- Mercredi 12 novembre 2025
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre - Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Sécurités » - Examen de l'avis
- Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur et Mission « Sécurités » - Fin de l'examen de l'avis
- Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice
Mercredi 12 novembre 2025
- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -
La réunion est ouverte à 10 heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Jean-Baptiste Blanc rapporteur sur la proposition de loi n° 415 (2024-2025) visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale.
Proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Olivia Richard rapporteure sur la proposition de loi n° 8 (2025-2026) relative à la sécurisation des marchés publics numériques, présentée par M. Dany Wattebled et plusieurs de ses collègues.
Proposition de loi visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Christophe-André Frassa rapporteur sur la proposition de loi n° 66 (2025-2026) visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre, présentée par M. Pierre Jean Rochette et plusieurs de ses collègues.
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Sécurités » - Examen de l'avis
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis de la mission « Sécurités », à l'exception du programme « Sécurité civile », du projet de loi de finances (PLF) pour 2026.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis sur la mission « Sécurités » (hors programme « Sécurité civile »). - Les crédits de la police et de la gendarmerie nationales augmentent chaque année depuis 2017 et l'année 2026 ne dérogera pas à la règle. Le PLF pour 2026 prévoit ainsi une progression de 1,38 % en autorisations d'engagement (AE) et de 2,6 % en crédits de paiement (CP).
Nos forces de sécurité sont donc une nouvelle fois relativement préservées des restrictions budgétaires rendues indispensables par l'objectif gouvernemental de maîtrise des dépenses publiques. Une nouvelle fois, le régalien est protégé, et c'est heureux compte tenu de la dégradation manifeste du contexte sécuritaire dans le pays. De plus, le budget respecte pour l'essentiel la trajectoire que le Parlement a définie dans la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Toutefois, si la lettre de la Lopmi est respectée, je ne suis pas certain que l'on puisse en dire autant de son esprit... J'y reviendrai.
Avant de présenter les crédits 2026 dans le détail, il me semble nécessaire de revenir sur l'exécution 2025. Une fois n'est pas coutume, celle-ci se caractérise par une forte tension. Une importante annulation de crédits est intervenue en avril, avec des conséquences opérationnelles immédiates. La direction générale de la police nationale (DGPN) a ainsi été contrainte de ralentir brutalement ses investissements immobiliers pour absorber cette annulation. L'exécution n'est pas plus fluide du côté de la gendarmerie. L'exemple le plus marquant est celui de la réserve opérationnelle : le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) nous a ainsi confié avoir dû interrompre purement et simplement le recours aux réservistes à l'automne, faute de financements disponibles. Je vous laisse imaginer les conséquences et l'incompréhension sur le terrain...
La situation est donc extrêmement difficile pour nos forces de sécurité, et les augmentations de crédits prévues doivent être analysées en fonction de ce contexte.
Si l'effort budgétaire doit être apprécié à sa juste valeur, il appelle néanmoins quelques réserves. Tout d'abord, il est en volume bien moins important que l'année précédente, en croissance de 2,6 %, contre 4,4 % en 2025. Vient ensuite la question de l'asymétrie entre les forces. L'effort consenti pour la police nationale est deux fois supérieur à celui accordé à la gendarmerie nationale : 437 millions d'euros contre 200 millions d'euros. Cet écart fait bien plus que compenser le déséquilibre observé dans le sens inverse en 2025. Je ne manquerai pas d'interroger le ministre sur les raisons qui ont présidé à cet arbitrage objectivement très défavorable à la gendarmerie.
En revanche, les cibles définies par la Lopmi sont majoritairement respectées. J'y vois un signal positif et un progrès par rapport à l'année précédente, où un retard avait encore été constaté, notamment pour le programme 176 « Police nationale ».
Cet effort envers nos forces de sécurité est une absolue nécessité. Le DGPN comme le DGGN ont confirmé en audition faire face à des besoins accrus du fait de la dégradation du contexte sécuritaire. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le total des crimes et délits enregistrés par les services de police a augmenté de 5,3 % entre 2010 et 2024. Plus préoccupant encore, les atteintes aux personnes ont progressé de 45,4 % depuis 2010, avec une explosion notamment des violences intrafamiliales enregistrées. Nous échangeons tous avec les forces de sécurité implantées dans nos départements ; le discours que nous entendons est toujours le même : la criminalité est de plus en plus structurée, de plus en plus importante et, surtout, de plus en plus violente. Je ne parle même pas de l'emprise du narcotrafic sur l'ensemble territoire - la commission d'enquête de nos collègues Étienne Blanc et Jérôme Durain a fait date sur le sujet.
Je ne suis toutefois pas certain que ce budget soit suffisant pour répondre aux enjeux, et je formulerai deux réserves.
Premièrement, si la Lopmi est respectée sur les crédits, elle ne l'est pas ou pas totalement sur les recrutements. Je rappelle que l'année 2025 a été une année blanche de ce point de vue : aucune création de postes, contre 856 initialement prévues.
Ce retard pourrait être rattrapé pour la police nationale, qui bénéficiera de 1 000 postes supplémentaires en 2026. La police sera donc remise sur les rails de son objectif de 4 000 postes à l'horizon 2027, et c'est heureux. C'est d'autant plus heureux que ces créations de postes viendront renforcer la police aux frontières - 300 postes - et, surtout, la filière investigation - 700 postes -, aujourd'hui en grande souffrance. Nos collègues Jérôme Durain et Nadine Bellurot ont encore alerté sur le sujet l'an dernier, dans le deuxième opus de leur rapport sur l'organisation de la filière judiciaire.
La situation est radicalement différente pour la gendarmerie, qui ne bénéficie pour sa part d'aucun effort de rattrapage. Les 400 créations de postes prévues correspondent à la cible Lopmi et l'année blanche de 2025 est donc en quelque sorte confirmée en 2026.
L'objectif de 3 500 créations de postes à l'horizon 2027 pour la gendarmerie est de ce fait durablement compromis, ce qui aura une incidence directe sur la création des 239 brigades promises par le ministère de l'intérieur. Près de 100 devront être créées sur la seule année 2027 si nous voulons respecter l'objectif. Je vous laisse donc juger de sa crédibilité... La situation est particulièrement préoccupante et je ne manquerai pas d'interroger le ministre sur ce point.
Deuxièmement, la lettre de la Lopmi est incontestablement respectée, mais on ne peut pas forcément en dire autant de son esprit. L'un de ses objectifs était de réduire le déséquilibre dans la structure des dépenses de la police et de la gendarmerie au profit de l'investissement et du fonctionnement. Force est toutefois de constater que les dépenses de personnel sont toujours aussi importantes : 87 % pour la police et 82 % pour la gendarmerie. Portées par l'exécution de plusieurs mesures catégorielles, les dépenses de personnel continuent à créer un effet d'éviction sur l'investissement, avec des conséquences opérationnelles certaines et potentiellement graves à terme.
J'en veux pour preuve l'exemple du renouvellement des moyens mobiles des forces de sécurité. Les lignes budgétaires ouvertes seront à nouveau insuffisantes pour garantir le renouvellement de parcs toujours plus vieillissants.
Côté police nationale, 2 900 acquisitions de véhicules pourront être financées en 2026. C'est légèrement au-dessus du seuil de renouvellement, fixé à 2 500, mais cet effort ne permettra pas de combler le déficit accumulé sur les deux dernières années. Seuls 2 500 véhicules ont été achetés sur ces deux années, alors qu'il en aurait fallu 5 000.
La situation est plus inquiétante encore côté gendarmerie, où les besoins sont plus forts, les gendarmes parcourant par définition bien plus de kilomètres que les policiers. Ils couvrent 95 % du territoire national et 50 % de la population.
En 2026, entre 600 et 800 véhicules pourront être achetés, soit 3 000 de moins que ce qu'il faudrait, sachant que la gendarmerie a accumulé une « dette » de 6 500 véhicules sur les deux dernières années. Le DGGN me l'a confirmé : il est maintenant monnaie courante que les gendarmes se déplacent dans des véhicules ayant allégrement dépassé la barre des 300 000 kilomètres... Dans ce contexte, je tiens à saluer solennellement l'action des forces sur le terrain, qui font beaucoup à partir de pas grand-chose.
Je termine enfin sur la situation particulièrement critique de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale. Elle comprend encore 26 hélicoptères AS 350, les fameux « écureuils », qui ont 40 ans de moyenne d'âge et dont un quart a déjà été remisé au hangar... Le renouvellement du reste est urgent et devra en tout état de cause intervenir d'ici à 2028. Sauf que le budget pour 2026 ne le finance pas... Je suis particulièrement préoccupé par ce sujet, car, faute de décision d'ici début 2027, la gendarmerie pourrait subir une rupture capacitaire abrupte, avec des conséquences opérationnelles particulièrement dommageables en outre-mer.
Vous en conviendrez, la situation de nos forces de sécurité est inquiétante et justifierait un investissement massif. Quelles conclusions devons-nous toutefois en tirer pour le budget 2026 ?
Comme je le rappelais en introduction, ce budget doit être replacé dans un contexte plus général de maîtrise des dépenses publiques. Certes, il n'est pas suffisant ; certes, le respect de la Lopmi n'est pas intégral. Pour autant, je rejoins l'avis de Bruno Belin, rapporteur spécial de la commission des finances : au vu de la dégradation très importante des finances publiques, ce projet de budget a au moins le mérite de sauvegarder l'essentiel. J'aurais préféré à titre personnel qu'il soit plus important, mais je constate qu'il préserve autant que faire se peut nos forces de sécurité dans une période où nous devons tous faire preuve de responsabilité.
Sans préjuger de ce que pourra nous dire le ministre de l'intérieur cet après-midi, je vous appellerai donc, mes chers collègues, à ne pas vous opposer à l'adoption des crédits de la police et de la gendarmerie nationales.
Mme Audrey Linkenheld. - Il nous sera difficile de nous opposer à ce budget, mais nous attendons l'audition du ministre et le sort réservé à nos amendements pour savoir si nous émettons in fine un avis favorable.
Nous sommes globalement en phase avec le diagnostic posé par notre collègue Henri Leroy. Dans le contexte budgétaire actuel, nous n'allons pas regretter les emplois supplémentaires proposés pour la police et la gendarmerie. La trajectoire de la Lopmi est respectée, même si nous restons en dessous du niveau des effectifs de 2007, avant la révision générale des politiques publiques (RGPP). Or, depuis lors, les enjeux en matière de sécurité intérieure n'ont pas diminué, bien au contraire. Il est donc parfaitement légitime de considérer que, malgré ces augmentations, des effectifs supplémentaires seraient encore nécessaires pour répondre à l'intégralité des besoins. Nous partageons également le constat du rapporteur sur le contraste entre la dotation de la police et celle de la gendarmerie.
Un effort indéniable est fait sur la police judiciaire, même s'il n'est sans doute pas suffisant, puisqu'il manquerait encore 2 500 enquêteurs en France d'après les syndicats. En revanche, on peut s'étonner que la police aux frontières voie ses effectifs augmenter de 288 équivalents temps plein (ETP) quand la police de proximité du quotidien voit dans le même temps ses effectifs diminuer. C'est là un drôle de symbole que certains approuvent peut-être, mais sur lequel, de notre côté, nous nous interrogeons.
Se pose aussi la question des moyens de fonctionnement et d'investissement, un enjeu important d'attractivité et de fidélisation pour les métiers de la sécurité intérieure. Quand on a des voitures, des motos, des avions, des casernes, des bureaux et du matériel informatique vieillissants, les conditions de travail en pâtissent, de même que la manière dont on accueille les citoyens.
De même, s'agissant des moyens de formation initiale et continue, ils sont a priori stables, mais je regrette qu'ils soient fondus dans les moyens généraux de fonctionnement, ce qui induit un manque de transparence budgétaire sur ce poste.
J'ajoute un dernier point sur l'importance de la « dette grise » de la gendarmerie, conséquence d'un manque d'investissement dans son patrimoine immobilier qui s'explique aussi par la part croissante des loyers dans son budget depuis que le parc locatif a été privilégié. Pour l'instant, nous ne voyons pas l'amorce d'un changement d'orientation, qui serait pourtant souhaitable.
Mme Isabelle Florennes. - Monsieur le rapporteur, nous rejoignons votre parti, celui du « moindre mal ».
J'interrogerai toutefois le ministre, cet après-midi, sur trois points qui m'ont particulièrement interpelée lors des auditions que nous avons menées.
Premièrement, l'audition du Conseil supérieur de la fonction militaire de la gendarmerie m'a alarmé sur le moral des troupes, qui semble nettement se dégrader. Et le DGGN a lancé un véritable cri d'alarme sur la couverture territoriale.
Deuxièmement, je note un problème de cohérence sur les crédits de la réserve opérationnelle. Un objectif ambitieux de recrutement de 50 000 réservistes d'ici à 2027 a été fixé. Nous atteignons déjà les 39 000, et les préparations militaires sont pleines, ce qui est encourageant. En revanche, il arrive souvent qu'on ne puisse pas les envoyer en mission faute de crédits suffisants pour les rémunérer...
Troisièmement, je relève que, de plus en plus, le manque de crédits pour les forces de sécurité est compensé par les collectivités locales. Équipements, prêt de véhicules, centres de supervision : ce sont souvent les collectivités qui investissent pour la police nationale, notamment dans les agglomérations.
M. Alain Marc. - En notre qualité de sénateurs, nous sommes en relation permanente avec les policiers et les gendarmes sur le terrain. Depuis 2004, le commissariat de Rodez a perdu trente policiers nationaux. On dit souvent que les municipalités gaspillent de l'argent, mais elles doivent embaucher de plus en plus de policiers municipaux pour compenser le désengagement de l'État. Ces efforts doivent être pris en compte.
Concernant la gendarmerie, je souhaite aborder deux points en particulier. Le premier a trait à la formation des nouvelles recrues. Autrefois, les gendarmes allaient au contact de la population, au point que nous avions l'un des meilleurs services de renseignement du monde grâce à la gendarmerie. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, nos jeunes gendarmes connaissent moins leur territoire et perdent peut-être de ce fait en efficacité.
Le deuxième a trait aux véhicules saisis mis à la disposition des forces de sécurité. Combien de véhicules l'ont-ils été l'an dernier ? Il me semblait que le Sénat avait simplifié les procédures pour que ces véhicules soient rapidement mis à la disposition de nos policiers et de nos gendarmes.
M. Michel Masset. - Je rejoins mon collègue Alain Marc : alors que les gendarmes passaient beaucoup de temps avec les élus et la population, on voit aujourd'hui moins de « bleu » sur le terrain. Il faut dire aussi que les charges administratives se sont nettement accrues.
Même si nous déplorons que la gendarmerie soit relativement maltraitée par ce budget, le RDSE ne s'opposera pas à ces crédits. Je serai pour ma part très attentif au nouveau mode de financement des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), à la suite du Beauvau de la sécurité civile.
Mme Audrey Linkenheld. - Les difficultés propres aux territoires d'outre-mer nécessitent aussi un déploiement accru de forces de gendarmerie, en particulier mobiles, qui pèse sur les effectifs disponibles pour le territoire métropolitain.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. - Les efforts consentis pour la police judiciaire étaient nécessaires ; ils constituent un début de réponse à l'augmentation de la criminalité et de la violence.
Les moyens de la police et de la gendarmerie sont vétustes. Nous le dénonçons chaque année, au-delà des clivages politiques, puisque Jérôme Durain et moi-même sommes parvenus à un diagnostic commun sur l'état de nos forces de sécurité dans le cadre du Beauvau de la sécurité. Des efforts ont été faits, mais ils restent insuffisants. Même si les missions de sécurité sont, avec les armées, les seules à voir leurs moyens augmenter, les crédits alloués ne suffisent pas à résorber le passif.
Cette année, j'ai notamment été très surpris d'entendre le DGGN affirmer qu'il ne serait plus en mesure d'exécuter ses missions, faute de moyens. Certes, il est issu du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), c'est donc un homme d'action, mais le constat qu'il dresse est alarmant, notamment sur les hélicoptères.
Quant à l'outre-mer, il faut savoir que seuls les meilleurs gendarmes y sont affectés. Dans ces territoires, la gendarmerie assure des missions qui ne lui sont pas traditionnellement attribuées, comme celles d'huissier ou d'intervention pour des problèmes familiaux. Ces territoires mobilisent en effet des effectifs qui amputent d'autant les moyens métropolitains - une vingtaine d'escadrons de gendarmerie sont déployés en Nouvelle-Calédonie - ; pour autant, ces territoires mériteraient une attention encore plus soutenue.
La réserve opérationnelle de la police nationale a été créée grâce au Sénat, sur le modèle de celle de la gendarmerie nationale, qui est indispensable à son bon fonctionnement. Il faut évidemment que les moyens suivent.
La gendarmerie a en effet perdu une part de son ADN. Elle avait été conçue comme une toile d'araignée capable, sur les territoires, de prendre contact aussi bien avec les élus, les familles ou les lobbys. Mais aujourd'hui, les gendarmes, accaparés par leurs missions de sécurité civile et de surveillance du territoire, n'ont plus le temps d'effectuer les anciennes « tournées de communes », qui permettaient d'établir un contact avec la population.
Pour répondre au constat selon lequel il y a moins de « bleu » sur le terrain, il avait été décidé dans la Lopmi, à la suite du rapport que nous avions transmis au ministre, de multiplier par deux les effectifs sur le terrain. Mais il manque 3 500 ETP dans la gendarmerie, et les 400 ETP prévus pour 2026 ne combleront même pas la moitié du déficit des deux années précédentes.
Concernant les véhicules saisis, certains sont en effet attribués aux forces de sécurité, mais principalement à la police. En 2024, 130 véhicules ont fait l'objet d'une saisie-affectation dans le cadre de dossiers de trafics de stupéfiants. Ce chiffre monte à 743 avec l'ensemble des infractions. Quoi qu'il en soit, on est bien loin des 3 600 véhicules manquants.
Il est faux de dire que la gendarmerie manque d'attractivité. Elle attire douze candidats pour un poste, contre deux pour un du côté de la police. Le vrai problème, en réalité, réside dans la durée des carrières. Certains gendarmes ne restent parfois que trois, cinq ou dix ans en poste.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Sur les véhicules saisis, les gendarmes souhaitaient surtout pouvoir disposer de véhicules banalisés quelconques pour les filatures, plutôt que de véhicules classiques « logotés ». Il y avait toutefois un obstacle législatif : dès lors qu'une juridiction était saisie, il devenait impossible d'attribuer le véhicule jusqu'à sa confiscation éventuelle par la justice. Les véhicules étaient donc mis en gardiennage sans pouvoir être utilisés et leur valeur se dépréciait. Une loi est venue permettre cette affectation pendant la durée des procédures, mais comme elle est assez récente, nous ne pouvons pas encore évaluer précisément son effectivité.
M. Alain Marc. - Dans le département de l'Aveyron, j'ai vu deux véhicules rapides mis à disposition de la gendarmerie après avoir été saisis. Ils étaient très utiles aux gendarmes pour intervenir sur l'autoroute.
