- Mardi 25 novembre 2025
- Mercredi 26 novembre 2025
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2026 - Crédits relatifs au logement de la mission « Cohésion des territoires » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Énergie »
Mardi 25 novembre 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 05.
Audition de M. Vincent Jeanbrun, ministre de la ville et du logement
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui, pour la première fois depuis sa nomination le 12 octobre dernier, le ministre de la Ville et du Logement, Vincent Jeanbrun.
Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue dans notre enceinte. Vous trouverez toujours, au sein de notre commission, des relais avisés et engagés sur les questions de logement et de politique de la ville.
Vous disposez d'un ministère de plein exercice, c'est une rupture et un signal que nous saluons : des marges de manoeuvres politiques sont indispensables pour peser au niveau interministériel, car le Logement et la Ville sont malheureusement trop souvent appréhendés, à tort, sous le seul prisme des dépenses.
L'an dernier, notre commission avait salué une véritable inflexion en faveur du logement au sein du projet de loi de finances, sous l'impulsion de Valérie Létard. Je pense notamment à la réduction de 200 millions d'euros de la réduction de loyer de solidarité (RLS), à la généralisation du prêt à taux zéro dans le neuf ou encore à l'exonération de droits de succession pour les dons dans le cadre familial permettant l'acquisition d'une résidence principale.
Cette année, le Gouvernement semble prendre le chemin inverse en augmentant les prélèvements pesant sur les bailleurs sociaux à hauteur de 500 millions d'euros, dont 200 millions de RLS. Cette dernière est une ponction improductive, dont notre commission dénonce les effets depuis sa création en 2017. Car les bailleurs sociaux sont des acteurs indispensables de la relance de la production de logements.
Or, pour cela, ils doivent disposer de marges de manoeuvre suffisantes et ce n'est pas le cas dans la situation budgétaire actuelle. L'édition 2025 de l'étude « Perspectives du logement social » de la Banque des territoires, dont les travaux font référence dans le secteur, est édifiante à ce sujet. Elle rappelle que les bailleurs sociaux ne pourront pas maintenir un haut niveau de production de logements tout en investissant massivement dans la réhabilitation, sauf à éroder progressivement leurs fonds propres et à créer un ralentissement de la production à compter de 2035.
En ce qui concerne le parc privé, notre commission défend depuis de nombreuses années une revalorisation de l'investissement locatif par la création d'un véritable statut du bailleur privé. Comme je le répète souvent, il est temps de ne plus voir les propriétaires comme des profiteurs d'une rente, mais comme des contributeurs essentiels à la vie économique et sociale de notre pays. On ne dort pas dans un PEA ! Notre défi est de trouver une voie de conciliation entre l'efficacité de cette mesure pour la relance de l'investissement locatif, à travers des taux suffisamment incitatifs, et la nécessaire maîtrise de nos finances publiques. Monsieur le ministre, la position du Gouvernement a-t-elle évolué sur ce statut du bailleur privé à l'aune des débats à l'Assemblée nationale ?
Outre l'investissement locatif, la relance de l'accès à la propriété est une urgence sociale, mais aussi politique. Je dis souvent que débloquer les parcours résidentiels est indispensable pour relancer la mobilité sociale et éviter d'alimenter un sentiment de déclassement et d'assignation à résidence, dont les effets sur l'échiquier politique peuvent être dévastateurs. Monsieur le ministre, quelles mesures le Gouvernement entend-il porter pour redonner aux ménages l'espoir d'accéder à la propriété ? Le Gouvernement est-il favorable à l'ouverture du prêt à taux zéro (PTZ) aux logements acquis en bail réel solidaire (BRS) ? La revente de ces logements pose parfois un problème, quand elle n'est pas éligible au PTZ : les bailleurs se retrouvent avec des logements difficiles à revendre.
Voilà, Monsieur le ministre, les sujets sur lesquels je souhaitais vous interroger en priorité. Je vous laisse désormais la parole pour un propos introductif avant que mes collègues ne prennent le relais avec leurs questions, en particulier Amel Gacquerre, rapporteure pour avis sur les crédits logement et Viviane Artigalas, rapporteure pour avis sur les crédits de la politique de la ville.
M. Vincent Jeanbrun, ministre du logement et de la ville. - Merci pour vos mots d'introduction, ils disent très bien la situation du logement dans notre pays - elle se résume en deux mots : une crise grave. Aussi, dans ce débat budgétaire, avons-nous collectivement, Gouvernement et Parlement, un devoir plus qu'une mission : celui de répondre à cette crise du logement.
Ce n'était pas arrivé depuis longtemps, mon ministère recouvre et rassemble le logement et la politique de la ville : c'est un signal fort qu'a souhaité envoyer le Premier ministre, et je m'en réjouis. Cela doit nous permettre d'avoir des marges de manoeuvre pour être plus efficaces encore, notamment sur les questions de rénovation urbaine, qui sont à la conjonction du logement et de la politique de la ville. Il ne s'agit pas, comme je l'ai entendu, d'avoir le logement au détriment de la politique de la ville, ou l'inverse : c'est bien l'ensemble de ces politiques publiques qui bénéficieront du plein et entier engagement du ministre et de toutes ses équipes.
Je sais que vous êtes particulièrement attentifs, ici au Sénat, à la défense des budgets de la politique de la ville. Notre engagement se manifeste notamment par le fait que nous avons d'ores et déjà porté la réforme des zones franches urbaines (ZFU) en quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). C'est désormais inscrit à l'article 12 du projet de loi de finances pour 2026, ce qui est une très bonne nouvelle. Les ZFU dans tous les quartiers prioritaires constituent une première avancée majeure. Côté logement, il y a la création du statut du bailleur privé ; nous y reviendrons.
C'est ma façon de vous répondre, Madame la présidente. Vous me demandiez quelles étaient les évolutions voulues par le Gouvernement entre la première copie de ce budget - qui était un peu dure, disons-le - et la version actuelle. Mon ministère a obtenu un premier statut de bailleur privé, c'est le fruit d'un compromis qui a le mérite d'exister et je ne doute pas que le Sénat saura l'améliorer avec le talent, le brio et le sérieux budgétaire qui le caractérisent, car nous sommes ici dans une maison sérieuse : je suis sûr que nous parviendrons à un statut du bailleur privé de qualité, ce qui est très attendu.
Cette audition est dédiée à la seconde partie du PLF, particulièrement aux quatre programmes de la mission « Cohésion des territoires » : les programmes 109, 135, 177 et 147. Je tiens à saluer et à remercier les directeurs d'administration centrale pour leurs travaux et leur accompagnement quotidien, en particulier la Direction générale des collectivités locales (DGCL), l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL). Leurs services concourent en synergie à la continuité de l'État, à la satisfaction de l'intérêt général et à la mise en oeuvre de la feuille de route confiée par le Premier ministre. Il me semble important de le rappeler dans le contexte d'instabilité politique qui est le nôtre. Je remercie donc tout particulièrement Cécile Raquin, directrice générale des collectivités territoriales, Damien Botteghi, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, et son adjointe Marie-Laure Van Qui. Je remercie également Jérôme D'Harcourt, délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement, avec qui j'étais ce matin pour visiter un lieu d'accueil des femmes victimes de violences, ainsi que Corinne de La Mettrie, directrice générale déléguée politique de la ville de l'ANCT. C'était l'occasion pour moi de les remercier pour leur présence et de permettre à chacun de bien les identifier.
Ma feuille de route est claire : achever le nouveau programme de rénovation urbaine. Il s'agit d'assurer le suivi et la mise en oeuvre des 43 mesures du Comité interministériel des villes (CIV), de relancer l'offre de logement - le neuf comme l'ancien - et de fluidifier le recours au parc d'hébergement, mission très complexe. La méthode est claire : s'appuyer sur les travaux initiés en amont, notamment par mes prédécesseurs - Valérie Létard a ouvert la voie sur de très nombreux dispositifs - et par les parlementaires, en particulier par le Sénat, ils sont une mine d'informations et d'idées pour une politique de relance, que ce soit pour le logement - particulièrement celui des jeunes et des jeunes actifs - ou sur les enjeux de la politique de la ville. Ma méthode ne consistera donc pas à faire une grande « loi Jeanbrun », mais d'aller chercher les bonnes idées là où elles se trouvent, c'est-à-dire auprès de ceux qui connaissent bien le terrain et font remonter des propositions intelligentes.
C'est dans cet esprit que je souhaite rassembler ce que j'appelle un « plan logement », qui n'est pas un projet de loi unique, mais le catalogue de toutes les mesures intelligentes à défendre dans les deux assemblées parlementaires. J'ai cru comprendre, Madame la présidente, qu'une proposition de loi très riche, signée de votre main, initiera prochainement des mesures en faveur du logement : vous pouvez compter sur moi pour accompagner cette démarche.
Le logement est un enjeu économique, social et humain. Économique, parce qu'il représente une part importante de l'activité nationale, et qu'une politique ambitieuse du logement rapporte aux deniers de l'État. On a parfois du mal à le faire entendre, mais une partie de nos déficits s'explique par un manque de soutien au logement - l'investissement dans ce secteur a un effet levier, il faut le rappeler et faire de la pédagogie. Les politiques du logement sont aussi une façon de soutenir la construction et l'artisanat, qui en ont grand besoin : avec une politique ambitieuse du logement, il y a une politique ambitieuse pour l'emploi.
La politique du logement est un enjeu social, ensuite, parce que le logement reste un besoin vital. Je fais très volontiers mienne votre phrase, Madame la présidente : « on ne dort pas dans son PEA », j'aime son humour, mais aussi la façon dont elle indique le chemin que nous devons emprunter. En effet, nous devons faire en sorte que les Français qui ont un petit bas de laine le sortent de la banque pour investir dans la pierre et donc aident à construire un toit pour des Français qui en ont besoin. C'est un enjeu fondamental, car l'absence de logement décent est la première cause de précarité dans notre pays. Nous devons construire du logement et, mieux, le construire au bon endroit et le rendre accessible à tous : c'est tout l'enjeu des politiques publiques liées au logement, et des outils nouveaux comme le statut de bailleur privé.
Dans la politique du logement comme dans la politique de la ville, nous n'oublions pas les outre-mer, qui ont des défis considérables en la matière.
Je crois aussi que nous devons recourir au triptyque décentralisation, clarification et simplification. Il faut rendre une grande partie de la politique du logement aux collectivités locales et, en particulier, aux maires la politique d'attribution des logements sociaux. Le maire que j'ai été pendant dix ans considère que nous devons pouvoir, en tant qu'élus locaux, rendre compte à notre population et participer activement à ce que l'on appelle de manière un peu trop technique la politique de peuplement. Les maires le disent, vous le savez parfaitement : ils veulent loger des habitants qui sont déjà sur leur commune ou leur agglomération, il faut le prendre en compte. Cependant, il faut être très clair : si l'on donne le quota préfectoral au maire, il faut lui donner tout le quota, y compris celui relevant du droit au logement opposable (DALO). Tous les maires avec qui j'en ai parlé m'ont dit avoir sur leur territoire des habitants relevant du Dalo et vouloir les loger - et il faut le reconnaitre : il est difficile de voir des habitants de la commune en situation très grave, qui attendent depuis longtemps, voir passer des personnes relevant du Dalo venues d'autres territoires. Je l'ai encore constaté lors du congrès des maires, les édiles attendent que la politique d'attribution leur soit confiée. Les propositions dans ce sens ne manquent pas, par exemple celle de Sophie Primas, avec sa proposition de loi visant à renforcer le rôle des maires dans l'attribution des logements sociaux - je vais m'en inspirer. Dans un autre registre, les rapporteures Amel Gacquerre et Vivianne Artigalas ont mené des travaux très importants, notamment sur les questions d'obligation de rénovation énergétique ou encore sur le recours au groupement momentané d'entreprises - cela fait partie des initiatives pertinentes que nous devons promouvoir et mettre en oeuvre le plus rapidement possible.
La simplification normative est également très importante, ainsi qu'un soutien actif aux logements sociaux. Vous avez raison, madame la présidente, la copie initiale du Gouvernement était à 1,3 milliard d'euros de RLS. La ministre des comptes publics a d'ores et déjà dit qu'un effort pourrait être fait et a évoqué le montant de 1,1 milliard, comme l'année dernière : c'est déjà un progrès notable, validé à l'Assemblée nationale.
Sur la politique de la ville, je commencerai par rappeler que la cohésion des territoires est au coeur de la promesse républicaine, notamment en matière d'égalité des chances. Enfant des quartiers prioritaires, j'ai toujours considéré que la Nation a le devoir de faire en sorte que, où que l'on naisse, l'on ait la même égalité des chances. C'est pourquoi je suis très heureux de porter la politique de la ville au sein de mon ministère. Les crédits consacrés à l'hébergement et à l'insertion - le programme 177 - demeurent à un niveau historiquement élevé pour 2026 et connaîtront même une augmentation. Celle-ci assurera le maintien du parc d'hébergement d'urgence généraliste et la montée en charge du deuxième plan quinquennal « Logement d'abord ». Je connais l'attachement du Sénat aux crédits de ce programme et la frustration qui a été la vôtre lors du précédent exercice budgétaire. Aujourd'hui, journée internationale pour l'élimination de la violence faite aux femmes, je rappelle que, selon le rapport de la délégation aux droits des femmes du Sénat, près de 3 000 femmes sans abri passent la nuit dans la rue. C'est inacceptable et nous devons collectivement trouver des solutions. Dans ces circonstances, la « sincérisation » des crédits dévolus à ce programme est un impératif.
Les aides personnelles au logement (APL) - le programme 109 - font l'objet d'une réduction maîtrisée, portée par deux mesures principales : le gel du barème et un recentrage du dispositif. Concernant le programme 135, il connaîtra une baisse significative. Concentré sur l'Agence nationale de l'amélioration de l'habitat (Anah) et le dispositif MaPrimeRénov', les engagements de l'agence seront toutefois stabilisés en 2026 par rapport à 2025. Cette stabilisation est rendue possible par une réduction des crédits budgétaires de l'État, qui s'accompagne d'une mobilisation accrue du produit de la vente des certificats d'économie d'énergie (CEE). Il y a donc une baisse faciale au niveau budgétaire, puisque nous allons chercher de l'extra-budgétaire à travers les CEE.
Les discussions sur le budget de l'Anah sont en cours, mais l'orientation est claire : donner de la visibilité à l'ensemble des acteurs en évitant le « stop-and-go » que nous avons connu l'année dernière et qui est délétère. L'idée est de recentrer les dispositifs de l'Anah sur les passoires énergétiques les plus dégradées et sur les foyers les plus modestes, afin d'aider en priorité ceux qui en ont le plus besoin - nous mobiliserons les mêmes moyens, mais en nous concentrant sur les foyers les plus en demande.
Le programme 147, relatif à la politique de la ville, bénéficie d'une légère progression, malgré la réduction des dispositifs spécifiques « Quartiers d'été ». Ce niveau de crédits nous permet de maintenir l'ensemble des autres dispositifs, comme les contrats de ville, les cités éducatives, les programmes de réussite éducative ou les adultes-relais, et d'augmenter significativement le financement de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Je profite de cette occasion pour évoquer le dispositif des maisons de l'enfance et de la réussite éducative (MeRe) initié par ma prédécesseure au ministère de la ville, Juliette Méadel.
Les crédits de cette mission traduisent une ligne d'équilibre : préserver les actions les plus structurantes tout en veillant à la soutenabilité des dépenses publiques. C'est un budget de responsabilité centré sur l'efficacité. Je connais le sérieux des sénateurs, en particulier celui du rapporteur général du budget, Jean-François Husson, pour préserver la trajectoire de réduction du déficit public au-dessous des 5 %, comme le demande le Gouvernement - la majorité des sénateurs viserait même 4,7 %... Le projet de loi de finances pour 2026 n'est donc pas un budget d'attente, c'est un budget d'action qui consolide les outils existants, tout en préparant les adaptations nécessaires aux enjeux démographiques, climatiques et sociaux.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs au logement. - Sans dévoiler l'avis que je présenterai demain à la commission sur les crédits « Logement », je souhaite vous interroger sur la rénovation du parc social, et vous alerter sur l'hébergement d'urgence.
La promesse d'octobre 2023 d'une enveloppe de 1,2 milliard d'euros sur trois ans en faveur de la rénovation énergétique du parc social n'a pas été tenue. Si l'an dernier, Valérie Létard avait obtenu le report de 200 millions gelés en 2024, il n'en est rien cette année. En ce qui concerne l'engagement de renouveau du bassin minier (ERBM), les crédits ne permettront que de liquider les restes-à-payer d'opérations antérieures. Monsieur le ministre, l'objectif de 12 000 logements financés au titre de l'ERBM, fixé en 2017, sera-t-il atteint ? D'après les données reçues dans le cadre de mes travaux, 9 500 logements ont été financés sur 2018-2024.
De manière générale, nous devons engager une réflexion sur le financement de la rénovation et la réhabilitation du parc social. Dans le scénario central de l'étude « Perspectives du logement social » évoqué par notre présidente, en dépit des investissements massifs alloués à la réhabilitation, seuls 60 % du parc seraient en conformité avec la stratégie nationale bas carbone à horizon 2050. À l'heure où l'État s'est désengagé du Fonds national des aides à la pierre (Fnap), dont la pérennité financière n'est assurée que par l'abondement des bailleurs sociaux, et où le dispositif « Seconde vie » deviendra moins avantageux dès la fin 2026, avec une exonération de taxe foncière qui passera de 25 ans à 15 ans, quel est l'avenir de nos politiques publiques en faveur de la rénovation du parc social ?
Ensuite, Monsieur le ministre, je vous alerte sur les crédits dédiés à l'hébergement d'urgence, qui sont systématiquement et délibérément sous-dotés en loi de finances. L'actuel projet de loi de finances de fin de gestion prévoit l'ouverture de 120 millions d'euros, témoignant de ce pilotage budgétaire insécurisant - et même dangereux, car notre configuration politique ne nous assure pas du tout de l'adoption de ce texte. Près de 900 sans-abris sont morts dans la rue en 2024, et parmi eux 34 enfants : assurer la sincérité budgétaire du programme est donc le strict minimum et le préalable à toute augmentation du parc. Avec Nadia Sollogoub, nous tenons à vous alerter sur ce sujet majeur pour notre société.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis sur les crédits de la politique de la ville. - J'ai présenté mercredi dernier à la commission mon avis sur le programme 147 dédié à la politique de la ville. Constatant que les grands dispositifs spécifiques de la politique de la ville, comme les cités éducatives, le programme de réussite éducative ainsi que les adultes relais seraient préservés, et que l'Anru serait dotée de 66 millions d'euros de crédits supplémentaires, j'ai émis un avis favorable. Néanmoins, les quartiers d'été paient le prix de ces évolutions. Ils ne seraient plus dotés que de 5,1 millions d'euros en 2026 : doit-on craindre la suppression du dispositif à terme, à l'heure où les colos apprenantes du programme 163 « Jeunesse et vie associative » sont également supprimées ?
