création des zones commerciales en périphérie des centres-bourgs a contribué à la suppression des magasins ; le phénomène est amplifié par les boulangeries qui s'implantent sur les ronds-points à l'extérieur des villes. On connaît également l'évolution négative de certains types de commerces, notamment dans le secteur textile. Or l'absence de commerces conduit à une moindre installation d'habitants : c'est le cercle de la déprise.

Un travail important avait été mené par Olivia Grégoire lorsqu'elle était ministre. Des initiatives ont été prises, telles que le plan de reconquête du commerce en milieu rural, avec un fonds de soutien au commerce rural, qui est piloté par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Le sujet est maintenant suivi par Véronique Louwagie.

Pour réimplanter des commerces dans des centres-bourgs, il faut une clientèle. Car, je le rappelle, il s'agit d'une activité qui doit être économiquement viable ! Nous connaissons tous, dans nos territoires, des maires qui ont acheté des locaux, aménagé un fournil pour le boulanger ou une chambre froide pour l'épicier. Un an et demi après une inauguration en grande pompe, le commerce ferme par manque de clients...

Afin d'atteindre cet objectif de réimplantation de commerces, deux solutions sont envisageables.

D'une part, le commerce itinérant. Il s'agit de réinventer un système qui existait auparavant dans nos campagnes, quand le boulanger et le boucher faisaient le tour des villages. Ce type de commerce permet d'aller au plus près des habitants des territoires, et d'inciter les personnes âgées à sortir de chez elles et à créer du lien social. On trouve aussi des guinguettes itinérantes, des bus transformés en cafés qui vont de commune en commune. En ce qui concerne les bars, Guillaume Kasbarian a fait voter à l'Assemblée nationale une proposition de loi permettant de faciliter l'installation de bistrots titulaires d'une licence IV en zone rurale.

D'autre part, le commerce sédentaire multi-activités. Les bureaux de tabac sont un des points d'accroche. Les buralistes ont bénéficié d'un important plan de transformation, qui leur a permis de se diversifier. Aujourd'hui, seuls 40 % des clients y achètent du tabac ; 60 % d'entre eux y viennent donc pour autre chose : jeux d'argent, café, épicerie, pain frais, presse... Je pense aussi aux formules de restauration comme les bistrots de pays, qui proposent une nourriture simple de qualité et peuvent aussi servir, par exemple, d'agence postale. L'État n'est pas resté inactif, en prévoyant une aide aux commerces multiservices.

Je veux aussi mentionner les commerces associatifs. On connaissait les cinémas associatifs ; maintenant, il y a des épiceries et des cafés associatifs, qui fonctionnent très bien. Les habitants font tourner l'épicerie, en se répartissant les tâches. Là encore, cela permet de créer du lien social. L'association Bouge ton coq soutient ces épiceries associatives en accompagnant les communes dans la construction de leurs projets.

Deux aides sont proposées : l'une à destination des collectivités pour l'investissement immobilier, jusqu'à 50 000 euros ; l'autre à destination du futur exploitant ou de l'opérateur pour l'investissement mobilier et le matériel, jusqu'à 25 000 euros.

Pour les commerces ambulants, une aide permet de subventionner à 50 % les investissements, c'est-à-dire l'achat et l'aménagement d'un véhicule.

Depuis 2023, l'État a soutenu 604 projets de commerce, qui bénéficient à 455 communes, dont 120 dans le programme Villages d'avenir. Environ 2 900 communes sont lauréates de ce programme, qui aide les maires à définir et à sécuriser leurs projets. Le montant des subventions accordées s'élève à 14 millions d'euros ; 163 projets ont déjà été livrés et 440 sont en cours.

J'en viens à l'accès aux soins. Le vieillissement de la population entraîne une hausse des besoins en matière de soins, alors que le nombre de médecins a diminué. Si l'on y ajoute le fait qu'il faut 2,23 jeunes médecins pour remplacer un médecin qui part à la retraite, on mesure l'ampleur du problème.

Les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont extrêmement importantes. On voit aussi se développer de la médecine itinérante : les médicobus, que l'on connaît bien ; un ou deux gynécobus ; et, en Haute-Saône, un département qui compte un dentiste pour 9 000 habitants, un buccobus, lancé par la Mutualité sociale agricole (MSA).

Quelque 3 700 médecins juniors interviendront l'année prochaine dans les territoires français et assureront 15 millions de consultations. C'est beaucoup, mais cela ne fait pas tout. Le Parlement a également voté l'exercice infirmier en pratique avancée (IPA).

Je vous invite à porter une attention particulière aux pharmacies, premier maillon de la chaîne de soins. Si une pharmacie ferme, vous perdez aussi médecins et infirmiers. Or, bon nombre de pharmacies ne trouvent pas de repreneur ; c'est une catastrophe. Il faut conforter les pharmacies dans l'élargissement de leurs tâches, comme les IPA. Crantez les pharmacies et vous cranterez l'accès aux soins dans les territoires ruraux. Il en est de même pour les vétérinaires : c'est un sujet important pour la santé des animaux et la souveraineté alimentaire.

Par ailleurs, le très haut débit est un sujet essentiel. La France est le pays d'Europe où le déploiement du très haut débit est le plus important. Il en est de même pour la téléphonie. Certes, chacun d'entre nous connaît une zone blanche, mais elles son peu nombreuses par comparaison avec nos voisins. Nous mobilisons 3,5 milliards d'euros pour le plan France Très Haut Débit. Avec le New Deal mobile, nous atteignons 91 % de couverture fibre et 99,2 % de couverture 4 G sur l'ensemble du territoire, soit le ratio le plus élevé à l'échelle européenne.

