Jeudi 6 novembre 2025
- Présidence de Mme Micheline Jacques, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Examen du rapport d'information sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - volet 2 : bassin océan Atlantique
Mme Micheline Jacques, présidente. - Après nos précédentes réunions consacrées à la définition de notre programme de travail pour la session, je suis heureuse de vous retrouver pour l'examen d'un rapport sur un sujet particulièrement important et d'actualité : la coopération et l'intégration régionales de nos outre-mer.
Je tiens tout d'abord à saluer le retour au sein de notre délégation de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, après ses responsabilités ministérielles dans lesquelles il a porté la voix de nos outre-mer, de la francophonie et des enjeux de développement qui sont au coeur des travaux de notre délégation. Nous sommes heureux de le retrouver et savons que nous pourrons compter sur son expertise pour faire avancer nos propositions. Le hasard fait que son retour coïncide avec l'examen de ce rapport pour lequel il avait été auditionné en sa qualité de ministre. « La boucle est bouclée », oserais-je dire.
Nous examinons donc ce matin les conclusions du deuxième volet du rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, consacré au bassin Atlantique.
Je vous rappelle que l'étude lancée en 2024 à vocation à couvrir les trois bassins océaniques, et que nous aborderons au cours de la présente session le troisième et dernier volet, dédié au bassin Pacifique.
Initialement, notre objectif était de disposer d'un état des lieux actualisé des différentes dimensions de la coopération régionale - diplomatique, économique, culturelle, etc. - pour mesurer la réalité d'un regard généralement assez critique sur la situation économique de nos outre-mer, encore très marquée par leurs liens historiques avec Paris. L'inventaire devait aussi tenir compte des enjeux géopolitiques et de sécurité croissants. La question d'un autre modèle de développement a aussi été sous-jacente à notre choix.
Sur la base de chaque constat, les rapporteurs sont chargés de formuler des recommandations adaptées et opérationnelles.
L'an passé, sur le premier volet de cette étude consacré à l'océan Indien, nos rapporteurs, Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient, ont dressé le constat d'une intégration obstinément insuffisante de La Réunion, de Mayotte et des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) dans leur environnement régional. Ils ont formulé vingt propositions, qui ont reçu un large écho dans la presse et auprès des acteurs concernés - cela nous a été dit à maintes reprises lors de nos récentes auditions.
Dans le prolongement, je suis particulièrement heureuse de saluer aujourd'hui le travail de nos deux excellentes rapporteures Jacqueline Eustache-Brinio et Evelyne Corbière Naminzo, qui se sont investies avec passion et opiniâtreté dans les méandres complexes et mouvants de la coopération de l'immense bassin Atlantique, là où se situe la moitié des outre-mer français ! Je tiens à souligner l'ampleur de l'étude réalisée par nos collègues.
Les six mois de travaux préparatoires, engagés en avril 2025, ont donné lieu à une quarantaine d'auditions, dont beaucoup sous forme d'auditions menées par les rapporteurs, en visioconférence et sur le terrain. Au total, une centaine de personnes ont été entendues - élus, hauts fonctionnaires, responsables d'organisations régionales, ambassadeurs, etc.
Un déplacement a été organisé en avril, en Guyane et dans l'État voisin du Suriname où je me suis aussi rendue avec nos rapporteures, sur différents sites. Nous y avons rencontré des acteurs impliqués dans les différents types de coopération, notamment politique, diplomatique, économique, scientifique et culturelle.
Chaque jour nous apporte la preuve de l'absolue nécessité de resserrer les liens régionaux. Je citerai l'exemple des sargasses : le projet Stratégies régionales de lutte contre les sargasses pour l'élaboration d'actions fondées sur l'écosystème (Sarsea) vient d'être lancé le 28 octobre à Sainte-Lucie. Les nombreux représentants gouvernementaux, institutionnels et scientifiques venus de toute la région caribéenne se sont enfin unis pour « développer une réponse régionale coordonnée ».
La France y apporte son expertise, en mobilisant l'État et les collectivités locales en Guadeloupe, en Martinique et à Saint-Martin pour améliorer le suivi, la collecte et le traitement de ces algues. Le travail conjoint, mené depuis une dizaine d'années, entre institutions nationales et autorités locales va pouvoir être partagé à l'échelle régionale afin de construire une réponse cohérente et coordonnée dans la Caraïbe orientale.
Par ailleurs, je rappelle que nos travaux sur le premier volet ont dégagé des pistes prometteuses pour l'océan Indien bien sûr, mais aussi pour les autres bassins, plusieurs recommandations étant a priori valables pour d'autres territoires.
Je pense en particulier à l'idée très forte de la création d'une politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu) inspirée de la politique européenne de voisinage.
Cette proposition importante et innovante a abouti à l'adoption de la résolution européenne du Sénat le 24 mars 2025. Ce texte, nous l'avons porté et défendu à Bruxelles en mai dernier. Nous devons continuer à tracer ce chemin.
Je me réjouis que les rapporteures du deuxième volet parviennent à des conclusions similaires sur l'Europe. Il s'agit au final d'un travail approfondi et sans précédent, qui met à l'honneur l'engagement des membres de notre délégation. Je ne doute pas de l'excellence des propositions de nos collègues, établies à partir d'un état des lieux minutieux.
Pour suivre cette présentation, plusieurs supports sont disponibles : une note de synthèse du rapport - L'Essentiel -, la liste des recommandations, et une version provisoire du rapport. Enfin, une conférence de presse se tiendra à l'issue de la réunion.
Je vous prie de bien vouloir excuser Christian Cambon, retenu par une contrainte d'agenda ce matin.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Nous sommes aujourd'hui réunis pour vous présenter le deuxième volet de l'étude sur la coopération et l'insertion régionales des outre-mer français, consacré cette fois au bassin Atlantique.
Je remercie à cet égard nos collègues Georges Patient et Stéphane Demilly. Leur rapport sur le premier volet a tracé des orientations inspirantes pour nos réflexions et travaux.
Notre volet concerne six territoires français : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Ensemble, ils représentent près de la moitié des outre-mer français, des territoires très divers, proches et à la fois éloignés.
