- Mercredi 12 novembre 2025
- Accueil d'un nouveau commissaire et désignation d'un rapporteur spécial
- Projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales - Examen des amendements de séance aux articles délégués au fond au texte de la commission des affaires sociales
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Défense » (et article 68) - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Économie » (et articles 70 et 71) - Compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » - Examen du rapport spécial (sera publié ultérieurement)
- Contrôle budgétaire - Les dysfonctionnements dans la collecte de la taxe d'aménagement et leurs conséquences financières pour les collectivités territoriales et les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) - Communication
- Projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025 - Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics
- Jeudi 13 novembre 2025
- Projet de loi de finances pour 2026 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2026 - Missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonction publiques », « Crédits non répartis » - Compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Culture » - Examen du rapport spécial (sera publié ultérieurement)
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » (et articles 80 et 81) - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Engagements financiers de l'État » - Comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » - Examen du rapport spécial (sera publié ultérieurement)
- Vendredi 14 novembre 2025
Mercredi 12 novembre 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 8 h 05.
Accueil d'un nouveau commissaire et désignation d'un rapporteur spécial
M. Claude Raynal, président. - Avant de commencer nos travaux, permettez-moi de souhaiter, en notre nom à tous, la bienvenue à notre collègue Sophie Primas, sénateur des Yvelines ; elle rejoint notre commission en remplacement de Jean-Baptiste Blanc, qui nous quitte pour la commission des lois.
Comme il est de tradition, Mme Primas aura la charge de suivre, au nom de notre commission, un budget attaché à une politique publique. Il vous est donc proposé de la nommer rapporteur spécial, au sein de la mission « Cohésion des territoires », sur les crédits du logement et de la politique de la ville, sujets sur lesquels elle a d'ailleurs déjà une certaine expertise, compte tenu de ses anciennes fonctions de présidente de la commission des affaires économiques.
Il en est ainsi décidé.
Projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales - Examen des amendements de séance aux articles délégués au fond au texte de la commission des affaires sociales
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements sur les articles qui nous ont été délégués au texte de la commission sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales.
Je rappelle que la commission des affaires sociales nous a délégué l'examen au fond des articles 1er, 3, 9, 15, 18, 19, 20 et 23 de ce texte et qu'ont été introduit dans le texte de la commission, sur notre initiative, les articles 3 bis, 20 bis 20 ter et 20 quater.
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES AVIS
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Dans le cadre de nos travaux relatifs au projet de loi de finances (PLF) pour 2026, nous examinons à présent le rapport spécial de MM. Christian Klinger et Victorin Lurel sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar).
M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Année après année, nous constatons que le contexte général du secteur agricole demeure particulièrement difficile : la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » doit concilier des enjeux toujours plus contraignants et des moyens qu'il faut optimiser. Vous le savez parfaitement, la situation que connaissent les agriculteurs français n'est pas réjouissante ; cela justifie que nous soyons proactifs à leur égard.
Le secteur agricole est d'abord touché par les fortes tensions internationales. Les conséquences de ces tensions sur les approvisionnements, sur nos exportations et sur les cours des matières premières sont multiples : entre la guerre en Ukraine, le conflit au Proche-Orient, les tensions entre le Cambodge et la Thaïlande, les tensions commerciales entre l'Europe et la Chine, le renforcement des droits de douane américains, ou encore l'entrée en vigueur, de plus en plus probable, de l'accord UE-Mercosur, nous voyons bien que le contexte n'est pas favorable.
Ensuite, les aléas climatiques et sanitaires ont durement frappé les milieux agricoles ces dernières années, même s'il faut reconnaître une relative amélioration, puisque l'année 2025 a globalement connu moins de crises que les années précédentes. Cependant, on regrette cette année quelques foyers contagieux et des abattages imposés ; je pense notamment à la propagation de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) des bovins.
Face à ce contexte difficile, le Parlement est au rendez-vous depuis deux ans. Nous avons adopté plusieurs dispositifs, bien au-delà des clivages partisans, pour aider les agriculteurs à traverser ces turbulences. Je pense à la facilitation du recours à la dotation pour épargne de précaution, à diverses mesures d'aides à l'installation et à plus de 740 millions d'euros d'aides exceptionnelles qui sont ou seront versées en 2025 et en 2026 : ainsi du fonds d'urgence pour le secteur viticole, du dispositif de réduction du potentiel de production viticole, des prêts bonifiés à l'attention du secteur vitivinicole, du fonds d'urgence visant à soutenir les exploitations d'élevage impactées par la maladie hémorragique épizootique, des aides à la filière biologique, des aides aux planteurs de banane, de la prise en charge d'une partie des pertes de production des éleveurs de volaille, de l'indemnisation pour la prise en charge de la surmortalité liée à la fièvre catarrhale ovine, des prêts garantis, du dispositif pour les fruits et légumes outre-mer, du fonds d'urgence de soutien aux exploitations en difficulté à la suite des inondations de 2024 en Ille-et-Vilaine, du fonds d'urgence au bénéficie des jeunes installés en viticulture, de l'aide aux pépiniéristes en viticulture, ou encore du fonds d'urgence pour soutenir les exploitations agricoles touchées par les incendies de l'Aude survenus à l'été 2025. Il est indéniable que les pouvoirs publics se préoccupent de la question agricole, et tant mieux !
Cet engagement se traduit par le fait que le total des concours publics consacrés à l'agriculture sera, de nouveau, maintenu en 2026. Si l'on totalise les crédits européens de la politique agricole commune (PAC), les dépenses sociales, les mesures fiscales, les crédits de la présente mission et du Casdar, ceux qui, comme l'enseignement technique agricole, relèvent d'autres missions, ce sont 25,3 milliards d'euros que nous consacrerons en 2026 à l'agriculture, à l'alimentation et à la forêt, soit à peu près l'équivalent de l'effort de 2025.
Au vu du contexte budgétaire, c'est un effort colossal que de maintenir le total des dépenses publiques pour l'agriculture.
De fait, la répartition de ce total évolue progressivement. Des crédits qui figuraient auparavant dans la présente mission sont mis ailleurs, et sous une autre forme, pour soutenir d'autres priorités. C'est aussi la conséquence des revendications des agriculteurs, qui ont abouti à 70 engagements gouvernementaux qui ne transitent pas forcément par cette mission.
Comme l'an dernier, nous avons donc fait le choix de regarder les crédits dévolus à l'agriculture dans leur ensemble et non pas seulement sous le seul prisme de la mission qui, historiquement, ne représente que 20 % du total des crédits agricoles.
Nous nous sommes donc posé une unique question, qui guide la plupart de nos travaux : les crédits pour l'agriculture, dans leur ensemble, vont-ils permettre de répondre aux principales attentes des professionnels du secteur, sans pour autant dégrader notre souveraineté ?
Cette question est légitime, puisque les autorisations d'engagement (AE) diminuent de 11,59 % et les crédits de paiement (CP) de presque 5 %, mais en plus de la traditionnelle comparaison avec l'exercice précédent de 2025, il nous a semblé pertinent de comparer le PLF pour 2026 avec la dernière année exécutée, c'est-à-dire 2024. Nous avons aussi examiné ce qui se faisait avant la parenthèse exceptionnelle 2022-2025 : quand on compare ce projet de budget avec le dernier budget non exceptionnel, exécuté en 2021, on constate que le niveau des crédits de paiement pour 2026 est supérieur de 1 milliard d'euros à celui de 2021.
J'estime donc, au-delà des apparences, que l'effort est globalement soutenu. Bien sûr, nous aimerions faire plus. Bien sûr, ce n'est pas suffisant, et je partage certaines des pistes d'amélioration que Victorin Lurel va détailler, mais je considère que ces crédits répondent à l'essentiel des attentes des professionnels dans un contexte budgétaire objectivement très difficile.
C'est pourquoi, pour ma part, je vous proposerai de voter en faveur des crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Si l'on accepte de prendre en compte tous les paramètres, comme l'a fait Christian Klinger à l'instant, je reconnais qu'un effort est consenti par les pouvoirs publics. On perçoit bien toute la difficulté de concilier la nécessité de redresser les finances publiques et le soutien à des politiques aussi transversales que celles dont nous parlons.
En revanche, il me semble difficile de faire abstraction de quelques caractéristiques des crédits de cette mission pour 2026 ; je dois dire qu'il y a encore, selon moi, une marge de progression. C'est pourquoi nous avons souligné dans notre rapport plusieurs points de vigilance.
D'abord, je regrette vivement que nous renoncions, à ce point, à la transition écologique dans ce budget. Notre mission n'est pas la seule concernée par ce renoncement, mais l'effort qui avait été fait en matière écologique n'est pas reconduit. Les données chiffrées sont éloquentes : en deux ans, les crédits de paiement consacrés à la planification écologique ont diminué de 67 %. Il faut bien voir que, concrètement, on renonce à accompagner les agriculteurs dans la transition écologique ; nous risquons ainsi de creuser le fossé entre les exploitants agricoles et la population.
Ce n'est pas le seul point inquiétant dans ce budget, loin de là. Ainsi, les moyens alloués à l'action n° 22 « Gestion des crises et des aléas de la production agricole » du programme 149 diminuent quasiment de 50 %, tout comme les crédits consacrés aux mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), qui perdent la moitié de leurs autorisations d'engagement, soit 45 millions d'euros.
Sont également en baisse les crédits destinés à financer la part étatique de l'assurance récolte, les crédits alloués au fonds Avenir Bio, qui sont divisés par deux, soit une baisse de 9,2 millions d'euros, ainsi que les crédits pour le stage d'accompagnement à l'installation des agriculteurs, qui passent de 9,6 millions à 2,5 millions d'euros. Le transfert aux régions de la gestion de toutes les aides non surfaciques, dont les aides à l'installation, dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) 2023-2027, explique cette dernière diminution, mais on aurait pu espérer la sanctuarisation de quelques aspects essentiels au sein de l'action consacrée à l'appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles - je pense en particulier aux aides du programme d'accompagnement à l'installation et la transmission en agriculture (AITA), ainsi qu'aux stages d'accompagnement à l'installation.
Nous détaillons aussi dans le rapport le rôle crucial des dix opérateurs rattachés à cette mission ; or neuf d'entre eux voient les moyens qui leur sont alloués via la mission diminuer pour 2026. Cela ne signifie pas forcément que ces opérateurs perdent des moyens, puisqu'ils sont souvent financés au travers de plusieurs missions budgétaires. Seul l'Office national des forêts (ONF) voit ses crédits très légèrement progresser - tant mieux ! -, mais son schéma d'emploi laisse apparaître une diminution de 37 équivalents temps plein (ETP), ce qui ne me semble pas compatible avec les enjeux forestiers majeurs.
Que dire, enfin, de la baisse de 1 million d'euros des crédits destinés à la souveraineté alimentaire dans ce projet de budget ?
Tout cela ferait beaucoup s'il n'y avait pas, par ailleurs, quelques points positifs dans ce budget. Je me réjouis par exemple de la consolidation de certains dispositifs favorables aux travailleurs, comme la préservation des crédits consacrés aux fameux TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi) du programme 381, qui anticipe les conséquences de deux mesures très positives pour les agriculteurs : la prise en compte des vingt-cinq meilleures années pour le calcul des pensions de retraite, qui se met en place progressivement pour une entrée en vigueur au 1er janvier prochain, et le rehaussement de 1,2 à 1,25 Smic du seuil de dégressivité du dispositif des TO-DE.
On le sait bien, l'agriculture est un secteur très concurrentiel ; si nous n'adaptons pas nos règles, nous favoriserons une certaine précarisation. L'exonération de certaines charges ou cotisations, dont bénéficient 71 000 entreprises, soit à peu près la moitié des structures agricoles employant un salarié, permet de maintenir environ un tiers du volume global des heures salariées dans le secteur agricole, tout en donnant lieu à une compensation pour la Mutualité sociale agricole (MSA). C'est un moyen de lutter contre le travail illégal et les conséquences qu'il entraîne, en particulier pour des emplois à faible valeur ajoutée. C'est également un point auquel je prête une attention particulière dans les outre-mer, où le salariat agricole joue un rôle central.
À rebours des diminutions que j'ai citées, la hausse des crédits alloués à la lutte contre les maladies animales fait l'objet d'un satisfecit dans notre rapport. Alors qu'un choix inverse avait été fait l'an dernier, ce qui était difficilement compréhensible dans un contexte sanitaire mondial toujours plus incertain, il faut se réjouir de cette décision et espérer qu'elle puisse, à terme, avoir un effet positif sur la qualité et la sécurité de l'alimentation. C'est d'autant plus important que l'année 2025 a été marquée par quelques drames sanitaires liés à la vente de viande impropre à la consommation.
Enfin, nous exprimons notre pleine satisfaction à l'égard du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural », puisque nous avons été pleinement entendus.
Le Casdar est financé exclusivement par une recette assise sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles. Les dépenses, pour leur part, étaient jusqu'à présent plafonnées à un niveau insuffisant, ce qui conduisait, année après année, compte tenu du différentiel avec les recettes, à la croissance du solde comptable. Cela devenait problématique, puisque cet argent ne servait pas à ce à quoi il était destiné, à savoir le soutien à la mise en oeuvre d'actions de recherche appliquée, d'études, d'expérimentations et de développement, dans le cadre du programme national de développement agricole et rural (PNDAR).
Nous avions franchi une première étape en 2024, avec une première revalorisation de 15 millions d'euros, qui se verra amplifiée en 2026. Avec un plafond porté à 171 millions d'euros, soit une hausse de 25 millions d'euros, l'argent collecté via la taxe pourra être intégralement utilisé pour les deux programmes que compte le Casdar. Pour la première fois depuis 2014, le solde comptable du Casdar devrait donc diminuer. Cette hausse permettra le financement de plusieurs appels à projets, par exemple celui intitulé « Investir pour élargir la palette des solutions mises à disposition des agriculteurs et développer les alternatives aux produits phytopharmaceutiques ». L'insistance des parlementaires pour obtenir ce rehaussement du plafond a donc payé.
Pour autant, au regard des marges de progression que j'ai mentionnées, vous aurez compris que je m'abstiendrai, à ce stade, sur les crédits de cette mission, tout en gardant espoir que des améliorations interviendront ; je suis en revanche d'ores et déjà favorable à l'adoption des crédits du Casdar.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La conclusion était presque inattendue après tant de critiques, mon cher collègue ! Mais même si les positions exprimées sont différentes, sinon opposées, elles sont toujours constructives.
Les moyens budgétaires consacrés à l'agriculture sont importants, plus importants même qu'à une époque récente, mais l'intervention de nombreux opérateurs complique la lisibilité de ces politiques. De nombreux secteurs de notre agriculture connaissent des difficultés, au-delà des épizooties. Il importe surtout que l'agriculture française redevienne la première en Europe, comme elle l'était encore il y a dix ans ; nous devons examiner les raisons de ce déclin et imaginer des voies nouvelles. Certes, le secteur agricole, qui faisait il y a quelques décennies la prospérité de nombre de nos territoires, a largement été supplanté par d'autres secteurs, mais la souveraineté alimentaire est un enjeu croissant dans le monde entier.
Je vous remercie tous deux pour la qualité de vos travaux. Il est impossible d'apporter une réponse seulement budgétaire aux mécontentements exprimés par nos agriculteurs. La colère dirigée contre l'accord UE-Mercosur cache mille et une situations différentes : nous avons aujourd'hui de multiples agricultures plutôt qu'un modèle unifié.
M. Marc Laménie. - Merci à nos rapporteurs pour ce travail de qualité. Oui, la situation du monde agricole s'est largement détériorée au fil des ans.
Les moyens alloués aux chambres d'agriculture, qui assistent les agriculteurs dans des démarches de plus en plus compliquées, restent-ils stables ?
La loi Duplomb a-t-elle des conséquences financières visibles dans le PLF 2026 ?
Enfin, qu'en est-il des moyens humains sur le terrain ? Les effectifs pourraient-ils augmenter si l'on puisait dans ceux de l'administration centrale ?
M. Albéric de Montgolfier. - Le programme 149 permettra-t-il, à lui seul, à nos agriculteurs de rester compétitifs si l'accord UE-Mercosur était définitivement approuvé ?
Le programme 206 finance-t-il les contrôles à l'importation de produits alimentaires, en particulier provenant du Mercosur, ou bien ces contrôles relèvent-ils d'autres programmes ? Cet accord devrait conduire à une hausse considérable des importations ; on nous promet des contrôles sanitaires, mais comment ceux-ci seront-ils financés ?
Mme Nathalie Goulet. - Les documents budgétaires détaillent-ils par programme les ETP du ministère de l'agriculture et de ses subdivisions ?
M. Michel Canévet. - Les actions mises en oeuvre en faveur de la viticulture répondent-elles aux enjeux actuels de la profession ? Notre commission des affaires économiques, dans un récent rapport d'information, appelle à des actions fortes pour relancer cette activité importante pour l'économie nationale.
Qu'est-ce qui explique la baisse significative des autorisations d'engagement de cette mission, alors que les crédits de paiement sont plus stables ? La répartition des moyens entre l'administration centrale et les territoires vous paraît-elle adaptée, ou bien faudrait-il consentir un effort de réduction de la première au profit d'une présence territoriale accrue ?
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Les points de vue ne sont pas aussi contradictoires qu'on pourrait le penser, monsieur le rapporteur général ; simplement, je me résous mal à accepter ce recul considérable, pour ne pas dire cet abandon des crédits consacrés à la planification écologique. Certes, on peut se satisfaire que les crédits de cette mission soient globalement maintenus, mais neuf des dix opérateurs concernés voient leurs crédits diminuer. L'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom) perd 100 millions d'euros, près de la moitié de son budget ! La situation de l'ONF est plus satisfaisante, mais il perd tout de même 37 ETP.
Nous convenons qu'il y a aujourd'hui plusieurs types d'agriculture, qui exigent des politiques particulières. Nous sommes aussi bien conscients des craintes suscitées par l'accord UE-Mercosur. Les fluctuations politiques en la matière font peser une grande incertitude ; le Président de la République a beaucoup varié sur ce point. Cela dit, nous ne sommes pas excessivement pessimistes : si le budget diminue par rapport à la période exceptionnelle 2022-2025, les crédits restent supérieurs à la moyenne quinquennale.
M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Vous avez raison, monsieur le rapporteur général : pour l'agriculture, on ne peut pas se contenter d'une réponse budgétaire. Une alerte est lancée cette année : alors que notre agriculture, si vertueuse, était d'ordinaire notre deuxième ou troisième ligne exportatrice, elle risque d'être déficitaire en 2025, ce qui est absolument ahurissant.
Le budget de l'agriculture connaît une baisse globale de quelque 200 millions d'euros. Les rapporteurs pour avis de la commission des affaires économiques proposent de modifier la ventilation de cette diminution, en ponctionnant l'administration centrale pour affecter ces sommes à des actions bénéficiant directement aux agriculteurs.
Madame Goulet, les effectifs du ministère de l'agriculture devraient passer de 11 734 à 11 546 ETPT, soit une baisse de presque 200 ETPT et nous disposons effectivement de la répartition par programme dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2026.
Monsieur Laménie, la loi Duplomb a indirectement un effet sur le Casdar : 25 millions d'euros supplémentaires iront à la recherche sur l'utilisation des produits phytosanitaires et la modification des pratiques culturales.
M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Monsieur Laménie, la dotation des chambres d'agriculture est maintenue à 334 720 915 euros et l'article 36 du projet de loi de finances prévoit en parallèle le déplafonnement du montant de la taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) qui finance le réseau des chambres.
Les moyens du ministère sont aussi globalement maintenus. Pour ce qui est de la répartition entre administration centrale et services déconcentrés, je n'ai pas de réponse précise à vous apporter. Peut-être faudrait-il déconcentrer davantage ; en tout cas, les services ne nous disent pas manquer de moyens.
Monsieur de Montgolfier, un contrôle sanitaire aux frontières est bien opéré, en particulier par l'Inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières. Certains estiment que le contrôle phytosanitaire est défaillant. Je ne saurais vous dire à cet instant quel programme en assure le financement, et à quelle hauteur.
Monsieur Canévet, beaucoup d'actions sont mobilisées pour la viticulture, notamment des fonds d'urgence. La politique d'arrachage continue : sont concernés 8 000 hectares dans le Bordelais, 10 000 hectares dans le sud-est.
M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Ce soutien à la viticulture via les fonds d'urgence est réel, mais il se révélera sûrement insuffisant face aux défaillances à prévoir. La crise économique est là, la crise sociale va arriver ; certains exploitants ne peuvent plus payer leurs fournisseurs, voire ne se rémunèrent plus eux-mêmes. Il faudra certainement des actions supplémentaires en 2026 et 2027.
Enfin, je précise que si les moyens déconcentrés diminuent au sein du programme 215, c'est la conséquence du transfert de certaines compétences de l'État aux régions.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Défense » (et article 68) - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen du rapport spécial de M. Dominique de Legge sur la mission « Défense » et l'article 68 du projet de loi de finances pour 2026 qui lui est rattaché.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la mission « Défense ». - Je structurerai mon propos sur les crédits de la mission « Défense » en trois parties : le contexte, les chiffres et les questions soulevées par ce budget.
S'agissant du contexte, nous le savons tous, le cadre stratégique se dégrade rapidement et profondément.
La revue nationale stratégique publiée en juillet 2025 parle d'une « nouvelle ère », marquée par un risque élevé de guerre majeure de haute intensité en Europe, pouvant impliquer la France et ses alliés à l'horizon 2030. La Russie demeurerait la principale menace, mais d'autres puissances - l'Iran, la Chine et, plus largement, les adversaires du modèle démocratique libéral européen - contribuent, selon elle, à un environnement instable et plus ou moins directement hostile.
Ainsi que l'ont souligné successivement les deux derniers chefs d'état-major des armées, nous devons désormais faire face à des crises qui s'additionnent et non plus à des crises qui se succèdent. Il faut, en outre, nous préparer à un éventuel choc stratégique d'ici à trois ou quatre ans.
En réponse, les nations de l'Otan ont décidé en juin dernier de porter leur effort de défense de 2 % à 3,5 % du PIB d'ici à 2035. Ce relèvement historique de l'objectif est le reflet d'une tendance mondiale à la hausse des dépenses militaires.
Pour ce qui concerne la France, le Président de la République a annoncé le 13 juillet dernier, devant les armées, un effort supplémentaire, par rapport à la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, de 3,5 milliards d'euros en 2026 et de 3 milliards d'euros en 2027, ces « surmarches » s'ajoutant aux marches prévues de 3,2 milliards d'euros. La hausse totale des crédits serait ainsi de 6,7 milliards d'euros en 2026 et de 6,2 milliards d'euros en 2027.
J'en viens maintenant aux chiffres du budget proposé.
Les crédits de paiement (CP) de la mission « Défense » atteignent 66,7 milliards d'euros en 2026, en hausse de 6,8 milliards, dont 6,7 milliards hors pensions.
Trois angles d'analyse de ces chiffres me paraissent nécessaires.
Premièrement, du point de vue des finances publiques, la défense est le budget qui augmente le plus en 2026, et de loin. Ce sera la deuxième politique publique de l'État en termes d'effort budgétaire en crédit de paiement, juste derrière l'enseignement scolaire. Cela en dit beaucoup, je le crains, sur l'assombrissement et le durcissement du monde.
Deuxièmement, la dépense militaire ne peut être appréciée qu'en comparaison avec ce que décident nos partenaires et nos compétiteurs. En effet, si la plupart de nos politiques publiques ne concernent que nous, la puissance militaire, elle, ne se mesure qu'à l'échelle du monde. Or, partout, l'effort de défense augmente nettement, souvent plus rapidement qu'en France.
Entre 2021 et 2024, selon les données de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les dépenses militaires françaises ont augmenté de moins de 10 % en euros constants, alors qu'elles progressaient, dans le même temps, de 119 % en Russie, de 93 % en Pologne, de 47 % en Allemagne et de 14 % au Royaume-Uni.
Troisièmement, la hausse du budget doit également être appréciée à la lumière de la réalité opérationnelle de nos armées. Car derrière les milliards d'euros supplémentaires, les difficultés persistent. De nombreux matériels demeurent indisponibles et les taux d'activité restent inférieurs aux objectifs. L'armée de l'air et de l'espace ne peut, par exemple, pas exploiter pleinement tous ses avions, faute de crédits suffisants pour en assurer la mise en oeuvre. Les stocks de munitions et de pièces détachées demeurent limités, et certaines lacunes persistent dans des domaines essentiels, tels que la défense sol-air ou les drones.
Cette situation illustre la fameuse loi d'Augustine, selon laquelle le coût des matériels et de leur entretien progresse plus vite que les budgets, conduisant, paradoxalement, à un resserrement du format des armées malgré l'augmentation des moyens.
J'en viens aux questions soulevées par ce budget.
Premièrement, que finance-t-il ?
En 2026, la progression des crédits concernera les quatre programmes de la mission et quinze des seize opérations stratégiques. Les principaux postes en progression sont les équipements à effet majeur, en hausse de 3,4 milliards d'euros, l'entretien des matériels en hausse de 609 millions d'euros, la masse salariale hors pensions qui augmente de 552 millions d'euros, les fonctions supports et de logistique en hausse de 538 millions d'euros, la dissuasion nucléaire en hausse de 487 millions d'euros et les infrastructures, dont les dépenses augmentent de 152 millions d'euros.
Les livraisons prévues l'année prochaine sont par ailleurs relativement nombreuses : un sous-marin, des avions A400M, des hélicoptères, des chars Leclerc rénovés, des véhicules Scorpion, des missiles et des drones notamment.
Les effectifs augmenteront, quant à eux, de 800 équivalents temps plein (ETP), conformément à la LPM. Avec la surmarche, nous aurions pu nous attendre à un effort supplémentaire, d'autant que le schéma d'emplois avait été nettement sous-réalisé entre 2021 et 2023, mais il n'en est rien.
Par ailleurs, je dois souligner que la ventilation précise des dépenses associées à la surmarche de 3,5 milliards d'euros est insuffisamment documentée. Le ministère évoque certes un renforcement accéléré des capacités jugées critiques : munitions, drones, capacités spatiales, guerre électronique, connectivité, défense sol-air et moyens aériens. Néanmoins, il peine globalement à distinguer ce qui relève de la marche annuelle ou de la surmarche.
Si cette approche a pu offrir une certaine souplesse de conception du budget, nous avons besoin aujourd'hui de plus de transparence, compte tenu de l'ampleur des montants en cause et des économies opérées dans le même temps sur d'autres missions budgétaires.
J'ai été frappé d'entendre la réponse de la ministre Vautrin sur l'usage qui sera fait de la surmarche : elle ne pouvait pas le dire avec une précision suffisante. En réalité, il me semble qu'elle pourra servir à financer ce qui ne l'était sans doute pas dans la LPM initiale, ce qui pourrait contribuer, je l'espère, à limiter la hausse du report de charges. Elle devrait également servir à accélérer l'exécution de la LPM et à anticiper sa révision, ainsi qu'à, sur certains sujets, ajouter à la programmation des investissements non prévus initialement. Toutefois, je n'ai pas reçu de réponse précise de la part du ministère sur l'utilisation de la surmarche de 3,5 milliards d'euros, ce qui est révélateur de la manière dont le budget de la défense est géré depuis deux ans, avec une fuite en avant du report de charges. Quoi qu'il en soit, cet effort supplémentaire contribuera à nous remettre à niveau en matière d'acquisition de munitions.
La deuxième question que soulève un budget de la défense élevé, c'est celle de sa transparence et de la sincérité de l'exécution. Or la question de la transparence demeure préoccupante.
Outre le fait que la représentation nationale ne dispose pas de la ventilation précise de la surmarche cette année, depuis 2023, les indicateurs relatifs à la disponibilité des matériels et à l'activité des forces ne sont plus publiés. Je persiste et je signe en continuant à dire que c'est regrettable, car plus le budget augmente, plus l'information du Parlement doit être complète et sincère. Je doute, pour ma part, que nos compétiteurs - à commencer par la Russie - s'informent sur nos capacités à partir des annexes budgétaires. En revanche, le Parlement doit pouvoir exercer pleinement son contrôle. La transparence est en outre un gage de performance.
Concernant la sincérité de l'exécution des budgets de la défense, je souligne qu'il y a encore des progrès à faire.
Le stock de charges reportées, c'est-à-dire les factures non couvertes par les crédits de l'année et dont le paiement est renvoyé à l'année suivante, est passé de 3,9 milliards d'euros à la fin de 2022 à plus de 8 milliards d'euros à la fin de 2024, et pourrait atteindre 8,6 milliards d'euros à la fin de 2026. Dans le même temps, environ 1,8 milliard d'euros de crédits de paiement demeurait gelé début novembre - peut-être que la ministre chargée des comptes publics nous en dira plus lors de son audition. Enfin, le financement des opérations extérieures et du soutien à l'Ukraine a continué jusqu'à présent de reposer sur des ouvertures de crédits en fin de gestion, ce qui fragilise la lisibilité d'ensemble. Je n'ai d'ailleurs pas réussi à obtenir, cette année, la ventilation des surcoûts constatés à ce jour.
La troisième question que pose le présent budget est celle de l'avenir. La défense exige une visibilité longue, car les programmes d'armement engagent l'État pour plusieurs décennies. Le futur porte-avions de nouvelle génération que nous finançons aujourd'hui, par exemple, n'entrera en service qu'en 2038 et sera exploité au moins jusqu'en 2080.