Dans la ruralité, cela permet de développer la télémédecine pour renforcer l'accès aux soins. Le président du département de la Meuse m'a expliqué comment se développait la télémédecine chez les pharmaciens. Nous avons les infrastructures nécessaires.

Certes, il faut prendre en compte l'illectronisme. Les conseillers numériques accompagnent les personnes en difficulté. L'âge n'est pas la cause la plus forte de l'éloignement au numérique ; le phénomène impacte aussi les jeunes.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Dans le Rhône, nous avons vu une maison France Services qui assure des permanences dans les lycées : on ne crée pas un service public supplémentaire, mais on permet à France Services d'aller vers les jeunes.

Dans certains bureaux de tabac, existe-t-il une sorte de service public d'aide au remplissage de dossiers ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. - Non.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Nous nous interrogions sur le risque de manque de confidentialité...

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. - Nous n'avons pas vu ce cas de figure ni eu de demandes à ce sujet. Peut-être qu'un citoyen, lorsqu'il règle une contravention, demande des informations complémentaires. Mais nous n'avons pas entendu parler d'une telle demande, et le président de la Confédération nationale des buralistes n'a pas évoqué ce sujet.

Mme Marie-Pierre Richer. - L'association Bouge ton coq, très active, a notamment créé l'association Médecins Solidaires. Dans quelle mesure l'État accompagne-t-il ces projets ? Les collectivités locales accompagnent énormément Médecins solidaires. L'association s'est installée à 25 kilomètres de ma commune. Une deuxième ligne sera ouverte.

Depuis que je suis sénatrice, je me bats contre la désertification pharmaceutique. On l'a vu venir de très loin. Dans les campagnes, c'est un véritable sujet avec la désertification médicale, qui entraîne de facto une désertification pharmaceutique.

La loi Valletoux permet de réaliser douze expérimentations entre pharmacies titulaires et annexes, dont une dans le Cher. S'appuyer sur l'existant fait partie des solutions. Une fois que l'agrément est vendu, il est difficile de le récupérer. Il faut réduire les carcans administratifs.

M. Éric Gold. - La ruralité est d'abord le territoire du diesel. Comme pour la météo, la présence des services publics est comptabilisée différemment selon qu'on prend en compte le réel ou le ressenti. Les cartes du ressenti de l'absence de services publics et celles du vote extrême se ressemblent : c'est là qu'est née la crise des « gilets jaunes ».

Le bon fonctionnement des maisons France Services sur le terrain est d'abord lié à la qualité des personnes qui y travaillent. Il en est de même pour les secrétaires de mairie, relais utiles et référents de confiance.

Le versement mobilité bénéficie d'abord aux agglomérations. Pourrait-on envisager qu'une part de versement mobilité soit reversée aux départements, qui ont un rôle de péréquation ? Les territoires les plus éloignés pourraient alors en profiter.

Mme Marianne Margaté. - Je sais que vous êtes attentive aux pratiques de terrain. L'innovation locale est fondamentale, mais nous sommes confrontés à l'épuisement des maires, qui voient la disparition des services publics, trouvent des palliatifs, et doivent toujours mettre la main à la poche pour les maisons communales. Cela conduit à se réinterroger sur la place de l'État. L'État est-il là uniquement pour soutenir des innovations locales ou est-il présent dans les territoires par ses services publics, avec les innovations locales qui s'y ajoutent ?

Nous assistons à un renversement de situation qui crée des tensions, de l'épuisement et du fatalisme. La Seine-et-Marne est un vaste territoire. Le service public, c'est la présence de l'État dans nos territoires. Quand ces services disparaissent, les maires se sentent abandonnés. On ressent beaucoup d'inquiétudes, notamment avec les futures contraintes budgétaires. Ce désengagement de l'État met en cause la cohésion territoriale.

Une convention de présence postale est en cours de négociation, avec un droit de veto des petites communes en cas de disparition du point de contact - il y en a 17 000. La présence postale dans nos territoires est un élément important.

M. Jean-Luc Brault. - Durant vingt-cinq ans, en tant que maire, j'ai mis en place des rachats de fonds de commerce, mais cela s'épuise. Les maires en ont ras-le-bol. Dans le Loir-et-Cher, France Services est partout, y compris dans un réseau de bus. Hormis la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui remplit parfaitement son rôle, l'administration française se réfugie derrière France Services. Lorsqu'une personne se rend aux Urssaf, à France Travail, on lui affirme qu'elle doit aller voir France Services, d'après ce que m'ont dit les salariés de cette structure.

Dans une collectivité locale de 7 000 habitants, à Vendôme et à Romorantin, j'entends la même chose : tous les cafés ou bars PMU, avec achat de jeux, sont rachetés par des Asiatiques. Le bruit court qu'entre 10 000 et 20 000 euros, ils rachètent le ticket gagnant en échange de la somme en liquide moins 10 %... En auriez-vous entendu parler ? Dans cette commune, c'est le troisième bar PMU qui est racheté par un Asiatique.

Mme Marie-Lise Housseau. - J'insiste sur les mobilités. Dans la plupart des cas, la région détient la compétence mobilité. Mais en Occitanie, elle refuse de déléguer cette compétence aux communautés de communes volontaires, arguant que si ces dernières veulent la compétence, elles devront se débrouiller pour les transports scolaires. Nous sommes très démunis, alors que la région avait précédemment fait miroiter des aides selon les projets. En réalité, on ne voit pas grand-chose.

Dans des territoires isolés comme les monts de Lacaune, ou à la frontière de deux départements, en interdépartemental, il n'y a jamais les bonnes liaisons ou les bons horaires... Il faut donner plus de souplesse aux départements.