Comme l'an passé, la formule de Serge Letchimy - « les outre-mer sont étrangers à leur géographie » - a trouvé un plein écho lors des travaux préparatoires. Plus qu'ailleurs peut-être, les relations historiques et les liens économiques avec la métropole ont façonné la faiblesse des relations de ces territoires avec leur environnement. Nous avons touché du doigt cette réalité souvent absurde lors de notre déplacement en Guyane.
Comme pour les collectivités de l'océan Indien, les flux d'échanges, notamment commerciaux, peinent à se développer et à produire les effets attendus sur les économies concernées.
Si des progrès ont été accomplis ces dernières années dans tous les domaines, hormis économiques, de nombreux freins persistent. Il est d'autant plus urgent de les lever et d'accélérer le processus que la Caraïbe et le plateau des Guyanes sont des espaces en pleine transformation. Des enjeux géopolitiques, économiques et sécuritaires de première importance s'y jouent.
Pour saisir les opportunités, il faut donc changer de braquet. C'est le sens des vingt recommandations que nous vous proposerons aujourd'hui.
Je commencerai par le constat.
Le bassin Atlantique est hétérogène et très fragmenté, ce qui le différencie nettement du bassin Indien. C'est aussi un bassin sous tension géopolitique.
La Caraïbe et le plateau des Guyanes forment un espace à la fois unifié par des défis communs et divisé par des réalités très différentes. La Grande Caraïbe est un véritable patchwork, un espace maritime transfrontalier de plus de 4,3 millions de kilomètres carrés autour duquel sont regroupés quinze pays continentaux et quarante-quatre îles regroupées pour certaines en archipels.
Se côtoient, dans cette vaste zone, des entités aux statuts différents, des États-nations, des États souverains, des territoires rattachés à leurs anciennes métropoles, comme les îles Vierges anglaises et américaines, Bonaire dépendant de la couronne néerlandaise, Anguilla, Montserrat, Saint-Kitts-et-Nevis, membres du Commonwealth. Sans parler naturellement des outre-mer français où l'on retrouve cette complexité : régions ultrapériphériques (RUP) et pays et territoires d'outre-mer (PTOM), collectivités dotées de l'autonomie et départements d'outre-mer...
La superficie de ces entités varie également énormément : de quelques kilomètres carrés à des centaines de milliers. Il en va de même pour les populations. Quant à la richesse, les écarts sont tout aussi importants : en Haïti, le revenu national brut (RNB) par habitant était de 3 100 dollars en 2020, contre 54 000 dollars dans les îles Caïmans.
On distinguera notamment deux sous-bassins : les Petites Antilles et le plateau des Guyanes. Chacun a ses spécificités, mais tous partagent une même vulnérabilité face aux crises climatiques, aux narcotrafics et aux rivalités internationales.
La Caraïbe est en effet redevenue un espace géopolitique sensible. Longtemps considérée comme la « Méditerranée des États-Unis », elle est aujourd'hui le théâtre d'une compétition accrue entre Washington et Pékin. La Chine y déploie une stratégie méthodique : investissements massifs, endettement des États, influence culturelle via les instituts Confucius, et même, dans certains cas, des projets d'infrastructures. À la Dominique, par exemple, Pékin finance un aéroport international et un port en eau profonde, susceptibles de concurrencer directement nos plateformes en Martinique et en Guadeloupe.
Face à cette montée en puissance chinoise, les États-Unis reviennent en force, après des années de désengagement. Leur présence militaire et diplomatique se renforce, notamment pour contrer les trafics de drogue et l'influence de Caracas.
Mais cette rivalité ne doit pas nous faire oublier un autre acteur : l'Europe, et donc la France. Grâce à nos territoires ultramarins, nous sommes présents, stables et crédibles dans cette région. Grâce à l'Europe, des financements très importants via le budget ou la Banque européenne d'investissement (BEI) sont orientés vers les pays de la région et des programmes de coopération régionale. L'accord entre l'Union européenne (UE) et le Forum caribéen des États de l'Afrique, la Caraïbe et du Pacifique (Cariforum), dans le cadre des accords du groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), est un autre marqueur politique et économique fort. Une envie d'Europe est donc exprimée par la plupart des partenaires de la région qui ne veulent pas s'enfermer dans la compétition sino-américaine. Le Brexit a par ailleurs laissé un vide, le Royaume-Uni se détournant de ses PTOM dans la région. Mais cette présence européenne doit se traduire par une action plus ambitieuse et plus ordonnée.
Le plateau des Guyanes, quant à lui, est en pleine transformation économique. La découverte de gisements pétroliers géants au Guyana, au Suriname et dans l'État de l'Amapá, au Brésil, bouleversera les équilibres régionaux. Le Guyana, aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres d'Amérique du Sud, pourrait devenir le cinquième producteur mondial de pétrole brut. Ces changements offrent des opportunités majeures pour la Guyane, mais ils posent aussi des défis : comment éviter que nos territoires ne deviennent des zones de transit ou des territoires enclavés ? Comment tirer parti de cette dynamique pour développer des partenariats « gagnant-gagnant » ? Il faut ajouter que le plateau des Guyanes fait encore l'objet de contestations territoriales qui sont des irritants des relations bilatérales, notamment entre la France et le Suriname. Ces contestations peuvent aussi virer au risque d'affrontement armé, comme entre le Guyana et le Venezuela.
Enfin, l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon dans l'Atlantique Nord, à proximité du géant canadien, appartient à un tout autre sous-bassin. Saint-Pierre-et-Miquelon, bien que géographiquement isolé, reste un territoire stratégique, notamment pour les relations avec le Canada. Mais son avenir dépendra de sa capacité à s'intégrer davantage dans son environnement nord-américain sans perdre son identité.
Dans ce paysage, la coopération régionale apparaît en progrès, mais encore insuffisante, car trop lente et trop peu visible. Plusieurs avancées méritent d'être soulignées.
Sur le plan diplomatique, la France a renforcé son réseau dans la région. Nous avons ouvert une ambassade au Guyana, nommé des conseillers diplomatiques en Guadeloupe et en Martinique, et renforcé nos représentations à Sainte-Lucie et au Suriname. Ces efforts sont essentiels pour affirmer notre présence et faciliter les échanges entre nos territoires et leurs voisins.