C'est pourquoi une actualisation de la loi de programmation militaire s'impose, comme l'a d'ailleurs indiqué le Président de la République. Trois motifs principaux la justifient : corriger les déséquilibres et tensions budgétaires apparus dès le début de l'exécution de la LPM 2024-2030 ; inscrire les surmarches de 2026 et 2027 dans une trajectoire cohérente et soutenable ; garantir la soutenabilité et la crédibilité de l'effort de défense de la France dans le cadre général des finances publiques. Je précise qu'atteindre un effort de 3,5 % du PIB en 2035 supposerait un budget de l'ordre de 140 milliards d'euros à cet horizon, au regard des prévisions actuelles de croissance et d'inflation. Il faudrait donc que l'effort supplémentaire, de l'ordre de 0,15 % de PIB par an, soit reproduit chaque année jusqu'à cette échéance : de plus de 6 milliards d'euros aujourd'hui, jusqu'à environ 9 milliards d'euros par an en fin de période.
Je terminerai mon propos par la présentation de l'article 68, rattaché à la mission « Défense ». Il a pour objet de prévenir les conséquences budgétaires potentiellement lourdes d'une erreur de l'administration.
Il vise à valider rétroactivement les décisions administratives par lesquelles le ministère a rejeté les demandes indemnitaires de deux catégories d'agents réclamant le bénéfice cumulé d'anciennes primes et du régime indemnitaire unifié instauré en 2016 pour les remplacer. Cette situation résulte d'une omission juridique, les textes abrogeant formellement les anciens dispositifs n'ayant été pris qu'en 2023.
Une première décision de justice ayant donné raison à un agent, d'autres contentieux ont été engagés sur le même fondement, faisant peser sur le budget de l'État un risque financier évalué à environ 147 millions d'euros. Il s'agirait, pour les agents concernés, d'un effet d'aubaine. L'article 68 vise donc à sécuriser la situation juridique et à préserver les deniers publics.
En conclusion, le budget de la défense pour 2026 me semble à la fois lourd et nécessaire. Il traduit la gravité du contexte international. Mais il appelle aussi transparence et rigueur de la part du Gouvernement et incite à une actualisation de la LPM. La ministre Vautrin nous a annoncé qu'un texte en ce sens serait déposé à l'automne - nous verrons bien, car je rappelle que l'automne finit dans un mois.
Mes chers collègues, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Défense » ainsi que l'article 68 qui y est rattaché.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Je souscris aux alertes formulées par le rapporteur spécial : la ministre des armées et des anciens combattants doit vous donner les éléments sur la surmarche pour que le budget de cette mission soit examiné en séance dans la plus grande transparence. Le Gouvernement ne peut pas prévoir un tel niveau de dépense dans le budget de la défense sans éclairer le Parlement sur cette décision, car notre rôle est de contrôler l'action du Gouvernement.
Nous relaierons donc la demande du rapporteur spécial auprès du Premier ministre et de la ministre.
Certes, j'entends que certains éléments ne doivent pas être rendus publics, mais ils doivent être transmis au Parlement pour qu'il en prenne connaissance. L'armée est la « Grande muette », mais ce mutisme ne peut pas porter sur les crédits inscrits par le Gouvernement.
M. Jean-Raymond Hugonet. - A-t-on une estimation exacte de la flotte de Rafale et de sa capacité opérationnelle compte tenu de la ventilation des crédits ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous donner quelques éléments chiffrés et préciser les perspectives qui se dessinent concernant le système de combat aérien du futur (Scaf) ? Un bras de fer oppose la maison Dassault, qui est capable de le réaliser seule, à certains de nos alliés, notamment allemands, qui ne souhaitent pas qu'il en soit ainsi.
Mme Nathalie Goulet. - Entre 2007 et 2017, j'étais membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, où nous évoquions régulièrement les drones et notre incapacité à en avoir. J'aimerais que le rapporteur spécial nous en dise plus sur le processus décisionnel du ministère des armées et des anciens combattants, car il semble que le problème ne soit pas résolu.
Ma seconde question porte sur les guerres d'influence et d'ingérence. A-t-on prévu une coordination avec le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ? En effet, les travaux de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères ont montré que, face à cet enjeu, la communication dans le cadre de ce programme était importante. Le ministère des armées et des anciens combattants a-t-il prévu de se doter d'un programme réalisant le même type de travail, ou du moins de se coordonner avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ?
M. Marc Laménie. - Concernant les effectifs et les moyens humains, des difficultés de recrutement ont pu apparaître, ainsi qu'un problème de fidélisation. Cela représente un coût. Où en est-on ?
De nombreux sites militaires ont disparu dans les territoires. Le patrimoine militaire immobilier reste un enjeu important. Pourriez-vous nous préciser ce qui n'a pas été vendu ou cédé aux collectivités territoriales ?
M. Pascal Savoldelli. - Le fait que le ministère ait fixé le plafond du report de charges à 7,5 milliards d'euros pour fin 2025 ne peut que nous interroger individuellement et collectivement, car cela délégitimise le vote du Parlement, d'autant que cela se répète d'une année sur l'autre. Le rapporteur spécial recommande de « corriger les déséquilibres apparus dès l'exécution de la LPM 2024-2030 » et mentionne d'« importantes tensions et rigidités budgétaires » , ce qui est une formulation diplomatique pour décrire la situation. Qu'en est-il précisément de ces « tensions et rigidités budgétaires » ou, autrement dit, quel est le problème ?
M. Michel Canévet. - Nous sommes tous conscients de la nécessité de doter nos armées des moyens d'exercer leur mission, mais nous devons tenir compte d'un contexte budgétaire qui est particulièrement difficile. L'effort demandé cette année est très significatif et notre inquiétude est renforcée par le fait que les demandes supplémentaires de crédits sont très mal documentées.
Le report de charges nous préoccupe également et nous partageons l'incompréhension que le rapporteur spécial exprime à ce sujet depuis plusieurs années.
L'absence de documentation doit-elle nous inciter à resserrer les moyens dédiés aux armées ? Faut-il prévoir une augmentation plus mesurée des crédits en tenant compte de la réalité des finances publiques ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Il y a quelques mois, nous avons assisté à une conférence sur le financement de l'industrie de la défense, à Bercy.
La réorganisation au sein de la direction générale de l'armement (DGA) est-elle en lien avec le fait que le temps de latence entre les commandes qui sont faites auprès des industriels de la défense et le décaissement par le ministère est très important et en décalage avec ce qui avait été annoncé à Bercy ?
M. Vincent Capo-Canellas. - L'article 68 se justifie par le fait que le coût du risque de condamnation qui pèse sur le ministère est estimé à 147 millions d'euros, ce qui n'est pas rien. Toutefois, n'est-il pas paradoxal de demander au Parlement de jouer le rôle que l'administration aurait dû jouer initialement ? Pourquoi avoir attendu la chaîne des contentieux pour finalement demander - ou presque - au Parlement d'inverser la décision de la juridiction administrative ? Nous pourrons sans doute le faire, mais cela nous place dans une position qui n'est pas la meilleure. Comment expliquer autant de légèreté ?
Quant au report de charges, il a des conséquences pour les entreprises, notamment les PME. D'autres administrations publiques font état de douze à vingt-quatre mois de retard dans les règlements. Disposons-nous d'un indicateur clair pour évaluer ces retards ? Comment améliorer la situation qui est très pénalisante pour la chaîne des producteurs de l'industrie de défense ?
M. Claude Raynal, président. - Vous avez mis l'accent sur la question de la transparence et, même si, en matière militaire, les mots n'ont pas toujours le même sens qu'ailleurs, l'information du Parlement reste un enjeu fondamental.
Il semble que nous soyons dans un système à contre-emploi, avec, d'un côté, la perspective d'une diminution de la dépense publique, ou du moins une réflexion sur le sujet, et, de l'autre, un effort marqué sur le budget de la défense. Les Français en restent pour l'instant au discours qu'on leur tient : il faut remettre l'armée à niveau, car nous n'avons pas fourni les efforts suffisants durant les années précédentes. Mais il peut aussi y avoir un retournement et ils finiront par se demander pourquoi l'État met autant d'argent dans la défense au détriment d'autres missions.
Par conséquent, il serait prudent que le Gouvernement mette en place une procédure permettant d'obtenir du Parlement un soutien d'autant plus clair qu'il sera bien informé.
Notre rapporteur spécial devrait être totalement informé de manière à pouvoir nous livrer une analyse claire des sujets, pas forcément entièrement détaillée, mais engageant sa responsabilité et sa compétence. Nous gagnerions à ce que le ministère accepte cela.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Je suis intimement convaincu qu'il est impossible de continuer à demander aux Français de faire un effort en matière de défense si, à un moment donné, on ne leur donne pas l'information. Il faut justifier cette demande. Il est inacceptable que le Gouvernement cherche à faire des économies dans toutes les missions, mais annonce, au détour d'une conférence de presse, plus de 3,5 milliards d'euros de crédits supplémentaires pour la mission « Défense » sans nous expliquer précisément les dépenses associées ni proposer de trajectoire pour atteindre l'objectif de 3,5 % de dépenses militaires en proportion du PIB en 2035.
Je remercie le président de notre commission et le rapporteur général pour leur soutien concernant ma demande d'informations.
Pour être tout à fait transparent, j'ai accès à un certain nombre d'informations et je vous en ai donné quelques-unes. Il y a quelques années, nous avions des difficultés à en faire voler certains pour des raisons techniques. Cette fois cela a pu être pour des raisons budgétaires.
Le report de charges au ministère des armées n'est en soi pas choquant, car il s'agit du seul ministère ayant un véritable budget d'investissement avec des autorisations d'engagement qui, par définition, porteront sur plusieurs années. En revanche, il est préoccupant et choquant que le report de charges atteigne un tel niveau. En effet, jusqu'en 2022, le report de charges ne pouvait pas être supérieur à 10% du budget hors dépenses de personnel. Puis Mme Borne a autorisé le ministère à doubler la part du report de charges de 10 % à 20 %. Or, fin 2024, cette part atteignait 23,9 %. Les ministres temporisent en disant que ce taux augmente en début de LPM et qu'il baissera en fin d'exécution, une fois que les paiements auront été étalés, mais je constate que ce n'est pas le cas à ce jour.
Nous sommes donc confrontés à un problème de sincérité budgétaire et il est de notre responsabilité de dénoncer cette pratique. Certes, un léger report de charges est acceptable, mais il ne peut pas atteindre de telles proportions.
En outre, ce report de charges trouve en partie son origine dans le sous-financement initial de la LPM. Rappelez-vous les débats que nous avons eus il y a trois ans : le budget de la LPM avait été fixé à 400 milliards d'euros, puis abondé de 13 milliards d'euros de recettes seulement partiellement documentées. Avec mes collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous avions souligné dès le départ qu'il manquait 13 milliards d'euros, mais le Gouvernement avait rétorqué en évoquant le report de charges : déjà, l'on prévoyait ainsi de financer la dépense avec le report de charges. Il y avait notamment dans ces 13 milliards d'euros des recettes exceptionnelles, notamment des remboursements de la sécurité sociale vers le service de santé des armées, ainsi que des royalties pour des participations dans un certain nombre d'entreprises. Mais ces recettes n'ont pas toutes été au rendez-vous.
L'indicateur est simple : les intérêts moratoires, qui représentaient 13 millions d'euros en 2022, sont de 60 millions d'euros pour les seuls dix premiers mois de l'année.
Madame Paoli-Gagin, en ce qui concerne l'industrie de défense, la DGA est très consciente du temps de latence. Lorsqu'elle a une relation de payeur direct des sous-traitants, notamment pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les petites et moyennes industries (PMI), elle arrive à régler le problème. La situation devient plus compliquée lorsque cela n'est pas le cas et que leur paiement relève des grands donneurs d'ordre. En effet, dès lors que les grands donneurs d'ordre ne sont pas payés, ils peuvent être tentés de ne pas honorer leur propre paiement auprès de leurs sous-traitants. Quoi qu'il en soit, il n'est pas très sérieux de faire porter le financement d'une mission de souveraineté par des entreprises, quelle que soit leur importance.
Les militaires se sont mis d'accord sur la définition technique du Scaf, et c'est une bonne nouvelle. Cependant, les constructeurs sont favorables à la théorie du ruissellement, de sorte que Dassault et Airbus veulent tous les deux construire l'avion. Or comme nous l'avons vu avec l'A400M, la construction d'un avion avec plusieurs intervenants pose des problèmes de responsabilité.
Madame Goulet, les drones sont apparus comme un dispositif essentiel dans le cadre de la guerre en Ukraine. J'ai cru comprendre que Renault avait l'ambition d'investir dans ce domaine en Ukraine et il y a d'autres acteurs, français et étrangers, dans ce domaine devenu stratégique.
Nous avons eu l'occasion de travailler ensemble sur le sujet de la guerre d'influence. Les connexions que vous évoquez se font principalement au niveau du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Monsieur Laménie, il a en effet été très difficile d'atteindre les objectifs de recrutement en 2023, mais la situation s'est rétablie dans les années suivantes et nous n'avons plus de difficultés ni en matière de recrutement ni pour ce qui est de la fidélisation. Faut-il voir là les effets d'une amélioration de la rétribution des militaires ou bien ceux d'un contexte économique où l'offre d'emploi est moins importante ? Je dirais que c'est sans doute les deux.
Aujourd'hui, nous pourrions faire mieux si nous le souhaitions. En effet, la limite au recrutement est budgétaire et n'est pas liée à la difficulté de trouver les effectifs sur le marché du travail.
Sur la fermeture des sites et le devenir du patrimoine immobilier, il n'y a pas eu d'évolution nouvelle depuis deux ans. Le patrimoine qui est en bon état finit par se reconvertir. Cependant, certains casernements offrent peu de possibilités.
Monsieur Capo-Canellas, sur l'article 68, il apparaît que le ministère a pris un décret en 2023 pour régulariser la situation ; ce que l'on nous demande en réalité, c'est une sorte de validation législative pour conforter ce décret. Ce n'est pas glorieux, mais je suggère d'accéder à la demande de l'administration.
M. Vincent Capo-Canellas. - Comment évoluent les délais de paiement pour les PME ?
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - La situation ne semble pas empirer et aurait même tendance à s'améliorer, car le ministère et la DGA ont désormais conscience qu'il faut être vigilant. Néanmoins, le gel des crédits peut poser des difficultés supplémentaires en fin d'année.
M. Claude Raynal, président. - Avec le rapporteur général, nous vous proposons d'adresser une lettre au Premier ministre lui demandant de bien vouloir prendre les dispositions nécessaires pour disposer de l'ensemble des informations nécessaires à l'examen du projet de loi de finances. Nous lui demanderons de réfléchir à une solution qui permette de concilier la discrétion nécessaire et l'information la plus complète possible du Parlement.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Défense ».
EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ
Article 68
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 68.
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Économie » (et articles 70 et 71) - Compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » - Examen du rapport spécial (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
Contrôle budgétaire - Les dysfonctionnements dans la collecte de la taxe d'aménagement et leurs conséquences financières pour les collectivités territoriales et les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'examen du rapport sur les dysfonctionnements dans la collecte de la taxe d'aménagement et leurs conséquences financières pour les collectivités territoriales et les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE).
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - Je vous prie d'excuser l'absence de mon collègue Stéphane Sautarel, retenu en circonscription par un engagement de longue date. Bien que nous ayons mené ensemble nos travaux, je serai seule à vous en restituer la teneur.
Le contrôle budgétaire flash que nous avons conduit en quelques semaines portait sur les dysfonctionnements dans la collecte de la taxe d'aménagement - je suis sûre que vous avez été alertés dans vos circonscriptions à ce sujet. La situation a paru suffisamment critique à nos collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable pour que nous travaillions à la comprendre et à y apporter des réponses.
La taxe d'aménagement est instituée de plein droit dans les communes dotées d'un plan local d'urbanisme (PLU) ou d'un plan d'occupation des sols (POS). Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière de PLU, les départements et la région d'Île-de-France peuvent également la percevoir. Elle est assise sur les surfaces de construction des opérations assujetties et son taux est fixé par la collectivité.
En ce qui concerne les départements, le produit de la taxe d'aménagement permet de financer, d'une part, la politique en faveur des espaces naturels sensibles (ENS), d'autre part, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement. Pour ces associations, qui rendent un service public et gratuit de qualité aux particuliers et aux collectivités, la taxe d'aménagement représente même environ 80 % de leurs ressources.
Or le produit de la taxe d'aménagement a fortement diminué ces dernières années : son rendement est passé de 2,3 milliards d'euros en 2023 à 1,5 milliard d'euros en 2024, soit une diminution de 31 %. Selon la direction générale des finances publiques (DGFiP), ce rendement devrait s'établir à environ 1 milliard d'euros en 2025, soit une baisse cumulée de plus de 56,2 % depuis 2023.
Pour les collectivités, cet effondrement du rendement n'est pas une bonne nouvelle, a fortiori dans la conjoncture que l'on connaît. Mais pour les CAUE, la situation est véritablement critique. Ces structures étant très dépendantes de la taxe d'aménagement, elles risquent tout bonnement de disparaître : 77 postes ont ainsi été supprimés dans le réseau des CAUE entre le début de 2024 et la mi-2025, et certaines structures ont d'ores et déjà disparu ; le CAUE de l'Orne est menacé de dissolution et celui de la Manche attend sa liquidation.
Nous avons relevé trois causes principales au ralentissement de la collecte de la taxe d'aménagement.
La première, sur laquelle nul n'a guère de prise, est l'atonie de la construction. La DGFiP a beaucoup mis en avant ce facteur, qui n'est d'ailleurs contesté par personne : la diminution du nombre d'autorisations d'urbanisme délivrées depuis 2021 - de 10,7 % en 2022, de 20,2 % en 2023 et de 14 % en 2024 - induit nécessairement une baisse du produit de la taxe.
La deuxième résulte du transfert de la liquidation de la taxe d'aménagement à la DGFiP, transfert qui a été accompagné d'un décalage de l'exigibilité de la taxe. Avant 2022, la taxe d'aménagement était en effet liquidée par les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), ce qui était à l'époque jugé baroque et inefficace. L'ordonnance du 14 juin 2022 a ainsi transféré la liquidation de la taxe à la DGFiP, qui en assurait déjà le recouvrement. Cette même ordonnance a également reporté l'exigibilité de la taxe d'aménagement - elle intervenait auparavant douze mois après la délivrance de l'autorisation d'urbanisme - à la date de l'achèvement des travaux.
Ce décalage, qui visait à éviter les remboursements d'éventuels trop-perçus en cas de révision à la baisse de la taille des projets, a pour conséquence de reporter les encaissements par la DGFiP et donc les reversements aux collectivités.
Enfin, la troisième cause de ralentissement de la collecte de la taxe d'aménagement est à rechercher du côté des dysfonctionnements dans la mise en oeuvre de la collecte des taxes d'urbanisme par la DGFiP. Celle-ci a d'ailleurs reconnu avoir rencontré des difficultés dans l'application du nouveau processus, conduisant à ralentir les encaissements qui ont donc été différés. Un récent rapport parlementaire relatif aux dysfonctionnements dans la gestion des impôts locaux, remis à l'Assemblée nationale par David Amiel et Christine Pirès Beaune, a également souligné des « insuffisances » de la DGFiP dans les nouveaux processus de gestion.
Outre des dysfonctionnements de l'outil informatique, la principale cause des difficultés de la DGFiP semble résider dans la faiblesse de ses moyens humains, le transfert de la gestion des taxes d'urbanisme ne s'étant pas accompagné de transferts de personnel suffisants.
Au terme de cette analyse, Stéphane Sautarel et moi-même avons souhaité émettre plusieurs recommandations. Il nous semble d'abord que revenir à l'ancienne date d'exigibilité - quelques mois après la délivrance de l'autorisation d'urbanisme - voire à l'ancien système de liquidation par les DDTM, serait une erreur. Certes, les travaux parlementaires sur le sujet tendent à montrer que le transfert à la DGFiP ne s'est pas passé comme prévu et qu'il a abouti à une désorganisation certaine. Toutefois, un peu d'ordre commence à revenir dans ces processus. Aussi, le législateur ferait oeuvre utile en donnant de la stabilité et de la visibilité, tout en évitant d'ajouter au désordre.
En revanche, cela n'exclut pas de réfléchir à des ajustements au sein de ce nouveau cadre. Par exemple, le décalage de l'exigibilité de la taxe d'aménagement est aujourd'hui tempéré par la mise en oeuvre d'un système d'acompte pour les projets dont la surface de construction est supérieure à 5 000 mètres carrés et qui, de ce fait, sont susceptibles de susciter un fort rendement. Nous proposons donc de travailler avec la DGFiP à un élargissement du nombre de projets concernés par un tel système.
Il nous semble également que le meilleur moyen d'accompagner les CAUE est d'apporter un soutien aux départements. En effet, nos échanges avec la DGFiP et la Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (FNCAUE) ont montré que, pour compenser les fluctuations parfois importantes de la taxe d'aménagement, les départements pouvaient soutenir temporairement les CAUE de diverses manières : certains leur versent une garantie de ressources ou des avances, d'autres leur passent commande et les rémunèrent pour des projets ponctuels. C'est ce genre de solidarité qu'il faut encourager en apportant un soutien financier significatif aux départements, dans le cadre du PLF. Cela leur permettra de mobiliser une partie de leurs ressources en faveur des CAUE.
Ces deux premières recommandations devraient être mises en oeuvre très rapidement, pour apporter en urgence, dans le cadre du PLF pour 2026, une première réponse aux collectivités et aux CAUE. La DGFiP, quant à elle, devrait continuer à traiter en priorité les dossiers en instance, en fonction de leur rendement et de leur date de prescription, quitte à taxer d'office les contribuables qui auraient omis de déclarer l'achèvement de leurs travaux.
À court et à moyen terme, il nous semble qu'il faut renforcer le partenariat entre la DGFiP et les élus. Ainsi, veillons à intégrer aux groupes de travail les associations d'élus et la FNCAUE. Par ailleurs, il faut assurer la liaison entre le fisc et les élus, dans le travail de simplification de la taxe d'aménagement, en particulier de son assiette.
Enfin, il est utile, à plus long terme, d'engager une réflexion d'ensemble sur la gouvernance et le financement des solutions d'ingénierie en faveur des collectivités territoriales - il faut notamment garantir l'articulation entre les CAUE et les agences départementales -, mais aussi sur le financement des services publics locaux, à l'heure de la sobriété foncière.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le Sénat s'était rapidement opposé à une modification des règles du jeu : force est de constater que cette réforme mal préparée a provoqué des perturbations regrettables pour des élus locaux déjà en difficulté. Dans ce contexte, je salue la qualité et l'objectivité de vos recommandations ; il convient en effet d'apporter une réponse urgente en soutenant les départements.
Vos auditions avec les représentants de la FNCAUE et de la DGFiP, mais aussi avec l'ensemble des élus du bloc local, ont révélé la nécessité de repenser le processus depuis son origine jusqu'à son point final. La nouvelle chaîne d'organisation a été mal conçue et a donc affecté les financements associés. Ainsi, la mise en oeuvre d'un système d'acompte devrait pouvoir satisfaire les élus, du moins à moyen terme.
La perception de la taxe d'aménagement et les questions d'urbanisme en général ne vont pas sans poser de problèmes. Le maire est toujours compétent en ce domaine, notamment pour la délivrance du permis de construire, mais les intercommunalités, selon leur taille, sont également amenées à intervenir. Cette observation vaut à la fois pour les zones rurales et les territoires urbains.
Bref, ouvrons ce chantier rapidement, afin d'éviter que les mêmes difficultés ne se reproduisent l'an prochain. Cela dépend de notre volonté à tous et suppose un peu de stabilité gouvernementale. Une question subsiste : quelle perception la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a-t-elle de ce sujet et de vos recommandations ?
M. Grégory Blanc. - Nous savons à quel point ce sujet met en tension un certain nombre de collectivités. Les départements, en particulier, sont dans une situation extrêmement difficile. Nombre d'entre eux ne sont pas en mesure d'absorber la baisse de rendement de la taxe d'aménagement, ce qui réduit nécessairement leur capacité à emprunter et à investir.
Afin d'éviter que des départements ne se retrouvent avec une épargne négative d'ici à la fin de l'année, je propose, dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), d'allouer en urgence aux départements une enveloppe de 100 millions d'euros. Cela permettra de consolider l'action des CAUE dans les territoires et de garantir l'accompagnement des petites communes en matière d'ingénierie.
M. Michel Canévet. - Ce sujet suscite de fortes préoccupations dans chacun de nos départements. Dans ce contexte, j'ai naturellement demandé au directeur général des finances publiques du Finistère pourquoi, entre 2023 et 2024, les recettes de la taxe d'aménagement avaient baissé de près de 50 %, passant de 12,8 millions à 8,5 millions d'euros.
Une fois de plus, nous regrettons ce désordre actuel, créé par le fait que ce sujet a été traité par ordonnances. Nous ne connaîtrions probablement pas les mêmes errements si nous avions procédé par la voie parlementaire habituelle : j'espère que cela amènera le Gouvernement à réfléchir sur sa façon de travailler.
L'un des changements majeurs opérés par la réforme est le fait, pour les collectivités, de ne plus percevoir la taxe d'aménagement avant la déclaration de fin d'achèvement des travaux. Or la date de cette déclaration est repoussée le plus longtemps possible, afin de ne pas s'acquitter de la taxe. C'est la raison pour laquelle je suis favorable à la mise en place d'un système d'acompte : il contraindra les promoteurs à payer ce qu'ils doivent et permettra de sécuriser les recettes pour les collectivités bénéficiaires.
Par ailleurs, le système d'information dorénavant utilisé par la DGFiP est différent de celui auquel la DDTM avait recours. Cela a conduit à un allongement significatif du délai de perception de la taxe d'aménagement. Avez-vous plus d'informations à ce sujet ?
Enfin, j'ai du mal à comprendre si une compensation par l'État est prévue. Il me semble que nous devons seulement permettre aux départements de soutenir, sur leurs ressources propres, les CAUE en difficulté.
M. Christian Bilhac. - J'avais fait part au Gouvernement de mon inquiétude face à cette réforme lors d'une séance de questions orales, le 14 décembre 2021. Le ministre présent au banc avait tenté de me rassurer en m'expliquant doctement que les délais seraient raccourcis : on voit ce qu'il en est aujourd'hui.
Comme je suis persévérant, j'ai déposé un amendement sur le projet de loi de finances, l'année suivante, visant à ce que la taxe d'aménagement soit acquittée lors du dépôt du permis de construire. En effet, au cours de mon mandat de maire, je me suis rendu compte que personne n'effectuait sa déclaration de fin de travaux - celle-ci n'existe que dans les livres ! Se pose également un problème financier : il arrive que certains ménages soient incapables de débourser le moindre centime lorsqu'ils reçoivent leur avis d'imposition, en raison des sommes déjà engagées pour leurs travaux.
Du reste, je suis favorable à l'idée d'informer les collectivités des taxes réellement perçues, car elles se trouvent aujourd'hui dans le brouillard le plus absolu.
M. Laurent Somon. - Je partage le constat de mes collègues : la perception rapide de la taxe d'aménagement est très importante pour les départements, surtout que les recettes ont vocation à financer la protection des espaces naturels sensibles (ENS). En revanche, je m'oppose aux recommandations des rapporteurs spéciaux concernant les CAUE. Cessons de soutenir ces structures luxueuses qui, malgré de très beaux rapports, sont inopérantes, les communes étant, de toute façon, ensuite contraintes de faire appel à des cabinets d'ingénierie pour leurs projets d'aménagement.
Les compétences en matière d'urbanisme existent déjà à l'échelon des intercommunalités et des pôles métropolitains, via les agences d'urbanisme, et n'ont donc pas besoin d'être exercées par les CAUE. D'ailleurs, le Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA) m'a confirmé qu'il suffisait aux intercommunalités de recourir à des vacataires pour résoudre les problèmes traités par les CAUE, lesquels, dans un département comme celui de la Somme, emploient dix ingénieurs à temps plein. Cela engendre forcément des coûts et pose une question d'efficience.
Vous l'aurez compris, je ne voterai pas la recommandation n° 2, car les CAUE, selon moi, devraient être supprimés. La taxe d'aménagement doit revenir aux départements et servir à l'entretien des ENS, point.
Mme Christine Lavarde. - Il existe aujourd'hui un problème de trésorerie pour les collectivités, en raison du décalage de l'encaissement mis en place au moment du transfert de la collecte par la direction départementale des finances publiques (DDFiP). En réalité, ce problème est uniquement ponctuel et devrait disparaître lorsque les choses avanceront à leur nouveau rythme de croisière.
Je me demande s'il ne faudrait pas réfléchir au calendrier d'exigibilité pour les grosses opérations, car il expose les collectivités à un lourd risque de remboursement. Aujourd'hui, n'importe quel permis de construire ou document d'urbanisme peut être attaqué devant un tribunal. Or, entre le moment où la collectivité a accordé son autorisation d'urbanisme et le premier coup de pioche, plusieurs années peuvent s'écouler.