Autre point d'alerte, les licences : chaque maire a droit à un certain nombre de licences en fonction du nombre d'habitants. On les donne gratuitement aux bars et aux restaurants. Soit ils les utilisent, soit ils arrêtent leur activité et au lieu de les rendre, ils les vendent sur le site leboncoin.fr à 10 000 ou 15 000 euros. En tant que maires, nous n'en disposons plus pour les suivants. C'est une injustice flagrante, il faut résoudre ce problème.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. - Merci pour ces questions intéressantes. Il existe un certain nombre d'associations comme 1000 cafés ou Bouge ton coq qui accompagnent les collectivités locales dans leurs projets. Bouge ton coq, qui est soutenu par l'État, a inventé le concept d'épiceries associatives. Se pose un problème de viabilité économique : si le commerce n'a pas un chiffre d'affaires suffisant, il ne peut pas vivre. Il en est de même pour Médecins Solidaire : des médecins peuvent se rendre, une semaine par mois, dans une maison de santé où il existe un secrétariat médical, dans un territoire sous-doté comme la Creuse ou la Lozère. Bouge ton coq est l'exemple même d'une très bonne formule.

J'ai déjà évoqué les pharmacies ; je n'y reviendrai donc pas.

La qualité du personnel des maisons France Services est déterminante. J'ai vu des citoyens apporter des chocolats à l'interlocutrice qui les a aidés à monter leur dossier de retraite. Il faut soutenir ces maisons.

La loi de finances de 2025 offre aux régions la possibilité de lever leur propre versement mobilité et une fraction correspondant à 10 % du versement est affectée aux AOM sur le territoire de chaque communauté de communes. Les intercommunalités, les métropoles, les communautés urbaines et les communautés d'agglomération détiennent une compétence obligatoire en matière de mobilité. On peut avoir une gare à 8 kilomètres de chez soi, mais si on ne peut les parcourir, le transport ferroviaire ne fonctionne pas. Il faut une formule souple. Ce sont les services de covoiturage qui sont les plus efficients.

L'épuisement des maires est une réalité : 13 000 élus ont démissionné. Les causes en sont multiples. La première tient à la mésentente au sein du conseil municipal. J'ai une vision différente : être élue locale fait partie de mon ADN. Dans les petits territoires, il n'existe pas de solution toute faite : ce sont souvent les associations, les élus et les acteurs économiques qui inventent la solution. Ce n'est pas à Paris que l'on inventera la solution de mobilité pour Mme Martin qui habite dans la Creuse et qui se rend trois fois par mois chez le médecin. Il appartient à l'État d'accompagner.

L'État a bien montré qu'il pouvait être présent. Certains maires disent que l'État est absent, pas les citoyens ! D'ailleurs, les maires le disent de moins en moins. J'ai rencontré entre 5 000 et 6 000 élus dans 40 départements. Lorsque les élus bénéficient des programmes Villages d'avenir et Petites villes de demain, ils sont accompagnés. Ils me parlent d'une relation constructive avec le préfet et le sous-préfet de département : l'État vient aider à monter les projets. Il ne doit y avoir qu'une voix de l'État dans les départements, à savoir le préfet. Il faut arrêter de dire qu'il faut s'adresser à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ou à d'autres directions. L'élu a un interlocuteur unique, le préfet. Il faut lui donner au préfet un droit d'adaptation et de dérogation.

Il y a un peu plus de cinquante ans, j'habitais dans un village à 50 kilomètres de Londres, qui comprenait un commerce multiservices, avec un point épicerie et un point postal. À la fin de ma journée de travail, j'allais déposer mes courriers. Actuellement, quand une seule personne se rend par jour au bureau de poste, cela pose problème ; qui plus est, le bureau est fermé quand les gens sortent du travail... Si l'on installe des agences postales dans les bureaux de tabac ou au sein des commerces multiservices, l'amplitude horaire est plus large, y compris le samedi, et cela assure un complément de ressources aux commerçants et sécurise leur boutique.

Le contrat de présence postale se termine en 2025 ; les négociations sont en cours. Philippe Wahl va quitter la présidence de La Poste. Actuellement, des bureaux de poste traditionnels se transforment en agence postale soit à la mairie, soit chez un commerçant. La Poste développe des services incroyables, comme la livraison de repas à domicile. Dans l'est de la France, elle mène une expérimentation remarquable : chez un agriculteur qui fait de la vente directe à la ferme, La Poste a installé un point relais, a développé une plateforme de e-commerce pour les agriculteurs de ce secteur et organise toute la logistique. Nous suivons les négociations sur la convention postale. Il faut garder la présence postale, même si les volumes de courrier diminuent - mais La Poste reçoit une subvention de l'État pour délégation de service public.

C'est un peu la même chose que pour la fermeture d'une trésorerie : le maire est horrifié quand on le lui annonce. Mais quand le service ne correspond plus au mode de vie des habitants, ces derniers râlent, car il n'y a pas de service après 19 heures. Si l'on veut développer l'activité, il faut faire évoluer les choses pour accueillir le flux de clients.

Il faut rénover les logements dans les centres-bourgs.

Permettez-moi de revenir sur les mobilités. La loi d'orientation des mobilités prévoit que les régions ont compétence pour les transports, y compris pour les transports scolaires, et qu'il peut y avoir transfert de compétence total ou partiel. Seul le transport des enfants handicapés incombe aux départements.

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Lors de nos visites de terrain, nous avons vu des élus très engagés et mobilisés, mais veillons à ce qu'une goutte d'eau ne fasse pas déborder le vase... Certains élus ont été dégagés relativement jeunes de leurs obligations professionnelles, cela peut poser problème. Attention à ne pas en rajouter, au risque de casser le système.

De nombreux maires pensent que certains services de l'État se défaussent sur les maisons France Services.