Enfin, malgré la hausse bienvenue cette année, j'ai appelé à la plus grande vigilance sur le rattrapage du retard accumulé par l'État dans le financement de l'Anru. Car l'État n'a versé qu'à peine plus de 10 % des montants promis. Monsieur le ministre, êtes-vous en mesure de vous engager devant nous à une accélération des paiements de l'État, compatible avec le rattrapage de son retard ? Un montant d'au moins 250 millions d'euros serait nécessaire l'an prochain. Surtout, lorsque les conclusions du rapport de préfiguration par Philippe Van de Maele auront été remises, avons-nous l'assurance d'un troisième programme de renouvellement urbain ? Je rappelle que cela nécessite une loi. Il est indispensable de faire cela rapidement, et avant les présidentielles de 2027, si nous voulons éviter toute latence entre programmes.
J'en viens à l'hébergement d'urgence. Le 25 novembre est la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Chaque année, des milliers de femmes quittent leur domicile pour échapper aux violences conjugales. Faute de solutions adaptées, elles sont trop souvent envoyées à l'hôtel avec leurs enfants dans des conditions indignes, dangereuses, coûteuses pour l'État et contre-productives.
Face à ces situations humaines inacceptables, comment le Gouvernement compte-t-il garantir que les 110 millions d'euros supplémentaires du projet de loi de finances pour 2026 financeront enfin des dispositifs dignes, tels que des hébergements spécialisés et sécurisés ? Des projets existent dans les territoires, mais aussi de véritables parcours de sortie de l'hôtel et un accès effectif au logement social : il faut les promouvoir, qu'en dites-vous ?
M. Vincent Jeanbrun, ministre. - Madame la rapporteure Gaquerre, je porte un grand intérêt au monde du logement social et particulièrement à sa capacité à se rénover, notamment sur l'aspect énergétique, qui est fondamental pour faire baisser les charges et les loyers des locataires.
Nous envisageons de proposer aux bailleurs sociaux, au-delà des enjeux de baisse de la RLS qui leur redonnent un peu de souffle, 400 millions d'euros de CEE dans le cadre de programmes sécurisés, soit 200 millions supplémentaires que l'an dernier. Sur ces 200 millions supplémentaires, 40 millions financeront l'ingénierie et 160 millions seront attribués via des fiches dites bonifiées, qui apportent plus de garanties et beaucoup moins de volatilité. Avec 400 millions d'euros ainsi disponibles, nous pourrons couvrir plus de demandes : la réponse est donc extrabudgétaire, mais elle sera au rendez-vous.
Vous m'interrogez aussi sur l'engagement du renouveau du bassin minier. L'État tiendra ses promesses ; c'est un sujet particulièrement suivi par le Président de la République, cela m'a été confirmé lors de ma prise de fonctions.
Sur la question de l'hébergement d'urgence, Madame la rapporteure Artigalas, il y a bien un enjeu de « sincérisation » de ce budget. Notre pays est généreux et offre plus de 200 000 places chaque année. Or, les crédits ne suffisent pas à financer ces 200 000 places ; c'est pourquoi nous travaillons pour qu'ils progressent de 110 millions d'euros l'an prochain, la sincérité budgétaire est très importante, c'est aussi une condition pour piloter les programmes, pour les acteurs publics aussi bien que pour les associations, qui ne peuvent pas attendre systématiquement la fin de l'année pour connaître leur budget. Je demande donc le plus de sincérité possible dans les crédits pour l'hébergement d'urgence. J'étais ce matin dans un centre d'accueil pour des femmes victimes de violences, j'y ai encore une fois constaté combien l'hébergement d'urgence est une nécessité : il change des vies, des trajectoires, des destins - une très grande partie des femmes sont accueillies avec des enfants, elles trouvent dans ces centres une nouvelle famille. Je veillerai à ce que nous ayons les moyens de nos ambitions au service de cette politique publique tout à fait nécessaire. Du reste, j'ai cosigné aujourd'hui même, avec Aurore Bergé, une circulaire pour que tous les préfets mettent en place un cadre clair et priorisent le soutien aux femmes victimes de violences, à la fois dans l'hébergement d'urgence, mais également pour le relogement, afin qu'elles puissent redémarrer dans la vie avec un nouveau « chez elles », notamment dans le logement social.
Merci pour votre avis favorable sur les crédits de la politique de la ville. Vous avez raison de le dire, le dispositif « Quartiers d'été » voit ses crédits reculer, alors qu'il est très apprécié des maires ; je m'en remets à la sagesse parlementaire pour peut-être l'abonder davantage - sachez bien que je n'ai nulle intention de supprimer ce dispositif qui a porté ses fruits. Ce maintien est d'autant plus important que les « colos apprenantes » ont été supprimées du budget ; nous travaillons activement avec mon cabinet et mon administration, notamment en lien avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), pour les maintenir dans la géographie prioritaire de la ville, mais je ne peux guère, à ce stade, vous faire d'annonce. L'école apprenante présente une plus-value importante, nous nous efforcerons de trouver de nouveaux financements pour mettre en place un modèle, sinon identique, du moins similaire.
Sur la rénovation urbaine, ensuite, l'État n'a qu'une parole et il tiendra ses engagements : nous irons au bout des financements engagés par l'Anru. Nous avons mobilisé 300 millions d'euros sur le cycle et nous les tiendrons. Permettez-moi cependant de ne pas vous répondre à ce stade sur l'Anru 3 : une mission de préfiguration est en cours, et il serait désobligeant de ma part de m'exprimer avant que le préfigurateur ait terminé sa mission. Je peux cependant vous dire qu'il serait inaudible que l'État n'accompagne pas, avec les partenaires et notamment Action Logement, les projets de rénovation urbaine issus des territoires.
Enfin, sur l'hébergement d'urgence, c'est l'honneur de la France de ne pas laisser les gens dormir dans la rue. Trop de personnes dorment encore dehors et y risquent leur vie, alors que nous arrivons dans la période hivernale. C'est un défi que nous devons relever. La France a considérablement augmenté le nombre de places ces dernières années, c'est même le double pour les femmes victimes de violences. Ce n'est pas suffisant, mais cela montre une trajectoire et une volonté très forte en la matière.
M. Guislain Cambier. - Vous parlez de crise grave du logement, mais, je ne vais pas mâcher mes mots - moi qui suis venu à la politique avec Jean-Louis Borloo -, nous nous demandons si Emmanuel Macron a une quelconque ambition en matière de logement ! En huit ans, nous avons connu huit ministres du logement - méritoires, en particulier votre prédécesseure, mais que pouvaient-ils si le Président de la République n'avait aucune ambition pour leur secteur, s'il croit que le marché s'autorégule ?
Le Président de la République et Bercy se rendent-ils bien compte de la crise du logement ? Mesurent-ils que cette crise grave, c'est la faillite pour des milliers d'entreprises, ce sont des dizaines de milliers d'emplois détruits ? Ont-ils conscience que le logement représente 22 % du PIB français et que c'est le premier secteur industriel de notre économie ?
Nous voulons bien vous accompagner, mais encore faut-il que l'exécutif ait une ambition et une vision...
Mme Anne-Catherine Loisier. - Êtes-vous prêt à rouvrir le choix du mix énergétique et à revenir sur le dogme du tout-électrique et sur la mise au pilori des chaudières à bois haute performance, qui impacte aujourd'hui lourdement la construction et le coût des logements ? En effet, au 1er janvier prochain, les chaudières à bois ne seront quasiment plus aidées au titre de MaPrimeRénov' et des C2E - l'aide plafonnerait à 1 000 euros, contre 7 000 voire 14 000 euros pour une pompe à chaleur (PAC).
Dans cette assemblée, nous sommes favorables au mix énergétique, car nous savons que l'énergie bois est utile et qu'elle est la moins chère dans le grand pays forestier qu'est la France ; c'est important en particulier pour les foyers les plus défavorisés. Êtes-vous donc prêt à sortir de ce dogme du « tout-PAC », qui sera vraiment préjudiciable à l'économie de notre territoire, à des milliers d'artisans et surtout aux Français en situation modeste qui ne pourront pas financer les surcoûts liés au fonctionnement d'une PAC ?
M. Yves Bleunven. - Nos bailleurs sociaux supportent de multiples contraintes, alors qu'ils sont le bras armé de nos territoires pour construire et relever le défi du logement. Comment entendez-vous consolider leur modèle économique ?
Depuis quelques années, nous assistons à une augmentation folle des coûts de la construction. Certaines causes sont traitées, mais nous restons très inquiets, je vous l'ai dit lors du débat sur la crise du logement. Les prix et les coûts des matériaux paraissent décalés de la réalité et méritent des investigations. Alors que certains éléments justifiant l'augmentation ont évolué dans le sens contraire, les coûts ne baissent pas : qu'en pensez-vous ?
La crise du logement passe pour une « bombe sociale ». Or, quand on parle de simplifier les procédures, on nous renvoie à une éventuelle loi spécifique. Une loi de simplification a été faite pour les Jeux olympiques, afin que les logements prévus soient livrés à temps ; des assouplissements exceptionnels ont été également pris pour Mayotte. Avez-vous dans vos projets un texte pour simplifier le processus de construction ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes attachés au modèle généraliste du logement social, en particulier pour son rôle contracyclique.
M. Vincent Jeanbrun, ministre. - J'ai vu Jean-Louis Borloo cette semaine et, effectivement, cela fait du bien de l'entendre - et nous avons parlé ensemble du rôle fondamental des bailleurs sociaux.
D'une façon générale, je crois que Bercy a constaté l'effet contracyclique des bailleurs sociaux, ils ont en partie sauvé le monde du logement, notamment privé - et c'est une bonne nouvelle que cela ait été entendu, c'est ce qui a rendu plus simple de revenir cette année à ce qu'avait réussi à négocier Valérie Létard, soit un montant de RLS à 1,1 milliard d'euros. Amélie de Montchalin s'y est engagée oralement, reste à l'écrire dans la loi et à le voter, mais le Gouvernement a exprimé là sa volonté de redescendre la RLS au même niveau que l'année dernière.
Il ne m'appartient pas de dire ce que pense le Président de la République. Ce que je sais, c'est que ma feuille de mission indique très clairement de relancer le logement - neuf, ancien, privé et social -, avec un slogan qui me convient bien : « du logement partout et pour tous », pour n'oublier aucun territoire.
C'est aussi en cela que le statut du bailleur privé aura un intérêt : nous faisons en sorte qu'il ne soit pas zoné territorialement pour ne pas nous retrouver dans cette absurdité connue avec le dispositif Pinel où, à force de se focaliser sur les zones tendues, nous en sommes venus à subventionner du logement surtout là où il y avait déjà un marché. C'est, d'un point de vue économique, assez étonnant.
La simplification est aussi une urgence, parce que si la construction et la rénovation coûtent cher, c'est bien sûr en raison du coût des matériaux, mais aussi parce que les démarches administratives sont extrêmement longues. En tant que maire, j'ai lancé mon projet de coeur de ville fin 2014 et nous n'avons toujours pas posé la première pierre, tant les démarches, les enquêtes, les délibérations sont longues, sans compter les recours nombreux contre le projet. Le premier enjeu est donc de gagner du temps administratif, sans pour autant faire moins bien ou avec moins d'ambition, en particulier sur le plan environnemental. Nous devons pouvoir simplifier et pour me faire comprendre, j'emploie cette formule : je rêve du « Notre-Dame de la construction » et des « jeux Olympiques du logement ». J'aimerais que le Parlement s'inspire de ce qui a été fait pour les jeux Olympiques, ce que nous devrons d'ailleurs refaire pour les jeux Olympiques d'hiver car sans loi de simplification, nous n'aurons pas les équipements nécessaires. Ce que nous constatons après les jeux Olympiques, c'est que l'on a construit du logement avec la même ambition et la même qualité, mais en un tiers du temps, voire en deux fois moins de temps qu'habituellement, et pour moins cher. Je propose donc de mettre en débat cette idée qu'on peut simplifier les règles de la construction, peut-être pas toutes les règles partout, mais, par exemple, dans le cadre d'une zone d'aménagement. Une fois que la création d'une telle zone a été validée par les habitants, le conseil municipal et le préfet, on pourrait considérer que des garde-fous sont en place et que, dès lors, il est possible d'appliquer des règles simplifiées pour avancer, comme on l'a fait pour les jeux Olympiques - l'idée étant de ne pas perdre de temps, puisqu'il s'agit d'opérations maîtrisées par les pouvoirs publics. D'autres simplifications ont été adoptées cet automne dans la proposition de loi du député Harold Huwart de simplification du droit de l'urbanisme et du logement - le Conseil constitutionnel en a censuré plusieurs en estimant qu'elles étaient des cavaliers législatifs, il faudra y revenir dans un texte idoine.
Autre défi, celui de l'innovation : il faut réfléchir au logement un peu différemment que nous le faisons, intégrer par exemple les tiny house, comme vous le faites en Bretagne, Monsieur Bleunven. Il ne faut pas s'interdire d'innover localement, c'est l'échelon pertinent, car ce qui vaut par exemple sur vos terres bretonnes ne vaut pas forcément en plein coeur de l'Île-de-France, même si de bonnes inspirations peuvent être trouvées.
Je reprends à mon compte l'idée de rencontrer les organismes dédiés pour évoquer la question de l'indice des prix et des matériaux. Vous avez raison : même si la guerre en Ukraine se poursuit, les filières se sont réorganisées et la Covid est derrière nous. Nous devons donc nous poser un certain nombre de questions.
Madame la sénatrice Loisier, à titre personnel, je suis assez favorable au mix énergétique. Élu de la région Île-de-France, j'ai soutenu avec la présidente de région la réactivation de la filière bois, qui fait partie de la solution. Toutefois, dans l'exercice budgétaire qui est le nôtre et pour accompagner les outils énergétiques au meilleur rendement et au bilan CO2 le plus bas, l'Anah a reconcentré son action sur les pompes à chaleur, il faut en tenir compte. Cependant, pour reprendre la formule du Premier ministre, le Gouvernement a proposé, nous débattons, et vous décidez. Je vous ai exposé ma position. Le mix énergétique reste possible et financé dans le cadre d'une rénovation globale. Comme je l'indiquais, nous allons essayer, sur MaPrimeRénov', de nous concentrer sur des rénovations d'ampleur, dans lesquelles la filière bois pourra avoir un débouché. En revanche, sur les gestes simples, cela ne figure pas dans le budget tel qu'il a été monté. Je suis à votre disposition pour que nous reparlions ensemble de la question du diagnostic de performance énergétique (DPE).
M. Jean-Luc Brault. - Une mesure fonctionne très bien dans les secteurs du logement et de la construction : le prêt à taux zéro (PTZ). Destiné aux primo-accédants sous condition de revenus, il reste largement accessible.
Seriez-vous prêt à l'élargir aux familles nombreuses ? Je m'explique : beaucoup de familles dans nos campagnes ont construit à taux zéro avec un enfant et en ont aujourd'hui deux, voire trois. Elles ne peuvent plus construire, car elles n'ont plus l'argent nécessaire, les banques ne jouent pas le jeu et les salaires ne suivent pas. Ne pourrions-nous pas permettre à ces familles, grâce à un nouveau PTZ, d'agrandir leur maison sans avoir à attendre un héritage, ceci dans un cadre strictement contrôlé ? Qu'en pensez-vous ?
Mme Pauline Martin. - Membre de la commission d'enquête sénatoriale sur les agences de l'État, je reste en questionnement sur l'efficience de l'Anah, en particulier face à sa gestion de MaPrimeRénov', marquée par un niveau exceptionnel de fraude et par une complexification administrative qui dépasse parfois l'entendement, mais qui semble devenir habituelle dans les services de l'État. Que pensez-vous de l'idée de supprimer l'Anah, et de réintégrer ses missions dans votre ministère ? Et que pensez-vous du fonctionnement de l'Anru, dont Jean-Louis Borloo nous a dit qu'elle avait été détournée de ses missions originelles ?
M. Daniel Fargeot. - Suite au rapport Daubresse-Cosson pour une relance durable de l'investissement locatif, de juin dernier, vous avez annoncé la création d'un statut du bailleur privé par le biais d'un amendement du Gouvernement au projet de loi de finances. Son esquisse est bonne, mais un mécanisme d'amortissement pour les logements acquis à compter du 1er janvier 2026 et loués nus pour au moins neuf ans, ne peut être considéré comme la création d'un statut de bailleur privé. Nous attendons donc la suite avec impatience et sachez que nous aurons des propositions claires et précises en la matière. C'est donc avec attention que nous regarderons les mesures dans le plan d'urgence pour le logement que vous avez annoncé.
J'ai une question particulière concernant l'expulsion des délinquants de leur logement social. Dans le Val-d'Oise, la commune de Franconville est particulièrement mobilisée sur ces questions, mais ses élus nous disent qu'ils éprouvent la plus grande difficulté à ce que les procédures pénales aboutissent à des expulsions. Avez-vous engagé une réflexion conjointe avec le garde des Sceaux pour orienter l'arsenal de sanctions vers les expulsions ?
M. Vincent Jeanbrun, ministre. - Merci pour ces questions précises, qui confirment à quel point les sénateurs maîtrisent ces sujets de manière très fine et sont, de surcroît, force de proposition.
Le PTZ « famille nombreuse » est un concept à creuser, parmi les mesures concrètes du plan logement que j'appelle de mes voeux - un tel dispositif n'aurait pas le même coût s'il est cumulable avec le bail réel solidaire (BRS).
M. Yves Bleunven. - Ce serait très utile pour des familles qui veulent s'agrandir, mais qui y renoncent parce qu'elles seraient trop à l'étroit dans leur logement - pensons aussi à la démographie...
M. Vincent Jeanbrun, ministre. - Cela nécessite un chiffrage et un cadrage précis des conditions financières. L'intérêt du PTZ, c'est que le promoteur n'en est pas informé à l'avance, et qu'il n'intègre donc pas cette donnée au projet - on évite donc l'écueil que l'on constate avec ma MaPrimeRénov', de voir les prix augmenter parce que le dossier est subventionné... Je m'engage à creuser cette idée d'un PTZ familles nombreuses.