Un montant de taxes est payé par les entreprises, ce qui met en difficulté la viabilité économique des projets, les recettes n'étant perçues que beaucoup plus tardivement. Quelquefois, la commune est contrainte de rembourser des sommes qu'elle a pu utiliser pour d'autres projets.
Mme Sophie Primas. - Dans l'ancien système, la taxe d'aménagement était acquittée au tout début des opérations de construction. C'était vrai pour les particuliers, comme pour les entreprises. Or cela pouvait nuire au développement économique de ces dernières. La taxe d'aménagement s'apparentait ainsi à un impôt de production perçu lors du dépôt du permis de construire, avant même que toute production n'ait pu voir le jour et que les recours aient été traités, ce qui prend parfois plusieurs années.
Lorsque j'étais maire, j'ai observé que ce système avait empêché la création de deux entreprises qui, n'ayant constitué aucun chiffre d'affaires au moment de la délivrance du permis de construire, n'avaient pu s'acquitter de la taxe d'aménagement.
Nous pourrions envisager, dans le cadre des commissions communales des impôts directs (CCID), un suivi plus serré pour vérifier que la taxe a bien été payée dans les délais.
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - Je commencerai par répondre au rapporteur général. Cette réforme a été conduite en supprimant un maximum de postes parmi les personnels chargés de la liquidation, alors qu'il aurait été plus prudent de réduire les effectifs au fur et à mesure que ces personnels s'appropriaient leur nouvelle mission.
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est principalement focalisée sur la situation des CAUE, mais je lui ai fait part de nos recommandations. Stéphane Sautarel et moi-même avons tenu à agir sur le court et le moyen terme, pour répondre de manière urgente aux problèmes évoqués. Sachez que toutes les propositions sont les bienvenues, comme celle que vient de formuler à l'instant Sophie Primas.
La situation catastrophique des départements est connue de tous ; nous aurons à en discuter lors de l'examen du PLF. Monsieur Grégory Blanc nous suggère de voter une enveloppe de 100 millions d'euros dans le cadre du PLFG. Nous étudierons cette proposition, mais je ne suis pas certaine que le PLFG soit le bon véhicule.
La DGFiP a assuré à notre commission qu'elle liquiderait un certain nombre de taxes d'ici à la fin de l'année, mais cela me semble bien optimiste.
Le changement du système d'information est la principale cause de dysfonctionnement, Monsieur Canévet, comme l'ont particulièrement bien relevé nos collègues députés dans leur rapport. J'en profite pour vous dire que, d'après la DGFiP, les retards de perception de la taxe d'aménagement ne sont pas si alarmants que cela.
Nous ne sommes pas favorables à un retour à l'ancien système, Monsieur Bilhac, car la mise en oeuvre de la réforme est bien entamée. Faire et défaire, c'est toujours travailler, mais ce n'est pas avancer ! Ce qui pourrait paraître comme un retour au bon sens risque d'être source de difficultés. Je le reconnais, la réforme a été mal conçue, mais les choses sont en train d'être remises en ordre.
La situation des départements est très diverse, monsieur Somon. Ainsi, l'apport des CAUE dans certains territoires n'est pas à démontrer. Il convient peut-être de revoir la gouvernance locale de tous ceux qui oeuvrent aux côtés des collectivités territoriales et apportent à ces dernières leur conseil. On pourrait notamment améliorer l'articulation entre les CAUE et les agences techniques départementales, à l'heure de la sobriété foncière - c'est le sens de notre dernière recommandation.
M. Laurent Somon. - Les CAUE doivent être absorbés !
Mme Isabelle Briquet, rapporteure spéciale. - Je suis davantage favorable à l'articulation et à la mutualisation de certains moyens ; je ne vois pas pourquoi une entité devrait absorber l'autre.
Madame Lavarde, le système d'acompte doit permettre de lisser la perception de la taxe d'aménagement pour les contribuables et les collectivités. Si l'opération est annulée avant son terme, seule une partie du montant devra être remboursée. Cela n'apporte pas de solution totale, car les recours peuvent continuer à bloquer les projets. Aussi, je prends bonne note de votre remarque, d'autant que nous n'avons pas pris cette question en considération au cours de notre contrôle flash.
La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 11 h 15.
La réunion est ouverte à 11 h 30.
Projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025 - Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics
M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics, pour la présentation du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour l'année 2025, délibéré lundi dernier en conseil des ministres.
La loi de finances de fin de gestion est une catégorie de lois de finances entrée en vigueur en 2023, en application de la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) intervenue en 2021. Il s'agit d'un texte circonscrit qui procède uniquement aux ajustements de crédits indispensables à la fin de gestion de l'année. Elle ne peut donc notamment pas comporter de dispositions fiscales ou de dispositions affectant les dépenses budgétaires des années ultérieures.
Alors que cette innovation, qui vient remplacer les habituelles lois de finances rectificatives de fin d'année, poursuivait un objectif de renforcement de la sincérité budgétaire, son exécution, pour les deux premiers exercices, fut substantiellement différente de celle qui était prévue.
Il semble que, dans les grandes lignes, le budget pour 2025 qui a été exécuté est très proche de la prévision du début d'année, puisque le déficit public s'élèverait à 5,4 %. Cela signe, je l'espère, le retour à une forme de normalité de l'exécution budgétaire.
Cette évolution positive s'est faite, encore une fois, au prix d'importants efforts de régulation budgétaire infra-annuelle, dont un décret du 25 avril qui a annulé près de 3,1 milliards d'euros. Fort heureusement, on ne tutoie plus les sommets atteints par les 10 milliards d'euros de crédits annulés en février 2024, ce qui n'avait d'ailleurs pas suffi à redresser la situation.
Selon l'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), les prévisions de recettes, de dépenses et de solde pour 2025 sont crédibles. Je rappelle toutefois qu'elles peuvent encore varier jusqu'en mars 2026 et la publication définitive des comptes par l'Insee.
Le Haut Conseil n'en souligne pas moins le besoin d'une stricte maîtrise, en fin de gestion, de la dépense pilotable. Il rappelle que la réduction du déficit public en 2025 de 0,4 point est finalement limitée, d'autant qu'elle fait suite à une forte dégradation des comptes en 2023 et en 2024.
Compte tenu de ces observations, pouvons-nous considérer que ce cycle de deux années de prévisions défaillantes et de dérives des comptes publics, dont nous continuons à payer le prix, est désormais derrière nous ?
Avant de vous céder la parole, je vous indique que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat, ainsi que sur les réseaux sociaux.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics. - Ce PLFG est le dernier jalon de l'exécution de la loi de finances de 2025, adoptée le 14 février dernier. Vous l'avez dit, il s'agit d'un texte technique qui retrace les principaux événements survenus en cours de gestion et prévoit d'ajuster la répartition de certains crédits pour répondre aux imprévus, comme chaque année.
Ce texte n'a pas d'autre objectif que de garantir précisément, en toute transparence, la bonne exécution de la dépense. Selon le HCFP, nous sommes en passe d'atteindre l'objectif qui avait été fixé dans un cadre très particulier, celui d'une commission mixte paritaire (CMP) conclusive, dont le texte, sans amendement ultérieur du Gouvernement, est devenu le budget de la Nation.
Le PLFG ne contient aucune dépense ni aucune économie supplémentaire. En clair, il ne révèle rien que vous ne connaissiez déjà. J'appelle votre attention sur le fait que l'un des tableaux non normatifs a été artificiellement majoré, car les crédits ouverts pendant la période de services votés y ont été intégrés. Le rapporteur général et le président de la commission ont reçu, dès lundi soir, les corrections à ce tableau.
Ce PLFG prévoit cinq principales ouvertures de crédits. Il est essentiel qu'ils soient votés, afin que nous puissions terminer l'année en honorant l'ensemble de nos engagements.
La première ouverture concerne l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et la prime d'activité, dont la dynamique est plus allante que prévu. Il s'agit d'une ouverture de 450 millions d'euros visant à garantir le bon versement des crédits en décembre.
La deuxième ouverture, d'un montant de 119 millions d'euros, vise à pérenniser les 203 000 places d'hébergement d'urgence et à les maintenir en fonctionnement d'ici à la fin de l'année.
La troisième ouverture, qui s'élève à 190 millions d'euros, porte sur la mission « Sécurités ». Elle a pour objet de répondre aux besoins supplémentaires de protection des populations à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie et de traiter les conséquences des incendies qui ont frappé notre pays l'été dernier. Notez que 45 millions d'euros sont aussi ouverts sur le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », pour faire face aux dépenses exceptionnelles à Mayotte, à la suite du cyclone Chido, et à La Réunion, après le passage du cyclone Garance.
La quatrième ouverture concerne la mission « Défense » : 349 millions d'euros sont destinés à financer les surcoûts, dans un contexte opérationnel de tensions croissantes, et à accélérer l'effort de réarmement.
La cinquième ouverture a trait aux énergies renouvelables (EnR) : nous devons 1,1 milliard d'euros de plus aux producteurs d'EnR au titre de nos engagements.
Ces ouvertures de crédits sont gagées par des annulations sur la réserve de précaution qui, depuis cette année, est devenue une réelle réserve interministérielle ; votre commission m'a entendue à deux reprises sur ce sujet.
Les autres annulations prévues visent à ajuster les dépenses effectives et à ajuster les niveaux de trésorerie pour un certain nombre d'opérateurs. Ainsi, dans le cadre de la mission « Investir pour la France de 2030 », nous annulons 1,6 milliard d'euros de crédits afin que Bpifrance et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) ne finissent pas l'année avec une trésorerie excédentaire de 5 milliards d'euros. En conséquence, leur excédent ne sera plus que de 3 milliards d'euros environ. Il nous semblait que, vu la contrainte budgétaire qui est la nôtre, mieux piloter ces éléments de trésorerie était essentiel.
Nous n'opérons aucune coupe ni dans les budgets des ministères ni dans les prestations. Il s'agit plutôt de mettre en oeuvre les principes de bonne gestion qui, à eux seuls, devraient nous permettre de tenir la cible de dépenses inscrite dans la loi de finances initiale.
Vous l'avez rappelé, monsieur le président, notre mission consiste à faire respecter le compromis trouvé en février dernier. J'apporte toutefois une précision à votre propos : le HCFP ne dit pas que nous sommes certains d'avoir un déficit qui atteindra 5,4 points de PIB ; il affirme seulement que les risques sont centrés, entre 5,3 et 5,5 points. En d'autres termes, les aléas haussiers sont de même nature que les aléas baissiers.
Nous connaîtrons le montant définitif du déficit au début de l'année 2026, lors de la finalisation des comptes nationaux. Bien entendu, nous ne nous réjouissons pas de ce déficit, mais le résultat est meilleur qu'espéré, notre souci étant d'éviter un dérapage. Cela confirme que nous pouvons toujours réduire le déficit à 3 % en 2029, grâce à une baisse régulière et constante.
En outre, ces efforts révèlent la nouvelle démarche que nous avons engagée, de vigilance collective. En effet, nous tenons à nous assurer que le périmètre des dépenses de l'État est tenu. Les dépenses des ministères et des prélèvements sur recettes pour l'Union européenne (PSR-UE) et les collectivités territoriales (PSR-CT), dans leur ensemble, sont exécutées à 300 millions d'euros près par rapport au texte que vous avez adopté en février dernier.
Dans le même temps, notre économie s'est montrée plus résiliente que celle des pays voisins, avec une meilleure performance de l'impôt sur le revenu (IR) et de l'impôt sur les sociétés (IS), qui compense une moins bonne tendance de la TVA - je pourrai y revenir en détail, si vous le souhaitez.
Une bonne maîtrise de nos finances publiques, après des années très difficiles, est le signe que nous pouvons y arriver. Comme l'a rappelé le Premier ministre de nombreuses fois, le Gouvernement propose et le Parlement vote et dispose : le Gouvernement doit donc appliquer strictement la loi que vous aurez votée.
Notre démarche est un gage de crédibilité à la fois pour nos partenaires européens et internationaux, pour nos créanciers, pour les parlementaires et pour les Français. Après deux années marquées par des dérapages budgétaires - Éric Lombard et moi-même étions venus évoquer ce sujet devant votre commission -, un changement de méthode était nécessaire. D'où la mise en oeuvre d'un plan d'action pour les finances publiques fondé sur de nouvelles méthodologies d'échange, des comités d'alerte et des cercles de prévisionnistes, dont les travaux complètent les prévisions du ministère. Dans ce cadre, nous souhaitons partager régulièrement, comme nous l'avons fait en avril et en juin dernier, toutes les données disponibles sur la dépense et les recettes de l'État, des collectivités et de la sphère sociale.
Bref, ces éléments sont à mes yeux utiles pour que vous puissiez jouer pleinement votre rôle de contrôle du Gouvernement et pour que celui-ci soit obligé de prendre les décisions qui s'imposent en matière de finances publiques.
Je souhaite que ce qui a été mis en place en 2025 perdure en 2026, car il y a là quelque chose de plus profond et de plus utile qu'une seule réponse à un problème de conjoncture.
Pour conclure, ce texte ajuste une exécution budgétaire conduite avec vigilance et anticipation. Cette bonne exécution en 2025 est absolument essentielle au travail conduit en ce moment à l'Assemblée nationale et qui aura bientôt lieu au Sénat : celui qui consiste à trouver un nouveau compromis budgétaire permettant de réduire le déficit, sur la base de prévisions équilibrées.
Les Français, les créanciers et les observateurs seront ainsi en mesure de vérifier que notre pays est capable de tenir les objectifs fixés. Je considère qu'il s'agit d'une étape démocratique tout à fait importante.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Je note avec intérêt, madame la ministre, l'apparition d'un nouvel élément de langage : la « vigilance collective ». Le Sénat vous proposera pour sa part une « loyauté exigeante ».
Ma première question porte sur l'exécution du budget. Vous l'avez dit, la France a vécu sous le régime des services votés jusqu'au 14 février 2025. Nous avons entendu des points de vue divers à cette époque : certains prétendaient que ce régime allait coûter plus cher, d'autres pensaient qu'il nous permettrait de faire des économies. À ce jour, nous n'avons reçu aucune évaluation claire sur ce sujet de la part du Gouvernement. Quel bilan pouvez-vous dresser de l'impact des services votés à la fois sur les dépenses effectives et sur la manière dont les politiques publiques et les services publics ont été assurés en 2025 ?
Deuxièmement, je note avec intérêt que la prévision du solde effectif reste inchangée. Vous avez précisé que le déficit serait centré entre 5,3 et 5,5 points de PIB, mais je note que la part du solde structurel et du solde conjoncturel n'est pas tout à fait celle qui était prévue. Alors que le solde structurel était évalué à - 4,8 points de PIB potentiel, il serait finalement de - 5,1 points de PIB potentiel en exécution. À l'inverse, le solde conjoncturel était anticipé à - 0,6 point ; il atteindrait finalement - 0,2 point de PIB potentiel en exécution.
Quelles sont les raisons d'une telle dégradation du solde structurel ? Après le discours sur le prétendu « pas de bol », que nous avons entendu maintes fois ces dernières années, peut-on espérer un effet « coup de bol » ?
Troisièmement, il ressort des données trimestrielles publiées par l'Insee que l'acquis de croissance pour 2025 est d'ores et déjà estimé à 0,8 %, contrairement à 0,7 % en début d'année. Ne pensez-vous pas que le déficit définitif sera moins important que celui qui a été annoncé ? Si tel n'est pas le cas, quels sont les éléments qui incitent le Gouvernement à rester prudent ? Cette question est importante, car 0,1 point de PIB représente environ 3 milliards d'euros, ce qui n'est pas neutre.
Quatrièmement, la TVA en 2025, dont la moins-value s'élevait à 4,5 milliards d'euros lors de l'estimation révisée de septembre, subirait une moins-value supplémentaire de 0,5 milliard d'euros selon ce PLFG. Comment l'expliquez-vous ? Des « effets de structure » peuvent-ils expliquer cette variation sensible ?
Enfin, je veux évoquer un problème récurrent, celui de la sous-compensation des missions de service public de La Poste, à hauteur de 52 millions d'euros. L'an dernier, nous avons consenti un premier effort, mais celui-ci n'a pas suffi à résoudre cette difficulté. Je vous ai sollicitée il y a trois jours sur ce sujet, qui devient un véritable marronnier, en souhaitant qu'il puisse être traité par voie d'amendement dans le cadre de ce PLFG.
Deuxième marronnier, beaucoup moins coûteux pour les finances publiques : l'enveloppe de 9 millions d'euros allouée aux pôles de compétitivité. Les rapporteurs spéciaux de la mission concernée ont retiré leurs amendements sur le sujet, après que je leur ai indiqué que je prenais l'engagement de régler cette question dans le cadre de ce PLFG. Il convient de trouver des solutions. J'appelle le Gouvernement à se pencher plus près sur cette question l'année prochaine.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sous le régime des services votés, les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'investissement ont chacune baissé de 5 % entre janvier et mars 2025. Néanmoins, beaucoup d'investissements ont été réalisés par la suite et il n'y a pas eu de shutdown à l'américaine : l'État a continué de fonctionner et nous n'avons pas suspendu la paie des fonctionnaires.
Il n'empêche que le régime des services votés ne peut être qu'une gestion temporaire. Celle-ci peut convenir pour quatre ou six semaines, mais, au-delà, elle pose problème : on l'a vu en matière sociale, d'administration des collectivités et d'agriculture.
Ce régime ne permet pas, en tant que tel, de réaliser des économies budgétaires, en raison d'un grand nombre de dépenses contraintes : dépenses sociales, remboursement des créanciers extérieurs, prélèvements sur recettes pour les collectivités territoriales et l'Union européenne, transferts à la sécurité sociale, etc.
Nombreux sont ceux qui affirment que l'on peut se satisfaire des services votés, sans avoir à adopter de budget. Mais c'est mal connaître le fonctionnement de l'État et les engagements intrinsèques à notre dépense publique.
Concernant le solde conjoncturel et structurel, il faudrait qu'on reprenne avec vous en détail le calcul auquel nous sommes parvenus, sachant qu'entre-temps les prévisions de croissance et d'inflation ont été révisées. Structurellement, il existe un déséquilibre entre nos dépenses et nos recettes. Je note toutefois que la conjoncture a été un peu meilleure en milieu et en fin d'année.
Le déséquilibre est assez profond entre nos dépenses, qui sont très dynamiques dans la sphère sociale, et nos recettes, qui ne sont pas infiniment disponibles dans un pays où le taux de prélèvements obligatoires s'élève à près de 44 % du PIB et au total à 53 % pour le taux de recettes publiques.
Il nous a paru raisonnable de ne pas réviser le déficit à la baisse, car si la croissance a en effet été plus élevée qu'escompté, l'inflation, elle, a été plus basse. Nous restons par ailleurs dans une zone de prudence en matière de TVA, car l'effet mécanique de la croissance sur les recettes de TVA est aujourd'hui plus incertain. Le HCFP estime d'ailleurs que, sous réserve d'une gestion sérieuse, une prévision de déficit public à 5,4 % de PIB est crédible.
Je rappelle de plus que, comme chaque année, il nous faut tenir compte d'un certain nombre d'incertitudes. Les indépendants disposent notamment de plusieurs mois de latitude pour le paiement de leurs cotisations aux Urssaf, ce qui peut rapidement emporter un différentiel de 2 à 3 milliards d'euros.
En 2023 et en 2024, années marquées par un ralentissement de l'inflation, nous avons constaté une très forte chute de l'élasticité des recettes fiscales, notamment d'IS et de TVA, au PIB.
En 2025, si les recettes d'IS et d'IR ont été un peu plus élevées qu'escompté, la situation de la TVA demeure préoccupante, puisque les recettes ont augmenté moins vite que la base taxable, qui est en hausse de 1,7 %. J'ai donc demandé à l'Inspection générale des finances (IGF), à l'Insee, à la direction générale des entreprises (DGE) et à l'ensemble des services de Bercy de mener une étude afin de comprendre les causes de cette situation.
La sous-valorisation massive des petits colis qui entrent sur notre territoire constitue à ce stade la première piste sérieuse. En dessous d'une valeur de 150 euros, ces colis sont exonérés de droits de douane, alors que, pour une partie, ils sont constitutifs de flux d'importation dissimulés. Pour avoir assisté à l'ouverture de certains colis à l'aéroport de Roissy avec le ministre Papin récemment, je puis en effet témoigner que les quantités commandées ne sont parfois pas cohérentes avec un usage personnel.
La deuxième piste est le fort décalage que nous observons entre la consommation et les déclarations de TVA. C'est donc que la sphère de l'économie dissimulée, et, partant, de la fraude, croît aux dépens des recettes de TVA.
La troisième piste a trait à la boucle de TVA elle-même. La réforme de la facturation électronique est à ce titre essentielle, puisqu'en permettant de prédéclarer la TVA, en quelque sorte à la source, elle contribuera à réduire le nombre d'erreurs et de fraudes tout en soulageant la trésorerie des entreprises.
En ce qui concerne enfin La Poste, vous proposez, monsieur le rapporteur général, de compenser, dans le présent PLFG, le budget, selon vous insuffisant, alloué à cet opérateur dans le projet de loi de finances pour 2026. Pour ce qui est des pôles de compétitivité, vous souhaitez organiser un report, en ouvrant en 2025 des crédits qui seront reportés en 2026. Si le Parlement est par définition souverain, je préférerais pour ma part que nous gérions les besoins de 2026 dans le budget de 2026. Si tel était toutefois le choix du Sénat, le Gouvernement accompagnerait naturellement cette décision.
M. Dominique de Legge. - En ce qui concerne la mission « Défense », vous avez évoqué l'ouverture de 349 millions d'euros de crédits de paiement. Pour la parfaite information de notre assemblée, j'ajoute que 188 millions d'euros de crédits ont toutefois été annulés, soit un solde de 121 millions d'euros.
Comment inscrivez-vous cette évolution des crédits de paiement dans le contexte plus large de la fin de gestion ? Autrement dit, comment comptez-vous limiter le report de charges sans dégeler les crédits actuellement mis en réserve pour assurer le financement des surcoûts engagés ?
Mme Isabelle Briquet. - Le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025 confirme la dérive préoccupante de notre dette publique. Avec un ratio qui atteindra 116 % du PIB et une charge d'intérêts de 65 milliards d'euros, la France bat un record historique, sans choc exceptionnel pour justifier cette situation. Le Haut Conseil des finances publiques souligne d'ailleurs que le déficit est désormais entièrement structurel, si bien que même en cas de reprise, la situation ne s'améliorerait pas spontanément.
Depuis 2017, la trajectoire de dette résulte pour une part de choix fiscaux pérennes - suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de la taxe d'habitation, suppression partielle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), réduction de l'impôt sur les sociétés. Au total, ce sont plus de 60 milliards d'euros de recettes qui ont été durablement effacés, sans que l'investissement productif ou industriel n'en tire bénéfice. La politique économique actuelle semble donc piégée entre deux impasses : le déni, qui consiste à poursuivre une politique de l'offre défaillante, et l'austérité, qui consisterait à couper dans la dépense sans discernement.
Dans ce contexte, comment le Gouvernement entend-il rendre soutenable la trajectoire de dette sans revenir au moins partiellement sur ce désarmement fiscal ? Par ailleurs, si la maîtrise des comptes publics est une nécessité, quel dispositif concret le Gouvernement compte-t-il mettre en place pour évaluer l'efficacité de la dépense au-delà de la simple logique comptable ?
Mme Christine Lavarde. - Je constate qu'une fois de plus, les données de l'article liminaire ne figurent dans la maquette qu'en points de PIB. S'agissant de milliards d'euros, j'estime qu'il serait bienvenu d'indiquer également les montants.
Ma deuxième remarque porte sur les chambres de commerce et d'industrie (CCI), auxquelles on retire 30 millions d'euros dans le PLFG, avant de les ponctionner de 175 millions d'euros dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Au total, 43 % des taxes pour frais de chambre consulaire qui sont payées par les entreprises seront ainsi captées par le budget général de l'État.
Si vous estimez que ces structures n'ont pas besoin d'autant d'argent pour fonctionner - il semblerait pourtant que certaines d'entre elles rencontrent de grandes difficultés -, diminuons les taxes qui pèsent sur les entreprises et prenons le temps de réfléchir à la refonte du modèle qui s'impose, madame la ministre.
M. Grégory Blanc. - Vous avez indiqué que ce PLFG ne comportait pas d'annulations de crédits, madame la ministre. Or je lis que 4,2 milliards d'euros de crédits de paiement seront annulés et que 3 milliards de crédits seront ouverts. La différence étant à ma connaissance non nulle, pourriez-vous préciser vos propos ?
Par ailleurs, comment les 800 millions d'euros de coupes dans le budget de la mission « Travail et emploi » sont-ils ventilés ?
Enfin, si la situation des collectivités territoriales est un peu plus favorable qu'escompté, ce qui contribue à amoindrir la dégradation de la situation d'ensemble, les départements sont toujours en difficulté. L'année dernière, la loi de finances de fin de gestion prévoyait un certain nombre de dispositifs pour aider ces derniers. Comment comptez-vous cette année soutenir l'investissement des départements ?
M. Pascal Savoldelli. - Une annulation de 3 milliards d'euros est prévue pour la mission « Remboursements et dégrèvements », dont je suis le rapporteur spécial. Vous évoquez un nécessaire changement de méthode, madame la ministre. Au regard des montants annulés, ne pensez-vous pas qu'il aurait été plus respectueux des droits du Parlement de déposer un projet de loi de finances rectificative ?
Je regrette par ailleurs, mais vous n'y êtes pour rien, que le projet de loi qui nous est présenté soit au fond le reflet des travaux de la commission mixte paritaire sur le PLF 2025, au sein de laquelle un certain nombre de groupes politiques du Sénat comme de l'Assemblée nationale n'étaient pas représentés. On ne peut pas chercher des compromis de septembre à décembre puis écarter certains groupes au moment de trancher. Cela pose un problème démocratique.
M. Olivier Paccaud. - Vous avez beaucoup insisté dans votre propos liminaire sur votre changement de méthode, madame la ministre. Bruno Le Maire expliquait le dérapage abracadabrantesque des comptes publics lorsqu'il était ministre de l'économie par ce qu'il nommait une perfect storm. Avec vos nouvelles méthodes, peut-on écarter la crainte qu'une perfect storm s'abatte sur la France ?
M. Claude Raynal, président. - Je reviens sur les CCI. Dans le cadre d'une négociation avec le Gouvernement, ces dernières ont accepté un prélèvement de 100 millions d'euros échelonné sur plusieurs années. Cet accord, conclu en 2024, est déjà rendu caduc par le Gouvernement.
Je rappelle que dans le cadre du PLF pour 2025, le Gouvernement avait déjà tenté de porter le prélèvement de 20 à 40 millions d'euros, ce que le Parlement avait refusé, souhaitant en rester aux termes de l'accord. Or vous proposez aujourd'hui d'augmenter ce prélèvement non plus de 20, mais de 30 millions d'euros. Vous comprendrez ce qu'une telle démarche peut avoir d'irritant, madame la ministre.
Comme l'indiquait Christine Lavarde, si la trésorerie des CCI atteint des niveaux trop élevés, il convient de baisser les taxes, car cet argent appartient non pas à l'État, mais aux entreprises. Vous m'accorderez qu'il est quelque peu incohérent que l'État prélève les CCI tout en envisageant de baisser la CVAE, madame la ministre.
En tout état de cause, en l'absence de nouvel accord, je suis favorable à l'application de l'accord conclu avec les CCI.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - En ce qui concerne la mission « Défense », je vous confirme que nous allons dégeler la réserve, à hauteur de 1,7 milliard d'euros, afin de financer tout ce qui est déjà prévu. Au total, en intégrant la consommation des reports entrants, le dégel de la réserve et les ouvertures de crédits, 1 milliard d'euros supplémentaires seront bien alloués au ministère des armées par rapport à la loi de finances initiale afin d'accélérer le déploiement des efforts de réarmement. Par sincérité, nous actons nos besoins effectifs.
En 2025, le taux de prélèvements obligatoires s'établit à 43,6 % du PIB, contre 44 % en 2019. En 2023 et 2024, en raison de la cassure de l'élasticité des recettes fiscales au PIB, le taux de prélèvements obligatoires a fortement chuté - phénomène économique inédit, cette cassure a également affecté d'autres pays européens.
Les recettes fiscales et non fiscales de l'État s'établissant toutefois à 53 % du PIB, j'estime qu'il faut utiliser la notion de désarmement fiscal avec prudence, madame Briquet.
Dans la période antérieure au covid-19, nous avions moins de 3 % de déficit public, les comptes de la sécurité sociale étaient à l'équilibre et notre taux de prélèvements obligatoires s'établissait à 44 % du PIB, contre 43,6 % aujourd'hui et alors que notre déficit public atteint 5,4 % de PIB. Dans le PLF 2026, il est proposé de porter notre taux de prélèvements obligatoires à 43,9 %, que nous allons arrondir à 44 %, mais il est faux de conclure de notre situation que ce sont les recettes qui nous manquent, même si, comme je l'indiquais, il nous faut résorber l'écart entre l'évolution de la base taxable et celle des recettes de TVA.