M. Jean-Luc Brault. - En avez-vous entendu parler ?

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. - Nous avons signé douze conventions avec les partenaires des maisons France Services. Dans les départements, l'ANCT contrôle l'effectivité de la mise en oeuvre de ce partenariat. Tous les partenaires tirent profit des maisons France Services. La personne à l'accueil de la maison France Services doit avoir le numéro de téléphone direct d'une personne dédiée chez chaque partenaire, que ce soit pour la caisse d'assurance retraite et de santé au travail (Carsat), les Urssaf, France Travail... J'évoquerai ce point avec l'ANCT.

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - C'est important pour le personnel des maisons France Services, véritables « couteaux suisses », qui sont de grande qualité.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. - Je vous remets officiellement le bilan du dernier Comité interministériel aux ruralités (CIR), réuni dans le cadre du plan France ruralités 2023-2027, et un rapport sur l'action de l'État dans les territoires. Vous y verrez la présence des Maisons France Services par région. Ces rapports seront bientôt disponibles en ligne.

M. Gilbert-Luc Devinaz, président. - Nous vous remercions de votre participation, madame la ministre.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible  en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15h10.

Mercredi 25 juin 2025

- Présidence de M. Eric Gold, vice-président -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Audition de M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification

M. Éric Gold, président. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Cette audition plénière est la dernière de notre mission d'information, mise en place à l'initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), auquel appartient notre rapporteure, Mme Nadège Havet. Notre rapport sera rendu public en septembre.

Je tiens tout d'abord à vous prier d'excuser notre président, M. Gilbert-Luc Devinaz, qui nous rejoindra dans quelques instants. J'ai donc l'honneur, en ma qualité de vice-présidente de la mission d'information, d'ouvrir la présente réunion.

Je rappelle que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit, qui sera annexé à notre rapport, et que son enregistrement vidéo, accessible en direct sur le site du Sénat, restera consultable par la suite.

Depuis la fin du mois d'avril, notre programme d'auditions a compris des responsables administratifs (Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCTla direction interministérielle de la transformation publique (DITP), direction interministérielle du numérique (Dinum), direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire (DFAE) ou encore direction générale des outre-mer (DGOM). Nous avons également entendu des universitaires, la Défenseure des droits, des associations d'élus et des opérateurs tels que France Travail, la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), etc.

Par ailleurs, lors de nos déplacements dans les territoires, nous rencontrons les acteurs de terrain, notamment les conseillers France Services, ainsi que les élus. Certains de nos collègues se sont ainsi rendus la semaine dernière dans le Rhône et dans le Loir-et-Cher. Aujourd'hui même, une délégation de cette mission se rendra dans le Finistère ; un autre déplacement est prévu prochainement dans l'Yonne.

Nous avons en outre procédé, sur le site du Sénat, à une consultation des élus locaux qui nous a permis de recueillir quelque 1 200 témoignages, principalement d'élus de la France rurale.

Tel est, monsieur le ministre, le cadre dans lequel s'inscrit cette réunion.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Monsieur le ministre, je souhaite vous poser quelques questions afin de rappeler les attentes de notre mission d'information.

Pourriez-vous, tout d'abord, nous dire quelques mots du baromètre des services publics que vous avez dévoilé au début de ce mois à Dijon ? Selon ce document, 69 % des usagers se déclarent satisfaits, donc 31 % ne le sont pas. Comment expliquer, dès lors, que France Travail ne recueille que 61 % de satisfaction, alors que le dernier baromètre de l'Institut Paul Delouvrier, mené en partenariat avec la DITP, enregistrait en 2024 une progression très marquée de 37 points pour cet opérateur ? De même, l'agglomération parisienne, avec 66 % de satisfaction, semble moins positive que le reste du territoire, dans lequel la satisfaction atteint 69 %. Le baromètre nous apprend également que les usagers souhaiteraient contacter le service public par téléphone plutôt que par voie numérique.

De nos rencontres de terrain avec les agents France Services, nous retenons qu'ils exercent un métier complexe et exigeant, assorti de lourdes responsabilités, qui requiert de nombreuses compétences et mérite une véritable reconnaissance. Or le turnover qui caractérise ces agents, probablement plus marqué en région parisienne que dans les territoires, montre qu'il existe des marges de progression en la matière. Comment prenez-vous en compte ces enjeux ?

Par ailleurs, nous avons été frappés par l'existence de sites parfois frauduleux proposant aux usagers d'effectuer des démarches contre rémunération, qu'il s'agisse de la carte grise, pour 69 euros, de Parcoursup, ou de diverses autres formalités. Sachant que ces sites apparaissent très souvent dans les premiers résultats des moteurs de recherche, comment pourrions-nous mieux les identifier ?

M. Laurent Marcangeli, ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification. - Cette mission d'information se penche sur un enjeu fondamental pour notre République : garantir l'égalité d'accès au service public. Face à cette ambition, l'idée d'une double fracture, territoriale et numérique, revient souvent. C'est une inquiétude que j'entends, mais la réalité, observée sur le terrain auprès des agents et des usagers, mérite d'être nuancée.

Ayant été élu local avant d'être ministre, je connais, comme vous, les attentes de nos territoires, lesquels souffrent parfois de difficultés d'accès aux services publics. Depuis ma prise de fonctions il y a six mois, j'ai parcouru plus de vingt départements, soit la moitié du parcours du Tour de France 2025. Je suis allé à la rencontre de nombreux interlocuteurs : policiers, gendarmes, douaniers, soignants, secrétaires de mairie, agents de France Services, mais aussi élus locaux - dont je parle le langage -, chefs d'entreprise, dirigeants associatifs et citoyens.

De ces échanges riches, je tire le constat que c'est en partant de l'expérience des usagers sur les territoires, y compris dans les zones les plus éloignées, comme les territoires insulaires et ultramarins, que nous pourrons construire des services publics plus accessibles, plus efficaces et plus équitables. Pour orienter notre action, il faut d'abord établir un diagnostic du terrain et de nos services publics au moyen d'un outil de mesure adapté.

