Mercredi 10 décembre 2025

- Présidence de Mme Muriel Jourda, présidente -

La réunion est ouverte à 08 h 30.

Projet de loi relatif à l'extension des prérogatives, des moyens, de l'organisation et du contrôle des polices municipales et des gardes champêtres - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Jacqueline Eustache-Brinio et Mme Isabelle Florennes rapporteures sur le projet de loi no 97 (2025-2026) relatif à l'extension des prérogatives, des moyens, de l'organisation et du contrôle des polices municipales et des gardes champêtres.

Communication

Mme Muriel Jourda, présidente. - Il était prévu que nous désignions un rapporteur sur le projet de loi organisant une consultation en Nouvelle-Calédonie. Toutefois, ce sujet est en ce moment en constante évolution et c'est pourquoi je vous propose de reporter la désignation à la semaine prochaine.

M. Patrick Kanner. - Je vous remercie de votre décision.

La réunion du groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie, qui s'est tenue la semaine dernière sous l'autorité du président Larcher, en présence de Mme Naïma Moutchou et des présidents de groupe politique, notamment, nous a confirmé que le sujet de l'organisation d'une consultation, que plusieurs d'entre nous suivent de près, est extrêmement sensible. Les modalités juridiques et les conséquences pour le territoire d'une telle consultation sont notamment très incertaines.

En outre, le vote du congrès de la Nouvelle-Calédonie qui s'est déroulé dans la nuit de dimanche à lundi dernier, heure française, sur le projet de loi s'est traduit par 19 voix favorables, 14 contre et 19 abstentions. Il n'y a donc pas, non plus, de consensus large sur la question.

Le Premier ministre a été saisi. Il ne sera malheureusement pas présent aujourd'hui en séance et nous ne pourrons donc pas l'interroger, mais nombre d'entre nous considérons que le dossier, historiquement, relève en priorité de Matignon.

En l'état, il est possible que la présentation du projet de loi soit elle-même décalée dans le temps, voire que le projet connaisse encore un autre sort.

Proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport de M. Jean-Baptiste Blanc sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à simplifier la sortie de l'indivision successorale.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Contrairement à ce que son nom indique, cette proposition de loi ne se limite pas à la sortie de l'indivision successorale. Je tiens à insister sur ce point pour favoriser le bon examen de ses différents articles, car il s'agit d'une matière d'une particulière technicité.

Les articles de ce texte peuvent être regroupés en trois grands thèmes.

Le premier concerne l'information des collectivités territoriales quant aux biens abandonnés qui se situeraient sur leur territoire. Il fait l'objet de l'article 1er.

Le deuxième traite des successions vacantes - et plus particulièrement de leur gestion par la direction nationale d'interventions domaniales (DNID), qui est l'administration du domaine. Les articles 1er bis et 2 s'y rattachent.

Le troisième thème, qui recouvre quant à lui les articles 3 et 4, tient à la simplification de la vente des biens indivis et à l'accélération des partages judiciaires. Il ne porte donc pas seulement sur les indivisions successorales, mais aussi sur les indivisions au sens large.

L'analyse de ce texte, thème par thème, permettra de clarifier la position que je vous propose d'adopter. Je précise que je me suis appuyé sur de nombreuses auditions et tables rondes qui m'ont conduit à confronter les points de vue des praticiens - avocats, notaires, magistrats -, des théoriciens - professeurs de droit - et du ministère de la justice. Je regrette toutefois l'incomplétude des statistiques dont nous disposons : si nous ne légiférons pas à l'aveugle grâce aux précieux retours des acteurs de terrain, il est anormal que le ministère de la justice ne soit pas en mesure de déterminer, par exemple, le nombre d'indivisions successorales qui sont réglées par la voie d'un partage judiciaire. Tout au plus puis-je vous informer que l'administration du domaine a été saisie de 6 718 successions vacantes en 2024 et que le nombre moyen de partages judiciaires demandés entre 2018 et 2024, toutes catégories d'indivisions confondues, atteint en moyenne 9 635.

L'article 1er a pour objet de créer une base de données qui aurait pour vocation d'informer les collectivités territoriales sur la présence de biens abandonnés sur leur territoire. Cependant, la notion de « biens abandonnés » ne renvoie à rien en droit. Le dispositif prévoit donc que lorsqu'une des quatre procédures qu'il cible expressément est engagée à l'égard d'un bien, ce dernier sera inscrit dans la base. Or, aucune de ces procédures ne permet d'atteindre l'objectif poursuivi. Les deux premières sont par définition connues de la personne publique, car c'est elle qui les engage. Il s'agit de la déclaration de parcelle en état d'abandon manifeste et de l'attribution à une personne publique de la propriété d'un bien sans maître. Les deux suivantes, quant à elles, ne concernent pas à proprement parler des biens abandonnés. Il s'agit de la gestion des successions vacantes et de l'envoi en possession de l'État. Je vous proposerai donc de supprimer cet article.

L'article 1er bis tend à faciliter la tâche de la DNID en matière de successions vacantes. C'est en effet elle qui exerce la curatelle d'une succession lorsqu'elle est déclarée vacante par le juge. La DNID est alors chargée de la gestion de l'actif successoral du défunt et du règlement de ses dettes en procédant, le cas échéant, à la vente des biens. En l'état du droit, l'ordonnance judiciaire la désignant curatrice doit être publiée par voie de presse. L'article 1er bis l'autoriserait à effectuer cette publicité par voie numérique, sur son site internet. Je ne suis pas opposé à cette évolution, qui correspond aux changements des pratiques et devrait permettre d'accroître la visibilité des mesures de publicité qu'impose à la DNID le code civil. Je vous proposerai donc d'étendre le périmètre de l'article, en y incluant des mesures de publicité que l'Assemblée nationale avait omises. En revanche, il me semble que l'objectif de facilitation de l'accès aux informations liées aux successions vacantes serait mieux atteint en maintenant, parallèlement à la publication par voie de numérique, la publication par voie de presse. Tel sera également le sens de l'amendement que je vous soumettrai sur cet article.

Toujours dans l'objectif de simplifier la gestion des successions vacantes par l'administration du domaine, je vous proposerai l'adoption d'un article additionnel revenant sur la règle qui lui impose actuellement de vendre les biens meubles avant les biens immeubles. Si cette règle est, dans l'immense majorité des cas, fondée, elle peut parfois entraîner des situations absurdes, par exemple si la succession comporte d'une part des oeuvres d'art ou des bijoux de valeur et d'autre part des biens immobiliers dégradés ou inexploités : il me semble donc opportun d'apporter de la souplesse de gestion au curateur, qui pourra décider au cas par cas de l'ordre de vente, sous le contrôle du juge bien évidemment.

L'article 2 introduit une procédure dérogatoire pour permettre à la DNID de vendre un bien indivis qui figure à l'actif d'une succession vacante. Cette disposition soulève deux difficultés principales. D'une part, elle porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété, car elle ne présente pas de garanties suffisantes pour les autres indivisaires, qu'ils soient favorables ou opposés à cette vente. D'autre part, elle méconnaît le principe d'égalité de traitement des indivisaires, car elle ne bénéficie qu'à la DNID, indépendamment, d'ailleurs, de sa quote-part au sein de l'indivision.

Je vous proposerai donc d'apporter une modification au droit existant, qui permet déjà de surmonter l'inertie, l'absence ou le refus d'un indivisaire. Cette solution présente l'avantage de bénéficier à l'ensemble des indivisaires. Au-delà du respect de l'égalité de traitement, cela nous semble préférable, car la DNID n'est pas le seul indivisaire à connaître des situations de blocage.

J'en viens à l'article 3, qui est l'une des évolutions principales que propose le texte. Il vise à abaisser de deux tiers à plus de la moitié des droits indivis la majorité nécessaire pour vendre un bien indivis après autorisation judiciaire. Il s'agit donc d'un fort assouplissement d'une dérogation, datant de 2009, au principe d'unanimité qui régit les actes de disposition. J'ai constaté que cet abaissement des seuils était loin de susciter l'unanimité des professionnels interrogés, bien au contraire ! Je vous proposerai donc de maintenir le seuil actuel de deux tiers, qui est plus protecteur du droit de propriété, plus cohérent avec le reste des seuils que prévoit le droit de l'indivision et qui désincite moins à recourir au mode normal de sortie d'une indivision en cas de désaccord, le partage judiciaire, que peut demander à tout moment n'importe quel indivisaire.