Une réorganisation ou une suppression des agences publiques comme l'Anah et l'Anru sont-elles souhaitables ? Une précision importante : MaPrimeRénov', même si elle a pu connaître quelques soubresauts, donne satisfaction ; on nous demande de maintenir ses moyens, plutôt que de les diminuer, l'idée de soutenir nos concitoyens dans la rénovation énergétique fait l'unanimité. L'Anah a fait la lumière sur les accusations de fraude. Sur l'année 2024, on estime qu'environ 8 millions d'euros, et non 600 millions comme on l'entend parfois, font l'objet d'une étude approfondie pour suspicion de fraude, c'est un niveau raisonnable. Sur l'année 2025, aucun euro n'a été versé à ce stade, mais 35 millions ont été provisionnés par précaution - c'est assez peu, rapporté aux milliards d'euros que ce programme représente. L'Anah, forte de son ingénierie et de la remise à niveau de ses systèmes d'information, s'est protégée pour lutter contre la fraude.
Plus largement, les changements éventuels dans l'organisation des agences publique relèvent d'une réforme plus large voulue par le Premier ministre, qui engage une vision de la décentralisation et du rôle des services de l'État. Notre objectif dans l'examen de la loi de finances, reste le service public rendu à nos concitoyens - et je ne crois pas à la baguette magique qui supprimerait des agences tout en maintenant le service à son niveau. Il faut réfléchir à la façon de rendre ce service de meilleure façon, plus efficace et moins onéreuse.
Concernant l'Anru, Jean-Louis Borloo ne dit pas que l'agence aurait été détournée de ses missions originelles, mais que son fonctionnement a été rendu plus complexe que ce qu'il avait conçu à l'origine. Jean-Louis Borloo me rappelait les premiers temps de l'Anru, quand elle fonctionnait avec ce qu'il avait appelé un « comité de bienveillance » : il s'agissait alors de placer autour d'une table tous les acteurs susceptibles d'aider le maire dans ses projets de rénovation urbaine, dans un cadre flexible ; avec les années, l'agence s'est dotée d'un comité d'engagement, ce qui la rend plus complexe. Pour ma part, ayant pu en bénéficier en tant que maire, je considère que l'agence a beaucoup apporté par sa capacité à fournir de l'ingénierie, des financements et à réunir tout le monde autour de la table. Vous avez donc en face de vous un ministre qui défend la rénovation urbaine et qui espère que nous pourrons continuer à en faire dans ce pays. De manière générale, je défends les politiques publiques, pas leur complexité - et je serais heureux de les rendre plus simples.
Je salue les premiers pas d'un statut du bailleur privé, et je ne doute pas que le Sénat va l'améliorer, lui donner plus d'impact : je compte sur vous.
S'agissant de l'expulsion de délinquants du parc social, je sais l'implication des maires du Val d'Oise, en particulier de Xavier Melki à Franconville, je m'y suis rendu et j'y ai vu l'engagement de l'édile, ainsi que du préfet. Des maires se sont saisis des nouvelles dispositions de la loi sur le narcotrafic, entrées en vigueur l'été dernier. Forts de condamnations effectives d'individus reliés au narcotrafic, ils ont pu lancer des procédures d'expulsion qui sont allées jusqu'au bout. Une jurisprudence intéressante a même été établie, puisque des agressions ayant eu lieu à l'agence du bailleur, donc hors de la commune, ont été retenues par les juges comme un trouble de jouissance lié au logement et ont pu entraîner des expulsions. Le droit va plutôt dans le sens des bailleurs, des maires et des préfets, avec une logique simple : le logement social doit aider les familles qui ne pourraient pas se loger autrement - donc nous n'avons pas à donner la priorité à ceux qui troublent l'ordre public. Dès lors, une réflexion s'impose : ce qui fonctionne si bien avec la loi sur le narcotrafic, serait-il possible de l'étendre à d'autres formes de violence et à un certain nombre de condamnations ? Je parle de violences graves. Nous accueillons en hébergement d'urgence des femmes qui vivent à la rue avec leur enfant, nous voulons leur accorder un logement social mais nous en manquons ; lorsque l'on constate que certains sont occupés par des locataires qui se sont rendus coupables de violences aggravées, on a de quoi se demander s'il ne faudrait pas changer certaines attributions - il y même des cas où le mari condamné pour violences conjugales reste dans le logement social, et c'est la femme victime qui se retrouve en hébergement d'urgence, il y a là quelque chose à faire pour donner aux bailleurs sociaux la possibilité de se séparer des familles qui posent problème. Nous le savons tous ici, les locataires qui posent problème sont une petite minorité, mais une petite minorité qui peut gâcher la vie d'un très grand nombre. Cela fait partie des combats que je mène et, bien sûr, j'en discute avec mes collègues au Gouvernement.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Hier, la présidente de l'Union sociale de l'habitat (USH) me citait un cas pratique : une famille a été expulsée pour troubles à l'ordre public, mais le préfet a aussitôt demandé à un autre bailleur social de tout mettre en oeuvre pour accueillir cette famille. À quoi sert d'expulser, si c'est pour devoir reloger aussitôt et déplacer ainsi le problème ?
M. Vincent Jeanbrun, ministre. - C'est ce que j'évoquais dans mon propos introductif : les maires doivent être force de proposition dans l'attribution des logements sociaux, d'abord parce qu'ils doivent être en mesure de protéger leur territoire. Il faut le faire intelligemment, il ne s'agit pas de donner au maire un pouvoir d'attribution individuelle du logement, ce n'est pas à lui de choisir les locataires, mais il doit pouvoir établir la liste des candidats entre lesquels la commission d'attribution pourra choisir. Ensuite, le maire doit avoir un droit de veto. Lorsque nous nous retrouvons avec des familles qui causent des troubles extrêmement graves, avec des agressions, des condamnations, des adultes qui font des allers-retours réguliers en prison, il me paraît inaudible que le maire ne dispose pas d'un veto sur l'installation de telles familles sur son territoire.
Dans le cas de Franconville, la mesure d'expulsion a été efficace en matière de narcotrafic. En revanche, s'agissant des violences - je pense à des jeunes qui, pendant les émeutes de 2023, ont dégradé du mobilier urbain sous les caméras et ont commis des actes très graves -, le juge estime qu'il n'y a pas de trouble de jouissance si l'acte est commis en dehors du strict patrimoine du bailleur, et interdit en conséquence l'expulsion. L'acte peut être grave et commis dans la rue qui jouxte l'immeuble social - si ce n'est pas sur le patrimoine du bailleur, l'expulsion n'est pas possible ; nous allons devoir y réfléchir de plus près et voir comment corriger cet état de fait.
Mme Marianne Margaté. - Vous parlez d'une crise grave du logement, d'une « bombe sociale », il faut en prendre la mesure et voir son impact sur nos concitoyens, en particulier la souffrance humaine qu'elle engendre. Les trois millions de ménages demandeurs de logement regroupent cinq millions de personnes, les dépenses de logement représentent facilement le tiers ou la moitié des ressources, les jeunes peinent à prendre leur autonomie, les familles sont contraintes. Dans ce contexte, la révision du gel des APL n'est-elle pas une partie de la réponse à apporter à ces familles ? Ce serait aussi une manière de lutter contre la pauvreté, les impayés et l'impossibilité d'accéder à un logement. Vous avez mentionné, et c'est une bonne nouvelle, la baisse de la RLS. L'APL sera-t-elle augmentée en compensation pour aider les locataires ?
Nous assistons depuis 2017 à une démolition progressive de notre modèle généraliste du logement social : 16 milliards d'euros ont été prélevés sur les bailleurs sociaux, ce qui les oblige à revoir leur coût de gestion, donc à diminuer le nombre de gardiens, de tout ce qui fait la gestion de proximité, des personnes proches des locataires et qui sont des régulateurs, qui peuvent prévenir et aider. La présence humaine est progressivement supprimée, les moyens manquent pour rénover, les logements se dégradent et les bailleurs manquent de ressources pour construire. On parle de fluidifier le parc, mais que veut-on fluidifier ? Quand les gens ne peuvent plus entrer dans le parc social ni en sortir, il n'y a rien à fluidifier.
Il faut faire attention, ensuite, sur l'expulsion des délinquants, car les sanctions judiciaires sont entre les mains de la justice, il ne faut pas de condamnation collective de la famille. On va mettre les gens à la rue, mais où iront-ils ? La condamnation collective de la famille pose bien des problèmes, y compris de droit.
Enfin, l'encadrement des loyers arrive à terme et la question se pose de sa pérennisation, mais aussi de son élargissement et de son amélioration, car nous connaissons les dérives liées aux compléments de loyer. Qu'en pensez-vous ? L'encadrement des loyers, aux mains du maire, ne serait-il pas un moyen de freiner la spéculation sur le parc privé ?
J'attire votre attention sur la commission d'enquête qu'avec ma collègue Amel Gacquerre nous avons consacrée aux copropriétés. Nous y avons souligné le nombre très important de copropriétés en difficulté - plus de 150 000 sur environ 800 000 - et la grande pauvreté qui y existe, qu'elle soit le fait des propriétaires - un million de propriétaires modestes ou très modestes - ou des locataires. C'est donc, hélas, le vivier pour les marchands de sommeil, pour le logement indigne, pour l'absence de rénovation avec des propriétaires qui ne peuvent pas réaliser les travaux. D'où l'importance de l'Anah et d'un plan d'initiative « Petites Copropriétés » - parce ce qu'on entend peu parler de ces petites copropriétés, sauf, hélas, quand elles s'écroulent.
M. Bernard Buis. - Alors que le logement social est saturé, avec plus de 2,8 millions de demandes en attente et moins de 8 % de rotation en 2023, vous avez récemment déclaré vouloir mettre fin au « logement social à vie » : qu'est-ce à dire, et quelles mesures envisagez-vous pour y parvenir ?
Ma deuxième question est une alerte sur la situation très dégradée des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), à la suite de la réforme de la taxe d'aménagement. Alors que cette taxe constitue leur principale source de financement, sa réforme s'est accompagnée de dysfonctionnements importants, liés à des réductions d'effectifs et à des défaillances des outils numériques. Au niveau national, les montants collectés baissent de 40 % par rapport à 2023, un décalage d'environ 230 millions d'euros. Dans une tribune commune soutenue par l'Association des maires ruraux de France et par l'Association des petites villes de France, la Fédération nationale des CAUE et Départements de France ont alerté sur les conséquences graves de cette baisse. Quelles mesures pourriez-vous prendre à très court terme pour garantir le maintien des services rendus aux territoires par les CAUE ?
Mme Martine Berthet. - Le logement des travailleurs saisonniers est aussi un domaine dans lequel il y a beaucoup à faire. Nous l'avons souligné dans notre rapport sur le logement des jeunes et avons soutenu le développement des résidences à vocation d'emploi en les introduisant dans la loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement. Les entreprises dans les stations de tourisme ont besoin d'être accompagnées directement afin de loger leurs travailleurs saisonniers dans des conditions dignes, ce qui n'est pas toujours le cas.
Il faudrait, tout d'abord, qu'elles ne soient pas soumises à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, mais aussi leur donner la possibilité de récupérer la TVA sur l'achat, la construction ou la rénovation des logements qu'elles doivent mettre en oeuvre pour loger ces saisonniers. Ce n'est pas le cas actuellement, car cela n'est pas considéré comme faisant partie de leur activité principale. Pourtant, ces saisonniers sont bien indispensables à cette activité, qu'il s'agisse des magasins, des hôtels, des restaurants, des remontées mécaniques ou de la gestion des plages. Qu'en pensez-vous ?
M. Vincent Jeanbrun, ministre. - Vous avez raison de rappeler qu'il y a trop de mal-logement en France et que notre jeunesse en souffre tout particulièrement. Je songe notamment au camping de Paris, qui est occupé à l'année en particulier par des étudiants. Le défi à relever est considérable, nous allons nous inspirer du très bon rapport parlementaire qui a été rédigé sur ces questions.
Sur les APL, vous rappelez que le Gouvernement a décidé un gel et un recentrage, sachant que l'inflation est faible ; ce gel rapportera environ 100 millions d'euros au budget général et 200 millions d'euros en année pleine. Nous avons un impératif de sérieux budgétaire. Quand l'inflation a été très forte, l'État a accompagné ; quand elle est plus faible, nous sommes dans une logique d'années blanches. Cela n'est pas idéal, mais nous sommes face à de telles contraintes que nous n'avons pas vraiment le choix. Si nous voulons pouvoir envoyer des signaux forts aux bailleurs sociaux, il faut bien le financer quelque part : il y a un enjeu de rigueur et de sérieux budgétaire à tenir.
Je crois, comme vous, qu'il faut des parcours résidentiels ; la mobilité dans le parc social ne sera réelle qu'à partir du moment où nous trouverons des portes de sortie pour les familles qui le souhaitent. Cela passe notamment par le fait de construire plus, mieux et de manière plus abordable.
J'examine la question de l'encadrement des loyers sans dogmatisme. J'entends des points de vue opposés en la matière, et je crois que, dans ces conditions, mieux vaut non pas généraliser une obligation d'encadrer les loyers, mais rendre l'encadrement possible aux maires qui le souhaitent, pour qui cet encadrement fait sens localement - par exemple les maires frontaliers ou de zones touristiques, où les loyers s'enchérissent au point que la population historique locale ne peut plus se loger. Nous attendons le rapport des économistes qui travaillent sur le sujet. Je me permets cependant de vous alerter sur le fait que certains veulent confier à l'agglomération le pouvoir d'encadrer les loyers : or je crois que l'échelon pertinent est la commune, ou bien l'encadrement sera obligatoire pour des maires qui ne l'auront pas choisi.
Je salue votre rapport sur les copropriétés dégradées, il décrit une réalité trop longtemps ignorée. J'ai dans mon portefeuille ministériel le projet « Marseille en grand » et nous constatons qu'au-delà des enjeux sur le patrimoine des bailleurs sociaux, les copropriétés dégradées sont au coeur des problématiques qui défraient la chronique. On a laissé ces copropriétés se dégrader petit à petit, au point de les abandonner parfois à des marchands de sommeil qui en ont fait des réservoirs d'horreur. Les logements en copropriété représentent 30 % du parc de logement, c'est considérable, les copropriétés dégradées comptent environ 1,5 million de logements. C'est un véritable défi, on comprend pourquoi l'enveloppe de 250 millions d'euros fléchée l'an passé dans le budget de l'Anah a été entièrement consommée, je négocie pour qu'elle augmente l'an prochain.
Qu'ai-je voulu dire en appelant à la fin du logement social à vie ? Aujourd'hui, le bail avec un bailleur social ne comporte ni date de sortie ni même de clause de revoyure, contrairement à un bail avec un propriétaire privé. Ces clauses me paraissent fondamentales. Pour le bailleur, qui doit pouvoir mettre fin au bail en cas de manquement grave du locataire, sans avoir à passer nécessairement par la justice, je propose de débattre d'une clause de revoyure tous les trois ans. Nous devons y réfléchir avec les professionnels du secteur. Ce sera aussi utile pour le locataire, pour lui garantir un rendez-vous avec le bailleur. Lors de mon déplacement à Franconville, par exemple, j'ai visité des logements sociaux totalement insalubres - 48 heures après ma visite, le préfet a décrété leur insalubrité et les familles ont été relogées et quand on demande des explications au bailleur, qui gère très bien son parc par ailleurs, il nous répond qu'il n'avait pas connaissance de l'état délabré de ces logements... parce qu'il n'est pas habilité à y pénétrer ! Je trouve cette réponse tout simplement extraordinaire. Une clause de revoyure tous les trois ans serait donc l'occasion de faire le point et ce serait utile aux deux côtés.
Je crois, ensuite, qu'il faudra « muscler » un peu le jeu sur la mise en co-titularité du bail. J'ai vu dans ma commune des grands-parents qui, un an avant de quitter leur logement social pour prendre leur retraite, inscrivent sur le bail leur petit-fils ou leur petite-fille, étudiant à Paris - ce qui conduit à une sorte de transmission, quasiment un héritage, sans passer par la moindre commission d'attribution. Des maires disent même que le service se marchande : il suffit de conclure un PACS ou de faire une domiciliation, et l'on contourne les commissions d'attribution. Cela n'est pas acceptable... Autre exemple, encore à Franconville : une famille liée au narcotrafic a été expulsée ; le maire reçoit quelques jours plus tard les voisins, qui lui disent être à l'étroit dans leur logement ; le maire appelle le bailleur pour voir s'ils peuvent s'installer dans le logement libéré - mais le bailleur avoue sa surprise, puisque dans son fichier, le logement trop petit était censé être occupé... par un couple de retraités ! En réalité, la famille à l'étroit sous-louait son logement depuis des années, à un prix bien supérieur au loyer du bailleur social... Voyez, ce genre de situation serait plus rare avec une revoyure tous les trois ans.
J'ai grandi dans le logement social. Sans lui, mon petit frère et moi n'aurions pas eu la vie que nous avons eue et je ne serais pas devant vous pour en parler. Je suis donc très favorable à mobiliser la solidarité nationale pour donner à des familles qui ne peuvent se loger dignement, un accès à des logements sociaux abordables. Je souhaite aussi que ce système soit méritocratique, que les plus méritants en bénéficient et que ceux qui se sont détournés des règles du droit et des comportements civiques élémentaires ne soient plus prioritaires.
Il est encore possible de fluidifier les parcours résidentiels, en construisant plus et différemment. L'accession sociale à la propriété est l'une des seules raisons pour lesquelles des familles peuvent demander à partir de leur logement social pour réaliser leur rêve de devenir propriétaire. Il faut donc trouver les bons véhicules, comme le BRS ou le PTZ. Je vous donne rendez-vous lors des travaux relatifs au plan logement pour apporter des solutions.
J'ai bien pris note de l'alerte sur les CAUE, il y a une véritable problématique de captation de la taxe d'aménagement, y compris pour les collectivités locales, nous devons trouver une réponse.