Nous allons vous envoyer le tableau de l'article liminaire avec les montants en euros, madame Lavarde. J'estime du reste que nos textes budgétaires devraient également présenter plus clairement les transferts : dans le PLF 2026, le Gouvernement table sur un déficit de 4,7 % du PIB, qui, selon les maquettes de comptabilité nationale, se décline comme suit : 4,5 points pour l'État, 0,3 point pour les collectivités locales et un excédent de 0,1 point de PIB pour la sécurité sociale au sens large. En matière de dépenses, ce déficit se ventile très différemment, puisque 1,6 % sont imputables à l'État, 0,9 % aux collectivités locales et 2,2 % à la sécurité sociale.
Il serait sans doute utile de réformer les maquettes des textes budgétaires, via une proposition de loi organique, de sorte que les éléments qui vous sont présentés se fondent davantage sur la réalité. Entre fin 2023 et fin 2025, alors que le montant correspondant à la somme des dépenses de l'État, de la charge de la dette et des prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne (PSR-UE) a baissé de 0,1 %, les dépenses des collectivités ont augmenté de 3,1 %, et celles de la sphère sociale de 5,5 %. J'estime que ces éléments sont nécessaires à la tenue d'un débat objectif.
Les CCI ne relèvent pas de mon portefeuille, et si j'assume par solidarité l'ensemble de ce PLFG, je comprends que le prélèvement proposé laisse de nombreux acteurs perplexes. À la fin de l'année 2024, la trésorerie cumulée de l'ensemble des chambres de commerce et d'industrie de France atteignait 871 millions d'euros. Si un prélèvement de 30 millions d'euros paraît à ce titre tout à fait absorbable, nous savons bien que ces ressources ne sont pas équitablement réparties et que les enjeux de mutualisation, de mise en réseau et de régionalisation sont tout à fait essentiels.
Le rapprochement des CCI et des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) me paraît par ailleurs d'autant plus nécessaire que 60 % des entreprises cotisent auprès des deux réseaux. Plus largement, il convient de supprimer les doublons que nous avons cartographiés, que ce soit en matière de soutien au développement commercial, d'aide à l'export ou à la transition écologique, des acteurs comme Bpifrance, Business France ou l'Ademe proposant des aides comparables à celles que proposent les CCI.
Dans ce PLFG, le Gouvernement vous livre la conclusion de notre année, monsieur Blanc. Le périmètre des dépenses de l'État correspond à ce que vous avez voté, à 300 millions d'euros près. Nous n'avons pas fait d'économies dans votre dos en procédant à des annulations sèches pour dépenser moins que ce qui avait été prévu. Les suppressions de réserves dans certaines missions servent à financer les dépenses d'autres missions, dont la réserve a été intégralement consommée. Il n'y a toutefois pas d'annulations globales, dans la mesure où l'exécution du périmètre de dépenses de l'État n'est pas inférieure à ce qui a été voté. Le delta que vous pointez servira à financer d'autres ouvertures de crédits qui interviendront avant la fin de l'année, d'une part, et des reports, d'autre part. Autrement dit, il n'y aura pas de cagnotte.
J'insiste sur ce point, parce qu'en 2023 et en 2024, le niveau de recettes ayant été très bas, il y avait eu des sous-exécutions, ce qui n'est pas le cas cette année. Nous allouons certains crédits différemment, notamment parce que les dépenses liées à la prime d'activité et à l'allocation aux adultes handicapés (AAH) sont en hausse.
En ce qui concerne la mission « Remboursements et dégrèvements », monsieur Savoldelli, les remboursements et dégrèvements relatifs à la TVA sont en baisse de 3,3 milliards d'euros, et de 1,5 milliard d'euros pour l'impôt sur le revenu, mais ils sont en hausse de 1,4 milliard d'euros pour l'impôt sur les sociétés. Le solde est présenté dans la fiche que je vous remettrai. Il n'y a pas d'entourloupe !
S'agissant du fonctionnement de la commission mixte paritaire pour le projet de loi de finances initiale, le Gouvernement n'étant nullement responsable du règlement des assemblées, je puis seulement vous dire que je me suis efforcée d'appliquer à la lettre le texte qui en est issu afin d'éviter tout écart entre le texte et son exécution et, partant, de rétablir la confiance qui avait été rompue les années précédentes.
J'en viens aux crédits de la mission « Travail et emploi ». Sur un budget de 18,9 milliards d'euros, 1,3 milliard d'euros ont été mis en réserve - en vertu d'un taux de mise en réserve qui est du reste validé par la Cour de comptes, faute de quoi le budget est considéré comme insincère. Nous annulons 825 millions d'euros de réserve et dégelons les 700 millions d'euros restant au profit de la mission.
Pour ma part, j'ai pris comme ligne de cohérence le « quoi qu'il arrive », monsieur Paccaud. Cela m'a conduite à rendre des comptes régulièrement au Parlement, en vous donnant le détail des recettes et dépenses non seulement de l'État, mais aussi des collectivités, des hôpitaux et de l'infrastructure sociale, de manière à rester au plus près de ce qui avait été voté, y compris dans le cas où ce qu'a décrit Bruno Le Maire se produirait - un choc inflationniste, un choc sur les prix d'énergie, un ralentissement mondial.
Permettez-moi de retracer l'année écoulée : en janvier, nous étions en services votés ; le 14 février, le PLF a été promulgué ; le 1er mars, le président Zelensky était à la Maison-Blanche et nous doutions de notre capacité à assurer notre défense continentale ; le 2 avril, Donald Trump lançait le Liberation Day ; le 13 juin, les premières frappes d'Israël en Iran entraînaient de fortes distorsions sur les prix, notamment du pétrole ; le 1er juillet, notre pays était frappé par une canicule exceptionnelle ; le 28 juillet, un accord commercial était signé entre l'Europe et les États-Unis ; le 25 août, le Premier ministre annonçait qu'il solliciterait un vote de confiance.
Sans ces points de rendez-vous réguliers et sans cette méthode, je crois que je ne serais pas en mesure, aujourd'hui, de vous présenter un déficit centré autour de 5,4 % du PIB. Dans le monde incertain qui est désormais le nôtre, il me paraît utile de continuer à employer cette méthode.
Pourriez-vous enfin préciser votre question relative aux collectivités locales, monsieur Blanc ?
M. Grégory Blanc. - Si la situation des collectivités locales est moins dégradée qu'escompté, ce qui profite au solde global du budget de l'État, certaines collectivités, notamment les départements, ne vont pas bien du tout. Or vous n'avez pas évoqué de dispositif pour soulager ces derniers, certains avaient été soutenus dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion pour 2024.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La dynamique de dépenses d'investissement des collectivités et les dépenses de fonctionnement du bloc communal ont en effet été un peu inférieures à ce qui était escompté. À l'inverse, les recettes du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ont été très dynamiques.
Nous aurons des débats fournis sur le financement, la trésorerie et les enjeux de péréquation entre les collectivités, monsieur le sénateur. Au vu de la situation de nos finances publiques, il nous faut nous montrer très vigilants. Pour ma part, je suis frappée par le contraste entre la grande disparité des situations et l'homogénéité des solutions, dont le coût, souvent élevé, ne garantit pas toujours l'efficacité. Nous y reviendrons dans les prochains jours.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie de vos réponses, madame la ministre.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 40.
Jeudi 13 novembre 2025
- Présidence de M. Michel Canévet, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Projet de loi de finances pour 2026 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Michel Canévet, président. - Nous commençons nos travaux avec l'examen du compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État », pour lequel notre président de commission est rapporteur spécial. Je salue également la présence de notre collègue Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques.
M. Claude Raynal, rapporteur spécial sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». - Le CAS « Participations financières de l'État » constitue un instrument dérogatoire du droit budgétaire classique. Il permet de retracer, d'une part, en recettes, les sommes versées à l'État lorsqu'il cède une participation ou qu'il réalise un retour sur investissement dans un fonds auquel il avait participé, et, d'autre part, en dépenses, les sommes versées par l'État pour l'ensemble de ses interventions en fonds propres, soit directement au travers de l'Agence des participations de l'État (APE), soit par le biais de divers fonds sectoriels.
Avant d'en venir à la description des recettes et des dépenses prévues sur le périmètre du compte spécial pour l'exercice 2026, je vais introduire mon propos en présentant deux opérations récentes de l'État actionnaire qui illustrent son rôle non seulement pour entrer au capital d'entreprises stratégiques, mais également pour les accompagner dans leur développement et leur croissance.
En premier lieu, je voudrais évoquer le rachat par IN Groupe en juillet 2025 de la société Idemia Smart Identity.
En finalisant ce rachat, l'ancienne Imprimerie nationale, devenue depuis 1994 une société de droit privé dont le capital est intégralement détenu par l'État, formera un groupe d'ampleur mondiale qui sera à la fois le deuxième fournisseur mondial de passeports et le premier fournisseur mondial de cartes d'identité.
Le nouveau groupe né de la fusion représente désormais plus de 4 000 collaborateurs et peut s'appuyer sur cinq sites de production associés à des relations de confiance avec les pouvoirs publics non seulement en France, mais également aux Pays-Bas, au Danemark, au Chili et en Colombie.
Cette fusion, qui va permettre de réaliser des économies d'échelle et de renforcer le positionnement d'IN Groupe non seulement sur le marché des titres physiques d'identité, mais également sur le marché de l'identité numérique, a été rendue possible par l'intervention directe de l'État actionnaire.
En effet, pour prendre le contrôle d'Idemia Smart Identity, l'Imprimerie nationale a dû recourir, en plus des financements bancaires qu'elle a mobilisés, à une augmentation de capital à hauteur de 625 millions d'euros, qui a été finalisée en juin 2025 et qui a consommé des crédits du CAS « Participations financières de l'État ».
Cette opération de consolidation au profit d'un champion français, dont l'histoire remonte à un privilège d'imprimeur accordé par François Ier, illustre le rôle de l'État actionnaire pour accompagner nos participations publiques dans leurs projets de croissance.
En second lieu, je voudrais évoquer une autre opération d'ampleur d'augmentation de capital qui a été annoncée en juin 2025 par l'opérateur satellitaire européen Eutelsat.
Cet opérateur de taille mondiale, dont le siège est situé à Issy-les-Moulineaux, a procédé en 2023 au rachat d'une entreprise pionnière dans les constellations de satellites en orbite terrestre basse : l'entreprise britannique OneWeb. Depuis ce rachat, Eutelsat dispose d'une perspective de croissance importante grâce à sa double présence sur l'orbite géostationnaire, avec une flotte de 34 satellites de télécommunication, et sur l'orbite basse grâce aux 600 satellites de la constellation OneWeb.
Eutelsat se trouvait toutefois, jusqu'à cet été, dans une situation financière complexe étant donné son niveau d'endettement élevé et les perspectives d'investissement de 4 milliards d'euros auxquelles elle fait face à l'horizon 2029 pour assurer le renouvellement des satellites de la constellation OneWeb. Pour répondre à cette situation, l'État a accompagné comme actionnaire le plan stratégique d'Eutelsat en participant à hauteur de 750 millions d'euros à une augmentation de capital atteignant un montant total de 1,5 milliard d'euros.
J'ai souhaité développer ces deux exemples en introduction de mon propos pour illustrer concrètement comment sont dépensés les crédits du compte spécial et pour attirer votre attention sur le fait que l'État actionnaire n'est pas seulement l'État qui achète de nouvelles participations, c'est aussi celui qui accompagne les entreprises de son portefeuille en « réinjectant » des liquidités lorsque cela est nécessaire et pertinent sur le plan stratégique.
Pour en venir aux crédits qui vous sont proposés pour l'exercice 2026, mes remarques porteront d'abord sur les recettes puis sur les dépenses prévisionnelles du compte.
Sur le volet « recettes » du compte d'affection spéciale, je formulerai deux remarques principales qui permettent d'expliquer la différence substantielle entre les crédits que nous examinons cette année et ceux qui nous étaient proposés l'année dernière.
Ma première remarque concerne le périmètre. Pendant plusieurs années, la commission des finances avait dénoncé le schéma d'isolement de la « dette covid » inventé par le gouvernement en 2022 comme un simple jeu d'écriture qui n'avait aucun effet réel, dès lors qu'aucune dette covid ne faisait l'objet d'un cantonnement effectif dans les comptes de l'État. Nous avons donc systématiquement demandé au Gouvernement de mettre fin à ce schéma artificiel et adopté des amendements en ce sens depuis plusieurs années et de manière coordonnée avec le sénateur de Montgolfier, rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».
Pour l'exercice 2025, les conditions inhabituelles d'adoption d'un budget à l'issue d'une commission mixte paritaire conclusive ont permis de supprimer ce prétendu schéma d'isolement. Le dépôt du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 a permis de confirmer l'abandon définitif par le Gouvernement de ce schéma, ce dont nous nous réjouissons.
Ma deuxième remarque concerne les importantes recettes de cessions prévues dans le projet de loi déposé par le Gouvernement. Dans ce domaine, le PLF pour 2026 marque incontestablement une rupture avec les dernières années, en prévoyant des recettes de cessions pour le CAS à hauteur de 3,2 milliards d'euros en 2026, c'est-à-dire quatre fois plus que les recettes prévues pour cette année.
Alors que le déclenchement de la crise économique et sanitaire en 2020 a durablement suspendu le cycle de cessions d'actifs publics qu'avait engagé le gouvernement entre 2017 et 2019, l'année 2026 devrait marquer une inflexion avec l'intervention d'une ou plusieurs cessions d'ampleur.
Pour ne pas perturber les conditions dans lesquelles ces actifs seront cédés, l'Agence des participations de l'État ne souhaite pas communiquer sur les opérations qui correspondent à ces recettes. Nous serons en tout état de cause attentifs aux décisions qui seront effectivement prises dans le courant de l'exercice 2026, non seulement pour vérifier que le quantum de recettes atteint la cible de 3,2 milliards d'euros, mais également pour comprendre si cette inflexion est conjoncturelle ou si elle s'inscrit dans un nouveau cycle pluriannuel de cessions d'actifs publics.
Pour conclure, je formulerai également deux remarques sur le volet « dépenses » du CAS « Participations financières de l'État ».
Ma première remarque concerne les investissements en fonds propres réalisés dans le cadre du plan France 2030. Si ces investissements sont financés par les programmes de la mission « Investir pour la France de 2030 », ils transitent nécessairement par le programme 731 du compte spécial. Je relève à cet égard que, conformément au constat d'un ralentissement de déploiement du plan établi par les rapporteurs spéciaux Laurent Somon et Thomas Dossus, les aides en fonds propres du plan France 2030 connaissent également une réduction de 53 % entre 2025 et 2026.
Ma seconde remarque concerne l'une des rares opérations structurantes en dépenses que l'APE accepte de divulguer : le rachat par l'État du département Advanced Computing du groupe Atos. Alors qu'un contrat de cession a été finalisé en juillet 2025, l'opération interviendra au premier semestre 2026 et mobilisera 400 millions d'euros de crédits du compte spécial. Elle permettra à l'État de préserver un actionnariat souverain pour une activité hautement stratégique. En effet, je rappelle que l'activité rachetée par l'État correspond à la conception et à la fabrication des supercalculateurs dans l'usine d'Angers du groupe, la seule usine détenue par un groupe européen en mesure de manufacturer des supercalculateurs. Au regard de la mobilisation de ces supercalculateurs pour assurer la crédibilité de notre dissuasion nucléaire, je pense que je n'ai pas besoin d'insister sur le caractère stratégique de cette opération.
Pour conclure, je vous propose sans surprise de rendre un avis favorable à l'adoption des crédits du CAS « Participations financières de l'État », pour donner à l'État actionnaire les moyens de sa politique.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». - Je me félicite tout d'abord que le fonctionnement du compte d'affectation spéciale soit en voie de normalisation.
Compte tenu de la baisse des versements du budget général, l'APE devrait reprendre à compter de 2026 un rythme dynamique de cessions d'actifs. Elle se dit prête à se défaire de ses participations les moins stratégiques pour financer de nouvelles acquisitions, et je lui en fais volontiers crédit. Je m'interroge toutefois sur la viabilité de ce modèle de financement à long terme, les cessions devenant plus difficiles à mesure que le portefeuille de l'État se resserre autour des participations les plus stratégiques, alors même que l'environnement économique et géostratégique justifierait plutôt d'étendre le portefeuille.
Pour cette raison, je suggère, comme les années précédentes, de réfléchir à affecter à l'APE tout ou partie des dividendes versés au titre des participations financières de l'État, même si je n'imagine pas que, dans l'immédiat, l'État accepte de priver le budget général de ces recettes récurrentes.
Concernant la stratégie de l'État actionnaire, je salue la récente inflexion de l'APE vers le numérique, avec, en 2025, l'opération Eutelsat et, l'an prochain, la concrétisation de l'opération Atos, que le Sénat avait appelée de ses voeux. La maîtrise des infrastructures et des logiciels est indubitablement un enjeu de souveraineté, pour les activités tant civiles que militaires.
En revanche, j'émets quelques réserves sur la doctrine d'intervention de l'APE sur le secteur industriel. Il me semblerait utile que l'Agence développe une véritable grille d'analyse pour concentrer ses efforts sur les entreprises dont la disparition causerait un risque systémique et, au contraire, se désengager des autres.
Enfin, alors que nos moyens d'action nationaux s'amenuisent, ne serait-il pas possible de coordonner davantage les prises de participation publique avec nos partenaires européens ? Cela serait particulièrement pertinent pour des secteurs à forte intensité capitalistique et où les décisions politiques remontent de plus en plus au niveau européen, comme le spatial ou la défense.
Malgré ces légères réserves, qui excèdent le strict cadre budgétaire, il me paraît utile de soutenir l'action de l'État actionnaire en faveur de la souveraineté économique, car je ne peux que saluer la stratégie déployée ces dernières années.
C'est pourquoi la commission des affaires économiques s'est prononcée en faveur des crédits du CAS « PFE ».
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je me réjouis, comme le rapporteur spécial, que l'Agence des participations de l'État procède de nouveau à des cessions d'actifs. Il faut s'inscrire dans une dynamique au service de notre économie et de nos filières, et savoir valoriser nos investissements quand la situation est favorable. Cela me semble de bon aloi, a fortiori lorsque l'État connaît des difficultés budgétaires.
J'approuve également le soutien aux fonds sectoriels. Ceux qui sont dédiés aux industries agroalimentaires et à l'innovation dans la défense retiennent particulièrement mon attention.
S'agissant de la défense, les intervenants sont nombreux et le montant de 20 millions d'euros d'appel de fonds en 2026 peut paraître faible, ce qui pose un problème de lisibilité.
Sur le soutien aux industries agroalimentaires, je suis assez inquiet de voir la puissance agricole française, qui fut la première en Europe, fortement régresser et présenter probablement en 2025 une balance commerciale déficitaire, ce qui devrait être un vrai signal d'alarme. Ce fonds de soutien s'inscrit-il dans une dynamique de reconquête de notre agriculture et de nos industries agroalimentaires ?
M. Pierre Barros. - Qu'est-ce qui est stratégique et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Quels critères interviennent dans la décision de l'État de prendre des participations dans une entreprise ?
La défense est évidemment un secteur stratégique, mais l'industrie ou l'acier peuvent l'être également. Par exemple, est-il stratégiquement intéressant pour l'État d'entrer au capital d'ArcelorMittal ? Nous avons eu ce débat récemment, et il n'est pas toujours évident de savoir où placer le curseur.
Je peine à déchiffrer la stratégie de l'État. Existe-t-il une doctrine à peu près lisible ? Au contraire, les décisions se prennent-elles au fil de l'eau ?
M. Michel Canévet, président. - Je souhaite interroger le rapporteur spécial et le rapporteur pour avis sur la cohérence de la stratégie de l'État, compte tenu des interventions croisées de l'Agence des participations de l'État, de Bpifrance - qui intervient également en capital dans les entreprises - et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Selon vous, y a-t-il une stratégie clairement définie qui permette à ces différents intervenants de mener une action efficace ?
M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - La question du rapporteur général porte sur la participation de l'État dans des fonds sectoriels. En réalité, cette participation est relativement faible - le Fonds « Innovation Défense » que vous citez représente un montant total de 220 millions d'euros dont 200 millions d'euros souscrits par l'État. L'État est surtout présent dans ces fonds pour observer et orienter les décisions si besoin. Pour accompagner le déploiement des investissements, il couvre chaque année les appels de fonds par des crédits du compte spécial, par exemple à hauteur de 20 millions d'euros en 2026 pour le Fonds « Innovation Défense ».
Quant à savoir si cette participation est de nature à redresser les industries alimentaires et notre commerce extérieur, notamment en matière agricole, je ne peux vous répondre avec certitude. Si l'on regarde les chiffres récents, on peut en effet considérer que ce n'est pas suffisant.
Monsieur Barros, nous aimerions effectivement disposer d'une doctrine claire. Certains objectifs semblent naturels, par exemple lorsqu'il s'agit de conserver une activité essentielle, comme dans le cas d'Atos : cette démarche permettra d'ailleurs d'éviter de reproduire des erreurs du passé, notamment lorsque nous avons été obligés de racheter des turbines pour l'industrie nucléaire. Il convient donc de faire preuve d'anticipation et de conserver des secteurs stratégiques et rentables.
Sur un autre versant, il peut être question d'apporter un soutien à des entreprises en difficulté afin de conserver des activités en France, comme dans le cas d'ArcelorMittal, qui a suscité un débat sur les modalités d'intervention de l'État. Si la piste de la nationalisation n'a pas été retenue en l'espèce, l'État peut, s'il le souhaite, intervenir via une participation au capital, avec l'idée d'aider l'entreprise ou l'industrie concernée à surmonter une mauvaise passe. La doctrine est donc assez souple, ce qui semble approprié en matière de politique industrielle, à la condition de bien évaluer les résultats obtenus.
Nous avons besoin que l'État détienne des parts dans des entreprises en bonne santé, car il perçoit ainsi des dividendes, d'autant plus qu'une remontée sensible de la valorisation des actions a eu lieu ces dernières années : procéder ainsi est utile afin de pouvoir déclencher quelques ventes le moment venu. Dans le même temps, vendre les actions les plus rentables conduit à appauvrir le patrimoine de l'État, et il faut donc rechercher un équilibre assez subtil, qui peut aussi passer par des participations plus faibles, mais avec des pouvoirs importants au sein des conseils d'administration.
En résumé, il n'existe pas de doctrine à ce point structurée qu'elle permettrait de décider d'acheter et de vendre en fonction de quelques critères, à la manière d'une intelligence artificielle (IA).
J'en viens aux enjeux de coordination : la coordination entre Bpifrance et la CDC est facilitée par le fait que la CDC possède 49 % de Bpifrance. Quant à la répartition des interventions entre Bpifrance et l'APE, je considère que la première doit se charger en priorité de l'innovation, avec une prise de risque sur des technologies nouvelles, tandis que l'APE se charge plutôt de la stratégie souveraine de l'État. La CDC, Bpifrance et l'APE se rencontrent d'ailleurs très régulièrement afin de coordonner leurs choix.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - La doctrine est peu à peu améliorée et complétée par les valeurs de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ainsi que par des notions telles que la résilience.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
Projet de loi de finances pour 2026 - Missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonction publiques », « Crédits non répartis » - Compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Comme l'an dernier, je propose au rapporteur spécial de diviser sa présentation en deux parties.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial des missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonction publiques », « Crédits non répartis », et du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». - Je commencerai par vous présenter les crédits d'un bloc de trois missions que nous avons l'habitude d'examiner ensemble : les missions « Gestion des finances publiques », « Transformation et fonction publiques » et « Crédits non répartis ». Je poursuivrai ensuite avec la présentation du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
La mission « Gestion des finances publiques » est dotée de 11,19 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et d'un peu plus de 11 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Elle porte les crédits des deux grandes administrations de réseau du ministère de l'économie et des finances, c'est-à-dire la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), souvent appelée « les douanes ». Elle porte également les crédits du secrétariat général du ministère.
Les AE de la mission augmentent d'environ 2,1 %, et les CP sont en légère hausse de 1,8 %. La hausse des crédits de la mission doit être remise en perspective avec les efforts réalisés ces dernières années. Cette mission a en effet pris une part prépondérante dans l'effort de maîtrise des dépenses publiques au cours des dernières années, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Si les crédits de la mission ont augmenté de 9,1 % en valeur depuis 2019, ils ont en réalité diminué de 7,3 % en volume, c'est-à-dire après prise en compte de l'inflation.
Les dépenses de personnel sont le premier prisme au travers duquel apprécier la programmation budgétaire de la mission, puisqu'elles représentent à elles seules 80 % de ses crédits. Malgré la réduction des effectifs constatée ces dernières années, les dépenses de titre 2 ont connu une trajectoire de hausse qui s'explique avant tout par l'évolution soutenue des mesures catégorielles et générales. Toutefois, l'année 2026 ne sera marquée par aucune mesure de ce type, compte tenu de la nécessité de redresser les comptes publics. C'est pourquoi les dépenses de personnel de la mission sont relativement stables dans ce projet de loi de finances (PLF).
Je salue la continuité des efforts engagés par les administrations de la mission : 558 équivalents temps plein (ETP) seront supprimés en 2026, portant à 5 672 le nombre total de postes supprimés depuis 2021, preuve de leur participation active à la rationalisation des effectifs de l'État : quand on veut, on peut ! Cette diminution des effectifs est essentiellement portée par la DGFiP, pour laquelle une suppression de 550 ETP est prévue, comme en 2025.
L'augmentation des dépenses de titre 3 de la mission, de l'ordre de 6,9 %, a particulièrement attiré mon attention. Cette augmentation ne me semble toutefois pas traduire une dérive des dépenses de fonctionnement.
Pour la DGFiP, l'année 2026 marque une remise à niveau des dépenses de fonctionnement, conséquence d'une budgétisation trop faible en loi de finances initiale (LFI) 2025. Dans le cadre de l'examen du dernier PLF, un amendement adopté au Sénat à l'initiative du Gouvernement avait réduit de 72 millions d'euros les crédits de la DGFiP, dont 49 millions d'euros sur le fonctionnement. Cette coupe, difficilement soutenable selon la direction, a entraîné le recours à des mesures de fongibilité asymétrique en 2025. Le PLF 2026 corrige désormais cette situation, en augmentant de 3 % les dépenses de fonctionnement du programme 156.
Concernant les douanes, la hausse des dépenses de fonctionnement résulte de la requalification de certaines dépenses de maintenance informatique qui étaient jusqu'à présent considérées comme des dépenses de titre 5, en dépenses de fonctionnement. Ce travail de fiabilisation de la budgétisation me semble bienvenu.
Je ne m'attarderai pas sur les dépenses d'investissement, dont la progression, de l'ordre de 7 %, traduit la volonté, malgré le contexte budgétaire difficile, de poursuivre l'effort de modernisation de la DGFiP et des douanes, en particulier en ce qui concerne la résorption de leur dette technologique.
J'en viens aux deux grands axes sur lesquels je me suis plus particulièrement penché dans le cadre de mon rapport.
Le premier axe a trait à la réforme de la facturation électronique interentreprises, dont la mise en oeuvre sera effective à partir de cette année. Pour mémoire, cette réforme repose d'une part sur une obligation de réception, d'émission et de transmission de factures entre entreprises ; d'autre part, sur une obligation de transmission à l'administration de certaines données de facturation. Je rappelle que notre commission s'est toujours montrée favorable à cette réforme, qui sera bénéfique à la fois pour les entreprises et l'État.
La facturation électronique devrait être source de simplification et de gains de productivité pour les entreprises. Dans un rapport de 2021, le Gouvernement estimait que les gains de productivité résultant de la seule facturation électronique pourraient s'élever à 4,5 milliards d'euros pour 1,5 million de PME qui utilisent encore des factures papier.
Cette réforme permettra en outre d'améliorer le rendement des recettes de TVA, sous l'effet de deux facteurs : d'une part, un meilleur recouvrement spontané des recettes, du fait de la fiabilisation des déclarations grâce à la dématérialisation des factures ; d'autre part, un renforcement de la lutte contre la fraude à la TVA en améliorant l'information dont dispose l'administration fiscale, qui sera en mesure de croiser plus facilement les données de facturation pour détecter les comportements suspects. La démarche est comparable à celle du prélèvement à la source, qui avait permis d'augmenter les recettes de l'impôt sur le revenu (IR).
Selon la directrice de la DGFiP, 3 milliards d'euros de gains annuels sont attendus du fait de cette réforme à l'horizon 2028, mais je pense qu'ils seront compris entre 2 milliards d'euros et 3 milliards d'euros. Le coût total du projet pour l'État, estimé à 267,7 millions d'euros pour la période de 2021 à 2028, serait donc largement rentabilisé.
Initialement, l'État devait mettre gratuitement à disposition des entreprises un portail public de facturation, mais ce projet, trop complexe et coûteux, a finalement été abandonné. Cela a suscité des inquiétudes légitimes de la part de certaines entreprises, craignant que l'obligation de recourir à une plateforme privée de facturation ne génère des surcoûts. Mais la DGFiP estime que, au regard du nombre important de plateformes sur le marché, le jeu de la concurrence entre celles-ci devrait contribuer à limiter le risque de surcoût. Je partage cette analyse, mais il s'agit tout de même d'un point de vigilance pour notre commission, car il ne faudrait pas que le nombre de plateformes diminue de manière trop importante.
Le deuxième axe concerne la lutte contre la fraude fiscale et douanière, qui, malgré le contexte budgétaire contraint, constitue toujours une priorité pour les administrations de la mission. Sur le contrôle fiscal, les montants encaissés connaissent une augmentation notable. Ils s'élèvent à 11,4 milliards d'euros en 2024, soit une hausse de 800 millions d'euros par rapport à 2023.