En outre, je signale que le dispositif que cible l'article 3 concerne toutes les indivisions et non pas les seules indivisions successorales : je vous laisse imaginer les importantes conséquences, non évaluées par les auteurs du texte, que cela aurait pour les personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité (Pacs) ou un divorce, ou en matière de droit des affaires... À la place, je vous proposerai une évolution de la procédure dérogatoire de vente des biens indivis applicable en Corse, qui souffre d'un manque de formalisme freinant son application.

L'article 4, enfin, visait initialement à étendre le droit alsacien-mosellan du partage judiciaire à l'ensemble de la « vieille France ». Il a été grandement remodelé à l'Assemblée nationale, car cette solution n'est pas envisageable au regard des différences qui existent entre le droit commun et ce droit local. Cet article introduit désormais une expérimentation relative à une procédure d'accélération du partage judiciaire. Dans sa version initiale comme dans sa version actuelle, il poursuit donc l'objectif d'améliorer la procédure du partage judiciaire.

Cette procédure se distingue en effet aujourd'hui par des pesanteurs que tous les professionnels du droit critiquent. Bon nombre d'indivisaires renoncent à l'engager compte tenu de sa complexité et de sa longueur. Partant, des indivisions s'installent dans le temps et des biens se dégradent.

C'est la raison pour laquelle la Chancellerie a institué sous la houlette de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) un groupe de travail consacré à cette question. Ce groupe a travaillé durant plusieurs mois avec les représentants des notaires comme des avocats. La plupart des personnes que j'ai entendues y ont participé et se disent enthousiastes quant au résultat de ses travaux.

Le ministère de la justice envisage de conduire cette réforme, qui sera essentiellement réglementaire, dans le courant de l'année 2026. Seulement, il a besoin d'un véhicule législatif pour apporter certaines modifications au code civil.

Je vous proposerai donc de supprimer l'article 4, et d'attendre que le Gouvernement présente, en séance, ces dispositions. Cette solution m'apparaît préférable, car une modification du droit commun bénéficiera à tous, tandis qu'une expérimentation se réduirait à quelques ressorts, au-delà des difficultés juridiques et pratiques qu'elle ne manquerait pas de soulever.

C'est donc une évolution très significative du texte que je vous propose. J'insiste toutefois sur le caractère constructif de ma démarche : je partage entièrement les objectifs poursuivis par les auteurs du texte, en particulier la députée Louise Morel. Le droit de l'indivision successorale et des successions vacantes n'a pas connu de réforme d'ampleur depuis la loi du 23 juin 2006, une actualisation est sans conteste souhaitable pour limiter les situations de blocage. J'espère, par les propositions que j'ai formulées après de nombreuses auditions et en lien avec le ministère de la justice, faire oeuvre utile pour permettre au texte d'atteindre plus adéquatement ses objectifs.

Mme Dominique Vérien. - Je salue un texte utile, que le travail de notre rapporteur, réalisé en lien avec le ministère de la justice, ainsi que la navette parlementaire vont grandement améliorer. Pour une fois, nous ne pouvons que nous féliciter du temps pris pour l'aboutissement d'une proposition de loi, car nous obtiendrons en définitive une version qui facilitera véritablement la résolution des indivisions, tout en s'intégrant de manière plus stable dans le droit commun en dépassant le seul cadre expérimental.

Le groupe Union Centriste suivra le rapporteur.

M. Pierre-Alain Roiron. - Nous sommes, pour notre part, globalement favorables à cette proposition de loi qui s'attaque au problème prégnant des logements vacants, dont une partie significative est bloquée par des indivisions successorales. C'est particulièrement le cas en outre-mer où, semble-t-il, 40 % du foncier privé serait concerné. Pragmatique, ce texte entend doter les collectivités territoriales d'outils concrets.

Cependant, vous proposez de supprimer la base de données nationale prévue à l'article 1er. Nous comprenons les difficultés techniques que vous soulevez, mais ce serait perdre un outil potentiellement utile à la planification foncière. Plutôt que de le supprimer, ne pourrait-on pas l'améliorer ? Évidemment, la question des moyens budgétaires et humains est, ici, certainement centrale.

À l'article 3 - et c'est le point le plus sensible -, vous refusez l'abaissement de deux tiers à plus de 50 % du seuil de la majorité nécessaire pour vendre un bien indivis après autorisation judiciaire. Maintenir ce seuil à deux tiers risque de perpétuer les blocages que nous cherchons précisément à lever.

À l'article 4, vous proposez de supprimer l'expérimentation d'une procédure d'accélération du partage judiciaire. Il serait intéressant que le Gouvernement s'engage clairement sur une réforme du droit commun de cette procédure.

Nous travaillerons de manière constructive sur ce texte en veillant à l'équilibre entre déblocage effectif des indivisions et protection des droits patrimoniaux des héritiers, notamment les plus fragiles. S'il va dans le bon sens, il ne règle du reste pas la crise du logement, laquelle nécessite une politique plus volontariste.

M. Teva Rohfritsch. - J'accueille à mon tour de manière globalement favorable les propositions qui nous sont présentées. Néanmoins, il me semble que l'abaissement du seuil de décision lors de la vente de biens indivis s'inscrit dans le sens de la simplification.

Je signale l'importance que revêt cette question outre-mer, et spécialement dans le Pacifique. En Polynésie française, où la proportion des terres en indivision excède 40 %, une forte demande émane de l'ensemble des acteurs, notamment du corps notarial, en vue de l'obtention de cet abaissement. Le seuil actuel y constitue un blocage aux projets de développement économique. Si le droit commun n'évolue pas sur ce point, je solliciterai une disposition dérogatoire pour l'outre-mer, peut-être par voie d'ordonnance compte tenu du statut particulier de nos territoires. À défaut de l'obtenir, je serai enclin à soutenir l'amendement présenté par M. Sautarel à l'article 3 de la proposition de loi.

M. Thani Mohamed Soilihi. - La législation a déjà prévu en 2018 une exception pour l'outre-mer. Un amendement sera toutefois utile pour la proroger dans le temps, car, en pratique, nous avons pris, dans ces territoires, du retard dans la résolution des indivisions. Une dizaine d'années supplémentaires serait nécessaire.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci de cette précision.

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Le rapport que je vous ai présenté ne revient pas sur l'exception qui prévaut dans les territoires d'outre-mer. Nous pouvons bien entendu travailler sur la situation spécifique qui les concerne.

Une base de données nationale peut, de prime abord, sembler intéressante pour les élus. Il est cependant apparu qu'elle serait, telle qu'elle est conçue dans la proposition de loi, inefficace. Le problème de son coût, que la DNID a elle-même mis en exergue, se pose également. Il est estimé par cette même administration - cela reste encore à affiner - à 1 million d'euros par semestre de développement.

Le passage des deux tiers à plus de la moitié de la majorité nécessaire à la vente d'un bien indivis soulève, lui, de nombreuses difficultés que les universitaires ont longuement évoquées. Ils craignent des effets de bord pour les personnes en concubinage et les personnes pacsées, qui seraient également concernées par ce dispositif. La possession de droits indivis majoritaires permettrait en effet à un indivisaire de compromettre les conditions de vie de l'autre, en sollicitant par exemple le juge pour vendre un logement occupé par l'autre.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Concernant le périmètre du texte, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer qu'il inclut les dispositions relatives au recensement des biens en état d'abandon et sans maître, la gestion d'une succession vacante ou en déshérence, le partage amiable ou judiciaire d'une indivision et les règles civiles applicables à la vente d'un bien indivis.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - L'article 1er a pour objet la création d'une base qui compile les données relatives aux biens concernés par quatre procédures existantes. Dans la mesure où ces procédures sont soit engagées par la puissance publique, soit sans lien direct avec les biens abandonnés, elle ne me paraît pas en l'état à même d'atteindre l'objectif poursuivi par la proposition de loi et c'est pourquoi je vous propose de supprimer cet article, qui entraînerait une dépense injustifiée. La navette parlementaire nous permettra néanmoins de poursuivre la discussion.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 1er est supprimé.

