Mercredi 22 octobre 2025

- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président -

La réunion est ouverte à 09 heures.

Projet de loi de finances pour 2026 - Demande de saisine et désignation des rapporteurs pour avis

M. Didier Mandelli, président. - Comme chaque année, nous devons désigner nos rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances.

Les circonstances dans lesquelles notre commission, et plus globalement le Sénat, sont amenés à examiner le projet de loi de finances sont très particulières, en raison tant du calendrier que du contexte budgétaire, marqué par une dégradation de nos finances publiques.

Je vous propose que la commission se saisisse pour avis sur l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 2026, afin de pouvoir se prononcer sur les dispositions thématiques qui entrent dans son champ de compétences, ainsi que sur les crédits des missions suivantes : Cohésion des territoires ; Direction de l'Action du Gouvernement ; Écologie, développement et mobilité durables ; Économie ; Engagements financiers de l'État ; Investir pour la France de 2030 ; Transformation et fonction publiques ; Recherche et enseignement supérieur ; Relations avec les collectivités territoriales ; et, le cas échéant, sur les articles non rattachés de la seconde partie qui entreraient dans le champ de compétence de notre commission.

Les articles de la première partie et les articles non rattachés de la seconde partie, qui entreraient dans le périmètre de compétence de notre commission, feront l'objet, comme depuis plusieurs années maintenant, d'un examen thématique par chacun des rapporteurs.

Enfin, je vous propose - si les débats à l'Assemblée nationale le rendaient nécessaire - de nous réserver la possibilité d'une saisine pour avis complémentaire de toute mission sur laquelle il serait indispensable que notre commission porte une appréciation dès lors que certains crédits entrent dans notre champ d'analyse et d'expertise.

Il en est ainsi décidé.

Puis, sont désignés rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2026 :

- M. Jean-Marc Delia, sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes,

- M. Stéphane Demilly, sur les crédits alloués aux transports aériens,

- M. Hervé Gillé, sur les crédits relatifs aux transports routiers,

- M. Pascal Martin, sur les crédits relatifs à la prévention des risques,

- M. Guillaume Chevrollier, sur les crédits relatifs aux paysages, à l'eau et à la biodiversité ainsi qu'à l'expertise en matière de développement durable,

- M. Fabien Genet, sur les crédits relatifs à la transition énergétique, au climat et à la recherche,

- M. Louis-Jean de Nicolaÿ, sur les crédits relatifs à la politique des territoires,

- M. Sébastien Fagnen, sur les crédits relatifs à l'aménagement numérique du territoire.

Projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales -Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

M. Didier Mandelli, président. - Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur pour avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

Ce texte a été déposé le 14 octobre dernier par le Gouvernement avec engagement de la procédure accélérée. Il a été envoyé au fond à la commission des affaires sociales, qui l'examinera le mercredi 5 novembre prochain, sa discussion en séance publique est quant à elle prévue le jeudi 13 novembre.

Je vous propose que notre commission accepte une délégation au fond sur l'article 8, qui relève de son champ d'expertise dans la mesure où il vise à lutter contre certaines pratiques frauduleuses déployées dans le secteur des voitures de transport avec chauffeur (VTC), en particulier la mise à disposition d'un tiers de l'inscription au registre des VTC et le recours au travail dissimulé.

En vue de cet examen, j'ai reçu la candidature d'Alain Duffourg. Je vous propose donc de le désigner en qualité de rapporteur.

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 24 (2025-2026) relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales et désigne M. Alain Duffourg rapporteur pour avis.

Mission flash de la commission des finances sur les difficultés de recouvrement de la taxe d'aménagement - Désignation de deux référents pour assister aux travaux

M. Didier Mandelli, président. - La commission des finances a décidé de lancer des travaux de contrôle sur les nouvelles modalités de recouvrement de la taxe d'aménagement qui sont entrées en vigueur il y a trois ans et qui se heurtent depuis à de multiples dysfonctionnements. Cette situation a pour conséquence dommageable de fragiliser sensiblement les ressources des collectivités qui en sont bénéficiaires, à savoir le bloc communal et l'échelon départemental.

Cette initiative fait suite au constat formulé par plusieurs d'entre vous qui aviez appelé l'attention du Gouvernement par le biais de questions écrites, en particulier notre collègue Nicole Bonnefoy, pour soulever ce point d'alerte dès décembre 2021.

La commission des finances a proposé à notre commission de se joindre aux prochaines auditions qu'elle doit conduire la semaine prochaine et dont la teneur sera restituée à l'occasion d'une communication en commission des finances. Cette initiative trouve son origine dans les nombreux effets de bord de cette situation, qui emporte, par exemple, des conséquences immédiates sur le financement de dispositifs tels que l'ingénierie publique gratuite dont les départements font bénéficier les communes les plus fragilisées par le manque de ressources en ingénierie.

S'agissant d'un sujet purement fiscal, il n'a pas semblé opportun de mener des travaux conjoints avec la commission des finances. Cependant, compte tenu de la dimension liée à la cohésion de nos territoires, la commission des finances, dans un esprit de collaboration, a proposé que deux référents de notre commission puissent suivre ses travaux. Je vous propose donc de désigner ces deux référents. En accord avec le président, il nous a semblé tout naturel et dans la suite logique des choses de désigner les rapporteurs de la mission d'information relative au programme Petites Villes de demain : Nicole Bonnefoy et de Louis-Jean de Nicolaÿ.

Il en est ainsi décidé.

Proposition de loi relative aux formations en santé - Communication sur les déserts médicaux

M. Didier Mandelli, président. - Notre ordre du jour invite à présent à entendre notre collègue Bruno Rojouan sur la thématique des déserts médicaux, à la suite de l'adoption par le Sénat de la proposition de loi n° 868 (2024-2025) relative aux formations en santé, déposée par Corinne Imbert.

Mon cher collègue, dans votre rapport d'information d'octobre 2024 intitulé Inégalités territoriales d'accès aux soins : aux grands maux, les grands remèdes, vous aviez préféré à la notion de « déserts médicaux » l'expression, plus juste et moins stigmatisante, de « zones médicalement sous-denses ». Vous rappeliez alors que parler de « déserts » pouvait donner une image trop sombre de nos territoires et décourager les professionnels de santé d'y exercer.

La proposition de loi de notre collègue Corinne Imbert sur les formations en santé, reprend plusieurs des préconisations émises à l'occasion de vos travaux de contrôle conduits en 2022 et en 2024, et nous pouvons collectivement nous en réjouir.

Notre commission avait choisi de ne pas se saisir pour avis de ce texte, et ce pour deux raisons principales.

D'abord, parce que son contenu porte principalement sur les modalités d'organisation des études universitaires en santé, qui relèvent de la compétence de la commission des affaires culturelles qui s'est saisie pour avis. Il importait donc de ne pas complexifier le processus d'examen de ce texte.

Ensuite, parce que le calendrier d'examen particulièrement resserré n'aurait pas permis un travail préparatoire à la hauteur de nos exigences.

Pour autant, au regard de nos travaux récurrents sur le sujet et de nos compétences en matière d'aménagement du territoire, dont l'aménagement médical constitue un volet à part entière, il nous est apparu opportun et légitime d'évoquer ce texte devant la commission et de souligner les avancées qu'il permet.

M. Bruno Rojouan. - Depuis plusieurs années, le Sénat et notre commission alertent sur la dégradation de l'accès aux soins. Les chiffres sont sans appel : près de 7 millions de nos concitoyens n'ont plus de médecin traitant, un tiers des Français vit aujourd'hui dans un territoire sous-doté, et la France a perdu plus de 2 500 médecins généralistes en cinq ans. Nous entrons dans ce que nous avions vu arriver et que je qualifiais, dans le rapport d'information adopté par la commission en 2022 et dont j'étais le rapporteur, de « décennie noire médicale ». Jusqu'en 2028, la population de médecins généralistes va malheureusement continuer à décroître.

Saisi d'un recours tendant à remédier à l'inégale répartition des médecins libéraux sur le territoire national, le Conseil d'État a jugé, le 1er octobre dernier, qu'il ne revenait pas au juge administratif d'enjoindre à l'administration de prendre des mesures tendant à répartir avec plus de justesse les médecins sur notre territoire, mais bien au législateur d'agir en ce sens. Ce n'est pas une surprise, mais un encouragement à poursuivre nos travaux.

Lundi dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi de notre collègue Corinne Imbert sur les formations en santé. Je tiens ici à saluer la qualité de son travail, qui poursuit une démarche de cohérence entre formation et aménagement du territoire, que les travaux de contrôle conduits par notre commission avaient appelée de leurs voeux. Enfin, ce texte s'attaque à la racine du problème : la manière dont nous formons et accompagnons les futurs soignants sur notre territoire.

Il corrige d'abord les effets d'une réforme de 2019 qui a profondément déstabilisé les études de santé. Le dispositif Pass-LAS - comprenant le parcours d'accès spécifique santé (Pass) et la licence « accès santé » - est, admettons-le, globalement un échec : deux tiers des étudiants échouent à intégrer les filières de médecine, maïeutique, odontologie et pharmacie (MMOP).

Le texte adopté ce lundi contient une disposition opportune visant à organiser une première année d'accès aux études de santé dans chaque département. Cette mesure est indispensable alors que vingt-cinq départements sont aujourd'hui dépourvus de première année d'accès aux études de santé et que le suivi d'études hors du département d'origine implique des coûts financiers et des contraintes logistiques significatifs.

Les profils recrutés dans les filières MMOP demeurent en effet très homogènes socialement et géographiquement : 21 % seulement des étudiants admis sont issus d'une commune rurale, 6 % d'une commune rurale peu dense et 19 % de milieux défavorisés ou assez défavorisés, soit des proportions inférieures d'un point à celles qui étaient observées avant la réforme.

Les étudiants des départements ruraux sont donc moins susceptibles d'accéder aux filières MMOP. La création de formations délocalisées constitue, dans ce contexte, une mesure de justice territoriale pour ces jeunes, mais aussi un enjeu de lutte contre les inégalités territoriales d'accès aux soins. Une récente étude de l'Insee a en effet montré que la moitié des médecins généralistes s'installait à moins de quatre-vingt-cinq kilomètres de leur commune de naissance.

Diversifier les origines géographiques des étudiants, c'est donc préparer dès aujourd'hui une meilleure répartition des médecins demain. Il s'agit d'une idée que nous défendons ici depuis longtemps : la formation n'est pas seulement une question universitaire, mais également un instrument d'équilibre territorial.

En outre, la proposition de loi répond avec pragmatisme à la problématique de mise en concurrence des filières ainsi qu'aux phénomènes d'évitement que peut engendrer l'organisation d'une première année commune fortement sélective.