Mme Cécile Cukierman. - Nous avons évoqué le manque de véhicules. J'ai aussi en tête ces années où, à compter du 1er décembre, les crédits alloués à l'achat de carburant étaient épuisés dans un certain nombre de gendarmeries et de commissariats...
Quelles que soient les réponses du ministre ce soir, et même si nous partageons un certain nombre des constats dressés par le rapporteur, notre groupe ne votera pas les crédits de cette mission, car, chaque année, la situation est un peu plus préoccupante.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous propose que nous émettions notre avis sur les crédits de la mission « Sécurités » à l'issue de l'audition du ministre de l'intérieur, qui se déroulera cet après-midi après les questions d'actualité au Gouvernement.
La réunion, suspendue à 10 h 50, est reprise à 16 h 30.
Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur et Mission « Sécurités » - Fin de l'examen de l'avis
Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue devant notre commission, qui n'a pas encore eu l'occasion de vous entendre depuis votre entrée en fonctions. Nous sommes heureux de vous accueillir dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Comme la précédente, cette loi de finances s'inscrit non seulement dans la poursuite d'un effort de maîtrise de la dépense publique, mais aussi dans un contexte politique particulièrement difficile.
Nous notons que les trois missions budgétaires dont vous avez la charge - « Immigration, asile et intégration », « Sécurités » et « Administration générale et territoriale de l'État » - voient leurs crédits augmenter. Il s'agit d'un effort assez important, que l'on ne saurait minimiser, et qui témoigne du caractère prioritaire de ces politiques publiques régaliennes. Toutefois, l'augmentation globale des crédits masque parfois des variations importantes parmi les composantes des dépenses, qui traduisent certains choix politiques.
Comme de coutume, je vous laisse la parole afin que vous nous présentiez les grandes lignes du projet de budget 2026 du ministère de l'intérieur. Les rapporteurs de la commission puis l'ensemble des commissaires vous poseront ensuite leurs questions.
M. Laurent Nunez, ministre de l'intérieur. - Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur d'être auditionné par votre commission pour défendre le projet de budget du ministère de l'intérieur pour 2026. Ce budget doit permettre d'assurer le financement des priorités indispensables pour rendre un service public de meilleure qualité, protéger nos concitoyens et lutter contre toutes les menaces que nous connaissons actuellement, en premier lieu desquelles le narcotrafic et le terrorisme.
Les crédits du ministère de l'intérieur pour 2026 s'établissent à 24,5 milliards d'euros, dont 15,4 milliards au titre de la masse salariale hors pension, et 9 milliards de dépenses de fonctionnement et d'investissement. La masse salariale représente 63 % du budget global du ministère ; elle est en diminution d'un point, puisque, dans le cadre de la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, elle s'établissait à 64,1 %. Cette orientation, conforme à l'ambition initiale de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), correspond à l'objectif de garantir aux agents du ministère d'exercer leurs missions dans de bonnes conditions matérielles, tout en modernisant les modalités de notre action.
Notre budget augmente de 587 millions d'euros, dont 200 millions au titre des dépenses électorales, servant à financer l'organisation des prochaines élections municipales et sénatoriales. Cette augmentation, bien qu'elle ne corresponde pas à l'euro près à la trajectoire initiale prévue par la Lopmi, permet de répondre aux besoins de modernisation du ministère. En effet, l'évolution des crédits de la mission « Sécurités » et du programme « Administration territoriale de l'État » est supérieure à celle qui était initialement prévue dans la loi d'orientation, grâce aux économies réalisées sur le programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». Aussi le ministère de l'intérieur contribue-t-il au redressement des comptes publics, tout en finançant ses priorités en cohérence avec les ambitions de la Lopmi et en réalisant des économies sur ses fonctions support.
Ainsi, le budget pour 2026 permettra la création de 1 600 équivalents temps plein (ETP), indispensable pour assumer des missions dont le nombre augmente fortement. Il est réparti de la façon suivante : la mission « Sécurités » se voit attribuer 17,7 milliards d'euros, soit 72,3 % du budget du ministère de l'intérieur ; cette somme augmente de 371 millions d'euros par rapport à celle qui était prévue par la LFI pour 2025, et est supérieure de 103 millions d'euros à la trajectoire prévue par la Lopmi.
Nous prévoyons 2,2 milliards d'euros pour la mission « Immigration, asile et intégration », soit 8,8 % du budget du ministère, ce qui correspond à une augmentation de 80 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2025.
Quant à la mission « Administration générale et territoriale de l'État », 3,9 milliards d'euros de crédits sont inscrits en excluant le programme « Vie politique » dépendant du calendrier électoral, soit 16,1 % du budget ministériel. Cette somme est en diminution de 72 millions d'euros par rapport à 2025, du fait des économies que j'évoquais à l'instant.
Sur la base de ce cadrage macrobudgétaire, je vous propose de détailler succinctement chacune des missions précitées, ce qui permettra de présenter les principales hypothèses retenues pour la construction du budget qui sera soumis à votre vote.
Au sein de la mission « Sécurités », les crédits du programme « Police nationale » augmentent de 158,7 millions d'euros par rapport à 2025. Nous pouvons ainsi financer les priorités suivantes : la création de 1 000 ETP supplémentaires pour répondre aux enjeux de la filière investigation, mais aussi pour armer les centres de rétention administrative (CRA) livrés l'année prochaine, en particulier à Dunkerque ; le financement du « plan investigation » dans ses autres composantes qu'humaines, en particulier le renforcement de l'équipement numérique des services ; la poursuite de l'effort en matière de transformation numérique, pour améliorer tant les conditions de travail des policiers que leur relation aux usagers - je songe notamment à l'acquisition de drones, à la lutte antidrone ou à la vidéoprotection de la préfecture de police ; la garantie d'un équipement adapté pour assurer la sécurité et l'efficacité des personnels, pour lesquels nous poursuivons évidemment nos efforts en 2026. En outre, le maintien des crédits immobiliers à un niveau élevé - 283 millions d'euros - permet de couvrir les dépenses déjà engagées, notamment les travaux de l'hôtel des polices de Nice, mais aussi d'accompagner les nouveaux programmes immobiliers.
Le budget du programme « Gendarmerie nationale » augmente de 163 millions d'euros. Il servira notamment à financer la création des 400 emplois nécessaires au déploiement des nouvelles brigades souhaitées par le Président de la République - nous prévoyons le déploiement de 58 unités en 2026. Nous poursuivons l'effort en matière immobilière, les crédits dédiés augmentant de 100 millions d'euros par rapport à 2025 pour s'établir à 279 millions d'euros en crédits de paiement. À cela s'ajoute l'autorisation interministérielle de lancer la consultation d'entreprises pour la rénovation du site de Satory, dans le cadre d'un partenariat public-privé. Le renforcement de la présence sur la voie publique est assuré par l'augmentation de 100 millions d'euros des crédits en faveur de la réserve opérationnelle - je détaillerai ce sujet en réponse à vos questions. Nous assurerons également la fourniture de certains équipements prioritaires, tels que les véhicules de maintien de l'ordre.
Les crédits du programme « Sécurité civile » augmentent de 49,8 millions d'euros, ce qui permet de financer la création de 50 emplois nouveaux, nécessaires notamment pour poursuivre la montée en puissance du quatrième régiment de sécurité civile, l'acquisition de deux nouveaux canadairs ou encore le renouvellement de la flotte d'hélicoptères.
Enfin, le budget de l'action « Sécurité et éducation routières » est stable par rapport à 2025. L'objectif prioritaire reste la diminution du délai de passage du permis de conduire. À cet effet, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » porte la création de 10 emplois d'inspecteurs du permis de conduire.
Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent de 80 millions d'euros par rapport à 2025. Cette hausse permettra d'accompagner la mise en oeuvre du pacte européen sur la migration et l'asile, de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, ainsi que la réalisation du plan visant à créer 3 000 places dans les CRA. Nous prévoyons la livraison de deux nouveaux centres en 2026, à Dunkerque et à Bordeaux, ainsi que la création de 52 places dans le CRA de Rennes et celle de 28 places dans celui de Metz. La dernière grande priorité de cette mission est la poursuite du déploiement des grands programmes numériques, en particulier de l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef), qui doit être sécurisé pour faciliter le travail des agents et améliorer l'accueil des usagers.
Enfin, les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » se répartissent de la façon suivante. Le budget du programme « Administration territoriale de l'État » augmente de 64 millions d'euros, ce qui permet de financer la création de 50 ETP supplémentaires et de poursuivre le rattrapage du retard d'investissement dans l'immobilier de l'administration territoriale de l'État, ainsi que la modernisation des infrastructures de services numériques.
Les crédits du programme « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » diminuent quant à eux de 134 millions d'euros, notamment en raison de la révision du calendrier de paiement des grands projets, en particulier celui du site unique de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ou à cause de la prise en compte des taux de couverture en matière de vidéoprotection. Les moyens alloués permettront de poursuivre l'effort en matière numérique dans le contexte du déploiement à venir du réseau Radio du futur, mais aussi de financer la mobilisation de l'intelligence artificielle pour optimiser les processus métiers, le portage des projets du site unique de la DGSI et d'Universeine, où le regroupement de plusieurs administrations centrales permettra de réaliser à terme des économies de 35 millions d'euros par an. Enfin, nous poursuivons l'effort en matière d'action sociale, avec une hausse de plus de 10 millions d'euros, et nous créons 50 emplois visant à assurer la réinternalisation des compétences, notamment en matière numérique, qui permettront de futures économies.
Ainsi que je l'indiquais, les crédits du programme « Vie politique » augmentent de 200 millions d'euros pour financer l'organisation des élections municipales et sénatoriales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le constatez, le budget du ministère de l'intérieur pour 2026 permet de poursuivre la modernisation et la dynamisation des services dans le souci de rendre le meilleur service au public, tout en garantissant de bonnes conditions de travail aux personnels présents sur l'ensemble du territoire national. Je le souligne, le ministère parvient à trouver un équilibre entre sa contribution au redressement des comptes publics - j'ai souligné les efforts importants en la matière - et le maintien du financement de ses priorités.
Enfin, j'appelle votre attention sur les mesures de la première partie du projet de loi de finances qui concernent le ministère de l'intérieur. Elles visent notamment à augmenter les frais administratifs payés par les étrangers, afin que le coût d'obtention d'un titre - qu'il s'agisse du timbre fiscal pour la demande d'une carte de séjour, des frais appliqués pour l'échange de permis de conduire étrangers ou des demandes de naturalisation, etc. - s'inscrive dans la moyenne européenne et soit supérieur aux coûts des titres nationaux actuellement pratiqués, pour tenir compte de l'augmentation des frais de gestion. Ces recettes supplémentaires soumises à votre vote bénéficieraient au budget du ministère de l'intérieur et serviraient à renforcer la politique d'intégration, en permettant notamment aux préfets d'accompagner la mise en oeuvre de la circulaire du 26 juin 2025 sur l'insertion professionnelle des étrangers en situation régulière, qui, ainsi que je l'affirmais à l'instant lors de la séance de questions au Gouvernement, n'est évidemment pas remise en cause.
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la mission « Sécurités ». - Monsieur le ministre, afin que nous comprenions mieux la répartition des crédits entre les programmes 152 « Gendarmerie nationale » et 176 « Police nationale », j'aurai quatre questions à vous poser.
Premièrement, je constate avec satisfaction que le budget proposé pour 2026 respecte les ciblées fixées par la Lopmi, voire les dépasse dans certains cas. Pour autant, la Lopmi avait également pour objectif de rééquilibrer les dépenses au profit du fonctionnement et de l'investissement. Or le déséquilibre entre ces dernières et la courbe ascendante des dépenses de personnel ne semble pas se résorber, faisant courir à long terme un risque sur le maintien des capacités opérationnelles. Quelles actions comptez-vous engager pour rééquilibrer la répartition des dépenses, comme le préconisait la Lopmi ?
Deuxièmement, les cibles de recrutement fixées par la Lopmi pour l'année 2025 n'ont pas été respectées : les schémas d'emplois des programmes 152 et 176 étaient neutres. Si la création de 1 000 ETP pour la police nationale permet un rattrapage partiel en 2026 de cette année blanche, il n'en va pas de même pour la gendarmerie qui, avec seulement 400 postes créés, voit cette année blanche « confirmée ». Quelles raisons ont présidé à cet arbitrage, qui revient de facto à privilégier la sauvegarde de la trajectoire du programme 176 sur celle du programme 152 ? Un rattrapage est-il prévu en 2027 ? Quel sera l'impact de cette décision sur le respect du plan de création de 239 brigades de gendarmerie, dont près de la moitié, à savoir 101, devront être financées durant la dernière année de programmation ?
Troisièmement, le renouvellement du parc automobile accumule les retards. Si les crédits ouverts pour la police nationale sont pour la première fois en trois ans supérieurs au seuil de renouvellement - 2 900 acquisitions de véhicules sont programmées, pour un seuil fixé à 2 500 -, ils ne combleront que partiellement les manques de 2024 et de 2025. Les chiffres sont encore plus dégradés pour la gendarmerie, pour laquelle entre 600 et 700 acquisitions de véhicules sont programmées en 2026, quand le seuil de renouvellement du parc est fixé à 3 750 véhicules. Monsieur le ministre, vous le savez très bien pour être un ancien de la maison, le vieillissement accéléré du parc a déjà des conséquences opérationnelles. Quels leviers d'action comptez-vous employer pour inverser cette tendance ?
Enfin, quatrièmement, le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale, les fameux AS350 Écureuils, est pressant : les 26 aéronefs, dont la moyenne d'âge approche les 40 ans, sont soit déjà hors service soit en passe d'être retirés du service. Faute de moyens suffisants, la gendarmerie pourrait rapidement subir une rupture capacitaire majeure dans les airs. Ma question est donc simple : les financements vont-ils être mis sur la table, et quand ? Il y a désormais urgence ; je le rappelle, il manque encore 355 millions d'euros pour financer ce renouvellement.
M. Bruno Belin, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Sécurités ». - Lors de la présentation des crédits de cette mission, la commission des finances a soulevé les mêmes points qu'Henri Leroy vient de mentionner. Un effort soutenu est réalisé pour la police nationale : dont acte. En ce qui concerne la sécurité routière, le montant prévu de 10 ETP supplémentaires semble très faible devant les difficultés pour faire passer les examens du permis de conduire.
Effectivement, les crédits affectés à la gendarmerie nationale posent d'importants problèmes. Bien sûr, un effort particulier a été fait sur l'immobilier, grâce notamment à un rapport sénatorial - veuillez excuser ce manque d'humilité, mais si les travaux commencent enfin à Dijon ou à Satory, c'est bien parce que le sujet de l'immobilier a été soulevé par le Sénat.
Ainsi qu'Henri Leroy l'a indiqué, en ce qui concerne les moyens humains, les postes dont la création est prévue par le PLF 2026 sont en réalité ceux qui étaient prévus dans le budget de l'année passée. Il y a un décalage, et la différence est donc nulle : il n'y a pas de création de postes.
En outre, de grosses difficultés concernent les matériels : rien n'est prévu pour le remplacement des Famas, les fusils d'assaut de la manufacture d'armes de Saint-Étienne ; or je ne vois pas comment des militaires sont utiles s'ils n'ont pas d'armes. Par ailleurs, les arbitrages ont fait que, sur les 26 nouveaux hélicoptères prévus par le budget de l'an passé, 24 ont été attribués à la sécurité civile. Même si ce choix était sans doute justifié, nous nous accordons tous pour dire que ces hélicoptères sont indispensables pour la surveillance du territoire. Il y a là un vrai point d'alerte.
Enfin, nous lançons une autre alerte au sujet de la réserve opérationnelle, tant de la police nationale que de la gendarmerie nationale. Nous trouvons les moyens humains, mais il faut aussi équiper les 40 000 à 50 000 volontaires qui souhaitent y entrer. Nous insistons en particulier sur les véhicules : il faudrait 3 000 véhicules supplémentaires pour assurer le renouvellement de la flotte, mais seulement 600 nouveaux véhicules sont prévus, soit 6 par département...
M. David Margueritte, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Monsieur le ministre, mon collègue Olivier Bitz et moi-même avons cinq questions à vous poser.
Premièrement, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent de manière significative, notamment pour accroître les capacités de rétention et le nombre de zones d'attente. Nous nous en réjouissons, car il s'agit en effet d'une priorité. Néanmoins, cette augmentation doit être mise en regard de la sous-consommation chronique des crédits liés à l'investissement dans ces programmes immobiliers, qui semble, d'après les premiers éléments dont nous disposons, se poursuivre en 2025. L'atteinte de l'objectif de 3 000 places en CRA en métropole a été décalée de deux ans -de 2027 à 2029 - par rapport au calendrier fixé par la Lopmi, en raison notamment des difficultés rencontrées dans certains territoires, qu'il s'agisse de problèmes fonciers ou d'acceptabilité des projets. Monsieur le ministre, pouvez-vous garantir que ces 3 000 places pourront bien voir le jour d'ici à 2029 ?
Deuxièmement, malgré l'amélioration qui se dessine en 2025 en matière d'exécution des mesures d'éloignement, le compte n'y est pas encore, au moins pour deux raisons. D'une part, il faut tenir compte de l'insuffisante capacité de rétention dans les centres. Durant la séance de questions au Gouvernement, nous avons d'ailleurs entendu Marie-Carole Ciuntu s'interroger sur le rôle des associations et rappeler que sa proposition de loi relative à l'information et l'assistance juridiques en rétention administrative et en zone d'attente, adoptée par le Sénat, a été transmise à l'Assemblée nationale. D'autre part, plus essentiellement, le compte n'y est pas en raison de l'absence de coopération des États tiers, notamment de l'Algérie, d'où 40 % de la population des CRA est originaire. Le refus d'appliquer le protocole d'accord sur les réadmissions de 1994 et l'arrêt de la coopération consulaire posent de vraies difficultés. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour restaurer le rapport de force avec les autorités algériennes ?
Ma troisième question concerne le pacte européen sur la migration et l'asile, qui entrera en application le 12 juin prochain. 85 millions d'euros sont inscrits au PLF 2026 pour l'application de ce pacte, mais en décembre dernier il était plutôt question de 150 millions d'euros. Comment expliquez-vous cet écart ? En outre, tous les acteurs que nous avons reçus nous ont fait part de leurs incertitudes quant à l'application de cette nouvelle réglementation : quand sera déposé un projet de loi visant à préciser ses conditions d'application ?
Quatrièmement, le PLF 2026 prévoit un budget constant en ce qui concerne la formation linguistique et civique, dans un contexte d'augmentation des exigences prévue par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Il semblerait que l'on constate une dégradation de la qualité des formations, liée à leur passage intégral dans un format distanciel - à l'exception de celles destinées aux non-lecteurs et non-scripteurs. Pourriez-vous nous rassurer quant aux conséquences de la transition vers des formations entièrement en distanciel ?