Article 1er bis (nouveau)

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise, d'une part, à étendre la possibilité de publication numérique à tous les documents liés à la curatelle successorale pour lesquels le code civil impose la publicité et, d'autre part, à rendre cumulatives la publication par voie numérique et la publication par voie de presse.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 1er bis est ainsi rédigé.

Après l'article 1er bis (nouveau)

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Suivant une logique similaire à celle de l'article 1er bis, l'amendement COM-6 tend à assouplir les règles encadrant la vente des biens d'une succession vacante par l'administration chargée du domaine, en lui permettant de vendre les biens immeubles avant les biens meubles et ainsi de déterminer, au cas par cas, sa stratégie de vente. Celle-ci demeurera soumise au contrôle du juge.

L'amendement COM-6 est adopté et devient article additionnel.

Article 2

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - À l'article 2, qui, dans sa rédaction initiale, prévoit d'introduire une procédure judiciaire dérogatoire permettant à la DNID de vendre, indépendamment de l'appréciation de ses coïndivisaires, un bien indivis qui figure à l'actif d'une succession vacante, il me semble plus judicieux de consacrer une solution jurisprudentielle qui bénéficie à tous les coïndivisaires, dont la DNID. Il s'agit de la possibilité d'obtenir du juge, lorsque l'urgence et l'intérêt commun le justifient, de vendre un bien indivis en vertu de l'article 815-6 du code civil.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 2 est ainsi rédigé.

Article 3

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - J'émets un avis défavorable à l'adoption de l'amendement COM-1, présenté par M. Sautarel, qui a pour objet d'assouplir les règles encadrant l'administration et la vente des biens indivis. Touchant au coeur du droit de l'indivision, il me paraît se heurter aux limites que j'ai identifiées, au cours de mes travaux, à l'abaissement du seuil de majorité nécessaire à la vente d'un bien indivis.

Premièrement, cette mesure ne fait pas l'objet d'un consensus parmi les professionnels, tant s'en faut.

Deuxièmement, il s'agit d'une atteinte au droit de propriété qui me semble d'autant plus préjudiciable qu'elle désinciterait les indivisaires à se tourner vers la procédure de partage judiciaire, qui constitue le mode normal de sortie d'une indivision en cas de désaccord. Si cette procédure de partage judiciaire s'avère complexe, longue et onéreuse, il convient de la simplifier. Cette simplification interviendra dans quelques semaines à l'initiative de la Chancellerie.

Troisièmement, l'article 3 s'appliquerait à toutes les indivisions, et non aux seules indivisions successorales. L'abaissement des seuils déstabiliserait profondément le droit des affaires ou les relations post-conjugales, sans que cela n'ait fait l'objet d'aucune évaluation.

Quatrièmement, cet abaissement des seuils rendrait totalement incohérente l'architecture du droit de l'indivision, puisqu'il serait exigé un seuil plus bas pour vendre un bien que pour l'administrer.

Enfin, l'article 3 vise une disposition pérenne du code civil, contrairement aux dérogations temporaires prévues pour la Corse et les territoires d'outre-mer. Nous devons être encore plus attentifs aux atteintes au droit de propriété lorsque leurs conséquences portent sur le long terme.

Par conséquent, je vous propose, avec l'amendement COM-8, de maintenir le seuil actuel des deux tiers des droits indivis pour demander l'autorisation judiciaire de vendre d'un bien indivis. Je vous suggère en parallèle de répondre aux lacunes de la procédure dérogatoire applicable en Corse.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté. L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 3

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Mon avis est également défavorable sur l'amendement COM-2 de M. Sautarel qui vise à imposer un partage judiciaire lorsqu'une succession est ouverte, sur saisine d'un notaire, depuis plus de cinq ans. La proposition de notre collègue consiste à éviter qu'une succession ne s'enlise, mais elle se heurte à plusieurs difficultés.

Tout d'abord, toutes les indivisions ne sont pas subies, elles résultent parfois d'un choix délibéré.

De même, toutes les indivisions ne sont pas d'origine successorale. Or, cet amendement concernerait l'ensemble des indivisions : cela signifierait donc que toutes les indivisions non successorales portant sur des fonds de commerce ou des exploitations agricoles, par exemple, devraient être partagées au bout de cinq ans... Ce serait un chamboulement du droit des affaires !

L'ensemble des indivisions successorales n'est pas non plus soumis à un notaire. En effet, une partie des partages amiables sont réalisés sans l'intervention de ce professionnel, notamment lorsque la succession ne comprend pas de biens immobiliers.

Ensuite, cette disposition revient à instaurer un partage obligatoire au bout de cinq années, alors même que les héritiers disposent d'un délai de dix ans pour opter. Cela me semble pour le moins incohérent. Il n'apparaît en effet pas possible de contraindre des héritiers à partager l'indivision successorale alors même que leur droit d'opter n'est pas expiré.

Par ailleurs, cette proposition placerait le notaire dans une situation extrêmement délicate au regard du nécessaire respect de ses obligations déontologiques. Il est le conseil des personnes physiques ou morales de droit privé et de droit public et le rédacteur impartial de leurs volontés. Il ne peut, en toute circonstance, renoncer à sa neutralité et veille à éviter tout conflit d'intérêts. Le contraindre à porter le dossier de ses clients en justice, contre leur avis, serait contraire à la déontologie qui l'anime dans ses relations avec sa clientèle.

Enfin, cet amendement aurait une conséquence qui va à l'encontre des objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi puisqu'il supprime la précision, actuellement prévue à l'article 815 du code civil, selon laquelle le « partage peut être toujours provoqué », c'est-à-dire même avant le délai de cinq ans.

M. Pierre-Alain Roiron. - Pour notre part, nous pensons que le délai de cinq ans correspond au moment propice pour imposer un partage judiciaire, car nous constatons que les successions ouvertes se prolongent trop longtemps, et nous sommes par conséquent favorables à l'amendement de M. Sautarel.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Cet amendement se caractérise par l'automaticité de la solution qu'il prévoit. Certes, il arrive que l'on reste longtemps dans l'indivision, mais celle-ci peut être choisie ou correspondre à des difficultés inhérentes à la vie de famille.

À l'occasion de la réforme qu'elle entend entreprendre, la Chancellerie nous a remis un document de présentation émanant du travail mené avec des notaires et des avocats, les premiers des professionnels à être sollicités quand il s'agit de sortir d'une indivision. Il en ressort que les indivisions, en particulier les indivisions successorales, ne tiennent le plus souvent pas tant à des questions d'argent qu'à des questions de famille, à des histoires de vie, qui ne peuvent se résoudre aisément par le seul fait de déterminer un délai. Assez peu de partages s'effectuent du reste de façon judiciaire, le mode amiable l'emportant. Et lorsqu'ils passent par une procédure judiciaire, c'est parce qu'une difficulté l'exige.

La Chancellerie envisage d'intervenir sur cette procédure elle-même et sa durée.

Mme Patricia Schillinger. - Les indivisions s'avèrent d'autant plus complexes en Alsace, surtout lorsqu'elles concernent des terrains, qu'elles y mêlent souvent le droit local au cadre juridique transfrontalier. Les communes comme les familles sont souvent empêchées de progresser dans leurs projets, les premières en particulier lorsqu'elles élaborent un plan local d'urbanisme (PLU). Laisser perdurer l'indivision n'est pas non plus une solution. Il nous faudra y réfléchir de manière approfondie.

M. Pierre-Alain Roiron. - La problématique de successions qui durent depuis trop longtemps existe en effet. Cela contraint les municipalités à agir, y compris pour des lieux qui ne sont plus du tout habités.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Presque tous ici connaissons l'exercice du mandat d'élu local et il est exact que nos projets se heurtent parfois à une succession vacante.

Les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen nous rappellent cependant que le droit de propriété est un droit naturel et imprescriptible. Ce droit est constitutionnellement protégé, ce qui n'est pas le cas de nos PLU.

Par ailleurs, les procédures d'expropriation, de déclaration d'abandon manifeste ou de biens sans maître permettent de débloquer des situations. Elles sont empreintes d'un certain formalisme et caractérisées par leur longueur, mais c'est la conséquence directe et inévitable de la mise en cause d'un droit constitutionnel. L'équilibre existant ne me paraît en définitive pas mauvais.