Enfin, vous avez raison de m'interpeller sur les travailleurs saisonniers. Cela rejoint ce que nous évoquions sur l'innovation et la nécessité d'inventer du sur-mesure. C'est aussi pour cela que je travaille activement à la décentralisation, à la clarification et à la simplification voulues par le Premier ministre. Il faut du sur-mesure : on n'habite pas en bord de côte comme en haut d'une montagne ou dans le Val-de-Marne. Comment crée-t-on du logement adapté ? Je vous propose que nous y travaillions ensemble. Il y a le volet fiscal pour que des résidences secondaires puissent être ouvertes, c'est une piste à explorer. Je ne vous garantis pas la TVA tout de suite, vu le contexte budgétaire, mais nous devons y réfléchir, et pourquoi pas au sujet de la taxe sur les résidences secondaires. Il y a aussi l'aspect normatif. Avons-nous besoin d'avoir les mêmes contraintes urbaines pour tous les types de logement ? Les permis sont-ils les mêmes pour construire du logement 100 % saisonnier que du logement à l'année ? C'est une vraie question. C'est peut-être là que nous pouvons nous donner des marges d'expérimentation. La tiny house est un bon exemple : les règles ne sont pas les mêmes que pour un logement dans un immeuble classique. Je suis favorable à explorer cette voie.
Mme Annick Jacquemet. - Que pensez-vous des cités éducatives en matière de réussite scolaire, et quelles sont les perspectives d'évolution de ce dispositif ?
La semaine dernière devant le congrès des maires, vous avez proposé aux élus de mieux « packager » les dispositifs de protection de l'enfance : qu'entendez-vous par-là, plus précisément ?
Enfin, les représentants de la fédération « Solidaire pour l'habitat » (Soliha) m'ont dit leurs difficultés financières et de gestion liées aux changements de règles de MaPrimeRénov' : êtes-vous conscient de ces difficultés de gestion pour cet acteur associatif essentiel, et que pouvez-vous faire pour les résoudre ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - En zone rurale, les loyers sont souvent faibles, mais les coûts de construction ou de rénovation ne sont pas inférieurs et les bailleurs sociaux sont assez peu présents, car ils ont d'autres priorités. L'initiative privée est limitée, du fait de la faible rentabilité, les communes n'ont généralement pas les moyens d'intervenir et les programmes des départements sont souvent insuffisants. Dans ces conditions, comment intervenir ? Il y a en zone rurale un parc immobilier relativement important, une partie se dégrade parce qu'aucun opérateur n'intervient, alors qu'il y a de la demande pour ce type de logement et ce niveau de loyer. Ne faudrait-il pas des mesures spécifiques aussi bien pour le parc privé que pour le parc public ?
M. Vincent Jeanbrun, ministre. - Des évaluations sont en cours sur les cités éducatives, les retours de terrain que j'en ai sont excellents. Nous y avons mis davantage de moyens à la suite des émeutes urbaines de 2023, les budgets sont désormais stabilisés. Le dernier CIV a proposé d'étendre le dispositif, c'est aussi pourquoi il nous faut l'évaluer précisément. Les cités éducatives que j'ai visitées montrent une capacité de coordination de l'ensemble des acteurs, d'action très concrète qui met la citoyenneté et les familles au coeur de tous les enjeux de l'école. Le dispositif est cher mais il fonctionne bien, nous en maintenons le budget et nous avons vocation à poursuivre l'extension de la labellisation.
Une précision : c'est sur les « colos apprenantes » que je vous ai dit ne pas pouvoir faire d'annonce. Elles ont été retirées du budget, alors qu'elles ont leur utilité, en particulier dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) ; c'est pourquoi j'essaie de trouver d'autres façons de les financer.
Concernant la protection de l'enfance, j'évoquais dans mon propos liminaire les mesures prises par Juliette Méadel, ma prédécesseure au ministère de la ville. Elle a créé une labellisation de différents centres dans les communes - leur forme peut varier d'une ville à l'autre - en articulant le programme de réussite éducative (PRE), les dispositifs sur l'aide à l'enfant, sur l'accompagnement des parents avec la parentalité, et l'accompagnement psychologique pour un certain nombre d'enfants dans ce qu'elle a appelé les Maisons de l'enfance et de la réussite éducative (MeRe). Certaines villes disposent d'outils de cette nature depuis longtemps, mais il est bon de les labelliser, de les mettre en avant et de créer un recueil des bonnes pratiques pour qu'ils puissent être mis en oeuvre partout où cela est possible. Il faut continuer dans cette voie, la jeunesse a besoin d'un accompagnement psychologique peut-être plus fort qu'auparavant. Dans les quartiers prioritaires, il y a beaucoup de violence, elle peut créer des traumatismes qu'il faut prendre en charge le plus tôt possible pour reprendre pied et poursuivre une vie normale, ou bien on risque de perpétuer des comportements violents. J'étais hier soir à Meaux, chez Jean-François Copé, pour l'avant-première d'un film sur les rixes réalisé par les jeunes de ces quartiers ; il montre que l'accompagnement a permis à ces jeunes de prendre conscience de leur mal-être, de réaliser que la violence n'était pas normale alors qu'elle est ordinaire dans leur environnement. Il y a beaucoup à faire, en proximité, pour aider les jeunes.
Concernant MaPrimeRénov', les territoires bénéficient souvent d'une délégation, certains sont même en délégation de type 3, ils sont donc quasiment autonomes. Le « stop-and-go » est ce qu'il y a de pire, d'où ma volonté de recentrer le dispositif sur ceux qui en ont le plus besoin et d'avoir une gestion plus facile.
Je ne suis pas sûr qu'il faille créer un dispositif particulier pour le logement dans le rural. Ma feuille de route est claire : du logement partout et pour tous. C'est pourquoi le volet sur l'ancien est aussi important, y compris dans le cadre du statut du bailleur privé, parce qu'il faut effectivement investir dans de l'habitat existant, pour le rénover. Cela suppose de mobiliser les investisseurs privés, donc de les aider mais avec une contrepartie : des loyers plafonnés. À l'issue des débats à l'Assemblée nationale, nous étions à un niveau de 3,5 % pour du loyer intermédiaire ; plus le loyer sera bas - conventionné, social, voire très social -, plus l'aide et l'exonération seront importantes. C'est l'un des premiers outils qui permet de reconquérir des territoires où il y a une demande.
J'étudie également un autre mécanisme consistant à redistribuer du logement social de la ville vers le rural. Cela s'est fait entre la commune d'Aubervilliers et une communauté de communes de Bretagne : une rénovation nécessitait de reconstituer des logements, mais il n'est pas évident de trouver une zone hors périmètre Anru à Aubervilliers et alentour où l'on puisse construire ; une solution a été trouvée en Bretagne, une partie de la reconstitution y a donc été faite. C'est tout bénéfice pour la ville en rénovation urbaine, qui a besoin de diminuer son nombre de logements sociaux et qui va financer une part importante de la construction dans une communauté d'agglomération rurale qui n'en aurait pas eu les moyens, c'est une formule gagnant-gagnant où tout le monde s'y retrouve. Je suis ouvert à toute proposition pour enrichir le plan logement : il n'est pas souhaitable, ni souhaité par les Français, de loger tout le monde dans les métropoles. À une époque, le logement social était craint dans les zones rurales, aujourd'hui on veut retrouver des leviers de peuplement, parce qu'on veut accueillir des familles - et cela correspond au voeu des Français d'habiter dans des zones moins denses. Il y a des outils pour le faire, je vais examiner toutes les initiatives qui vont dans le bon sens et si vous avez des propositions, je serais heureux d'en parler avec vous - je sais que le Sénat est une force de proposition, puisque les territoires ruraux sont en général bien défendus dans cette maison.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - D'une manière générale, tous les territoires sont bien défendus dans cette maison, qu'ils soient ruraux ou urbains, sans qu'il y ait d'opposition entre eux.
Merci pour votre disponibilité, monsieur le ministre, nous percevons votre volonté d'avancer - sachez que vous pouvez compter sur nous : il y a urgence dans la politique du logement, elle doit être portée au plus haut niveau dans les priorités nationales, car le logement est tout simplement nécessaire et se trouve donc au fondement d'autres priorités politiques, économiques et sociales.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 26 novembre 2025
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 40.
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons ce matin les rapports pour avis de nos collègues Laurent Duplomb, Franck Menonville et Jean-Claude Tissot sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » du projet de loi de finances (PLF) pour 2026.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Je tiens tout d'abord à remercier mes deux corapporteurs avec lesquels le travail se fait toujours dans d'excellentes conditions. Même si nous ne partageons pas nécessairement les mêmes points de vue avec mon collègue Jean-Claude Tissot, il est essentiel de préserver cette culture du dialogue toute sénatoriale.
Je commencerai par rappeler brièvement le contenu et les équilibres de la mission qui nous concerne. La mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » comprend quatre programmes : Le programme 149 « Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt » est le principal programme de la mission, regroupant environ la moitié des crédits de celle-ci. Il supporte l'essentiel des interventions du ministère en faveur de l'agriculture et affiche une baisse de 9 % de ses crédits de paiements (CP).
Le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » représente, quant à lui, un peu moins du quart des crédits. Ses crédits sont pratiquement stables - en recul de 2 % -, mais affichent de forts mouvements entre actions, en particulier entre la « lutte contre les maladies animales, protection et bien-être animal », qui voit, fort logiquement, ses CP augmenter de près de 33 % - hausse de 41 millions d'euros - et la « planification écologique », qui voit ses CP diminuer de près de 59 % - baisse de 60 millions d'euros.
Le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture », qui vise à financer le fonctionnement du ministère et de ses services, notamment déconcentrés, voit quant à lui ses crédits légèrement augmenter de 2 %.
Enfin, le programme 381 « Allègement du coût du travail en agriculture (TODE-AG » n'est, quant à lui, pas pilotable dans la mesure où il est destiné à financer le dispositif d'allègements du coût du travail en agriculture, dispositif défendu de longue date par cette commission puisqu'il est indispensable au maintien de la compétitivité agricole.
Au total, la mission passe de 4,2 milliards d'euros à près de 4 milliards d'euros, perdant donc 210 millions d'euros en CP, dont environ 139 millions d'euros sont portés par la baisse des crédits de la planification écologique. Comme l'a indiqué la ministre de l'agriculture en audition le 19 novembre devant notre commission, la situation budgétaire du pays implique de faire des choix. Nous comprenons cette baisse au regard des efforts demandés pour concourir au redressement de nos finances publiques.
Malgré cette baisse, il convient de noter le respect global des engagements de l'État en matière fiscale. Sans être exhaustif, je citerai : la prorogation de la déduction pour épargne de précaution (DEP) jusqu'en 2028 ; la prorogation, jusqu'en 2027, du crédit d'impôt en faveur de l'agriculture biologique : en accord avec M. Tissot, nous demandons d'ailleurs - à l'instar des députés - la prorogation jusqu'en 2028, afin de nous aligner sur le pas de tir de la modification de la politique agricole commune (PAC). S'y ajoute l'exonération d'impôts sur les plus-values ou profits sur stocks de l'indemnité pour abattage sanitaire des animaux affectés à la reproduction du cheptel.
J'ajoute que mon corapporteur Franck Menonville et moi-même soutiendrons, à titre personnel, plusieurs propositions fiscales, dont la poursuite de la consolidation de la DEP, notamment par l'augmentation de son plafond et par son extension sous condition aux aléas économiques. Sur ce point, nous nous acheminons, je l'espère, vers un vote favorable du Sénat.
Nous défendrons également le retrait de la hausse de la fiscalité des biocarburants français d'origine agricole qui a été votée par l'Assemblée nationale et, enfin, l'aide aux éleveurs dont le cheptel a fait l'objet de mesures d'abattage, notamment par l'exonération sociale des indemnités perçues - faisant déjà l'objet d'une exonération fiscale.
J'en viens à la seconde partie de notre avis budgétaire, que nous avons fort logiquement choisi d'orienter vers la gestion des crises en agriculture et en viticulture. Nous assistons, hélas, à une accélération de celles-ci, les plus notables étant actuellement la crise de la viticulture - analysée dans le rapport d'information de nos collègues Daniel Laurent, Henri Cabanel et Sébastien Pla -, les crises sanitaires en élevage, et enfin la crise touchant une bonne partie de la filière des grandes cultures. Cette dernière est victime depuis plusieurs années de l'effet ciseaux consécutif à la hausse des coûts et à la baisse des prix, sans parler de la récolte historiquement faible de 2024.
Au total, et comme cette commission l'avait anticipé dès 2019, puis analysé une nouvelle fois en 2022, la balance commerciale agroalimentaire française ne connaît plus une lente dégradation, mais bien un effondrement. Elle devrait ainsi être déficitaire pour la première fois en 2025 : c'est dire l'ampleur du décrochage. Alors qu'en juillet dernier, la balance commerciale agroalimentaire française enregistrait un léger excédent, nos principaux concurrents, l'Italie et l'Espagne affichaient des excédents de plusieurs milliards d'euros.
Ce n'est naturellement pas en un budget, qui plus est financièrement contraint, que nous allons inverser cette tendance. Nous vous proposons néanmoins d'adopter quelques amendements ciblés pour soutenir nos filières. Je tiens à signaler que lesdits amendements se proposent de redéployer des crédits de la mission, affectés à des frais de fonctionnement, vers des actions concrètes, sans surenchère.
Le premier amendement prévoit une augmentation de l'aide à la restructuration des exploitations agricoles à hauteur de 4 millions d'euros ; un autre amendement prévoit la création d'un fonds d'allègement des charges pour nos viticulteurs et nos céréaliers à hauteur de 25 millions d'euros : même si ce montant sera insuffisant, il importe d'inscrire une ligne spécifique dans le budget. Nous proposons également de poursuivre le soutien aux coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma) pour 0,5 million d'euros : même si, les crédits pour 2025, qui s'élevaient à 1,5 million d'euros, n'ont été consommés qu'à hauteur de 1,2 million d'euros, nous souhaitons maintenir pour 2026 un même niveau de crédits.
En outre, nous avons souhaité aborder la question de l'élevage, une mission flash étant actuellement conduite par Martine Berthet sur le sujet qui nous préoccupe tous, à savoir la crise sanitaire liée à la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Mon collègue Jean-Claude Tissot l'évoquera sûrement, mais le point mort dans lequel semblent être les Assises du sanitaire animal est préoccupant.
Les crises de l'élevage nous conduisent naturellement à aborder la question des vétérinaires ruraux. Nous proposons de répondre à une demande forte et légitime de leur part, à savoir la mise en place d'une rémunération forfaitaire destinée à compenser les coûts inhérents à la surveillance sanitaire des élevages, mesure que nous avions appelée de nos voeux dans notre rapport pour avis de l'année dernière.
Aussi, nous vous proposons un amendement prévoyant un complément de 15 millions d'euros, soit un montant qui ne répond certes pas à l'ensemble de la demande - estimée à 50 millions d'euros -, mais qui, ajouté aux 10 millions d'euros déjà prévus par le ministère, permet d'atteindre la moitié des crédits nécessaires. Cela constitue une base solide pour mettre en place cet accompagnement indispensable au maintien du maillage vétérinaire, l'actualité de la DNC nous démontrant que nous avons besoin de réarmer cette surveillance des territoires.
Nous vous proposons, en outre, un amendement visant à maintenir les crédits fléchés pour le pastoralisme et la lutte contre la prédation : au regard de la pression croissante du loup et du péril pour nos élevages extensifs, il est inenvisageable de diminuer les crédits dédiés et nous proposons l'ajout d'un million d'euros.
Enfin, nous notons que les dispositions figurant dans la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture ne trouvent pas de traduction dans le PLF pour 2026, ce que nous déplorons, car, s'il est indispensable de lutter à court terme contre les crises affectant l'économie agricole, il est tout aussi indispensable de penser le long terme et notamment la question de l'installation de nos jeunes. Nous recommandons donc de mettre rapidement en oeuvre l'aide au passage de relais - dispositif d'initiative sénatoriale -, de même que le diagnostic modulaire, qui doit permettre à un jeune de mieux appréhender l'équation économique, sociale et environnementale de son exploitation.
En conclusion, mes chers collègues, si nous ne nous réjouissons pas de la baisse des crédits de la mission de l'ordre de 210 millions d'euros - baisse qui ne saurait se prolonger année après année -, nous l'acceptons en responsabilité, tout en proposant certains ajustements par le biais de nos amendements.
Sous ces conditions, nous vous proposons d'adopter les crédits de la mission.
M. Franck Menonville, rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Nous considérons que l'effort global demandé sur la mission « Agriculture », de l'ordre de 200 millions d'euros en CP, soit une diminution de 5 %, est acceptable compte tenu de l'objectif impérieux de redressement des finances publiques. En revanche, nous vous proposons quelques améliorations dans la répartition des crédits entre les programmes, afin de nous assurer de l'efficience de la dépense publique.
Pour ma part, j'évoquerai les pistes proposées pour la forêt, mais j'aimerais d'abord vous dire quelques mots des enjeux agricoles. En tant que rapporteur de la loi d'orientation agricole, je suis particulièrement sensible à la problématique du soutien à l'installation. La loi prévoit le déploiement du réseau France Services Agriculture en 2027, avec une première phase d'expérimentation qui sera mise en oeuvre dès l'année prochaine, avant une généralisation en 2028. Les chambres d'agriculture sont en première ligne de ce dispositif et auront besoin d'obtenir les moyens de pouvoir exercer correctement et pleinement cette nouvelle mission.
Pour ce faire, elles envisagent de réclamer l'indexation sur l'inflation du plafond de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB), qui représente 40 % des ressources de leur réseau. Cette mesure relève de la première partie du projet de loi de finances dont nous ne sommes pas saisis, mais nous aurons l'occasion d'aborder cette question lors de la séance publique puisque des amendements ont été déposés. Compte tenu du calendrier de déploiement de France Services Agriculture, il est naturel d'avoir un débat sur la nécessité d'y allouer des crédits dès 2026. Je tenais tout de même à vous signaler ce point, compte tenu de l'importance de la politique de soutien à l'installation et des inquiétudes légitimes que soulève sa mise en oeuvre pour les chambres d'agriculture.
S'agissant du volet forestier, j'ai indiqué à la ministre de l'agriculture, lors de son audition par notre commission, que je déplorais, comme bon nombre de nos collègues, que ce sujet ne soit pas revenu dans son giron. La répartition complexe de la gestion de la forêt entre son ministère, qui conserve une compétence résiduelle en la matière, et celui chargé de la transition écologique nuit à la lisibilité globale de cette politique publique.
Or, comme je le répète depuis des années, la forêt a besoin d'un cap clair, tant du point de vue des moyens humains et budgétaires qui lui sont alloués que du portage politique de la stratégie forestière.