Enfin, avec ma dernière question, je me fais le relais des élus du littoral de la Manche et de la mer du Nord. Les difficultés s'accroissent en raison de l'augmentation manifeste du nombre de migrants qui cherchent à joindre illégalement le Royaume-Uni. Quelles actions pouvez-vous mettre en place d'urgence, et quel premier bilan tirez-vous de l'accord franco-britannique signé l'été dernier ?
Mme Muriel Jourda, présidente. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets de me substituer à nos rapporteurs pour avis qui n'ont pas pu assister à notre réunion.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis de notre commission sur le programme « Sécurité civile », souligne que l'acquisition d'avions bombardiers d'eau au niveau européen dépend actuellement d'un acteur canadien, en l'absence d'une production industrielle sur le territoire de l'Union européenne. Le ministère de l'intérieur a signé des lettres d'intention à destination de certains porteurs de projets européens. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer plus précisément quelles suites pourraient être apportées à cette démarche et s'il sera possible, à plus ou moins court terme, de passer commande auprès de ces porteurs de projets européens ?
Monsieur le ministre, Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE), souhaite vous interroger sur le rôle du préfet, renforcé par des mesures réglementaires publiées durant l'été 2025. Devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, vous aviez indiqué vouloir faire vivre cette politique à travers le prochain acte de décentralisation, ce qui nous convient. Toutefois, aucun moyen budgétaire spécifique n'est prévu pour accompagner cette ambition. Comment le préfet peut-il devenir le patron des services de l'État sans les moyens budgétaires associés ?
Par ailleurs, nous achevons le cycle 2022-2025 des missions prioritaires des préfectures. À moins que ces missions ne disparaissent, ce dont je doute, quel cap entendez-vous désormais donner aux agents de l'administration déconcentrée ?
Concernant les effectifs de l'administration territoriale de l'État, les schémas d'emplois déjà réalisés, conjugués aux redéploiements réalisés en 2024 et à l'annonce de la création de 50 ETP en 2026, ont permis de déployer 365 postes supplémentaires depuis 2023. Cette administration, qui compte près de 30 000 ETP, a perdu 4 700 ETP entre 2010 et 2020 alors que sa charge d'activité ne cesse de croître. En dix ans, le nombre de titres de séjour délivrés a augmenté de 56 %, tandis que les effectifs des services ont progressé de 30 %. On peut certes avancer qu'il faut tenir compte d'une amélioration de la productivité, mais cela provoque en réalité un allongement des délais et une détérioration du service. Un quart des sous-préfectures ne sont plus en mesure d'accueillir du public, alors que la proximité constitue le fondement de l'État territorial - je sais que vous partagez cette opinion, monsieur le ministre. Dès lors, comment enrayer la dégradation des services, qui pèse à la fois sur les usagers et sur les agents ?
M. Laurent Nunez, ministre. - Messieurs les sénateurs Leroy et Belin, vous avez raison : même si un certain nombre d'hélicoptères de la sécurité civile ont été renouvelés, le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale est un enjeu opérationnel pour le ministère. Ainsi que je l'ai annoncé au directeur général de la gendarmerie nationale et aux représentants de la gendarmerie nationale, des travaux sont en cours pour déterminer le volume d'hélicoptères, notamment les H145, qu'il est nécessaire de commander. Nous allons lancer des travaux supplémentaires afin d'ouvrir la discussion avec le ministère des comptes publics dans la perspective du projet de loi de finances pour 2027. Pour autant, nous avons débuté le renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la gendarmerie nationale. Dans le cadre du plan de relance, nous avons commandé dix H160 et six H145 en 2024 pour débuter le remplacement de la flotte d'Écureuils, deux d'entre eux ayant d'ailleurs été financés dans le cadre des accords de Sandhurst.
Le renouvellement du parc automobile est effectivement une question extrêmement sensible, d'autant plus que ces équipements structurants n'ont pas été renouvelés de manière linéaire ces dernières années. Des efforts très importants ont été faits dans le cadre du plan de relance en 2021-2022, permettant l'acquisition de 12 000 véhicules. Aujourd'hui, dans le contexte financier contraint actuel, la programmation des moyens mobiles s'organise en deux temps. Comme vous l'avez rappelé, dans un premier temps, le PLF pour 2026 prévoit le renouvellement de 2 900 véhicules pour la police nationale et de 600 véhicules pour la gendarmerie. En accord avec le ministre Bruno Retailleau, dont je prolonge l'action, la gendarmerie a privilégié la poursuite du renforcement des moyens financiers alloués à l'immobilier, lesquels augmentent de 100 millions d'euros. Une seconde étape est évidemment prévue. Je ne peux pas m'engager sur des chiffres, mais, ainsi que nous l'avons indiqué aux représentants de la gendarmerie, des commandes complémentaires seront passées dans le cadre du projet de loi de fin de gestion, en fonction des moyens financiers qu'il sera possible de dégager. Nous donnerons alors clairement la priorité aux moyens mobiles. Les travaux sont en cours et, dans ce cadre, il sera possible de procéder à des acquisitions supplémentaires.
Pour ce qui concerne l'évolution du schéma d'emplois, le ministère de l'intérieur a bénéficié d'un arbitrage favorable dans le PLF 2026. Je le répète, même si nous ne respectons pas forcément les trajectoires prévues par la Lopmi, ces arbitrages nous permettent de créer 1 600 ETP, dont 1 450 seront affectés au bénéfice des missions de sécurité - 1 000 pour la police nationale, 400 pour la gendarmerie nationale et 50 pour la sécurité civile. En outre, même si ces emplois ne sont pas portés par la mission « Sécurités » et bien que le chiffre paraisse insatisfaisant, nous avons tout de même prévu la création de 10 emplois d'inspecteurs du permis de conduire.
La répartition de ces créations d'emplois repose sur une démarche pragmatique. Nous avons voulu nous concentrer sur nos priorités. Pour la gendarmerie, 400 emplois sont créés au bénéfice des nouvelles brigades, dont nous poursuivons la création. Une centaine d'entre elles ont déjà été créées, et nous prévoyons d'en créer 58 autres en 2026. Il y aura évidemment une troisième année et un troisième cycle de création. Nous avons fléché ces crédits sur les brigades territoriales, qu'elles soient fixes ou mobiles.
Au sujet des moyens de la police aux frontières, nous avons également prévu la création d'effectifs pour armer les CRA. Deux CRA seront créés, et deux autres seront étendus. Il s'agit également d'armer les équipes pour assurer le déploiement du système européen d'entrée et de sortie (EES).
Nous prévoyons ensuite le renforcement de la filière investigation en matière de police. Je présenterai prochainement le « plan investigation » préparé par mon prédécesseur aux organisations syndicales. Ce plan me convient ; évidemment, je devrai également en discuter avec le garde des sceaux, lui aussi concerné. L'affectation de nos ETP correspond donc à la volonté de répondre à nos priorités. Nous avons d'ailleurs attribué une trentaine d'ETP pour assurer la montée en puissance du quatrième régiment de sécurité civile.
Monsieur le sénateur Leroy, vous avez raison de souligner l'éviction des dépenses salariales sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement. Nous avons subi les effets de certaines mesures salariales générales, notamment les mesures dites Guerini, c'est-à-dire la revalorisation du point d'indice et l'ajout de cinq points d'indice majorés pour chaque fonctionnaire à compter du 1er janvier 2024. Ainsi, la masse salariale a augmenté : elle représentait 75,6 % des crédits de la mission « Sécurités » en LFI 2023, et s'est établie à 76,1 % dans la LFI 2024. Depuis 2025, nous avons réalisé un effort pour la maîtriser : dans le cadre du PLF 2026, elle représente 74,8 % des crédits de la mission « Sécurités ».
Cet effort en matière de crédits de fonctionnement et d'investissement permet tout de même de répondre aux ambitions de la Lopmi et de respecter les engagements pris. L'effort immobilier est notamment maintenu à un niveau assez haut, ce qui permet de porter des projets immobiliers majeurs pour la police nationale, notamment l'ouverture de l'hôtel des polices de Nice. Il permet également de remettre à niveau l'immobilier de la gendarmerie nationale : 279 millions d'euros de crédits de paiement sont prévus dans le PLF 2026, contre 176 millions dans la LFI 2025. Nous poursuivons évidemment les efforts en matière de modernisation des équipements numériques et de développement des systèmes d'information, dont le réseau « Radio du futur » et d'autres solutions d'intelligence artificielle. Par exemple, nous fondons beaucoup d'espoir sur le logiciel Parole, qui permet de retranscrire les procès-verbaux d'audition.
Monsieur le sénateur Belin, je prends note de votre remarque sur le besoin de créer des postes d'inspecteurs du permis de conduire. Dans le contexte budgétaire contraint, nous faisons tout de même un effort avec la création de 10 ETP. En ce qui concerne le remplacement des Famas, mes services réuniront davantage d'éléments.
Quant aux réserves opérationnelles, elles restent effectivement une de nos priorités. Les crédits augmentent de 25 millions d'euros pour la gendarmerie, pour atteindre 100 millions d'euros ; pour la police, ils passent de 39 à 46 millions d'euros. Nous comptons déjà 40 000 réservistes dans la gendarmerie et 10 000 dans la police, et nous avons pour objectif d'atteindre le plus vite possible 30 000 réservistes dans la police et 50 000 dans la gendarmerie. À mes yeux, cela reste une priorité, car les réserves ont maintenant un rôle opérationnel majeur.
J'en viens aux questions de M. le sénateur David Margueritte sur l'immigration. Nous avons bon espoir - en tout cas, j'y veillerai - de voir le plan de création de 3 000 places en CRA aboutir en 2029. Notre programme me semble réaliste au regard des prévisions. Ainsi que je l'indiquais, nous créerons en 2026 les CRA de Bordeaux et de Dunkerque, et nous étendrons ceux de Rennes et de Metz pour atteindre 2 299 places en 2026. En 2027, nous créerons le CRA de Dijon, qui comptera 140 places et nous permettra d'atteindre 2 439 places. En 2028, les CRA de Nantes, de Béziers, d'Oissel et du Mesnil-Amelot permettront d'atteindre 2 923 places. L'ouverture du CRA d'Aix-Luynes, avec ses 140 places, nous permettra d'atteindre 3 063 places en 2029. Effectivement - je reprends mon ancienne casquette de préfet de police, chargé de certains de ces projets pour la région d'Île-de-France -, les aléas immobiliers, des questions d'urbanisme, des autorisations diverses et variées et des procédures environnementales peuvent évidemment provoquer un certain nombre de retards, lesquels ont entraîné une sous-consommation de crédits, ce qui a conduit à rééchelonner le déploiement des projets sans aller toutefois au-delà de l'échéance fixée à 2029. Nous veillerons donc à atteindre l'objectif ambitieux que s'était fixé le Gouvernement.
En ce qui concerne la lutte contre l'immigration clandestine (LIC), 70 272 personnes ont été impliquées en 2024 dans des tentatives de traversée de la Manche à destination du Royaume-Uni, dont 5 156 via le seul vecteur routier, par l'intermédiaire des ferries ou du tunnel sous la Manche, et 65 116 à bord d'embarcations. La majorité des passages - 93 % des tentatives - se fait donc à bord d'embarcations de fortune, appelées small boats. Au total, 36 759 personnes ont réussi la traversée et sont parvenues au Royaume-Uni, tandis que 28 357 personnes en ont été empêchées par les forces de sécurité intérieure. Je le rappelle, le dispositif concerne 1 200 effectifs, policiers et gendarmes, présents en permanence. L'action de ces forces a permis d'intercepter 68 % des tentatives de départ d'embarcation. En 2024, nous déplorons 89 décès, 78 étant intervenus sur le seul vecteur maritime.
En 2025, l'activité migratoire sur la Manche a connu une augmentation soutenue. Le 31 octobre dernier, 36 949 personnes étaient arrivées au Royaume-Uni, soit une augmentation de 19 %. Cette hausse est due moins à celle du nombre des traversées qu'à celle de la capacité des navires, qui met en péril la sécurité de ceux qui se risquent sur la Manche : en 2024, les embarcations transportaient en moyenne 53 personnes, contre 61 personnes au cours du premier semestre 2025. Voilà pour le constat.
Dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine en mer du Nord et sur la Manche, nous déployons d'importants moyens humains et matériels, dont une part importante est financée par les Britanniques au titre de l'accord de Sandhurst, en cours de renégociation. C'est dans ce sens que Bruno Retailleau avait relancé les discussions ; j'espère poursuivre dans cette voie et parvenir à une hausse des crédits britanniques.
Parmi les 1 200 effectifs de police et de gendarmerie, 850 postes sont financés par les Britanniques. Ils sont déployés quotidiennement sur le littoral afin d'empêcher les traversées irrégulières. Nous avons également développé des moyens de surveillance aérienne - drones, hélicoptères, avions -, en grande partie financés par le Royaume-Uni, qui permettent d'optimiser l'intervention au sol de nos forces de sécurité intérieure. Celles-ci sont ainsi guidées par les moyens aériens, avec des images transmises directement au centre de coordination zonal basé à Lille.
Les accords de Sandhurst prévoient également le financement d'un certain nombre d'équipements pour nos forces au sol. Ces crédits financent aussi la construction de projets immobiliers, notamment celle du CRA de Dunkerque, ainsi que celle de certains centres de formation de réservistes et une brigade de gendarmerie.
Nous devons faire évoluer notre doctrine d'intervention en mer - particulièrement attendue par la partie britannique -, afin de sécuriser et d'augmenter l'efficacité de l'intervention de nos forces de sécurité intérieure, puisque nous assistons de plus en plus à des départs qui s'effectuent en mer, avec des navires qui viennent récupérer les migrants déjà à l'eau. J'y travaille ardemment avec le secrétariat général de la mer (SGMer) et nous espérons aboutir rapidement.
L'accord conclu par mon prédécesseur et signé à la fin du mois de juillet dernier prévoit la réadmission légale sur le territoire national de personnes arrivées au Royaume-Uni en small boat et dont la demande d'asile sur ce territoire a été rejetée, en contrepartie de l'acceptation, par ce même État, dans le cadre d'une immigration légale, d'un certain nombre de ressortissants de pays tiers présents en France et souhaitant le rejoindre.
Depuis l'entrée en vigueur de l'accord, nous avons reçu de la part des autorités britanniques 304 demandes de réadmission sur notre territoire. Nous relevons que les nationalités afghane, érythréenne, iranienne et soudanaise sont les plus représentées. Dans le même temps, nous avons enregistré 1 455 demandes d'admission sur le territoire britannique. Au total, ce sont 94 individus qui ont été réadmis en France et 60 autres qui ont été admis légalement au Royaume-Uni.
Je resterai prudent, car l'accord est expérimental, son application ne fait que commencer et nous devons encore en évaluer les effets. Je dois en discuter avec mon homologue britannique dans les jours qui viennent et ma position n'est pas encore tranchée.
Comme mes prédécesseurs, mon souhait est aussi d'obtenir l'implication de l'Union européenne dans ce dossier. Nous gérons en effet, avec les Britanniques, dans le cadre d'un accord bilatéral, une frontière extérieure de l'Union - ce qui peut légitimement surprendre nos concitoyens et, a fortiori, la représentation nationale.
Toujours est-il que cet accord sera au programme des discussions relatives au renouvellement, pour la période 2026-2029, des accords de Sandhurst.
En ce qui concerne les mesures d'éloignement du territoire national, leur nombre augmente année après année, cette progression atteignant 24 % en 2025. Vous avez signalé les difficultés que nous rencontrons, au premier rang desquelles l'insuffisance des places en CRA. Soulignons aussi l'embolie dans ces mêmes centres, des personnes y restant toujours plus longtemps pour des raisons procédurales ou parce que les États ne délivrent pas les laissez-passer consulaires et n'admettent pas leurs ressortissants. Le constat n'est pas propre à nos seules relations avec l'Algérie et les préfets se mobilisent partout sur le territoire national auprès des différents consulats, afin d'obtenir ces laissez-passer. Nos concitoyens doivent comprendre la difficulté de les obtenir.
Certes, l'Algérie est impliquée dans 40 % - nous avons même atteint la proportion de 42 % - des cas d'étrangers en situation irrégulière dans les CRA. Nous espérons évidemment un déblocage de la situation. Il passera sans doute par la rediscussion avec nos partenaires algériens de l'accord de 1968 et de son avenant de 1994. Le Premier ministre l'a d'ailleurs annoncée. J'y participerai pour ma part, sans a priori, pour les sujets ayant trait à la sécurité. Nous serons jugés au résultat.
Le pacte européen sur la migration et l'asile entrera en vigueur en juin prochain et des crédits sont donc prévus pour 2026, afin de couvrir des dépenses d'investissement supplémentaires. Celles-ci seront notamment liées à l'adaptation des systèmes d'information, à l'acquisition de nouveaux équipements, à la formation des agents concernés par les nouvelles procédures ainsi qu'à l'harmonisation des garanties procédurales entre les États.
La discussion se poursuit, tant sur le mécanisme de solidarité que sur le futur règlement sur les retours. La France souhaite encore obtenir un certain nombre de « bougés », notamment, en matière de retours, l'inversion du principe actuellement appliqué du départ volontaire. Les échanges portent également sur l'acceptation sur notre territoire des décisions de reconduite prises par d'autres États.
L'application du pacte suppose des adaptations du système juridique français. À ce titre, la direction générale des étrangers en France (DGEF) élabore un projet de loi regroupant les différents règlements - procédure d'asile, conditions d'éligibilité à la protection internationale, contenu du statut de protection, filtrage et asile aux frontières, Eurodac, Dublin - ainsi que la directive Accueil. L'idée est de le déposer au début de l'année 2026, mais, compte tenu des points qui restent en discussion, le calendrier n'est à ce stade pas plus précisément défini. Une circulaire d'application globale accompagnera le dispositif.
Dans le domaine des formations linguistiques, rappelons que la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration avait prévu, à la charge des étrangers non européens primo-arrivants, une obligation de moyens, celle de se former, ainsi qu'une obligation de résultat, celle d'acquérir une maîtrise de la langue. L'offre de formation linguistique proposée aux signataires du contrat d'intégration républicaine (CIR) a été adaptée depuis le 1er juillet dernier pour répondre à ces nouvelles exigences ; elle n'est désormais plus obligatoire, mais est proposée à tous les signataires n'ayant pas le niveau A2, soit plus de 63 % d'entre eux, contre 45 % précédemment.
Votre question porte plus précisément sur les formations en distanciel. Une partie des publics est orientée vers ce type de formations et les publics les plus fragiles font l'objet d'une attention particulière. Le programme de 600 heures de formation, qui ne bénéficiait auparavant qu'à un faible nombre de signataires - ils étaient 9 000 en 2024, soit 8 % du total des signataires -, concerne désormais 35 % de ces signataires. Par ailleurs, l'atteinte du niveau requis s'inscrit dans une temporalité plus longue que celle du CIR, les étrangers pouvant renouveler leur titre temporaire jusqu'à trois fois pour le même motif.
Le PLF 2026 vise à renforcer la maîtrise de la langue française par les étrangers présents sur notre sol et à accélérer l'accès à l'emploi de ceux qui sont en droit de travailler, afin de favoriser leur autonomie, dans la continuité de la circulaire du 26 juin 2025 que j'évoquais tant dans mon propos introductif que, plus tôt dans la journée, à l'occasion des questions d'actualité au Gouvernement.