Mme Cécile Cukierman. - L'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est souvent cité pour nous rappeler que le droit de propriété est constitutionnellement garanti ; mais complétons-en la lecture, puisque, s'il dispose que nul ne peut en être privé, il ajoute aussitôt : « si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

L'idée d'un droit de propriété absolument immuable qui empêcherait toute action sur les terrains ou d'autres biens privés n'est donc pas incontestable. Depuis de nombreuses années, dans nos débats au Sénat, on oublie régulièrement cette seconde partie de la rédaction de l'article 17, qui pourtant lui confère tout son sens. Relativiser le droit de propriété est indispensable si l'on veut trouver de bons compromis.

Mme Muriel Jourda, présidente. - C'est pour cela que j'ai précisé la nature des trois procédures à la disposition de la puissance publique et lui permettant de faire prévaloir l'intérêt général. Ajoutons-leur encore le droit de préemption.

M. Marc-Philippe Daubresse. - J'invite notre collègue Cécile Cukierman à se reporter à la jurisprudence tout à fait éclairante du Conseil constitutionnel sur le droit de propriété. Ce que vous avez dit, madame la présidente, est tout à fait exact : le droit de propriété est un droit fondamental, auquel l'on ne peut aisément déroger, spécialement avec un PLU, qui n'est, en comparaison, qu'un simple outil juridique.

Mme Cécile Cukierman. - Des droits existent, spécialement le droit d'expropriation, qui limitent aujourd'hui la portée du droit de propriété et en relativisent la primauté en toutes circonstances.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

L'amendement COM-3 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 4

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - L'amendement de suppression COM-9 concerne l'expérimentation relative à l'accélération du partage judiciaire. Nous restons dans l'attente de la réforme à venir de la Chancellerie.

L'amendement COM-9 est adopté.

L'article 4 est supprimé.

Article 5 (nouveau)

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - L'amendement COM-10 vise à supprimer cet article, qui concerne une demande de rapport.

L'amendement COM-10 est adopté.

L'article 5 est supprimé.

Article 6 (nouveau)

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - Il en est de même pour l'amendement COM-11 à l'article 6.

L'amendement COM-11 est adopté.

L'article 6 est supprimé.

Intitulé de la proposition de loi

M. Jean-Baptiste Blanc, rapporteur. - L'amendement COM-12 vise à mettre en cohérence l'intitulé du texte avec son périmètre, plus large que les seules indivisions successorales.

Mme Muriel Jourda, présidente. - À cette fin, il s'agit de remplacer le mot « successorale » par les mots « et la gestion des successions vacantes ».

L'amendement COM-12 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

4

Suppression de la base de données dont les modalités de fonctionnement sont incohérentes avec l'objectif qui lui est assigné

Adopté

Article 1er bis (nouveau)

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

5

Caractère cumulatif de la publication par voie de presse et par voie numérique et extension du périmètre de l'article

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er bis (nouveau)

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

6

Assouplissement des règles encadrant la vente des biens d'une succession vacante par l'administration chargée du domaine

Adopté

Article 2

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

7

Réécriture du dispositif pour consacrer un recours valable pour l'ensemble des coïndivisaires

Adopté

Article 3

M. SAUTAREL

1

Abaissement des seuils de majorité nécessaires pour effectuer un acte d'administration et pour aliéner un bien indivis après autorisation judiciaire

Rejeté

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

8

Suppression de l'abaissement de majorité nécessaire pour aliéner un bien indivis après autorisation judiciaire et actualisation de la procédure dérogatoire applicable en Corse

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

M. SAUTAREL

2

Obligation de procéder à un partage judiciaire lorsqu'une succession est ouverte depuis plus de cinq ans

Rejeté

M. SAUTAREL

3

Report du paiement des droits de succession lorsque la succession comporte un bien immobilier

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Article 4

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

9

Suppression de l'expérimentation dans l'attente de la présentation d'une réforme législative du partage judiciaire par le Gouvernement en séance

Adopté

Article 5 (nouveau)

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

10

Suppression de la demande de rapport établissant un bilan de la loi dite Letchimy du 27 décembre 2018

Adopté

Article 6 (nouveau)

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

11

Suppression de la demande de rapport sur la procédure de partage judiciaire applicable en Alsace-Moselle

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

M. Jean-Baptiste BLANC, rapporteur

12

Mise en cohérence de l'intitulé du texte avec son périmètre

Adopté

Proposition de loi visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation et à sécuriser l'action des forces de l'ordre - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à présent à l'examen du rapport de Christophe-André Frassa sur la proposition de loi visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation (LAPI) et à sécuriser l'action des forces de l'ordre, présentée par Pierre Jean Rochette et plusieurs de ses collègues.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Les dispositifs LAPI correspondent à une technologie fondée sur des algorithmes permettant la lecture automatique des plaques d'immatriculation. Une technologie que plusieurs d'entre vous connaissent bien, puisqu'elle est utilisée par certaines communes pour le contrôle du stationnement payant.

Le code de la sécurité intérieure autorise les forces de l'ordre à utiliser des dispositifs LAPI dans deux cas.

Premièrement, la police et la gendarmerie nationales sont autorisées à les mettre en oeuvre pour la préservation de l'ordre public, spécialement lors de grands rassemblements de personnes, ou pour la prévention du terrorisme.

Deuxièmement, les services de police et de gendarmerie nationales ainsi que les douanes peuvent utiliser des dispositifs LAPI pour faciliter la constatation, le rassemblement des preuves et la recherche des auteurs de certaines infractions limitativement énumérées, telles que les actes de terrorisme, les infractions criminelles, les infractions liées à la criminalité organisée - notamment le trafic de stupéfiants - ou encore les vols de véhicules.

Les échanges que j'ai pu avoir avec les forces de l'ordre ont mis en lumière la grande utilité opérationnelle de cette technologie pour l'élucidation des enquêtes, en particulier pour retrouver rapidement l'auteur d'une infraction en retraçant les déplacements de son véhicule.

La proposition de loi déposée par notre collègue Pierre Jean Rochette, dont je salue le travail, vise à lever les freins à l'utilisation de cette technologie par les forces de sécurité intérieure. Les mesures qu'il propose partent du constat que l'usage dispositifs LAPI par les forces de l'ordre demeure trop limité, en dépit de l'efficacité de ces outils.

Pour faciliter leur recours à cette technologie, la proposition de loi prévoit trois mesures.

D'abord, le texte prévoit d'élargir les finalités autorisant l'utilisation de dispositifs LAPI. Les forces de sécurité intérieure pourraient ainsi utiliser ces dispositifs non plus seulement pour la répression de certaines infractions limitativement énumérées, mais pour la répression des crimes et de l'ensemble des délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement - ce qui concernerait selon la Chancellerie plus de 2 300 infractions pénales, .

Ensuite, il est proposé de doubler la durée de conservation des données collectées par les dispositifs LAPI. Celle-ci passerait de quinze jours à un mois ; en cas de correspondance avec un autre fichier existant, tel que le fichier des véhicules volés, ces données pourraient être conservées deux mois au lieu d'un mois.

Enfin, l'article 3 de la proposition de loi prévoit de rendre obligatoire, à partir de 2028, l'intégration de dispositifs LAPI à l'ensemble des caméras de vidéoprotection déjà en place, pour assurer un maillage plus fin du territoire et retracer plus précisément les trajets des véhicules.

L'objectif poursuivi au travers de cette proposition de loi m'apparaît louable. Néanmoins, je souhaite vous proposer certains ajustements afin d'assurer le respect des exigences constitutionnelles, avec, au premier chef, le droit au respect de la vie privée.

À l'article 1er, je vous présenterai ainsi un amendement afin de circonscrire l'élargissement proposé du champ des finalités autorisant le recours aux dispositifs LAPI.

Je souscris sur le fond à l'élargissement du champ infractionnel, qui apparaît en effet utile et justifié par l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions pénales et par la protection des forces de l'ordre. Toutefois, la mise en oeuvre de dispositifs LAPI n'est pas nécessairement utile pour la répression de l'ensemble des infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement, telles que les dénonciations calomnieuses ou encore le harcèlement scolaire. Dès lors, l'élargissement proposé pourrait entraîner une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée.