Ainsi, les cursus de pharmacie souffrent de places laissées vacantes (environ 200 à la rentrée 2024), dans un contexte désormais bien documenté de diminution du nombre de pharmacies d'officine : moins 1 800 entre 2012 et 2022. En conséquence, la proposition de loi prévoit une expérimentation, souhaitée par les doyens et les pharmaciens, d'un accès direct à la filière avec un recrutement direct via Parcoursup pour les lycéens motivés par la discipline.

Cette disposition s'inscrit dans la droite ligne de la proposition n° 28 de mon dernier rapport d'information qui préconisait « l'ouverture d'une voie directe post-baccalauréat pour les études de pharmacie », nous ne pouvons donc que nous féliciter de cette avancée, portée à l'origine par notre commission.

Enfin, ce texte aborde un enjeu essentiel, celui de la formation pratique. En améliorant les conditions d'accueil des étudiants en stage, par la création d'un statut de maître de stage, correspondant à ce que nous appelons médecin accueillant, mais également en renforçant la place de ces immersions en médecine de ville, dans les maisons de santé pluriprofessionnelles ou dans les hôpitaux de proximité. Il s'agit là de contrer le risque de monopole des centres hospitaliers universitaires (CHU), trop souvent autocentrés. Cette mesure répond à un souhait de notre commission et s'articule avec l'arrivée, en 2026, de 3 900 médecins juniors.

Mes chers collègues, cette proposition adoptée il y a quelques jours, met enfin la formation au service de la santé publique, et la santé publique au service de l'aménagement territorial. Elle traduit dans la loi les principes que nous défendons depuis plusieurs années : former davantage, former autrement, et surtout, former là où les besoins sont les plus criants.

« Ambition France Transports : quel bilan ? » - Présentation du rapport de la conférence Ambition France Transports

M. Didier Mandelli, président. - Nous avons le plaisir de recevoir Dominique Bussereau, président de la conférence Ambition France Transports portant sur le financement des mobilités, impulsée par le ministre Philippe Tabarot et qui s'est tenue de mai à juillet dernier.

Son objectif était de dresser un état des lieux des besoins de financement des infrastructures et des services de transport et de proposer des pistes de financement correspondantes.

Elle a été structurée en quatre ateliers portant respectivement sur le modèle économique des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et des services express régionaux métropolitains (Serm) ; les infrastructures routières ; les infrastructures et services ferroviaires de voyageurs ; et, enfin, le report modal et le transport de marchandises.

Huit parlementaires, dont quatre sénateurs y ont participé. Hervé Maurey a copiloté l'atelier sur les infrastructures routières, Marie-Claire Carrère-Gée a participé à l'atelier sur le transport de marchandises, Olivier Jacquin a pris part à l'atelier sur le transport ferroviaire de voyageurs. Quant à moi, j'ai copiloté l'atelier sur le modèle économique des AOM et des Serm, avec la participation de Franck Dhersin.

Le principe d'une conférence sur le financement des Serm avait été introduit en 2023 au cours de l'examen de la loi du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains, par un amendement de notre rapporteur d'alors, et désormais ministre, Philippe Tabarot. Je me réjouis que cette conférence ait pu enfin se tenir, et que son objet ait été élargi à l'ensemble des mobilités.

Le sous-financement structurel des infrastructures de transport fait en effet figure de véritable serpent de mer que nous n'avons pas encore réussi à vaincre. Dès 2017, les travaux des Assises de la mobilité avaient servi de fondement à la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), qui devait faire office de boussole pour nos investissements à venir. Nous n'avions pourtant pas réussi à trouver un accord sur ce texte avec l'Assemblée nationale : nos débats avaient achoppé précisément sur la question du financement des transports dans les zones peu denses, qui demeure un problème structurant.

Depuis lors, notre commission a régulièrement mis en avant l'insuffisance des moyens consacrés à l'entretien, à la régénération et à la modernisation des infrastructures de transport, quelles qu'elles soient. Ce constat vaut tout particulièrement pour le transport ferroviaire, lequel fait face à d'importants besoins d'investissement : nous avons régulièrement tiré la sonnette d'alarme à ce sujet, notamment à l'occasion de la publication du contrat de performance de SNCF Réseau, que nous avions qualifié d'occasion manquée pour le développement du transport ferroviaire.

Le financement des infrastructures de transport est un enjeu essentiel tant pour l'aménagement du territoire que pour la décarbonation de notre économie.

Aussi, en amont de l'examen du projet de loi de finances, il nous a semblé opportun d'entendre Dominique Bussereau afin qu'il nous présente les principales conclusions et propositions de la conférence Ambition France Transports.

Je rappelle que le Premier ministre a évoqué dans son discours de politique générale devant le Sénat la possibilité de nous soumettre une loi-cadre à ce sujet.

M. Dominique Bussereau, président de la conférence Ambition France Transports. - Je dirai un mot, avant de vous présenter nos conclusions, sur l'état d'esprit de la conférence. Sa brièveté fut appréciable, car elle a contraint chacun à travailler très vite entre mai et juillet. Nous avons bien fait de la conclure en juillet, plutôt qu'en septembre, ce qui a permis à la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) et au cabinet de Philippe Tabarot de travailler durant tout l'été sur le projet de loi-cadre qui vient d'être évoqué.

Celui-ci est soumis aux aléas de la vie politique actuelle, et son calendrier prend du retard. Ayant été durant un an ministre du budget, je me souviens que nous bouclions alors le projet de loi de finances initial le 14 juillet pour le présenter au Parlement début septembre, après envoi au Conseil d'État. Nous ne connaissons plus ce genre de calendrier, malheureusement pour le bon fonctionnement de la République.

Ce projet de loi-cadre risque donc de se trouver en concurrence avec le PLF, avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et beaucoup d'autres textes. Il me semble positif, toutefois, que le Premier ministre ait annoncé qu'elle serait bien présentée.

Je vais donc évoquer les propositions de la conférence.

La première met l'accent sur les investissements de performance et de résilience des infrastructures, non seulement ferroviaires, mais aussi de ce qui reste du réseau routier national qui, bien que moins important qu'il ne le fut, se dégrade. Nous ne voudrions pas que la France connaisse le même phénomène que l'Allemagne, contrainte d'investir 500 milliards d'euros dans ses réseaux ferroviaire et autoroutier, bien qu'elle perçoive 8 milliards d'euros par an grâce à l'écotaxe LKW-Maut.

Une grande partie de notre réseau est très ancienne. Pour le maintenir en état, sans même le moderniser avec le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS), il faut ajouter, dès 2028, 1,5 milliard d'euros par an, en plus de ce que la SNCF y consacre déjà. S'y ajoutent 1 milliard d'euros pour le réseau routier national, qui a malheureusement fait l'objet d'arbitrages financiers défavorables, et 500 millions d'euros pour le fret. Les lignes nouvelles, comme celle entre Lille et Hénin-Beaumont, ont un coût très élevé, et ces sommes ne sont donc pas suffisantes pour les financer, ou permettre le développement des Serm. Or des chantiers comme le Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO) vers Toulouse et Dax requièrent de 7 à 9 milliards d'euros chacun. Il y a également de nombreux autres projets comme la ligne Lyon-Turin, la ligne nouvelle Paris-Normandie... Cela signifie donc, si l'on ne veut pas que seuls les arrière-petits-enfants de M. Moudenc voient arriver un train à grande vitesse (TGV) en gare de Toulouse-Matabiau, qu'il faudra revenir aux partenariats public-privé. C'est un avis personnel, mais cela a été entendu pendant la conférence que j'ai présidée.

Je rappelle qu'entre 2007 et 2012, nous avons lancé Tours-Bordeaux en concession, Le Mans-Rennes et Nîmes-Montpellier en partenariat public-privé, de même que le tunnel du Perthus avec l'Espagne et l'équipement du réseau en GSM-R. Le groupe SNCF, en particulier SNCF Réseau, ne s'est pas montré hostile à cette solution, ses relations avec des acteurs comme Lisea sur la ligne Tours-Bordeaux étant très apaisées.

Il faudra donc réfléchir à cette solution, notamment pour le GPSO, qui représente 400 kilomètres de lignes, car au rythme actuel des crédits publics, il sera difficile d'y parvenir. Le problème est donc posé ; les principaux acteurs de ce dossier, qu'il s'agisse d'Alain Rousset, de Carole Delga ou de Jean-Luc Moudenc sont conscients que le rythme actuel, reposant sur des avances des régions que l'État ne remboursera jamais, ou très tardivement et sans tenir compte de l'inflation, est intenable.

La conférence a entendu, lors d'une de ses réunions plénières à Bercy, le secteur privé affirmer qu'il était prêt à investir dans le ferroviaire, au vu des besoins et de la motivation des clients. La conférence Infraweek reviendra certainement sur ces sujets.

S'agissant des lignes fines de desserte du territoire, nous avons également reçu un message intéressant des régions, toutes sensibilités politiques confondues : tous les présidents de région nous ont indiqué être prêts à reprendre certaines lignes à 100 %, les contrats de plan État-région correspondant souvent à des fictions financières, à condition que l'État reprenne de son côté certaines lignes, en particulier entre les chefs-lieux de département et de région. Carole Delga songe ainsi à la ligne Toulouse-Auch, qu'elle voudrait rénover entièrement.

Le ministre a donc demandé au préfet Philizot de travailler à nouveau sur la liste des lignes fines de desserte du territoire. Un travail a également été entamé par David Valence, nommé président du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), pour faire de nouveau le point sur les priorités en la matière.

Dans la commission animée par le sénateur Mandelli, la députée Olga Givernet a eu l'idée de créer un « ferroscope », soit une grille d'analyse multicritères permettant de déterminer l'intérêt de réhabiliter ou non des voies ferrées locales, comme la ligne Angoulême-Limoges.

Par ailleurs, concernant le réseau routier, hormis le milliard d'euros nécessaire pour ce qui reste du réseau national, le réseau départemental suscite des inquiétudes. Comme ancien président de département, je constate que la baisse des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans les budgets départementaux pour cette année, et vraisemblablement pour la prochaine, aura pour variable d'ajustement, de manière inédite, le budget des routes. Je constate ainsi avec tristesse que la situation financière des départements conduit à remettre en cause les infrastructures routières. Nous avons donc demandé à François Sauvadet, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), de préparer un état des lieux de l'ensemble de ce réseau départemental, car il ne faudrait pas qu'il se détériore au moment où nous réinvestissons dans le réseau national, alors même qu'il est beaucoup plus important. En Charente-Maritime, par exemple, on compte 130 km de routes nationales et 6500 km de routes départementales.

Naturellement, la conférence a demandé que tout cela soit inscrit dans le marbre de manière pluriannuelle et stable, car en matière de transport, il n'y a rien de pire que les sauts de puce. Ancien ministre du budget, je sais toutefois combien Bercy déteste le pluriannuel : il a fallu la guerre en Ukraine pour que le ministère des finances se laisse convaincre de s'y engager en matière de défense. Nous n'avons donc pas obtenu l'arbitrage que nous souhaitions, mais nous avons arraché la perspective d'une loi-cadre définissant des ressources pérennes et suffisantes pour les transports.