L'intégration de nos collectivités dans les organisations régionales est aussi une avancée majeure. La Martinique est sur le point de devenir membre associé de la Communauté caraïbéenne (Caricom), une première historique et l'aboutissement d'un très long chemin depuis les premières déclarations en 2012. La Martinique, la Guadeloupe et Saint-Martin - depuis mars 2025 seulement - sont membres associés de l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO), entité la plus intégrée de la Caraïbe. Ces adhésions sont des symboles forts, mais elles doivent maintenant se traduire par des actions concrètes.
Parallèlement, les relations bilatérales entre Sainte-Lucie et la Martinique, ou entre la Guyane et le Suriname ou le Brésil, sont de plus en plus dynamiques.
La coopération sécuritaire a également progressé. Nous avons signé des accords de poursuite en mer avec Sainte-Lucie, créé un centre de coopération policière à Saint-Georges-de-l'Oyapock, et renforcé les échanges de renseignements avec nos partenaires. La lutte contre les trafics illicites et l'orpaillage clandestin est une priorité absolue, et nos forces de l'ordre travaillent en étroite collaboration avec leurs homologues régionaux.
Enfin, des projets concrets et foisonnants voient le jour, financés principalement par l'UE et l'Agence française de développement (AFD).
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Les progrès réalisés en matière de coopération régionale sont indéniables. Cependant, plusieurs obstacles majeurs subsistent, limitant l'efficacité et la visibilité des actions engagées. Ces freins, à la fois institutionnels, économiques, logistiques et financiers, entravent le plein épanouissement de nos territoires dans leur environnement régional.
Premièrement, le cadre institutionnel est complexe et peu efficace.
La Caraïbe et le plateau des Guyanes sont caractérisés par une multiplicité d'organisations régionales, chacune avec ses propres règles, priorités et mécanismes de financement. Trois structures principales coexistent : la Caricom, l'OECO et l'Association des États de la Caraïbe (AEC). Pourtant, leur superposition entraîne des chevauchements, des concurrences et une dilution des responsabilités, ce qui nuit à l'efficacité globale de la coopération.
La Caricom, bien qu'historique et influente, peine à concilier les intérêts divergents de ses quinze États membres, dont les niveaux de développement et les priorités varient considérablement. Les décisions y sont souvent lentes, et les projets peinent à se concrétiser.
L'OECO, plus intégrée avec sa monnaie commune et sa libre circulation, reste limitée par le statut de membre associé de nos collectivités ultramarines.
L'AEC, enfin, bien que couvrant une zone géographique étendue, manque de moyens opérationnels et sert davantage de cadre diplomatique que de levier d'action concrète.
En conséquence, nos territoires, membres associés de ces organisations, peinent à y faire valoir leurs intérêts. Leur participation reste trop souvent symbolique, et les résultats concrets se font attendre. L'adhésion des collectivités françaises d'Amérique (CFA) aux instances régionales doit se traduire par une réelle capacité d'influence, et non par une simple présence un peu trop formelle.
Deuxièmement, les échanges commerciaux sont toujours insuffisants.
Nos territoires ultramarins échangent très peu avec leur voisinage immédiat, malgré leur proximité géographique. Les chiffres sont éloquents : la Martinique et la Guadeloupe ne réalisent que 4 % à 5 % de leur commerce avec la zone Caraïbe, le reste provenant de la France ou de l'UE ; la Guyane, frontalière du Brésil et du Suriname, n'échange que 1 % de ses flux avec ces deux pays, alors qu'elle pourrait s'approvisionner localement en produits agroalimentaires, énergétiques ou manufacturés.
Pourquoi une telle situation ?
Le premier volet de l'étude y avait déjà beaucoup insisté : les normes européennes sont souvent inadaptées. Nos RUP doivent se conformer à des règles conçues pour le marché continental, ce qui les rend non compétitives face à leurs voisins, qui bénéficient de coûts de production plus bas et de circuits plus courts.
Par ailleurs, il existe un manque de circuits économiques régionaux : nos territoires n'ont pas de stratégie commune pour développer des filières intégrées - agroalimentaire, énergie, gestion des déchets.
De plus, une dépendance historique à la métropole perdure : les centrales d'achat, les subventions et les habitudes de consommation orientent nos économies vers l'Hexagone, plutôt que vers leur environnement naturel.
Résultat : nos RUP ratent des opportunités économiques. Pire, alors que le Guyana et le Suriname deviennent des puissances pétrolières, la Guyane française risque de rester en marge de cette dynamique, faute de liens économiques solides avec ses voisins.
Troisièmement, la mobilité est toujours entravée.
Les liaisons maritimes et aériennes entre nos territoires et leurs voisins restent insuffisantes, ce qui limite les échanges humains et économiques. Le cabotage est quasi inexistant. Les conteneurs qui arrivent en Guyane ou aux Antilles repartent vides à 90 %, faute de flux retour rentables. Aucun modèle économique viable n'a encore émergé pour développer un réseau régional dense.
Par ailleurs, les bassins de vie le long des fleuves Maroni et Oyapock restent mal appréhendés.
S'agissant des formalités administratives, un Brésilien ou un Surinamais souhaitant se rendre en Guyane doit obtenir un visa, alors que ces populations partagent souvent des bassins de vie transfrontaliers.
Pour ce qui est des contrôles douaniers, les produits agroalimentaires en provenance du Brésil ou du Suriname ne peuvent pas entrer facilement en Guyane, alors qu'ils pourraient alimenter nos marchés à moindre coût.
Le réchauffement des relations franco-surinamaises a permis quelques progrès, mais ils demeurent insuffisants.
Des projets de coopération ont été portés. Mais ils se sont soldés plutôt par des fiascos. Le feuilleton du bac Malani en est l'illustration la plus connue.
Il faut y ajouter celui de l'hôpital d'Albina, côté surinamais, que la délégation a visité. Financé intégralement par un prêt de 15 millions d'euros de l'AFD - en cours de remboursement -, cet hôpital devait permettre de soulager la pression sur le système de santé de Saint-Laurent, en déplaçant une partie de la demande de soins des Surinamais sur Albina. Simultanément, le nouveau Centre hospitalier de l'Ouest guyanais (Chog) de Saint-Laurent est sorti de terre, ce qui rehausse l'offre de soins pour les Guyanais.