Je vous proposerai donc d'élargir le champ infractionnel actuellement en vigueur aux seules infractions pour lesquelles l'utilisation de dispositifs LAPI pourrait être utile, comme les infractions de vol aggravé et de recel, les infractions d'évasion et les infractions d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers. Cette liste pourra être utilement complétée lors de l'examen en séance publique et au cours de la navette parlementaire, pour répondre le plus précisément possible aux besoins des forces de l'ordre.

Je vous proposerai d'adopter sans modification l'article 2, qui procède à l'allongement des durées de conservation des données collectées par les dispositifs LAPI. Restant toujours bien en deçà des pratiques de plusieurs de nos voisins européens, dont la Belgique, les nouvelles durées de conservation apparaissent en effet proportionnées aux objectifs poursuivis.

Cet allongement est, d'une part, justifié par de réelles contraintes opérationnelles, comme l'ont montré les auditions que j'ai menées. Les investigations conduisent en effet parfois à mettre en évidence une personne ou un véhicule d'intérêt plusieurs mois après les faits, alors même que les données ont été effacées, ne permettant plus de retracer les mouvements du véhicule. D'autre part, de nombreuses garanties existent d'ores et déjà : la consultation des données est, par exemple, interdite tant qu'il n'y a pas eu de correspondance avec un fichier, et les données sont automatiquement détruites au-delà des délais autorisés. Il me semble donc que le dispositif proposé permet d'assurer la protection du droit au respect de la vie privée, tout en facilitant la conduite des investigations.

Les auditions que j'ai menées ont cependant mis en évidence le caractère non opportun de l'obligation, prévue à l'article 3, d'intégration des dispositifs LAPI aux systèmes de vidéoprotection mis en oeuvre sur la voie publique. Les acteurs concernés par l'utilisation de ces dispositifs n'y sont eux-mêmes pas favorables : selon eux, il serait, par exemple, totalement inutile d'intégrer ces dispositifs sur des caméras de vidéoprotection situées dans les zones piétonnes des grandes villes.

Au-delà, il convient de prendre en compte le coût budgétaire qu'engendrerait une telle disposition, lequel serait non négligeable, notamment pour les collectivités territoriales. En l'état, il n'existe pas de possibilité de cofinancement entre les différents acteurs ; les communes acquérant des dispositifs LAPI les mettent à disposition des forces de sécurité intérieure à titre gracieux.

Il me semble donc souhaitable, afin de préserver le principe de libre administration des collectivités territoriales, garanti par notre Constitution, de resserrer le dispositif prévu. C'est pourquoi je vous présenterai un amendement qui tend plutôt à instaurer une possibilité de conventionnement entre les forces de sécurité intérieure et les autorités publiques compétentes pour mettre en oeuvre des systèmes de vidéoprotection conformément à l'article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure.

De cette manière, nous permettrons auxdites autorités de choisir - ou non - l'intégration de dispositifs LAPI au sein de leur territoire, à l'instar des plus de 70 communes ayant déjà conclu une telle convention avec la police ou la gendarmerie nationales. En effet, lorsqu'une collectivité territoriale entend mettre à disposition des forces de l'ordre un dispositif LAPI, une convention de prestation de matériel doit être conclue entre les différents acteurs. Cette pratique existe depuis 2009, mais la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ne l'a avalisée, dans un avis qu'elle a rendu, qu'en juillet 2024.

Dans une optique d'efficacité et d'opérationnalité, je vous proposerai qu'un décret en Conseil d'État prenne le soin de fixer les clauses d'une convention type, qui préciserait les modalités de financement de l'intégration ainsi que les règles de collecte et de partage des données. Il demeure en effet essentiel de se conformer aux conditions fixées par le code de la sécurité intérieure, qui prévoit que seules les forces de l'ordre étatiques puissent accéder aux flux issus des dispositifs LAPI, dans la limite des finalités admises.

L'ensemble des ajustements que je vous soumets, et qui ont été élaborés en coopération avec l'auteur principal de la proposition de loi conformément au gentleman's agreement, permettent d'aboutir à un texte équilibré renforçant l'efficacité de l'action des forces de sécurité intérieure, tout en assurant le respect des libertés locales et des exigences constitutionnelles en matière de protection de la vie privée.

Je vous proposerai par conséquent d'adopter cette proposition de loi sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai.

Mme Audrey Linkenheld. - Merci à notre rapporteur de sa présentation du contenu de la proposition de loi et des modifications qu'il propose au regard tant du respect de la vie privée que des libertés locales. Notre groupe politique n'aurait certainement pas été favorable à ce texte dans sa version initiale ; grâce aux amendements de notre collègue, il peut désormais l'aborder différemment, malgré quelques réserves persistantes.

Le premier de ces amendements circonscrit opportunément l'élargissement des finalités permettant l'utilisation de la LAPI. Il s'inscrit à la suite des textes législatifs précédemment adoptés en la matière et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne l'article 2, on pourrait s'interroger sur le bien-fondé du doublement des délais de conservation des données. Toutefois, le choix de passer, selon le cas de figure, de quinze jours à un mois et d'un à deux mois demeure modéré, surtout en considération des pratiques d'autres pays. Il nous est donc possible de soutenir également l'adoption de cet article en l'état.

L'article 3 renvoie en quelque sorte à une généralisation de la LAPI. L'auteur de la proposition de loi a du reste été clair sur ses intentions : si cela ne tenait qu'à lui, il faudrait centraliser, vers le fichier du système de traitement central LAPI (STCL), l'intégralité des données issues de la LAPI, quelle qu'en soit l'origine - y compris les données provenant des caméras installées en zones piétonnes, de celles du télépéage, des parkings privés ou publics. En outre, ces données devraient être librement consultables par les forces de l'ordre. Cela nous ne nous paraît pas opportun au regard de la protection des droits et libertés. L'amendement proposé nous semble préférable en ce qu'il laisse aux collectivités territoriales leur liberté de choix.

Le surcoût qu'implique l'obligation initialement prévue est du reste évident pour celles-ci. Rappelons notamment que les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) servant au financement des caméras de vidéoprotection, que les collectivités installent, ont été diminués.

Enfin, il importe de relever que, lors de son audition, la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa) a qualifié de « léger » l'établissement de simples conventions sur un sujet tel que la LAPI. Pour ma part, je serais davantage favorable à ce qu'un décret vienne encadrer ces pratiques de mise à disposition, par les collectivités locales, de leurs dispositifs LAPI.

En définitive, la nature de notre vote final sur la proposition de loi dépendra du sort réservé aux amendements du rapporteur ainsi que de la possible présentation, en séance, d'autres amendements.

Mme Patricia Schillinger. - Dans le Haut-Rhin, nos communes sont frontalières de la Suisse et de l'Allemagne. Des échanges de données issues des dispositifs LAPI avec ces pays supposent également l'établissement de conventions. Le texte proposé prévoit-il un élargissement des conventions aux partenariats internationaux ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Ce système conventionnel de coopération internationale ne fait pas l'objet du texte proposé. Toutefois, au cours des auditions, les représentants de la police, de la gendarmerie et des douanes en ont fait état : il leur permet un échange régulier d'informations avec nos partenaires, d'instaurer un tracking numérique, ou encore d'engager enquêtes et poursuites. À cet égard, la Suisse a longtemps été un pays peu coopératif. Elle trouve désormais un intérêt à prendre part, dans une logique de réciprocité, à cette coopération avec les autres pays européens et leur donne accès à ses registres de données.

Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi inclut les dispositions relatives, premièrement, aux finalités permettant la mise en oeuvre par les forces de sécurité intérieure de dispositifs LAPI à des fins répressives ; deuxièmement, au régime de conservation des données collectées par les dispositifs LAPI ; troisièmement, aux modalités d'intégration de ces dispositifs aux systèmes de vidéoprotection des autorités publiques autres que les forces de sécurité intérieure.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Avec l'amendement COM-1, je vous propose une nouvelle rédaction de l'article 1er, afin de ne pas y intégrer l'ensemble des infractions pénales punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement et de circonscrire son champ d'application à une liste d'infractions précisément énumérées, qui sont celles pour lesquelles l'usage de la LAPI apparaît le plus utile.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-2 a pour objet de supprimer l'obligation d'intégration de dispositifs LAPI aux systèmes de vidéoprotection mis en oeuvre sur la voie publique. Il instaure à la place une possibilité de conventionnement entre les forces de l'ordre et les autorités publiques compétentes au sens de l'article L.251-2 du code de la sécurité intérieure. Enfin, il prévoit qu'un décret en Conseil d'État fixe les clauses d'une convention type, en particulier sur les modalités de financement de l'intégration des dispositifs et sur les règles de collecte des données.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 3

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-3 est d'ordre rédactionnel. Il vise à assurer les coordinations nécessaires pour les territoires d'outre-mer.