J'insisterai plus particulièrement sur l'augmentation des moyens des douanes pour répondre au défi posé par l'essor du e-commerce. En 2024, les importations de biens de faible valeur - c'est-à-dire les envois de moins de 150 euros, exonérés de droits de douane - ont doublé par rapport à l'année précédente, pour atteindre 775 millions d'articles. Ces importations sont sujettes à de nombreux schémas de fraude visant à minorer la valeur en douane des produits importés, pour échapper au paiement des droits de douane et de la TVA.
La mission d'information de notre commission relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales avait déjà mis en lumière les faiblesses de la nomenclature des déclarations en douane dites « H7 », qui est trop peu détaillée pour permettre aux douaniers de cibler leurs contrôles. Ces derniers doivent dès lors multiplier les contrôles physiques, particulièrement fastidieux et chronophages.
Dans ce contexte, le PLF 2026 prévoit notamment un renforcement des moyens humains des douanes de 18 ETP. Par ailleurs l'article 22 du PLF instaure un prélèvement pour frais de gestion sur les articles contenus dans des envois à faible valeur. Sans empiéter sur les travaux de notre rapporteur général, il me semble que ce dispositif est intéressant, puisqu'il permettra de bénéficier de nouvelles recettes pour armer nos services de contrôle face à cet afflux de colis. Toutefois, l'efficacité du dispositif dépendra surtout de sa mise en oeuvre harmonisée dans le cadre de la réforme de l'Union douanière actuellement en cours de discussion au niveau européen.
Enfin, je vous présente deux amendements de crédits, portant, d'une part, sur l'augmentation du nombre de jours de carence appliqués aux arrêts maladie dans la fonction publique d'État ; d'autre part, sur le non-remplacement d'un agent public sur deux partant à la retraite dans la fonction publique d'État. Je précise que ces amendements sont imputés, par convention, sur la mission « Gestion des finances publiques ».
Je vous propose d'adopter les crédits de la mission tels que modifiés par ces deux amendements.
Je poursuis mon intervention par la mission « Crédits non répartis », dont les deux dotations, la « provision relative aux rémunérations publiques » et la « dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles », sont prévues par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
La « provision relative aux rémunérations publiques » fait de nouveau l'objet d'une ouverture de crédits, à hauteur de 350 millions d'euros. Le Gouvernement ne présente aucune explication crédible pour justifier ce montant, particulièrement élevé cette année. Il indique qu'il revêt « un caractère strictement prudentiel » et serait uniquement justifié par « les conditions particulières de préparation des textes budgétaires ». Je rappelle que le programme 551 constitue une dérogation au principe de spécialité budgétaire dont il convient de ne pas abuser.
Cette dotation n'a en aucun cas vocation à devenir une réserve de budgétisation dont le Gouvernement pourrait disposer librement pour financer des mesures qui n'ont pas été présentées devant le Parlement. Par conséquent, je propose à la commission de supprimer les crédits du programme 551.
Je ne m'attarde pas sur la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles, qui fait l'objet cette année d'une ouverture de crédits de 125 millions d'euros, comme en 2025. Après la crise sanitaire, le Gouvernement avait pris l'habitude d'ouvrir des montants démesurés sur cette enveloppe, mais il semble avoir abandonné cette pratique pour revenir à un montant plus conventionnel, conformément aux recommandations de notre commission.
Je vous propose donc d'adopter les crédits de cette mission, sous réserve de l'adoption de mon amendement.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Je partage vos observations et soutiens les amendements que vous portez, à commencer par celui relatif à la mission « Crédits non répartis », car il est souhaitable d'avoir la gestion la plus rigoureuse possible.
Je me réjouis également des progrès de la facturation électronique, réforme qui avait été reportée alors qu'il s'agit d'un bon outil, qui permettra à la fois de fluidifier les processus et d'engranger des recettes supplémentaires.
Nous avions, à l'époque du déploiement du prélèvement à la source, exprimé des inquiétudes qui se sont ensuite éteintes compte tenu des bons résultats apportés par ce mécanisme : j'espère qu'il en ira de même avec ce chantier de la facturation électronique, ce qui démontrerait que la modernisation et la transmission automatique des données peuvent être des facteurs de progrès et d'accroissement des recettes.
Mme Nathalie Goulet. - Je ne suis guère enthousiaste à l'idée de voir les effectifs de la DGFiP diminuer. Il ne faudrait pas que cette baisse des effectifs se répercute sur les résultats du contrôle fiscal. Par ailleurs, des carences lourdes m'ont été signalées en matière d'acquisition des licences nécessaires au décryptage de la blockchain, avec des incompatibilités de logiciels au sein même des services. Le rapporteur spécial peut-il m'éclairer sur ce point ? Si oui, pouvons-nous avoir le détail des moyens, notamment informatiques, alloués à ce secteur particulièrement important, à la fois pour les douanes et le contrôle fiscal ?
Mme Isabelle Briquet. - Dans le prolongement de l'intervention de ma collègue, doit-on vraiment se réjouir de la suppression d'un si grand nombre de postes au sein de la DGFiP ? Si la digitalisation apporte des bénéfices, n'oublions pas que le rapport consacré à la collecte de la taxe d'aménagement - dont nous avons débattu hier - a montré que les bugs sont possibles et que des réformes insuffisamment accompagnées peuvent entraîner d'importants non-recouvrements : dans ce cas d'espèce, environ 1,5 milliard d'euros n'a pas été encaissé par les collectivités territoriales, faute de moyens d'accompagnement suffisants.
Je ne suis donc pas certaine qu'il faille amplifier le processus : il convient d'accompagner les réformes et prendre des décisions si elles produisent des gains d'efficience, mais sans précipitation.
M. Marc Laménie. - Je remercie le rapporteur spécial pour ce travail de qualité. Les réductions d'effectifs sont récurrentes et importantes au sein de la DGFiP, notamment dans les territoires. Concernant les douanes, les dépenses d'investissement englobent-elles les équipements destinés à contrôler les véhicules, en particulier les poids lourds ?
M. Thierry Cozic. - S'agissant des moyens alloués à la lutte contre la fraude, l'objectif de créer 1 500 postes - annoncé en 2023 - sera-t-il maintenu ? Il semble que le rythme des créations marque le pas.
L'amendement relatif à l'augmentation du nombre de jours de carence appliqués aux arrêts maladie dans la fonction publique d'État est, quant à lui, un « marronnier », monsieur le rapporteur spécial. Il s'agit selon moi d'une mauvaise idée, dans un moment particulièrement difficile dans la fonction publique, alors que les élus locaux nous font part de la difficulté à recruter des agents, et je ne suis pas sûr que votre proposition contribue à renforcer l'attractivité de ces métiers.
De surcroît, cette proposition est démagogique si on analyse les données dans le détail : la part d'absence d'au moins un jour pour raison de santé au cours d'une semaine s'élève à 2,6 % chez les enseignants et à 3,2 % dans la fonction publique d'État, alors qu'elle s'établit à 3,9 % dans le privé. De fait, les enseignants et les agents de l'État comptent parmi les personnels les moins absents.
Certes, la situation est différente dans la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale, mais je rappelle qu'il est question des professions les plus exposées à des publics vulnérables, qu'il s'agisse des crèches, des Ehpad ou des hôpitaux.
Enfin, votre comparaison entre le secteur public et le secteur privé est faussée : dans le second, le délai de carence de trois jours est largement compensé dans la mesure où plus de deux tiers des salariés sont indemnisés - grâce aux conventions collectives - pendant lesdits jours. Après avoir réduit le taux de rémunération l'an dernier, vous proposez donc la double peine en alignant la situation du secteur public sur la plus mauvaise situation possible d'un salarié du privé.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je souhaite alerter sur les moyens de la douane, en particulier pour traiter les petits colis, dont nous avons beaucoup parlé ces dernières semaines. Le Gouvernement affiche sa volonté de créer un dispositif transitoire de taxation de 2 euros par colis pour renforcer les moyens des douanes et aboutir à un meilleur contrôle.
Actuellement, non seulement nous ne contrôlons pas les petits colis acheminés par Shein ou Temu, mais nous passons également à côté de livraisons de drogues, d'armes, ou d'autres produits interdits.
J'ai fait quelques calculs de coin de table : en étant optimistes, nous contrôlons actuellement 1 % des 800 millions de petits colis qui déferlent sur Roissy. Un agent des douanes contrôlerait de 35 000 à 40 000 colis par an. Nous voulons atteindre le chiffre de 5 % des petits colis contrôlés, c'est-à-dire multiplier par cinq les contrôles, avec 18 ETP en plus. Certes, tout ne dépend pas du volume de personnel, mais je m'interroge sur la volonté de réellement progresser, sachant que nous devrons attendre 2028 pour espérer obtenir une réforme de l'union douanière et l'instauration d'une taxe européenne sur les colis de moins de 150 euros.
Il y a un décalage entre les discours et la réalité budgétaire, d'autant que la future taxe va avoir un rendement important et que son affectation au contrôle me semble incertaine.
M. Pierre Barros. - Il y a une dizaine d'années, la caisse d'allocations familiales (CAF) a été réformée et de nombreux postes ont été supprimés. Dans le Val-d'Oise, où la réforme avait été appliquée de façon volontariste, de nombreux postes avaient été supprimés. Or ce fut rapidement la panique : les services n'étaient plus en mesure de traiter les dossiers et d'assurer leurs missions. Des agents avaient dû se priver d'une partie de leurs vacances et il avait fallu recréer de nouveaux postes.
Pour en revenir au rapport, un graphique nous montre que les dépenses de personnel ont augmenté, grosso modo, de 3 % entre 2024 et 2025, ce qui correspond peu ou prou au glissement vieillesse technicité (GVT) et traduit donc un maintien des effectifs. Entre 2025 et 2026, les dépenses n'augmentent que de 0,5 %, ce qui répond à la logique annoncée de supprimer des postes.
En revanche, je m'étonne que les dépenses de fonctionnement, qui ont baissé entre 2024 et 2025, augmentent entre 2025 et 2026 : cela pourrait signifier que des postes seront remplacés par des prestations extérieures. Je pense notamment au recours à des cabinets de conseil pour effectuer des tâches précédemment réalisées par des agents. Le confirmez-vous ?
Je rappelle que la commission d'enquête sénatoriale menée en 2022 par Éliane Assassi et Arnaud Bazin avait mis en lumière des dépenses très importantes en direction de cabinets de conseil. Bizarrement, celles-ci ont fortement ralenti après la remise des conclusions de la commission d'enquête. Mais nous sentons à présent qu'elles commencent à repartir à la hausse.
Il convient d'achever le travail entamé par Arnaud Bazin et Éliane Assassi. Et à voir les graphiques du rapport, cela me semble même de plus en plus urgent.
Mme Ghislaine Senée. - Je souhaite également revenir sur la récente hausse du nombre de fonctionnaires, malgré la petite musique selon laquelle il y en aurait beaucoup trop. En réalité, nos élus locaux rencontrent des difficultés pour recruter, et ils le font de plus en plus par la voie contractuelle, ce qui pose ensuite la question de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Si l'on compare le nombre de fonctionnaires à l'échelle du territoire, le taux de couverture s'élève en France à 7,77 %, alors qu'il est de 13,95 % au Danemark, de 12,48 % en Finlande, de 12,38 % en Lettonie et de 11,36 % en Suède. Or nous savons à quel point le taux de satisfaction des usagers est plus important dans ces pays qu'en France.
Dans ce contexte, on ne saurait considérer que nous pouvons diminuer la masse salariale au prétexte que nous modernisons les services en introduisant des outils informatiques et d'intelligence artificielle. À titre personnel, je suis tout à fait favorable à cette modernisation, qui a permis, par exemple, aux agents de France Travail de se consacrer davantage à l'accompagnement des demandeurs d'emploi.
Cette modernisation doit être l'occasion de recentrer les tâches, et non de supprimer des postes. C'est d'ailleurs la grande interrogation des agents des collectivités face à l'intelligence artificielle. Bien utilisée, elle peut leur permettre de remplir plus efficacement leurs missions d'accueil et d'accompagnement.
En tout état de cause, nous ne pourrons évidemment pas voter l'amendement FINC.1, dont l'objet nous semble être contraire à ce que nous demandent nos concitoyens.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, il est exact que la facturation électronique est un pas important dans la gestion des entreprises, car elle est source d'économies. Malgré les craintes que nous avions affichées lors de son lancement, le prélèvement à la source est finalement une réussite, tant pour les contribuables que pour les recettes fiscales. Or la même administration sera chargée de la facturation électronique, ce qui permettra de mieux recouvrer la TVA, qui est la principale recette fiscale perçue par l'État. Nous saurons dans un an si le dispositif fonctionne, puisqu'il entrera en vigueur le 1er septembre 2026.
Le fait de recourir à des plateformes privées de facturation ne me semble pas un problème, à la condition que ne se forme pas un oligopole. Tant qu'une concurrence franche et loyale continuera d'exister, tout se passera bien. À ce stade, 110 plateformes ont été agréées par l'État. Veillons simplement à ce que ce chiffre ne se réduise pas à cinq ou six, auquel cas les prix risquent de flamber.
Madame Goulet, le contrôle fiscal fonctionne quand même : les encaissements n'ont jamais été aussi élevés. Ils s'élèvent cette année à 11 milliards d'euros, soit davantage qu'en 2018 et 2019, c'est-à-dire avant la période covid, durant laquelle ils avaient fortement baissé.
Il était prévu de recruter 1 500 agents supplémentaire dédiés à la lutte contre la fraude. Nous en sommes à 780, et nous en serons à 920 en 2026. Atteindrons-nous les 1 500 ? Compte tenu de mon expérience en la matière, je n'en suis pas sûr. À une époque, il fut question de recruter 1 200 conseillers aux décideurs locaux (CDL), dont les sénateurs de territoires comptant de nombreuses petites communes connaissent l'importance. Nous en avons finalement recruté environ 900. J'ai demandé à la DGFiP si les engagements pris seraient respectés, on m'a répondu que non. J'ai avancé l'objectif plus modeste de 1 000, on m'a dit : « Probablement pas. »
Avons-nous réellement besoin de 1 500 contrôleurs fiscaux supplémentaires ? Je ne le sais pas. Pour le moment, le dispositif fonctionne assez bien. Des changements s'opèrent dans le contrôle fiscal. Le data mining s'est développé. Les entreprises ne sont plus contrôlées au doigt mouillé.
Par ailleurs, au-delà de la fraude fiscale, il convient de se pencher sur l'évasion fiscale : nous pouvons la détecter, mais elle ne peut pas faire l'objet d'un redressement, à moins de changer la loi.
Madame Briquet, merci de bien vouloir comprendre que la digitalisation permet une baisse d'effectifs. En l'occurrence, la baisse d'effectifs s'est faite de manière progressive et de plusieurs façons. Nous avons contesté des décisions en la matière, qui ont finalement été acceptées. Je pense notamment aux fermetures de trésorerie dans des zones rurales, qui ont été mal vécues dans les petites communes. Force est de constater que, quelques années plus tard, on n'en parle plus - tout du moins dans mon département.
De même, il est clair que le prélèvement à la source et, demain, la facturation électronique vont dans le sens de diminutions d'effectifs.
Des travaux ont eu cours sur la taxe d'aménagement, auxquels je n'ai malheureusement pas pu participer. J'ai abordé le sujet avec la directrice de la DGFiP, qui considère qu'elle ne peut pas recouvrer les sommes en question sans le concours des municipalités, à moins de modifier les règles.
En effet, la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux, qui déclenche le recouvrement de la taxe d'aménagement, n'intervient qu'à l'issue d'une construction. Or cette déclaration n'est souvent pas faite. Peut-être la DGFiP pourrait-elle faire plus et exiger l'envoi de ces déclarations deux ans après le déclenchement des travaux. La directrice se cache peut-être un peu derrière les municipalités, mais je vous fais part de son argument.
En revanche, il existe désormais un acompte sur la taxe d'aménagement pour les projets de plus de 5 000 mètres carrés. Dès que le permis de construire est déposé et que les travaux démarrent, cet acompte doit être versé. Cette mesure devrait déjà permettre de recouvrer une partie de la taxe d'aménagement.
Monsieur Laménie, en ce qui concerne les douanes, les investissements progressent pour acquérir des motos, des hélicoptères, des voitures, et, surtout, des scanners.
J'ai rédigé il y a quelques années avec Albéric de Montgolfier un rapport d'information sur l'organisation et les moyens de la douane face au trafic de stupéfiants. Dans ce cadre, nous avons visité des aéroports, et notamment accompagné les douaniers à l'arrivée d'un vol Cayenne-Paris. À cette occasion, une dame a été contrôlée avec un sac à dos contenant deux kilos de cocaïne, qui ont été repérés grâce à un scanner. Ces équipements sont donc fondamentaux non seulement dans les aéroports, mais également dans les ports.
Par exemple, au Havre, le port est équipé de grands scanners qui ressemblent à des tunnels et permettent de contrôler des containers entiers. On y découvre des choses invraisemblables. Il est même arrivé de repérer de cette manière deux hommes armés chargés de surveiller une cargaison de drogue, qui ont ainsi été appréhendés par le GIGN.
Un autre gros chantier en matière d'investissements est Mayotte, où un bâtiment commun à la DGFiP et aux douanes va être construit, ce qui est une bonne idée.
Monsieur Cozic, j'ai répondu tout à l'heure sur les agents dédiés à la lutte contre la fraude en disant que le recrutement progresse.
M. Thierry Cozic. - Pas assez vite !
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Cela pourrait aller plus vite, mais cela progresse : nous allons passer de 780 contrôleurs en 2025 à 920 en 2026.
Pour ce qui est des jours de carence, c'est un vieux débat. Ce qui est certain, c'est que, depuis trois ans et l'après-covid, nous constatons une augmentation énorme du nombre des arrêts de travail de courte durée. Sont-ils justifiés ou non ? Ce n'est pas à moi d'en juger. Nous sommes la commission des finances, et non celle des affaires sociales, et si nous restons sans rien faire, nous ne savons pas où nous conduira la situation.
Je réalise en ce moment un rapport avec la Cour des comptes sur un sujet sensible : comment rémunérer les fonctionnaires au mérite ? D'ailleurs, si certains ont des idées, je suis preneur, car ce n'est pas facile. Nous pourrions par exemple imaginer des primes, notamment en fonction de l'assiduité. Mais la Cour estime que ce n'est pas une bonne idée. La seule idée qui trouve grâce à ses yeux est la non-rémunération des jours de carence.
Nous devons réfléchir collectivement pour éviter un débordement des arrêts maladie, que nous pourrions finir par payer très cher.
Madame Carrère-Gée, ceux qui se sont intéressés au commerce extérieur dans cette salle savent que des avions bourrés de petits colis en provenance de Chine ou d'ailleurs sont un problème et nécessitent effectivement des moyens de contrôle supplémentaires pour nos douaniers. Lorsque j'ai auditionné le directeur général des douanes, je l'ai interrogé sur l'opportunité d'augmenter le montant de la taxe sur les envois de faible valeur. Il m'a indiqué que pour assurer la conformité du dispositif au droit de l'Union européenne, il faudra que le produit de cette taxe soit utilisé pour couvrir le financement de moyens supplémentaires pour nos douaniers.
Monsieur Barros, les dépenses de personnel progressent. Cela n'est pas seulement lié au GVT : des personnels plus qualifiés ont également été embauchés. Il y a quelques années, notre ancien collègue Thierry Carcenac avait souhaité modifier les grilles de salaire à la DGFiP pour pouvoir recruter des informaticiens de plus haut niveau. L'idée était qu'un diplômé en informatique qui avait le choix entre travailler à Bercy et travailler dans une start-up valorisée à 2 milliards d'euros au bout de deux ans aurait tendance à choisir la seconde option. Pour attirer des personnes plus qualifiées, il fallait donner un coup de pouce. Cela a coûté plus cher en dépenses de personnel, mais cela a été très efficace, notamment en matière de contrôle fiscal. En effet, les plus grands fraudeurs sont très doués en informatique.
Quant aux cabinets de conseil, la DGFiP n'a pas l'habitude de travailler avec ce type d'organismes. Peut-être trouverez-vous un jour un contre-exemple, mais je ne pense pas que l'augmentation des dépenses de fonctionnement soit liée à un quelconque recours à des cabinets de conseil.
Madame Senée, l'amendement que je défends pour ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux ne concerne ni l'éducation nationale ni les ministères régaliens. Pour mémoire, le Gouvernement Bayrou avait pour projet le non-remplacement d'un fonctionnaire sur trois, mais sur l'ensemble de la fonction publique d'État.
L'éducation nationale n'est pas concernée par cet amendement, en ce qu'elle fait l'objet d'un amendement spécifique porté par notre rapporteur spécial Olivier Paccaud, visant à supprimer 4 000 ETP supplémentaires par rapport au projet initial du Gouvernement, soit une suppression de 8 000 ETP au total, en cohérence avec le déclin de la démographie scolaire. Les ministères régaliens sous loi de programmation, à savoir les ministères de l'intérieur, de la justice et des armées ne sont de même évidemment pas visés par la mesure de non-remplacement proposée.
Article 49 (état B)
Les amendements FINC.1 et FINC.2 sont adoptés.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Gestion des finances publiques », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'examen des crédits de la mission « Crédits non répartis ».
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une ouverture de crédits sur le programme 551 « Provision relative aux rémunérations publiques » à hauteur de 350 millions d'euros, sans apporter aucune justification.
Cet amendement vise donc à supprimer ces crédits.
L'amendement FINC.1 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Crédits non répartis », sous réserve de l'adoption de son amendement.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Je passe désormais à la mission « Transformation et fonction publiques », sur laquelle je soulignerai deux éléments principaux.
En premier lieu, les moyens de la mission poursuivent leur diminution, en conséquence de l'achèvement en 2025 du programme de rénovation des cités administratives. Les crédits de la mission affichent ainsi une diminution très importante par rapport à 2025 : - 45,8 % en AE, à 543,6 millions d'euros, et - 27,3 % en CP, à 524,7 millions d'euros.
Le programme 348 « Performance et résilience des bâtiments de l'État et de ses opérateurs », qui finançait le programme de rénovation que je viens de mentionner, enregistre une chute spectaculaire de - 64,2 % en AE, à 220,3 millions d'euros, et de - 32,1 % en CP, à 203,7 millions d'euros.
En second lieu, je regrette le difficile avancement de la réforme de la foncière de l'État, que notre commission avait soutenue dans le cadre de l'examen du PLF 2025. Alors que la disposition correspondante a été censurée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier budgétaire, je déplore qu'aucun vecteur législatif n'ait été utilisé par l'exécutif depuis cette décision pour permettre la création de la foncière.
J'appelle donc le Gouvernement à accélérer la présentation du support législatif qui devrait autoriser le déploiement du pilote, c'est-à-dire l'expérimentation à échelle réduite, de la foncière de l'État.
Pour mémoire, cette réforme prévoit le versement de loyers par les administrations occupantes, dans le cadre d'un objectif de réduction des surfaces de bureaux occupées de 25 % en dix ans. Cela représente une surface de 5 millions de mètres carrés, pour une économie totale de l'ordre de 1 milliard d'euros, liée notamment à la diminution du mur d'investissements nécessaires pour mettre aux normes les bâtiments.
Au regard de l'évolution logique des moyens de la mission inscrite dans le projet du Gouvernement, je vous proposerai d'adopter les crédits de la mission « Transformation et fonction publiques », sans modification.
Enfin, je conclurai par quelques mots sur le compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
Placé sous la responsabilité de la direction de l'immobilier de l'État, ce CAS vise à financer les opérations de valorisation et la modernisation du parc immobilier de l'État en recourant, prioritairement, à la cession d'actifs.
Pour 2026, le CAS affiche, de manière exceptionnelle, un solde négatif de - 51,5 millions d'euros en CP, résultant de recettes de 270 millions d'euros et de dépenses de 321,5 millions d'euros en CP.
Néanmoins, les crédits du compte sont placés sous une norme de dépense pilotable de 210 millions d'euros en AE, ce qui devrait garantir son équilibre budgétaire à moyen terme. La priorité ayant été donnée au financement de l'entretien de l'immobilier, le montant consacré aux opérations structurantes a été réduit à 160 millions d'euros en AE.
De fait, le CAS constitue un instrument marginal pour la politique immobilière de l'État : en moyenne annuelle, il ne représente que 11 % des dépenses d'investissement immobilier de l'État sur la période 2015-2024. À terme, le CAS est ainsi supposé s'éteindre lorsque le déploiement de la foncière de l'État sera achevé.
Je vous proposerai donc d'adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », sans modification.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je souscris à l'analyse de Claude Nougein concernant la gestion immobilière de l'État : nous savions que la foncière posait un problème constitutionnel en tant que cavalier budgétaire, mais il conviendrait désormais d'y répondre.
Il est également indispensable de vite disposer d'une feuille de route de l'État concernant son patrimoine immobilier, qui doit tenir compte de plusieurs paramètres. Certains immeubles pourraient être adaptés pour dégager des bureaux, et il est envisageable de regrouper certains services, notamment lorsque les agents ne sont pas tous présents aux mêmes horaires.
Nous devons avoir une vision stratégique et prospective pour mieux utiliser les espaces de bureaux en fonction des personnels. Dans mon département, divers services publics vont se regrouper au sein d'une maison des services de l'État, y compris les agents de la sous-préfecture, dont les effectifs sont bien moindres que par le passé. Ce genre de regroupement me semble utile pour concentrer les équipes et réaliser des économies d'échelle.
Dans une logique de politique active de l'immobilier de l'État, cela pourrait permettre de céder une partie du patrimoine pour qu'elle soit reconvertie en logements, dont nous avons besoin. Ce serait en quelque sorte le pendant des contraintes que nous nous donnons avec le zéro artificialisation nette (ZAN).
M. Marc Laménie. - L'État et ses établissements publics représentent un parc immobilier de 96 millions de mètres carrés de surface bâtie, ce qui est très important. Il est indiqué dans le rapport spécial que le produit des cessions devrait rapporter 140 millions d'euros en 2026.
Ce patrimoine immobilier inclut-il l'ensemble des ministères ? Je pense notamment au ministère de la défense, dont le patrimoine immobilier est immense.
Combien d'agents sont-ils affectés à ces cessions, qui demandent de nombreuses compétences ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Nous savons qu'il est toujours difficile de déterminer un périmètre opérationnel. Je tiens à préciser que ne sont pas compris dans le patrimoine immobilier de l'État, par exemple, la Bibliothèque nationale de France (BNF) et la Maison de la Radio. Ces chiffres sont donc, sinon en trompe-l'oeil, tout du moins à remettre en perspective en ayant bien conscience du périmètre.
Comme je l'ai expliqué en présentant mon rapport spécial, les travaux de la BNF représentent une dépense de l'ordre de 500 millions à 600 millions d'euros, et ceux de la Maison de la Radio avaient également coûté plus de 500 millions d'euros.
M. Thierry Cozic. - Je voudrais revenir sur le programme 148 « Fonction publique », qui n'a pas été évoqué, et en particulier sur l'action n° 01 « Formation des fonctionnaires », dont les crédits baissent très fortement, de 17,3 %.
Cette baisse s'explique en grande partie par la suppression du versement de l'État au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) en faveur de l'apprentissage dans la fonction publique. Dans une période où les collectivités ont beaucoup de mal à recruter, l'apprentissage représente pourtant une solution intéressante.
La rapporteure pour avis de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur cette mission, Céline Thiébault-Martinez, a indiqué que l'administration n'avait pas été en mesure de préciser combien de contrats d'apprentissages seraient remis en cause par la fin en 2025 de la convention triennale entre l'État et le CNFPT. Disposez-vous d'éléments chiffrés à cet égard ?
M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Monsieur Laménie, il y a de moins en moins de cessions. Les grands bâtiments comme l'hôtel de Brienne, qui abritait le ministère de la défense sur le boulevard Saint-Germain jusqu'en 2015, appartiennent au passé.
En ce qui concerne l'armée, ce qui devait être fait a été fait : des casernes ont été vendues au fil des ans - je pense notamment à celle de Limoges, qui a été récupérée par le conseil départemental -, des terrains militaires ont été réaffectés... Compte tenu de l'augmentation du budget du ministère des armées, il n'y aura pas de nouvelle fermeture dans les prochaines années.
Monsieur Hugonet, je reconnais que les statistiques dont nous disposons sont imparfaites. Il faudra tenir compte du fait que certains bâtiments ne sont pas inclus dans le périmètre de l'immobilier de l'État.
Monsieur Cozic, je suis d'accord avec vous : l'apprentissage est une bonne chose tant dans le privé que dans le public. La volonté du Gouvernement de diminuer les crédits consacrés à l'apprentissage a déjà eu de fortes conséquences sur le recrutement d'apprentis dans le privé. Il doit y avoir une forme de symétrie entre privé et public, et les effectifs d'apprentis dans le public vont donc forcément diminuer. Certains ayant pour projet de supprimer toutes les aides consacrées à l'apprentissage, la tendance risque même de s'aggraver encore davantage à l'avenir.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Transformation et fonction publiques » et du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Culture » - Examen du rapport spécial (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
- Présidence de M. Michel Canévet, vice-président -
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » (et articles 80 et 81) - Examen du rapport spécial
M. Michel Canévet, président. - Nous écoutons à présent les rapporteurs spéciaux de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ».