Le résultat est calamiteux. Terminé en 2015, l'hôpital est vide au sens littéral du terme. En conséquence, les populations ne circulent pas, les économies ne s'intègrent pas, et les trafics illicites prospèrent dans ces zones mal contrôlées.
Quatrièmement, l'orpaillage illégal et la pêche illicite constituent un véritable pillage organisé et un double fléau pour la Guyane.
L'or extrait est exporté illégalement, souvent vers le Suriname ou le Brésil, avant d'être racheté par des réseaux internationaux, dont une partie est liée à la Chine. De plus, les tapouilles surinamaises et brésiliennes, voire guyaniennes, pêchent illégalement dans nos eaux. Là encore, la Chine joue un rôle clé en alimentant la demande pour les vessies natatoires de l'acoupa rouge.
Cinquièmement, enfin, la tuyauterie financière est illisible.
L'Europe et l'État français consacrent beaucoup d'argent à la coopération régionale. Pourtant, ces fonds restent complexes à mobiliser et découragent les porteurs de projets.
L'impossibilité pour les partenaires étrangers de bénéficier directement des fonds Interreg est notamment une difficulté. Aujourd'hui, seuls les RUP peuvent être chefs de file d'un projet Interreg. Les partenaires caribéens ou sud-américains doivent passer par eux, ce qui les décourage et les pousse à préférer d'autres financements - comme le NDICI (Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument) -, dont ils peuvent être les bénéficiaires directs. Résultat : les projets Interreg peinent à trouver des partenaires, et les fonds ne sont pas consommés.
Les fonds NDICI de l'UE concurrencent ou se conjuguent mal avec les fonds Interreg, qui relèvent du Fonds européen de développement régional (Feder), alors que les deux concourent à la coopération régionale.
Le manque d'ingénierie est aussi un frein. Le projet du bac Malani entre la Guyane et le Suriname en est un exemple révélateur. Financé majoritairement par l'UE et lancé en 2012, ce projet, qui doit considérablement améliorer les échanges entre les deux pays, n'est toujours pas opérationnel, alors que des travaux ont été réalisés et que le nouveau bac a été livré depuis des années. Le coût total atteint les 5 millions d'euros pour un bac qui ne navigue toujours pas...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - J'en viens à présent à nos vingt recommandations, que nous avons organisées autour de quatre axes stratégiques : affirmer une diplomatie territoriale ambitieuse, différenciée et réactive ; lutter contre le fléau de l'insécurité sans nier les bassins de vie ; transformer les verrous de l'Union européenne en accélérateur de la coopération régionale ; enfin, miser sur les secteurs d'avenir : transport maritime régional, environnement, sciences, agroalimentaire, traitement des déchets.
En voici les principales, celles qui nous semblent les plus urgentes et les plus structurantes.
Premier axe : il faut affirmer une diplomatie territoriale ambitieuse, différenciée et réactive. Nos territoires ne peuvent plus se contenter d'une coopération à la marge. Ils doivent devenir des acteurs à part entière de leur environnement régional. Quant à l'État, il doit agir en bloc cohérent et affirmer une vraie diplomatie des outre-mer.
Pour ce faire, nous proposons de créer un « Pôle stratégique de coopération régionale outre-mer ». Celui-ci serait chargé de la continuité et de la cohérence de la diplomatie territoriale des outre-mer au sein de l'action extérieure de la Nation. Il serait placé sous la double tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) et de la direction générale des outre-mer (DGOM), et regrouperait les trois ambassadeurs régionaux à la coopération.
Pour animer et coordonner la coopération régionale entre une multitude d'acteurs, l'ambassadeur délégué doit être doté d'une équipe en mesure de jouer son rôle interministériel en lien avec tous les acteurs des territoires. Ces missions ne peuvent être pleinement assumées si l'ambassadeur agit seul, d'autant plus qu'il est amené à se déplacer régulièrement sur le terrain. Le regroupement au sein d'un pôle fédérant les expériences et les pratiques communes en matière de coopération régionale garantirait également la continuité de l'action, en cas de vacance provisoire du poste. L'expérience des grands sommets régionaux, par exemple, pourrait être mutualisée de façon plus efficace au service de l'action des ministres respectifs.
Sans définir le format exact, il est donc impératif de renforcer les moyens de ce pôle stratégique à Paris, en lien avec les préfets et leurs conseillers diplomatiques, les ambassadeurs de la région et les collectivités. Ainsi dimensionné, il s'imposerait comme une plateforme diplomatique et interministérielle opérationnelle en lien étroit avec les territoires. Il ne paraît pas nécessaire, en revanche, de renforcer encore le nombre et les moyens des conseillers diplomatiques auprès des préfets.
Cette direction aurait en particulier pour principal objectif d'accompagner et d'épauler la mise en oeuvre des programmes-cadres de coopération régionale approuvés par les collectivités. Il faut en effet que, à côté de l'État, les collectivités ordonnent leur action extérieure et s'approprient les outils responsabilisants de la loi du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite loi Letchimy.
Pour s'emparer de ce rôle de chef de file de la coopération régionale, chaque outre-mer devrait donc approuver rapidement son programme-cadre de coopération régionale, l'État s'engageant à soutenir résolument les initiatives entrant dans le champ du programme-cadre. Il est anormal que seule la Martinique en soit dotée depuis 2023.
Nous demandons aussi à accélérer l'adhésion de la Martinique à la Caricom. Le Parlement doit ratifier la convention sur les privilèges et immunités d'ici à 2026. Chaque mois de retard affaiblit notre crédibilité et prive nos territoires d'opportunités concrètes.
Autre priorité : le retour de la France au capital de la Banque de développement des Caraïbes (BDC). Nous en sommes sortis en 2000 et c'était une erreur. La BDC est un levier essentiel pour financer des projets régionaux et permettre à nos entreprises ultramarines d'accéder aux appels d'offres. Il faut y revenir sans tarder. Or là encore, malgré la décision du Comité interministériel des outre-mer (Ciom) en juillet 2023, quasiment rien n'avance concrètement.