La flotte d'aéronefs de la sécurité civile comprend douze avions Canadair CL415, huit avions Dash, trois avions Beechcraft King 200 et trente-six hélicoptères bombardiers d'eau, dont treize H145-D3. Grâce au travail de fond mené par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) avec le prestataire chargé de leur entretien, le taux de disponibilité de ces équipements atteint aujourd'hui 80 %. Depuis 2023, s'ajoutent en location durant la saison de lutte contre les feux de forêt six avions et jusqu'à dix hélicoptères bombardiers d'eau supplémentaires.
Le PLF 2026 intègre l'acquisition sur fonds propres de deux nouveaux canadairs, après une précédente acquisition de deux appareils, réalisée avec le financement de l'Union européenne. En 2032, la flotte sera ainsi composée d'un total de seize canadairs, dont quatre aéronefs neufs, en propriété de l'État.
La réflexion stratégique se poursuit sur l'évolution de cette flotte, afin de l'adapter aux principaux risques à l'horizon 2035 et 2050. Elle intègre les principaux projets innovants qui sont ceux d'Hynaero, de Kepplair Évolution et de Positive Aviation, et qui nous permettront de disposer à l'avenir, dans le respect du code de la commande publique, d'une plus grande diversité de matériel.
Sur le rôle et les moyens des préfets, je confirme ma volonté forte de faire vivre et aboutir la réforme engagée par Bruno Retailleau durant l'été 2025, soutenue par le Président de la République et traduite par trois décrets du 5 septembre dernier, tendant à ériger ces préfets en pivot de la coordination interministérielle à l'échelon départemental. Je précise qu'elle mériterait d'être complétée par certaines dispositions législatives, la loi seule pouvant par exemple conférer aux préfets la responsabilité des opérateurs locaux.
Il y a parfois - je ne vous l'apprends pas - un écart entre les textes et la réalité du terrain. Je veillerai aux deux.
Quant aux moyens, nous estimons que le renforcement du rôle et des pouvoirs du préfet n'appelle pas nécessairement de crédits complémentaires. Nous ne saurions cependant dire que nous ne leur conférons aucun moyen nouveau : le programme « Administration territoriale de l'État » (ATE) comprendra en effet 50 agents supplémentaires et les crédits augmentent de 3,6 %.
Les missions prioritaires des préfectures sont réunies dans un référentiel qui a été distribué aux préfets pour la période 2022-2025, en vue d'appuyer leur travail de répartition des différents services préfectoraux. Dans ce travail, les préfets conservent évidemment une marge d'appréciation. Le cap que je fixe désormais aux agents consiste à poursuivre la trajectoire engagée au service des missions prioritaires qui ont été précédemment définies.
Sur le plan des moyens humains, l'ATE avait connu une perte d'effectifs de l'ordre de 15 % en dix ans. Cette évolution s'est arrêtée à partir de 2021 avec la stabilisation des effectifs ; depuis 2023, nous recréons des emplois. Ces créations représentent un total de 360 ETP, en incluant les 50 nouveaux ETP prévus pour 2026. C'est une première réponse et je serai attentif aux besoins humains de l'ATE.
Nous approfondirons l'étude d'autres moyens susceptibles d'améliorer son potentiel. De nombreuses expérimentations sont ainsi en cours en matière d'intelligence artificielle au sein du ministère de l'intérieur et dans les préfectures. Récemment, plusieurs de ces projets m'ont été présentés à la préfecture du Nord, à Lille. Ils représentent un gain dans l'action des services, au bénéfice à la fois des usagers et de nos agents.
M. Alain Marc. - Je m'interroge sur la distorsion qui existe entre, d'une part, l'augmentation annoncée des crédits du budget à venir et celle du nombre de policiers au niveau national, et, d'autre part, la réalité que nous observons dans nos départements.
Le maire de Rodez m'a alerté sur la situation qui le concerne : sa ville, de 23 000 habitants pour une circonscription de police d'environ 55 000 habitants, comptait en 2004 quatre unités de police - une brigade cynophile, deux brigades anticriminalité (BAC) et une police secours ; ne subsistent plus qu'une unique BAC, qui ne fonctionne plus après 1 heure du matin, ainsi qu'une police secours. Il y est parfois difficile d'obtenir un équipage entier. L'effectif a été réduit de trente agents entre 2004 et 2025.
La politique nationale que nous évoquons aujourd'hui se répercutera-t-elle véritablement jusque dans les préfectures ? En l'état actuel, les maires, tel celui de Rodez, sont contraints, pour suppléer aux carences de l'État, de recruter des policiers municipaux - ce que l'on ne manque ensuite pas de leur reprocher sous l'angle de la dépense publique.
Dans le cas précis que j'évoque, je souhaiterais que vous preniez attache avec le maire de Rodez pour lui expliquer votre démarche .
Les augmentations d'effectif dont vous faites état incluent les policiers adjoints, de même que les agents en arrêt de longue maladie. La réalité du terrain est bien celle que je décris.
Par ailleurs, la qualité du renseignement dans la gendarmerie me semble s'étioler par rapport à ce qu'elle était quelques années en arrière. Nos gendarmes, accaparés par des questions de procédure extrêmement chronophages, n'ont plus le temps d'entretenir des relations de proximité avec la population, qui, pourtant, leur permettent de savoir ce qui se passe exactement sur le terrain - notamment dans le domaine des violences intrafamiliales.
Peut-être faudrait-il que nous nous efforcions de convaincre les nouvelles générations de gendarmes de travailler autrement, en allant au contact direct des populations. Cela permettrait de relever significativement la qualité du renseignement, tout en étant peu onéreux.
Mme Isabelle Florennes. - Lors de notre récente audition du directeur général de la gendarmerie nationale, celui-ci a attiré notre attention sur le manque de crédits et ses conséquences sur la réserve opérationnelle. Depuis le début de ce mois de novembre, la gendarmerie ne peut apparemment plus payer ses réservistes opérationnels, ce qui est en contradiction avec le déploiement de cette même réserve, qui compte actuellement près de 39 000 personnes pour l'ensemble du territoire national, avec un recrutement performant et alors que l'on connaît le fort engouement dont jouissent auprès des jeunes les préparations militaires gendarmerie.
Comment comptez-vous concilier les crédits prévus pour 2026 avec la poursuite du recrutement de réservistes opérationnels, dont le nombre total devrait atteindre 50 000 en 2027 ? Des perspectives d'augmentation de ces crédits se dessinent-elles ? Le directeur général de la gendarmerie nationale nous a fait part de besoins qui seraient de l'ordre de 220 millions à 300 millions d'euros pour employer à un bon niveau la réserve opérationnelle dans l'ensemble du territoire.
En outre, à la suite d'Alain Marc, je dois signaler que les remontées du terrain nous indiquent que les collectivités territoriales compensent d'implacables problèmes de matériel, notamment au sein de la police nationale. Sous pression à l'approche des prochaines élections municipales, tout spécialement sur les questions de sécurité qui sont au premier rang des préoccupations de leurs administrés, les maires doivent consentir à de forts investissements. Je vous alerte à mon tour à ce sujet.
Mme Olivia Richard. - Je souhaite vous interroger sur le soutien budgétaire à trois organismes qui me semblent particulièrement importants : la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), l'office mineurs (Ofmin) et l'office central pour la répression de la traite des êtres humains (Ocrteh). Le premier a reçu 111 000 signalements en un an, alors qu'il ne compte que 49 agents ; le deuxième est destinataire de 900 signalements par jour, pour un effectif d'à peine 35 agents quand il en souhaiterait le double ; au sujet du troisième, nous savons que la France devra l'année prochaine transposer une directive européenne relative à la lutte contre la traite des êtres humains et que des associations s'alarment de l'existence de peut-être 20 000 mineurs qui, dans notre pays, seraient victimes du système prostitutionnel. Nous serons tous d'accord pour dire qu'il faut engager des moyens dans cette lutte.
Mme Patricia Schillinger. - Vous parlez de moderniser, d'innover, d'être efficace et d'investir : il faut donc des budgets.
J'évoquerai spécifiquement les moyens consacrés aux gens du voyage. Il nous faut plus d'effectifs. Dans le département frontalier du Haut-Rhin, ce sont plus de 300 caravanes, dont certaines sont immatriculées en Suisse, qui bloquent communes et entreprises. Les moyens de police et de gendarmerie s'avèrent insuffisants, la situation accapare le sous-préfet de Mulhouse et, à l'approche des élections municipales, devient particulièrement préoccupante. Prévoyez-vous une enveloppe qui permette une meilleure gestion de cette problématique ? Car si se tiendra demain une réunion avec 150 chefs d'entreprise, les maires de l'agglomération, les élus et le sous-préfet, nous ne pourrons rien faire sans les moyens adéquats.
Mme Audrey Linkenheld. - Je partage assez largement le constat de nos collègues sur l'état du budget, sur la nécessité d'une hausse des effectifs, sur la trajectoire actuelle en regard de la Lopmi, sur le contraste qui prévaut entre la réalité du terrain et les budgets de la police nationale et de la gendarmerie nationale, ainsi que les remarques relatives aux dépenses de fonctionnement par rapport aux dépenses d'investissement.
J'insisterai sur trois points.
D'une part, vous avez déclaré le 13 octobre dernier que vous reteniez deux priorités particulières. La première concerne la lutte contre le narcotrafic, dont une partie des moyens relèvent de la mission « Justice » : jugez-vous suffisants ces moyens ? La seconde a trait à la sécurité du quotidien. À ce sujet, je perçois une contradiction avec les emplois prévus au budget de la police et de la gendarmerie : les emplois de la sécurité publique sont ainsi en baisse de 23 ETP dans le PLF pour 2026. Comment, dans ces conditions, comptez-vous répondre aux différentes demandes qui vous sont adressées ? Vous avez mentionné votre déplacement à Lille, dont le maire a attiré votre attention, comme il l'avait déjà fait avec vos prédécesseurs, sur le problème du sous-effectif chronique de policiers dans sa commune et dans son arrondissement.
D'autre part, les enjeux de la sécurité routière ne sont guère éloignés de ceux de la sécurité publique quotidienne. Nombre d'accidents sont sans doute liés au déficit d'actions de prévention et de sensibilisation, et la stabilité budgétaire dans ce domaine ne contribue certainement pas à renforcer ces actions.
Enfin, le groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) avait indiqué l'année dernière qu'il souhaitait des progrès en matière de formation initiale et continue des forces intérieures de sécurité, indispensables à l'amélioration de leur relation avec la population. On peut noter quelques progrès dans le PLF 2026, mais on peut aussi regretter un manque de transparence sur les crédits accordés à la formation, celle-ci étant désormais noyée dans le budget général de fonctionnement. Pouvez-vous nous expliquer ce choix curieux de présentation budgétaire ?
M. Patrick Kanner. - Vous avez évoqué les moyens en investissement relatifs à la sécurité civile. Je vous interrogerai plutôt sous l'angle des dépenses de fonctionnement.
En premier lieu, le PLF 2026 alloue 22 millions d'euros aux pactes capacitaires, une somme jugée stable, quoiqu'en légère baisse par rapport à la trajectoire initialement prévue. Estimez-vous que ces crédits, dans la situation financière actuelle des départements, répondent réellement aux besoins des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) en matière d'équipements structurants notamment destinés à la lutte contre les feux de forêt et à la lutte contre les risques technologiques ? Serait-il pertinent de transformer ces pactes capacitaires en dotations pluriannuelles, territorialisées, conventionnées, afin de mieux anticiper les besoins à long terme ?
En second lieu, les responsables de Sdis nous alertent régulièrement sur l'augmentation de leurs interventions au titre des carences ambulancières qui sont dénuées de caractère d'urgence, en raison de la désorganisation du système de santé. Êtes-vous en mesure d'évaluer la part des interventions de secours à personne qui relèvent des carences ambulancières, ce que nous avons pour notre part beaucoup de mal à faire ? Par ailleurs, soutenez-vous l'idée d'une contribution spécifique du ministère chargé de la santé ou de l'assurance maladie au financement du secours à personne, dans le cadre de la solidarité gouvernementale ?
M. Laurent Nunez, ministre. - M. le député Stéphane Mazars a également attiré mon attention sur la situation des effectifs de police et de gendarmerie à Rodez. J'ai d'ailleurs prévu de me rendre sur place pour y rencontrer les élus.
Une brigade de gendarmerie mobile a été créée en juin 2024, mais je partage vos propos sur les procédures qui accaparent nos militaires de la gendarmerie, qui ne sont plus assez présents sur le terrain, ce qui pose des difficultés dans le domaine du renseignement - au sens le plus large du terme. Les gendarmes que je rencontre me le confirment. C'est pourquoi il nous faut aussi tout faire pour améliorer, dans le sens d'une simplification, la procédure pénale.
Quant à la direction départementale de la police nationale (DDPN) de l'Aveyron, elle comptait 228 agents au 31 août 2025, soit 9 de plus et une progression de 4 % par rapport à 2016. Les effectifs sont donc à la hausse. Cependant, je ne connais pas précisément la situation de cette direction et de cette circonscription de Rodez, et il arrive certes que des brigades disparaissent. Je vous promets de m'en enquérir.
J'ignorais par ailleurs que nous n'étions plus en mesure de rémunérer les réservistes de la gendarmerie. Nous en restons pourtant bien aux crédits importants que je vous ai exposés tout à l'heure : + 25 millions d'euros, pour atteindre 100 millions d'euros ; la réserve opérationnelle de la police nationale voit pour sa part ses crédits passer de 39 millions à 46 millions d'euros. Les réserves opérationnelles sont pour moi une priorité et nous allons nous pencher sur la difficulté qu'éprouve la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN).
Sur la situation des gens du voyage, nos concitoyens itinérants, rappelons que plusieurs types de procédures existent : intervention en flagrance, en cas d'installation en cours accompagnée de dégradations, et dans le cadre de laquelle les policiers peuvent procéder à une évacuation, et, quand l'installation a eu lieu, procédure judiciaire lorsque le terrain est privé ou procédure administrative lorsqu'il relève du domaine public.
Un groupe de travail, auquel des parlementaires participent, poursuit actuellement ses réflexions sur la question. Il s'est déjà réuni à de nombreuses reprises. Je m'engage à ce que nous aboutissions à proposer des mesures législatives aux solutions équilibrées, qui répondent aux attentes tout en participant à l'apaisement. Je porte du reste la plus grande attention à la situation que vous avez décrite et qui donnera lieu, demain, à une réunion.
Mme Richard, vous avez évoqué les moyens humains des offices. Je serai très clair : il importe de ne pas réduire la politique publique que nous menons en matière de sécurité et ses effets à la seule question des effectifs de telle ou telle structure, fût-elle spécialisée. Tous les services participent et doivent participer à la lutte contre la traite prostitutionnelle. Du reste, une partie des moyens financiers du « plan investigation » seront consacrés aux offices. Je ne peux cependant en dire davantage, car je dois encore en discuter avec les organisations syndicales.
La lutte contre le narcotrafic représente une priorité, chaque ministre de l'intérieur ayant apporté sa pierre à l'édifice : nous n'avons eu de cesse de renforcer les dispositifs dans ce domaine, d'autant plus que le narcotrafic alimente de très nombreux phénomènes délictueux - vols avec violence, cambriolages, séquestrations, règlements de comptes, homicides, etc. En outre, les réseaux de narcotrafic s'étendent sur l'ensemble du territoire national, avec des risques importants en termes de prise de contrôle de certains quartiers et de corruption.
Une fois ce rappel effectué, je ne veux pas laisser à penser que nous n'avons commencé ce combat qu'un ou deux ans auparavant. La loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic est un texte important qui était porté par les sénateurs, auxquels je tiens à rendre hommage : il comprend, à l'image de ce que nous avons déployé pour la lutte antiterroriste, la création d'un état-major permettant d'échanger des informations au plan national et de pouvoir identifier les ramifications des différents réseaux. Par ailleurs, cette loi a confié des prérogatives fort utiles aux préfets, prérogatives qui permettent aussi de renforcer la sécurité du quotidien avec notamment les interdictions de paraître et les fermetures de commerces.
La sécurité du quotidien, justement, ne se mesure pas uniquement en termes d'effectifs...
Mme Audrey Linkenheld. - Ma question n'était en rien un piège : je souhaite simplement savoir si vous considérez que les moyens accordés à la mission « Justice » dans le PLF sont à la hauteur.
M. Laurent Nunez, ministre. -Je ne vais pas me prononcer sur les crédits alloués à ladite mission dans la mesure où le garde des sceaux aura l'occasion de vous répondre directement sur ce sujet.
Pour en revenir à la sécurité du quotidien, je vais évidemment m'y atteler en poursuivant les politiques de présence sur la voie publique et de lutte contre les trafics, dans le cadre de partenariats et de continuums de sécurité. Lesdites politiques ne se mesurent pas en volumes d'effectifs : par le passé - je pense aux quartiers de reconquête républicaine (QRR) -, on a pu laisser penser que le volume faisait la différence, mais tel n'est pas mon avis, les méthodes de travail et la coordination me semblant essentielles. De surcroît, pour reprendre l'exemple de l'Aveyron, les effectifs sur la voie publique ont évolué à la hausse.
Monsieur Kanner, les carences ambulancières sont une problématique récurrente, le problème n'étant réglé dans aucun département, ce qui conduit les sapeurs-pompiers à prendre en charge des opérations de secours aux personnes. Cela renvoie plus largement à la problématique des secours d'urgence qu'il conviendra de clarifier avec les acteurs de la santé. C'est un sujet qui doit être traité dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile, préparé par Bruno Retailleau et François-Noël Buffet, qui devrait donner lieu à un projet de loi. Je souhaite qu'on traite cette question définitivement à cette occasion.
Les pactes capacitaires, quant à eux, induisent un soutien financier de l'État à hauteur de 150 millions d'euros. D'ici à 2027, 1 083 engins devront être livrés, 300 d'entre eux ayant déjà été livrés aux Sdis l'été dernier.
Pour ce qui est de la perspective d'une transformation en dotation, je suis très attaché au caractère partenarial de ces pactes.
M. Christophe Chaillou. - Je tiens à évoquer les centres de rétention administrative, pour lesquels empilons des moyens, avec une durée de rétention qui s'allonge, comme vous l'avez rappelé. Si nous disposons aujourd'hui d'une des plus importantes capacités d'Europe, le taux d'éloignement effectif est en même temps l'un des plus faibles, ce qui doit nous conduire à nous interroger.
Comme je l'ai constaté au CRA d'Olivet, dans le département du Loiret, la situation est tendue, avec entre autres des difficultés à retenir les effectifs de police et des conséquences très lourdes, notamment sur les tribunaux.