Ensuite, pour améliorer les performances des investissements, il nous a semblé pertinent d'améliorer également la qualité de l'offre : proposer davantage de TER, de bus ou de trams dans une agglomération attire plus de clients et génère plus de ressources. Augmenter la vitesse commerciale et optimiser les dessertes sont donc des moyens d'améliorer la performance des infrastructures.

La proposition suivante vise à renforcer la contribution des usagers. Il semble clair que le client ne paie pas assez actuellement : dans un TER, il paie à peine 20 % à 25 % du coût, le reste étant financé par le contribuable régional ; dans un bus parisien, il paie 20 % du prix réel, le solde étant acquitté par les entreprises, via le versement mobilité, et par les impôts.

Il a donc semblé que l'on pourrait augmenter progressivement la tarification des transports. À titre personnel, et tout en respectant les maires qui ont pris ces décisions, j'estime que la gratuité est une erreur s'agissant des réseaux de transport en commun, même si chaque autorité organisatrice de la mobilité (AOM) exerce sa responsabilité. Il est toujours possible de mettre en place une tarification solidaire qui pourrait s'appliquer non pas sur un critère d'âge, mais sur un critère social, en distinguant par exemple un étudiant fortuné d'un étudiant aux revenus modestes, ou un retraité percevant 10 000 euros mensuels d'un autre n'en touchant que 1 200. Nous pouvons certainement aller plus loin en ce sens.

Dans le cadre de grands projets, il serait possible d'instaurer des taxes temporaires sur certains billets de train ou de TGV. Je me souviens que, lorsque la gare de Tours était en réfection, tout billet Paris-Tours était assorti d'une surtaxe affectée à la durée des travaux. On pourrait ainsi imaginer une surtaxe temporaire sur les billets à destination de Toulouse ou de Dax, où de nouvelles lignes doivent être construites, à condition que son montant soit directement alloué aux investissements souhaités.

Se pose ensuite la question de l'écocontribution ou, plus directement, de l'écotaxe. Si Mme Royal n'avait pas fait la bêtise de la supprimer, nous disposerions actuellement de 8 milliards d'euros par an supplémentaires pour l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France). Cette conférence n'aurait même pas eu lieu, car les financements pour les infrastructures, y compris pour les projets des agglomérations, seraient assurés.

Nous avons perdu ces 8 milliards d'euros que les Allemands, eux, perçoivent. Je rappelle que le dispositif conçu avec Jean-Louis Borloo consistait en une écotaxe payée non par le transporteur ou par le producteur, mais par le destinataire de la marchandise. Sur un kilogramme de légumes venant de Roscoff, par exemple, cela représentait trois centimes que Leclerc ou Système U acquittaient. Tous les pays européens voisins appliquent ce système et cela règle une partie de leurs problèmes.

La loi du 8 décembre 2009 relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, dite ORTF, que j'avais eu l'honneur de présenter devant votre assemblée, permet d'instaurer des écotaxes locales.

La collectivité européenne d'Alsace y réfléchit, car elle constate que les poids lourds européens empruntent l'autoroute gratuite de la rive gauche du Rhin pour éviter la LKW-Maut allemande. De même, la région Grand Est travaille à la mise en place d'une écotaxe dans la région de Thionville, près du Luxembourg, confrontée à une forte congestion. Un autre exemple se trouve au nord de Bordeaux, où neuf camions sur dix empruntent la route nationale 10, gratuite, générant une congestion absolument épouvantable et une dangerosité terrible jusqu'à Angoulême. Rien n'empêche la région Nouvelle-Aquitaine et les départements concernés de mettre en place une écocontribution sur cet axe ; la loi le permet ou peut être améliorée en ce sens.

Il existe donc de nombreuses pistes pour obtenir des ressources nouvelles, à condition que celles-ci reviennent à la collectivité qui met en place ces écocontributions. Dans le cadre de l'écotaxe Borloo, les départements avaient d'ailleurs demandé que le réseau routier départemental parallèle aux routes nationales y soit soumis, afin d'éviter les détournements de trafic, les recettes étant alors fléchées vers leurs propres budgets. Ces mesures permettraient d'accorder des ressources durables à l'Afit France.

La conférence a également indiqué que des recettes déjà liées aux transports, soit une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou la stupide - avis personnel - taxe sur les billets d'avion, pourraient être fléchées vers les politiques de transport public au lieu de partir dans le puits sans fond du budget de l'État, de même que de nouvelles ressources européennes, par exemple celles qui découlent du système d'échange de quotas d'émission (ETS).

Nous avons ensuite abordé la question des AOM locales. La commission compétente, codirigée par le sénateur Mandelli, a beaucoup travaillé sur les Serm, sans trouver de solution simple. Il nous semble cependant qu'il faut sortir de la querelle dommageable concernant le bénéfice du versement mobilité. Certaines régions s'en sont saisies, d'autres ont reporté leur décision, d'autres encore y ont renoncé après l'avoir demandé, mais pourraient changer d'avis en 2026, ce qui a provoqué une bagarre entre les autorités organisatrices de la mobilité locale et les régions.

Nous pourrions accorder un peu de liberté au système en déplafonnant ce versement mobilité. Le maire de Niort m'expliquait ainsi qu'il pratiquait la gratuité des transports parce que sa ville, troisième place financière de France en raison de l'importance des assurances, percevait tellement d'argent via ce versement qu'il y est contraint, car l'installation d'une billettique lui coûterait trop cher. Déplafonner le versement mobilité et instaurer un tarif symbolique pour les bus me semblerait une bonne solution, mais relève d'une décision locale. Pour autant, cette mesure mettrait un terme au débat sur l'utilité du versement mobilité.

En parallèle, il faudrait associer les entreprises aux AOM : il serait pertinent, par exemple, que la chambre de commerce soit autour de la table pour faire part de ses propres besoins prioritaires, dans la mesure où les entreprises paient. Ainsi, il conviendrait de revoir certaines dessertes, car les grandes zones d'activité sont mal desservies par rapport aux zones commerciales ou aux centres urbains.

Le dernier point, qui a constitué le grand débat de la conférence, concerne les concessions autoroutières. Depuis la malheureuse privatisation à l'époque du gouvernement Villepin - j'étais ministre de l'agriculture à ce moment-là, je ne fus pas de fait consulté sur cette opération -, une grande partie des bénéfices autoroutiers part vers les actionnaires de Vinci, ou vers d'autres acteurs. Il est possible d'envisager les choses différemment.

L'idée de la conférence est la suivante. Les concessions s'achèveront successivement de 2026 à 2031, nous devrons donc trouver un peu d'argent avant cela. Ensuite, il faudra mettre en place un nouveau système, avec des concessions peut-être plus nombreuses. En effet, la carte des sociétés concessionnaires correspond à celle de la construction du réseau autoroutier historique et n'a rien à voir avec nos régions administratives. Des concessions plus nombreuses permettraient de faire entrer d'autres groupes français ou européens, comme Bouygues ou NGE, et donc de diversifier les concessionnaires.

Les concessions pourraient également être un peu moins longues, pourvu que leur durée ne soit pas trop courte, au risque de décourager les candidats. Pour éviter que les ministres en charge des transports ou du budget ne réalisent des coups médiatiques, il faudra inclure dans la concession une clause de revoyure avec l'État tous les quatre ou cinq ans, définissant ce que celui-ci pourrait demander ou corriger.

Ainsi, une fois les impôts et la TVA acquittés par ces sociétés, nous estimons pouvoir dégager au minimum 2,5 à 3 milliards d'euros par an pour l'Afit France après 2026 à 2031, selon les réseaux.

Un débat a opposé ceux qui estiment que l'État doit passer les appels d'offres de concession directement par l'intermédiaire du ministère des transports et ceux qui préconisent la création d'un établissement public. Que l'on passe par un établissement public relais ou par l'État en direct, le résultat financier serait toutefois le même.

Permettez-moi une rapide synthèse de nos travaux. J'ai la conviction que, dans un pays comme le nôtre, la politique des transports est fondamentale. Elle porte un enjeu de cohésion de la société et d'aménagement du territoire, et il reste beaucoup d'efforts à faire en la matière. Elle représente aussi un enjeu pour la transition énergétique, car le meilleur moyen de la mettre en oeuvre est de développer les réseaux de transport public.

Nous observons aujourd'hui des phénomènes qui étaient inattendus il y a dix ans : le trafic des TER, celui des Intercités, celui des TGV explosent. Il y a dix ans, un jeune cadre avec son attaché-case montait dans un vol Air Inter, prendre le train paraissait ringard ; aujourd'hui, Air Inter n'existe plus et le train est au coeur des besoins de mobilité. À Paris, moins d'un ménage sur deux possède une voiture individuelle : nous sommes entrés dans un autre monde.

La conférence, très pluraliste, s'est accordée sur le fait qu'investir dans la politique des transports constituait l'une des meilleures politiques publiques possible, aussi bien pour l'État que pour les collectivités. Nous voyons l'enthousiasme et le talent avec lesquels les régions se sont emparées du transport régional et ont changé son visage en quelques années !

M. Didier Mandelli, président. - En tant que copilote de l'atelier numéro un, je souhaite vous livrer mon ressenti sur le déroulement de nos travaux. Le temps nous était compté, le rythme était très dense, avec de nombreuses réunions, plénières et interventions extérieures. Ma conclusion est qu'il est extrêmement difficile de faire travailler ensemble des personnes, des structures et des institutions même lorsque leurs objectifs sont absolument identiques.

Notre atelier portait sur les financements des AOM et des Serm, il réunissait les grandes associations d'élus, de l'AMF à France Urbaine, des structures représentant les AOM, comme le Groupement des autorités responsables de transport (Gart), présidé par notre ancien collègue Louis Nègre, ainsi que les transporteurs et tous les acteurs du secteur.

J'ai très vite été confronté à une difficulté majeure : pris individuellement, chacun dans son couloir, ces acteurs accomplissent des choses extraordinaires et sont remarquablement performants, mais, lorsqu'on leur demande de travailler ensemble, il leur est très difficile d'écouter l'autre. Chacun défend ses intérêts ou ceux de ses mandants, et l'on oublie souvent celui qui est au coeur du dispositif : le citoyen, qui devrait pourtant bénéficier de ces services et de ces équipements.

Ce constat m'a contraint à modifier complètement l'organisation que nous avions prévue et à nous adapter en permanence. J'ai même failli quitter une réunion en déclarant : « Si vous n'êtes pas capables de vous parler et de vous respecter, arrêtons ! » Il a fallu de tels coups de boutoir pour avancer.

Dominique Bussereau a présenté le résultat : nous avons tout de même réussi à formuler des propositions.

En tant que parlementaires, nous sommes sollicités en permanence par toutes ces organisations ; il est donc difficile de formaliser des propositions qui présentent le plus grand dénominateur commun possible entre les différents acteurs.