Enfin, il est temps de clarifier le statut de Saint-Martin et Saint-Barthélemy en matière d'action extérieure. Ces territoires sont en première ligne dans la coopération régionale, mais leur cadre juridique reste trop flou. Il faut saisir le tribunal administratif et, si nécessaire, compléter la loi organique pour leur donner les moyens d'agir.
Deuxième axe, nous devons lutter contre le fléau de l'insécurité, sans nier les réalités des bassins de vie.
La Caraïbe et le plateau des Guyanes sont gangrenés par les trafics illicites : drogue, armes, orpaillage clandestin, pêche illégale. Ces activités criminelles déstabilisent les États, menacent les populations et sapent les économies locales.
Pour y faire face, nous proposons d'inscrire la lutte contre l'orpaillage et la pêche illicite à l'agenda des dialogues France-Chine et UE-Chine. La Chine est un acteur clé de ces trafics, notamment en Guyane. Il faut en parler clairement avec Pékin et exiger des engagements concrets pour endiguer ces pratiques.
Nous appelons aussi à l'organisation d'une conférence internationale sur la sécurité dans la Caraïbe, sous l'égide de l'UE et de la France, dans l'objectif de créer une académie régionale de la sécurité, qui formerait les forces de police et les magistrats de toute la région. Cette initiative s'inspirerait de celle en cours dans le bassin de l'océan Indien. La coopération judiciaire et policière doit devenir une priorité absolue.
Sur le plateau des Guyanes, il est urgent de finaliser l'accord frontalier avec le Suriname - seul un tiers de la frontière a été validé - et de créer un centre de coopération policière le long du fleuve Maroni. En échange, la France pourrait proposer une carte de circulation transfrontalière, comme celle qui existe déjà à la frontière avec le Brésil. Il faut aussi assouplir le régime des visas entre le Brésil et la Guyane, en s'inspirant du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (Etias) pour faciliter les échanges sans sacrifier la sécurité. Un premier signe positif a été envoyé récemment avec la suspension annoncée de l'obligation de visa pour les habitants de l'Amapá.
Enfin, Saint-Martin doit devenir un laboratoire de coopération transfrontalière. Nous proposons de créer un groupement européen de coopération territoriale (GECT) entre Saint-Martin et Sint Maarten, et de rétablir un programme Interreg dédié à cette coopération. Cette île, partagée entre deux nations, peut montrer la voie. Le statut de GECT mériterait d'être adapté pour répondre aux spécificités de Saint-Martin.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Troisième axe, il faut transformer les contraintes européennes en leviers de coopération.
L'Union européenne est à la fois une clé et un verrou pour nos territoires. D'un côté, elle offre des financements massifs et une légitimité diplomatique. De l'autre, ses règles, conçues pour des réalités continentales, étouffent souvent nos RUP. Il est temps de réformer cette action pour en faire un accélérateur de coopération.
Nous reprenons donc l'idée de nos collègues Georges Patient et Stéphane Demilly de créer une PEVu dans le cadre du futur budget européen 2028-2034. Cette politique ciblerait spécifiquement les régions voisines des RUP et des PTOM, avec des financements dédiés et des règles adaptées. Les frontières de nos RUP et de nos PTOM sont des frontières extérieures de l'UE et appellent des politiques de voisinage au même titre que les frontières continentales de l'Union L'objectif serait de faire des outre-mer des ponts entre l'Europe et leur environnement régional, et non des territoires enclavés.
Il est aussi crucial d'autoriser les RUP à signer des accords de libre-échange limités avec leurs voisins. Aujourd'hui, nos territoires ne peuvent pas conclure d'accords commerciaux avec les États de la région, même sur des produits spécifiques. C'est absurde. Nous devons obtenir de Bruxelles le droit de négocier des partenariats ciblés, par exemple dans l'agroalimentaire ou l'énergie, pour dynamiser les échanges et réduire la dépendance à l'Hexagone. L'accord de partenariat économique UE-Caraïbe pourrait être modifié pour le permettre.
Enfin, l'éducation doit devenir un outil de coopération. Nous proposons de créer des sous-programmes Erasmus RUP, qui permettraient à nos étudiants d'étudier dans les universités caribéennes, et inversement. La mobilité étudiante est un vecteur d'intégration régionale. Pourquoi un étudiant martiniquais ne pourrait-il pas suivre un cursus en médecine à la Barbade, ou un étudiant guyanais un master en environnement au Suriname ? L'Europe doit financer cette ambition.
Ce sujet de l'éducation m'invite à dire quelques mots de la francophonie et des échanges linguistiques. Il manque une politique de la francophonie renforcée dans les pays voisins de nos RUP. Cela devrait aller de soi, et pourtant les contrats d'objectifs et de moyens (COM) de l'Institut français ou de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ne mentionnent même pas les outre-mer. En sens inverse, il me paraît essentiel que l'éducation nationale prête une plus grande attention à l'enseignement des langues parlées dans les pays voisins. Je sais qu'à Saint-Martin le bilinguisme a fait d'énormes progrès. Ces stratégies doivent inspirer d'autres territoires, notamment la Guyane avec l'espagnol et le portugais.
Quatrième axe, il faut miser sur les secteurs d'avenir pour bâtir une économie régionale résiliente.
Nos territoires ont des atouts majeurs : une position géographique stratégique, des ressources naturelles abondantes, une expertise reconnue en santé, en environnement et en énergie. Pourtant, ces potentiels restent sous-exploités.
Le transport maritime est un enjeu clé. Aujourd'hui, nos ports sont en bout de ligne, nos conteneurs repartent vides à 90 %, et le cabotage régional est quasi inexistant. Nous proposons de modifier le règlement européen de 1992 pour faciliter la création de lignes de cabotage entre les RUP et leurs voisins. Il faut aussi étudier la création d'une communauté caribéenne du transport maritime, qui serait promue par l'Union européenne, la France et l'OECO, afin de construire un réseau régional dense, compétitif et décarboné.
La fiscalité carbone menace aussi nos ports ultramarins. La directive européenne relative au système d'échange de quotas d'émissions, dite ETS, si elle s'applique sans adaptation, rendra nos escales non compétitives face à celles de nos voisins. Nous demandons une suspension urgente de son application dans les RUP, le temps de négocier un système régional de taxe carbone avec la Caricom et l'OECO. Sinon, nos ports perdront du trafic.