Si les crédits de l'action 26 « Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois » du programme 149 sont stables - ce que je salue -, il en va différemment des crédits dédiés à la planification écologique, qui s'effondrent. La baisse est en effet de l'ordre de deux tiers en autorisations d'engagement (AE) et d'un tiers en CP, ces crédits ayant fondu comme neige au soleil puisqu'ils ont été divisés par cinq depuis 2024 ! Ils s'élevaient à l'époque à 509 millions d'euros - même si l'exécution réelle des crédits montre qu'il s'agissait, pour partie, d'une évolution en trompe-l'oeil - alors que, sur les 97,7 millions d'euros d'AE programmés pour 2026, seuls 70,7 millions d'euros seront effectivement affectés au renouvellement forestier...
En outre, la disparition du détail des sous-actions a affecté la traçabilité des crédits au sein de chaque action. Les auditions ont toutefois permis de clarifier que les moyens dédiés à la dynamisation de l'aval de la filière bois avaient tout bonnement disparu du programme 149, ce que nous déplorons car, comme l'ont montré nos collègues Anne-Catherine Loisier et Serge Mérillou dans leur rapport d'information déposé en juillet dernier, la filière a terriblement besoin d'être soutenue, structurée et modernisée.
Par esprit de responsabilité, chers collègues, nous vous proposons une hausse très limitée de l'enveloppe dédiée à la forêt au sein des crédits de la planification écologique, à hauteur de 15 millions d'euros. Elle ne compensera pas les effets délétères du stop and go pratiqué depuis plusieurs années, mais elle aura le mérite de limiter l'impact d'une baisse budgétaire brutale sur le renouvellement forestier en accroissant les crédits qui lui sont dédiés de 10 millions d'euros. C'est toute une filière qui doit s'organiser, des entreprises de travaux forestiers aux producteurs de graines et plants. Il ne faut surtout pas casser cette dynamique. En outre, l'augmentation que nous vous proposons servira à soutenir l'investissement dans la filière bois aval, en réaffectant une ligne de crédits à hauteur de 5 millions d'euros - un montant certes modeste, mais susceptible d'avoir un effet d'entraînement dans les territoires.
Par ailleurs, nous déplorons, comme l'année passée, que le PLF prévoie la réduction des effectifs de l'Office national des forêt (ONF) de 37 équivalents temps plein travaillés (ETPT) sur les deux prochaines années, soit 19 ETPT de moins en 2026 et 18 en 2027.
Or l'ONF a déjà perdu 40 % de ses effectifs entre 2002 et 2022. En parallèle, il s'est vu confier de nouvelles missions et doit faire face à des enjeux d'altération de nos forêts qui nécessitent des moyens humains et techniques considérables. J'ajoute que l'ONF a été confronté à de nombreuses difficultés par le passé, dont un très lourd endettement à hauteur de 400 millions d'euros qu'il a commencé à résorber : nous ne souhaitons donc absolument pas casser cette dynamique vertueuse.
La baisse du plafond d'emplois de l'ONF est d'autant plus incompréhensible qu'elle ne générerait aucune économie pour l'État, puisqu'elle ne s'accompagne pas d'une diminution de la subvention pour charges de service public (SCSP) qui lui est versée. Les ressources propres de l'ONF résultant de la vente de bois, qui représentent 70 % de son budget, seraient suffisantes pour financer ces ETP.
Par conséquent, chers collègues, nous vous proposons un amendement visant à annuler l'impact du schéma d'emplois sur le plafond d'emplois de l'ONF.
Dans la même veine, enfin, nous regrettons que le PLF pour 2026 pénalise doublement le Centre national de la propriété forestière (CNPF) chargé de développer et améliorer la gestion des forêts privées, qui représentent 75 % de la surface des forêts de l'Hexagone.
Le CNPF subit non seulement une baisse de 420 000 euros de sa SCSP, mais aussi la diminution de l'évolution de ses effectifs hors plafond à hauteur de 3 ETPT. Ces postes ne sont pas financés par l'État, mais par des conventions conclues avec les collectivités territoriales. Dans un contexte budgétaire contraint, la baisse de la SCSP n'est soutenable que si l'opérateur a la possibilité de financer, sur ses ressources propres, les effectifs nécessaires à l'exercice de ses missions par le biais de partenariats et de conventions dans les territoires. Je rappelle que le législateur lui-même a entendu lui confier des missions nouvelles par la loi d'initiative sénatoriale de 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie.
Si le ministère chargé de la transition écologique nous a indiqué que le niveau des ETPT hors plafond d'emplois figurant dans le projet annuel de performances (PAP) n'était pas bloquant, le CNPF nous a fait part de ses inquiétudes légitimes, d'où l'amendement que nous vous proposons.
Sous réserve de l'adoption des amendements que nous vous présenterons, j'émets un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Je remercie mes corapporteurs pour la qualité de nos échanges et la sérénité de nos débats, mais, comme vous pouvez l'imaginer, je n'ai pas tout à fait la même appréciation des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » qui nous sont proposés par le Gouvernement.
Comme nous l'indiquons dans cet avis budgétaire, l'équation est finalement assez simple puisque les crédits 2026 reviennent, concernant les AE, pratiquement à leur niveau de 2023. Concernant les CP, c'est à peine mieux. Autrement dit, il nous est proposé de revenir trois ans en arrière, alors même que les crises en agriculture n'ont peut-être jamais été aussi fortes. Il semblerait, comme je l'ai indiqué à la ministre, que l'on recule en matière d'agriculture.
Ces coupes dans les crédits se font de plus au détriment de diverses politiques, à commencer par celle relative à la planification écologique. Or les transitions vers des modèles plus soutenables sont absolument indispensables, car elles sont les gages de notre indépendance : à moyen et à long terme, l'agriculture française pâtira des conséquences des choix budgétaires actuels. C'est pourquoi je souhaite m'attarder quelques instants sur ces coupes afin que nous prenions conscience de l'ampleur des baisses opérées en l'espace de deux années.
Concernant l'action « Planification écologique » du programme 149, pour mesurer l'effondrement de nos ambitions, il convient de se rappeler le niveau des crédits votés en 2024 : 1 milliard d'euros en AE et 750 millions d'euros en CP.
Ces crédits visaient à financer le plan Haies, le plan Protéines, le diagnostic carbone, le fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions, la décarbonation en agriculture, le soutien au renouvellement forestier, la dynamisation de l'aval bois-matériaux, la défense contre les incendies, les graines et plants forestiers et enfin la forêt en outre-mer. En somme, ces crédits visaient à assurer la transition, la compétitivité et la souveraineté agricole et forestière.
Pour 2026, il nous est donc proposé 118,5 millions d'euros en AE et 178,3 millions d'euros en CP, ce qui permet de mesurer l'effondrement par rapport au milliard d'euros précédemment prévu en AE. Il s'agit littéralement d'un abandon, inconcevable à mes yeux.
L'abandon de cette politique se constate aussi à la lecture des développements accordés à cette action dans le PAP : ces derniers se résument à moins de deux pages, dans lesquelles on constate que les seuls rescapés sont le fonds hydraulique et la forêt, pour des montants bien modestes. Mon collègue Franck Menonville propose à ce titre un amendement qui va dans le bon sens.
Toujours au sujet de l'action « Planification écologique », je souhaite m'attarder sur les coupes opérées sur la stratégie de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Le constat est le même : là où 250 millions d'euros en AE étaient proposés pour 2024, avec 150 millions d'euros en CP, il nous est proposé, pour 2026, 25 millions d'euros en AE, soit une diminution de 90 %. Or, même si certains le déplorent, je pense que chacun convient que la réduction continue du nombre de substances actives autorisées nous enjoint à accélérer la recherche pour trouver des alternatives.
C'est donc ici toute une dynamique que l'on affaiblit, et vous ne m'empêcherez pas d'y voir une stratégie toute pensée visant à ralentir la recherche d'alternatives. Telle est l'analyse que je fais des crédits de la mission.
J'en viens maintenant aux crises sanitaires en élevage. Je me réjouis, madame la présidente, que notre commission ait pris l'initiative de lancer une mission flash sur la DNC, qui fait planer un risque immense sur notre agriculture et en particulier sur l'élevage. En audition, il nous a été confirmé que les Assises du sanitaire animal sont à l'arrêt, ce que je déplore. Le coeur du problème semble être, cela ne surprendra personne, le financement et la gouvernance de notre système de veille et d'action sanitaire.
Une fois n'est pas coutume, je rejoins l'analyse de mon collègue Laurent Duplomb pour souligner et saluer le rôle indispensable des vétérinaires ruraux, l'audition de leurs représentants ayant bien confirmé à quel point le dépeuplement a aussi été une épreuve pour eux. Ils méritent notre soutien et, à ce titre, je me réjouis que nous vous proposions un amendement en ce sens. Je rappelle que ce sont plus de 2 600 bovins qui ont dû être abattus sur les exploitations, ce qui constitue évidemment un traumatisme en premier lieu pour l'éleveur concerné, mais aussi pour le vétérinaire, en charge de cette triste mais indispensable besogne.
Toujours au sujet de cette crise et de l'article 10 du PLF, je salue le dispositif d'exonération fiscale des indemnités d'abattage proposé par le Gouvernement, mais il faut aller plus loin : les indemnités visent en effet à compenser un préjudice subi, et, en ce sens, il n'y a pas lieu selon moi de les conditionner à la reprise d'une activité économique identique. Il est suffisamment difficile pour un éleveur de voir le fruit de son travail et de son engagement décimé.
Enfin, je souhaite conclure cette intervention sur une touche d'optimisme, en me réjouissant que l'article 10 du PLF proroge le crédit d'impôt en faveur de l'agriculture biologique, qui constitue un véritable soutien à la filière. Toutefois, mon groupe portera un amendement visant à amplifier ce soutien.
Au final, je ne soutiendrai pas ces crédits et mon groupe ne votera pas en faveur du rapport.
M. Daniel Salmon. - Laurent Duplomb juge que la situation pourrait être pire et qu'elle ne devra pas s'éterniser : c'est une manière de voir les choses, mais la diminution des crédits dure déjà depuis deux ans et, avec une baisse de 27 % en AE et de 15,6 % en CP, nous parlons bien d'une baisse colossale, à un moment où l'agriculture française n'en a guère besoin. Globale, cette baisse n'est pas pour autant homogène : elle conduit à des diminutions draconiennes dans des programmes essentiels pour soutenir et transformer l'agriculture française.
Pour ce qui est de l'installation-transmission dont on parle beaucoup dans cette commission, l'action 23 du programme 149, qui finance l'appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles, affiche une baisse de 20 % : dans ces conditions, j'ignore comment nous pourrons atteindre l'objectif de 500 000 exploitants agricoles à l'horizon 2035.
En matière de transition agroécologique, un effondrement des crédits est également à l'oeuvre avec une baisse de 64 % sur l'action 29, et même de 89 % si on remonte à deux ans, comme l'a indiqué Jean-Claude Tissot. S'y ajoutent une baisse importante des crédits dédiés à la structuration du bio et la réduction du budget alloué au pacte de la haie, dont le montant risque de n'atteindre que le dixième des 110 millions d'euros qui avaient été annoncés deux ans plus tôt.
S'agissant ensuite de la stratégie de diminution de l'utilisation des pesticides, nous passons de 155 millions en AE à 25 millions d'euros, excusez du peu. De la même manière, les mesures environnementales et climatiques connaissent une division de leurs crédits par deux.
Ce budget est donc très clair : il s'agit d'abandonner complètement la transition écologique et de ne plus se soucier de diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires. Apparemment, il n'existe plus aucun problème avec les pesticides, bienvenue dans le monde merveilleux de la chimie ! Tout cela est particulièrement inquiétant.
Je relève aussi une baisse de 3,7 millions d'euros pour l'Agence Bio. Quand une crise se profile, on sait en général apporter des aides, mais force est de constater qu'il existe des différences suivant que vous êtes gros ou petit ou que vous travaillez ou non avec les lobbies des pesticides, des engrais ou du machinisme.
Ce budget n'est donc plus guidé par une logique d'opposition entre les modèles, mais par une logique de réduction maximale de la part de l'agriculture biologique. Une baisse dans de telles proportions est intolérable. Tout cela est un peu surprenant au moment où le projet d'implantation d'une usine de fabrication d'engrais azotés dans la Somme nous permet de nous rendre compte de notre dépendance aux engrais azotés russes : nous disposons pourtant d'une agriculture capable de se passer de ces engrais de synthèse, à savoir l'agriculture biologique, qui protège également les sols et les eaux.
A contrario, il existe toujours des fonds pour financer le programme relatif à l'allègement du coût du travail (TODE-AG), basé sur des exonérations de cotisations patronales qui représentent des centaines de millions d'euros. Au final, ce sont les Français et les collectivités qui paieront la dépollution et les dépenses de santé.
De surcroît, le gel du financement d'opérateurs essentiels tels que l'ONF et l'Anses est prévu. On comprend bien les raisons de la diminution des crédits pour le second dans la mesure où l'on débat actuellement, au niveau européen, d'une homologation des pesticides à vie : cette solution présentera l'avantage de ne plus se poser de question, puisque les études deviendront superflues.
La seule hausse concerne l'action 2 du programme 206 relative à la lutte contre les maladies animales, la protection et le bien-être animal, épizooties qui sont des symptômes du réchauffement climatique et de la mondialisation des échanges : là aussi, il faudra s'interroger sur le modèle agricole que nous souhaitons.
Nous voterons contre ce budget. Pour ce qui concerne les amendements, nous allons les examiner un par un, en regardant la manière dont ils sont financés : s'il s'agit de ponctionner encore l'enveloppe de la planification écologique, nous ne pourrons pas voter en leur faveur.
M. Gérard Lahellec. - Je remercie très sincèrement les rapporteurs, qui nous apportent des éclairages précieux pour le débat à venir sur les amendements, ainsi que pour le futur débat en séance publique. En repli de plus de 200 millions d'euros, ce budget ne porte pas, à l'évidence, une grande ambition agricole, mais il s'inscrit dans un PLF global construit dans la perspective de réduction des dépenses publiques. Disons-le franchement : d'autres thématiques sont davantage mises à contribution.
Je partage également l'appréciation portée sur la forêt, qui ne doit pas être traitée comme un sous-ensemble.
Pour en revenir au budget dans sa globalité, nous savons pertinemment qu'il ne fait pas tout, la politique européenne jouant un rôle dans l'économie agricole, sans oublier les traités tels que celui portant sur le libre-échange avec le Mercosur, sur lequel nous serons amenés à revenir. Je tiens surtout à rappeler que l'agriculture n'est pas une activité économique comme les autres, et que la souveraineté agricole n'a pas grand-chose à voir avec la vente d'automobiles : lorsque le Brésil peut produire deux récoltes d'oléo-protéagineux, nous ne pourrons en produire qu'une en France, quoi que nous fassions.
Je soutiendrai certains des amendements proposés, dont celui qui porte sur les Cuma, mais aussi celui relatif à l'élevage, qui doit être érigé en priorité du développement agricole de notre pays. Il faut à cet effet se préparer à la gestion des crises futures, et il importe aussi de soutenir les vétérinaires ruraux comme le pastoralisme : nous voterons donc contre ce budget, mais en restant constructifs vis-à-vis des amendements proposés.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je remercie les rapporteurs pour leurs éclairages sur des arbitrages complexes. Je soutiendrai les amendements relatifs à la forêt, qui est la grande sacrifiée des derniers budgets, avec des crédits qui ont été réduits de 500 millions d'euros à moins de 100 millions d'euros en l'espace de deux ans.
Alors qu'il était question de planter un milliard d'arbres à l'horizon 2032, nous ne parvenons péniblement qu'à 60 millions et, si des crédits de renouvellement ont soi-disant été votés en 2025 pour un montant de 80 millions d'euros, 61 millions d'euros ont été annulés en pratique.
Ma première demande consiste donc à ce que les ministères engagent réellement les crédits que nous votons, car cette manière d'agir devient pénible, notamment pour des professionnels qui s'inquiètent du sort réservé aux dossiers instruits en 2025. Dans la France de 2025, nous n'avons donc financé le renouvellement forestier qu'à hauteur de 20 millions d'euros, ce qui est catastrophique alors que la forêt subit de multiples incendies et est confrontée au dépérissement.
Nous ne sommes donc pas du tout à la hauteur et nous préparons un avenir désastreux pour nos forêts, d'autant plus qu'une nouvelle crise sanitaire se profile avec le nématode du pin : localisée dans le sud-ouest pour l'instant, elle risque de se développer une fois les beaux jours revenus. Je rappelle qu'elle entraîne des coupes rases dans un rayon de plusieurs kilomètres dès lors qu'un foyer est atteint puisque cet organisme ravageur se transmet de proche en proche.
Je compte donc sur nos rapporteurs pour inciter le Gouvernement à engager effectivement les crédits difficilement obtenus et à laisser des opérateurs qui ne demandent rien faire leur travail. Je pense bien sûr à l'ONF, qui finance ses emplois : malgré les critiques qui lui sont adressées, cet organisme s'est restructuré et fait correctement son travail. Je rappelle d'ailleurs que son endettement n'est pas lié à un manque d'efficacité, mais au transfert brutal du financement des pensions de retraite de ses agents. L'ONF ayant désormais remonté la pente, laissons-le travailler et cessons les opérations de communication autour de la suppression de postes alors que celle-ci ne rapportera rien sur le plan financier.
Je remercie de nouveau les rapporteurs pour leur soutien à la filière forêt-bois, qui représente 440 000 emplois, 60 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 90 000 entreprises sur l'ensemble du territoire.
M. Franck Montaugé. - L'agriculture française traverse en quelque sorte un tunnel puisqu'elle ne dispose d'aucune visibilité. Alors que les besoins sont énormes, les tendances de ce budget sont quasiment toutes négatives. S'y ajoutent des perspectives inquiétantes au niveau européen, dont la proposition de fusion des deux piliers de la PAC ou encore celle qui vise à fusionner le budget de l'agriculture dans le budget général, ce qui serait proprement catastrophique.
Rien de tout cela n'est positif alors que l'inquiétude et la colère montent dans les campagnes, avec une violence qui reste verbale pour l'instant, mais qui pourrait passer au niveau supérieur.
Quelles sont les perspectives positives que nous pouvons malgré tout entrevoir ? Je n'ai pas su les identifier à l'écoute de votre rapport ; personnellement, je n'en vois aucune, malgré les amendements proposés par les rapporteurs. Par conséquent, nous voterons donc contre ce budget agricole.