À l'heure où nous menons des réflexions sur les agences, sur les structures, etc., les outils que nous avons confortés dans la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) apparaissent comme essentiels : sanctuarisation des recettes de l'Afit France, dont l'existence même a été récemment remise en cause, ainsi que du Conseil d'orientation des infrastructures. Ces structures très peu coûteuses sont essentielles pour dessiner ce que sera demain le réseau d'infrastructures de notre pays.

Malgré un travail parfois difficile, j'ai pris beaucoup de plaisir à oeuvrer sous la présidence de Dominique Bussereau, qui a parfaitement joué son rôle d'organisateur.

M. Dominique Bussereau. - Notre système de transport, bien qu'il soit l'un des meilleurs d'Europe, présente une faiblesse : la ruralité. Je me souviens des débats auxquels j'ai participé en tant que président de l'ADF, avec Élisabeth Borne, alors ministre des transports. La LOM a établi que, dans la ruralité, la compétence revenait soit aux intercommunalités, soit aux régions. Or les régions ont d'autres priorités, avec les dépenses considérables qu'elles consacrent à l'entretien et à la modernisation du réseau, ainsi qu'à l'achat de matériel ; les petites intercommunalités, quant à elles, n'ont ni le personnel ni les moyens d'assumer cette compétence. Par conséquent, que les intercommunalités aient ou non délégué leur compétence à la région, il en résulte une grande faiblesse dans ce secteur.

J'en impute une part de responsabilité à la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), qui, en transférant le transport scolaire aux régions au lieu des départements, a empêché ces derniers de poursuivre la réutilisation des bus scolaires durant la journée pour assurer un transport local. Ainsi, toute une partie de la ruralité, où vivent malheureusement les personnes les plus pauvres, les plus âgées, les plus perdues - ce qui explique certains votes -, se retrouve pénalisée. Il s'agit là d'une vraie faiblesse structurelle.

Il faudra certainement, sur le plan législatif, remodeler le système pour compenser ce manque.

M. Didier Mandelli, président. - La future loi-cadre devrait nous permettre de corriger cela.

M. Olivier Jacquin. - Je suis ravi de retrouver Dominique Bussereau, dont la vision consolidée des quatre ateliers est précieuse.

Je tiens à souligner que cette conférence de financement n'a pas apporté de révolution, ce qui me semble sage, puisque nous avons tous, dans les différents ateliers, insisté sur la nécessité de prioriser la régénération et la modernisation des infrastructures, ainsi que la résolution du problème de la dette grise. La future loi-cadre devra confirmer cette intention.

Comme l'a indiqué Dominique Bussereau, l'un des points les plus importants concerne les revenus des autoroutes ; il est nécessaire à ce titre d'éviter le risque réel d'un débat populiste sur leur gratuité à l'approche des élections présidentielles. Un consensus pour que ces revenus financent les transports en France plutôt que de partir vers des actionnaires australiens serait de bon aloi.

Bien que n'ayant pas participé à l'atelier deux, j'ai beaucoup travaillé sur la question des autoroutes. Même si les conclusions de Philippe Tabarot retiennent le modèle de concessions modernisées, l'hypothèse d'un établissement public demeure. J'avais d'ailleurs déposé en 2022 une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative au respect des obligations légales des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à une nouvelle organisation de la gestion du réseau routier national français autour de l'Épic « Routes de France », qui couplait le réseau autoroutier au réseau routier national non concédé, ce dernier pouvant être financé par une écotaxe sur les poids lourds. Le débat ne me semble pas clos à ce sujet.

J'en viens à l'atelier trois sur le ferroviaire, auquel je participais. Il faut signaler le contexte florissant du secteur, marqué par une demande considérable et une offre insuffisante. Un consensus s'est dégagé, sous la présidence d'Olga Givernet et de Gilles Savary, pour considérer que l'actuel contrat de performance signé par Jean Castex, alors Premier ministre, était très mauvais et emportait une dégradation du réseau. L'atelier trois tout entier, et la conférence elle-même, ont jugé nécessaire d'augmenter de 1,5 milliard d'euros les financements alloués à SNCF Réseau pour maintenir en état le réseau structurant. Une somme complémentaire reste à prévoir pour les lignes de desserte fine du territoire, desquelles le préfet Philizot a été saisi. Pour les projets nouveaux, une mission complémentaire a été confiée au COI.

J'ai été surpris de la très forte importance accordée au financement par des partenariats public-privé, un an seulement après le vote de la loi sur les sociétés de financement et sur les sociétés de projet. Cette orientation a pourtant été reprise dans la conclusion.

Concernant la participation des usagers, si je partage l'avis de Dominique Bussereau sur la marge de manoeuvre existant pour les billets de TER, je considère en revanche qu'il n'y en a aucune pour les billets de TGV, gérés par le yield management en service librement organisé (SLO). Avec Jean-Luc Gibelin, nous nous sommes fortement opposés à toute taxe supplémentaire, même temporaire, sur ces produits.

Pour terminer, je souhaite interroger la commission sur une question d'avenir sensible : quid des dessertes non rentables opérées par la SNCF dans le cadre de l'ouverture à la concurrence ? Les nouveaux entrants viseront à exploiter les dessertes les plus profitables, laissant la SNCF s'interroger sur l'avenir du tiers de ses lignes, considérées comme non rentables. Le débat au sein de la commission n'a pas abouti sur ce sujet.

Plusieurs possibilités ont été évoquées : la modulation à la baisse des péages, qui sont les plus chers d'Europe, au risque de poser un problème d'équilibre à SNCF Réseau ; l'obligation de desserte, partielle ou non, pour les nouveaux entrants ; ou encore la création d'un fonds d'aménagement du territoire financé par les dessertes les plus rentables. L'intéressante contractualisation TGV-TER en Bretagne a également été mentionnée.

L'atelier trois a conclu à la nécessité de verser à la SNCF une compensation par l'État, sur le modèle des Intercités. Il a même été évoqué qu'en cas de délégation de service public non fructueuse, la SNCF assurerait ce service non rentable, moyennant compensation. Le travail reste donc à finaliser sur ce point.

M. Franck Dhersin. - Lors de la conférence de financement, j'ai siégé dans le même atelier que Didier Mandelli, qui a parfaitement résumé le travail accompli.

Je souhaite vous informer du travail que nous menons avec David Valence dans le cadre du Conseil d'orientation des infrastructures (COI). Nous avançons bien, avec l'objectif de commencer la rédaction de notre rapport vers le 15 novembre pour le rendre aux alentours du 15 décembre. Nous nous déplaçons actuellement sur le terrain : après être allés à Compiègne lundi pour visiter le canal Seine-Nord Europe, nous nous rendrons à Lyon d'ici une quinzaine de jours pour le contournement autoroutier et le Lyon-Turin, puis à Bordeaux pour le GPSO et les liaisons avec l'Espagne.

La visite de lundi fut d'autant plus intéressante qu'elle s'est déroulée en présence de représentants de la Commission européenne, qui ont rappelé leur soutien très fort au canal Seine-Nord Europe et au Lyon-Turin. Ils nous ont également alertés sur le fait que la France n'était pas toujours très efficace pour réclamer les fonds pourtant disponibles au niveau européen. Les liaisons avec l'Espagne, par exemple, intéressent beaucoup l'Europe et plusieurs centaines de millions d'euros sont mobilisables. De nouveaux crédits importants seront alloués dans le cadre du mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) qui se prépare. Malgré un tropisme vers l'Est, il existe des possibilités d'obtenir bien plus de fonds que l'on ne le croit.

La loi-cadre sur les transports se préparant, il conviendrait que notre commission commence à l'examiner avec notre ami Philippe Tabarot, ne serait-ce que dans ses grandes lignes. Peut-être pourrions-nous également approfondir la question des concessions autoroutières ?

M. Olivier Jacquin. - Je souhaite apporter un bref complément sur la question du financement des dessertes ferroviaires non rentables. Le risque est que la SNCF ou l'État sollicitent directement les collectivités territoriales, et que seules les plus riches d'entre elles puissent dès lors s'offrir le train à l'avenir.

J'ai à l'esprit un triste exemple dans ma région : la liaison Metz-Nancy-Lyon, arrêtée unilatéralement par la SNCF en 2018, n'a repris en 2024 que parce que la région, le département et la métropole de Nancy la cofinancent. J'ai interrogé les dirigeants actuels de la SNCF à ce sujet ; ils gardent le silence lorsque l'on évoque la tentation de se tourner vers les collectivités et cela m'inquiète considérablement.

M. Jacques Fernique. - La conférence Ambition France Transports a permis, dans un temps ramassé, de prendre la mesure des enjeux, de dégager les ordres de grandeur des investissements nécessaires et de définir des pistes. Celles-ci devraient être précisées dans la fameuse future loi-cadre, concept imprécis dont le calendrier d'examen s'annonce difficile. Nous savons que nous n'obtiendrons pas de loi de programmation pluriannuelle, une arlésienne un jour évoquée par Clément Beaune, alors ministre des transports.

L'arbitrage rendu par le Premier ministre de l'époque, François Bayrou, en faveur d'une loi-cadre plutôt que d'une loi de programmation soulève une question : s'agit-il d'une simple querelle sémantique ou d'un échec dommageable ? Cela signifie-t-il qu'il est impossible, dans le contexte budgétaire et politique actuel, de s'engager fermement pour réaliser nos ambitions de régénération, de modernisation, de décarbonation, d'adaptation au réchauffement, de report modal, de développement des Serm et de prise à bras-le-corps des mobilités rurales ?

Quel niveau d'exigence devons-nous avoir quant au contenu de ce texte pour éviter d'adopter une loi molle de transition avant l'élection présidentielle, se contentant d'intentions vagues ? Des dispositions fixées dans le marbre de la loi au cours des années précédentes n'ont finalement pas débouché sur des avancées. Quels critères fixez-vous pour juger de la capacité de cette loi à nourrir réellement l'essor des mobilités moins carbonées ?

Vous avez évoqué le désastre qu'a été l'abandon de l'écotaxe par Mme Royal, qui aurait constitué la ressource principale de l'Afit France. Je rappelle que le projet de loi de simplification de la vie économique nous attend dans un couloir parlementaire, et que les députés, dans leur sagesse, y ont décidé de supprimer l'Afit France. Le Sénat, j'en suis convaincu, ne les suivra pas.

Vous avez mentionné que la collectivité européenne d'Alsace et la région Grand Est avancent sur l'écotaxe pour se mettre au diapason de la LKW-Maut. Je suis satisfait de cette perspective, mais désabusé par le temps interminable qu'il a fallu pour obtenir ce progrès : le consensus politique régional était acquis dès 2004, la possibilité législative a été ouverte en 2005. Il serait dommage que le reste du pays ait besoin de plus de vingt ans pour y parvenir !