S'agissant des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), qui connaissent une très forte montée en charge - 500 000 AFD ont été délivrées en 2024, selon les services statistiques de votre ministère -, nous ne disposons toujours pas de données consolidées quant à leur taux de recouvrement, qui serait a priori inférieur à 20 %. Un tel niveau nous interpelle fortement au moment où le Gouvernement prévoit d'étendre la possibilité de constater un certain nombre d'infractions pour les polices municipales. Il serait donc utile que le Parlement dispose de données exhaustives, afin d'évaluer l'efficacité du dispositif.
Par ailleurs, les délais d'obtention du permis de conduire posent de réelles difficultés dans un certain nombre de départements et appellent une adaptation des moyens, y compris dans des départements à dominante rurale tels que le Loiret.
En effet, alors que la loi a fixé un délai maximal de quarante-cinq jours, il s'élève au minimum à quatre-vingts jours dans mon département et peut dépasser cent jours, notamment pour les centres d'examen de Montargis, ce qui crée beaucoup de frustrations et de difficultés, en particulier pour de nombreux jeunes qui peuvent pourtant passer cet examen à partir de 17 ans. Or, comme nous le savons tous, l'accès à la mobilité est essentiel dans ces territoires et il serait donc urgent, monsieur le ministre, de renforcer les moyens dans ce domaine, afin d'appliquer réellement la loi.
Mme Mélanie Vogel. - Les orientations budgétaires de cette année sont-elles de nature à répondre aux questions suscitées par les révélations de la semaine précédente à propos de la manifestation de Sainte-Soline ? Grâce à la presse d'investigation, des vidéos issues des caméras embarquées des forces de l'ordre ont été publiées : elles accablent à la fois certains gendarmes, mais aussi certains de leurs supérieurs hiérarchiques et les ordres donnés, ainsi que, plus largement, la doctrine de maintien de l'ordre qui a été choisie lors de la manifestation à Sainte-Soline, le 25 mars 2023.
On y voit des gendarmes multiplier à dessein les tirs tendus de grenades, pourtant interdits, car potentiellement létaux pour les manifestants ; on entend aussi, ce qui est très préoccupant, des insultes et une forme de jubilation partagée à l'idée de blesser - voire pire - certains manifestants. Certaines gendarmes ont ainsi pu dire : « Je ne compte plus les mecs qu'on a éborgnés » ; « Un vrai kiff » ; « En pleine tête ! » ou encore « On va les manger, il faut qu'on les tue. » Je vous passe évidemment la liste complète des citations, qui est effrayante.
Ces vidéos ont évidemment choqué et ont aussi confirmé les récits des manifestants pacifistes qui étaient présents. Manifestement, des personnes au sein de la gendarmerie ont considéré qu'il était de leur devoir républicain de diffuser ces vidéos auprès du public, estimant que les comportements en cause n'étaient pas acceptables pour leur profession et pour la mission essentielle qu'elle remplit auprès de la population.
Comment en est-on arrivé là et que faire pour éviter que de tels comportements ne se reproduisent ? Mon collègue Thomas Dossus a été auditionné par l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) en décembre 2023, mais nous n'avons pas eu à ce jour de nouvelles de l'enquête : un manque de moyens est-il en cause ? Plus largement, quelles actions allez-vous mettre en place pour garantir aux citoyennes et aux citoyens que les gendarmes - et l'ensemble des forces de l'ordre - soient formés pour avoir à coeur de protéger l'ordre public tout en respectant les libertés fondamentales ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous savons à quel point le Gouvernement reste mobilisé pour assurer le maintien de l'ordre dans les territoires d'outre-mer, tâche rendue d'autant plus difficile par leur étendue et leur isolement relatif. Dans le cadre du PLF pour 2026, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour y renforcer la présence et les moyens des forces de l'ordre, notamment en matière de prévention de la délinquance et de lutte contre les trafics d'armes ?
J'en profite pour rendre hommage aux femmes et aux hommes qui accomplissent ces missions dans ces territoires, dans des conditions très difficiles. Je rappelle, de plus, que nos outre-mer font de la France la deuxième puissance maritime du monde : nos territoires sont convoités, ce qui justifie d'autant plus d'y renforcer la sécurité.
Comment le ministère entend-il mieux articuler l'action des forces de l'ordre avec la prévention et l'insertion, afin d'éviter que les fléaux que je viens d'évoquer ne s'enracinent durablement dans des territoires déjà fragilisés sur le plan social ?
S'agissant de Mayotte en particulier, moins d'une année après les ravages causés par le cyclone, la période d'accalmie s'achève et les violences reprennent, violences d'autant plus insoutenables qu'elles se déroulent en milieu scolaire. Lundi dernier, le rectorat a ainsi suspendu les cours à Kawéni, localité de Mamoudzou, en raison des violences survenues au sein et aux abords du lycée des Lumières. Parallèlement, le caillassage des bus scolaires reprend.
Le Gouvernement avait, en partenariat avec le conseil départemental, décidé de mobiliser des fonds pour sécuriser ces bus : où en sont les actions en la matière ? Par ailleurs, le plan « Mayotte debout » prévoyait 55 ETP pour la gendarmerie et 60 ETP pour la police : quid des affectations de ces ETP ?
Enfin, un camp de réfugiés africains a été démantelé à Tsoundzou, mais ils se retrouvent désormais dans la nature : quelles actions le Gouvernement entend-il mener pour lutter efficacement contre l'immigration irrégulière ?
J'ajoute qu'un important groupe de migrants en provenance de Dar es Salam est arrivé aux Comores, et qu'il risque de se diriger sous peu vers Mayotte ; je rappelle aussi que le Président de la République avait annoncé, lors de sa venue, une opération « Mur de fer » pour intercepter au plus loin les migrants avant leur arrivée à Mayotte, en complément de l'opération « Wuambushu ».
Mme Corinne Narassiguin. - S'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile, la suppression de 1 403 places est prévue alors que les besoins sont de plus en plus importants : la part des femmes dans la population migrante avoisine désormais 50 %, d'où des besoins de logements spécifiques et sécurisés, une grande partie d'entre elles ayant très souvent été victimes - et l'étant parfois encore, même sur le territoire français - de violences sexistes et sexuelles (VSS). Quelle est la justification de cette suppression de places d'hébergement ?
Je tiens également à évoquer le centre Primo Levi, menacé par le retrait du soutien financier historique du ministère de l'intérieur, qui s'élevait à environ 700 000 euros, soit un tiers de son budget. Outre le retrait en 2024, prolongé en 2025, des crédits de la direction générale des étrangers en France (DGEF), le centre a reçu la notification d'un avis défavorable de la direction de l'asile concernant la subvention du fonds européen « asile, migration et intégration » (Fami) pour 2026, ce qui représente une perte prévisionnelle de 500 000 euros par an, alors que la structure bénéficie de ce soutien de l'Union européenne depuis plus d'une décennie.
Il ne s'agit donc pas de crédits inscrits dans le PLF, mais bien de fonds européens qui sont distribués par le ministère de l'intérieur. La seule explication qui a été donnée étant un changement dans les priorités de la direction de l'asile, j'aimerais savoir si vous allez remettre celles-ci en bon ordre, afin que le centre Primo-Levi retrouve des financements absolument nécessaires. Il accomplit en effet un travail indispensable sur deux sujets spécifiques, à savoir l'accueil et l'accompagnement des femmes victimes de violences sexuelles d'une part, et l'accompagnement des troubles mentaux d'autre part, c'est-à-dire des missions essentielles pour les personnes qui ont connu des parcours d'exil très traumatisants.
Enfin, l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef) connaît des dysfonctionnements chroniques depuis plusieurs années, comme l'a relevé la Défenseure des droits dans un rapport relativement récent. Malgré des investissements, les dysfonctionnements de cette application persistent : y consacrerez-vous les moyens nécessaires afin d'améliorer urgemment cette situation, qui crée non seulement une surcharge de travail dans les préfectures, mais aussi un véritable problème d'accès aux droits pour des étrangers, parfois plongés dans la précarité par des problèmes informatiques ?
Mme Anne-Sophie Patru. - Monsieur le ministre, de nombreux investissements immobiliers paraissent nécessaires pour la gendarmerie nationale, notamment dans les zones rurales.
Au vu des retards pris sur ces investissements, une planification des programmes immobiliers de la gendarmerie nationale est-elle prévue ? En effet, certains projets sont initiés depuis plus de trente ans - c'est le cas dans mon territoire - et génèrent non seulement de l'inquiétude, mais aussi une certaine impatience liée à l'immobilisation des réserves foncières sur de telles durées. Les élus locaux ont besoin de visibilité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l'heure le fait qu'il ne fallait pas nécessairement évaluer l'efficacité des politiques publiques en fonction du nombre d'emplois ou des crédits alloués, affirmation sur laquelle je rebondis en vous interrogeant sur deux points.
Le premier concerne la politique que vous entendez mettre en place dans votre ministère contre les violences sexuelles commises par les forces de l'ordre. Nous avons tous entendu parler de cette affaire absolument terrible d'une personne qui se trouvait au dépôt du tribunal judiciaire de Bobigny et qui aurait été - l'enquête est en cours - agressée par deux membres des forces de l'ordre.
En l'espace d'une douzaine d'années, on dénombre 429 victimes et 215 agresseurs dans 130 villes : le phénomène n'est donc pas circonscrit à telle ou telle région et tous sont concernés, puisque les agressions visent à la fois des collègues, des proches, des personnes interpellées et des plaignantes. Pourtant, on ne trouve pas trace de mesures sérieuses, ni de circulaires ou de notes internes, et l'on ne connaît guère les sanctions adoptées.
Qu'entendez-vous donc faire en la matière hormis placer une fonctionnaire de police dans l'équipe de nuit du dépôt de Bobigny, ce qui envoie le signal effrayant selon lequel tous les hommes seraient des violeurs en puissance ?
J'en viens à la lutte contre l'usage détourné du protoxyde d'azote. D'après le porte-parole de la Chancellerie, il existe un problème de législation dans ce domaine. Or plusieurs propositions de loi ont été présentées et, pour certaines, adoptées : je pense notamment à la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, qui a été adoptée en mars 2025 et qui couvre précisément le champ nécessaire, avec la sanction pour consommation détournée, l'encadrement de la vente, la sanction du dépôt et de l'abandon sur la voie publique.
Allez-vous, monsieur le ministre, faire en sorte que ce texte ou un autre vienne en discussion afin que nous nous dotions d'une législation satisfaisante dans la lutte contre l'usage détourné du protoxyde d'azote ?
M. Laurent Nunez, ministre. - Les AFD constituent un instrument extrêmement efficace que nous envisageons d'étendre dans le cadre du projet de loi relatif à l'extension des prérogatives, des moyens, de l'organisation et du contrôle des polices municipales et des gardes champêtres. En revanche, nous ne sommes pas en mesure de connaître précisément le taux de recouvrement, mais il était à ma connaissance en augmentation grâce à la facilitation des moyens de paiement.
Concernant les permis de conduire, nous fournissons des efforts considérables afin de réduire les délais d'obtention, qui sont effectivement très élevés. Nous avons de plus saisi l'inspection générale de l'administration (IGA) afin qu'elle conduise une mission sur les dysfonctionnements constatés et les solutions susceptibles d'être adoptées. Rappelons, néanmoins, que nous avons créé 80 000 places supplémentaires d'examen et que la création de 10 postes d'inspecteurs est prévue.
S'agissant des événements de Sainte-Soline, une enquête est en cours et nous n'avons dissimulé aucun élément pendant deux ans. Des personnes ont été blessées pendant cette journée de manifestation, des plaintes ont été déposées et l'IGGN a saisi l'ensemble des vidéos dans le cadre d'une procédure judiciaire, ce qui explique pourquoi mon prédécesseur et moi-même n'y avions pas accès.
Les actes que vous évoquiez sont évidemment condamnables et des sanctions disciplinaires seront prises à la suite de l'enquête administrative en cours si les faits sont avérés. J'ajoute que cela n'exclut pas des suites judiciaires dans la mesure où, une fois encore, la justice est en possession de ces vidéos, le ministère n'ayant aucunement la volonté d'éluder quoi que soit dans cette affaire. Cependant, je tiens aussi à rappeler le contexte, caractérisé par de nombreuses violences - dont des jets de projectiles - contre les gendarmes, 48 d'entre eux ayant été blessés ce jour-là. Dans cette affaire, les propos et les gestes visibles dans ces vidéos ne sont pas acceptables, mais je ne souhaite pas que l'on généralise et que l'on condamne, à partir de ces extraits, la façon dont les gendarmes ont remarquablement travaillé à Sainte-Soline.
Pour ce qui concerne l'Anef, les dysfonctionnements sont importants, mais la situation s'améliore peu à peu grâce à une reprise en main qui doit permettre de supprimer les bugs d'ici à la fin 2026. Des interventions de nos brigades numériques ont lieu au quotidien pour améliorer le fonctionnement de cet outil.
Concernant l'hébergement des victimes de violences familiales, aucune suppression n'est en vue : au contraire, un appel à manifestation d'intérêt vient d'être lancé pour 50 places supplémentaires en 2026, en précisant que 300 places sont déjà disponibles.
Madame de La Gontrie, des sanctions disciplinaires sont prises dès lors que des violences sexuelles sont commises par des membres des forces de l'ordre, sans oublier des poursuites pénales systématiques. La hiérarchie est bien consciente de la nécessité d'être extrêmement réactive dans ces dossiers, en engageant les procédures qui s'imposent et en saisissant les tribunaux.
Le dépôt de Bobigny, plus précisément, a vu ses effectifs progresser significativement au cours des deux dernières années, avec environ 130 agents contre 80 personnels par le passé. Nous veillons à assurer la qualité du fonctionnement de ce dépôt, et je ne doute pas que mon successeur à la préfecture de police continuera dans cette voie.
Sur un autre point, des mesures législatives ad hoc sont effectivement nécessaires pour le protoxyde d'azote : il me semble qu'une proposition de loi a été adoptée au Sénat et qu'une autre lui a été transmise, et nous réunirons les parlementaires qui les ont portées afin d'identifier les dispositions qui pourraient être retenues par le Gouvernement. En tout état de cause, je vous confirme que les sanctions, les interdictions de vente et les interdictions d'usage sont des outils qui nous intéressent fortement.
J'en viens au centre Primo-Levi : en raison des annulations de crédits intervenues en février 2024, qui se sont traduites par une suspension de l'ouverture de nouvelles places d'hébergement, aucun nouvel appel à projets n'a été lancé et les financements précédemment octroyés à l'association n'ont pas été renouvelés dans la mesure où la convention était parvenue à échéance. Au regard des informations transmises par l'association, il n'a pas été possible de considérer qu'elle était éligible au Fami, notamment compte tenu du projet de budget qu'elle avait présenté.
La planification des programmes immobiliers de la gendarmerie, quant à elle, existe bel et bien : nous devons l'honorer par le biais de procédures administratives et juridiques, mais également par le budget voté par le Parlement.
J'en termine avec Mayotte, en rappelant que les effectifs y ont été durablement renforcés avec le déploiement de forces mobiles, tandis que l'acquisition d'un certain nombre d'intercepteurs doit nous permettre de mieux lutter contre l'immigration illégale.
Plus généralement, nous sommes préoccupés par la situation dans les territoires d'outre-mer, dans lesquels des effectifs sont déployés en masse. Nous continuerons dans cette voie, en lien avec la ministre des outre-mer et avec le garde des sceaux.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour vos réponses, monsieur le ministre.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 18 h 30, est reprise à 18 h 35.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors crédits du programme « Sécurité civile ».
La réunion, suspendue à 18 h 38, est reprise à 18 h 40.
Projet de loi de finances pour 2026 - Audition de M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous poursuivons nos auditions budgétaires en recevant le garde des sceaux, dans le cadre de l'examen des crédits de la mission « Justice ».
Cette mission, monsieur le garde des sceaux, fait figure de mission préservée au sein du projet de loi de finances., dans la mesure où les crédits demandés sont en augmentation par rapport à 2025, de façon à atteindre un total proche de l'objectif de 10,7 milliards d'euros hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « pensions » fixé par la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ).
Dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, nous ne pouvons que nous en féliciter, d'autant plus - je suis certaine, monsieur le garde des sceaux, que vous ne me démentirez pas sur ce point - que les enjeux qui sont devant nous sont de taille.
L'année 2026, dans la continuité de l'année 2025, doit être celle de la montée en puissance de nos moyens de lutte contre la criminalité organisée. Après la création des nouveaux quartiers pénitentiaires de lutte contre la criminalité organisée (QLCO), 2026 sera l'année d'institution du parquet national anti-criminalité organisée, le Pnaco.
Cette audition est ainsi l'occasion d'évoquer les incidences budgétaires de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, et plus généralement de faire le point sur son application. Il est inutile de vous rappeler combien notre commission est attentive à la bonne mise en oeuvre de cette loi.
L'année 2026 devrait également conduire le Parlement à être saisi d'une importante réforme portant sur l'utilisation dans les enquêtes pénales des données de connexion, en vue d'assurer la conformité du droit français aux règles européennes. Notre commission s'intéresse particulièrement à ce sujet, auquel elle a consacré un rapport d'information en 2023 ; j'espère que vous pourrez nous indiquer les projets du Gouvernement sur ce terrain, étant souligné que le contrôle préalable que nous devons mettre en place suppose, lui aussi, des moyens matériels et humains complémentaires.
Je vais vous laisser la parole, monsieur le garde des sceaux, pour nous présenter les grandes lignes du budget proposé pour l'année 2026. Je la donnerai ensuite à nos rapporteurs pour avis ainsi qu'au rapporteur spécial de la commission des finances, Antoine Lefèvre, qui vous demanderont certainement de nous apporter des précisions sur les différents programmes de la mission. Ensuite, l'ensemble des collègues pourront intervenir.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui les crédits du ministère de la justice, d'autant que je n'ai pu le faire à l'Assemblée nationale. Je me réjouis de constater que la haute assemblée s'intéresse à cette mission.
Le premier message que je souhaite adresser à votre commission - vous l'avez vous-même souligné, madame la présidente - concerne le respect, à l'euro près, de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice, adoptée par le Sénat dans des conditions budgétaires et politiques très différentes de celles qui prévalent aujourd'hui. Le ministère des armées et celui de la justice sont les deux seuls ministères intégralement protégés par les engagements adoptés par le Parlement.
Cela n'était pas gagné d'avance : le projet de loi de finances pour 2025, déposé avant mon arrivée à la Chancellerie, ne respectait ni les crédits ni les emplois décidés par le Parlement et beaucoup pensaient encore il y a quelques mois que 2026 serait une année blanche budgétaire, notamment pour les projets immobiliers de la justice, pénitentiaires ou judiciaires, comme pour les créations d'équivalents temps plein (ETP). La lettre de cadrage du Premier ministre d'alors ne comportait d'ailleurs aucune référence à la LOPJ, ce qui n'était pas de bon augure.
Toutefois, le choix fait par François Bayrou puis confirmé par Sébastien Lecornu, que je remercie, traduit la volonté du Gouvernement de soutenir résolument nos armées et notre justice, qui a bien besoin de moyens. Ainsi, le ministère de la justice disposera en 2026, si le Parlement adopte ce budget, de 10,7 milliards d'euros de crédits de paiement, hors pensions, soit 266 millions d'euros de plus qu'en 2025.