M. Henri Cabanel. - Je salue à mon tour les rapporteurs et l'état d'esprit dans lequel ils ont travaillé, qui honore le Sénat. Si la diminution des crédits paraît raisonnable, les choix opérés m'interrogent : a-t-on bien défini les enjeux de souveraineté alimentaire alors que nous perdons du terrain et que notre balance commerciale agroalimentaire s'oriente vers un déficit ?
Les enjeux de l'adaptation au changement climatique sont eux aussi essentiels, toutes les régions de France étant concernées. Fournissons-nous des efforts suffisants afin de mener cette politique à moyen et à long - voire très long - terme ? J'ai l'impression que nous ne faisons que courir après les urgences.
Lorsqu'un incendie se déclenche, deux attitudes sont possibles : soit on l'éteint, comme dans le cas de la crise viticole - je remercie d'ailleurs la ministre pour les efforts importants qu'elle a fournis -, soit on tâche de prévenir de futurs départs de feux. Force est de constater que nous ne faisons qu'appliquer la première méthode depuis des années, alors que le défi de la souveraineté alimentaire nécessiterait d'employer la seconde méthode.
Nos finances publiques nous permettent-elles de la porter ? Je me pose cette question, tout en considérant qu'un bon compromis est préférable à une mauvaise politique : il faut donc concilier la résolution de crises économiques, climatiques et sanitaires avec une vision à moyen et long terme, dont nous ne verrons peut-être immédiatement pas les résultats.
Comme l'a souligné Gérard Lahellec, l'agriculture est une activité à part : l'enjeu de la souveraineté alimentaire est essentiel et se situe d'ailleurs au centre des manoeuvres des grandes puissances, qui recherchent des surfaces agricoles utiles. Il s'agit du combat de demain, mais je doute que nous en ayons pleinement conscience et que nous soyons capables de mettre en place les politiques nécessaires pour garantir notre souveraineté alimentaire.
Je m'abstiendrai à ce stade, mais, une fois encore, éteindre les incendies ne saurait suffire.
M. Daniel Gremillet. - Le ministère de l'agriculture s'est appauvri - c'est particulièrement vrai pour la forêt -, mais, plus largement, une réelle stratégie alimentaire fait défaut : celle-ci ne se limite pas au paysan et doit englober une politique d'investissement et d'innovation. Les phénomènes à l'oeuvre sont inédits et un budget ne saurait suffire à les contrecarrer, tant ils résultent de l'incapacité politique à fournir un cadre stable et une vision apaisante pour celles et ceux qui prennent des risques dans le domaine agricole, quel que soit d'ailleurs le type d'agriculture choisi. Je ne souhaite pas opposer l'agriculture biologique aux autres modes de production, car ils sont complémentaires et doivent se positionner sur un marché donné.
De manière générale, je suis interpellé par le décrochage considérable de la « ferme France », au sujet duquel nous avons alerté à plusieurs reprises. Hélas, les chiffres de l'année nous donnent raison, la dégradation de la balance commerciale reflétant parfaitement l'évolution du contenu de l'assiette du consommateur français. Malgré le vote de la loi d'orientation agricole, que nous avons tenté d'améliorer autant que possible, la tendance sera difficile à inverser.
Enfin, comment voulez-vous donner envie aux jeunes de devenir agriculteur ou forestier si le premier est dépeint comme un empoisonneur et le second comme un massacreur d'arbres ? De telles pratiques ne peuvent que mener à notre appauvrissement. Nous l'avons déjà vécu avec la filière nucléaire : défiler avec des banderoles « non au nucléaire » n'est pas de nature à susciter l'envie d'exercer les métiers de ce secteur.
Je voterai en faveur des amendements des rapporteurs.
M. Jean-Marc Boyer. - Pour en revenir aux enjeux de transmission et de passage de relais, l'une des missions de l'enseignement agricole vise aussi à assurer le renouvellement des générations en agriculture. À l'heure des choix budgétaires, quelle coordination est mise en place pour s'assurer de la cohérence de l'ensemble et de l'absence de doublons entre les chambres d'agriculture et les établissements de l'enseignement agricole ?
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Il est exact que nous passons notre temps à colmater les brèches, sans jamais avoir le temps de porter une vision d'avenir et une véritable stratégie, ce qui aboutit à une forme de décroissance pour l'agriculture française. Dans mon rapport d'information La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? de 2019, j'avais estimé que les Français consommaient des produits importés un jour par semaine : cette donnée mérite d'être actualisée et je ne pense pas me tromper en affirmant que nous sommes probablement plus proche des deux jours désormais. Si cette hémorragie continue, nous perdrons complètement notre souveraineté alimentaire.
Jean-Luc Demarty, ancien directeur général du commerce extérieur de la Commission européenne, répondant à un journaliste de Valeurs actuelles le 16 octobre dernier, a souligné que : « entre 2010 et 2024, le revenu agricole net par actif non salarié inflation déduite (indicateur B d'Eurostat), n'a crû que de 15% en France pour 77% en moyenne dans l'UE. Par contre entre 1993 et 2010, après trois réformes de la PAC, le revenu agricole français a progressé de 65 % contre 38 % pour l'UE (...) ».
Ce ne sont pas mes propos, mais ceux de quelqu'un qui a passé des années au sein de la Commission européenne et qui constate une réalité factuelle.
M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Le budget de la mission ne résume pas à lui seul la stratégie agricole et ne peut pas compenser des années d'errance.
L'agriculture française est exposée à de sérieux dangers, qu'il s'agisse du Mercosur, du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) et surtout des négociations autour de la PAC, dont les crédits pourraient diminuer de 80 milliards d'euros dans le cadre de la prochaine programmation. Je rappelle que la PAC représente environ 9 milliards d'euros pour la France, un chiffre à mettre en perspective avec les 4 milliards d'euros du budget du ministère.
Nous avions déjà identifié le décrochage de l'agriculture française, qui est avant tout lié à un manque de vision stratégique et à un empilement de mesures qui ont peu à peu altéré sa compétitivité et ses performances. J'ajoute que la filière agroalimentaire souffre d'un manque d'investissements et je rappelle que la balance commerciale se construit à la fois avec des exportations de produits agricoles bruts et de produits transformés par notre industrie agroalimentaire. J'en appelle à un sursaut national tant le déclin auquel nous faisons face est profond.
Par ailleurs, je souscris aux observations d'Anne-Catherine Loisier au sujet de la filière forêt-bois, qui est là aussi un beau gâchis. Nous ne souhaitons donc pas voir la ligne budgétaire permettant à l'aval de se moderniser et d'investir disparaître : même si le montant prévu est modeste, il envoie un message et peut faire office de levier.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Nous partageons le constat selon lequel nous allons dans le mur, mais qui est responsable de la politique agricole française depuis des décennies ? Un certain syndicat majoritaire...
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Ce dernier ne fixe pas les règles européennes.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - J'ajoute que d'autres spécialistes moins libéraux que celui que vous avez cité pourraient être sollicités pour analyser les causes du déclin. Au-delà des constats, nous n'avons pas les mêmes remèdes.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Le MACF entraîne, pour un céréalier qui produit du blé, un surcoût important pour la solution azotée nécessaire à la plante : avant la taxe, un céréalier doit prévoir environ 17 quintaux pour couvrir ces frais ; si elle est appliquée telle qu'elle a été votée, il faudra y ajouter environ 12 quintaux à partir du 1er janvier 2026, soit un total de l'ordre de 29 quintaux mobilisés, sachant que la production n'atteint que 60 à 70 quintaux dans les zones les plus difficiles et entre 90 et 100 quintaux dans les zones les plus favorables. Un tel dispositif va amoindrir la compétitivité d'une des seules filières françaises qui exporte encore massivement.
Comment l'expliquer ? Toutes les entreprises qui produisaient de l'azote ont été fermées, le projet d'implantation d'une usine d'engrais azotés dans le nord de la France ne pouvant couvrir qu'une infime partie des besoins en solution azotée. De plus, son coût est estimé à 1,3 milliard d'euros, et il faudrait investir 10 à 15 milliards d'euros pour espérer retrouver notre souveraineté dans ce domaine.
De surcroît, ladite usine suscite une vive opposition. Je note d'ailleurs que la justice a estimé très récemment qu'il était normal qu'un maire d'une commune de la Côte-d'Or refuse de délivrer un permis de construire pour un poulailler d'environ 29 000 volatiles en se fondant sur des motifs liés au changement climatique.
Continuons comme ça, éteignons les lumières et nous finirons par manger des insectes !
M. Yannick Jadot. - Il n'y en a plus !
M. Pierre Cuypers. - La situation sera dramatique à partir du 1er janvier, comme l'a souligné Laurent Duplomb. Pour prendre l'exemple d'un bateau transportant 20 000 tonnes d'azote, compte tenu d'un coût supplémentaire estimé à 144,73 euros par tonne par les professionnels, l'importateur aurait à assumer un surcoût de près de 3 millions d'euros, ce qui signifie qu'il n'y aura plus d'importations et que nous ne produirons plus, ce qui nous rendra dépendants du reste du monde pour toutes les productions. Si aucune disposition n'est prise, notre agriculture sera gravement menacée.
M. Daniel Salmon. - S'agissant des engrais, je peux faire les mêmes constats que Laurent Duplomb, mais je n'en tire pas du tout les mêmes conclusions : il existe une agriculture qui se passe des engrais azotés, à savoir l'agriculture biologique, avec certes des rendements moindres, mais le coût des importations peut amener à s'interroger sur leur pertinence.
Concernant la balance commerciale, il faut examiner la situation dans le détail : une bonne partie de notre déficit de cette année est liée au café et au cacao, dont le prix a été multiplié par deux. Plus largement, il convient de s'interroger sur le régime alimentaire des Français : vouloir manger de plus en plus de fruits tropicaux et de légumes hors saison ne fait qu'accroître les importations.
M. Yves Bleunven. - Nous allons surtout privilégier l'importation d'ammonitrates, alors qu'un rapport d'information du Sénat remis il y a trois ans avait alerté sur les risques liés à ce produit. J'ajoute que le MACF laisse la possibilité aux agriculteurs d'importer directement sur des quotas de 50 tonnes : il serait donc souhaitable qu'ils s'organisent afin d'éviter de surcharger nos douanes.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - J'en viens à nos amendements, en rappelant que nous n'avons pas voulu, dans la situation actuelle, faire dans la surenchère : nous avons donc examiné les possibilités qui s'offraient à nous dans le cadre d'une enveloppe de 4 milliards d'euros de la mission, en cherchant à jouer sur la répartition des crédits.
Nous nous sommes aperçus avec étonnement que la baisse globale de 210 millions d'euros des crédits s'accompagnait d'une forte hausse de certaines lignes relatives à ce que j'appelle des « frais administratifs ».
Nous avons souhaité rediriger des crédits vers des sujets qui nous semblaient importants. Le coût global des huit amendements correspondants s'élève à 60,5 millions d'euros, en prenant essentiellement - j'insiste - sur les lignes correspondant à des frais administratifs, et non pas sur d'autres crédits tels que ceux de la planification écologique. Si certains montants peuvent paraître insuffisants, je précise qu'il s'agit avant tout de donner une orientation politique, ne serait-ce que par la création d'une ligne budgétaire, pour prendre l'exemple d'un amendement.
L'amendement n° II-109 vise ainsi à augmenter de 4 millions d'euros l'aide à la restructuration des exploitations agricoles.
L'amendement n° II-119 vise à mettre en place un fonds d'allègement des charges (FAC), c'est-à-dire une prise en charge des intérêts d'emprunt par l'État pour une exploitation endettée.
L'amendement n° II-120 vise à rehausser à 1,5 million d'euros l'enveloppe bénéficiant aux Cuma et à s'opposer à la diminution initialement prévue par le ministère, comme je l'expliquais précédemment.
L'amendement n° II-121, quant à lui, prévoit de renforcer le soutien aux vétérinaires ruraux, car ils sont en première ligne face à des épizooties qui peuvent avoir des impacts énormes sur l'avenir de l'élevage français. Je rappelle que c'est un jeune vétérinaire qui a décelé des nodules sur un bovin et identifié la DNC, d'où l'importance de conserver des vétérinaires qui ne s'occupent pas uniquement des chiens et des chats, mais aussi des vaches et des moutons en milieu rural, avec des conditions d'exercice plus difficiles et une rémunération moins intéressante. La profession estime les besoins à 50 millions d'euros : le ministère n'ouvre cependant une ligne que de 10 millions d'euros ; nous souhaitons donc porter cette enveloppe à 25 millions d'euros afin de pouvoir apporter une aide d'environ 10 000 euros par cabinet vétérinaire.
L'amendement n° II-122, enfin, prévoit le maintien à un niveau proche de celui de 2025 de la ligne budgétaire relative au pastoralisme et à la lutte contre la prédation.
M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-133 vise à rehausser l'enveloppe « forêt » de la planification écologique de 15 millions d'euros, avec 10 millions d'euros pour le renouvellement forestier et 5 millions d'euros pour l'aval de la filière bois.
L'amendement n° II-134 vise à stabiliser les effectifs de l'ONF.
Quant à l'amendement n° II-235, il concerne les effectifs hors plafonds du CNPF et vise à rappeler que l'opérateur doit pouvoir dépasser la cible qui figure dans le PAP.
M. Henri Cabanel. - Concernant le premier amendement, disposons-nous d'un bilan des aides à la restructuration des exploitations ? Les enveloppes votées précédemment ont-elles été consommées ? Il semble que les critères du dispositif d'aide à la relance de l'exploitation agricole (Area) sont si sévères que peu d'agriculteurs peuvent y prétendre.
M. Pierre Cuypers. - Quel est le pourcentage de gel budgétaire sur les sommes présentées ?
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. -. Comme l'a justement souligné Anne-Catherine Loisier, la communication doit être suivie d'engagements budgétaires concrets. C'est pourquoi nous avons choisi de raisonner essentiellement en CP, même si nous n'avons ensuite pas de vision quant aux gels de crédits qui pourraient être mis en place postérieurement à l'adoption du PLF.
Monsieur Cabanel, l'intégralité des crédits n'a effectivement pas été consommée sur l'Area, mais nous souhaitons nous assurer que le ministère n'en profite pas pour réduire l'enveloppe. La sous-consommation est en effet liée à des critères excessivement restrictifs qu'il convient d'assouplir.
M. Henri Cabanel. - L'un des critères est un niveau d'endettement dépassant les 70 %, ce qui est inopérant.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Tout à fait. Il ne faut pas accepter la diminution mais plutôt remettre en cause les critères administratifs et technocratiques à l'origine de la sous-consommation.
Les amendements nos II-109, II-119, II-120, II-121, II-122, II-133, II-134 et II-235 sont adoptés.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
La réunion est close à 18 h 55.
Projet de loi de finances pour 2026 - Crédits relatifs au logement de la mission « Cohésion des territoires » - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons à présent le rapport pour avis de notre collègue Amel Gacquerre sur les crédits relatifs au logement de la mission « Cohésion des territoires » du PLF pour 2026.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis sur les programmes « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », « Aide à l'accès au logement » et « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » de la mission « Cohésion des territoires ». - Madame la présidente, mes chers collègues, au sein du budget 2026, les trois programmes dédiés au logement, qui représentent 95 % des crédits de la mission, seraient dotés de 21,2 milliards d'euros, en baisse de plus de 4 % par rapport à 2025.
Tout en vous présentant les évolutions des crédits de chacun de ces programmes, je tiens cette année à mettre en lumière l'effet concret des décisions budgétaires en matière de rénovation énergétique sur le terrain : c'était l'objet de mon déplacement du 17 novembre dernier dans l'Audomarois, la région de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais.
Je commence par le programme 109 « Aide à l'accès au logement », qui porte les aides personnalisées au logement (APL). Ses crédits diminueraient de près de 600 millions d'euros. Trois décisions expliquent cette contraction.
D'abord, la hausse de la réduction de loyer de solidarité (RLS) l'explique à hauteur d'un tiers. Autrement dit, le Gouvernement a fait le choix de revenir sur l'avancée obtenue par Valérie Létard l'an dernier, lorsque la RLS avait été abaissée de 200 millions d'euros. C'est un recul, que je déplore d'autant plus qu'il s'ajoute à la hausse de 300 millions de la contribution des bailleurs sociaux au fonds national des aides à la pierre (Fnap). Mais, contrairement au Fnap, la RLS ne réinjecte aucun financement dans la production de logements. C'est une ponction improductive, qui est une perte sèche pour les bailleurs sociaux et pour la politique du logement en général.
Ensuite, le gel du barème des APL génère une économie de 108 millions d'euros. Il s'inscrit dans le cadre d'un gel de l'ensemble des prestations sociales inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), qui représente plus de 2,5 milliards d'économies pour l'État et les organismes de sécurité sociale.
Enfin, le recentrage des APL des étudiants extracommunautaires vers les titulaires d'une bourse sur critères sociaux représente, quant à lui, 100 millions d'euros d'économies en 2026. Alors que les ressources des étudiants font aujourd'hui l'objet d'une forfaitisation, cette mesure vient apporter un « ciblage » des APL à destination des étudiants extraeuropéens.
J'en viens aux évolutions intervenues sur le programme 135, « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », qui contribue le plus à la réduction des dépenses publiques de la mission.
En ce qui concerne la rénovation énergétique du parc social, la promesse d'octobre 2023 d'une enveloppe de 1,2 milliard d'euros sur trois ans n'a pas été tenue. Si l'an dernier, Valérie Létard avait obtenu le report de 200 millions d'euros gelés en 2024, aucune ouverture de crédits n'est prévue cette année pour la rénovation énergétique du parc social.
Pourtant, les travaux de la Banque des territoires nous montrent bien que la situation financière des bailleurs sociaux ne leur permettra pas de produire suffisamment de logements sociaux tout en répondant au défi de la rénovation du parc. Une réflexion s'impose donc.
Le dispositif « Seconde vie », opérationnel depuis début 2025, a permis l'agrément de 6 000 projets grâce à une exonération de taxe foncière pendant vingt-cinq ans, qui passerait néanmoins à quinze ans au-delà du 31 décembre 2026. Son avenir doit être clarifié.
Quant au Fnap, le rapport d'information de notre collègue Jean-Baptiste Blanc rendu l'été dernier a montré combien le désengagement de l'État a affaibli cet outil essentiel. Pour 2026, sa capacité d'intervention ne tient que grâce à la contribution accrue des bailleurs, ce qui n'est pas soutenable à long terme.