C'est la raison pour laquelle, en réponse à la question que vous venez de poser, madame la rapporteure, j'ai dévoilé à Dijon il y a quelques semaines le premier baromètre des services publics. Il s'appuie sur une vaste enquête menée sur dix-neuf services publics du quotidien, auprès d'un échantillon de 25 000 usagers.

Ce baromètre n'est pas un simple outil de reporting ; c'est un thermomètre qui mesure la qualité perçue de nos services publics et leur accessibilité. S'il ne nous annonce pas encore un temps magnifique, il ne dit pas, loin de là, que le ciel est bas et lourd.

Dans la mesure où il est fondé sur une grille de critères et sur la perception des usagers, ses résultats peuvent différer de ceux d'autres enquêtes qui s'appuient sur des échantillons plus restreints. Notre objectif est d'atteindre une forme de réalisme. Le chiffre de 30 % d'usagers non satisfaits que vous évoquiez peut être précisé : il recouvre un faible poids d'usagers réellement insatisfaits, 11 %. À ceux-là s'ajoute un choix de réponse neutre pour 20 % des usagers, soit un cinquième qui n'a pas pris position. Le taux global de 69 % d'usagers satisfaits peut donc, au vu de la méthodologie, être jugé satisfaisant, d'autant que le nombre d'usagers « tout à fait satisfaits », qui s'élève à 26 %, est trois fois supérieur au nombre d'usagers « pas du tout satisfaits ».

Les critères de satisfaction sont également importants : la facilité de contact avec le service public, le sentiment d'avoir été accueilli avec bienveillance et respect (71 %), les délais de traitement (66 %) ou encore la simplicité des démarches. En tant que ministre de la simplification, je suis encouragé par le fait que près de deux tiers des personnes sondées (63 %) estiment que l'accès et la simplicité des démarches sont satisfaisants. L'existence de cet échelon de réponse neutre explique des résultats de satisfaction qui peuvent paraître plus faibles que dans d'autres études existantes, comme le baromètre que vous avez mentionné.

Je suis particulièrement attaché au dispositif France Services, qui suscite une très grande satisfaction dans cette enquête. Cette politique publique répond à la nécessité de densifier le réseau des services publics et d'augmenter la qualité des services rendus, notamment via le développement du métier de conseiller France Services.

J'ai participé à Dijon à un congrès des conseillers France Services des régions Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est, organisé par l'ANCT, durant lequel il a été question de leur statut, qui est en train de monter en gamme. Parallèlement, l'extension de leurs missions doit être menée avec précaution. Beaucoup de responsables politiques locaux suggèrent d'y ajouter de nouveaux services ; j'ai d'ailleurs lancé une expérimentation en ce sens dans le Cher avec la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Or les conseillers eux-mêmes nous demandent de freiner, dans la mesure où ils ont déjà dû assimiler beaucoup de choses en peu de temps.

La satisfaction est néanmoins là. Nous prévoyons le déploiement de 100 nouvelles maisons en 2025 comme en 2026 pour atteindre les 3 000 espaces annoncés à l'horizon de 2027 ; nous en sommes à 2 750. De nouvelles ouvertures seront annoncées à la rentrée prochaine, les arbitrages étant en cours avec le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

Les maisons France Services mesurent elles-mêmes leur taux de satisfaction, qui atteint 96 %. Elles sont présentes dans tous les territoires, avec près de 500 implantations dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et 1 000 en zones France Ruralités Revitalisation (ZFRR). Je me réjouis également des ouvertures dans les territoires ultramarins, comme en Martinique, où une vingtaine de points France Services ont été créés, incluant des services itinérants. Dans ma ville, Ajaccio, deux maisons France Services sont situées dans des quartiers populaires auparavant délaissés et qui vivent mieux aujourd'hui.

Notre baromètre indique que les usagers ne souhaitent pas toujours entrer en contact avec les services publics par la voie numérique, même si près de huit démarches sur dix sont aujourd'hui accomplies en ligne. C'est une préoccupation à laquelle je suis très attentif. Le tout-numérique n'est pas la réponse universelle. J'ai toujours considéré cet outil comme un levier puissant, qui doit être pensé en complémentarité de l'accueil physique ou téléphonique. La numérisation est toutefois un moyen de démocratisation et de facilité d'accès pour un certain nombre de nos concitoyens, notamment les plus jeunes.

Sur ce sujet, nous avons avancé en accélérant la mise en accessibilité de 250 démarches prioritaires d'ici à fin 2026 et en formant des experts au sein des ministères pour que l'accessibilité numérique soit pensée dès la conception des outils.

En parallèle, nous développons les autres canaux. C'est le cas avec le déploiement du plan Téléphone, qui doit garantir aux Français de pouvoir joindre facilement leurs services publics. Ce canal reste très utilisé, mais il suscite aussi beaucoup d'insatisfactions. Nous devons poursuivre nos efforts pour que nos citoyens ne redoutent plus un appel dans le vide. Des objectifs concrets ont été fixés à une trentaine de services publics : une cible de 85 % de taux de décroché par un agent, contre 78 % actuellement, la mesure de la satisfaction téléphonique, le développement du rappel et des rendez-vous téléphoniques, et un numéro de téléphone facilement identifiable sur les sites internet.

De plus, depuis 2019, le dispositif Aidants Connect encadre les démarches faites par des agents pour le compte des usagers, ce qui aide les personnes en situation de fracture numérique tout en les amenant vers l'autonomie. Ce dispositif prend son essor, avec plus de 7 000 aidants habilités dans 3 000 structures.