Les déchets et les sargasses sont des fléaux, mais aussi des occasions d'agir. Nos territoires suffoquent sous les déchets, et les sargasses étouffent nos côtes. Pourtant, ces défis peuvent devenir des leviers de coopération. Nous proposons de faire appliquer l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) pour adapter les règles européennes et autoriser des accords régionaux de gestion des déchets. Nos collègues Viviane Malet et Gisèle Jourda avaient déjà fait des recommandations à ce sujet en 2022. Il faut évidemment rester mobiliser jusqu'à ce que l'UE accède enfin à nos demandes. Il faut aussi créer un centre régional de lutte contre les sargasses, avec un financement européen, pour coordonner la recherche, la collecte et la valorisation de ces algues.
L'énergie et la biodiversité sont des secteurs où la Guyane peut devenir un leader. Le plateau des Guyanes abrite la plus grande forêt tropicale intacte du monde. Nous soutenons l'idée de rapprocher le parc amazonien de Guyane et le parc brésilien de Tumucumaque pour créer la plus grande zone protégée de forêt tropicale au monde. Ce projet pourrait être financé par Interreg, et deviendrait un symbole de la coopération franco-brésilienne. Il contribuerait à ancrer politiquement la Guyane dans sa géographie amazonienne.
Enfin, l'agroalimentaire et la recherche doivent devenir des piliers de notre souveraineté régionale. Nos territoires ont une expertise reconnue en agronomie, avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), mais aussi en santé, avec l'Institut Pasteur et les centres hospitaliers universitaires (CHU).
Toutefois, celle-ci est souvent dispersée vis-à-vis de nos partenaires régionaux. Il faut rapprocher ces acteurs, en particulier le Cirad, l'INRAE et l'Institut de recherche pour le développement (IRD) afin de promouvoir une diplomatie scientifique puissante et lisible sur les sujets de souveraineté alimentaire et de santé.
En conclusion, notre rapport dresse un constat lucide, mais optimiste.
Nous avons formulé vingt recommandations concrètes. Certaines peuvent être mises en oeuvre dès demain : ratifier les accords, revenir à la Banque de développement des Caraïbes, créer le pôle stratégique de coopération. D'autres demandent des négociations plus longues, comme la PEVu ou l'adaptation des règles européennes.
Mais une chose est sûre : si nous ne bougeons pas, d'autres le feront à notre place. La Chine avance. Les États-Unis reviennent. Les organisations régionales se structurent. La Caraïbe et le plateau des Guyanes ne resteront pas en attente.
Nos territoires ont tout à gagner d'une meilleure insertion régionale : désenclavement, développement économique, sécurité, rayonnement culturel. La France a tout à gagner à renforcer son influence dans une région stratégique. L'Europe a tout à gagner à faire de nos RUP des avant-postes dynamiques.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Merci pour ce travail exceptionnel. Le déplacement au Suriname restera gravé dans nos mémoires. Être plongé au coeur des réalités est extrêmement important pour se rendre compte de ce que vivent au quotidien nos compatriotes ultramarins.
Mme Vivette Lopez. - Je remercie nos collègues de ce rapport, certes, alarmiste, mais réaliste.
Qu'en est-il aujourd'hui de la mise en oeuvre des recommandations relatives aux déchets que nos collègues Viviane Malet et Gisèle Jourda avaient formulées en 2022 ? Au bout de trois ans, nous devrions tout de même commencer à voir quelques petites avancées.
Comment expliquez-vous que l'hôpital auquel vous faites référence dans le rapport soit totalement vide ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Cela a été l'une des plus grandes surprises de ma vie : l'hôpital est tout beau, tout neuf, avec des salles entières pour les dialyses, mais il est vide de personnel. En effet, compte tenu du contexte politique au Suriname, les médecins, les infirmiers ou les spécialistes vont se former aux Pays-Bas et ne reviennent pas. L'hôpital n'a donc pas de personnel, et il n'a pratiquement jamais fonctionné. J'ai du mal à comprendre que l'on ait pu concevoir un hôpital aussi cher sans prévoir le personnel.
M. Rachid Temal. - Combien y a-t-il de lits ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - De mémoire, je crois qu'il y en a une centaine.
Mme Vivette Lopez. - Cet hôpital était-il une nécessité ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Oui. Il s'agissait d'éviter que les habitants n'aillent se faire soigner de l'autre côté du fleuve.
Le problème se pose dans des termes comparables pour les écoles. Celles qui se situent le long du fleuve sont toutes cassées, pour diverses raisons. Quand on a fait observer au président de la République du Suriname que son pays aurait de l'argent grâce aux forages, il a répondu que, certes, ils allaient réparer les écoles, mais que la France devait envoyer des enseignants. Vous le voyez, c'est compliqué...
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Les recommandations relatives aux déchets datent de 2022. Depuis, notre vie politique nationale a tout de même connu quelques soubresauts. À mon sens, c'est un travail de fond qu'il faut mener. Pour l'instant, le sujet n'a pas encore été mis à l'agenda.
Nous reprenons ces recommandations à notre compte en insistant sur leur importance : il n'y a pas de développement possible sur des territoires contraints et insulaires comme les nôtres sans une politique commune de gestion des déchets, en parallèle de mesures en faveur du développement économique.
Mme Micheline Jacques, présidente. - La proposition de résolution européenne que nous avons déposée mentionne d'ailleurs que le projet de texte « omnibus » européen relatif aux RUP devrait notamment contenir des dispositions sur les transferts et le traitement de déchets dans l'espace régional de ces territoires.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Je le précise, les trois médecins présents à l'hôpital d'Albina sont des médecins cubains qui sont missionnés en début de carrière au sein de cet établissement.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Mais l'hôpital est vide ! Je crois qu'il y a seulement deux consultations par jour.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Mes chers collègues, je suis ravi de vous retrouver.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Nous aussi, cher Thani Mohamed Soilihi, même si nous aurions préféré que vous restiez au Gouvernement !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je rends hommage à Salama Ramia, qui a occupé ma place avec brio ; je regrette qu'elle parte, tant le travail qu'elle a fourni a été excellent.