L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.

Article 4

L'article 4 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. FRASSA, rapporteur

1

Encadrement du champ infractionnel permettant la mise en oeuvre de dispositifs LAPI

Adopté

Article 3

M. FRASSA, rapporteur

2

Convention de mise à disposition des données LAPI collectées par les systèmes de vidéoprotection

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

M. FRASSA, rapporteur

3

Coordinations outre-mer

Adopté

Proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons au rapport de notre collègue Olivia Richard sur la proposition de loi relative à la sécurisation des marchés publics numériques, dont l'auteur, Dany Wattebled, nous expose d'abord les motivations.

M. Dany Wattebled, auteur de la proposition de loi. - Cette proposition de loi prolonge les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur les coûts et les modalités effectifs de la commande publique et la mesure de leur effet d'entraînement sur l'économie française, dont j'étais le rapporteur. Mon collègue Simon Uzenat, qui en assurait la présidence, et moi-même avons conduit pendant plusieurs mois cinquante-huit auditions, effectué trois déplacements et rencontré les représentants de centre trente-quatre structures.

Notre point de départ était simple : forte d'un enjeu de 400 milliards d'euros chaque année et équivalant à 14 % du PIB national, la commande publique est un moteur de notre économie.

Dans nos territoires, élus et entreprises témoignent de procédures lourdes, complexes, parfois anxiogènes ; s'y associent la crainte du contentieux et du pénal, l'impression d'un empilement des règles et, parfois, le sentiment d'une déconnexion de la réalité.

Au fil des auditions, un sujet s'est imposé, celui de la commande publique numérique, devenue un enjeu de souveraineté. Certaines des réponses que nous avons reçues ont été très éclairantes. Ainsi, lorsque nous avons demandé à l'entreprise Microsoft France si elle pouvait nous garantir que les données françaises hébergées en France ne seraient jamais transmises à une autorité étrangère sans l'accord de notre pays, sa réponse a été clairement négative. Et cette impossibilité résulte de l'existence dans le droit américain de lois fédérales extraterritoriales, spécialement le Cloud Act, qui permettent d'exiger la communication des données hébergées par toute entreprise américaine sur le sol français.

Nous avons étudié plusieurs dossiers. Le premier est aberrant. Il concerne la plateforme des données de santé ou Health Data Hub, c'est-à-dire l'hébergement sur une plateforme unique de l'intégralité des données de santé des Français - une idée en elle-même remarquable. Pour sa concrétisation, la puissance publique a investi 80 millions d'euros et s'est adressée à... Microsoft ! Or, avec l'essor de l'intelligence artificielle, ces données représentent le pétrole de demain.

On a ensuite récidivé avec l'enseignement supérieur et la pépite qu'est l'École polytechnique, en engageant 130 millions d'euros pour l'hébergement des données auprès d'acteurs américains. On marche sur la tête. Notre constat est le suivant : il n'y a aujourd'hui plus aucune souveraineté française ni européenne sur nos données numériques.

L'Union des groupements d'achats publics (Ugap) reconnaît elle-même qu'elle n'a pas assez conseillé la puissance publique sur les aspects de souveraineté numérique. Elle a laissé le champ libre à Microsoft et au développement d'autres acteurs étrangers.

La commission d'enquête a, en conséquence, conclu à l'existence d'un risque majeur et stratégique pour la souveraineté numérique des entités publiques françaises. La présente proposition de loi s'inspire de la recommandation no 24 formulée par la commission d'enquête au terme de ses travaux et l'intention première qui la sous-tend est simple : protéger les données françaises publiques, et particulièrement les données sensibles. Ce texte n'est dirigé contre personne en particulier, c'est un texte de protection et de bon sens. Si nous poursuivons d'abord l'objectif de sécuriser les acheteurs publics, nous ne négligeons pas non plus celui d'envoyer un signal clair aux acteurs français et européens, pour qui l'obtention de tels marchés publics représenterait un levier considérable de développement économique.

Je salue le travail et l'écoute de Mme la rapporteure Olivia Richard, qui a su renforcer juridiquement le dispositif que nous proposons, en en préservant l'objectif essentiel. Inscrite à la suite de l'article 31 de la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren), cette proposition de loi est une étape nécessaire pour que nous recouvrions notre souveraineté numérique, qu'elle soit française ou européenne. Il en est grand temps dans le monde de guerre économique qui est le nôtre, et c'est pourquoi je vous invite à l'adopter.

Mme Olivia Richard, rapporteure. - Je salue l'initiative de notre collègue Dany Wattebled ainsi que son engagement, que je pourrais qualifier de passionné, sur le sujet qui nous occupe ce matin. Ses travaux ont révélé de véritables failles dans la protection et la confidentialité des données de nos acteurs publics, lorsqu'elles sont hébergées en nuage auprès de prestataires étrangers.

Comme l'a démontré la commission d'enquête dont il a été le rapporteur, ces entreprises, notamment les géants américains, ne sont pas en mesure de garantir la pleine protection du contenu qu'elles hébergent, en raison de leur soumission à des lois extraterritoriales étrangères.

Aux États-Unis, par exemple, le Foreign Intelligence Surveillance Act (Fisa) et le Cloud Act permettent aux autorités américaines de contraindre les entreprises à leur révéler le contenu d'une communication ou d'une information qu'elles détiennent ; et cela y compris lorsque ces données sont hébergées sur des serveurs situés hors de leur territoire national. Elles y sont soumises même lorsqu'elles sont en France.

Lorsqu'une telle demande leur est adressée, les entreprises ne sont en outre pas tenues d'en informer leurs clients. Un rapport de la Cour des comptes, paru en octobre dernier, atteste ces pratiques, et fait même état d'une hausse alarmante des requêtes auprès de certaines entreprises américaines, dont notamment Google et Microsoft.

Depuis quelques années, la Chine et l'Inde consolident également leurs outils juridiques extraterritoriaux, permettant de la même manière des détournements de données stockées en nuage.

Face à ces menaces, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) tient un discours très clair : ni le chiffrement ni la segmentation du contenu ne sont en mesure d'assurer pleinement la sécurisation des données ; seul le choix d'un prestataire français ou européen constitue une véritable garantie de la souveraineté des données hébergées.

Depuis quelques années, la France a, en conséquence, entrepris de consolider son cadre juridique afin de limiter l'exposition de données stratégiques au risque de captation par des autorités étrangères.

Premièrement, depuis 2021, la doctrine « cloud au centre » soutient le développement des solutions cloud par et pour l'État. Ces serveurs ont vocation à héberger certaines données, dont la compromission nuirait au bon fonctionnement du pays. Elles sont à la disposition du ministère de l'intérieur - il partage d'ailleurs cet espace de stockage avec le ministère des affaires étrangères - et du ministère de l'économie et des finances.

Deuxièmement, l'article 31 de la loi Sren impose désormais aux administrations publiques et aux opérateurs de l'État d'héberger leurs données sensibles dans un cloud souverain, c'est-à-dire un cloud privé français ou européen qui présente de fortes garanties de sécurité. Le périmètre des données jugées sensibles correspond, aux termes de cette loi, aux données nécessaires à l'accomplissement des missions essentielles de l'État, dont la violation serait susceptible de causer une atteinte à l'ordre public, à la sécurité publique, à la santé des personnes ou encore à la propriété intellectuelle.

Pourtant, les travaux de la commission d'enquête ont permis de démontrer que ces exigences de protection ne sont encore que partiellement appliquées. C'est notamment ce qui explique que certains marchés publics d'hébergement hautement stratégiques, comme celui de la plateforme des données de santé, ou celui du ministère de l'éducation nationale, soient encore confiés à de grandes entreprises américaines, en dépit de la loi.