Enfin, un mot sur les mobilités du quotidien et les Serm. La commande parlementaire était que cette conférence clarifie les choses à ce sujet. Vous avez évoqué la tarification, la participation des usagers, le déplafonnement du versement mobilité ou les montages mixtes public privé. N'est-ce pas un peu court ? Je suis inquiet en entendant le président du COI nous dire que les Serm relèvent plus de la volonté locale entre territoires et région, que d'un cadrage financier national.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je souhaite évoquer la question du grand transit de poids lourds. Nous préférerions évidemment que les marchandises transitent par le rail, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Cette question trouve une illustration dans la situation de la route nationale 10, dont le trafic insupportable génère une insécurité routière permanente, un impact environnemental majeur et des coûts pour la collectivité. Ces routes nationales à deux fois deux voies, qui pourraient demain passer à deux fois trois voies face à l'augmentation incessante du trafic, sont de véritables autoroutes gratuites : des camions quittent l'A10 voisine pour emprunter ce tronçon et économiser quelques euros, c'est absolument intolérable.

Je plaide pour l'interdiction, lorsqu'une autoroute existe, que les poids lourds en sortent pour emprunter les voies de déport que sont les routes nationales ou départementales. La situation est également terrible sur la route nationale 141, maillons de la route Centre-Europe Atlantique (RCEA). Tout ce trafic se déverse ensuite sur l'agglomération de Bordeaux, puis en direction de l'Espagne.

Que peut-on faire ? Vous avez abordé l'expérimentation d'un mécanisme d'écocontribution territoriale, mais le rapport décline peu cette proposition. Pouvez-vous préciser cette position et définir à quel échelon elle s'appliquerait ? L'expérimentation d'une réduction de la vitesse dans l'agglomération d'Angoulême ne changera rien à la problématique de la pollution ou du bruit ; de surcroît, les conducteurs ne la respectent pas.

Comment réduire concrètement ce trafic majeur ?

M. Rémy Pointereau. - Je salue le travail accompli dans le domaine du transport, dont nous connaissions l'enjeu en tant qu'experts, notamment du ferroviaire. Je partage les constats ainsi que les besoins de financement identifiés, en particulier l'augmentation des investissements de 1,5 milliard d'euros par an à partir de 2028 pour améliorer la performance de l'ensemble du réseau ferroviaire structurant.

Pour autant, la situation patine sur certains grands projets comme la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (Polt) ou Paris-Nevers-Clermont et il faut avancer plus vite.

Le rapport est centré sur l'existant et sur les besoins financiers, je regrette simplement l'absence de réflexion sur l'avenir du dispositif des lignes à grande vitesse (LGV), hormis le point sur le GPSO que vous avez cité.

Il aurait été intéressant d'examiner les territoires oubliés de la grande vitesse et les enjeux d'aménagement du territoire qui en découlent, et qui ont été évoqués. J'ai à l'esprit le TGV Grand Centre Auvergne, dont je rappelle régulièrement la situation dans cette commission et que vous connaissez bien, puisque nous étions en 2007 dans votre bureau avec les parlementaires de notre région pour lancer ce projet. Comment faire pour que celui-ci aboutisse enfin ?

Ma deuxième question concerne l'écotaxe. Nous regrettons bien sûr son abandon par Mme Royal, pour autant, les portiques sont toujours en place. Ne serait-il pas possible de les utiliser pour imposer aux transporteurs poids lourds qui traversent notre pays sans rien payer une taxe, qui ne s'appellerait pas « écotaxe », le mot étant désormais banni ? Ceux-ci font le plein avant d'arriver en France et le refont ensuite en Espagne ou en Italie, sans dépenser un euro sur notre territoire.

La politique des transports est fondamentale tant en matière d'écologie que d'aménagement du territoire.

M. Hervé Gillé. - Même si l'initiative de cette conférence a été saluée par l'ensemble des groupes, nous restons dans l'attente d'une définition réelle des priorités. Qui s'en chargera ? Le COI ? De quelle manière nous assurerons-nous du suivi ? De fait, en matière d'évaluation de la politique publique des transports, il me semble que nous sommes assez médiocres. Comment mesurer la plus-value des modes de transport ?

Le temps de trajet réel se calcule en porte-à-porte. Aller vite sur une partie du parcours est une chose, disposer d'une intermodalité de qualité en est une autre. Vos travaux ne contiennent pas de propositions importantes sur le sujet.

La LGV Bordeaux-Paris est toujours déficitaire, même si la SNCF ne veut pas donner les résultats des deux dernières années, dans le contexte de mise en concurrence. De fait, la question du partenariat public-privé se pose, mais ce mode de financement a entraîné un tel coût du sillon qu'il est difficile d'atteindre l'équilibre économique, sans oublier les pertes induites par les ruptures de charge, par exemple à Angoulême, gare qui n'est pas autant desservie que ce qui avait été promis. Le problème risque d'être le même à Agen lors de l'arrivée de la ligne Bordeaux-Toulouse. Sur l'axe Paris-Lyon, la mise en concurrence a été pertinente, car les investissements publics ont été importants.

Je partage en partie votre regret au sujet du transfert des bus scolaires aux régions. Pour autant, des AOM territoriales émergent dans le cadre de regroupements de communautés de communes : organiser les mobilités à partir de telles structures peut être pertinent.

Enfin, où en est la prospective en matière de technologies de transport ? Le véhicule autonome et l'intelligence artificielle progressent considérablement dans un certain nombre de pays. Quelle logistique la France doit-elle imaginer pour envisager de telles innovations à l'horizon de trente ans ? Ces technologies risquent de tout bouleverser.

M. Stéphane Demilly. - Votre rapport de juillet dernier tend à rappeler une évidence souvent négligée : avant de construire de nouvelles infrastructures, il faut « maintenir à niveau », c'est-à-dire entretenir et moderniser les réseaux existants. Pour ce faire, vous évoquez une taxe temporaire sur les billets de TGV. Pourriez-vous détailler la mise en oeuvre pratique de cette mesure et la stratégie envisagée pour favoriser son acceptation sociale ? La pédagogie, basée sur le rappel que l'usager ne paie qu'un quart du service ferroviaire, n'est-elle pas déjà une première réponse ?

Par ailleurs, le canal Seine-Nord Europe est évoqué dans votre rapport. Vous appelez dans vos conclusions à ce que les zones concernées par cette infrastructure bénéficient, comme le Gouvernement le promet régulièrement, de dérogations au « zéro artificialisation nette » (ZAN), compte tenu des bénéfices du projet en matière de décarbonation. Vous invitez également à simplifier les procédures en matière d'implantation de plateformes multimodales et logistiques. Ces remarques vont dans le bon sens.

M. Simon Uzenat. - Premièrement, s'agissant des Serm, vous mettez l'accent sur le renforcement des coopérations entre régions et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). J'y souscris complètement. La Bretagne a ainsi créé Bretagne Mobilités, un syndicat mixte SRU pionnier. Elle a également nettement renforcé son offre de trains express régionaux (TER), avec l'achat de rames financées à 70 % par la région et à 30 % par les intercommunalités partenaires. De plus, des lignes de car sont mutualisées entre la région et les intercommunalités rurales.

Pour autant, la question centrale reste celle des moyens dont disposent ces différentes collectivités. À cet égard, le projet de loi de finances pour 2026 nous inquiète.

Deuxièmement, les régions n'étaient pas considérées comme des AOM dans la LOM. Avec, le législateur a voulu corriger cette erreur dans la loi de finances initiale pour 2025 en adoptant le versement mobilité régional et rural (VMRR). Cette mesure, un impôt de production, est toutefois un pis-aller. J'émets de fortes réserves sur le déplafonnement du versement mobilité, mais nous partageons d'autres de vos propositions.

Puisqu'il n'y a pas de raison que seule la région Île-de-France bénéficie de cet instrument, avez-vous des garanties de la part du Gouvernement pour faire avancer au cours des prochaines semaines le dossier de la taxe de séjour additionnelle ? En revanche, je ne vous surprendrai pas en précisant que la Bretagne est défavorable à l'écotaxe. Nous comprenons toutefois que les régions directement concernées par les flux de transporteurs, notamment transfrontaliers, veuillent la mettre en place.

De surcroît, le système de financement des régions atteint ses limites ; je pense aux recettes de la TICPE. La Bretagne a dû augmenter la taxe sur les cartes grises pour compenser la hausse des péages ferroviaires. Ces derniers ne sont pas évoqués directement dans le rapport, mais leur montant est bien trop élevé pour les collectivités.

Troisièmement, avez-vous des précisions à apporter sur les modalités de classement en lignes de desserte fine du territoire (LDFT) ? Vous évoquez une revue générale de ces réseaux qui pourrait être dirigée par le préfet Philizot, dans la continuité de son rapport de 2020. Comment envisagez-vous d'y associer les premières collectivités concernées, à savoir les régions ayant conclu un contrat de plan État-région (CPER) ?

M. Jean-Claude Anglars. - La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, a donné la possibilité aux régions ou aux départements de reprendre à leur compte des axes du réseau routier national non concédé et, ainsi, de mener à leur terme des chantiers autoroutiers. Je pense aux autoroutes du Massif central, et je souhaite rendre hommage à cette occasion au travail de Valéry Giscard d'Estaing sur l'A75, ou à l'ancienne RN88 sur l'axe Toulouse-Lyon. À votre avis, comment trouver les financements ? Il n'est pas à la mode de construire de nouvelles autoroutes, mais nous tenons pourtant à mailler l'ensemble des territoires.

M. Pierre Jean Rochette. - Je sais qu'une majorité d'entre nous est favorable au versement mobilité, mais, à long terme, si son montant devient trop élevé, nous assisterons à des phénomènes d'évasion fiscale au sein même du pays : des entreprises déménageront leur siège social de certaines collectivités du fait d'un versement mobilité trop élevé.

Associer le monde économique aux AOM pour définir le tracé des réseaux de transports collectifs me semble, à l'inverse, être une excellente idée. En effet, les grandes entreprises ne profitent pas réellement d'un service auquel elles contribuent pourtant à travers le versement mobilité. Par exemple, celles qui sont classées Seveso ne peuvent bénéficier de services de transport à proximité immédiate de leurs installations, car la réglementation le leur interdit.

Au-delà de l'écotaxe, les transporteurs français de marchandises et de voyageurs sont profondément irrités par le cabotage de marchandises dérégulé et non contrôlé, opéré par des transporteurs étrangers opérant sur toutes les routes du pays qui ont par ailleurs tué le pavillon français. Le sujet n'est jamais abordé, mais il serait possible de récupérer certaines ressources en se penchant sur ce problème. Le constat vaut également pour le transport de voyageurs : les parkings des aéroports de région parisienne sont pleins d'autocars qui effectuent pendant plusieurs mois du transport dans la capitale.