En outre, alors que 3 000 ETP sont supprimés dans l'ensemble de la fonction publique de l'État, nous en créons 1 600, soit la plus forte progression de tous les champs de l'action publique. Ces emplois et crédits nouveaux sont très importants pour notre justice. Je précise que ces 1 600 emplois ne sont pas des postes virtuels, ce sont des effectifs bien réels, il s'agit bien de créations nettes, après la compensation intégrale des départs en retraite. Ces 1 600 emplois se composent de 855 emplois dans l'administration pénitentiaire, de 660 emplois dans les juridictions, ce qui inclut les magistrats - nous respectons ainsi, au magistrat près, la promesse faite par Éric Dupond-Moretti il y a trois ans à Annecy concernant le nombre de créations de postes -, et de 70 postes supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ces créations constituent un effort inédit pour le ministère de la justice.
Ce renforcement s'accompagne d'un enjeu majeur en matière de ressources humaines, avec la mise en application de tous les accords signés en 2023, 2024 et 2025 - notamment le protocole d'Incarville pour le personnel pénitentiaire -, portant sur la création d'un troisième grade, sur les directeurs de greffe et le personnel administratif et technique. Le personnel bénéficiera ainsi des avancées prévues par la loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, que vous avez adoptée.
Mon deuxième message, après le respect intégral de la loi de programmation, concerne la culture de la responsabilité budgétaire que doit développer le ministère de la justice. Ce n'est pas son fort, depuis de nombreuses années, pour diverses raisons, peut-être d'abord en raison d'une confusion entre l'indépendance de l'utilisation des moyens et l'indépendance de la magistrature, laquelle, s'il faut la chérir, concerne l'acte juridictionnel et non la gestion des moyens du service public de la justice.
Le ministère doit rendre des comptes, conformément aux règles de l'État de droit : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit bien que chaque citoyen peut demander des comptes à son administration et ce principe s'applique particulièrement au ministère de la justice, compte tenu des moyens considérables mis à sa disposition pour réduire les délais de jugement, améliorer l'efficacité de ses outils informatiques et accueillir les justiciables, les victimes et les professions juridiques. Nous devons donc instaurer une véritable culture de la responsabilité budgétaire et assumer d'employer le terme de performance, qui se justifie pleinement s'agissant d'argent public.
Jamais encore un garde des sceaux n'avait fixé des objectifs de gestion chiffrés à ses chefs de cour. Je l'ai fait, via une circulaire adressée aux chefs de siège et de parquet, afin d'améliorer la gestion des cours d'appel et des tribunaux. J'ai également organisé, place Vendôme, une réunion commune avec la ministre des comptes publics, ses chefs de programme budgétaire et les chefs de cour et de juridiction. Enfin, une lettre a été personnellement adressée à chacun de ces derniers pour connaître leurs délais de jugement, leurs frais de justice, ainsi que leur taux d'absentéisme.
En outre, je leur ai fixé un objectif de 100 millions d'euros de recettes supplémentaires, car la justice rapporte aussi. Cela rapporte d'abord grâce à l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), et je salue d'ailleurs les auteurs d'amendements relatifs à cette agence sur le projet de loi contre les fraudes sociales et fiscales. Toutefois, bien qu'elle accomplisse un travail important, elle pourrait recouvrer encore davantage : l'écart entre saisies et confiscations demeure trop important. Ensuite, les autres recettes perçues par le ministère pourraient aussi être plus importantes, notamment les amendes civiles ou pénales, insuffisamment prononcées et mal recouvrées.
Pour accroître ces recettes, et permettre ainsi d'alléger les charges affectées au ministère de la justice par le budget de l'État, plusieurs leviers sont possibles :
- d'abord, nous proposons l'introduction d'un droit de timbre modeste - 50 euros -qui ne s'appliquerait pas aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle ; ce droit de timbre existait jusqu'en 2013, avant d'être supprimé par Mme Taubira, mais il était alors versé au budget général de l'État ; nous proposons qu'il alimente directement le budget de l'aide juridictionnelle ;
- ensuite, nous envisageons d'accroître le recours aux commissaires de justice pour recouvrer plus efficacement les amendes pénales et civiles ; un article du projet de loi de finances traduit ainsi un accord passé avec la direction générale des finances publiques (DGFiP), afin que le produit des amendes soit recouvré non plus par les services des impôts mais par des huissiers rémunérés à cette fin ;
- nous souhaitons également relancer les ventes avant jugement ; celles-ci ont progressé de 47 % en un an, à la suite des instructions que j'ai données à l'Agrasc, mais on pourrait faire davantage ;
- enfin, on pourrait développer le recours aux jours-amendes, dont l'existence dans le code pénal et le code de procédure pénale est embryonnaire ; c'est l'objet du projet de loi pour une sanction utile, rapide et effective (Sure) que je présenterai au conseil des ministres en janvier prochain.
Mon troisième message concerne la rigueur comme levier d'efficacité. Nous devons mieux gérer l'argent public.
Pour la première fois, les frais de justice, qui explosaient, sont stabilisés en 2025 sous le niveau de l'inflation, avec une progression de 0,3 %, contre 10 % par an auparavant. Les chefs de cour et de juridiction ont oeuvré, en lien avec les services du ministre de l'intérieur qui vient de nous quitter, à la maîtrise de ces dépenses, notamment grâce à la plateforme nationale des interceptions judiciaires, qui permet d'éviter le recours à des prestataires privés bien plus coûteux. Nous avons ainsi pu enregistrer une économie de 30 millions d'euros cette année et nous espérons atteindre 45 millions à 50 millions d'euros en 2026.
La rigueur de la gestion passe par d'autres leviers, sans que l'indépendance de la justice soit jamais remise en cause. C'est le cas par exemple des véhicules placés en fourrière judiciaire ; nous avons actuellement en stock des milliers de véhicules - voitures, motos, quads, camions - saisis par les services d'enquête. Or, il ne s'agit pas toujours de la voiture de Jacques Mesrine, si bien qu'il n'est pas nécessaire de conserver ces véhicules cinq ou six ans jusqu'au jugement. L'an dernier, les fourrières comptaient encore 32 500 véhicules immobilisés, pour un coût annuel de 60 millions d'euros. En moins d'un an, nous avons réduit ce nombre à moins de 29 000, ce qui correspond à une baisse de 8 % des stocks, et avons obtenu une économie de 40 millions d'euros. Il faut poursuivre cet effort. J'affecterai des greffiers dans chaque cour d'appel pour mieux gérer ces fourrières, symboles d'une mauvaise gestion.
De la même manière, nous pourrions optimiser la gestion des objets déposés dans les tribunaux, comme les montres, les sacs et autres effets saisis ou confisqués. Beaucoup pourraient être vendus ou donnés à des associations, afin de réduire les coûts de gardiennage.
Grâce à la dématérialisation désormais complète des procédures correctionnelles, nous avons franchi un cap. Lorsque j'ai été nommé pour la première fois à la Chancellerie - j'ai été nommé trois fois garde des sceaux cette année, j'espère que la troisième sera la dernière ! -la première question que nous avions évoquée était celle du retard numérique du ministère de la justice ; on en était à la préhistoire, si j'ose dire. J'y ai consacré beaucoup d'énergie et de moyens. Ainsi, la procédure pénale numérique (PPN) est déployée sur l'ensemble du territoire national depuis plusieurs semaines ; c'est très positif. Il reste à mener à bien le projet Portalis, équivalent civil de la PPN.
J'annoncerai, le 2 décembre prochain, à l'occasion du vingtième anniversaire du secrétariat général du ministère, une réorganisation structurelle portant sur l'immobilier et le numérique au sein de mes services, parce que trop de gens s'occupent de trop de choses et qu'il n'existe pas de direction du numérique telle qu'il en existe dans les autres administrations. Ce chantier s'impose, surtout avec l'arrivée de l'intelligence artificielle.
Autre enjeu majeur pour la bonne gestion : la construction des palais de justice et des établissements pénitentiaires. Le plan « 15 000 places » n'a pas été tenu, pour diverses raisons, mais il connaît désormais une accélération, avec la construction de plus de 5 000 places en dix-huit mois. Nous aurons ouvert en 2025 quatre établissements pénitentiaires non prévus initialement, dont le nouveau bâtiment dit « Baumettes 3 », à Marseille, dans quinze jours.
J'ai également proposé la nomination d'un nouveau directeur pour l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij), en la personne de Benoist Apparu, ancien ministre du logement, ancien promoteur immobilier et maire, qui mettra son expérience au service d'une vision pragmatique de la construction des prisons et des palais de justice. Il nous faut encore bâtir le palais de justice de Bobigny, celui de Marseille, celui de Cusset, et d'autres encore, et de nombreuses prisons doivent être rénovées. Nous devons mener une véritable révolution au sein du ministère pour que les constructions soient plus rapides et moins chères.
Par ailleurs, nous consacrons de nouveaux moyens budgétaires à une nouvelle stratégie pénitentiaire. Dans trois semaines, un décret important instaurera la première direction générale du ministère, la direction générale de l'administration pénitentiaire. Il y aura ainsi une structuration en deux pôles, insertion et probation d'une part, administration pénitentiaire d'autre part, afin de donner du muscle à une administration centrale qui en manque beaucoup.
En outre, a lieu aujourd'hui même l'ouverture de notre seconde prison de haute sécurité, celle de Condé-sur-Sarthe, permise par loi du 13 juin 2025 dite « Narcotrafic » ; le Parlement se réjouira de constater que l'on a su mettre en oeuvre très rapidement cette stratégie pénitentiaire, qui fonctionne, puisque pas un drone, pas une clef USB, pas un téléphone n'ont pénétré au sein de la prison de Vendin-le-Vieil. De plus, tous les recours engagés contre l'État - soixante-six au total - ont été gagnés par l'État, grâce à la solidité du travail parlementaire que nous avions accompli ensemble.
Nous poursuivons également les rénovations de maisons d'arrêt particulièrement poreuses : la Santé, Arras, Douai, Corbas, Nanterre, etc. Je remercie d'ailleurs le Premier ministre d'avoir débloqué 30 millions d'euros dans les crédits de 2025, pour ce plan de renforcement. Les appels d'offres et les bons de commande sont lancés aujourd'hui.
Un projet de loi sur la justice pénale sera présenté, je le disais, en janvier prochain au conseil des ministres.
Parallèlement, d'importantes réformes civiles avancent, notamment sur la justice amiable, afin de désengorger une partie de nos tribunaux : désormais, 50 % des affaires passent par la conciliation et l'accord amiable entre les parties.
Je souhaite également réformer la justice économique, en particulier prud'homale, confrontée à des délais insupportables : jusqu'à six ans, appel compris, dans certains ressorts. Pour un chef de PME ou un salarié, attendre six ans une décision crée une insécurité juridique et financière inacceptable. S'ajoute à cela une grande incertitude, puisque 50 % des décisions prud'homales sont infirmées en appel, contre seulement 13 % dans l'ensemble du contentieux civil. Cette situation nuit à la confiance économique que nous voulons tous restaurer.
Je travaille également à la refonte de l'école nationale de la magistrature (ENM), dont la préfiguration est engagée. Cette réforme, de nature réglementaire, sera finalisée d'ici à la fin du premier trimestre 2026 pour entrer en vigueur à la rentrée suivante. Nos autres écoles sont concernées : l'école nationale d'administration pénitentiaire (Enap), l'école nationale des greffes et l'école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse.
En somme, madame la présidente, vous recevez aujourd'hui un ministre qui, s'il n'est pas totalement satisfait de son budget, car il faudrait bien plus pour atteindre le niveau des standards européens, notamment de l'Allemagne, mieux dotée en magistrats, greffiers et agents pénitentiaires - les nôtres sont confrontés à la surpopulation carcérale, à la présence croissante de personnes souffrant de troubles psychiatriques et à un taux d'illettrisme dépassant 40 % -, ne peut pas se plaindre des arbitrages rendus.
D'ailleurs, lors de la réunion du président de la République avec le conseil supérieur de la magistrature, lundi dernier, j'ai constaté un fait inédit : pour la première fois, les propos introductifs et les questions du Conseil portaient non pas sur les moyens, mais sur d'autres sujets essentiels, notamment la défense de l'État de droit, que nous devons conforter, notamment en protégeant nos magistrats, victimes d'attaques personnelles, parfois d'origine étrangère. Je pense en particulier au juge Nicolas Guillou, membre de la cour pénale internationale (CPI), visé par un executive order de M. Trump. Bien sûr, nous avons besoin de moyens, mais la voix de la France, celle d'une justice indépendante, demeure une richesse inestimable qu'il nous faut préserver.
Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la mission « Justice » sur les programmes 166 « Justice judiciaire », 101 « Accès au droit et à la justice », 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et 335 « Conseil supérieur de la magistrature ». - Monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous interroger sur deux thèmes que vous avez évoqués sans les développer : l'immobilier judiciaire et l'intelligence artificielle générative.
Tout d'abord, l'immobilier a souvent servi, avec le numérique, de variable d'ajustement budgétaire compte tenu des contraintes qui pèsent sur la Chancellerie. Nous le déplorons évidemment, mais nous craignons surtout que cette politique cruciale fasse l'objet d'un pilotage incertain. Vos services ont à cet égard été assez rassurants quant à la poursuite des chantiers qui doivent être livrés l'an prochain, qu'il s'agisse de Lille, de l'île de la Cité ou de Saint-Martin. Nous aimerions obtenir de votre part des précisions, notamment sur la participation que vous sollicitez auprès des collectivités territoriales pour financer certaines opérations.
Au-delà, nous constatons à chaque exercice budgétaire le mécontentement du personnel de votre ministère et des avocats quant à la conception même de ces différents projets immobiliers. Comment envisagez-vous d'améliorer la conception des projets à venir, qui conditionne largement leur qualité d'exécution ?
Ensuite, parmi les chantiers récemment lancés par votre ministère figure celui de l'intelligence artificielle générative, qui intéresse particulièrement le Sénat. Lorsque nos collègues Christophe-André Frassa et Marie-Pierre de La Gontrie ont présenté leur rapport d'information sur l'intelligence artificielle et les métiers du droit, il y a à peu près un an, vos services commençaient tout juste à identifier les cas d'usage potentiels de l'intelligence artificielle générative pour la Chancellerie, tandis que les cabinets d'avocats utilisaient déjà cette technologie. Quelles utilisations entendez-vous faire de l'intelligence artificielle générative et quand ces outils seront-ils disponibles pour vos agents ?
Outre ces cas d'application propres à la Chancellerie, cette technologie repose notamment sur l'exploitation des décisions de justice diffusées en données ouvertes. Quel est donc votre avis sur l'anonymisation des magistrats et greffiers concernés, qui semblent inquiets à ce sujet ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis de la mission « Justice » sur les programmes 166 « Justice judiciaire », 101 « Accès au droit et à la justice », 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et 335 « Conseil supérieur de la magistrature ». - Vous connaissez l'intérêt que le Sénat porte à la politique numérique de la Chancellerie. Ce sujet irrite singulièrement le personnel de votre ministère, alors que des crédits importants lui sont pourtant alloués depuis plusieurs exercices budgétaires.
On nous a parlé cette année de deux logiciels cruciaux, Portalis et Prisme, en cours de déploiement, et de mises à jour significatives de l'application Cassiopée. Sur ces sujets, je dois l'avouer, vos services se sont montrés rassurants et c'est la première fois en cinq ans que j'ai eu face à moi quelqu'un qui comprenait mes questions et dont je comprenais les réponses... Le chantier est pris à bras-le-corps et j'espère être là l'année prochaine pour voir si, effectivement, il y a eu une évolution.
Toutefois, dans les juridictions, on nous signale les problèmes de fiabilité de Prisme et de Cassiopée ; un greffier à Lyon nous a ainsi montré que la peine complémentaire d'un condamné apparaissait bien à l'écran, mais ne figurait pas sur le document une fois imprimé. Comment entendez-vous remédier à ces difficultés ?
Ensuite, vous l'avez dit, les cibles de la LOPJ sont encore loin des standards européens. Quel regard portez-vous sur cette loi ? Certes, on respecte sa trajectoire, mais sera-t-elle suffisante ? J'étais, avec Agnès Canayer, rapporteure sur ce texte, et nous avons d'emblée pensé que la trajectoire sur cinq ans devrait être prolongée. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, vous connaissez mon engagement contre les violences intrafamiliales, qui sont systémiques ; on ne pourra pas les éliminer sans prendre en charge les victimes, mais aussi les auteurs. Les centres de prise en charge ne relèvent pas de cette mission ; selon moi, ils y auraient pourtant plus leur place que dans le petit programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ». Toutefois, ma question porte moins sur l'aspect budgétaire que sur l'efficacité de nos politiques publiques. Le niveau d'efficacité de ces centres de prise en charge est très variable. Dans un contexte où l'argent public est compté, il serait intéressant d'évaluer cette politique publique, afin de savoir qui doit être aidé et ce qui doit être dupliqué. Menez-vous une telle évaluation ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Justice ». - Je vous remercie, madame la présidente, mes chers collègues, de m'avoir convié à cette audition en tant que rapporteur spécial sur la mission « Justice ».
Ce projet de loi de finances est le douzième sur lequel je suis chargé du rapport spécial sur cette mission « Justice », ayant pris mes fonctions lors de l'examen du PLF 2015. Depuis lors, les crédits de la mission ont augmenté de 37 % en autorisations d'engagement et de 64 % en crédits de paiement.
Au cours de ces douze années, six gardes des sceaux de bords différents se sont succédé, avec des visions parfois éloignées, mais tous animés par la volonté de doter l'autorité judiciaire des moyens correspondant à la noblesse de sa mission. J'ai eu plaisir à travailler avec chacun d'eux.
Monsieur le garde des sceaux, je dois souligner votre volontarisme et votre ténacité. Vos précédentes expériences de ministre de l'action et des comptes publics puis de l'intérieur vous dotent certainement d'une vision périphérique de l'action judiciaire. Depuis votre installation place Vendôme, j'ai le sentiment que les choses bougent et semblent aller dans le bon sens.
J'ai publié en octobre 2023 un rapport sur le plan de construction des 15 000 places de prison et la dramatique question de la surpopulation carcérale soulevait quelques interrogations majeures. Or, la teneur innovante et volontariste de vos premières décisions en matière pénitentiaire témoigne d'une véritable vision pour la justice de demain, et je m'en félicite. Les quartiers de haute sécurité de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe récemment ouverts aux détenus les plus dangereux, les projets de prison modulaire ou encore la récente nomination de Benoist Apparu à la tête de l'Apij constituent autant de signaux encourageants pour une politique carcérale marquée par des enjeux de respect des droits de l'homme. Ces mesures démontrent une volonté concrète d'augmenter les places de prison.