Par ailleurs, si un suivi du recours à des clouds souverains est effectué par la Dinum, nous ne disposons d'aucun élément pour évaluer le niveau de protection des données détenues par les autres acheteurs publics, notamment par les collectivités territoriales.

Pour répondre à ces défaillances, la proposition de loi de notre collègue vise à renforcer substantiellement notre cadre juridique de protection des données, en confiant les données de l'ensemble des acheteurs publics à des prestataires français ou européens.

Concrètement, l'article unique rend obligatoire, dans les marchés publics contenant des prestations d'hébergement en nuage, la présence de conditions d'exécution garantissant l'immunité du prestataire à toute législation extraterritoriale et l'hébergement des données sur le territoire de l'Union européenne.

Au regard des risques dont je viens de vous faire part, nul ne peut remettre en cause l'intention légitime du texte. Nous ne devons pas être naïfs. Il est grand temps que les entités publiques prennent la mesure de leur vulnérabilité face à des législations puissantes, notamment dans un contexte géopolitique très incertain, et qu'elles agissent pour garantir leur souveraineté numérique.

Toutefois, le dispositif soulève des difficultés d'ordre juridique et opérationnel ; c'est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement visant à le rendre plus soutenable.

En effet, dans sa rédaction actuelle, le texte soumet l'ensemble des données publiques aux obligations d'hébergement souverain. Si l'on comprend tout à fait l'intention de l'auteur, cette restriction systématique d'accès aux marchés pour les prestataires non européens pourrait s'apparenter à une discrimination sur la base de l'origine géographique, ce qui est strictement interdit par les directives européennes. Cette mesure contreviendrait également aux engagements internationaux de la France, qui, dans le cadre de l'accord sur les marchés publics de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), prohibe toute inégalité de traitement d'opérateurs économiques de pays signataires, tels que les États-Unis.

Par ailleurs, les auditions menées laissent à penser que ces obligations nouvelles seront difficilement mises en oeuvre par les petits acheteurs publics, parmi lesquels les petites communes. De fait, le plus souvent, leurs équipes ne comptent pas d'acheteur public professionnel, et il est à craindre que les agents de mairie ne rencontrent des difficultés pour inclure ou contrôler les garanties apportées quant aux conditions d'exécution ayant trait au droit international. Pour le dire autrement, les acheteurs ne disposent pas nécessairement des moyens techniques et humains nécessaires pour se conformer au dispositif.

En outre, le recours à un prestataire souverain et sécurisé, disposant par exemple de la qualification SecNumCloud délivrée par l'Anssi, représente des coûts importants. La Cour des comptes estime ainsi qu'une offre SecNumCloud a un coût de l'ordre de 25 % à 40 % supérieur à une offre standard. Là encore, au regard du contexte budgétaire contraint qu'elles connaissent, le dispositif semble problématique pour les petites collectivités.

Enfin et surtout, différents acteurs, dont l'Anssi, ont souligné l'impératif de proportionnalité que nous devons observer. Nous pouvons convenir que les données détenues par une petite commune ne représentent pas nécessairement un intérêt substantiel pour des autorités publiques étrangères et que ce risque ne les concerne pas au premier chef.

En accord avec l'auteur du texte, j'ai souhaité parvenir à un équilibre entre la protection nécessaire des données publiques stratégiques et la prise en compte des difficultés des petits acheteurs publics.

L'amendement que je vous soumets prévoit donc plusieurs évolutions du dispositif sans, je le crois, le dénaturer ou en compromettre l'objet.

Tout d'abord, alors que le dispositif crée une nouvelle catégorie de données à protéger - les « données publiques » - qui n'est pas définie en droit, je vous propose, pour faciliter sa mise en oeuvre, de revenir au périmètre des données sensibles telles que définies par la loi Sren. Restreindre les obligations d'hébergement souverain aux seules données sensibles semble être plus proportionné au regard des risques réels encourus, et permet de conserver la définition inscrite dans la loi Sren, qui est en cours d'appropriation par les acheteurs publics et dont le décret d'application devrait bientôt être publié. De plus, le périmètre des données sensibles inscrit dans la loi Sren a d'ores et déjà été validé par la Commission européenne et n'est donc pas susceptible d'être qualifié de restriction d'accès disproportionnée aux marchés publics. Cet amendement conforterait ainsi la validité juridique des marchés publics d'hébergement, et permettrait aux acheteurs d'assurer une transition progressive en matière de protection des données.

En outre, afin de tenir compte des difficultés techniques et financières que pourraient rencontrer les petits acheteurs publics dans la mise en oeuvre de ce texte, l'amendement que je vous soumets prévoit d'exclure du dispositif les communes de moins de 30 000 habitants et les communautés de communes. Ces dernières risquent en effet de ne pas disposer des ressources humaines et techniques suffisantes pour adapter leurs marchés publics, et les données qu'elles détiennent sont moins susceptibles de faire l'objet de détournements.

Je vous propose de reprendre le seuil de 30 000 habitants, figurant au sein d'un autre texte que nous avons adopté au Sénat en séance publique et qui crée des obligations nouvelles en matière de cybersécurité, le projet relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, en cours d'examen par l'Assemblée nationale. Cet alignement permettra de constituer un ensemble cohérent de mesures nouvelles afin de sécuriser les systèmes d'information des grandes collectivités.

Les acteurs de terrain rencontrés dans le cadre des auditions ont également souligné que le marché français du cloud est en plein essor, mais n'est pas encore arrivé à maturité, ce qui explique notamment les surcoûts des offres constatés par la Cour des comptes. Dès lors, afin de laisser le temps aux entreprises de développer leurs technologies et de faire face à la hausse des sollicitations, je propose une entrée en vigueur différée du texte, au 1er janvier 2028.

Ces deux années devront également permettre aux acheteurs publics d'anticiper ces nouvelles exigences de protection, bien que, devant les difficultés soulevées par le dispositif, je vous propose également de prévoir un mécanisme de dérogation. Grâce à celui-ci, toute collectivité ayant déjà engagé un projet nécessitant un recours à un service d'informatique en nuage qui rencontrerait des difficultés techniques pour se conformer au dispositif proposé ou qui justifierait de surcoûts importants pourrait déroger temporairement au respect de ses obligations.

Mon objectif est à la fois de rassurer et d'avancer résolument dans la direction indiquée par notre collègue. Loin de trahir l'esprit initial du texte, je propose une évolution du périmètre de l'amendement afin d'inciter l'ensemble des entités concernées à développer progressivement leur stratégie de protection des données. Sans ajouter de complexité démesurée aux missions des acheteurs, ces évolutions doivent néanmoins garantir de réels progrès pour la souveraineté de nos données dans les années à venir.

M. Marc-Philippe Daubresse. - Si la rapporteure n'avait pas présenté d'amendement, j'aurais moi-même proposé de limiter le champ d'application de la proposition de loi aux communautés d'agglomération et aux communes d'une certaine importance, en cohérence avec les seuils déjà définis par ailleurs.

Pour avoir beaucoup travaillé, avec Jérôme Durain, sur les questions de cybersécurité, je constate que nous sommes confrontés à une triple contrainte.

Premièrement, nous sommes, mes chers collègues, en guerre ! C'est une guerre économique qui nous oppose aux deux superpuissances, les États-Unis et la Chine. Je comprends les raisons d'un report du nouveau dispositif au 1er janvier 2028, liées à sa complexité. Toutefois, pendant ce temps, la guerre s'intensifie, la puissance des deux géants s'accentue et les spécialistes de la cybersécurité que sont les Russes, les Chinois et, dans une moindre mesure, les Américains et les Israéliens progressent beaucoup plus vite que nous.

Deuxièmement, les collectivités locales, en particulier les petites communes et les communautés de communes, ne disposent pas à l'évidence des moyens pour mettre en oeuvre un tel dispositif. Il est cependant exact qu'elles sont aussi moins exposées au risque contre lequel il vise à lutter.

Troisièmement, nous sommes confrontés à la complexité de notre système normatif, avec la prise en compte de la législation européenne. Les simplifications que nous souhaitons entreprendre, à grand renfort de discours, se traduisent invariablement par un surcroît de complexification ! Tel a déjà été le résultat de la récente « simplification » du droit de l'urbanisme.