En ce qui concerne le parc privé, la dotation de l'État à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) serait réduite de 23 % en crédits de paiement (CP) et de 32 % en autorisations d'engagement (AE), soit respectivement de 500 millions d'euros et de 750 millions d'euros. Cet effort budgétaire important est le fruit de deux mouvements, à savoir un recentrage des aides et une débudgétisation.
Le recentrage des aides décidé en septembre dernier inclut, pour le parcours par gestes, la suppression des aides pour les travaux d'isolation des murs et de changement de chaudière biomasse. Ces deux mesures représenteront des économies de 50 millions d'euros en CP et de 110 millions d'euros en AE. S'y ajoutent l'abaissement des plafonds d'aides et le recentrage sur les ménages les plus modestes et les passoires.
La réduction de la dotation de l'Anah s'explique surtout par une bascule d'un financement en crédits budgétaires vers des certificats d'économies d'énergie (CEE) qui sont, je le rappelle, hors budget et payés sur les factures d'énergie de tout un chacun. Le surcroît de CEE mobilisables en faveur de la rénovation énergétique des logements s'élèverait à 500 millions d'euros. Face à l'ampleur de cette débudgétisation, j'ai décidé d'entendre cette année les entreprises agréées qui financent les travaux éligibles aux CEE.
Compte tenu du contexte budgétaire, le recours aux CEE est une solution intéressante, car il permettra à l'Anah de poursuivre son action en 2026. Néanmoins, mes auditions confirment que la débudgétisation, que cette bascule mérite toute notre vigilance : d'abord, elle réduit le contrôle parlementaire sur le soutien à la rénovation énergétique ; ensuite, elle fait peser le coût, non plus sur le contribuable, mais sur le consommateur, dans la mesure où les CEE représentent environ 4 % de la facture d'énergie, soit environ 165 euros par an en moyenne. Cela n'est pas neutre socialement puisque le coût de l'énergie représente une part plus importante du budget des plus modestes.
Par ailleurs, les CEE restent un mécanisme de marché, certes étroitement surveillé par le ministère, mais je rappelle qu'un surstock a fait plonger les prix en 2022.
Enfin, les CEE sont exposés aux fraudes et certains acteurs que j'ai auditionnés se sont inquiétés de possibles hausses en lien avec l'augmentation des volumes. La loi du 30 juin dernier contre toutes les fraudes aux aides publiques, dont notre collègue Olivier Rietmann était rapporteur, a fait avancer les choses, mais elle n'est pas encore totalement applicable.
Plus largement, les épisodes récents autour du guichet de MaPrimeRénov' témoignent, selon moi, d'un manque criant de cap, voire de l'incohérence de la politique du Gouvernement en faveur de la rénovation énergétique. J'ai pu en mesurer les effets concrets auprès des artisans et des élus lors d'un déplacement dans l'Audomarois le 17 novembre dernier, organisé avec la Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).
La fermeture du guichet puis les changements de règles d'éligibilité des travaux et de plafonds d'aides intervenus en septembre dernier sont un très mauvais signal envoyé aux artisans et aux entrepreneurs : ces derniers avaient investi, recruté et formé leurs équipes pour répondre aux objectifs ambitieux annoncés en 2021. Avec ces revirements successifs, ils ont le sentiment de ne pas avoir été entendus ni considérés.
Au-delà de l'instabilité, c'est la stratégie elle-même qui manque de cohérence. Après avoir privilégié la massification des rénovations d'ampleur, le Gouvernement les restreint aujourd'hui. Quant aux rénovations par gestes, elles sont indispensables, mais encore faut-il qu'elles soient organisées, hiérarchisées et mises en cohérence. Il est contreproductif de soutenir des travaux dans le désordre, de proposer à un ménage de changer son système de chauffage s'il n'a jamais changé ses fenêtres ou isolé ses murs. C'est pourquoi je plaide auprès du Gouvernement pour l'élaboration, en lien avec la filière, d'un « parcours de rénovation par gestes », pour rendre chaque euro dépensé plus efficace et faire de la pédagogie auprès des consommateurs.
Je souhaite enfin souligner l'importance du pilotage budgétaire du guichet des aides à la rénovation énergétique. Loin de se résumer à une question de fraudes, la fermeture du guichet en juin dernier résulte surtout d'un afflux de dossiers, supérieur de 20 % aux prévisions, qui résulte paradoxalement du succès du soutien aux rénovations d'ampleur. Cet afflux, non budgété en loi en finances, a conduit l'Anah à accumuler un stock important de dossiers non traités.
À ces difficultés se sont ajoutées les fraudes, qui ont contribué à rallonger les délais. En résumé, même si les fraudes sont de plus en plus prégnantes, la fermeture était bien, aussi, une décision budgétaire non assumée.
La réouverture, fin septembre, est restée extrêmement limitée : elle a été calibrée à 13 000 dossiers seulement, pour ne pas saturer l'exercice 2026 déjà encombré de milliers de demandes en attente. L'Anah m'a indiqué que le stock de demandes déposées en 2025 - mais qui seront engagées en 2026 - représentait déjà 40 % de l'objectif 2026 !
Je termine ma présentation par les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». En 2026, ils connaissent une hausse de 110 millions d'euros, dont 81 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence et 29 millions d'euros pour le logement adapté. C'est une avancée importante par rapport à nos alertes de l'an dernier. Elle est malheureusement insuffisante pour assurer une budgétisation « sincère » du programme.
Comme je le dénonçais l'an dernier, et comme la Cour des comptes le rappelle régulièrement, les besoins de l'hébergement d'urgence sont systématiquement et délibérément sous-estimés. Les crédits ouverts en loi de finances ne couvrent pas le maintien des 203 000 places existantes. Cette année encore, le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) doit ouvrir 119,5 millions d'euros supplémentaires, simplement pour atteindre la fin de l'année.
Avec ma collègue rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, Nadia Sollogoub, nous estimons que 85 millions d'euros sont nécessaires pour assurer la sincérité budgétaire de l'hébergement d'urgence, car régler cette « sous-budgétisation » est la priorité absolue.
Sans cela, tout débat sur l'augmentation du nombre de places est vain. En témoigne l'amère expérience de cette année : les 20,5 millions d'euros de crédits obtenus en commission mixte paritaire pour financer 2 000 places à destination des femmes proches de la maternité et leurs enfants ont été fléchés vers le financement du parc existant. Autrement dit, contrairement au souhait du législateur, ces 2 000 places supplémentaires n'ont jamais été créées, faute de crédits suffisants pour financer le parc existant.
L'« insincérité » budgétaire rejaillit aussi sur les publics hébergés, les administrations et les travailleurs sociaux. Les centres d'hébergement sont contraints d'avancer sur leur trésorerie les fonds nécessaires au maintien des places et demeurent dans l'incertitude toute l'année sur le montant final de subventions qui leur sera accordé. Cela place aussi les services de l'État dans un rôle inconfortable, contraints de couvrir a posteriori des places non financées. Or l'instabilité politique ne nous assure pas, bien au contraire, du vote du PLFG.
Pendant ce temps, la situation des personnes à la rue est dramatique : plus de 8 500 personnes par jour appellent le 115 pour une demande d'hébergement d'urgence. En moyenne annuelle, le taux de demandes non pourvues était de 64 % en juillet dernier. Derrière ces chiffres déjà inquiétants se cache une réalité plus grave encore, car de nombreuses personnes ne sollicitent même plus le 115, résignées à l'absence de solution.
En 2024, 912 sans-abri sont morts dans la rue ; 4 % d'entre eux, soit une trentaine, étaient des enfants. Cette proportion a doublé depuis la décennie précédente, en lien avec la triste hausse du nombre de familles à la rue.
Face à une telle tension, certains préfets donnent des consignes pour « hiérarchiser les vulnérabilités », en mettant en place des critères de priorisation, voire en organisant la remise à la rue de certaines personnes pour en accueillir d'autres. Ce sont des pratiques contraires au principe d'inconditionnalité de l'accueil inscrit dans notre droit. Cela place en outre les travailleurs sociaux dans une situation morale inextricable, contraints de devoir choisir chaque jour entre des situations également urgentes, également douloureuses.
De manière générale, je rappelle que l'hébergement d'urgence est par essence le dernier filet de sécurité de toutes les autres politiques publiques : il est donc le miroir de toutes les insuffisances de nos services publics - logement, emploi, santé... Cela impose une approche résolument interministérielle.
Sur une note un peu plus positive, il faut souligner les résultats encourageants du plan « logement d'abord 2 ». Sa montée en charge se poursuit en 2026 avec 29 millions d'euros supplémentaires, conformément à nos préconisations de l'an dernier, pour financer des places principalement en pensions de famille et en intermédiation locative.
Voilà, mes chers collègues, le résultat de mes travaux sur ces crédits relatifs au logement, qui contribuent positivement à l'effort budgétaire, malgré une situation perfectible. J'émets donc un avis favorable, sous réserve de l'adoption d'un amendement visant à renforcer la sincérité budgétaire de l'hébergement d'urgence grâce à 85 millions d'euros supplémentaires, pour éviter l'ouverture de crédits en cours d'exécution.
Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ». - Concernant le programme 177, la hiérarchisation des vulnérabilités et les non-recours sont des réalités documentées, même si l'Insee n'a pas produit de données chiffrées depuis 2012 sur le sujet. Comme j'ai pu le vérifier sur le terrain aux côtés du Samu social et au sein d'une plateforme d'écoute, ladite hiérarchisation existe et les travailleurs sociaux sont en souffrance, car ils ne peuvent pas répondre à la majorité des demandes. Plus de 2 000 enfants sont à la rue et le collectif « Les Morts de la rue » nous a indiqué que le plus jeune décédé dans la rue en 2025 n'avait que quinze jours.
Comme Amel Gacquerre et moi-même le soulignons chaque année, ce budget est chroniquement dysfonctionnel : en début d'exercice, le Gouvernement sait ainsi qu'il n'accorde pas les crédits suffisants pour répondre aux besoins. La situation était certes pire l'an dernier, puisque 250 millions d'euros manquaient à l'appel en début d'exercice, contre 119 millions d'euros cette année. Tant que ce dysfonctionnement n'aura pas été corrigé, toutes les décisions politiques, telles que les 20 millions d'euros votés l'an dernier pour les femmes et les enfants à la rue, resteront sans effet.
Par ailleurs, les associations peinent à avoir confiance dans le remboursement, par le biais du PLFG, des prestations qu'elles avancent sur leur trésorerie, le vote de cette loi étant à la fois extrêmement tardif et aléatoire compte tenu de l'incertitude politique. La plupart d'entre elles pourraient donc décider de se retirer du financement, ce qui aurait des conséquences dramatiques.
Il est donc essentiel de sortir de cette sous-budgétisation, d'autant que cela nous permettra de faire plus avec les mêmes sommes : si les places et les budgets sont sécurisés en début d'année, les associations pourront en effet être dans une position plus favorable pour négocier les places d'hébergement.
Lesdites places se négocient d'ailleurs sur des plateformes centralisées, ce qui m'amène à attirer votre attention sur le phénomène de financiarisation qui est à l'oeuvre dans le secteur. En effet, des groupes rachètent des hôtels et répondent aux appels d'offres lancés pour les places d'hébergement ; il faut donc que les associations soient mieux armées dans le cadre des négociations.
Si le terme de « financiarisation » peut effrayer, je note, en contrepoint, que cette structuration peut permettre de négocier des services en sus des places, comme j'ai pu le constater en visitant un hôtel social qui proposait entre autres le nettoyage du linge et une salle de convivialité.
Je vous appelle donc à voter l'amendement abondant le programme à hauteur de 85 millions d'euros.
Mme Sophie Primas, rapporteur spécial de la commission des finances sur les programmes « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », « Aide à l'accès au logement », « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires ». - Nos trois commissions partagent le même point de vue, notamment sur la « sincérisation » du budget de l'hébergement d'urgence, d'où mon soutien à l'amendement proposant 85 millions d'euros supplémentaires.
En outre, je souscris aux observations de Nadia Sollogoub concernant la structuration et l'organisation de l'offre d'hébergement d'urgence : il faut veiller à éviter des effets de bord non désirés, tout en considérant les avantages possibles en termes d'amélioration des services.
Pour ce qui est de la RLS, Valérie Létard avait bataillé avec Bercy l'an dernier pour obtenir une diminution de 1,3 milliard d'euros à 1,1 milliard d'euros : j'estime qu'il faut repartir sur cette base et flécher 200 millions d'euros vers le Fnap, car nous ne pouvons pas demander aux bailleurs de faire face à la RLS tout en contribuant davantage à ce fonds.
Une baisse de la contribution des bailleurs sociaux au Fnap de 375 millions d'euros à 275 millions d'euros est prévue, mais la commission des finances proposera, en parallèle, de ramener la RLS à 900 millions d'euros. Un effort équivalent à celui de l'année dernière sera donc demandé aux bailleurs, mais avec une trajectoire de désengagement sur la RLS.
Par ailleurs, nous accueillons avec bienveillance la bascule de l'Anah vers les CEE, à la réserve près que cela réduit le contrôle parlementaire. De surcroît, ce mécanisme génère des problèmes de trésorerie, car le paiement intervient plus tard dans le cadre des CEE, mais l'utilisation de ces certificats est bienvenue compte tenu des exigences qui pèsent sur le budget.
Mme Viviane Artigalas. - Ce budget ne nous convient pas du tout. Malgré le fait qu'elle a émis des constats que nous partageons, je regrette qu'Amel Gacquerre émette un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Outre la mesure relative aux APL, qui touche directement les ménages les plus modestes alors que le pouvoir d'achat des Français a été mis à mal, la ponction massive opérée sur les bailleurs sociaux n'est pas acceptable.
En matière de rénovation énergétique, les CEE auraient dû être employés pour augmenter le rythme des rénovations et non pas pour faire diminuer la trésorerie de l'Anah, d'autant plus que ces certificats sont davantage sujets à la fraude que les subventions de l'Agence.
Par ailleurs, nous voterons en faveur de l'amendement abondant les crédits de l'hébergement d'urgence, même si nous aurions souhaité qu'ils soient plus élevés. Particulièrement attachée à la situation des femmes victimes de violences, qui se retrouvent parfois hébergées dans des conditions extrêmement précaires avec leurs enfants, je rappelle que 2 159 enfants à la rue ont été recensés dans la nuit du 18 au 19 août, dont 553 étaient âgés de moins de 3 ans : il n'est plus possible de tolérer de telles situations et des hébergements supplémentaires sont nécessaires.
Nous voterons contre ces crédits.
Mme Marianne Margaté. - Si je partage l'analyse d'Amel Gacquerre, je ne comprends pas sa conclusion : il me semble en effet malaisé de développer un tel argumentaire et de conclure par un avis favorable, tant ce budget est catastrophique. De quoi parle-t-on en évoquant des « efforts budgétaires partagés » ? Les diminutions prévues ont un coût humain, social, écologique et économique, et la formule est inadmissible compte tenu des effets directs de la crise du logement sur la vie de nos concitoyens et sur l'activité économique.
Le gel des APL - et de l'ensemble des prestations sociales - est malvenu alors que le pouvoir d'achat recule et que la pauvreté augmente, tout comme les charges énergétiques des locataires. Quant au « recentrage » des aides, il est plutôt question d'en exclure les étudiants extracommunautaires non boursiers : après avoir multiplié par seize leurs frais d'inscription, cette décision leur envoie un très mauvais message - encore plus dans le contexte actuel -, alors que les étudiants sont confrontés à une grande précarité dans notre pays.
Par ailleurs, je partage votre analyse sur l'hébergement d'urgence : il s'agit de répondre à un besoin vital de protection et de sécurité que notre République est incapable de garantir à l'ensemble des personnes qui sont à la rue. S'y ajoute le manque de logements adaptés aux ressources de ces personnes, ce qui aggrave la tension sur l'hébergement d'urgence puisqu'il est impossible d'en sortir.
Pour ce qui est du programme 135, 16 milliards d'euros ont été ponctionnés sur les bailleurs sociaux depuis 2017. La diminution de la RLS est une avancée intéressante, et je m'interroge d'ailleurs sur ses impacts sur la prise en charge de l'APL.
Enfin, ce budget ne porte aucune ambition en matière de rénovation énergétique alors que les sonnettes d'alarme ont été tirées de toutes parts, la bascule vers les CEE traduisant un renoncement supplémentaire.
Notre groupe votera donc contre ces crédits.
M. Yannick Jadot. - Je souscris aux constats faits à propos de l'état de ces filières et de la situation vécue par nos concitoyens. Le logement est absolument essentiel pour eux, car il s'agit souvent de la première dépense contrainte, aux côtés de charges énergétiques qui grèvent leur budget. Le débat politique et médiatique n'aborde pourtant pas ces préoccupations fondamentales, une forme de déni et de spirale du silence s'installant sur cette question du logement. Faute de nous en occuper sérieusement, nous risquons de laisser le champ libre aux populistes d'extrême droite : notre responsabilité est grande en la matière, et je sais que nous en avons tous conscience ici.
Dans ce contexte, la bascule vers les CEE marque la transition vers un système payé par les consommateurs et non plus par les contribuables, ce qui correspond à une forme de privatisation de la politique de rénovation thermique, avec divers dégâts à la clé. L'un des progrès de MaPrimeRénov' résidait dans un meilleur calendrier de paiement de la prime par l'État, alors que le nouveau mécanisme risque d'exclure ceux qui en ont le plus besoin.
Symétriquement, les sous-investissements chroniques dans le logement social amèneront une privatisation d'une politique de l'État - d'où la réflexion sur le statut du bailleur privé - alors que ce dernier devrait être bien plus actif par le biais des bailleurs sociaux.
Enfin, je m'associe aux propos de Mme Margaté sur les étudiants étrangers : l'université française étant un phare international de la connaissance depuis le XIIIe siècle et appuyant notre soft power, faisons donc attention à ne pas multiplier les messages négatifs en leur direction, sans quoi ils iront se former ailleurs, au détriment du rayonnement de la France.
Nous voterons donc contre ces crédits.
M. Henri Cabanel. - Nous voterons contre également. S'agissant de l'hébergement d'urgence et le 115, j'ai récemment croisé, à deux pas d'ici, un homme couché sur un carton, pieds nus, alors que la température était très basse ; des dizaines de personnes sont passées devant lui sans broncher et j'ai moi-même appelé le 115 pour signaler sa présence, mais, après avoir passé une demi-heure en attente, j'ai fini par raccrocher. Je tenais à le souligner, car ce dysfonctionnement est un réel problème.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis. - Je suis ravie d'entendre que nous partageons les constats et l'analyse sur ce sujet transpartisan. J'entends votre étonnement par rapport à mon avis favorable, mais je pense qu'il est important de relever une série de points qui, à défaut d'être positifs - le terme me gêne -, sont des avancées non négligeables.