En matière d'AOM, il serait bon de ne pas reproduire les erreurs du passé. Certains voient dans la gratuité une opportunité pour réduire les dépenses de billettique! Je vous garantis que, dans dix ans, nous ne parlerons plus de billettique : le paiement des titres de transport se fera par téléphone, comme c'est déjà le cas au Royaume-Uni et dans de nombreux pays asiatiques. Aussi, arrêtons de dépenser des millions d'euros dans la billettique : c'est un faux sujet. Soit l'on est pour la gratuité, soit l'on est contre. À titre personnel, j'y suis farouchement opposé.

Ne refaisons pas non plus l'erreur de superposer les réseaux au lieu de les envisager de manière globale. Les infrastructures qui se créent dans les communautés de communes et les communautés d'agglomération dans le cadre de la loi LOM ne disposent parfois d'aucune connexion avec celles d'autres collectivités. Rendre la maille plus large ne suffit pas à éviter les dysfonctionnements.

Dans le cadre du renouvellement des concessions autoroutières, je nous invite à réfléchir à la constitution d'allotissements dans certaines régions : intégrons au lot délégué à un exploitant autoroutier des routes départementales, non payantes et non vouées à le devenir, mais que nous n'avons plus les moyens d'entretenir. Ainsi, le concessionnaire gérerait non plus l'autoroute payante seule, mais également une partie du réseau alentour.

M. Guillaume Chevrollier. - La faiblesse des mobilités dans la ruralité est la cause de fractures territoriales et sociales. Si les régions, en tant qu'opérateurs de mobilité, se félicitent d'être les futures destinatrices exclusives des bénéfices des péages des concessions autoroutières, les autres collectivités expriment leurs inquiétudes. Comment justifiez-vous l'absence des routes départementales du rapport, elles qui incarnent les déplacements du quotidien et dont le réseau se dégrade malgré l'engagement des conseillers départementaux ?

M. Dominique Bussereau. - Quelle est la différence sémantique et politique en matière de finances publiques entre une loi-cadre et une loi pluriannuelle ? Nous eussions préféré une loi pluriannuelle pour le financement de mobilités, car les contours d'un tel texte sont bien définis. Il appartiendra au Sénat et à l'Assemblée d'enrichir le contenu du projet de loi de Philippe Tabarot pour faire en sorte que celle-ci ne soit pas trop molle.

Je vous signale qu'un travail très intéressant est mené actuellement par le Haut-commissariat au Plan : Clément Beaune, actuel Haut-commissaire à la Stratégie et au Plan, a demandé au préfet Michel Cadot de réfléchir avant la fin du mois de décembre prochain à la manière de lier les procédures juridiques et financières au moment de développer de grands chantiers. Pourquoi s'embêter avec une déclaration d'utilité publique (DUP) si le financement fait défaut ? J'ai à l'esprit l'exemple de l'autoroute Toulouse-Castres. De plus, comment le Parlement pourrait-il contrôler cette articulation entre le juridique et le financier ? Je fais confiance à Michel Cadot pour faire des propositions à ce sujet.

La mise en place de la redevance poids lourds en Alsace a pris trop de temps. Un article de la loi ORTF, que j'ai défendue devant votre assemblée, permettait le financement local. Lorsque le Gouvernement a proposé une écotaxe, les projets locaux en la matière ont pris du retard. Je partage l'avis de Nicole Bonnefoy sur la RN10 : la mise en place d'une écocontribution serait la bonne solution. La loi le permet, reste à défendre politiquement la mesure.

Monsieur Pointereau, je vous rejoins quand vous regrettez l'absence de réflexion sur la création de lignes. Par ailleurs, les portiques ne servaient à pas grand-chose, même s'ils ont été le réceptacle de la colère contre l'écotaxe : chaque poids lourd aurait eu, comme en Allemagne, un mini-boîtier compatible avec les autres réseaux européens et aurait reçu une facture à la suite de la communication d'informations aux satellites. Les portiques servaient non pas de péage, mais d'outil de surveillance contre les personnes qui trichaient en se passant de ces boîtiers. Une grande partie d'entre eux a été démontée : il n'en reste plus beaucoup.

Pour en venir à la ligne Polt, je défends toujours la création d'une nouvelle ligne Paris-Lyon, prévue depuis le Grenelle de l'environnement et qui apporterait la grande vitesse au centre de la France. Elle partirait de la gare d'Austerlitz, dont le trafic est actuellement faible au regard de ses potentialités, et passerait par Clermont-Ferrand, pour une arrivée à destination en deux heures. Il faudra la construire un jour, car les sillons de la ligne Paris-Lyon, malgré l'ERTMS (European Rail Traffic Management System) et les moyens consacrés, connaîtront la saturation avec l'arrivée des nouveaux opérateurs.

Qui définira les travaux prioritaires à mener sur le réseau ferroviaire ? Au-delà de la future loi-cadre, j'espère que vous vous en chargerez, sur le modèle du Parlement suisse, qui en décide ainsi tous les trois ou quatre ans. Je préfère que de telles décisions soient prises par les parlementaires plutôt que par des technocrates.

Je souscris aux propos sur la nécessité d'adopter une approche des trajets dans une logique de porte-à-porte, mais je ne suis pas complètement d'accord avec vous, monsieur Gillé, sur la ligne Paris-Bordeaux. Guillaume Pepy était réticent à y faire circuler en nombre des TGV, car ceux-ci auraient acquitté un péage à une autre entité que la SNCF, l'État ayant construit les sillons Paris-Tours et Vinci le reste. Il en a résulté une offre insuffisante et des destructions de TGV Atlantique ou Sud-Est, alors qu'ils auraient pu être rénovés. Le problème n'est donc pas tant le coût des péages que le manque de trains : la SNCF s'est trompée au départ. La mission menée par Jean Auroux sur les dessertes, bien que de grande qualité, n'a malheureusement pas porté ses fruits.

Les constats sur la fréquentation de la gare d'Angoulême relèvent de la plaisanterie de garçon de bains ! Au vu du monde sur les quais, elle ne saurait être déficitaire, je n'y crois pas un seul instant. Le modèle du TGV allemand, l'ICE, fondé sur la connexion de villes très proches les unes des autres, est précisément rentable du fait du grand nombre de dessertes.

Je souscris à l'importance de la transparence. Quant à la surtaxe temporaire sur les billets de TGV, monsieur Demilly, cette idée n'a pas fait l'unanimité, du fait de sa complexité.

Il faut, en effet, faire de la pédagogie sur la part des services de transports collectifs réellement payée par les usagers. Je suis heureux quand des maires expliquent à la télévision qu'une journée de crèche facturée 10 euros en coûte en réalité 400 à la commune.

Une difficulté a été évoquée au cours de la conférence : du fait des contraintes très dures du ZAN en matière d'urbanisation, la logistique s'éloigne des zones de livraison. Cela oblige à des déplacements coûteux et néfastes pour l'environnement, d'où notre insistance sur le canal Seine-Nord Europe : l'infrastructure sera payée en partie par les installations logistiques. Pour décarboner, il faut se situer au plus près des besoins et le réseau fluvial est intéressant à ce titre.

Quand nous avons interrogé le président de la région Bretagne sur la possibilité de déployer des Serm autour de Rennes, il nous a répondu qu'il souhaitait plutôt en créer à l'échelle de la région. La remarque est ambitieuse, mais la réflexion intelligente ! C'est d'ailleurs la seule région qui a monté un bon conventionnement avec ses collectivités d'échelon inférieur pour les dessertes de TGV.

La taxe de séjour additionnelle existe déjà : elle a été appliquée durant les jeux Olympiques et l'est encore dans certaines communes autour de Bordeaux et de Toulouse. Le mécanisme mériterait d'être développé. Peut-être la taxe sur les petits colis, introduite par le Gouvernement dans le projet de loi de finances actuel, sera-t-elle fléchée vers les investissements dans le secteur des transports ?

Les péages ferroviaires sont-ils trop élevés ? À titre personnel, je ne le pense pas, car les besoins sont immenses. Certaines caténaires datent de 1930 ! Même si le montant demandé aux régions est important, je ne vois guère d'autres moyens de financer la rénovation du réseau.

Je suggère au président Mandelli d'auditionner le préfet Philizot, pour que ce dernier présente les conclusions de son travail. Il est intéressant de noter que la position des régions a évolué sur la répartition des compétences entre elles et l'État, sachant que les contrats de plan ne sont malheureusement pas respectés. Souvent, des engagements pris à l'égard des régions ne sont pas financés.

Monsieur Anglars, il faut trouver le moyen de financer les autoroutes inachevées. Les propos de M. Rochette sur le versement mobilité sont justes.

Le transport routier français est dans un état épouvantable, comme en atteste un article paru ce matin dans Les Échos. Les transporteurs hexagonaux n'assurent que 8 % du transport international qui transite par notre pays. Désormais, les routiers sont non plus seulement polonais, mais aussi philippins ou boliviens. Même le transport routier en provenance et à destination de notre pays n'est plus assuré par des entreprises nationales qu'à 43 %. Le secteur connaît de très grandes difficultés.

La conférence a étudié la création d'allotissements quand seront négociées les nouvelles concessions autoroutières, si l'État, pour les routes nationales, et les départements, pour les routes départementales, sont d'accord. L'objectif est d'assurer un entretien des réseaux routiers de manière intégrée.

Le président de l'ADF que j'ai été regrette que la conférence ait un peu oublié le réseau départemental. Les collectivités en question n'avaient pas terminé l'audit de leurs besoins. Il n'en demeure pas moins que ce réseau routier tombera en quenouille du fait de la baisse des ressources des départements. Il convient de lui apporter des solutions urgentes.

M. Olivier Jacquin. - La conférence ne s'est pas penchée sur le secteur aérien, le secteur maritime ou la voiture individuelle.

M. Dominique Bussereau. - Nous ne pouvions pas travailler sur les secteurs maritime et aérien, car ces modes de transport sont complètement internationalisés. Nous nous sommes néanmoins penchés sur la desserte des aéroports et des ports.

En outre, l'électrification totale du parc de poids lourds est un enjeu : à quelle vitesse cette transformation se produira-t-elle et quels investissements nécessitera-t-elle afin que notre réseau routier permette les déplacements à longue distance de ces véhicules ?

M. Didier Mandelli, président. - Il nous appartient désormais, en tant que parlementaires, de faire vivre les conclusions de la conférence Ambition France Transports.

Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.

Proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) 2021-1119 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique (objectif climatique 2040) - Communication

M. Didier Mandelli, président. - Nous passons maintenant au dernier point de notre ordre du jour, consacré à une communication de Marta de Cidrac et Michaël Weber concernant leurs travaux et leurs réflexions sur la proposition de résolution européenne n° 15, adoptée par la commission des affaires européennes le 9 octobre 2025 et envoyée à notre commission. Ce texte a pour objet la proposition de règlement européen fixant un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2040, actuellement en cours de négociation à l'échelle européenne.