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ». - Nous avons mené un travail à deux voix, avec la volonté farouche de trouver des points de consensus. Nous avons partiellement réussi, mais ne sommes pas parvenus à un avis commun.
Les crédits de la mission « Travail, emploi et administration et des ministères sociaux » demandés pour 2026 s'élèvent à 16,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 17,7 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2025, les crédits connaissent donc une diminution importante de 3 milliards d'euros en AE, soit une baisse de 15,1 %, et de 2,4 milliards d'euros en CP, soit une baisse de 11,8 %.
Cette mission est sans conteste l'une de celles qui contribuent le plus à la réduction des dépenses publiques.
La diminution proposée en 2026 fait suite à une très forte baisse des crédits de la mission en 2025. En effet, entre le dépôt du projet de loi de finances (PLF) et l'adoption de la LFI pour 2025, le Parlement avait adopté, à l'initiative du Gouvernement et du Sénat, d'importantes mesures d'économies dont l'impact cumulé se chiffrait à 1,6 milliard d'euros.
Les crédits demandés pour la mission dans le projet de loi de finances pour 2026 sont ainsi sensiblement inférieurs à la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027, bien qu'ils se maintiennent à un niveau supérieur à celui qui avait été proposé dans le projet de LPFP déposé par le gouvernement à l'époque.
Comme les années précédentes, l'évolution des dépenses de la mission dépend principalement de celle des crédits du programme 103, parce que ce programme participe pour une grande part au financement de l'apprentissage, qui constitue en quelque sorte sa politique phare. La baisse des crédits de ce programme, de 21,1 % en AE et 19,4 % en CP, explique ainsi largement la baisse globale des crédits de la mission.
Si l'on prend en compte l'ensemble des dépenses en faveur de la formation en alternance, les crédits dédiés à cette politique sur le budget de l'État s'élèvent à environ 4,6 milliards d'euros. Il s'agit d'une baisse sensible par rapport à 2025, puisque le coût de l'alternance pour la mission était alors de 6,2 milliards d'euros.
Cette baisse est d'abord imputable à la diminution des crédits dédiés à l'aide aux employeurs d'apprentis. En effet, pour couvrir les économies prévues sur ce poste de dépenses en 2025, le Gouvernement a revu à la baisse le barème de l'aide à l'embauche : de 6 000 euros pour tous les contrats, elle est passée à 5 000 euros pour les contrats signés par des PME et à 2 000 euros pour les contrats signés par des entreprises de plus de 250 salariés. Il devrait en résulter une diminution du nombre d'entrées en apprentissage : les prévisions reposent sur l'hypothèse d'une baisse de 10 % des entrées en apprentissage en 2025.
Cette baisse résulte ensuite de l'hypothèse d'une suppression de l'exonération de cotisations salariales dont bénéficient les apprentis, la perte de recettes pour la sécurité sociale étant compensée par l'État. La moindre dépense résultant de cette mesure est estimée à 400 millions d'euros.
Enfin, la diminution des dépenses résulte des nombreuses mesures d'économies adoptées par le Parlement et prises par le Gouvernement afin de réduire les dépenses de France Compétences, notamment la baisse de la prise en charge des formations d'apprentis intégralement réalisées à distance ou la suppression de l'éligibilité au compte personnel de formation (CPF) de formations à l'entrepreneuriat non qualifiantes. Le retour à l'équilibre espéré de cet opérateur permet de diminuer la subvention de l'État. Dans la même veine, le présent projet de loi de finances prévoit deux mesures d'économies aux articles 80 et 81, qui sont rattachés à la mission et dont je vous reparlerai.
Pour résumer, la politique de formation professionnelle et d'apprentissage a été très fortement mise à contribution en 2025 et le sera inévitablement en 2026. C'est pourquoi nous pensons, avec Ghislaine Senée, qu'il convient de donner aux professionnels de ce secteur un peu de stabilité. Aussi, nous ne vous proposons pas, à ce stade, de cibler davantage l'aide à l'embauche des apprentis, comme nous vous le proposions les années précédentes.
Il est toutefois à craindre que cette stabilité, que le secteur appelle de ses voeux et que nous estimons souhaitable, n'advienne pas. En effet, les entrées en apprentissage en septembre 2025 - pour lesquelles des données devraient être disponibles très prochainement - sont sans doute plus importantes qu'anticipé par le Gouvernement. La baisse serait de 5 % à 8 % environ, contre 10 % dans les prévisions du Gouvernement. Les économies proposées seraient, dans ce cas, en partie erronées. Il en va de même pour l'exonération de cotisations sociales des apprentis, qui a été rejetée à l'Assemblée nationale. Si ces deux hypothèses s'avéraient fausses, les crédits de la mission augmenteraient mécaniquement. Il faudrait alors réfléchir à la manière de revoir notre copie.
En tout état de cause, il me semble que la situation requiert de la stabilité et la clarification des hypothèses sur lesquelles les économies proposées sont établies. C'est pourquoi je vous propose, en responsabilité et malgré l'horizon qui s'assombrit, d'adopter les crédits de la mission.
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ». - Cette position n'est pas la mienne. Cette mission est celle qui, cette année encore, contribuera le plus à la réduction des dépenses publiques.
Je souhaite tout d'abord appeler l'attention de la commission sur le fait que France Travail voit sa subvention pour charges de service public reculer de 12 % par rapport à 2025 et son plafond d'emploi baisser de 515 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Si le Gouvernement fait valoir que cette réduction ne représente que 1 % des effectifs de l'opérateur, nous avons été alertés sur l'opportunité de conserver ces emplois, qui sont utiles dans la mise en oeuvre du plan d'efficience porté par l'opérateur, dans un contexte où ses partenaires sont mis sous tension. En effet, j'ai pu constater sur le terrain les effets de ce plan, qui produit d'ores et déjà des économies très concrètes. Dans les Yvelines, la réaffectation des moyens humains a amélioré le taux de sortie du revenu de solidarité active (RSA) : il est de 52 % contre 38 % au niveau national. Plus il y a de monde au service de France Travail, plus il y a un retour à l'emploi. Il serait contre-productif d'amputer la capacité de France Travail de mener à bien sa mission.
Au sein du service public de l'emploi (SPE), la situation des missions locales apparaît également très préoccupante puisque leurs AE diminueraient de 13 %. Cette baisse aura nécessairement un impact sur le financement de leur accompagnement des bénéficiaires de contrats d'engagement jeune (CEJ), dont le nombre devrait diminuer de 10 000 en 2026. Cette diminution de crédits inquiète grandement les élus, sur de très nombreux territoires et de manière transpartisane. Dans la Sarthe, les acteurs de terrain constatent en effet une hausse de 12 % des demandes, dont une hausse de 33 % des mineurs, fait nouveau. Ces jeunes sont arrivés en 2020 au collège en plein covid. Les taux de décrochage scolaire s'emballent ; ce n'est pas le moment de fragiliser davantage les missions locales.
Enfin, je déplore la diminution des moyens consacrés aux divers dispositifs d'emplois aidés. La très forte baisse des contrats aidés proposée pour 2026 constitue une véritable régression, pour les bénéficiaires de ces contrats comme pour le secteur non marchand, en particulier les collectivités territoriales. Surtout, les moyens consacrés à l'insertion par l'activité économique (IAE) connaîtraient une forte baisse, de 12 % en CP par rapport à la LFI 2025. Selon la fédération des entreprises d'insertion, il s'agit de la plus forte baisse de crédits de l'histoire de l'insertion par l'activité économique. Il conviendrait d'atténuer l'effort demandé aux structures de l'insertion par l'activité économique (SIAE) sans quoi les taux d'insertion en pâtiront.
Alors qu'une remontée du chômage jusqu'à 8,2 % fin 2026 est prévue, les coupes budgétaires auxquelles nous faisons face auront un impact économique très négatif. Si je n'ai pas souhaité déposer d'amendement en tant que rapporteure spéciale, ce n'est pas parce que je me résous aux baisses de crédits que je viens de dénoncer, mais parce que je vous propose de rejeter les crédits de la mission.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -J'ai entendu la dissonance des avis des rapporteurs spéciaux. Nous essayons d'apporter davantage de raison dans les comptes, et notre constat est consensuel : celui de la dérive des comptes publics, qui a connu son apogée en 2023-2024. Revenir à des normes plus conformes aux réalités économiques et sociales quand on a reçu auparavant de l'argent en surabondance est toujours douloureux.
En euros constants, cette mission bénéficie de 1 milliard d'euros supplémentaires en 2026 par rapport à 2019, année au cours de laquelle le déficit était à 3 %. En outre, les besoins ne sont pas forcément plus élevés. Le soutien à l'apprentissage a eu des effets qui n'atteignaient pas totalement leur cible. La profusion d'organismes de formation, réceptacles des financements des coûts pédagogiques de près d'un million d'apprentis, est-elle normale ? Est-il souhaitable de donner de l'argent à profusion à des organismes qui se créent quasiment du jour au lendemain, sans même améliorer le parcours individuel des uns et des autres ? Il faut couper la perfusion.
En dépit de toutes les actions menées, il reste 500 000 emplois non pourvus, par manque de correspondance entre l'offre abondante de formation et les besoins sur le terrain.
Il faut retrouver de la raison, mais aussi de la rigueur. L'apprentissage doit d'abord mieux former celles et ceux qui sortent de la voie générale, pour augmenter leur niveau de formation. Des métiers ont perdu de l'attractivité parce qu'ils ont été trop longtemps méprisés. Beaucoup louent l'intelligence de la main, mais il n'est qu'à regarder les parcours des uns et des autres : pour quelques belles réussites, combien de jeunes cabossés ?
Nous sommes dans un moment de vérité : soyons attentifs à nos objectifs.
M. Éric Jeansannetas. - Les rapporteurs spéciaux émettent des avis différents, mais ils convergent sur un point : ils demandent de la stabilité pour les opérateurs. Je partage quelques éléments de l'analyse de notre rapporteur général. Il faut utiliser l'argent public à bon escient. Je souscris à son appel au pragmatisme dans le domaine de la formation.
France Travail a changé sa stratégie et Ghislaine Senée le disait : cela fonctionne. Et c'est à ce moment-là qu'il est amputé de moyens importants. L'accompagnement renforcé pourrait être abandonné.
Les missions locales accompagnent le public le plus éloigné de l'emploi. Avant l'insertion professionnelle, il faut une insertion sociale. Amputer les crédits des missions locales deux années de suite, de manière forte, de 20 % en deux années d'exercice, c'est faire perdre des chances aux jeunes les plus en difficulté.
Aurons-nous une marge de manoeuvre en séance pour redonner confiance aux opérateurs du service public de l'emploi ? Je suis président d'une mission locale et je constate une perte de motivation et de sens chez les conseillers.
M. Grégory Blanc. - Je tiendrai un raisonnement purement économique. J'ai entendu les propos du rapporteur général sur le milliard d'euros supplémentaires par rapport à 2019. Comment et où coupe-t-on ? Je souscris aux propos de Ghislaine Senée. En haut de cycle économique, il y a eu une baisse de fiscalité et des moyens déployés par le « quoi qu'il en coûte ». J'étais moi-même chef d'entreprise à ce moment-là. Cela a entraîné des effets de levier - ainsi que des effets d'aubaine - qui ont conduit beaucoup d'entreprises à faire du social. Dans cette période marquée par une carence en main d'oeuvre, les chefs d'entreprise, sachant qu'ils recevraient des aides, sont allés chercher des personnes plus éloignées de l'emploi, car ils en avaient besoin et surtout, ils étaient dans une situation où ils pouvaient le faire. Depuis, le cycle économique s'est retourné. Cela nous conduit à devoir réaliser une consolidation budgétaire alors que les entreprises n'ont plus les moyens de mener ce travail social et que notre appareil économique est en sous-production. Si les entreprises ne réalisent plus ce travail et que l'on coupe les moyens publics des SIAE et des missions locales, qui le fera ?
Depuis 2020, les pathologies psychologiques se sont renforcées. On le constate par la crise de financement des départements. Si, demain, on veut un appareil productif qui fonctionne, on doit voter des budgets qui favorisent l'insertion.
M. Marc Laménie. - Ce budget est important. Quels sont les effectifs de l'administration de l'État, en central et sur le terrain ? Comment se répartissent-ils ? Y a-t-il suffisamment de moyens humains pour lutter contre le travail illégal ?
Dans les Ardennes, il est difficile de trouver localement des saisonniers en arboriculture. C'est aussi le cas dans les régions viticoles.
Le budget prévoit une baisse de 515 ETPT chez les opérateurs, notamment France Travail. Combien pour cet opérateur ?
L'apprentissage est une politique menée en partenariat avec l'ensemble des collectivités territoriales, mais c'est de plus en plus compliqué. Il faut susciter des vocations chez les collégiens. Nombre de secteurs, tels que le bâtiment, peinent à trouver des apprentis.
Ma dernière question porte sur les contrats aidés, qui disparaîtraient totalement. Je regrette aussi cette suppression, car ce dispositif permettait de former des jeunes dans les villages ou les petites communes et de soulager les bénévoles au sein des associations.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - En ce qui concerne le niveau des crédits de la mission, la comparaison avec 2019 n'est pas très pertinente : nous étions alors en haut de cycle en matière d'emploi et l'inflation a fortement progressé depuis lors.
Je suis assez réservée quant à l'ampleur de la diminution des crédits affectés au service public de l'emploi et aux opérateurs. Une diminution de 13 % des autorisations d'engagement pour les missions locales et pour le secteur de l'insertion par l'activité économique me paraît extrêmement sévère. Que l'État soit plus sélectif et exigeant à l'égard des missions locales ou des organismes d'insertion par l'activité économique en matière de performance et de taux de retour à l'emploi, cela me paraît légitime, de même que le fait de conditionner les financements à ces résultats, mais appliquer indistinctement cette logique à tous les organismes, car tel semble être le cas, me paraît singulier, surtout dans la période actuelle.
La suppression de l'exonération de cotisations salariales pour les apprentis ne me paraît pas judicieuse non plus. Réduire les aides à l'apprentissage pour limiter les effets d'aubaine, soit, mais diminuer le salaire des apprentis, non.
Ce manque de discernement figure ailleurs dans le PLF, par exemple dans la suppression de l'aide au permis de conduire pour les apprentis. On pourrait envisager de soumettre cette aide à une condition de revenu, comme le fait France Travail, mais le fait de ne pas disposer du permis constitue un véritable obstacle à l'obtention d'un contrat d'apprentissage pour certains jeunes. Bercy objecte qu'il existe le permis à un euro, mais il s'agit d'un prêt, non d'une aide ; quant au CPF, les apprentis n'y ont pas accès en début de contrat ; enfin, les aides locales existent, certes, mais pas partout.
Sans doute, il faut faire des économies, mais il faut le faire de façon intelligente, faute de quoi les textes ne sont pas acceptés par la population.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je partage l'agacement du rapporteur général sur l'apprentissage.
Ma question s'adresse à Ghislaine Senée. Je m'associe volontiers à la défense des missions locales dont chacun assure, sur son territoire, un travail de dentelle en matière sociale et d'insertion. Pourriez-vous nous préciser, madame la rapporteure spéciale, à quelle diminution en valeur, en euros sonnants et trébuchants, correspond la baisse de 13 % des crédits ?
M. Laurent Somon. - Un bon budget n'est pas forcément un budget qui augmente ; simplement, dès lors qu'on le réduit, cela pose en effet des problèmes d'organisation, et réorganiser une structure n'est pas toujours simple.
Toutefois, la réforme de France Travail porte aujourd'hui ses fruits. Le département de la Somme a mis en place l'accompagnement renforcé entre les services de France Travail et ceux du département. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, notamment à Amiens-Nord, le nombre d'allocataires a baissé de 13 %. Cela démontre que la mutualisation des moyens et la coordination des actions donnent des résultats positifs ; plus on est cloisonné, moins on est efficace. Il faut parvenir à mutualiser l'action de France Travail avec celle des conseillers d'insertion et des conseillers sociaux des départements pour les personnes les plus défavorisées, afin de lever les blocages et de permettre l'immersion dans les entreprises.
Je citerai un autre exemple, en lien avec l'éducation nationale. A été créé dans la Somme, à Friville-Escarbotin, le premier micro-lycée professionnel. Le travail conjugué des industriels, de l'éducation nationale, du département et de France Travail, permet de trouver des solutions pour que des jeunes, même en décrochage, reviennent dans l'entreprise.
Je le répète, un bon budget n'est pas forcément un budget en hausse, c'est un budget rendu plus efficient par la mutualisation des services compétents qui travaillent ensemble.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - Je commencerai en répondant au rapporteur général sur deux points. Je veux d'abord souligner la dérive des comptes publics en 2023 et 2024 : les crédits de cette mission ont énormément augmenté au cours de ces deux années ; elle reflue donc naturellement en 2026. Cette augmentation s'explique surtout par l'accent mis sur l'apprentissage. Nous souhaitons stabiliser ce budget et rendre les dépenses pilotables ; en d'autres termes, refroidir le moteur sans casser la machine. Cela exige de faire des arbitrages pour ralentir, sans rompre la dynamique enclenchée, notamment en matière d'apprentissage. Ensuite, je partage ses propos sur la redécouverte bienvenue de certains métiers. Même s'il y a beaucoup d'apprentis dans le supérieur, nous assistons à la mise en valeur, par l'apprentissage, de certains métiers naguère dévalorisés.
Je veux souligner la grande cohérence des propos d'Éric Jeansannetas d'une année sur l'autre pour ce qui concerne les missions locales.
Nous sommes d'accord sur le besoin de stabilité des opérateurs.
L'accompagnement renforcé de France Travail est extrêmement intéressant ; comme je le disais, il faut accompagner le mouvement sans casser. Nous devons attendre de récolter complètement les fruits de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, notamment pour ce qui a trait à l'accompagnement des bénéficiaires du RSA, car il s'agit d'un effort nouveau, important et positif, puisque l'objectif est de faire revenir vers le travail des personnes qui en étaient très éloignées. Cela passe par l'accompagnement des titulaires du RSA par les conseillers de France Travail, et, d'après Thibaut Guilluy, cela semble bien fonctionner. Il ne faudrait donc pas de casser ce dispositif.
Pour ce qui concerne les missions locales, il est vrai que ce PLF acte une baisse sensible, non des crédits de paiement, qui augmentent, mais des autorisations d'engagement, qui diminuent de 13 %, soit de 78 millions d'euros. Ce n'est certes pas neutre, cela impliquera des efforts sur les dépenses de fonctionnement des missions locales, ainsi qu'une baisse du nombre de CEJ, qui passeront de 200 000 à 190 000 ; les 85 000 CEJ gérés par France Travail ne seront pas affectés. Il y a donc une baisse, mais elle est relative et il faut se souvenir qu'en 2017 il n'y avait que 50 000 contrats de ce type. Il y a bien un léger reflux, mais il n'est pas question de casser la machine.
Nous avons en particulier demandé au Gouvernement d'être très sensible à la situation des missions locales, car nous connaissons leur importance - j'ai moi-même rédigé un rapport d'information sur leur intérêt il y a quelques années - et nous savons aussi que certaines régions diminuent leurs financements. Nous lui avons donc demandé d'être méticuleux et d'étudier les missions locales au cas par cas, pour identifier celles qui rencontreraient des problèmes de trésorerie. Nous aurons sans doute l'occasion de reparler de ce sujet d'ici à l'examen de la mission en séance.
Ce que j'ai dit sur les missions locales vaut pour l'ensemble des dispositifs d'insertion par l'activité économique.
Monsieur Laménie, les crédits de France Travail s'élèvent à 3 321 491 000 euros en tant compte de sa subvention pour charge de ses services public (SCSP) et des divers transferts en provenance de la mission. C'est la principale agence de l'État, avec près de 50 000 agents ; ce sont donc des moyens très importants, d'où la demande, qui reprend celle de Michel Barnier l'année dernière, de supprimer 515 équivalents temps plein (ETP), soit 1 % de l'effectif de l'Agence.
Il est vrai que le nombre de contrats aidés diminue chaque année. Nous actons la fin de ces contrats dans le secteur marchand et, dans le secteur non marchand, leur nombre passera de 50 000 à 16 000. Je n'ai pas réussi à connaître la localisation de ces 16 000 emplois aidés, puisque les 50 000 qui restaient étaient plutôt fléchés vers des zones particulières, notamment en outre-mer. Sera-ce toujours le cas ? Je ne le sais pas. En tout état de cause, avec 16 000 contrats, ce dispositif est en effet en voie d'extinction.
Mme Carrère-Gée formule toujours cette demande d'intelligence ; la constance de vos interventions doit aussi être soulignée, ma chère collègue. J'ai à peu près répondu à vos questions. Nous reparlerons du permis de conduire lors de l'examen de l'article 80.
Pour ce qui est du soutien à l'apprentissage, je dirai, au risque d'être extrêmement minoritaire ici, que les exonérations de l'impôt sur le revenu et des cotisations salariales ont été instaurées lorsqu'il y avait 139 000 apprentis. Cela fonctionnait très bien. À un million d'apprentis, ce n'est plus du tout la même musique. Il convient donc de s'interroger, surtout quand les apprentis ne sont plus seulement de niveau infra bac, mais parfois de niveau bac + 5, avec un niveau d'indemnité qui leur permettrait d'être imposés sur le revenu ! En outre, cette exonération pose une autre difficulté : le jour où ils entrent dans la vie active, avec une rémunération potentiellement équivalente, la surprise risque d'être désagréable quand ils seront assujettis aux cotisations sociales et à l'impôt sur le revenu.
Nous aurons de toute façon ce débat durant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, lorsque se posera la question de l'exonération de charges sociales sur les indemnités d'apprentis. Je comprends votre interrogation, mais cette exonération coûte tout de même plus d'un milliard d'euros et sa suppression rapporterait 400 millions d'euros dès 2026. Par conséquent, si nous voulons la maintenir, il faudra trouver 400 millions d'euros ailleurs.
Enfin, je partage évidemment les propos de Laurent Somon sur la nécessaire coordination des actions entre les missions locales et les collectivités locales ; vous avez raison, mon cher collègue, le budget le plus efficient n'est pas nécessairement le budget le plus élevé.
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale. - Certes, chacun appelle de ses voeux un retour à une situation plus conforme à la réalité économique, mais le Président de la République et le Gouvernement ont fait le choix de conduire une politique très ambitieuse via la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux », avec comme objectif la signature d'un million de contrats d'apprentissage.
Je pose donc la question de la cohérence. On ne peut pas augmenter fortement les moyens consacrés à l'apprentissage à son arrivée en 2017, puis, en l'espace de deux ans, casser la machine. Il y a certes eu des effets d'aubaine, nous l'avons constaté nous-mêmes, mais nous avons oeuvré pour réduire les montants affectés à l'apprentissage, qu'il s'agisse des aides aux entreprises ou de la prise en charge des coûts de formation. Ainsi, cette année, on a réalisé 1,6 milliard d'euros d'économies sur cette mission et, on l'a vu dans le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), quelque 886 millions d'euros de crédits seront annulés. Le travail a donc été largement engagé. C'est la raison pour laquelle nous demandons de la stabilité. De nombreux centres de formation d'apprentis (CFA), pourtant très structurés, se trouvent aujourd'hui en grande difficulté, car, après la révision générale du coût de leur formation, ils ne dégagent plus aucune marge, au point que l'État doit régler les situations une à une. Il s'agit d'une question de cohérence et de continuité de l'action de l'État : on ne mobilise pas autant de moyens pour les retirer aussi vite. Nous en débattrons dans l'hémicycle.
Monsieur Jeansannetas, M. Capus a répondu à vos questions sur les missions locales.
Monsieur Hugonet, la diminution des autorisations d'engagement affectées aux missions locales atteindrait 78 millions d'euros. Les crédits de paiement augmentent, certes, mais il s'agit simplement du rattrapage lié à la reprise d'excédent effectuée en 2025 ; en réalité, ils demeurent stables, ce qui engendre d'importantes difficultés. Je défendrai en séance, à titre personnel, des amendements visant à dégager d'autres marges de manoeuvre afin de sauver les missions locales. En effet, si celles-ci perdent des moyens, ce seront les collectivités territoriales qui devront compenser. Or, chacun le sait, elles se trouvent en grande difficulté et doivent déjà faire des choix cornéliens.
En ce qui concerne France Travail, je veux rappeler quelques chiffres, liés à l'objectif de plein emploi confié à cet opérateur. L'an dernier, le nombre d'entrées dans le dispositif d'accompagnement intensif a augmenté de 50 % par rapport à 2024, avec un objectif de 700 000 accompagnements en 2027. Les actions de prospection auprès des employeurs ont progressé de plus de 300 % en 2025, passant de 100 000 à 400 000, et l'objectif pour 2027 est de 600 000. Les contrôles de la recherche d'emploi ont augmenté de 64 %, ce qui représente 480 000 contrôles, et l'objectif fixé pour 2027 s'élève à 1,5 million.
À cela s'ajoutent la généralisation du dispositif Avenir pro, dans les lycées professionnels, la mise en place du plan Senior 50+, pour les plus de 50 ans, la lutte contre les trop-perçus et les comportements abusifs, ainsi que les mesures issues de la Conférence nationale du handicap. Il faut encore ajouter le transfert à France Travail de la gestion des fonds d'allocation des élus en fin de mandat, dont nous avons adopté le principe au travers de la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2027.
Certes, un plan d'efficience de l'opérateur lui a permis de redéployer 3 700 ETP, notamment grâce aux outils numériques, mais on ne peut pas leur en demander toujours plus tout en exerçant une pression supplémentaire sur les effectifs, d'autant que chaque demandeur d'emploi qui retrouve un poste permet de dégager des économies ailleurs.
Je veux citer une brève anecdote. Aujourd'hui, les grandes entreprises recourent à l'intelligence artificielle pour trier les curriculum vitae. Par conséquent, les conseillers de France Travail doivent accompagner les demandeurs d'emploi pour mettre en page leur CV, car certains rejets tiennent uniquement à des biais de l'IA. Cela peut sembler anecdotique, mais cela montre combien la présence humaine demeure indispensable. Je n'insiste pas davantage sur France Travail, mais vous aurez compris le sens de mon propos.
M. Capus a répondu aux questions de Grégory Blanc. Si les entreprises ne sont plus aidées, ce sont les collectivités territoriales qui devront prendre le relais.
Monsieur Laménie, les effectifs de la direction générale du travail s'élèvent à 4 375 ETPT. Les effectifs sous plafond de France Travail diminueront de 515 ETP.
Madame Carrère-Gée, merci de vos propos. En effet, quand il faut faire des choix, il faut le faire intelligemment. Sans doute, il faut remédier aux effets d'aubaine, mais je crois que nous l'avons fait. Et, vous avez raison, la comparaison avec l'année 2019 est peu pertinente. Le service public de l'emploi se transforme profondément dans le cadre de l'objectif de plein emploi. Des comités nationaux, régionaux, départementaux et locaux se mettent en place.
Bref, vous l'aurez compris, il faut impérativement sauver France Travail et les missions locales, pour le bien de nos demandeurs d'emploi, de nos jeunes et de notre économie.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux ».
EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale. - L'article 80 supprime l'aide forfaitaire de 500 euros pour le financement du permis de conduire des apprentis. Cet article diminuerait de 36 millions d'euros des charges de France Compétences. Il existe en effet d'autres dispositifs pour aider à financer son permis de conduire - CPF, permis à un euro, aides locales, etc. -, qui ne sont au demeurant pas réservés aux apprentis.
Nous vous proposons d'adopter cet article sans modification, puisque nous cherchons à dégager des économies.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 80.
M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial. - L'article 81 procède à diverses mesures de régulation du CPF, afin d'en limiter le coût pour les formations non certifiantes, qui présentent le moins d'intérêt pour sécuriser les parcours professionnels. En effet, le coût par heure de formation des formations non certifiantes est plus élevé que celui des formations certifiantes, ce qui est quelque peu étonnant...
L'article plafonne donc les montants qui peuvent être mobilisés au titre du CPF pour les formations non certifiantes : permis de conduire, validation des acquis de l'expérience, etc. Il supprime également l'éligibilité au CPF des bilans de compétences. Cela ne signifie pas que ces formations ne pourront plus être suivies, mais elles devront simplement être financées, en partie ou en totalité, par les bénéficiaires ou par leur employeur.
S'agissant de formations non certifiantes dont le coût est très élevé, nous vous proposons également d'adopter cet article sans modification.
Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale. - Je précise que je soutiendrai à titre personnel le déplafonnement pour le cas spécifique de la validation des acquis de l'expérience, afin de la sortir du champ de cet article, puisque, en un sens, elle est certifiante.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 81.
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport spécial
M. Michel Canévet, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du rapport spécial sur la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Les crédits demandés pour la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE) s'élèvent à un peu plus de 5 milliards d'euros en autorisations d'engagement et près de 5,2 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui traduit une progression de, respectivement, 7,13 % et 3,41 %.
Au-delà de ces chiffres, quelle est la réalité ? Les crédits de cette mission sont consacrés à deux domaines d'intervention, qui connaissent des évolutions budgétaires distinctes, celui de l'administration territoriale, avec les programmes 354 et 216, qui entrent dans le périmètre de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI), et celui de la vie politique, avec le programme 232.