Tout d'abord, ce budget s'inscrit dans le cadre d'un effort global de réduction des dépenses publiques. Ensuite, une montée en puissance du plan « logement d'abord 2 » y est inscrite et nos alertes ont été entendues au sujet de l'hébergement d'urgence, par rapport à l'an dernier où la situation était pire. Je précise sur ce sujet que mon avis favorable est conditionné à l'adoption de mon amendement.
Concernant la rénovation énergétique, il existe bien une débudgétisation de l'enveloppe confiée à l'Anah, et j'ai d'ailleurs émis des réserves sur les CEE, mais l'Agence elle-même nous a indiqué que ces certificats lui permettaient de poursuivre son action en 2026. Le fait que ces crédits permettent de répondre à une série de besoins justifie donc cet avis favorable.
Pour ce qui est des étudiants extracommunautaires, je rappelle que la décision de revenir sur les APL ne concerne que ceux qui ne bénéficient pas de bourses. Dans un contexte budgétaire contraint, il me semble souhaitable de se fixer des priorités et d'avoir le courage de prendre ce type de décisions, en s'occupant d'abord des boursiers !
Enfin, concernant le statut du bailleur privé, j'insiste sur le fait qu'il ne faudra pas traiter ce sujet de manière isolée : le logement privé et le logement social coexistent et répondent à des besoins différents. Rien ne sert de les opposer alors que nous sommes confrontés à une pénurie globale de logements ; il faut au contraire avoir une vision d'ensemble et actionner tous les leviers.
J'entends donc vos questionnements, sans comprendre les raisons qui vous conduisent à émettre un avis défavorable au regard de tous les points que je viens d'évoquer.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Chers collègues, nous nous prononçons à présent sur l'amendement exposé précédemment par Amel Gacquerre et sur les crédits de la mission. Je vous rappelle que nous avions réservé notre vote sur les crédits relatifs à la politique de la ville la semaine dernière.
L'amendement n° II-109 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs au logement et à la politique de la ville de la mission « Cohésion des territoires ».
Projet de loi de finances pour 2026 - Mission « Écologie, développement et mobilité durables » - Crédits « Énergie »
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ».
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis des crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et des crédits du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ». - Les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » consacrés à l'énergie seront globalement en baisse en 2026, pour des raisons tenant principalement à la débudgétisation de certaines aides et au changement du mode de financement de certains soutiens, que je vais détailler dans cette présentation.
Le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » est le seul programme dont les crédits reculeront l'an prochain : les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) diminueront respectivement de 35 % et de 17 %, pour s'établir aux alentours de 1,24 milliard d'euros. Cette évolution s'explique essentiellement par la débudgétisation des aides à l'acquisition de véhicules propres.
En effet, le Gouvernement souhaite poursuivre l'an prochain le remplacement des dispositifs d'accompagnement à la transition énergétique par un dispositif fondé sur les certificats d'économie d'énergie (CEE). Les CEE financent déjà une partie des aides à la rénovation énergétique qui ont subi des coupes claires à compter du 30 septembre dernier, et qui verront certains forfaits disparaître au 1er janvier prochain.
Cette débudgétisation est insatisfaisante pour trois raisons.
Premièrement, elle prive le Parlement d'un droit de regard sur le montant des aides qui sont accordées aux particuliers.
Deuxièmement, le fonctionnement de ce dispositif est opaque comme l'a déploré l'inspection générale des finances. En outre, la Cour des comptes a qualifié les CEE de « dispositif à réformer car complexe et coûteux pour des résultats incertains ».
Troisièmement, le coût des CEE est répercuté par les fournisseurs d'énergie sur les factures de leurs clients, quel que soit leur niveau de revenus, ce qui relève d'une forme d'injustice. En 2023, les CEE représentaient 4,1 % du prix des carburants et 6,3 % du prix du gaz naturel.
Les conséquences des CEE sur les finances des consommateurs dépendent à la fois de leur volume et de leur prix. Or, leur nombre augmentera l'an prochain puisque le décret relatif à la sixième période du dispositif, qui s'étendra de 2026 à 2030, a rehaussé l'obligation annuelle globale de plus de 35 %. S'agissant de leur prix, la direction générale de l'énergie et du climat parie sur une baisse du coût des CEE grâce à une augmentation de l'offre mise sur le marché secondaire. Pour l'heure, la fin du bonus écologique, remplacé au 1er juillet dernier par la prime « coup de pouce véhicules particuliers électriques », elle-même financée par les CEE, n'a pas permis de faire reculer leur prix. Un bilan plus précis mériterait d'être dressé l'an prochain, lorsque le nouveau mécanisme aura produit ses effets, par exemple dans le cadre d'une mission flash.
Le programme 174 finance également le chèque énergie qui s'est substitué, depuis le 1er janvier 2018, aux tarifs sociaux de l'électricité et du gaz. Il s'adresse aux foyers dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 11 000 euros par unité de consommation, c'est-à-dire vivant sous le seuil de pauvreté. Le montant moyen du chèque s'élève à 150 euros et n'a jamais évolué depuis son instauration.
La suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales ne permet plus d'actualiser la liste des bénéficiaires. Ainsi, pour l'attribution de l'aide, l'administration procède désormais à un croisement de fichiers émanant, entre autres, de l'administration fiscale et des fournisseurs d'électricité. Par conséquent, la dernière campagne d'envoi a été tardive puisqu'elle a débuté au mois de novembre et non en avril comme les années précédentes. En outre, le nombre de foyers l'ayant automatiquement reçu est passé de 5,5 millions en 2024 à 3,8 millions en 2025. Nous avions déjà alerté le Gouvernement sur ce point l'an passé. Un guichet de demande a été ouvert à destination des foyers oubliés, mais le manque d'information ainsi que la complexité que représente une démarche dématérialisée pour certaines populations risquent de faire diminuer le nombre final de bénéficiaires. Ces différents motifs pourraient engendrer une baisse du taux d'usage du chèque énergie ; le cas échéant, une telle évolution ne saurait justifier une diminution des crédits alloués à cet effet dans les années à venir.
Dans son baromètre publié le mois dernier, le médiateur national de l'énergie indique que 36 % des ménages déclarent rencontrer des difficultés pour payer leurs factures d'énergie - contre 28 % en 2024 -, et que 59 % des bénéficiaires du chèque énergie ont souffert du froid l'an passé - contre 35 % pour l'ensemble des ménages. D'après le médiateur, le versement tardif du chèque énergie en 2025 a aggravé leur situation puisque 35 % des bénéficiaires déclarent que ce décalage a engendré des difficultés de paiement. Il est donc essentiel que l'administration trouve une solution pour établir de façon exhaustive la liste des bénéficiaires. La piste consistant à indiquer le point de livraison d'électricité sur la déclaration d'impôts sur le revenu, qui constituerait la méthode la plus fiable, a été écartée par le ministère chargé des comptes publics.
Ces ménages sont donc confrontés à un effet de ciseaux : d'une part, le nombre de foyers ayant automatiquement reçu le chèque énergie a significativement baissé en 2025, ce qui minore les sources de revenus des foyers oubliés ; d'autre part, le montant de leurs factures d'énergie augmente du fait de la répercussion du coût des CEE, ce qui obère, là encore, leurs finances.
La hausse du prix de l'énergie doit être surveillée avec une extrême vigilance puisqu'elle est susceptible d'attiser les revendications et les crises sociales : le mouvement des « gilets jaunes » est d'ailleurs né à la suite d'une augmentation du prix à la pompe. Or, ce prix devrait augmenter en 2028 lorsque l'Union européenne aura mis en oeuvre le nouveau système d'échange de quotas d'émission, intitulé « ETS 2 », qui couvrira notamment les émissions du transport routier et qui fixera, à ce titre, un prix du carbone sur le diesel et l'essence. Dès lors, l'accise sur les carburants devrait mécaniquement augmenter, ce qui pèsera davantage sur les ménages les plus modestes, en particulier dans les zones rurales où il n'existe aucune alternative pour se déplacer à un moindre coût.
Par conséquent, il sera essentiel de prévoir de nouvelles aides en mobilisant le « fonds social pour le climat » que l'Union européenne créera afin de compenser l'impact socioéconomique du futur marché du carbone. Ce fonds, partiellement financé par les revenus issus de l'ETS 2, devrait être doté de plus de 86 milliards d'euros entre 2026 et 2032 pour aider les ménages vulnérables et les petites entreprises à effectuer leur transition vers une consommation énergétique et des transports plus propres.
J'en viens aux crédits inscrits au programme 345 « Service public de l'énergie » qui sont globalement stables par rapport à 2025. Toutefois, leur répartition au sein des différentes actions du programme connaît de fortes variations.
Les crédits alloués au soutien aux énergies renouvelables électriques en métropole continentale progresseront de 64,8 % l'an prochain, passant de 4,4 milliards à 7,25 milliards d'euros. Cette augmentation permettra de lancer les appels d'offres nécessaires à l'atteinte de l'objectif de 40 % d'énergies renouvelables dans la production d'électricité en 2030, fixé par la loi Énergie et climat de 2019.
Je regrette à ce titre que la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) n'ait pas été adoptée, par la voie législative, avant l'examen du PLF 2026. Les choix opérés par l'exécutif, particulièrement en matière de soutien au développement des énergies renouvelables électriques, auraient ainsi été appréciés à la lumière de la nouvelle PPE.
Deux lignes budgétaires du programme 345 subiront quant à elles une baisse importante.
Premièrement, le financement de la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental est désormais assuré par l'affectation d'une fraction d'accise sur les énergies aux opérateurs électriques chargés d'une mission de service public dans ces zones. Les AE et les CP de l'action 11 chuteront donc de près de 94 %.
Deuxièmement, le Gouvernement entend financer, à compter de 2026, le soutien à l'injection de biométhane et à la cogénération au gaz naturel par l'affectation aux opérateurs de gaz et d'électricité d'une fraction d'accise sur les carburants. Si l'article 42 du projet de loi de finances (PLF) était adopté, cela engendrerait une baisse de plus de la moitié des crédits de l'action 10.
Au total, ces deux changements entraîneront une baisse des dépenses de 2,37 milliards d'euros, qui se traduira par de moindres recettes pour l'État en raison de l'affectation de fractions d'accises.
Si de telles affectations ne remettent pas en cause les soutiens concernés, elles soustraient néanmoins leur financement au contrôle du Parlement. En effet, à l'instar de la débudgétisation précédemment évoquée, l'affectation d'une fraction d'accise nous prive d'une visibilité sur les montants qui seront alloués l'année suivante.
J'en viens à présent au compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » - dit « CAS Facé », qui avait fait l'objet d'un long débat l'an passé - qui participe au financement des investissements pluriannuels d'électrification réalisés par les collectivités rurales.
La loi de finances pour 2025 a modifié le mode de financement du CAS : d'une part, les recettes sont désormais constituées d'une fraction du produit de l'accise sur l'électricité et, d'autre part, ces recettes sont indexées sur l'inflation. Le Gouvernement a ainsi retenu une inflation de 1,3 % pour la revalorisation des recettes ; en revanche, les AE et les CP n'ont pas été réévalués à due concurrence, et l'exécutif n'envisage pas non plus de les faire évoluer à l'avenir.
En effet, le solde annuel, qui correspond à la différence entre les recettes et les dépenses de l'année, est affecté à la résorption du déséquilibre structurel du CAS, résultant de la prise en compte d'engagements de crédits antérieurs à sa création, en 2012. Le déséquilibre cumulé s'élevait à 183,2 millions d'euros au 31 décembre 2024 ; dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire pour 2024, la Cour des comptes recommande un apurement de ce déséquilibre originel « avant la fin de la gestion 2030 ». Une telle trajectoire n'est toutefois pas compatible avec les besoins croissants des communes rurales qui font face à une hausse des coûts d'investissement et des aléas climatiques.
J'appelle donc le Gouvernement à indexer les AE et les CP du CAS Facé sur l'inflation dès 2026, ce qui représenterait une augmentation de 4,75 millions d'euros pour l'an prochain. Les règles de recevabilité de l'article 40 de la Constitution empêchent tout dépôt d'amendement tendant à cette fin.
Je terminerai avec la présentation des crédits alloués au Fonds chaleur que le PLF pour 2026 propose de maintenir à 800 millions d'euros.
Les besoins de chaleur représentent 43 % de notre consommation énergétique et sont majoritairement couverts par des énergies carbonées et importées. En France métropolitaine, la part de chaleur renouvelable et de récupération a certes augmenté ces dernières années, mais elle reste assez éloignée de l'objectif de 38 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale de chaleur en 2030.
Sur la période 2009-2024, le Fonds chaleur a permis d'aider plus de 10 000 installations d'énergies renouvelables et de récupération. Grâce aux 5,1 milliards d'euros d'aides publiques, 16 milliards d'euros d'investissements ont été réalisés en ce domaine ; cela représente près de 50 TWh de production annuelle - soit la consommation de chaleur de 5 millions de logements - et quelque 2,5 milliards d'euros d'économies pour notre balance commerciale.
Compte tenu de ce bilan très positif, il me semble utile de privilégier les réseaux de chaleur renouvelable qui permettent à nos collectivités territoriales d'avoir accès à des solutions compétitives de chauffage. Ainsi, conformément à la position constante de notre commission, je vous proposerai l'adoption d'un amendement tendant à abonder ce fonds.
Pour conclure, les crédits consacrés à l'énergie ont été globalement préservés de la baisse des dépenses publiques, ce qui permettra de poursuivre les investissements dans le domaine énergétique et d'atteindre nos objectifs de décarbonation. Malgré les réserves que j'ai émises, qui nécessiteront une vigilance de notre part dans les années à venir, je recommande l'adoption de ces crédits.
M. Vincent Louault. - L'article 42 du PLF, relatif à l'affectation d'une fraction des recettes de l'accise sur les carburants au financement des charges de service public de l'énergie, pour leur part liée à la cogénération et au biométhane, constitue une atteinte à l'une de nos prérogatives. En effet, cette affectation empêche tout contrôle du Parlement puisque le niveau des recettes d'accises ne figure ni dans le projet de loi de finances ni dans le projet de loi de finances de fin de gestion. La commission des finances est cependant favorable à cet article, le rapporteur général ayant indiqué que le montant de ces recettes pouvait être demandé à la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Il ne s'agit pas de remettre en cause les financements accordés à l'éolien, au photovoltaïque ou au biogaz, mais de veiller à leur maintien dans les maquettes budgétaires afin que les parlementaires puissent les examiner. Un amendement de la commission pourrait-il être déposé sur l'article 42 ?
M. Jean-Jacques Michau. - Pour le groupe socialiste, écologiste et républicain, il sera difficile de voter en faveur des crédits de la mission.
La première raison tient à la débudgétisation du soutien à l'achat de véhicules propres, dont le financement bascule dans les mains de grands groupes via les CEE. Il s'agit donc d'un retrait de l'État du domaine de l'aide à la transition écologique, qui sera désormais financé par un mécanisme de marché. Citons aussi la fin de l'attribution automatique du chèque énergie, sur fond d'augmentation de la précarité énergétique comme l'a indiqué le rapporteur. Ce budget s'inscrit sous le signe d'un désengagement financier de l'État, ce qui fragilise certains soutiens importants, auparavant financés par les crédits de la mission.
En outre, comme l'a également souligné le rapporteur, la Cour des comptes pointe un risque de dérapage inflationniste et une augmentation du montant des factures énergétiques des ménages. En effet, les CEE sont financés par les énergéticiens qui en répercutent le coût sur le prix de vente des carburants, du gaz et de l'électricité.
S'agissant enfin du « CAS Facé », je rejoins l'analyse du rapporteur : il est essentiel pour nos communes rurales que ce budget soit sanctuarisé.
M. Yannick Jadot. - Deux points posent problème dans cette mission.
Tout d'abord, la question du chèque énergie, qui rejoint la discussion que nous avons eue tout à l'heure lors de l'examen des crédits « Logement » : ce sont les mêmes personnes qui seront touchées. Tout cela va finir par peser lourd !
L'électromobilité est également un sujet préoccupant. Nous nous souvenons de l'audition de M. Luc Chatel, président de la Plateforme automobile (PFA), qui nous avait demandé de ne surtout pas baisser les aides en ce domaine, comme cela a été fait en Allemagne. C'est pourtant ce que nous sommes en train de faire, au détriment de notre industrie automobile.
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis. - Pour répondre à Vincent Louault, il n'est plus possible de déposer des amendements sur la première partie du PLF au nom de notre commission, le délai limite étant passé.
En ce qui concerne l'automaticité du chèque énergie, je vous remercie de votre soutien. Nous avions déjà alerté sur ce point l'an dernier, mais un refus catégorique nous avait été opposé. Il ne faudrait pas que la baisse du nombre de bénéficiaires aboutisse à une baisse des crédits. Lors des auditions, nous avons tenté de connaître le profil des personnes qui ne sont plus automatiquement bénéficiaires de l'aide, mais nous n'avons pas obtenu de réponse. Je crains que les personnes « oubliées » ne soient les plus fragiles. La démarche de rattrapage mise en place, qui implique de mobiliser du personnel, est probablement plus coûteuse que le système automatique précédemment mis en oeuvre. Comme je l'ai déjà dit, systématiser l'indication du point de livraison d'électricité sur la déclaration d'impôts sur le revenu permettrait une automatisation à moindres frais, et éviterait les décalages de versement que l'on connaît aujourd'hui.
Enfin, sur les CEE, je partage vos préoccupations. Le Parlement perd la visibilité sur le sujet, ainsi que la possibilité d'orienter les politiques publiques. Dans l'avis budgétaire, nous relevons l'injustice de ce mécanisme, dont le coût est uniformément répercuté sur les consommateurs, quels que soient leurs revenus.
Avec l'amendement n° II-111, je vous propose d'augmenter de 10 millions d'euros en AE et en CP les crédits du Fonds chaleur afin de tenir compte, d'une part, de la grande efficacité de ce fonds et, d'autre part, de la position constante de notre commission sur le sujet. En outre, les crédits supplémentaires pourraient participer au cofinancement des appels à projets en faveur du développement de la filière bois (industrialisation performante des produits bois et biomasse chaleur pour l'industrie du bois) qui ne seront plus financés sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » en 2026.
L'amendement n° II-111 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durable » et du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale ».
La réunion est close à 12 h 10.