Heureux hasard du calendrier, mon retour au Sénat coïncide avec l'examen par notre délégation de cet excellent rapport, dont je soutiens totalement les recommandations.
Je le rappelle, la France compte trente-cinq pays frontaliers. C'est le pays du monde qui en a le plus, grâce à nos outre-mer. Il faut renforcer notre influence auprès de ces pays.
L'idée d'un pôle stratégique de coopération régionale outre-mer est une excellente recommandation. De même, l'adhésion de la Guadeloupe, de la Guyane et d'autres territoires ultramarins à la Caricom permettra d'accélérer un mouvement qui n'a que trop traîné avec la Martinique. J'avais évoqué ce point avec Jean-Noël Barrot au mois de juillet dernier. Certes, la situation chaotique qui règne à l'Assemblée nationale ne facilite pas l'inscription de projets de loi à l'ordre du jour parlementaire. Peut-être pourrions-nous examiner le texte d'abord au Sénat ?
Je rejoins les auteurs du rapport. La francophonie est un trésor partagé par 90 États, dont la France, et que nous ne valorisons pas suffisamment. Ce n'est pas seulement une question de langue : la francophonie, ce sont aussi des valeurs de paix, de démocratie, de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes.
Le français, nous dit-on, serait en déclin. Ce n'est pas vrai. Aujourd'hui, nous sommes 321 millions de locuteurs francophones, et nous allons passer à 750 millions d'ici à 2050. La vraie question est de savoir comment nous pouvons accompagner ce mouvement. Il faut notamment travailler sur la formation des enseignants. Le collège international de Villers-Cotterêts, dernier établissement que j'ai inauguré - c'était au mois de septembre -, aura cette tâche.
Nous avons créé un Erasmus francophone, le programme international de mobilité et d'employabilité francophone (Pimef), qui a été lancé hier et qui a vocation à permettre la mobilité et l'employabilité des jeunes dans l'espace francophone au sein des 1 100 universités qui composent l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF). C'est une aubaine dont il faut absolument se saisir.
Nous avons des champions - je pense au Cirad, à l'INRAE, à l'IRD et même à l'AFD - qui sont des opérateurs efficaces. Mais il faut les valoriser, car tout le monde ne sait pas forcément que la France est derrière.
Je connais un autre hôpital vide. Celui-là a été construit au mois de juin par les Chinois à Anjouan. À chaque fois, on pense à l'investissement, mais pas à la suite. Une idée à creuser serait de confier aux ONG, toujours si promptes à fustiger les politiques migratoires de la France, une mission pour faire fonctionner ces hôpitaux.
M. Rachid Temal. - Je salue le rapport de nos collègues, qui est à la fois révélateur de nombreuses difficultés, mais aussi porteur de beaucoup de promesses.
Toutefois, à la recommandation 14, je pense qu'il vaudrait mieux éviter de parler de « sous-programme » Erasmus. Un sous-programme, c'est moins bien qu'un programme. J'entends les justifications techniques d'une telle formulation, mais, en termes de présentation, elle ne me paraît pas très heureuse.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Nous pouvons très bien écrire « programme ».
M. Rachid Temal. - J'ai un désaccord, déjà ancien, avec mon collègue Thani Mohamed Soilihi sur l'AFD. Je n'arriverai jamais à comprendre que l'outil mobilisé en l'espèce soit le même que celui qui est utilisé pour aider, par exemple, le Mali. On me répondra sans doute que c'est un « pôle d'excellence ». Dans ce cas, pourquoi ne pas faire appel à Bpifrance ? « L'Agence » française de développement n'a d'agence que le nom ; en réalité, c'est une banque. Regardez ses comptes : la principale activité de l'AFD, c'est du placement de prêts. Le recours à l'AFD serait justifié par son « expertise » ? Mais l'expertise, elle est avant tout chez les hommes et les femmes qui sont à l'AFD et qui pourraient être ailleurs !
Le rapport met en lumière combien la dimension européenne est centrale. J'appartiens à une famille politique très pro-européenne. À mon sens, il serait temps d'avoir une véritable politique européenne à l'égard des territoires ultramarins.
Nous voterons ce rapport avec enthousiasme.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Je pense que des réformes s'imposent, y compris s'agissant de l'AFD. Hormis La Réunion, nos territoires ultramarins n'arrivent pas à mobiliser les fonds structurels européens, en raison de problèmes de préfinancement. Pourquoi ne pas avoir l'AFD en support pour accompagner les collectivités dans le préfinancement, le suivi, l'ingénierie et l'expertise ? En République dominicaine, grâce à un tel accompagnement, un métro et des téléphériques ont pu être réalisés.
M. Rachid Temal. - Précisément, il s'agit d'un État, donc avec une capacité d'emprunt.
Autre problème, personne ne sait que l'AFD, c'est la France. Moi, je préférerais une banque française de développement, avec l'adjectif « française ». Aujourd'hui, la France finance des projets, mais, quand elle le fait, personne ne le sait !
M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous sommes en train d'y remédier. Un logo - il a été validé - sera désormais apposé partout où il y aura des projets AFD à l'international.
Mme Solanges Nadille. - Ce rapport, dont je remercie les auteures, est très pertinent. Il ne fait qu'étayer ce que nous savons déjà et apporter des exemples concrets de la réalité ultramarine. J'aimerais aborder plusieurs éléments.
D'abord, il y a des normes qui nous bloquent lorsque nous voulons faire de la coopération avec nos pays voisins.
Ensuite, les politiques publiques que l'État décide dans l'Hexagone ne sont pas adaptées à nos territoires ultramarins. Ce sont les préfets qui doivent adapter les dispositifs. Nous devons alerter les différents gouvernements pour qu'ils aient conscience de la nécessité d'adapter d'emblée aux territoires ultramarins les politiques publiques qu'ils conçoivent.
Enfin, pouvons-nous garantir qu'il y aura assez de sargasses pour qu'une entreprise développe un mécanisme de valorisation de ces algues ? Pour qu'une entreprise investisse, il faut qu'il y ait des sargasses pendant une quarantaine d'années au moins. Or ce n'est pas exactement la dynamique que nous souhaitons soutenir...