Tout d'abord, le programme 354 « Administration territoriale de l'État » (ATE) et le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » rassemblent plus de 94 % de la totalité des crédits de la mission. Le programme 354 « ATE » finance les services déconcentrés, notamment les préfectures et sous-préfectures, tandis que le programme 216 est un programme support.
Non seulement le total de ces crédits hors pensions n'enregistre pas de hausse, mais il se contracte de 72 millions d'euros en 2026 par rapport à 2025. Certaines actions ont été revalorisées au détriment d'autres, afin de réaliser des économies budgétaires. Ainsi, les crédits de paiements hors pensions du programme 216 baissent de 136 millions d'euros en 2026.
En ce qui concerne les points positifs, on relèvera que les économies budgétaires réalisées par le programme support 216 permettent de financer non seulement ses missions prioritaires, telles que le développement du numérique ou la revalorisation des crédits de l'action sociale et du contentieux, mais également celles du programme ATE, au profit notamment du fonctionnement courant de l'administration territoriale. En effet, les crédits de paiement hors pensions du programme « ATE » progressent de 64 millions d'euros. L'administration territoriale de l'État bénéficie d'un schéma d'emploi de 50 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires en 2026 au profit des services départementaux, en renfort de leurs missions prioritaires. Cela concerne notamment deux services, particulièrement touchés par leur charge de travail croissante : les « services étrangers » des préfectures et les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT). On ne peut que se féliciter d'une telle hausse de crédits en faveur de l'ATE, dans un contexte de restrictions budgétaires.
Toutefois, étant très attachée à l'ensemble des actions de cette mission, je déplore les réductions de crédits, parmi lesquelles figurent celles du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui finance la prévention de la délinquance et de la radicalisation, la lutte contre les dérives sectaires ainsi que la promotion des valeurs de la République. Son budget est réduit de 10 millions d'euros en 2026 et s'établit à un peu plus de 43 millions d'euros en crédits de paiement et autorisations d'engagement. Ces crédits sont gérés par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui anime les politiques publiques transversales de prévention.
Le constat est sévère. La tendance aux violences, notamment les tentatives d'homicide et les violences sexuelles, est à la hausse selon le neuvième bilan statistique du ministère de l'intérieur. Nous commémorons tristement aujourd'hui les attentats tragiques du 13 novembre 2015. Non seulement la menace terroriste n'a pas cessé, mais elle concerne de plus en plus de jeunes : 70 % des personnes arrêtées pour faits terroristes ont moins de 21 ans. Les deux tiers des auteurs d'attentats commis depuis 2020 n'étaient pas fichés. Les faits nous démontrent donc toute l'importance des actions de prévention.
Agir, c'est d'abord prévenir avant de punir. Quel message envoyons-nous si le budget des actions transversales de la prévention de la délinquance et de la radicalisation diminue à ce point ? Quelques 43 millions d'euros dans un budget de 5 milliards d'euros, ce n'est pas de l'action. Je ne sais comment le qualifier ; de l'abandon ?
Par ailleurs, il est regrettable que la transformation du secrétariat général du comité interministériel de prévention en délégation interministérielle ne soit toujours pas achevée, à ce jour. Celle-ci est très attendue, car elle s'inscrit dans une gestion plus rigoureuse des crédits du FIPD.
Un autre sujet de préoccupation sur le terrain est celui du financement du déploiement des équipements de vidéoprotection des collectivités territoriales. Celui-ci est amputé de 10 millions d'euros en 2026 dans le programme support 216. Il est doté d'un peu moins de 22 millions d'euros contre 32 millions en 2025. Le maillage territorial est certes important, puisqu'il couvre 95 % du territoire. C'est pourquoi le ministère a considéré que le FIPD, ayant rempli sa mission de fonds d'amorçage, devait être repositionné sur des projets plus structurants. Néanmoins, la réalité est que, chaque année, de nombreux projets ne sont pas financés. Selon la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (DEPSA), des dizaines de projets parfaitement pertinents n'ont pu être déployés en 2023, le fonds étant sous-doté de 8 millions d'euros.
En outre, lorsque ces projets de vidéoprotection voient le jour, ils sont majoritairement financés par la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), celle de la politique de la ville (DPV) ou encore celle de soutien à l'investissement local (DSIL). Le recours à ces dotations pour mettre en oeuvre un projet de la vidéoprotection entraîne un effet d'éviction au détriment des autres actions éligibles au titre de ces dotations, telles que la rénovation thermique des bâtiments ou la restauration de l'égalité républicaine dans les quartiers en difficulté.
Un autre point d'inquiétude concerne les schémas d'emplois insuffisants pour faire face aux besoins de certains services et entités relevant de la mission. Les suppressions d'emplois, les plafonds d'emplois bloqués et les schémas d'emplois nuls au cours des années 2016 à 2020 ont non seulement mis à mal l'administration territoriale de l'État mais ont hypothéqué son avenir. Celle-ci en subit encore aujourd'hui l'impact négatif, ayant recours à la contractualisation, voire à l'externalisation de certaines de ses prestations. En 2022, la Cour des comptes dénonçait le fait que « les préfectures ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent leurs services ». Le taux de contractuels est de 16 % pour les effectifs relevant du programme 354 « ATE » et ce ratio s'élève à 83 % pour les agents du Centre de Contact Citoyens (CCC), centre d'assistance de France Titres, ancienne Agence Nationale des Titres Sécurisés. La contractualisation et l'externalisation constituent deux risques majeurs, financiers et opérationnels pour le fonctionnement des services. Si certains profils, notamment à haute valeur ajoutée, légitiment le recours à ces procédures, celles-ci ne peuvent constituer une réponse pérenne au manque d'effectifs.
Enfin, agir, c'est anticiper l'avenir. Je souhaite devant vous réitérer mes alertes passées : les efforts constatés dans le cadre de cette mission ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les diagnostics sont posés mais les moyens se font toujours attendre, année après année. France Titres a vu ses missions s'étendre au-delà de la production des titres sécurisés, avec leur dématérialisation, en particulier dans le cadre du projet France Identité, avec la refonte du système d'immatriculation des véhicules et l'assistance accrue aux préfectures et sous-préfectures.
Or la trajectoire budgétaire ne permettra pas à cet opérateur de porter à l'avenir l'ensemble de ses projets. Le remplacement des recueils de titres ou le renouvellement des cartes nationales d'identité et permis de conduire à trois volets, à l'horizon de 2031 et de 2033, ne sont pas budgétés. Le coût de l'opération est pourtant estimé à 220 millions d'euros.
Autre chronique d'un échec annoncé, celui de la rénovation du parc immobilier préfectoral. Les efforts jusque-là consentis ne permettent pas de stopper la dégradation physique des bâtiments liée à une maintenance insuffisante. Là encore, l'action doit résider dans la prévention, non dans la réparation, qui entraîne des surcoûts. Ces dépenses sont nécessaires et ne sauraient être victimes d'un effet d'éviction au profit des grands projets, tels que celui de relocalisation de plusieurs directions supports du ministère de l'intérieur au coeur du village olympique, pour un montant total de 375,6 millions d'euros. L'opération est pertinente, mais il conviendra d'être vigilant sur son opportunité patrimoniale.
L'autre projet immobilier majeur est celui du regroupement sur un site unique, en 2029, des services centraux de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), actuellement localisés sur trois sites, pour un coût total de 1,2 milliard d'euros, dont 983 millions d'euros seront financés par le programme 216 de la mission. Les paiements ont été rééchelonnés permettant une économie budgétaire substantielle de ce programme en 2026. Force est de constater que les marges de manoeuvre d'investissement des préfectures et sous-préfectures sont obérées par ces grands projets.
Pour autant, l'État ne semble pas avoir abandonné ses préfets, puisque, dans le cadre de la refondation de l'État local, sans impact budgétaire, les préfets voient leurs pouvoirs d'adaptation et de dérogation élargis depuis le 30 juillet dernier, afin de mieux prendre en compte les réalités locales. L'idée est de redonner toute sa place au préfet pour incarner l'État sur le territoire. C'est d'autant plus nécessaire que l'État tend à se désincarner dans sa relation avec ses administrés, au fur et à mesure de la progression de la digitalisation de ses services.
Cela me conduit à aborder la question des crédits numériques relevant des programmes 354 et 216. Ceux inscrits dans le programme 216 progressent de 13,7 % en 2026, soit de 46 millions d'euros supplémentaires. La mission porte les crédits d'une stratégie ambitieuse autour de grands projets - France Identité numérique (FIN), le réseau Radio du futur (RRF) et le système d'immatriculation des véhicules (SIV) -, dont le coût global représente 1,1 milliard d'euros. Par ailleurs, une feuille de route ministérielle sur l'intelligence artificielle a été élaborée, afin d'éviter toute dispersion des moyens ou redondance des initiatives. Les gains attendus de ces projets résident dans la simplification, la sécurisation des démarches administratives ainsi que dans l'efficience liée au traitement des demandes qui ne font que croître.
Ce processus de digitalisation doit inclure un volet d'accompagnement des « précaires numériques », car l'État digital ne peut se développer en excluant les publics éloignés non seulement des services publics mais également des outils informatiques. Comment ramener de l'humain et de l'accessibilité dans ce processus ? Une solution réside dans le développement des implantations de France Services dans les sous-préfectures. Ce guichet unique a démontré son efficacité. Or ce réseau n'est aujourd'hui présent que dans 48 sous-préfectures et 5 préfectures sur 2 804 structures labellisées, soit moins de 2 % de l'ensemble de ces guichets uniques.
Enfin, je souhaite aborder brièvement l'autre périmètre d'intervention de la mission, le programme 232 « Vie politique ». Ce programme regroupe les crédits destinés à l'aide publique aux partis politiques, à l'organisation des élections ainsi qu'au fonctionnement de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), opérateur de l'État chargé du contrôle du financement des campagnes électorales. Sa dotation est triplée en 2026 pour l'organisation des scrutins nationaux. Elle s'élève à 299,56 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 300,92 millions d'euros en crédits de paiement. Le coût prévisionnel des élections municipales est de 193,7 millions d'euros contre 3,7 millions d'euros pour les élections sénatoriales. Outre le caractère cyclique du programme, des coûts supplémentaires ont été budgétés pour la mise en oeuvre de la loi du 11 août 2025 visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, dite Paris-Lyon-Marseille ou PLM, estimés à 15,2 millions d'euros, et celle de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, pour un montant de 7,61 millions d'euros.
En conclusion sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », les sujets de satisfaction - revalorisation de certains programmes, projets de modernisation immobiliers et numériques - sont aussi nombreux que les sujets d'inquiétude. Par conséquent, au regard de la hausse des crédits de certaines actions et du contexte budgétaire particulièrement contraint que nous connaissons et malgré toutes les réserves exposées, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je félicite Mme la rapporteure spéciale pour la qualité de son rapport et pour sa constance.
Mon intervention sera moins une question qu'une remarque. Votre rapport spécial pointe un élément essentiel pour le Sénat, à savoir la diminution constante des moyens de l'État local au profit de l'État central. Nous avons besoin de l'État local et, pour être honnête, nous l'oublions parfois un peu quand, avec de grandes envolées lyriques dans l'hémicycle, nous créons des normes et des réglementations qui lui imposent de plus en plus de travail, alors qu'il a de moins en moins de moyens.
M. Marc Laménie. - Cette mission est très importante, puisqu'il s'agit de la représentation de l'État dans nos territoires. Nous sommes rassurés par la relative stabilité des effectifs, car les préfectures et sous-préfectures sont les interlocuteurs non seulement des habitants mais encore des élus locaux.
Ma question porte sur l'accueil du public dans les préfectures et sous-préfectures. L'accueil du réseau France Services au sein des sous-préfectures est-il amené à se développer ?
Quelles solutions la rapporteure spéciale entrevoit-elle pour remédier au sous-financement chronique de France Titres, notamment pour l'aide relative aux titres sécurisés ? La situation en la matière est proprement alarmante. Je m'interroge également sur le nombre très important de contractuels.
M. Michel Canévet, président. - Je m'inquiète, comme Jean-Raymond Hugonet, des effectifs de l'État sur le territoire. Un quart des effectifs de cette mission relève de l'administration centrale et les trois quarts restants de l'administration territoriale. Un effort ne serait-il pas nécessaire pour réduire les effectifs de l'administration centrale, un peu au profit de l'administration territoriale et beaucoup pour économiser des postes ?
Ensuite, comme Marc Laménie, je constate que l'on assigne de nombreuses missions à France Titres, qui éprouve des difficultés à les assumer. Des recettes spécifiques peuvent lui être affectées, notamment le droit de timbre sur les passeports. Ne serait-il pas utile de rendre payants d'autres titres de sécurité, afin de doter cette agence des moyens nécessaires pour engager les évolutions technologiques qui s'imposent ?
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Monsieur Hugonet, monsieur le président, je ne peux que souscrire à votre volonté de renforcer les effectifs de l'État déconcentré. De nouvelles missions sont confiées aux préfets, mais sans moyens supplémentaires. Quelque 4 500 postes, essentiellement d'accueil, ont été supprimés entre 2010 et 2020 ; un rééquilibrage serait nécessaire.
Marc Laménie pose la question de la présence des maisons France Services dans les sous-préfectures. Seules 58 des 233 sous-préfectures reçoivent des usagers, c'est faible. Lors de mes déplacements, nombre de préfets me confient que la vocation des préfectures est d'être au service des concitoyens. France Services représente une solution pour offrir un accueil, notamment au public éloigné du numérique. Il conviendrait d'octroyer aux préfectures les moyens d'accueillir davantage, d'autant que l'expérimentation des points d'accueil numérique (PAS) n'est pas prolongée.
J'en viens à la question sur le financement de France Titres. Cette agence fait face à deux grands enjeux : le remplacement des anciennes cartes d'identité d'ici à 2031 et celui des permis de conduire à trois volets à horizon 2033, sachant qu'il convient également d'anticiper le renouvellement des nouveaux permis de conduire, au format carte bancaire, introduits en 2013, qui ne sont valables que quinze ans. L'enjeu du remplacement des anciennes cartes d'identité et permis de conduire est crucial. Il manque 220 millions d'euros à France Titres pour y faire face. Une information du public sera nécessaire pour encourager les usagers à procéder au changement spontanément avant les dates butoirs, faute de quoi, il risque d'y avoir un encombrement des services submergés par les demandes à traiter.
S'agissant du revenu tiré des timbres, celui-ci étant plafonné, il conviendrait de rehausser ce plafond, afin que France Titres bénéficie de crédits supplémentaires.
L'autre enjeu majeur est celui de l'identité numérique. Le taux de conversion des cartes d'identité en identité numérique est trop faible. Il faut former davantage les personnels de mairies pour encourager nos concitoyens à adopter cette identité dématérialisée et sécurisée. Ce taux s'élève à seulement 7 % ; près de 3 millions de personnes sont passées à l'identité numérique.
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».
La réunion est close à 11 h 15.
La réunion est ouverte à 14 heures.
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Examen du rapport spécial
M. Michel Canévet, président. - Nous débutons nos travaux de cet après-midi par l'examen du rapport spécial d'Éric Jeansannetas sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».
M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». - Mes chers collègues, je vais vous exposer les grandes caractéristiques et les principales évolutions de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » pour 2026.
La mission voit ses crédits diminuer de 17,5 %, pour atteindre 1 235,9 millions d'euros. Bien qu'il s'agisse d'une « petite mission » par le volume de ses crédits, il s'agit de la mission du budget de l'État qui, en proportion des crédits alloués dans la loi de finances pour 2026, contribue le plus au plan d'économie du budget que nous examinons en ce moment.
Ces baisses de financement pèsent principalement sur le programme 163 « Jeunesse et vie associative », qui perd plus d'un quart - 26,1 %, pour être précis - de ses financements.
Au sein de ce programme, le service civique perd 114,4 millions sur 579,4 millions d'euros. Le service national universel (SNU) est supprimé, ce qui représente une économie de 65,9 millions d'euros, ainsi que le dispositif des « colos apprenantes », qui était doté de 36,5 millions d'euros.
C'est donc un euphémisme de dire que la mission « Sport, jeunesse et vie associative » a pris sa part dans la réduction du déficit public...
Le programme « Sport » enregistre une diminution de 6,5 % de ses crédits de paiement, qui s'explique principalement par la division par deux des crédits du Pass'Sport, passant de 75 millions à 39,2 millions d'euros. Le Gouvernement a fait le choix de recentrer le dispositif sur les jeunes à partir de 14 ans, et non plus à partir de 6 ans, comme c'était le cas jusqu'alors. Je ne suis pas favorable à une diminution des crédits du Pass'Sport, mais, quitte à réformer ce dispositif, il me semble qu'il aurait été plus intéressant de choisir un critère de ressource financière plutôt que d'âge.
Il faut également relever que le plan « 5 000 équipements » ne dispose plus d'autorisations d'engagement, tandis qu'il était encore doté de 100 millions d'euros en 2025. D'après l'administration, la raison est que l'objectif de financement de 5 000 équipements, qui devait s'étaler de 2024 à 2026, a finalement été atteint dès 2025.
Il est toutefois nécessaire de s'assurer que l'objectif de financement de 500 équipements sportifs structurants - piscines, gymnases, etc. - n'a pas été revu à la baisse pour privilégier des équipements sportifs de moindre ampleur. Je rappelle à ce sujet que la commission des finances a demandé à la Cour des comptes une enquête sur le financement des équipements sportifs structurants par l'Agence nationale du sport (ANS). Il est prévu que le rapport soit remis en 2026. Je vous en présenterai alors les conclusions.
La Cour des comptes a également remis en septembre dernier son rapport au Parlement sur le bilan des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Je ne m'étendrai pas dessus, puisque nous avons auditionné la Cour à ce sujet le 14 octobre dernier, mais j'en rappellerai les principaux chiffres. Les Jeux de Paris auraient coûté 6,65 milliards d'euros, mais les magistrats financiers n'identifient pas de dérapage budgétaire majeur, à l'exception des dépenses de sécurité, qui ont été de 1,2 million d'euros supérieures aux prévisions. Les ouvrages olympiques ont été livrés dans les temps et dans le respect de la contrainte budgétaire. Je salue ainsi l'action de la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) et du Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop), qui a permis aux Jeux de Paris 2024 d'être une véritable réussite.
Quant aux Jeux des Alpes 2030, ils sont encore en phase d'amorçage. Il est trop tôt pour définir une trajectoire pluriannuelle des financements de la Solideo 2030, mais à ce stade, le pacte des financeurs prévoit que l'ensemble des concours publics alloués au financement des investissements des projets de la maquette devrait être de 800 millions d'euros, hors réserves et dépenses de fonctionnement. Les enjeux environnementaux seront par ailleurs encore plus importants pour les Jeux de 2030 qu'ils ne l'étaient pour ceux de 2024. Il conviendra donc de s'assurer que l'organisation soit exemplaire de ce point de vue.
J'en viens maintenant au programme « Jeunesse et vie associative », qui est la principale cible des mesures d'économie retenues pour 2026.
Dans l'ensemble, le programme perd plus d'un quart de ses crédits, et toutes ses actions sont touchées. S'établissant à 626,6 millions d'euros, il a quasiment retrouvé son niveau de 2019. En outre, si l'on tient compte de l'effet de l'inflation, alors le programme enregistre une baisse de 12,6 % de ses crédits par rapport à 2019.
Certes, je ne regretterai pas la fin du service national universel, dont j'avais proposé la suppression l'année dernière par le biais d'un amendement. Toutefois, elle n'explique pas à elle seule la baisse des crédits, puisque le dispositif avait s'était déjà réduit comme peau de chagrin, passant de 160 millions d'euros en 2024 à 65,9 millions d'euros en 2025.
Le programme « colos apprenantes », lancé après la pandémie de covid-19, subventionnait des séjours en colonie de vacances à hauteur de 500 euros par enfant. Cette subvention était accordée sur critères sociaux ou à des enfants en situation de handicap. Je regrette vivement la fin de cette politique, dont j'avais soutenu la mise en place pendant plusieurs années. Les colonies de vacances, qui sont malheureusement en perte de vitesse, constituent un maillon essentiel de l'éducation populaire. Selon moi, les colos apprenantes étaient une politique plus efficace et moins coûteuse que le SNU pour renforcer la mixité sociale.
Enfin, le service civique est le dispositif le plus touché par les mesures d'économies. Ses crédits sont en diminution de 114,4 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2025. Ils passent de 579,4 millions d'euros à 465 millions d'euros, soit une baisse de près de 20 %. En conséquence, une cible de 110 000 jeunes a été retenue pour 2026, soit 40 000 de moins que la cible de 150 000 jeunes qui était affichée les années précédentes et avait été atteinte en 2023 et en 2024.
Je réprouve cette décision : l'objectif fixé n'avait jamais été aussi bas depuis dix ans. En effet, la cible de 150 000 jeunes avait été fixée à la suite des attentats du 13 novembre 2015 afin de répondre par l'engagement citoyen aux attaques dont la France et ses valeurs furent les cibles. Le service civique est l'une des dernières politiques publiques de grande ampleur qui porte entièrement sur la mobilisation de la jeunesse. Son efficacité est largement reconnue, y compris par la Cour des comptes, et il représente un véritable soutien pour le monde associatif.
Le Président de la République s'était d'ailleurs engagé en 2022 à « poursuivre la généralisation du service civique », qui permet à nos jeunes de « compléter leur formation par un engagement citoyen reconnu et l'acquisition de compétences », ce qui a selon lui pour effet de « compléter et renforcer la résilience de la Nation ». Malheureusement, les politiques de la jeunesse ne sont plus une priorité politique.
Vous l'aurez compris, ce budget ne me satisfait pas. Toutefois, le rejeter nous conduirait vraisemblablement à repartir de la copie initiale, ce qui n'est pas souhaitable. Je propose donc l'adoption du budget de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », en exprimant le souhait qu'il soit corrigé en séance publique, notamment pour poursuivre le développement du service civique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Je tiens à mon tour à me réjouir de la réussite des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024, malgré la défiance des esprits chagrins. Pour ma part, je fondais beaucoup d'espoir sur cet événement et je ne suis pas déçu : ce fut une réussite tant sur le plan de l'organisation qu'en matière d'attractivité. Je félicite tous ceux qui ont pris part à la décision d'organiser ces jeux et tous ceux qui ont contribué à les organiser.
Je félicite aussi les sportifs, car les nombreux succès sportifs ont ravi les Français et fait de ces Jeux une parenthèse enchantée, sans que l'on déchante pour autant par la suite du point de vue budgétaire.
Ces Jeux doivent servir d'exemple pour corriger l'amas de normes, de contraintes et de réglementations lourdes et parfois contradictoires qui freinent de nombreux projets. Les dérogations accordées pour organiser cet événement ont permis d'en faire une belle réussite.
Ce programme revient à un niveau inférieur à celui de 2019, ce qui ne me semble pas satisfaisant. Il m'est difficile de me réjouir pleinement de la réussite des JOP de ce point de vue. Comme vient de le faire le rapporteur spécial, je formule une alerte sur la baisse des objectifs.
Nous avons suffisamment pointé les carences du SNU et il est clair que les objectifs n'ont pas été atteints. Le rapport d'information d'Éric Jeansannetas intitulé Le Service national universel : la généralisation introuvable était éclairant sur ce point. Je prends acte de cet échec.
En revanche, j'ai bien entendu la demande du rapporteur spécial de revoir la trajectoire budgétaire du service civique. Nous allons réfléchir à une manière de corriger le tir. Le service civique est important pour la jeunesse et pour le monde associatif, qui touche une grande partie de la population. Nous devons donc accorder une attention toute particulière à ce dispositif, qui a fait ses preuves. À défaut de tenir les engagements du Président de la République, nous devons, en tant qu'élus proche des territoires, permettre à la jeunesse de trouver un équilibre grâce à cette politique publique.
Mme Christine Lavarde. - Monsieur le rapporteur spécial, le rapporteur général et moi-même avons entendu parler de possibles évolutions pour le moins surprenantes concernant le SNU. Qu'avez-vous entendu de votre côté à ce sujet ?
M. Marc Laménie. - En ce qui concerne le service civique, qui peut réellement aider des jeunes, pouvons-nous croire à une pérennisation ?
Il me semble regrettable que le SNU ait été supprimé, même si d'autres activités peuvent s'y substituer, notamment les jeunes sapeurs-pompiers ou les cadets de la gendarmerie.
Le fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) constitue un soutien important aux bénévoles et à la vie associative dans chaque département. Une partie de ce fonds a été prélevée sur l'ancienne réserve parlementaire, qui nous a été allouée jusqu'en 2017. Comment s'articule le FDVA, qui mérite d'être connu et reconnu ? Quel est le montant alloué à ce fonds ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Le service national universel est supprimé et les crédits du service civique subissent une baisse substantielle. Monsieur le rapporteur spécial, pouvez-vous nous éclairer sur ce que font les autres pays européens en matière de service civique ? Rencontrent-ils les mêmes difficultés ou, au contraire, pouvons-nous nous en inspirer pour trouver des solutions ?
M. Olivier Paccaud. - Ma question sera complémentaire de celle de Marc Laménie sur le FDVA.
Le PLF 2026 prévoit de regrouper au sein d'un unique fonds d'investissement territorial (FIT) la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation politique de la ville (DPV), à l'échelle départementale. Or la répartition et les décisions relatives au FDVA sont prises à l'échelle régionale. Ne serait-il pas préférable qu'elles le soient à l'échelle départementale ?
M. Marc Laménie. - Très bien !
M. Michel Canévet, président. -Je tiens à saluer les propositions du rapporteur spécial qui, l'année dernière, n'a pas manqué de volontarisme en ce qui concerne la suppression du service national universel.
La réduction des crédits du Pass'Sport est telle que la question de la prolongation de ce dispositif se pose. Pour ma part, j'ai la conviction que nous commettons le même écueil qu'un grand nombre de collectivités territoriales dans notre pays. À cause d'une forme d'enchevêtrement des actions, nous ne savons plus qui fait quoi et nous nous satisfaisons lorsque quelques crédits sont alloués à telle ou telle action sans effet. Ne vaudrait-il pas mieux tout simplement faire confiance aux collectivités territoriales ?
J'ai un peu le même sentiment sur le FDVA : je me demande combien coûte l'instruction par les services de l'État de l'ensemble des demandes formulées par les départements. En réalité, à chaque échelon, les collectivités territoriales font exactement la même chose : elles instruisent des demandes de subventions pour les mêmes associations bénéficiaires, pour, au bout du compte, leur allouer quelques euros.
Il est temps de se poser la question de l'efficience de ce mode d'attribution des subventions. Ne devrions-nous pas recentrer l'action de l'État sur les grandes fédérations, les grands événements et les questions d'innovation et laisser les actions locales aux collectivités territoriales ?
M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - Je tiens tout d'abord à remercier le rapporteur général de sa volonté d'améliorer la donne sur le service civique.
Le monde associatif est bien sûr l'un des grands bénéficiaires du service civique, mais les services de l'État le sont également. Je pense notamment à l'éducation nationale, car des jeunes profitent d'une année de césure pour découvrir le métier d'enseignant et postulent parfois ensuite au concours. Le service civique peut constituer une voie de découverte de la vie active et du monde du travail. Les résultats sont très positifs : ce dispositif fonctionne et incite les jeunes gens à s'engager. Or tout ce qui peut inciter les jeunes à s'engager est bon à prendre.
Marc Laménie, le rapport d'information que j'ai rédigé pour la commission des finances sur le SNU était plutôt sévère, mais celui qu'a publié par la suite la Cour des comptes l'était encore davantage et a certainement porté le coup fatal à ce dispositif.
En ce qui concerne le FDVA, son montant est évalué à 66,1 millions d'euros dans le texte initial du PLF 2026, contre 70,5 millions d'euros en 2025. Il est donc en baisse, malgré un dynamisme important du financement par les comptes inactifs. Cette évolution des comptes inactifs n'ayant pas échappé à Bercy, les crédits ont été réaffectés au budget général de l'État.
Olivier Paccaud, le FDVA repose en effet en partie sur les régions, mais seulement le volet formation. Pour le reste, dans mon département - et j'espère qu'il en va de même dans les autres -, le dispositif est extrêmement bien instruit par les services de l'État. Lorsque la réserve parlementaire a été supprimée, nous craignions que cela porte préjudice aux petites associations. Or les propositions qui nous sont faites répondent à notre souci d'aller au plus près du terrain et ne négligent pas les petites associations.
Les comités décisionnaires se réunissent à l'échelle départementale.
M. Olivier Paccaud. - Oui, mais après, il faut que cela soit validé à l'échelle régionale !
M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - En effet, mais il s'agit d'une validation plutôt formelle, même si quelques petites corrections sont parfois apportées. Là où vous avez raison, c'est que la région donne les grandes orientations de l'utilisation du FDVA.
Sylvie Vermeillet, le service civique a fait la preuve de son utilité et de son efficacité. Il a été lancé sous la présidence Sarkozy et a traversé les présidences Hollande et Macron.