Pour faciliter l'accès aux services publics, il faut ensuite oser, c'est-à-dire expérimenter à la maille territoriale, au plus près des besoins. Ces initiatives sont indispensables pour répondre à la diversité de nos territoires. C'est pourquoi nous avons lancé une expérimentation dans le Cher, un territoire rural, concernant l'intégration des MDPH dans les maisons France Services. Je cherche maintenant un territoire plus urbain pour comparer les retours d'expérience.

La saturation de certaines MDPH, malgré les efforts engagés, est une réalité. En tant que ministre de la simplification, je reçois beaucoup de plaintes de Français qui ne s'en sortent plus avec les démarches répétitives qu'implique la reconnaissance d'un handicap.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - C'est justement l'objet de notre déplacement dans le Finistère.

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avec ma collègue ministre chargée de l'autonomie et du handicap, nous avons lancé des ateliers de simplification qui passent beaucoup par ces maisons départementales, pour rendre l'accès aux droits plus lisible, plus rapide et plus humain. Le Premier ministre lui-même, en tant que maire de Pau, a témoigné de situations parfois humainement très difficiles à ce sujet.

Nous avons également créé le label Services Publics +, que j'ai inauguré dans le Loiret. Cette marque de l'État, née en 2023, récompense les services publics qui se distinguent par la qualité du service rendu. J'ai eu l'occasion de le remettre à l'Urssaf Centre-Val de Loire et à la Mutualité sociale agricole (MSA) de Maine-et-Loire. Ce label se décline en médailles de bronze, d'argent et d'or, et il est temporaire, ce qui incite à l'amélioration continue. Il valorise l'engagement des agents, car la reconnaissance de leur travail est essentielle. Il faut encourager cette culture de l'excellence et de l'innovation.

Enfin, notre action publique ne sera utile que si elle est simple et lisible, ce qui me ramène à ma deuxième casquette de ministre de la simplification. Il ne s'agit pas seulement d'alléger les procédures, mais aussi d'améliorer la qualité du service et son accessibilité, tout en maîtrisant les coûts.

La simplification doit concerner tous les aspects et exige une méthode, un portage national et un maillage territorial : elle n'est pas la même à Ajaccio et à Brest. C'est tout le sens de dispositifs pilotés par la DITP, comme France Simplification. Conçu pour réduire les « irritants » au plus près du terrain, ce dispositif, à la main des préfets, vise à apporter des solutions rapides aux blocages rencontrés dans la mise en oeuvre des projets des différents acteurs. Il commence à porter ses fruits, avec 465 dossiers traités depuis le second semestre 2024, dont 350 résolus.

Jamais je n'opposerai la simplification aux agents publics, car à mon sens, celle-ci doit se faire à leur service, car c'est ainsi qu'elle se fait au service des usagers. Elle leur permet de se concentrer sur leur coeur de métier et de générer plus de lien humain. Il faut être doux avec les hommes et dur avec les processus, et ne pas opposer la technologie aux services publics. Je pense notamment à l'intelligence artificielle, qui, bien qu'elle suscite des questionnements légitimes, démontre déjà son efficacité au quotidien.

En conclusion, je mesure la responsabilité qui est la nôtre. Réduire la fracture territoriale, moderniser avec discernement et simplifier sans abaisser les standards, voilà le cap fixé par le Gouvernement. Votre mission d'information est un moment important pour faire le point, échanger et progresser ensemble.

Mme Marianne Margaté. - Je souhaite vous interroger sur l'annonce faite par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique concernant la suppression de postes de fonctionnaires afin de contribuer à l'économie recherchée de quarante milliards d'euros. Une telle démarche constitue un enjeu très politique, et même électoral au moment des élections nationales. Jusqu'où peut-on aller dans cette voie sans désorganiser nos services publics et dégrader très fortement leur qualité ?

Vous avez rappelé la demande des maires et des usagers, qui souhaitent des services publics accessibles, efficaces et de proximité. Dans le même temps, les organisations syndicales nous ont fait part à la fois du sens du service public des agents et de leur souffrance liée à des conditions de travail qui se dégradent, à une polyvalence accrue, à des cas de plus en plus complexes et au manque de reconnaissance que vous évoquiez. À cela s'ajoute la question de l'attractivité de ces métiers, puisque certaines de nos fonctions publiques ne trouvent plus de candidats.

Dès lors, disposez-vous d'éléments plus précis sur les secteurs qui seront touchés par ces suppressions de postes annoncées pour le prochain budget ? Ne craignez-vous pas que cette saignée dégrade notre service public et, ce faisant, accroisse l'insatisfaction des usagers, des élus et des agents eux-mêmes ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Avant de répondre à votre question, je souhaite, par correction, répondre à un des éléments développés par madame la rapporteure sur la région parisienne, puisque j'ai omis de le faire dans mon propos introductif.

Dans l'agglomération parisienne, il existe des zones géographiques qui connaissent de fortes tensions. Il ne faut pas se leurrer : notamment dans les territoires très denses, mais aussi dans les QPV, les services publics sont tout simplement partis. L'honnêteté m'oblige à dire que cela explique aussi ce taux d'insatisfaction. Les déserts médicaux, en outre, ne sont plus une problématique uniquement rurale ; dans nos banlieues, l'accès aux généralistes et aux spécialistes devient particulièrement difficile.

Madame Margaté, en ce qui concerne l'emploi des agents publics, je demande toujours à ceux qui font des annonces en la matière de le faire avec nuance, car la situation est obligatoirement nuancée. Il existe des disparités entre les différents versants de la fonction publique, des disparités régionales et des disparités entre certains métiers. Quand on annonce avec tambours et trompettes des chiffres de baisses d'effectifs, encore faut-il expliquer dans quel secteur on peut se permettre d'avoir moins d'agents publics, pour quelles raisons et dans quel ordre de grandeur.