Je soutiens la démarche de Dany Wattebled et l'amendement de la rapporteure, tout à fait pertinent en l'état de la législation, mais nous ne ferons pas l'économie d'aller plus loin sur ces questions, et peut-être nous faudra-t-il envisager une mission plus globale. Nous n'avons pas réuni en effet, tant s'en faut, les munitions qui nous permettront de gagner la guerre. Nous sommes plutôt en train de la perdre !

M. Christophe Chaillou. - Pour notre part, nous accueillons très favorablement la proposition de loi issue des travaux de la commission d'enquête présidée par Simon Uzenat. Si elle ne répond sans doute pas complètement aux enjeux, elle constitue une première étape importante dans l'élaboration de cette réponse.

L'enjeu essentiel est celui de notre souveraineté et de la sécurisation de nos données numériques. S'y ajoute la nécessité de soutenir nos acteurs européens.

L'amendement proposé nous semble concilier la réalité des normes déjà applicables, notamment à l'échelle européenne, nos contraintes nationales, spécialement celles de nos petites collectivités, et la préoccupation d'aboutir à un dispositif véritablement opérationnel. Nous sommes en particulier favorables au report d'un an de l'entrée en vigueur du dispositif.

Mme Audrey Linkenheld. - Pour avoir été membre de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, ayant pour objet la transposition de trois directives européennes, dont la directive NIS 2, je ne peux que constater que nous avons pris du retard. Cette transposition, qui devait être effective en octobre 2024, n'est ainsi toujours pas réalisée. C'est fâcheux au regard des enjeux majeurs qui s'imposent à nous.

Il est indispensable que toutes les institutions publiques et que tous les acteurs privés aient conscience de la menace qui pèse sur eux. À cet égard, contrairement à ce qu'a dit Marc-Philippe Daubresse, je ne crois pas que certains y soient moins exposés que d'autres ; la différence tient de mon point de vue davantage, en fonction de leur importance respective, au poids des conséquences en cas de perte de données. Aussi, il est pertinent que vous proposiez d'adapter les mesures opérationnelles à la nature et à la taille de ces institutions et de ces acteurs.

Sur le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité, notre collègue Florence Blatrix Contat a fait adopter un amendement sur la question spécifique de la souveraineté numérique, afin d'encourager le recours à des infrastructures et à des solutions, en particulier des solutions de cloud, françaises ou européennes.

Il importe que nous nous assurions de la convergence de l'ensemble des textes et des propositions sur lesquels nous travaillons, tant sur le fond que sous l'angle du calendrier. Nos collectivités et nos entreprises doivent en effet pouvoir disposer d'un minimum de visibilité sur ce que nous attendons d'elles. Pour l'heure, ces exigences demeurent assez obscures ; quant à l'accompagnement de l'État, notamment auprès des collectivités, il reste relativement faible. Le Gouvernement sait dire ce qu'il faut faire, beaucoup moins comment il convient d'accompagner, y compris financièrement, les collectivités pour y parvenir. Nous pourrons pour notre part encore travailler au texte du projet de loi sur ces aspects.

Mme Dominique Vérien. -Au sein de notre groupe politique, Catherine Morin-Desailly nous alerte depuis des années sur le sujet de la souveraineté de nos données. Elle s'est opposée à la volonté du Gouvernement de confier l'hébergement de nos données de santé à Microsoft et a fait adopter plusieurs propositions de résolution sur le sujet. Avec la présente proposition de loi, elle peut enfin avoir l'impression d'être entendue par le Sénat.

C'est une bonne chose, car je confirme que nous sommes en guerre et que la souveraineté de nos données est primordiale.

Se posent des problèmes de complexité juridique et de conformité au droit européen. Nous avons souvent souligné que le Digital Services Act (DSA) ou la loi Sren, pour importants qu'ils soient, n'allaient pas encore assez loin. La rapporteure, dont je salue le travail comme je salue celui de l'auteur du texte, a su définir la bonne ligne de crête pour progresser autant qu'il était possible sur ces questions de souveraineté. Nous en suivrons les propositions.

M. Dany Wattebled. - La rapporteure a réussi un bel équilibre en s'adossant à la loi Sren, en ménageant les collectivités de moins de 30 000 habitants et en ne heurtant pas de plein front le nouveau projet de loi de simplification des normes en cours d'élaboration.

Cependant, une entrée en vigueur du dispositif en 2028 me paraît trop éloignée. Marc-Philippe Daubresse a rappelé que nous étions en guerre. Je proposerai de nous en tenir impérativement au 1er janvier 2027. Cette commission a permis d'affirmer la volonté de rapatriement des données de santé des Français dans des clouds souverains et l'on parle également de revenir sur l'hébergement des données de l'enseignement supérieur. Nous voyons l'intérêt qu'il y a de provoquer au plus tôt de telles initiatives. Une guerre se gagne aussi par la rapidité de manoeuvre. Ne donnons pas un an de plus à nos adversaires. La loi proposée n'est pas une loi de circonstance, elle est importante, et tous les jours nous déplorons la fuite de données, tandis que nos start-up font l'objet de rachats et que la commande publique ne s'adresse pas non plus aux acteurs français d'importance européenne tels que les hébergeurs Scaleway ou OVH.

Mme Olivia Richard, rapporteure. - Merci de votre soutien tant à la proposition de loi qu'à l'amendement que je vous propose.

L'initiative de notre collègue est heureuse, ne serait-ce que parce qu'elle permet d'ouvrir le débat. Les travaux de la commission d'enquête sénatoriale avaient déjà provoqué une sorte d'électrochoc auprès des acteurs économiques concernés. Avant même l'adoption d'un texte législatif, le seul fait de poser des questions, de mettre en lumière les difficultés et de tirer la sonnette d'alarme permet de faire avancer les lignes.

Nous sommes nombreux à partager la préoccupation d'une autonomie stratégique. Les auditions que j'ai conduites se sont tenues en parallèle du sommet organisé à Berlin, où la France a clamé haut et fort son souhait d'une souveraineté numérique. Nous allons dans la bonne direction, mais nous butons, c'est exact, sur la complexité du système normatif en vigueur. Ne cédons pas pour autant au sentiment d'impuissance qui, parfois, peut nous gagner. Trouver un équilibre était pour moi prioritaire.

Votre souhait, monsieur Wattebled, d'une mise en oeuvre la plus rapide possible de nouvelles dispositions législatives, et en tout cas anticipée par rapport à la proposition que je formule, présente de mon point de vue certains inconvénients. L'échéance des élections municipales nous occupera en mars prochain. Les communes de plus de 30 000 habitants seront concernées par ce texte et elles disposeraient alors de moins d'un an pour former leurs agents puis organiser des procédures de passation de marchés et sélectionner de nouveaux prestataires. Ce délai paraît très court. Il importe qu'elles puissent se préparer et avancer de façon prudente, sans s'exposer au risque de contentieux. Une entrée en vigueur du dispositif au 1er janvier 2028, une date du reste pas excessivement éloignée, semble préférable.

M. Dany Wattebled. - L'Ugap est l'un des principaux donneurs d'ordre en matière de marchés publics. Forte d'un effectif de 2 000 professionnels, capable d'engager quelque 200 millions d'euros pour les marchés relatifs à l'hébergement des données de santé et de l'enseignement supérieur, elle a sans conteste les moyens de se mettre en ordre de marche sans retard. De plus, tous les acteurs sont aujourd'hui alertés sur les enjeux de la souveraineté numérique. Il est possible de les mettre en branle progressivement en fonction de leur poids et de leurs moyens respectifs. Je m'en tiens à ma position et je proposerai, si nécessaire, un amendement en ce sens.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Le débat pourra se poursuivre en séance. Le sujet est en effet d'importance et chacun doit prendre le temps de la réflexion.

Concernant le périmètre de ce projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi inclut les dispositions relatives aux modalités de sélection des titulaires et d'exécution des marchés publics comportant des prestations d'hébergement et de traitement de données publiques en nuage.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

Mme Olivia RICHARD, rapporteure

1

Amendement de réécriture globale

Adopté

La réunion est close à 10 h 10