Je me félicite également que le Gouvernement ait choisi de reprendre à son compte, dans ce PLF, plusieurs propositions que j'ai formulées dans mon récent rapport sur les frais de justice et les frais d'enquête, notamment, à l'article 30 du texte, la réintroduction d'un droit de timbre pour chaque introduction d'instance, mais aussi le recouvrement, à l'article 46, de certains frais d'enquête pénale auprès des personnes condamnées. Ces nouvelles recettes permettront de combler la légère sous-exécution de la LOPJ 2023-2027.
J'ai trois questions à vous adresser.
À côté de la réintroduction d'une contribution forfaitaire de 50 euros pour chaque introduction d'instance, avez-vous également des projets pour la contribution de 225 euros due pour toute procédure en appel, qui existe mais doit se terminer le 31 décembre 2026 ? Son produit est actuellement affecté à l'indemnisation des anciens avoués auprès des cours d'appel, dont les fonctions ont été supprimées en 2011.
Le recouvrement des frais d'enquête par les personnes condamnées dépendra de la mise en place de systèmes informatiques et de procédures de recouvrement. Quelles solutions doivent être mises en oeuvre de façon prioritaire pour améliorer le taux de recouvrement, notamment des amendes pénales et des frais de justice ?
Sous réserve des résultats de la prochaine élection présidentielle, quelles priorités devraient, selon vous, être mises à l'agenda de la prochaine loi de programmation pour la justice, qui devra être examinée par le Parlement courant 2027 ? Quels devraient en être les grands contours et la trajectoire actuellement observée par la mission « Justice » sera-t-elle poursuivie ?
M. Louis Vogel, rapporteur pour avis de la mission « Justice » sur le programme 107 « Administration pénitentiaire ». - Je souhaite pour ma part évoquer les enjeux liés à la surpopulation carcérale. Depuis votre entrée en fonctions, vous vous êtes attaqué, monsieur le garde des sceaux, à ce problème ; il était temps.
Ma question aura trois volets.
Premièrement, le budget pour 2026 comporte un programme d'investissement pour créer de nouvelles places dans des prisons dites« modulaires ». Pourriez-vous nous détailler les raisons qui vous ont conduit à revoir certaines opérations du plan « 15 000 places » au profit de ces nouveaux programmes ? Pourriez-vous nous préciser le coût estimé de ces prisons modulaires ainsi que le calendrier de déploiement de ce nouveau plan ?
Deuxièmement, en ce qui concerne le plan « 15 000 places », de nombreux projets prêts à être mis en oeuvre sont bloqués faute de crédits. Envisagez-vous de prendre des mesures pour les débloquer ?
Troisièmement, la surpopulation carcérale ne peut pas se limiter à des mesures bâtimentaires, il faut changer la politique pénale. Un très intéressant rapport d'information de la commission des lois sur l'exécution des peines, rédigé par Dominique Vérien, Elsa Schalck et Laurence Harribey, propose de réintroduire les très courtes peines, de moins d'un mois, dont l'effet désocialisant serait moindre. En mai dernier, vous nous aviez indiqué ne pas disposer de structure adéquate pour recevoir des détenus sur de telles durées. Les quartiers pour courtes peines ne pourraient-ils pas remplir cette fonction ?
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je me permets de vous poser la question que Laurence Harribey, rapporteure pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », qui ne peut malheureusement être présente aujourd'hui aurait voulu vous poser.
Elle porte sur les centres éducatifs fermés. Un programme de construction de vingt-deux centres est prévu. La commission des lois émet des réserves depuis plusieurs années sur ce dispositif et un rapport de l'inspection générale de la justice pointe cette année de réelles lacunes dans le fonctionnement des centres existants. Quelles mesures seront mises en oeuvre pour garantir que les nouveaux centres répondent à un besoin avéré et que leur implantation s'appuie sur une cartographie rationnelle, ainsi que pour garantir une durée effective de placement de six mois, condition sine qua non de l'efficacité de ces centres ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Je commencerai par les questions immobilières.
En premier lieu, le problème du ministère de la justice est qu'il possède un parc immobilier important, réparti sur tout le territoire, constitué à la fois de grands paquebots, comme le tribunal de Paris ou la prison de Fresnes, et de très petits sites, tels que les centres éducatifs fermés, sans disposer pour autant d'une direction de l'immobilier ni - c'était d'ailleurs un défaut du ministère, qui explique sans doute ses difficultés, indépendamment du manque de moyens - d'un plan pluriannuel d'investissement.
Quand on gère une collectivité locale, on sait qu'il faut un programme d'investissement. Cela ne signifie pas que tout est budgétisé, mais il faut au moins évaluer ce dont on a besoin en autorisations d'engagement et ne pas changer de plan constamment ; on doit avoir une vision de son investissement liée à l'augmentation de sa population et à son plan local d'urbanisme.
Cette question est mal traitée au ministère de la justice ; c'est pourquoi je mets en place depuis un an un plan pluriannuel qui doit porter sur cinq, six ou sept ans, puisqu'il fallait jusqu'à présent sept ans pour construire une prison. D'ailleurs, ces changements de programme et de destination des projets expliquent entre 15 % et 20 % de l'augmentation du coût des projets immobiliers. Nous n'avons déjà pas beaucoup d'argent, les projets coûtent déjà très cher, donc, si, en plus, chaque ministre qui arrive change le modèle alors que l'architecte a été choisi ou que les appels d'offres sont lancés, le coût final est beaucoup plus élevé.
En deuxième lieu, comme pour le numérique, il n'y a pas de pilotage unique de l'immobilier au sein du ministère de la justice. La direction des services judiciaires (DSJ) s'occupe d'immobilier, mais l'Apij et la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) aussi. Par conséquent, lorsque je veux parler d'immobilier, je suis parfois obligé d'avoir trois ou quatre directeurs en face de moi. Ce matin encore, le président du tribunal d'Alençon me disait que la porte d'entrée de son tribunal ne fermait pas bien et qu'il avait de nombreux menus travaux à faire pour sécuriser ses locaux lors des extractions de détenus dangereux ; et il n'était pas évident, sur le moment, de savoir quel service ministériel était compétent pour commander les travaux, alors même que les études ont déjà été réalisées. Cela ne va pas... Je vais donc faire en sorte qu'une administration unique pilote l'immobilier, cela changera beaucoup de choses.
En troisième lieu, l'administration pénitentiaire dispose de bâtiments conçus en fonction du statut juridique du détenu et non de sa dangerosité. C'est absurde. Nous avons ainsi les maisons d'arrêt, pour les personnes condamnées à moins de deux ans de détention, à peu près identiques partout et qui sont surpeuplées, et les établissements pour peine, dont le taux d'occupation est de 97 %.
Or gérer des détenus, ce n'est pas gérer leur statut juridique ; ce qui compte, c'est leur dangerosité, leurs addictions, leur capacité de réinsertion, leurs difficultés, leur état psychiatrique, le fait qu'ils aient ou non vocation à rester sur le territoire national à l'issue de leur peine. Aussi, j'essaie de mettre en place depuis un an la catégorisation des détenus en fonction de leur dangerosité : les plus dangereux iront dans des prisons de haute sécurité, très carcérales, et les autres, qui n'ont pas les mêmes moyens de corruption ou d'évasion, auront besoin de moins de sécurité et iront dans des établissements moins carcéraux.
Aujourd'hui, quelle que soit la prison, le coût de la place est de 500 000 euros, mais toutes les prisons n'ont pas besoin de miradors. Par exemple, sur les 86 000 détenus de France, 16 000 sont en prison pour des délits routiers n'ayant pas entraîné de blessure ou de mort. Ces détenus n'ont pas vocation à être dans le même établissement que, disons, Mohamed Amra. Cela nuit au bon travail des agents pénitentiaires, à leur formation, mais aussi à la réinsertion et au suivi des addictions des détenus. La politique pénitentiaire que je porte vise donc la catégorisation des détenus, comme le font nos amis britanniques et allemands, ce qui permet de catégoriser les prisons.
Cela explique la construction des prisons de haute sécurité pour les détenus les plus dangereux. Quant aux détenus qui ne sont pas dangereux pour l'extérieur, car ils n'appartiennent pas à un réseau corruptif, ne commandent pas un point de deal et ne font pas partie d'une organisation terroriste, ils peuvent correspondre au profil des prisons modulaires.
La prison modulaire n'est pas une prison en kit, elle est bien en béton. Elle présente deux grands avantages. D'abord, elle est petite, elle ne compte que 100 à 150 places, contrairement à une maison d'arrêt, qui en compte 600 à 800, ce qui est très dur à faire accepter dans les territoires. Au total, 3 000 places seraient créées, pour 550 millions d'euros. Ensuite, elle est fabriquée en usine avant d'être assemblée, ce qui fait gagner deux ans sur les sept années de construction. Comme il n'y a besoin ni de miradors, ni de douves, ni de très hauts murs d'enceinte, le coût de la place baisse, de 500 000 euros à 200 000 euros, et ce, grâce à la catégorisation des détenus.
De son côté, la construction de la prison de haute sécurité de Saint-Laurent-du-Maroni durera quatre ans, parce qu'elle nécessite plus de « carcéralité ».
S'agissant des cités judiciaires, à ce jour, neuf projets dont été présélectionnés. À Marseille, le projet, d'un montant de 360 millions d'euros, regroupera cinq services actuellement répartis dans cinq endroits différents de la ville, ce qui pose des problèmes de lisibilité, de sécurité et d'accès. Le pôle correctionnel du tribunal de Marseille est vétuste ; la pluie coule à l'intérieur.
Le coût de la construction de la cité judiciaire de Bobigny s'élèvera à plus de 300 millions d'euros. À Meaux, le projet est évalué à 60 millions d'euros ; à Cusset, à 35 millions d'euros ; à Bonneville, à 20 millions d'euros ; à Chartres, à 50 millions d'euros ; à Dieppe, à 10 millions d'euros ; à Mâcon, à 10 millions d'euros ; à Valence, à 4 millions d'euros.
Le nouveau tribunal de Lille est un exemple typique de dysfonctionnement du ministère de la justice. On y a construit un nouveau tribunal, mais il est trop petit, il faudrait en construire un autre pour le pôle civil ! Évidemment, nous allons plutôt louer des locaux, mais c'est une démonstration de mauvaise organisation.
M. Vogel a tout à fait raison. Certains projets de prison n'attendent plus que la signature de la direction du budget. Tout est prêt, sauf l'argent. Quatre prisons sont ainsi en attente, la plus symbolique étant celle d'Angers. Pour l'instant, au conseil d'administration de l'Apij, la direction du budget refuse de signer. Nous menons une discussion en lien avec le Premier ministre, afin de débloquer ces projets.
En outre, certaines prisons ne sont pas construites en raison du refus des élus, comme à Magnanville dans les Yvelines, ou dans le Val-de-Marne. Pourtant, l'Île-de-France est la région où la surpopulation carcérale est la plus élevée. D'autres projets sont par ailleurs freinés par des recours, qui entraînent des difficultés juridiques, comme à Muret.
Bref, plusieurs raisons expliquent que des prisons ne sortent pas de terre.
Toutefois, cet été, nous avons inauguré celles de Villenauxe, de Nîmes et des Baumettes 3, soit 1 500 places créées en une année, alors que tout était bloqué depuis de nombreux mois.
Pour avoir été maire moi-même, je sais que, si quelqu'un vient demander de l'argent à une collectivité territoriale pour implanter une entreprise qui crée 400 ou 500 emplois, les élus sont prêts à participer ! Depuis neuf ans que je suis ministre, je décentralise l'État. Je suis celui qui a le plus oeuvré en faveur de l'aménagement du territoire, tant au ministère des comptes publics qu'au ministère de l'intérieur. Beaucoup d'entre vous ont obtenu l'implantation de sites de la direction générale des finances publiques qui étaient auparavant à Paris. À chaque fois, les collectivités territoriales m'ont accompagné, par la mise à disposition de places en crèche ou de logements, ou par des financements en espèces sonnantes et trébuchantes. Le ministère de la justice est le seul qui ne demandait aucune participation des collectivités territoriales. Cette participation peut revêtir des formes très diverses. Ainsi, le maire de Meaux paie l'intégralité des aménagements et parkings liés au futur tribunal. À Cusset, la municipalité vend le terrain pour un euro symbolique. À Marseille, les collectivités territoriales - métropole, région, ville - participent à hauteur de 20 % des 360 millions d'euros.
Que les collectivités territoriales participent, toutes strates confondues, à 10 % du montant d'un projet ne me paraît pas déraisonnable. L'argent ainsi économisé par le ministère pourra financer tous les projets en attente. Vous êtes nombreux à me demander le réaménagement de vos prisons ou de vos palais de justice. Cette participation des collectivités territoriales n'est pas obligatoire, mais fortement incitée. Elle est le fait de tous, sans préférence politique. Ainsi, la mairie communiste de Dieppe a été la première à me répondre favorablement tandis que des élus du bloc central s'y refusent. En conséquence, Dieppe a été priorisée.
J'ai peu de moyens à ma disposition, mais si les parlementaires souhaitent augmenter les crédits du ministère de la justice, je ne m'y opposerai pas dans le débat parlementaire.
J'en viens à l'intelligence artificielle. Il est compliqué de parler de ce sujet à des agents quand leurs logiciels actuels sont si lents. Je pense notamment au logiciel TUTI, relatif aux tutelles, qui prend 30 secondes à se charger chaque fois que le greffier change de page.
Je remercie le sénateur Lefèvre d'avoir rappelé mon expérience. En effet, j'ai mis en place l'impôt à la source au ministère des comptes publics, avec un certain succès, tout comme la plainte en ligne au ministère de l'intérieur. Depuis un an et demi, 50 % des plaintes sont déposées en ligne alors qu'auparavant, tout le monde se déplaçait au commissariat ou à la gendarmerie. Le permis de conduire est aussi totalement dématérialisé. Le fautif perd ses points directement sur son permis. Il n'est plus possible d'accuser sa grand-mère !
Ces projets numériques doivent être suivis politiquement. Il faut aussi que des directions « métier » s'en occupent, plutôt que de laisser simplement des personnes apporter un logiciel qui, si intéressant soit-il, ne correspond pas aux besoins quotidiens.
Vous ne m'avez pas parlé de la PPN, ce qui prouve que les choses ont progressé dans un continuum entre forces de l'ordre, parquet et siège. Le logiciel Portalis pose encore problème. Je pense raisonnablement que nous verrons le bout du tunnel en 2026. Nous étions mal partis. Je serai moins dur sur le logiciel d'exécution des peines Prisme, expérimenté dans les tribunaux judiciaires de Thionville et de Bordeaux. Nous prenons le temps ; il sera généralisé en 2026 si la conclusion est positive.
Tout cela n'est pas une question d'argent, c'est un problème d'organisation du ministère. Je pense que c'est au secrétariat général de mener les projets numériques. Actuellement, ils le sont un peu par la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), un peu par la DSJ. Il faut un copilotage entre les ingénieurs et la direction « métier ». Je vous demande de me faire confiance, au regard des projets numériques que j'ai menés précédemment. C'est toujours très long, surtout quand c'est mal parti, mais nous n'allons pas tarder à voir le bout du tunnel.
Toutes les données de ces logiciels serviront la politique d'intelligence artificielle du ministère de la justice. J'appelle votre attention sur deux éléments très importants relatifs à cet enjeu au ministère de la justice : c'est à la fois une question de souveraineté et d'efficacité.
Face à l'utilisation de l'IA par les notaires, les avocats et les citoyens, on ne peut pas répondre uniquement par la hausse du nombre de greffiers ou de magistrats. Désormais, l'IA est capable de trouver, en quelques instants, une trentaine de motifs de nullité dans un dossier de 600 pages. Nous devons, nous aussi, travailler avec l'IA. L'an dernier, il n'y avait pas d'IA au ministère de la justice. Nous avons confié la première mission à ce sujet au directeur adjoint de l'ENM, qui m'a rendu ses conclusions. Désormais, 15 ETP sont consacrés à ce sujet.
Les magistrats utilisaient tout de même l'IA, de façon sauvage, en transmettant des données relevant du secret de l'instruction ou du secret des affaires à des outils comme ChatGPT, avec des références anglo-saxonnes n'ayant rien à voir avec notre droit napoléonien. L'IA peut servir le fonctionnement classique de la justice, par exemple pour une retranscription immédiate dans le cabinet du juge d'instruction, pour la lecture rapide de pièces afin d'éviter l'absence des signatures nécessaires, pour la synthèse des très nombreux documents d'un dossier volumineux, ou encore pour la rédaction d'un réquisitoire. Elle peut aussi servir l'administration pénitentiaire, pour mieux lutter contre les drones ou mieux sélectionner les repas des détenus.
Nous avons lancé plusieurs appels d'offres. De grandes entreprises françaises d'édition de livres juridiques sont désormais capables d'éditer des logiciels conversationnels, qui répondent à des questions de jurisprudence.
Nous devons bâtir un modèle français qui garantira, dans un cloud français, que le secret de l'instruction et le secret des affaires sont respectés, sans recourir à un serveur américain, israélien ou chinois, qui serait ensuite utilisé contre notre souveraineté. L'extraterritorialité, l'ingérence, voire l'espionnage, peuvent concerner le parquet national financier (PNF) lorsqu'il enquête sur de grands industriels français en concurrence avec de grands industriels américains. Nous devons faire attention à nos données.
L'IA concerne aussi, très concrètement, l'interprétariat. Nous avons tous constaté, en garde à vue ou au tribunal, qu'il fallait attendre l'arrivée du traducteur pour commencer. L'IA pourrait se charger de la traduction instantanée.
J'en viens à la question sur la poursuite de la trajectoire de la LOPJ. Dans la prochaine LOPJ, il faudrait inscrire au moins 5 000 à 6 000 nouveaux magistrats et au moins 3 000 à 4 000 agents pénitentiaires supplémentaires, ce qui inclut les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP), en comptant sur les innovations technologiques. J'espère que le Parlement et le Gouvernement y consentiront.
Madame Vérien, nous consacrons beaucoup de moyens à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineurs. Sans doute doit-on étudier davantage ce qui se fait ailleurs, notamment en Espagne. Mon anté-prédécesseur s'était opposé aux tribunaux spécialisés. Pour ma part, j'estime la question ouverte. Puisque ce n'est pas une criminalité organisée, il n'est sans doute pas nécessaire de créer un parquet national dédié, mais ce contentieux de masse pourrait être spécialisé. C'est déjà un peu le cas de la cour criminelle, puisque 85 % des affaires traitées sont des viols. Toutefois, les violences faites aux femmes sont plus diverses. Le 25 novembre, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, Mme Joly-Coz et M. Corbaux me remettront le rapport que je leur ai commandé sur ce sujet. Il en ressortira sans doute des propositions sur lesquelles nous pourrons travailler ensemble.