Depuis 2017, les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 200 000 agents. Depuis 1997, le secteur public a crû de 23 %, contre 18 % dans le privé, pour une population qui a augmenté de 13 % à 14 % sur la même période. En 2024, la masse salariale de l'État a atteint 107 milliards d'euros, après une augmentation de 6,7 %.

Je le dis avec la plus grande franchise : au regard de la dynamique budgétaire du pays, nous ne pouvons plus nous permettre certaines choses. Par ailleurs, une hausse interviendra tout de même l'année prochaine, car elle est mécanique ; nous allons essayer de la limiter à 1,5 %. Tels sont les cadrages qui devraient être rendus définitifs et publics au moment de l'examen du budget.

Des ministères afficheront donc très certainement des baisses d'effectifs, mais pas tous. Je vois mal aujourd'hui le ministère des armées, au regard de la situation internationale, renoncer à la loi de programmation militaire que vous avez adoptée il y a peu. Il y aura également des débats sur les autres lois de programmation, comme la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) ou celle qui concerne le ministère de la justice. Ces lois, adoptées il y a moins de deux ans, sont particulièrement ambitieuses et leurs effets se répercutent déjà sur le recrutement, sans compter les évolutions de carrière, qui doivent également être prises en compte.

Je constate que de nombreux jeunes en quête de sens voudraient s'engager dans la voie du service public, mais que le manque d'attractivité et les conditions d'accès puis de mobilité les retiennent. Si nous voulons préserver le statut - les organisations syndicales y sont particulièrement attachées - il faudra sans doute restreindre le nombre d'agents pour être en mesure de mieux les payer.

Comme vous le savez, la rémunération des fonctionnaires publics et territoriaux est gonflée par les régimes indemnitaires personnels. Or ces derniers ne sont pas pris en compte pour le calcul de la retraite, ce dont les agents ne sont pas toujours conscients. En tant qu'employeur territorial - j'ai été l'employeur de 1 500 agents communaux et de 700 agents d'agglomération -, j'ai assisté à des scènes poignantes lorsque certains apprenaient, parfois à 65 ans, qu'ils ne pourraient pas payer leur crédit s'ils prenaient leur retraite.

S'il faut donc tenir un discours sincère sur la question du nombre d'agents, il convient aussi de distinguer les missions de service public. Nous avons pu constater les résultats, notamment en matière de sécurité publique et dans nos préfectures, de la politique du « 1 sur 3 » menée il y a une quinzaine d'années. Nous n'avons pas terminé de remédier au démantèlement de l'administration préfectorale qu'une telle politique a emporté. Le Président de la République souhaite du reste que nous engagions une réflexion sur les sous-préfectures.

Face à cette réalité budgétaire un peu âpre, la question des contractuels se pose, d'autant que leur rémunération n'est pas plafonnée. C'est particulièrement vrai à l'hôpital, où les différences de rémunération entre un fonctionnaire et un contractuel font dire à certains que le second est un véritable mercenaire. En tant que ministre de la fonction publique, mon rôle est d'alerter le Gouvernement à ce sujet.

Nous ne disposons pas toujours de la bande passante nécessaire, mais il faut adopter un esprit de nuance, car les fonctions publiques sont souvent dans des situations très différentes. Les arrêts maladie dans la fonction publique hospitalière ne sont pas les mêmes que dans la fonction publique territoriale.

Je m'efforcerai donc d'expliquer ce que nous proposons pour la fonction publique en ne m'en tenant pas à un diaporama PowerPoint accompagné de quelques chiffres et présenté en deux coups de cuillère à pot.

M. Hugues Saury. - Compte tenu de notre situation budgétaire, il nous faut parvenir à améliorer le service public et à retrouver la confiance de nos concitoyens sans augmenter la dépense publique.

Le baromètre des services publics est un outil très utile, mais comment le pérenniser ?

Comment accompagnez-vous localement les services publics dans l'analyse des résultats et dans la mise en place de plans d'action ? Ces plans d'action sont-ils contrôlés et évalués ?

Quelles actions menez-vous pour aider les publics fragiles ou peu familiers des outils numériques à se saisir de ces derniers ?

Enfin, le projet de carte universelle, ou « carte Vitale + », a-t-il été abandonné ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Il est prévu qu'un baromètre soit élaboré chaque année à la même période. S'il est probable que nous conservions un panel de 25 000 usagers, il sera sans doute pertinent de changer les questions et les services publics visés.

En ce qui concerne l'évaluation des résultats, j'estime que le préfet de département constitue la maille pertinente ; je suis du reste convaincu que si nous voulons poursuivre la décentralisation, il nous faudra en même temps procéder à une nouvelle vague de déconcentration des services de l'État. De même, le préfet de département doit être au coeur de tout dispositif de simplification.

La modernisation, notamment numérique, de nos services publics est par ailleurs un volet essentiel de l'amélioration des conditions de travail de nos agents et du service rendu aux usagers. Il y a deux semaines, lors du salon VivaTech, j'ai annoncé la signature, par le Gouvernement, d'un contrat avec l'entreprise Mistral prévoyant la mise à disposition d'un agent conversationnel pour 10 000 agents publics sur l'ensemble du territoire.

L'intelligence artificielle (IA) peut constituer un levier de modernisation formidable, sous réserve que celle-ci soit de confiance et souveraine, c'est-à-dire française ou européenne. L'article 15 du projet de loi de simplification de la vie économique prévoit à cet effet l'allégement des démarches nécessaires à la création de centres de données.