Il existe un service civique en Allemagne, en Italie et en Suisse, dont les modalités sont assez similaires au nôtre. Plusieurs centaines de milliers de jeunes en profitent chaque année dans ces trois pays. En Allemagne, l'année de césure est quasi automatique pour une classe d'âge : à l'issue du baccalauréat, les jeunes ont le choix entre l'année de césure et la première année d'université. Mais il ne doit pas s'agir d'une année pour rien : elle est mise à profit pour découvrir des métiers et des activités, soutenir la vie associative ou se consacrer à des causes sociales. Les associations sportives ou culturelles sont loin d'être les seules à bénéficier du service civique.
Par ailleurs, il existe un service volontaire européen, qui est financé par l'Union européenne. Certaines structures associatives de mon département accueillent dans ce cadre des jeunes volontaires venus de l'Europe entière. Les chiffres ne sont pas spectaculaires, mais ce dispositif n'en demeure pas moins intéressant.
Christine Lavarde, la délégation interministérielle au service national universel, qui gérait le SNU, a été transférée vers les services de la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (Djepva). Ces services ont pour mission de réfléchir à un dispositif d'engagement en direction de la jeunesse, en relation, notamment, avec les armées.
Pour l'instant, en ce qui concerne le SNU, c'est la grande inconnue, pour ne pas dire le grand vide. Rien n'avance : le Président de la République attendait des propositions, mais aucune n'a été clairement formulée à ma connaissance. Pour l'heure, le SNU a disparu et rien n'est prévu pour le remplacer sur la mission SJVA. En tout cas, après avoir auditionné aussi bien la Djepva que la direction des sports et m'être entretenu avec la ministre, je ne dispose pas d'informations en ce sens.
De mon point de vue, un dispositif d'engagement a fait ses preuves : le service civique. Nous avons là un bel outil à maintenir et à développer. Les opérateurs m'ont confirmé que les missions proposées sont désormais de qualité. Il ne s'agit plus seulement de bras en plus. La qualité des missions est contrôlée, et elles permettent à des jeunes de faire un premier pas dans la vie active.
Michel Canévet, la question qui se pose pour le Pass'Sport est un peu la même que celle qui se pose pour le pass Culture, que nous avons évoqué ce matin. Certes, d'autres dispositifs d'aide existent à l'échelle municipale ou départementale pour que des enfants prennent une licence sportive ou accèdent à des activités culturelles, mais, sans faire de misérabilisme, aussi bien le pass Culture que le Pass'Sport sont des dispositifs importants pour la population de départements comme la Creuse.
Le Pass'Sport est un dispositif plutôt égalitaire, et il est plutôt bien perçu par le monde associatif, sportif et culturel.
Comme je l'indique dans mon rapport spécial, l'administration considère que le risque de décrochage de la pratique sportive est le plus fort à partir de 14 ans. L'adolescence passe par là et les circuits ne sont plus tout à fait les mêmes. C'est ce qui explique la décision de resserrer le dispositif sur cette tranche d'âge. Pour ma part, j'estime qu'il aurait été plus opportun d'instaurer un critère social pour les enfants de 6 à 14 ans que de casser un dispositif intéressant.
La direction des sports est en train d'évaluer les effets de cette décision sur le nombre d'enfants licenciés. Nous devrions disposer d'éléments probants d'ici à la fin de l'année. Montreront-ils l'utilité du dispositif ou, monsieur Canévet, un caractère superflu ? Je ne peux pas encore répondre à cette question.
La commission propose d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Engagements financiers de l'État » - Comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » - Examen du rapport spécial (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
La réunion est close à 15 h 40.
Vendredi 14 novembre 2025
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 10 h 00.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 - Examen du rapport pour avis
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport pour avis de Vincent Delahaye sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous avons le plaisir de recevoir Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales, ainsi que Mme Florence Lassarade, rapporteure pour avis de la mission « Santé », que nous examinerons dans un second temps.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le PLFSS pour 2025 nous a été transmis hier. La part que représente ce texte dans les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques - plus de 680 milliards d'euros - et son impact macroéconomique justifient la saisine pour avis, comme chaque année, de notre commission.
Comme vous le savez, la crise sanitaire a provoqué en 2020 un déficit record de la sécurité sociale de l'ordre de 40 milliards d'euros, alors qu'elle finissait à peine d'absorber les conséquences du choc de la crise financière de 2008-2009.
Depuis, la situation des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est légèrement redressée, mais son déficit restait très élevé, à hauteur de 10,8 milliards d'euros en 2023. En 2024, le déficit a été porté à 15,3 milliards d'euros et atteindrait même 23 milliards d'euros en 2025 d'après le présent PLFSS. Cette aggravation massive du déficit est d'autant plus frappante qu'aucune crise sanitaire ou financière ne vient spécifiquement la justifier.
L'augmentation forte du déficit depuis 2024 s'explique par le décalage entre l'évolution des recettes et des dépenses. Alors que l'augmentation des dépenses avait toujours été inférieure à celle des recettes, sauf en 2020, cette tendance s'est inversée en 2024 et 2025. La conjoncture économique inquiétante nuit en effet à la hausse des recettes, alors que les dépenses sont dynamiques structurellement, notamment sous l'effet de la démographie et de la revalorisation des prestations sociales sur l'inflation.
Par ailleurs, ce déficit de la sécurité sociale s'explique largement par des hausses de dépenses non financées, notamment le Ségur de la santé, qui représente ainsi un surcoût de près de 13 milliards d'euros par an depuis 2024.
Je note toutefois une amélioration dans la prévision du déficit, puisqu'il avait été anticipé à 22,1 milliards d'euros dans la loi de financement pour la sécurité sociale (LFSS) pour 2025, soit un écart de 900 millions d'euros - en 2024, l'écart avait été de 4,8 milliards d'euros.
Une telle aggravation du déficit de la sécurité sociale n'est pas acceptable. Des réformes structurelles des dépenses sociales sont indispensables pour permettre aux administrations publiques de retrouver un solde budgétaire positif, en contenant la hausse des dépenses par rapport à celle des recettes.
Le Gouvernement anticipait pour 2026 un déficit de 17,5 milliards d'euros, inférieur de 5,5 milliards d'euros à celui de 2025, mais supérieur de 2,2 milliards d'euros à celui de 2024. La réalisation de cette cible de déficit est de plus en plus improbable, puisqu'elle dépend de baisses des dépenses et de hausses des recettes qui ont été largement remaniées par l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne les recettes, celles-ci devraient augmenter de 2,5 %, contre 2,4 % entre 2024 et 2025. Les mesures en recettes, minorées par des mesures en transfert de l'État vers la sécurité sociale, représenteraient un gain de 2,5 milliards d'euros dans le texte initial.
Le Gouvernement propose ainsi une taxe sur les cotisations perçues par les organismes complémentaires à hauteur de 2,25 %, qui viserait à percevoir la hausse de leurs cotisations opérées en 2024, alors qu'elles n'ont pas subi de hausse des dépenses. L'Assemblée nationale a toutefois supprimé cette disposition, tout comme le gel des seuils d'imposition de contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus de remplacement, qui aurait rapporté 300 millions d'euros. De même, l'article 8 du présent PLFSS avait prévu de soumettre les compléments de salaire, comme les titres-restaurant et les chèques-vacances, à une contribution patronale de 8 %. Cette disposition a été supprimée par l'Assemblée nationale, pour un coût de 950 millions d'euros.
S'agissant des dépenses, l'objectif du texte initial était de les limiter à 1,6 %, ce qui est déjà important. Elles relèvent largement de la branche maladie, à hauteur de 267,5 milliards d'euros, et de la branche vieillesse, pour 307,5 milliards d'euros. À la lecture du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, je suis très sceptique sur la réalisation de cet objectif.
Des mesures d'économies étaient proposées dans le texte initial, à hauteur de 9,1 milliards d'euros. En particulier, le gel de la revalorisation des prestations sociales, supprimé par l'Assemblée nationale mercredi dernier, devait rapporter 2,7 milliards d'euros. Je rappelle que les salaires des actifs ne sont pas systématiquement revalorisés tous les ans sur l'inflation, par exemple, contrairement aux prestations sociales. Concernant les pensions, cela représente une perte de 2,2 milliards d'euros d'économies.
La suspension de la réforme des retraites, à l'article 45 bis du PLFSS, entraîne un surcoût estimé dans l'étude d'impact à 100 millions d'euros en 2026 - certains parlent de 300 millions, mais on peut penser que les personnes qui auraient le droit de partir plus tôt à la retraite grâce à cette disposition ne l'auront pas anticipé, minorant le coût pour cette année... Le coût serait en revanche de 800 millions d'euros en 2027. Le rapporteur général de l'Assemblée nationale, Thibault Bazin, penche plutôt pour la fourchette haute de 300 millions en 2026. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un coût considérable, alors que le vieillissement démographique ne permet pas à la France de maintenir son système de retraite en l'état.
Quant à la branche maladie, ses dépenses seraient en principe modérées, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) étant fixé pour 2026 à 270,4 milliards d'euros, soit une augmentation de 1,6 % par rapport à 2025. Les mesures d'économies proposées dans le texte initial, pour un montant de 6 milliards d'euros, ont été largement supprimées par l'Assemblée nationale. En particulier, la hausse des plafonds et des montants sur les franchises médicales et les participations médicales, à hauteur de 2,3 milliards d'euros, a été très critiquée par l'Assemblée.
Malgré le vote de la hausse de 1,4 point de la CSG sur les revenus du capital, censée rapporter 2,7 milliards d'euros, le déficit de la sécurité sociale pour 2026 se rapprocherait de celui qui était annoncé en l'absence de mesures nouvelles, soit 28,7 milliards d'euros. Il devrait en effet s'établir entre 24 et 25 milliards d'euros après sa modification par l'Assemblée nationale, contre 17,5 milliards d'euros dans le texte initial. Il relèvera de la branche maladie pour 22,3 milliards d'euros et de la branche retraite pour 4,6 milliards d'euros. Un tel déficit est totalement insoutenable et inacceptable, et appelle à une réforme structurelle et urgente de tout le système social français.
Selon les prévisions du Gouvernement, même en incluant les mesures proposées par le PLFSS initial, le déficit de la sécurité sociale demeurerait très élevé dans les années à venir, à hauteur de 16,8 milliards d'euros en 2027, 16,6 milliards d'euros en 2028 et 17,9 milliards d'euros en 2029. Ces chiffres sont sujets à caution.
La gestion à venir de la dette sociale est une source d'inquiétude. En effet, depuis fin 2024, il n'est plus possible, en l'absence de nouvelles dispositions législatives, de transférer les déficits de la sécurité sociale à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). C'est donc l'Urssaf Caisse nationale qui prend en charge l'intégralité des déficits. Si son plafond d'endettement est porté à 83 milliards d'euros par le présent PLFSS, celle-ci ne peut s'endetter qu'à court terme, à l'horizon d'un an. En cas de choc sur les marchés financiers, il n'est pas certain qu'elle parviendrait à trouver suffisamment d'acheteurs de dette sociale pour couvrir ses besoins. Il est donc très risqué de la charger d'autant de dette.
Pour autant, un nouveau transfert de dette à la Cades n'est pas envisageable en l'absence d'un plan sérieux de reprise en main de la trajectoire des comptes sociaux. Il est donc d'autant plus urgent d'assainir financièrement la sécurité sociale.
J'en viens à un sujet que j'ai choisi d'approfondir comme l'an dernier : le poids du système des retraites sur la dépense publique.
Depuis des années, dans la plupart des régimes de retraite, les cotisations ne sont pas suffisantes pour couvrir le niveau des pensions. Pour celui des fonctionnaires, l'État augmente artificiellement chaque année les taux de cotisation employeur afin de combler les déficits. Un même système est appliqué à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Si un taux identique à celui du secteur privé était appliqué, les cotisations employeur seraient beaucoup plus basses.
La somme des cotisations de niveau normal et des impositions et taxes affectées à l'ensemble des régimes de retraite représente près de 80 % des pensions versées par l'ensemble du système de retraite. Au total, les administrations publiques - État, CNRACL, mais aussi la branche famille et l'Unedic - comblent les besoins de financement du système des retraites pour près de 72 milliards d'euros. Cela fait peser un doute sur l'équilibre à long terme de ce système. L'Institut des politiques publiques a d'ailleurs montré dans une étude récente que près de 18 milliards d'euros de cette surcotisation de l'État dans le régime des retraites des fonctionnaires étaient dus au déséquilibre démographique global du système, qui serait supporté par tous les cotisants s'il existait un unique régime de retraite. L'État subventionne ainsi au travers du régime de ses fonctionnaires des déséquilibres imputables en réalité, pour partie, à l'ensemble des régimes de retraite.
Une présentation unifiée de ces éléments serait nécessaire. Notre collègue Sylvie Vermeillet recommande d'ailleurs d'améliorer l'information concernant les retraites de la sphère publique dans le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », et je soutiens cette idée.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ma position sur l'équilibre général du texte est extrêmement critique.
Mme Christine Lavarde. - Le déséquilibre, plutôt !
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - C'est pourquoi je vous propose un avis défavorable sur le texte tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée nationale et que le Sénat devrait améliorer significativement.
M. Claude Raynal, président. - Votre conclusion est assez proche de celle de l'an dernier. Je remarque une certaine continuité...
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Une certaine cohérence, oui.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Merci pour votre invitation. Il est toujours important de croiser les analyses de nos deux commissions. La situation est préoccupante. Chacun, quelles que soient ses opinions politiques, se pose la question de la pérennité de notre système de protection sociale, car la situation est intenable dans la durée.
Il nous faut préparer l'avenir et débattre des choix permettant un retour à l'équilibre, condition de notre crédibilité. Nous connaissons une dégradation sans précédent et hors période de crise des finances publiques : déficit des administrations publiques de 5,4 points de PIB, soit 160 milliards d'euros ; déficit le plus élevé de la zone euro - veut-on rester le mauvais élève ? - ; déficit de la sécurité sociale de 23 milliards d'euros en 2025.
La France est toujours sous surveillance de l'Union européenne - on a tendance à l'oublier... - et sous la surveillance des marchés financiers, puisque les taux d'intérêt sont plus élevés que ceux de l'Italie ou de l'Espagne, qu'on montrait du doigt il y a peu.
L'examen des budgets s'annonce donc compliqué, avec des sujets très sensibles. Deux années après son vote, la réforme des retraites est remise en cause avec sa suspension par lettre rectificative. Si le coût est négligeable pour 2026, c'est une bombe à retardement.
L'Assemblée nationale nous transmet des textes alourdis par des mesures inconséquentes : plus de taxes, plus de niches ; bref, beaucoup d'imagination, mais aucune mesure de redressement. Après son passage à l'Assemblée nationale, le PLFSS a gonflé à 24 ou 25 milliards d'euros de déficit. C'est catastrophique !
En tant que rapporteure générale, ma ligne de conduite sera de revenir à un déficit de 17 milliards d'euros. C'est un impératif. Cela peut paraître difficile, mais je serai intraitable et je n'en démordrai pas. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut plus transférer de dette à la Cades. On peut certes envisager ce qui est évoqué dans la note de bas de page n° 65 du rapport de la Cour des comptes, mais il faut pour cela une vraie trajectoire de retour à l'équilibre. La dette de l'Urssaf Caisse nationale sera de 120 milliards d'euros en 2027. Cela la rend fébrile.
Un point de vigilance : les 3 milliards d'euros prévus à l'article 40 du projet de loi de finances (PLF) concernant les allègements généraux. La réforme des allègements généraux permet un gain net pour la sécurité sociale de 1,6 milliard d'euros en 2025 et de 1,4 milliard en 2026. L'article 40 du PLF réduit de 9,1 milliards d'euros la TVA affectée à la sécurité sociale. Cette réduction, pour l'essentiel, est technique et justifiée, sauf pour les 3 milliards d'euros correspondant aux gains sur les allègements généraux. Pourquoi ? Parce que ces derniers sont actuellement sous-compensés à hauteur de 5,5 milliards d'euros, selon la Cour des comptes dans son rapport d'information sur l'application de la loi fiscale (Ralf).
En outre, le décret du 4 septembre dernier ne prévoit pas de réduction de 1,4 milliard d'euros. Ce budget anticipe donc quelque chose qui n'existe pas.
Les 3 milliards d'euros prévus n'annulent donc pas totalement la sous-compensation, puisque celle-ci s'élève à 5,5 milliards d'euros : il restera 2,5 milliards à compenser.
Je compte sur la commission des finances pour rendre à César ce qui revient à César. Bercy serait trop content de voir ces 3 milliards d'euros tomber dans son escarcelle. Le Sénat doit montrer le chemin du sérieux et de la sincérité budgétaires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Je souscris à vos derniers propos. Merci à Vincent Delahaye, comme toujours tonique et très clair, malgré la difficulté qu'il y a à travailler dans l'improvisation permanente. Pour prendre une métaphore agricole, on a l'impression d'être sous la trémie de la moissonneuse-batteuse : on reçoit le grain au fur et à mesure de la coupe sans savoir ce que cela donne...
Or, on se trouve face à une augmentation sensible du déficit . Je comprends que, à force d'avoir reçu de l'argent public en perfusion, à flux continu sans efficacité, cela devient plus difficile de faire des choix.
Concernant le projet de loi de finances, nous avons travaillé sur la copie originale du Gouvernement. Nous aurons sans doute une version transformée, mais nous le saurons au dernier moment.
Je le dis au Gouvernement : il y a un problème de gouvernance. Qui porte le projet de loi de finances ? L'idée - mais je n'ose croire que ce soit le souhait du Gouvernement - de refiler la patate chaude au Parlement, faute de majorité politique, pour dresser ensuite un constat d'incapacité est profondément dangereuse, voire suicidaire. Personne n'étant candidat au suicide, dans ce contexte inédit de grand questionnement de nos concitoyens, nous nous efforcerons de proposer un redressement des comptes publics au moins aussi important qu'en 2025. Il serait coupable de laisser faire en attendant que d'autres aient à prendre des décisions encore plus douloureuses. Merci d'avoir rappelé qu'en ne présentant pas de consolidation des comptes relatifs aux retraites, on fait comme si on ne voyait pas le problème. Finalement, cela arrange tout le monde !
Nous devons faire très attention. Si nous voulons de la cohésion, il faut éviter de dresser les Français les uns contre les autres. Je ne crois pas que les retraités veuillent d'abord protéger leur condition, plus que celles des actifs ou des jeunes. Nous devons objectiver les données pour que la solidarité entre les générations continue de s'exercer pleinement.
J'ai aussi entendu la détermination de la rapporteure générale de la commission des affaires sociales.
M. Arnaud Bazin. - Merci aux rapporteurs qui ont parlé de façon très claire et directe. Si le rapporteur général s'est réjoui de l'absence de périphrase, je poserai tout de même une question de vocabulaire : le transfert d'un déficit de cette ampleur - potentiellement 24 milliards d'euros - vers une caisse de trésorerie ne s'appelle-t-il tout simplement pas une cavalerie ?
M. Victorin Lurel. - Que le Sénat fasse preuve de sérieux budgétaire, nous l'entendons. Mais que le Sénat fasse aussi preuve de réalisme politique ! Personne n'a raison tout seul. L'état de l'opinion publique est ce qu'il est. L'Assemblée nationale en est la traduction fidèle et son texte le reflète. Penser que ce dernier est forcément mauvais serait un regrettable manque de réalisme politique.
La majorité sénatoriale colorera le PLFSS d'une autre teinte que l'Assemblée nationale. La commission mixte paritaire (CMP) ne sera probablement pas conclusive et peut-être que le Premier ministre demandera à l'Assemblée nationale de se prononcer. S'il y a quelque cohérence à l'Assemblée, elle reviendra à l'épure de ce qui nous a été envoyé. Auquel cas, pourquoi ne pas déposer une motion plutôt que de perdre du temps à tout modifier ? Je ne prêche pour aucune démagogie budgétaire : je sais très bien que l'estimation de 17,5 milliards d'euros n'est pas bonne et que la réalité est plus proche de 24 à 25 milliards d'euros ; Vincent Delahaye évoque même 28,7 milliards d'euros. Il n'y a pas de bonne solution, mais de moins mauvaises solutions. Un déficit de 5 % du PIB reste raisonnable en programmation pluriannuelle. C'est un bon compromis compte tenu de l'émiettement politique actuel.
Nous aimerions conserver des acquis du texte modifié. Aussi, nous réservons notre position.
M. Laurent Somon. - Je m'opposerai à une motion. Il faut absolument débattre des retraites, sujet très important.
Le constat n'est-il pas biaisé dès lors que l'on fait l'hypothèse d'une hausse de l'Ondam de 1,6 % alors que ces dernières années, elle était de plus de 4 % et que depuis 2012, elle est rarement passée sous la barre des 2,5 % ?
M. Claude Raynal, président. - À titre personnel, je pense que nous devons nous interroger sur notre état d'esprit. Merci à la rapporteure générale d'avoir clairement dit ce qu'elle souhaitait faire. Si le Sénat revient à la copie initiale agrémentée de quelques zakouski en estimant que l'Assemblée nationale a fait n'importe quoi, et que l'on se retrouve en CMP, son apport final sera faible.
L'Assemblée nationale trouve des majorités sur des amendements qui s'additionnent sans grande cohérence : il faut ensuite mener un travail de peignage. C'est un nouveau monde dans lequel il faut apprendre à fonctionner, car il va durer - on pourrait connaître le tripartisme pendant longtemps. Il faut conserver les mesures qui peuvent participer à l'équilibre et écarter les autres. On peut choisir de faire l'inverse pour envoyer un message politique, mais cela pourrait se traduire par une défaite en rase campagne.
Je ne souhaite pas que le Sénat refuse de prendre en compte la réalité de la discussion politique telle qu'elle se présente. Nous gagnerions tous à être dans la modération et la recherche d'équilibre. C'est l'intérêt du pays.
Un compromis en CMP nous offrirait une sortie par le haut. On n'a rien à gagner au rejet du PLFSS. C'est tout de même le texte sur lequel le gouvernement de Michel Barnier est tombé. Évitons de nouveaux événements désagréables ; nous n'en avons pas besoin.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Faut-il du réalisme politique ? Faut-il voter des mesures populaires pour faire plaisir aux gens ? Faut-il leur distribuer de l'argent ? La ministre de la santé a affirmé, lors de la dernière séance de questions d'actualité au Gouvernement, qu'elle donnerait 1 milliard d'euros aux hôpitaux : mais d'où ce milliard sort-il ? On dit aux Français qu'il faut se serrer la ceinture et d'un seul coup, on trouve 1 milliard venu d'on ne sait où. Les Français en ont assez des petites combines entre partis.
Il faut que le Sénat ait une voix forte, claire, et affirme que cette situation ne peut pas perdurer. Politiquement, j'ai bien conscience de la difficulté liée à l'hétérogénéité de l'Assemblée nationale, mais nous devons fixer un cap. Or, pour moi, ce doit être le redressement des comptes publics. Il faut aussi soutenir l'économie, car si l'on taxe trop les entreprises, on taxe les emplois et les salaires.
Je suis pour une pédagogie claire. Le Sénat doit faire preuve de sagesse, en répondant aux Français qu'il les a entendus, mais que malheureusement, il n'y a plus d'argent. Nous allons tomber dans le précipice. Il faut arrêter d'avancer !
Je suis défavorable à une motion. Il faut débattre. Nous devrons essayer de garder le meilleur de la copie et de faire adopter le PLFSS. J'ai bien conscience des difficultés ; je ne crois pas beaucoup à une CMP conclusive. Néanmoins, le Sénat doit se distinguer de l'Assemblée nationale, en évitant de tomber dans les petites combines qui reportent l'effort sur les générations futures. Je ne suis pas du tout d'accord avec le président Raynal sur ce point.
Oui, M. Bazin a raison : c'est de la cavalerie ! L'Assemblée nationale augmente le déficit de 6,6 à 7 milliards d'euros sans souci, en deux jours, en supprimant toutes les contraintes impopulaires. Elle laisse filer le déficit sans savoir du tout comment on redressera les comptes.
En effet, cher Laurent Somon, une hausse de l'Ondam de 1,6 % est une hypothèse extrêmement optimiste. Il est évident qu'elle ne sera pas plus respectée que celles des années précédentes. Cet objectif a été fixé pour atteindre 17,5 milliards d'euros de déficit. De même, l'hypothèse de hausse de la masse salariale de 2,3 % a été qualifiée d'optimiste par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Elle a été formulée ainsi parce que le calcul des cotisations se base dessus.
Nous allons vraiment dans la mauvaise direction. C'est pourquoi je maintiens mon avis défavorable.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Chacun est dans son rôle. Le mien doit être de plaider pour le retour à l'équilibre des comptes. Au fil du temps, nous avons trop renoncé aux économies. C'est un coup de canif dans le contrat entre générations.
Le déficit de la branche maladie est l'éléphant dans la pièce. Laisser les générations futures payer pour nous n'est pas fidèle au contrat de la sécurité sociale. Celle-ci repose sur une solidarité contemporaine entre générations. J'entends les jeunes qui disent qu'ils n'auront pas de retraite ; ils ont peur.
Le système actuel doit être remanié. Certes, ce n'est pas le temps politique pour le faire, mais il faut imprimer une marque de sérieux et cesser de procrastiner.
Mon rôle sera toujours de rappeler qu'il faut diminuer le déficit. La solution proposée par la Cour des comptes dans la note de bas de page n° 65 de son dernier rapport, selon laquelle la Cades amortira la dette plus tôt d'un semestre, dégageant une ressource non affectée de 20 milliards d'euros, n'est possible que si l'on s'assure de recettes correspondantes. La loi organique l'impose : si l'on prolonge la durée d'exercice de la Cades, il lui faut des recettes, ou tout au moins une trajectoire crédible. Sinon, comment les marchés financiers pourraient-ils croire à notre sérieux ?
C'est à l'ensemble de l'assemblée sénatoriale de trouver un compromis. Notre devoir est de tracer une trajectoire raisonnable pour les générations futures.
Je ne crois pas qu'il faille attendre 2027, donc encore deux ans, pour se confronter au problème. À force d'ajouter de la dette à la dette, en particulier via l'Urssaf Caisse nationale, nous n'avons plus le matelas financier qui a permis d'amortir les dépenses durant la crise financière ou la crise sanitaire.
M. Claude Raynal, président. - Madame la rapporteure générale, nous vous remercions de vos précisions. Tous les commissaires des finances comprennent très bien l'importance de la ligne politique et de l'objectif affiché : personne ne le conteste.
Toutefois, il y a un problème de gestion du temps. Depuis l'examen des derniers PLF, et désormais à l'occasion du PLFSS, la commission des finances fait face à une difficulté particulière. Nous avons le sentiment que ces textes abordent des questions qui auraient dû être traitées en amont, alors qu'ils devraient plutôt être le point d'arrivée d'une réflexion antérieure. Ainsi, on dépose, un peu à la hussarde, dans le PLF, un amendement d'appel visant à transférer plusieurs milliards d'euros de crédits ou à supprimer une taxe - c'est ainsi que l'Assemblée nationale a supprimé la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui rapporte pourtant 5 milliards d'euros par an. Espérons que l'on n'en arrive pas là dans notre assemblée, et que les amendements d'appel finiront par être retirés.
Certes, on peut estimer que des mesures ponctuelles permettront, petit à petit, de réduire le déficit. Dans la version initiale du PLFSS, le Gouvernement prévoyait de réduire le déficit de 17,5 milliards d'euros, ce qui n'a rien de grandiose ; il avance désormais que nous ne parviendrons toujours pas à l'équilibre d'ici à trois ans. Pour le dire autrement, des décisions techniques ne permettront pas de résoudre le déficit.
Si, avant les discussions financières, il n'y a pas un débat de société sur l'ensemble de la sphère sociale, qui représente plus de la moitié de la dépense publique ; si les choses ne sont pas clairement mises sur la table - je ne parle pas uniquement des retraites ou de la sécurité sociale, mais bien de l'ensemble des dépenses sociales - ; s'il n'y a pas un accord transgénérationnel à ce sujet, alors nous n'y arriverons pas. C'est compliqué, mais dans une démocratie, il faut en passer par là. Sinon, nous n'arriverons jamais à atteindre l'équilibre nécessaire.
Je me souviens que, l'année dernière, Christine Lavarde avait déposé un amendement visant à modifier la fiscalité des pensions de retraite. Il ne me posait pas de problème sur le fond, mais j'étais intervenu pour souligner que nous ne pouvions pas procéder de cette manière : la mesure n'aurait pas abouti !
Mme Christine Lavarde. - Nous en reparlerons lors du PLF...
M. Claude Raynal, président. - C'est uniquement en préparant la discussion budgétaire que celle-ci peut aboutir. Il me semble que l'urgence est de parvenir à un accord sur le PLFSS. Même si nous le considérons tous mauvais - la majorité sénatoriale estime qu'il va trop loin, quand nous pensons qu'il ne va pas assez loin, mais peu importe -, nous devons parvenir à un accord, car sinon, je le dis sincèrement, je crains que ce ne soit pire encore.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - J'en reviens à la patate chaude qui a été donnée au Parlement. Ces difficultés découlent de la décision de la dissolution : depuis, il n'y a plus de gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation », selon les termes de l'article 20 de la Constitution. Le Gouvernement nous transmet un texte, en nous demandant de nous débrouiller pour naviguer. Nous allons nous battre : c'est un débat politique, et nos concitoyens doivent bien voir que nous ne sommes pas dupes.
La commission émet un avis défavorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026.
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Santé » - Examen du rapport spécial (sera publié ultérieurement)
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
La réunion est close à 11 h 35.