Dans le projet de loi pour une sanction utile, rapide et effective (Sure), je proposerai la fin de l'obligation d'aménagement de peine, donc, par principe, la possibilité d'effectuer de courtes peines. Il faut aussi utiliser toutes les peines substitutives à la prison ; d'ailleurs, la courte peine n'est pas forcément effectuée en prison. On dénombre encore 1 500 placements extérieurs non occupés, 11 000 bracelets électroniques non utilisés et un nombre de peines de travaux d'intérêt général (Tig) réalisées en baisse alors que l'offre de Tig augmente. Les magistrats ne souhaitent pas la surpopulation carcérale, mais parfois, leur seule façon de s'assurer de l'exécution de la peine qu'ils prononcent est de l'assortir d'un mandat de dépôt. Il faudrait créer une forme de mandat de dépôt des peines substitutives, pour garantir au magistrat que l'administration pénitentiaire les applique, qu'il s'agisse du bracelet électronique, du placement extérieur ou du Tig. Nous en reparlerons lors de l'examen du projet de loi Sure. Je suis favorable à une expérimentation sur les courtes peines, en la ciblant dans des territoires équipés de l'immobilier adapté.
Nous reparlerons des 225 euros des avoués avec les avocats, monsieur Lefèvre. Je suis favorable à ce que cet argent aille à l'aide juridictionnelle.
J'ai moi-même déclaré que j'étais désormais dubitatif sur les centres éducatifs fermés. J'ai commandé un rapport d'inspection qui indique que peu d'enfants sont concernés, sur le nombre de mineurs délinquants, et que les CEF sont plus efficaces lorsqu'ils sont gérés par des associations que lorsqu'ils le sont par l'État lui-même. Le nouveau directeur de la PJJ, M. Lesueur, travaille à une proposition. Il pourrait s'agir d'y mettre fin et d'aller vers d'autres dispositifs, avec l'armée ou l'éducation nationale. Les enfants en CEF ont paradoxalement moins d'heures de cours que les autres - huit heures hebdomadaires en moyenne -, alors qu'ils en ont davantage besoin. Faute de statut spécifique de professeur en CEF, l'enfant doit attendre plusieurs mois avant d'en avoir un. La politique des CEF est peu efficace alors qu'elle reçoit beaucoup de moyens.
M. Guy Benarroche. - Nous accueillons tous favorablement l'augmentation du budget de la justice dans ce PLF, tout en étant conscients que c'est un rattrapage progressif, pour une fonction régalienne laissée trop longtemps à l'abandon. Il faut renforcer tous les corps de métier, qui sont en sous-effectif. Trop peu d'ajustements sont réalisés après évaluation et, de plus, les mécanismes d'évaluation sont trop superficiels ou trop imprécis. On a parfois du mal à s'assurer du bon emploi de nos ressources, sauf à mener des missions parlementaires.
Après mes visites régulières, que l'on peut qualifier, comme vous l'avez fait, monsieur le garde des sceaux, de voyeurisme carcéral, auprès du CEF de Marseille ou de l'établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) La Valentine, je dresse un constat clair : cela coûte cher pour des résultats mitigés. Vous le dites ; nous le disons ; la Cour des comptes et l'Assemblée nationale le disent. En commission, nos collègues députés socialistes ont fait adopter un amendement visant à suspendre le plan de construction des CEF afin d'en réorienter les moyens, en particulier vers la PJJ. Lors de l'examen de cette mesure au Sénat, la défendrez-vous ?
Lors d'une réunion du conseil de juridiction à laquelle j'ai assisté vendredi dernier à Marseille, a été abordée la question de la prise en compte des victimes. En commission, les députés ont adopté un amendement écologiste de soutien aux associations venant en aide aux femmes victimes d'infractions pénales. Quelle est la position du Gouvernement sur cette mesure qui abonde de 2 millions d'euros les crédits de l'aide aux victimes ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Louis Vogel a dressé un constat sur la surpopulation carcérale que nous partageons tous. Monsieur le garde des sceaux, j'ai l'impression que vous faites de la régulation carcérale sans le dire. Vous refusez de prononcer ce terme, pourtant, vous avez organisé des rencontres avec l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale pour éviter que la surpopulation carcérale ne soit intenable pendant l'été dernier. Les parquetiers ont eu le sentiment que le Gouvernement, ne voulant pas assumer cette responsabilité, la leur faisait porter.
La course à la construction est assez vaine. Elle ne réduira pas la surpopulation.
La seule peine considérée comme certaine est la peine de prison avec mandat de dépôt. Pourtant, c'est aux parquetiers de s'assurer de l'exécution de la peine prononcée. Quelque chose ne fonctionne pas. Le pouvoir, quel qu'il soit, doit faire face à la réalité et assumer qu'il faut développer des alternatives : vous le dites vous-même.
Vos propos paraissent donc contradictoires ; je vous encourage à abandonner ce double discours. Cessez de bannir le terme de « régulation carcérale ». Lisez plutôt l'excellente proposition de loi visant à instaurer un mécanisme contraignant de régulation carcérale, que j'ai déposée avec Laurence Harribey.
On a évoqué le retour du droit de timbre en procédure civile - il est bien plus coûteux en appel : 225 euros. Monsieur le garde des sceaux, vous préparez un décret baptisé Rivage qui a vocation à réduire l'accès à la justice, à défaut de pouvoir répondre aux besoins. Vous voulez limiter, voire supprimer, la possibilité de faire appel et rendre la médiation obligatoire dans un nombre accru de procédures, ce qui n'est pas simple, car il faut des médiateurs, qui peuvent être payants. Ce décret traduit un état d'esprit selon lequel, quand on n'arrive pas à faire face au stock, on réduit le flux.
Enfin, je voudrais aborder la question de la suppression, par une décision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2025, du droit de visite des parlementaires en prison. Je connais votre réponse, mais je veux vous l'entendre dire devant l'ensemble de mes collègues. Il est nécessaire, avant avril 2026, de réécrire l'article 719 du code de procédure pénale pour que ce droit soit maintenu. Vous m'avez affirmé en privé vouloir vous en assurer dans le projet de loi Sure, mais nous n'en connaissons pas le calendrier d'examen. Une de mes propositions de loi réglant ce problème pourrait être votée rapidement par tous mes collègues.
M. Pierre-Alain Roiron. - L'attractivité de la PJJ est faible. Le taux de vacance des postes d'éducateurs y atteint 7 %. La crise est grave. En moyenne, 20 % des agents qui travaillent à la PJJ sont contractuels. Que prévoyez-vous pour y remédier ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - S'il est défendu au Sénat, j'émettrai un avis favorable sur l'amendement socialiste imposant un moratoire sur les CEF. C'est l'objet même de ma réflexion et de l'inspection que j'ai demandée aux services. Il faudra savoir si ce moratoire inclut les CEF en chantier - je pense à ceux de Chalon-sur-Saône et La Rochelle -, qui doivent pouvoir être livrés.
Il faut des moyens pour la PJJ. Distinguons toutefois les EPM, comme La Valentine, des CEF. Il faut travailler, sur le modèle des établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide) ou des régiments du service militaire adapté (RSMA), entre éducation nationale, armées et ministère de la justice. La PJJ doit être mieux accompagnée et compter moins de contractuels. La réforme de l'école nationale de la PJJ est également un élément important. Je suis favorable au redéploiement des moyens des CEF auprès des agents de la jeunesse de notre ministère. La création actuelle de postes est un bon signe.
Certaines subventions aux associations de victimes relèvent d'autres ministères, dont celui de Mme Bergé. Dans le PLF pour 2026, le seul ministère de la justice consacre 17 millions d'euros aux associations de victimes de violences intrafamiliales, comme en 2025. Ce montant était de 16 millions d'euros l'année précédente. Il n'y a pas de baisse de crédits au ministère de la justice. Il se peut, en revanche, que les crédits aillent à des associations nouvelles.
Madame de La Gontrie, vous affirmez - accusation piquante - que j'aurais un double discours. Je m'étonne de votre changement de point de vue, selon que vous êtes ou non dans la majorité gouvernementale.
La surpopulation carcérale est un drame, tant pour les détenus que pour les agents. On dénombre 6 000 matelas au sol. Je ne m'en satisfais absolument pas. Une partie de cette surpopulation est liée à notre retard collectif dans la construction de prisons. Pendant le quinquennat de François Hollande, aucune construction n'a été décidée et les seuls établissements inaugurés à cette époque sont ceux qui avaient été lancés par son prédécesseur. En revanche, il y a eu 9 000 détenus supplémentaires sous son mandat. Il me semble même que Mme Taubira avait annulé la création de places voulues par ses prédécesseurs.
Ensuite, si le plan « 15 000 » n'a pas été à la hauteur, au moins, l'intention était là.
J'assume de mener la politique pénale du ministère de la justice. C'est même un pouvoir qui m'est garanti. Oui, j'ai donné des orientations ; ce sont les mêmes depuis un an. J'ai demandé aux parquets de requérir des peines de prison ferme dans trois domaines : le narcobanditisme ; les violences faites aux femmes et aux enfants ; les violences contre la République, qu'il s'agisse d'actes homophobes, antisémites, antireligieux ou attentatoires aux élus. Pour le reste, sauf cas individuel apprécié par le parquetier, je demande de ne pas requérir de peine de prison. L'été dernier, j'ai réuni, nationalement et localement, l'ensemble des branches du ministère. Je leur ai dit que je continuais à lire dans la presse locale, en l'occurrence dans La Voix du Nord, que des procureurs de la République requéraient des peines de prison ferme dans d'autres domaines que ceux que j'ai fixés. On me répond : « Fermeté ! ». Je trouve que la fermeté est formidable, mais ce n'est pas ce que j'ai demandé ! On ne peut pas me demander de régulation carcérale alors que l'on n'applique pas mes orientations. Je vous ai déjà parlé des bracelets électroniques et des placements extérieurs disponibles, mais en plus, cet été, la moitié des places de semi-liberté étaient vacantes ! Je me suis permis de dire à tous que je ne prendrais pas de mesure de régulation carcérale pour vider les prisons si les alternatives à l'incarcération n'étaient pas utilisées.
Le nombre de détenus augmente parce que le quantum moyen des peines prononcées par les juges a augmenté. En 1981, quand M. Mitterrand a été élu président de la République, il était de quatre mois. En 1995, à son départ, il était de neuf mois. En 2017, lorsque M. Macron a été élu, il était de onze mois. L'an dernier, il approchait les quatorze mois.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Et on dit que la justice est laxiste !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - La justice n'est pas laxiste. Sous la présidence d'Emmanuel Macron, le nombre d'années de prison prononcées par an est passé de 94 000 à 122 000. Mais une peine de prison sur deux n'est jamais effectuée, contre une sur cinq quand M. Mitterrand était président de la République. M. Perben, Mme Dati, Mme Taubira, Mme Belloubet, M. Dupond-Moretti : chacun a renforcé les aménagements de peine. Or, plus ceux-ci étaient rendus obligatoires, plus les magistrats augmentaient les quantums de peine. Je suis très solidaire de mes prédécesseurs, mais l'aménagement de peine obligatoire ne fonctionne pas. Supprimons-le ! Cette obligation va profondément à l'encontre de l'indépendance du magistrat. Le code pénal dispose à la fois que l'auteur de telle ou telle infraction encourt une peine de six mois de prison et que pour une telle peine, nul ne va en prison ! C'est objectivement très difficile à comprendre.
Il ne faut pas réduire le nombre de personnes qui entrent en prison, mais le nombre de jours qu'elles y passent. Beccaria l'a dit : « Ce n'est point par la rigueur des supplices qu'on prévient le plus sûrement les crimes, c'est par la certitude de la punition ».
En revanche, la régulation carcérale, ce n'est pas demander au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge de l'application des peines, de requérir une peine substitutive ou de laisser les gens en prison. La régulation carcérale, c'est ce que l'on a fait, par exemple, pendant la pandémie de covid-19. Cela répondait à des difficultés propres à la crise sanitaire, mais le fait de remettre en liberté un sixième, un cinquième, voire un quart des détenus a-t-il amélioré la situation ? Pas du tout, car il s'agissait de sorties sèches !
La régulation carcérale telle que vous la demandez et telle que l'a proposée le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui est un ami mais dont je ne partage pas les conclusions, n'est rien de moins qu'une sortie sèche ! Or, nous savons tous que les sorties sèches encouragent la récidive.
Je suis bien sûr très favorable à ce que des peines alternatives soient prononcées lorsque le cas s'y prête, qu'il s'agisse de Tig, s'ils sont bien encadrés, du port d'un bracelet électronique si son porteur n'est pas susceptible de frapper sa femme en rentrant chez lui, ou encore d'un placement extérieur si les associations font bien leur travail. La peine de prison ne doit pas être systématique. En revanche, lorsque le juge prononce une peine de prison, celle-ci doit être effectuée sans qu'il soit obligé d'augmenter le quantum de peines pour s'en assurer.
Nous ne sommes pas très loin d'être d'accord, madame de La Gontrie. Nous aurons l'occasion d'en discuter lors de l'examen de la loi Sure. Vous verrez alors que la philosophie que je porte, c'est surtout de redonner de la latitude aux magistrats pour qu'ils fassent baisser le quantum de peine. Je ne proposerai pas de toucher aux infractions du code pénal.
Enfin, je prendrai le temps de vous répondre sur le projet de décret Rivage, car peu de gens parlent de la politique civile, qui est pourtant essentielle pour nos concitoyens. J'ai publié l'été dernier deux décrets très importants consistant à placer l'amiable au premier rang lors d'un procès civil et qui ont été correctement accueillis par la profession d'avocat. La culture française veut qu'il y ait un perdant et un gagnant et donc un procès, alors que tous nos voisins cherchent à trouver un compromis. Cela vaut tant en matière correctionnelle qu'en matière civile.
Du reste, le divorce par consentement mutuel est une forme de règlement amiable que nous avons mis à la disposition des avocats. Peut-on pratiquer des formes de règlements à l'amiable dans d'autres domaines que les affaires familiales ? Sans doute : comme je l'ai mentionné précédemment, 50 % des affaires civiles concernées par les décrets que j'ai pris aboutissent à un accord sans avoir besoin d'être présentées devant le juge. C'est une question non pas de moyens, mais de procédure : comme le dit le dicton populaire, un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès.
Le projet de décret Rivage porte sur un autre sujet. L'un de ses objets est en effet de favoriser l'amiable et la conciliation, mais ce n'est pas le seul. Là encore, ce n'est pas une question de moyens : ce décret concerne 12 500 dossiers par an sur des centaines de milliers d'affaires civiles. Je précise d'ailleurs qu'il doit faire l'objet d'une concertation avec la profession d'avocat et n'a pas encore été envoyé au Conseil d'État.
Actuellement, le droit civil oblige le magistrat en appel à instruire un recours, avec le concours d'un avocat - peut-être est-ce là le problème -, même si l'appel a été déposé hors délai. Tout le monde sait qu'il sera donné tort au requérant in fine, mais on continue malgré tout d'emboliser les cours d'appel. Le projet de décret Rivage prévoit que, dans 12 500 dossiers par an, le magistrat peut refuser un recours s'il est manifestement irrecevable.
Il n'est en aucun cas question de priver le requérant de l'appel en matière civile. D'ailleurs, si je puis me permettre, madame de La Gontrie, le droit d'appel ne figure pas dans le code civil. Il est un droit en matière pénale, mais il n'est qu'une option, certes nécessaire, en matière civile, et non un principe général du droit. Le législateur ne l'a jamais souhaité ainsi.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas dit cela...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Le périmètre du projet de décret Rivage exclut la quasi-intégralité des contentieux qui ont, si je puis dire, une portée sentimentale. Je pense bien sûr aux affaires familiales, mais aussi, par exemple, aux problèmes avec des locataires dans le domaine de l'immobilier. Il ne concerne que très peu de cas du champ du droit civil.
Prenons l'exemple d'un contentieux qui embolise les tribunaux et représente 30 % des contentieux d'une cour d'appel comme celle de Lyon : le contentieux entre la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et l'État pour savoir si un enfant doit être ou non accompagné par un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH). Si la MDPH dit non et que l'État fait appel, il faut, en moyenne, quatre ans pour qu'un jugement soit prononcé en appel. Autant dire que l'enfant a alors quitté l'établissement où il aurait eu besoin d'un AESH... Voilà le genre de situations un peu absurdes qui mériteraient qu'un appel formulé hors délai ne soit pas examiné.
Ceci étant dit, vous avez parfaitement raison, des interrogations, des doutes ont été formulés que je veux écarter. Nous allons donc nous concerter avec la profession d'avocat, qui a l'impression que les réformes des dernières années n'ont pas donné les résultats qu'avait promis la Chancellerie, notamment les décrets du 3 juillet 2024 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et relatif aux professions réglementées et du 8 juillet 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, dits décrets Magicobus. Je suis prêt à en discuter.
Toutefois, entre nous, madame de La Gontrie, la protection du justiciable ne consiste pas à lui promettre qu'il obtiendra un appel s'il prend un avocat, puisque dans 97 % des cas que j'ai évoqués, au moment où le juge statue, il rejette l'appel qui n'a plus de pertinence. Le projet de décret Rivage ne va donc pas révolutionner le monde. Vous me demandez combien de temps il nous fera gagner ; il nous fera gagner l'équivalent de quarante magistrats, ce qui est à la fois beaucoup et peu. Encore une fois, si ce projet de décret n'obtient pas le soutien de la profession d'avocat - notamment pour des raisons compréhensibles de modèle économique, car il est aussi question de cela -, je ne le déposerai pas en l'état.
Oui, je serai favorable à votre proposition de loi visant à garantir le droit de visite des lieux de privation de liberté des parlementaires et des bâtonniers si elle est inscrite à l'ordre du jour du Sénat, mais ce n'est pas moi qui en décide. Si ce n'est pas le cas, je l'intégrerai, en citant bien sûr ses auteurs, au projet de loi Sure.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Chiche !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Cela figure déjà dans le projet de loi.
Du reste, l'article L. 111-1 du code pénitentiaire autorise le garde des sceaux à visiter quand il le souhaite n'importe quel lieu dépendant de son administration, mais j'ai cru comprendre que vous lui refusiez ce droit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'ai eu peur !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Enfin, je partage la grande détresse des agents de la protection judiciaire de la jeunesse, qui rencontrent des difficultés à exercer leur métier face à une jeunesse à la fois plus violente et plus souvent victime, malgré un manque de moyens et de reconnaissance. Sans doute est-ce celle des administrations dont j'ai la charge qui est le plus en difficulté. C'est pourquoi j'ai nommé un nouveau directeur et je prendrai des dispositions très fortes en début d'année prochaine.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, d'avoir bien voulu répondre à nos questions.
Ces débats évoquant de nombreux souvenirs chez les vieux avocats qui siègent dans cette commission, je me permettrai de formuler quelques observations.
Tout d'abord, je rappelle qu'il fut un temps où, lorsque l'on assignait devant le tribunal d'instance - qui n'existe plus -, on assignait aux fins de conciliation, puis de jugement. Je vois d'anciens confrères opiner du chef. Il existe toujours des conciliateurs, devant lesquels le juge renvoie souvent les parties avant de les entendre en vue de trouver un accord à l'amiable. Les procédures à l'amiable ont toujours existé.
Ensuite, si l'appel n'est pas un droit en tant que tel, le double degré de juridiction est un acquis de longue date. Il me semble que c'est à cela qu'il était fait allusion, plutôt qu'à un droit de faire appel à proprement parler.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 h 10.