Le Premier ministre Barnier était convaincu de l'intérêt d'instaurer les cartes « Vitale + » que vous évoquez, mais je comprends que ce projet achoppe à ce stade sur des difficultés techniques ; Catherine Vautrin et Yannick Neuder pourraient certainement vous en dire davantage. Par ailleurs, si ce dispositif permet d'entraîner une économie certaine à partir de l'année n+1, son coût en année n constitue un frein supplémentaire.

Le principe « Dites-le-nous une fois » est un autre axe d'amélioration du service rendu aux usagers. Cela fait maintenant quelques années qu'il est appliqué, et je constate qu'il ne suffit pas de le dire une fois pour qu'il le soit partout, car on lui oppose des résistances... Comme le Premier ministre l'indiquait récemment à Nanterre, il nous faut en réalité aller plus loin et inverser la logique de la charge déclarative. Il est par exemple très pénible, pour les personnes lourdement handicapées ou leurs proches aidants, de devoir déclarer chaque année que leur situation n'a pas changé. Nous devons épargner à nos compatriotes ce type de démarche inutile et fatigante.

En ce qui concerne l'illectronisme, il nous faut former des agents à l'accompagnement des personnes concernées, qui doivent être aidées pour rattraper leur retard. Les maisons France Services constituent également des lieux propices à l'accueil de ces personnes en difficulté. À Angers, dans une maison de quartier du QPV de la Roseraie, un agent accompagne les personnes qui ne maîtrisent pas les outils numériques. À Ajaccio, dans le quartier des Jardins de l'Empereur, dont 70 % de la population est issue de l'immigration maghrébine, nous avons ouvert une médiathèque avant même d'ouvrir une maison France Services. Cela a poussé des femmes qui n'étaient pas très impliquées dans la vie de la cité à se servir d'ordinateurs et à naviguer sur internet.

Je crois à ce type d'action, même si elles ne suffiront sans doute pas. Nombreux sont d'ailleurs nos concitoyens qui continuent de demander un contact téléphonique. Tant mieux ! La création des maisons France Services visait précisément à répondre à cette demande de contact humain.

M. Hugues Saury. - Et comment parcourir le dernier kilomètre jusqu'aux usagers ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Au mois de février dernier, nous avons demandé à l'ensemble des services de l'État de nous remonter un certain nombre d'informations. Le Premier ministre devait réunir la mission de refondation de l'action publique pour faire le bilan des informations collectées et en tirer les conclusions avant l'été, mais la situation internationale et la préparation du budget l'ont conduit à reporter cette rencontre à la rentrée. Bien plus que d'un baromètre, nous disposerons alors de tous les outils pour agir, d'autant que la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État du Sénat aura également publié son rapport.

En ce qui concerne le dernier kilomètre que vous évoquiez, je souhaite développer les bus France Services et déployer leur action jusque dans les zones les plus reculées.

Mme Nadège Havet, rapporteure. - Comme vous l'avez justement indiqué, on ne peut pas en demander encore davantage aux agents de France Services. Dans la mesure où il est prévu que de nouvelles missions soient toutefois assurées dans nos maisons France Services, ne pourrait-on imaginer un système de permanences ?

Nous avons récemment appris l'existence de la plateforme Aidants Connect. Pourriez-vous nous en dire plus ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Des permanences existent déjà, si bien que tout ne repose pas sur les épaules de nos conseillers France Services. Les missions de service public qui sont assurées dans les maisons France Services ne sont pas une chasse gardée ! Il faut donc travailler localement à l'organisation de telles permanences avec les directions départementales des services publics concernés.

Aidants Connect est un service qui permet d'accompagner les usagers en toute sécurité dans leurs démarches en ligne. L'aidant et la personne aidée définissent les démarches à effectuer ensemble, puis l'aidant signe un mandat d'accompagnement avec l'usager. L'ensemble des connexions et des démarches effectuées sont dès lors tracées ou stockées.

Les 7 302 aidants professionnels habilités sont des personnes morales de droit public ou privé intervenant dans le cadre d'une mission de service public. Leur habilitation en tant qu'aidant connect est régie par un cadre légal bien établi ; les aidants familiaux, les bénévoles, les services civiques et les élus ne sont pas éligibles.

Depuis son lancement en 2019, ce service a coûté 7,6 millions d'euros, et il a permis d'accompagner 51 636 usagers dans 344 268 démarches.

M. Éric Gold, président. - Il y a quelques années, une enquête pointait le sentiment de perte de sens des agents de la fonction publique. Quelles sont selon vous les causes de ce phénomène ? Quelle est son incidence sur l'attractivité de la fonction publique ?

L'augmentation du nombre de contractuels déséquilibre les régimes de retraite et emporte une augmentation du taux des cotisations de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Comment envisagez-vous l'avenir ?

M. Laurent Marcangeli, ministre. - Pendant des années, la question du management ne s'est tout simplement pas posée dans la fonction publique. Ce n'est peut-être qu'une petite partie de la réponse à la perte de sens que vous évoquez, mais je souhaite que nos agents soient formés à la résilience en cas de cyberattaque ou de catastrophe naturelle, lesquelles sont, hélas ! de plus en plus fréquentes. En tout état de cause, il me paraît judicieux d'accompagner nos agents dans ce récit, qui n'a rien de fictif, et, partant, de promouvoir une certaine idée de leur mission de service public. De fait, c'est à nos agents qu'il revient d'assurer la continuité des services publics en cas de crise.

Je partage votre inquiétude concernant la CNRACL. À l'horizon de 2045-2050, le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités devrait approcher 1,1. Catherine Vautrin, François Rebsamen et Amélie de Montchalin pilotent les réflexions sur ce sujet, mais j'estime que l'augmentation des taux de cotisation ne peut pas constituer le seul levier d'action, car elle fait peser une charge intenable sur les hôpitaux et sur les collectivités.

M. Éric Gold, président. - Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible  en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15h.