Je tiens tout d'abord à les féliciter très sincèrement pour la qualité du travail accompli. Fruit de plusieurs mois de réflexion et de concertation, leur texte souligne avec justesse la nécessité de concilier compétitivité économique et lutte contre le dérèglement climatique ; il y est aussi rappelé l'importance de doter l'Union européenne d'un objectif clair et crédible de réduction des émissions à l'horizon 2040. Je les remercie chaleureusement d'avoir accepté de venir présenter cette résolution devant notre commission.

Le sujet abordé, la lutte contre le réchauffement climatique, est au coeur de nos compétences. Notre commission a d'ailleurs toujours accordé une attention particulière à ces enjeux, suivant de près tant les négociations internationales que les évolutions du cadre européen. Chaque année, nous veillons à assurer un suivi attentif des grandes conférences climatiques au travers de nos déplacements lors de la COP26 à Glasgow en 2021, des auditions plénières organisées à leur issue ou encore de la table ronde que nous avons tenue en octobre dernier sur la COP29 de Bakou. Nous poursuivrons cette dynamique avec, très prochainement, une table ronde consacrée à la COP30 de Belém. Entre ces grands rendez-vous, notre commission reste mobilisée en consacrant des réunions plénières à ce sujet crucial. Je pense à l'audition, en juillet dernier, du Haut Conseil pour le climat.

La déclinaison européenne des objectifs de réduction des gaz à effet de serre, au coeur de la proposition de résolution, revêt donc une importance toute particulière pour notre commission. Je rappellerai à cet égard le rapport d'information de 2022 de nos collègues Guillaume Chevrollier et Denise Saint-Pé intitulé Réformer le marché carbone pour bâtir une économie européenne souveraine, durable et juste.

Les négociations climatiques font, par ailleurs, l'objet d'un suivi régulier et plus technique au sein du groupe de suivi des négociations et des enjeux internationaux en matière de développement durable, présidé par Ronan Dantec et constitué au sein de notre commission.

La proposition de résolution européenne n° 15 s'inscrit pleinement dans le prolongement de ces travaux. Il n'est donc pas surprenant que ses deux auteurs, membres actifs de notre commission, aient souhaité poursuivre leur engagement au sein de la commission des affaires européennes sur ce dossier déterminant pour l'avenir de la politique climatique européenne.

M. Michaël Weber. - Je remercie le président de nous donner l'occasion de vous présenter la proposition de résolution européenne adoptée le 9 octobre dernier par la commission des affaires européennes, sur la proposition de règlement visant à modifier le règlement dit Loi européenne sur le climat, présenté par la Commission européenne en juillet dernier.

Cette modification vise à inclure dans la Loi européenne sur le climat un objectif climatique contraignant de 90 % de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d'ici à 2040, par rapport à 1990. Une fois adopté, ce texte servira de référence et de cadre d'action pour la réglementation en matière de climat et d'énergie, qui doit être révisée dans la perspective de l'après 2030.

En effet, la Loi européenne sur le climat avait pour objet, à son article 4, de déterminer un second objectif intermédiaire, pour 2040, afin d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon de 2050. Je rappelle que le premier objectif intermédiaire contraignant fixé dans ce règlement est la réduction de 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre d'ici à 2030. C'est le fameux paquet Fit for 55 ou Ajustement à l'objectif 55, que nous avions examiné avec attention.

L'objectif pour 2040 devait être présenté dans les six mois suivant le premier bilan mondial de l'accord de Paris, soit au cours du premier semestre 2024. La Commission européenne a pris un certain retard, notamment en raison du calendrier de renouvellement des instances communautaires. La présidence danoise du Conseil souhaitait limiter ce contretemps et parvenir rapidement à un accord entre les États membres avant le début de la COP30, qui se tiendra au Brésil à Belém à la mi-novembre. Elle aurait ainsi pu utiliser ce nouvel objectif 2040 comme base pour définir la contribution de l'Union aux efforts climatiques mondiaux pour 2035.

Une décision à la majorité qualifiée des ministres de l'environnement était prévue dès le 18 septembre dernier, mais les États membres ont exprimé des positions divergentes quant à l'ambition de réduction proposée et aux modalités d'application. Plusieurs d'entre eux, dont la France, ont demandé à ce que ce sujet soit inscrit à l'ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil européen, qui se tiendra demain et après-demain, 23 et 24 octobre. Un nouveau Conseil Environnement est ainsi prévu le 4 novembre pour finaliser la position du Conseil. Les eurodéputés ont également décidé de décaler le vote sur ce texte à une date postérieure à la tenue du Conseil européen. Les délais seront donc très fortement contraints pour transmettre une contribution déterminée au niveau national de l'Union avant les réunions de la COP30.

Cette forme de procrastination n'est pas à la mesure de l'urgence climatique ; je ne peux, à titre personnel, que le regretter. Le Haut Conseil pour le climat a clairement appelé le gouvernement français à ne plus faire obstacle aux ambitions climatiques européennes pour 2040 et à éviter tout nouveau report sur ce texte.

À titre personnel, je considère que l'Union européenne doit arriver à la COP30 avec une contribution forte, notamment une cible pour 2035 appuyée sur un objectif clair de réduction pour 2040. À ce stade, nous nous en tenons à une simple déclaration d'intention qui contient une fourchette indicative de réduction des émissions comprise entre 66,25 % et 72,5 % par rapport à 1990.

J'insiste sur le fait que l'objectif d'une réduction de 90 % pour 2040 émane d'une recommandation de la communauté scientifique. Il s'agit même d'un minimum, selon le Haut Conseil pour le climat, si l'on veut tenir la trajectoire de l'accord de Paris et atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. Il n'est donc question ni de remettre en cause cet objectif ni de douter de la capacité de l'Union européenne à l'atteindre.

L'Union européenne a réalisé des progrès significatifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce qui lui a permis de dépasser largement son objectif pour 2020. Entre 1990 et 2023, cette réduction s'est établie à 37 %. Cette tendance se retrouve également dans notre pays, avec une diminution de 30 % des émissions nettes depuis 1990.

Tous les secteurs ont réalisé des progrès importants dans ce domaine depuis cette date, à l'exception de celui des transports, dont les émissions de CO2 ont continué à croître. Naturellement, des efforts supplémentaires seront nécessaires dans l'ensemble des secteurs économiques et les résultats positifs obtenus par l'Union européenne ne doivent pas conduire à un ralentissement des actions engagées.

Je tiens aussi à rappeler que le continent européen est celui qui se réchauffe le plus rapidement. Les événements météorologiques et climatiques extrêmes qui en résultent entraînent des conséquences financières de plus en plus lourdes, à l'exemple des vagues de chaleur et des incendies qui ont touché la France cet été. Retarder encore l'adoption d'objectifs ambitieux reviendrait à fragiliser la sécurité et la santé de nos concitoyens ainsi que l'économie en France et en Europe. Le coût de l'inaction climatique est plus élevé que celui de l'action. Le coût des aléas climatiques pour les sociétés d'assurance a été multiplié par quatorze ces dix dernières années.

La France est l'un des pays les plus avancés dans la décarbonation, notamment grâce à son électricité produite à partir de sources non fossiles, même si, dans certains secteurs, ses efforts doivent être renforcés. Selon le ministère de la transition écologique, l'objectif européen, tel qu'il est envisagé pour 2040, représente, pour notre pays, une réduction comprise entre 78 % et 80 % des émissions nettes de gaz à effet de serre par rapport à 1990, selon les secteurs.

La Commission européenne propose un objectif chiffré contraignant, mais elle l'accompagne de mesures d'assouplissement visant à « rendre possible la réalisation » de l'atteinte de la neutralité carbone d'ici à 2050 ainsi que de l'objectif pour 2040. À titre personnel, je considère que ces flexibilités ne doivent pas être considérées comme des substituts aux réductions effectives d'émissions.

La proposition de règlement présentée par la Commission européenne soulève donc un certain nombre de questions.

Mme Marta de Cidrac. - Tout d'abord, la cible climatique semble insuffisamment consolidée. L'objectif, contraignant, ne porte, en effet, que sur la réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. Il ne comporte pas d'indication sur la réduction des émissions brutes. Selon l'étude d'impact, l'objectif de réduction de 90 % des émissions nettes correspond à une diminution de 83 % des émissions brutes. Il nous semble essentiel de structurer l'architecture de l'objectif en distinguant les émissions nettes des émissions brutes, afin d'éviter notamment que le déficit d'absorption par les puits de carbone, qu'ils soient naturels ou technologiques, ne soit compensé par les secteurs les plus émetteurs.

Par ailleurs, la construction de l'objectif est fondée - la France y est particulièrement attentive - sur une surévaluation des niveaux de contribution des puits naturels et technologiques. Elle ne tient pas compte du déclin, depuis une dizaine d'années, des puits naturels, notamment forestiers, en raison du changement climatique.

En conséquence, il me semble prématuré de nous prononcer en l'état sur le niveau d'ambition pour 2040, même si nous pouvons soutenir la référence à un objectif intermédiaire fixé après négociation entre les États membres.

En vue de la réunion du Conseil européen prévue demain, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a adressé aux chefs d'État et de gouvernement un courrier dans lequel elle indique que la transition requiert une combinaison d'ambition, de rapidité, de pragmatisme et de flexibilité, ainsi qu'une protection contre la concurrence déloyale. Elle a insisté sur l'importance de ces mécanismes. Leurs modalités de mise en oeuvre feront ultérieurement l'objet de propositions législatives de la Commission.

Pour parvenir à la neutralité climatique à l'horizon de 2050 et à l'objectif 2040, la proposition de règlement de la Commission européenne vise à introduire trois flexibilités, ainsi que de nouvelles conditions facilitant cette ambition. Ces flexibilités ont notamment été proposées pour répondre aux interrogations légitimes de certains États membres concernant le rythme de décarbonation.

En premier lieu, la Commission européenne prévoit que, à partir de 2036 et dans la limite de 3 % des émissions nettes de l'Union européenne en 1990, les États membres pourront utiliser des crédits carbone internationaux provenant de projets réalisés dans des pays tiers afin de calculer la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette flexibilité entre dans le cadre prévu à l'article 6 de l'accord de Paris.

Cette faculté, qui n'a pas été demandée par les autorités françaises, suscite de réelles interrogations. Pourquoi un taux de 3 % ? Pourquoi une application à partir de 2036 ? Comment sera-t-elle mise en oeuvre par les États membres ? Les autorités françaises n'ont pas encore de position sur ces éléments, mais elles sont favorables à l'idée d'explorer la piste. Il convient de rappeler que l'Europe ne représente que 6 % des émissions globales et que des gisements importants de réduction peuvent être trouvés dans les pays tiers. Nous estimons que cette flexibilité doit s'accompagner de garanties solides et effectives pour s'assurer qu'elle ne compromette pas la crédibilité de la réalisation des objectifs climatiques à l'échelle domestique.