M. Jean-Gérard Paumier. - Ce rapport, de très grande qualité, dresse un constat assez déprimant. Laissons respirer les outre-mer ! Assez de cette approche verticale, dans laquelle Paris sait mieux que tout le monde ce qui est bon pour le reste du pays ! Si nos concitoyens avaient connaissance de certains des exemples désespérants qui sont évoqués dans le rapport - je pense au fameux cas de l'hôpital -, cela nourrirait encore les extrêmes !
Il est également fait référence à la présence de la Chine et des États-Unis dans les Caraïbes. Face à ces deux mammouths, la France n'a pas la taille critique suffisante. C'est à l'Europe de prendre conscience de la nécessité d'agir dans ces territoires. Pour moi, l'une des clés est non pas à Paris, mais à Bruxelles. Or, aujourd'hui, l'outre-mer est le cadet des soucis de Bruxelles ! Si nous voulons peser davantage auprès des instances européennes, travaillons avec les autres pays européens qui ont aussi des territoires ultramarins, comme l'Espagne et le Portugal. C'est un enjeu stratégique. Songeons par exemple à la manière dont l'Union européenne réagit lorsque les Américains s'intéressent au Groenland.
Nos territoires ultramarins sont une chance extraordinaire ; ils nous permettent - cela a été rappelé - d'avoir trente-cinq pays frontaliers. Mais, pour l'instant, ils sont parfois perçus comme un handicap. C'est dramatique.
Je félicite les auteures de ce rapport, et j'espère qu'il y a au moins deux ou trois recommandations sur lesquelles nous finirons par voir des avancées.
M. Rachid Temal. - Je vais être un peu taquin. Pour faire ce que notre collègue suggère, il faudrait déjà que la France soit puissante à l'échelon européen, par exemple en y envoyant des commissaires avec de l'influence...
Pour ma part, j'ai toujours plaidé pour que nous puissions avoir des ministres ou des secrétaires d'État de zone, comme cela existe outre-Atlantique. Dans les grandes conférences internationales, nos ministres se font souvent remplacer par des directeurs d'administration centrale, qui, pour des raisons protocolaires, n'ont le droit de prendre la parole qu'en fin de réunion seulement. Avoir des ministres de zone permettrait d'aller voir des partenaires et de faire avancer certains dossiers. Un ministre de plein exercice qui doit être à Paris pour assister à la séance des questions d'actualité au Gouvernement n'a pas nécessairement le temps de s'occuper de l'Indo-Pacifique ! Aux États-Unis, il y a un sous-secrétaire pour l'Afrique qui se déplace dans tous les pays concernés. Nous pourrions nous inspirer d'une telle pratique.
Mme Annick Petrus. - Je félicite mes collègues de ce rapport extraordinairement pertinent.
J'espère que, grâce à toutes ces recommandations, les choses bougeront et que la coopération régionale, à laquelle nous sommes tous si attachés, ne restera pas un voeu pieux.
J'ai toujours pensé que la France ne profitait pas suffisamment de la position géographique de ses outre-mer, de l'ensemble de ses outre-mer. Par exemple, Saint-Martin pourrait avoir un leadership en matière de coopération régionale dans la zone. À nous de définir lequel.
Ce morceau de France dans cette zone caribéenne pourrait être une chance pour notre Nation, qui n'en profite pas suffisamment. Puissent quelques-unes des recommandations du rapport retenir l'attention de nos dirigeants.
Cela a été dit, il va falloir que l'Europe se mouille ! Il va falloir que tout le monde se mette autour de la table pour revoir les normes. Il va falloir que le Gouvernement et le Parlement se souviennent que les outre-mer ont des spécificités dont il faut tenir compte dans l'élaboration des textes législatifs.
J'adresse un grand bravo à nos collègues, qui ont mis le doigt sur la réalité de nos outre-mer. Nous nous battrons pour que leurs recommandations soient suivies d'effets.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure. - Merci, ma chère collègue, de ces mots d'encouragement, qui font plaisir.
Il faudra effectivement que l'Union européenne prenne conscience de l'apport des outre-mer français au sein de l'Europe. N'oublions pas que l'importante biodiversité européenne est en grande partie française et, en l'occurrence, ultramarine.
Nous avons centré le rapport sur la coopération régionale et l'intégration de nos territoires au sein des zones géographiques concernées. Mais nous avons aussi pointé des risques environnementaux majeurs, comme la pêche illicite, l'orpaillage illégal, sans oublier la pollution de la forêt et de la ressource en eau, notamment en Guyane. Songeons également aux risques sanitaires, avec l'empoisonnement au mercure, dont les populations subissent chaque jour les conséquences.
Oui, nos économies ultramarines sont sous perfusion. Mais, dans nos outre-mer, il y a aussi des urgences sur des sujets qui sont au coeur des politiques européennes, à commencer par l'environnement et la santé humaine.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Je pense qu'il nous faudra nous rendre à Bruxelles pour présenter ce rapport. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas du genre à lâcher le morceau. Allons exposer nos recommandations à Bruxelles, à la nouvelle ministre des outre-mer et au ministre des affaires étrangères !
Notre rapport est révélateur d'une réalité, tant territoriale qu'humaine. Il n'est pas question qu'il reste dans un tiroir. Nous allons nous attacher à faire en sorte que nos recommandations, en tout cas les plus importantes, soient rapidement suivies d'effets. Elles ont été formulées dans l'intérêt des territoires et de la France au sens large. Nous devrons nous battre pour obtenir des résultats.
Mme Micheline Jacques, présidente. - Je profite de l'occasion pour remercier nos collaborateurs et l'équipe de la délégation.
Pour nous, ce travail a été une expérience très forte. Nous nous sommes rendus dans les territoires français, mais également dans les territoires frontaliers. Cela nous a permis de toucher du doigt certaines réalités. La France rayonne en matière de santé. Les Surinamais préfèrent venir se faire soigner en France, en l'occurrence en Guyane - en plus, c'est gratuit -, plutôt qu'à Albina, où l'hôpital est entièrement équipé, mais non utilisé, ce qui est dramatique.
Les recommandations sont adoptées.
La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 9 h 50.