La deuxième flexibilité envisagée par la Commission européenne vise à prendre en compte le rôle des absorptions permanentes dans le système d'échanges de quotas d'émission de l'Union européenne. Le réexamen de cette directive, qui en fixera les modalités d'application, est prévu d'ici à la fin juillet 2026.

Cette flexibilité a été introduite pour permettre de compenser les émissions résiduelles dans les secteurs les plus difficiles à décarboner. Actuellement, ces crédits ne peuvent pas être utilisés dans le cadre du marché du carbone. Cette flexibilité, à laquelle les autorités françaises ne sont pas défavorables, doit, à notre avis, être également bien encadrée pour ne pas compromettre la réduction des émissions brutes.

La troisième flexibilité tend à introduire une plus grande souplesse dans la répartition des efforts de décarbonation entre les secteurs économiques. Cela permettrait à un État membre de compenser les difficultés rencontrées dans un secteur donné par des progrès accrus dans un autre. Cette mesure paraît pertinente.

Il nous semble, en effet, opportun de laisser plus de marges de manoeuvre aux États membres pour suivre leur trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du règlement sur le partage de l'effort. C'est le sens même du principe de subsidiarité qui doit guider l'action européenne.

La proposition de résolution européenne que la commission des affaires européennes a adoptée contient des interrogations sur les conditions de mise en oeuvre de cette flexibilité, lesquelles ne sont pas connues pour l'instant. Nous appelons à la vigilance lors de la révision du règlement sur le partage de l'effort, qui concerne les secteurs non couverts par le marché carbone.

Par ailleurs, de nouvelles mesures visant à faciliter la réalisation de l'objectif fixé pour 2040 sont proposées par la Commission européenne. Elles sont généralement désignées par l'expression « conditions facilitantes ». Ces conditions doivent contribuer à concilier la compétitivité de l'Union européenne et les ambitions climatiques, s'appuyant notamment sur les constats dressés dans les rapports de Mario Draghi et d'Enrico Letta.

Dans cette perspective, la commission des affaires européennes s'est félicitée de l'introduction du principe de neutralité technologique dans la Loi européenne sur le climat. Le Sénat est très attaché à ce principe, nous l'avons réaffirmé à plusieurs reprises. Par cette proposition de résolution européenne, nous demandons que cette neutralité entre technologies ne soit pas remise en cause au cours des négociations.

Nous estimons que cette ambition climatique, qui ne doit pas obérer la compétitivité du continent, ne peut être réalisée sans une véritable stratégie industrielle européenne, fondée sur les technologies propres, le développement des énergies décarbonées et l'électrification des usages. Elle doit aussi nous pousser à réduire notre dépendance aux énergies fossiles, qui s'avère très coûteuse.

Dans ce contexte, nous demandons, au travers de la proposition de résolution européenne, la révision du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour en corriger les effets négatifs sur les industries européennes. Ce mécanisme doit entrer pleinement en application au 1er janvier 2026, mais sa révision est bien prévue par la Commission européenne. Je rappelle que le Sénat avait déjà alerté sur les imperfections de cet outil et sur les risques de fuite de carbone, susceptibles de pénaliser les entreprises européennes ou de provoquer de nouvelles délocalisations hors de l'Union.

Par ailleurs, la proposition de résolution européenne contient des observations sur le partage de l'effort entre les États membres. La répartition des efforts de réduction entre pays est fondée sur le PIB par habitant. Elle vise à tenir compte des capacités économiques de chaque État membre à contribuer à la réduction globale. Ce principe légitime d'équité garantit que les États membres à revenus élevés devront atteindre des objectifs plus ambitieux que les États membres à faibles revenus. Par conséquent, la charge de réduction est davantage supportée par les pays les plus riches. Toutefois, cette répartition doit aussi tenir compte des trajectoires de décarbonation des pays les plus avancés et des efforts déjà consentis par ces derniers.

Nous devons également rappeler que la transition climatique nécessite de mobiliser des financements accrus, tant de la part du secteur public que des acteurs privés. Selon le rapport Draghi, 750 milliards à 800 milliards d'euros d'investissements supplémentaires par an sont nécessaires pour enrayer le déclin de l'Europe et financer les transitions verte et numérique. Pourtant, 498 milliards d'euros seulement ont été investis dans la transition climatique dans l'Union européenne en 2023. À titre de comparaison, la Chine a consacré à cette politique, la même année, 676 milliards de dollars, soit environ 578 milliards d'euros, et a d'ailleurs prévu d'atteindre la neutralité climatique en 2060. Les montants sont donc considérables.

C'est dans ce contexte de besoins d'investissements que les autorités françaises appuient la création d'une banque européenne de la décarbonation et de l'électrification, laquelle devrait aider les entreprises industrielles françaises à mettre fin à l'utilisation des combustibles fossiles et à financer les investissements nécessaires à leur transition énergétique.

La proposition de résolution précise également le besoin urgent de mettre un terme à la dépendance énergétique de l'Union européenne aux énergies fossiles et de définir un calendrier clair pour la suppression progressive des subventions aux combustibles fossiles pour s'aligner sur l'objectif visant à limiter le réchauffement planétaire à 1,5 degré Celsius.

Enfin, nous reprenons dans ce texte la suggestion formulée par le gouvernement français de définir un objectif de réduction de l'empreinte carbone.

Telles sont les principales observations rassemblées dans la proposition de résolution européenne que la commission des affaires européennes a adoptée sur cette proposition de règlement.

M. Ronan Dantec. - D'après les données de l'Organisation météorologique mondiale, publiées il y a quelques jours, 2024 est l'année la plus chaude jamais enregistrée à l'échelle planétaire. Plus grave encore, 2024 a également connu le taux d'augmentation le plus élevé, en parties par million (PPM), de la quantité de molécules de CO2 dans l'atmosphère.

Le réchauffement s'accélère, principalement sous l'effet de trois facteurs : les émissions de carbone des pays émergents - l'Inde, par exemple, ne parvient pas à engager sa transition -, la baisse de la captation de carbone des grands puits forestiers et le rôle de plus en plus considérable des feux de forêt à l'échelle mondiale. Notre échec est grave. Les cadres de régulation que nous avions mis en place à l'échelle internationale, dans le cadre du protocole de Kyoto puis de l'accord de Paris, ne fonctionnent pas. Si nous continuons à ce rythme, l'agriculture et la forêt françaises disparaîtront dans les quinze à vingt prochaines années.

En parallèle, l'Europe, qui a toujours été le moteur des négociations, est dorénavant traversée par des difficultés politiques qui ne se limitent pas à celles de la France. Certains pays européens privilégient leurs intérêts immédiats à la stratégie carbone commune. Le nôtre ne fait pas exception. Je pense à l'intégration du nucléaire à la taxonomie comme condition au soutien de la résolution finale, qui explique en partie le retard pris.

Surtout, les derniers chiffres montrent que l'atteinte de la neutralité carbone s'éloigne. La France enregistre cette année une baisse de ses émissions de 0,9 %, quand il faudrait les réduire de 3 % à 5 %. Le secteur de la mobilité est une des causes de cette stabilisation des émissions. En ce moment même, en commission des finances de l'Assemblée nationale, certains veulent remettre en cause le malus sur les véhicules thermiques les plus lourds, situation révélatrice des contradictions qui traversent la société.

Pour approfondir le sujet, vous êtes invités à Cotonou lundi et mardi prochain pour le sommet Climate Change, qui visera à donner une feuille de route au développement des énergies renouvelables en Afrique. Contrairement à d'autres, y compris dans la sphère écologiste, je pense que les 3 % de flexibilité peuvent être une chance : il faut les envisager non pas comme un simple moyen d'atteindre nos objectifs à moindre coût, mais comme un levier de transition, notamment pour les pays africains, qui sont une priorité de la politique climatique.

La baisse de l'aide publique au développement, en France et en Europe, est la réduction budgétaire qui a les répercussions les plus négatives en matière d'émissions de carbone. En effet, parmi les nombreux programmes qui se retrouvent bloqués, figurent ceux qui visent la préservation des puits de carbone de la forêt du bassin du Congo.

Il y a quelques années, la commission envisageait de réaliser une mission sur les instruments de compensation. Entre la flexibilité à l'étude, la COP de Belém et l'adoption à Bakou de mesures relatives à l'article 6 de l'accord de Paris, il faut se mettre à l'oeuvre.

M. Michaël Weber. - Nous partageons le constat. Comment réduire les conséquences du réchauffement climatique tout en oeuvrant à l'acceptabilité sociale et à l'adaptation du monde économique ?

Tout d'abord, la moindre captation du carbone par les forêts est un des sujets les plus inquiétants : Amazonie, Australie... Cet outil naturel était extrêmement efficace. Les tourbières, elles-mêmes très souvent menacées, ne sont pas suffisantes pour compenser.

Ensuite, la dynamique française de baisse des émissions de gaz à effet de serre s'affaiblit effectivement. La tendance est à la stabilisation des émissions. Nous avons eu de longs débats au moment de rédiger ce rapport, au point que certains membres de la commission des affaires européennes ont déposé un amendement pour aller plus loin sur le sujet.

Enfin, le fait que certains pays en Europe décarbonent plus vite que d'autres pose la question des flexibilités à mettre en place pour que les pays plus en difficulté rattrapent cette avance. Si nous sommes favorables au principe, le cadre n'est pas défini pour l'instant : il reste des questions à trancher.

Mme Marta de Cidrac. - La question qui se pose à nous, parlementaires français, est celle-ci : comment donner les bons outils à notre diplomatie climatique, à nos représentants à Bruxelles comme à ceux qui sont présents dans les instances internationales, pour peser dans les débats ? Tel est l'objectif de notre proposition de résolution européenne. Pour peser, il faut aussi faire valoir ses atouts, et il est nécessaire de mettre les nôtres en avant, avec clarté.

Le grand paradoxe est que l'Union européenne est à la fois la partie du monde la moins émettrice, n'émettant que 6 % des gaz à effet de serre, et la plus grande victime. Par conséquent, la France doit s'engager avec force et l'Union prendre sa part, y compris les États membres les plus réticents. Dans le cadre du partage des efforts, chacun doit oeuvrer en ce sens.

La réunion est close à 11 h 20.

Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Henri Prévost aux fonctions de directeur général de l'ANCT

Après dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Henri Prévost aux fonctions de directeur général de l'ANCT, simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, le résultat est le suivant :

Nombre de votants : 38

Nombre de bulletins blancs ou nuls : 8

Nombre de suffrages exprimés : 30, dont 18 voix pour et 12 voix contre.

Dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Castex aux fonctions de président-directeur général de la SNCF

Après dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean Castex aux fonctions de président-directeur général de la SNCF, simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, le résultat est le suivant :

Nombre de votants : 34

Nombre de bulletins blancs ou nuls : 6

Nombre de suffrages exprimés : 28, dont 26 voix pour et 2 voix contre.