Loi de finances pour 2008 (Suite)
Conseil et contrôle de l'Etat
M. le président. - Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ».
M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial de la commission des finances. - Comme chaque année, nous allons consacrer un peu de temps à débattre de cette mission constituée de trois programmes, correspondant à trois organismes importants : « Conseil d'État et autres juridictions administratives », « Conseil économique et social », « Cour des comptes et autres juridictions financières ». La logique de performance, conforme à l'esprit de la Lolf, s'est progressivement imposée.
Le programme « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » est doté de 286,4 millions d'euros, soit plus de 53 % des crédits de l'ensemble de la mission. Il convient de saluer une meilleure maîtrise des frais de justice : la dotation correspondante avait augmenté de 28 % en 2005, de 42 % en 2006 et de 12 % en 2007, elle baisse cette année de 3,4 %. Au terme de la période couverte par la loi d'orientation et de programmation pour la justice, sept emplois de magistrats administratifs auront été créés. Ces renforts ont profité en particulier aux tribunaux administratifs de la région parisienne, soumis à une très forte augmentation du volume de contentieux. Quatre tribunaux administratifs ont été créés, à Nîmes, Saint-Barthélémy et Saint-Martin, ainsi qu'à Toulon -où l'ouverture est prévue en septembre prochain. Les indicateurs de performance ne posent guère de difficulté, puisque la référence à des délais moyens de jugement était utilisée depuis plusieurs années déjà par le Conseil d'État.
Le programme « Conseil économique et social » s'articule désormais autour de trois actions. Le Conseil bénéficie d'une forte autonomie de gestion. Son budget étant modeste, ses dépenses relativement rigides et ses activités -conseil, dialogue- difficilement évaluables, il n'est pas incité à se doter d'une véritable comptabilité analytique. Toutefois, il dispose d'une capacité d'analyse par fonction qui lui assure un suivi maîtrisé des coûts. Ses crédits, en très faible progression, s'élèvent pour 2008 à 36,3 millions d'euros. Par nature, cette assemblée consultative se prête mal à la mesure de la performance. « Les chiffres ne remplacent jamais les idées »... Toutefois, conformément aux préconisations de la commission des finances en 2005 et en 2006, le projet annuel de performance a connu des améliorations certaines, de nouveaux indicateurs ont été introduits, ce dont notre commission des finances se félicite.
Le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières », bénéficie d'une enveloppe de 194,7 millions d'euros, en hausse de 7,1 %, du fait notamment des dépenses immobilières. Pour 2008, le plafond d'emploi autorisé est fixé à 1 840 emplois équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit une diminution de 11 ETPT. Les nouvelles missions de certification semblent avoir été absorbées par des redéploiements internes à la Cour et par le recrutement d'experts issus du privé et encadrés par des magistrats, Il n'est prévu aucune création supplémentaire au titre des missions de certification, ce qui mérite d'être souligné. Les 1 840 emplois du programme incluent les 372 ETPT mis à disposition des juridictions financières par le ministère de l'économie. Le statut des intéressés est en pleine réforme. S'agissant des catégories B et C, des corps administratifs et techniques propres aux juridictions financières ont été créés en 2007. Pour la catégorie A, la création d'un corps spécifique devrait intervenir en septembre 2008. Enfin, la démarche de performance engagée par les juridictions financières mérite d'être saluée ; des améliorations sensibles ont été apportées sur les indicateurs de performance.
Je dois souligner que la collaboration entre notre commission des finances et ces trois grandes structures est empreinte d'une grande confiance ; même si le contrôle a suscité des questions, il nous a été répondu franchement. La commission des finances propose au Sénat l'adoption des crédits de la mission.
M. Simon Sutour, rapporteur pour avis de la commission des lois. - Cette année encore, les crédits du programme « Conseil d'État et autre juridictions administratives » sont retracés dans la mission « Conseil et contrôle de l'État », à côté des programmes « Cour des comptes et autres juridictions financières et Conseil économique et social ». Il faudra sans doute préciser les choses après le prochain renouvellement sénatorial, sachant que des liens perdurent entre les juridictions administratives et le ministère de la justice.
L'augmentation des contentieux, notamment à propos du permis à points, et leur accroissement attendu en matière de droit au logement opposable démontre la montée en puissance de la justice administrative dans le quotidien de nos concitoyens.
Le programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives » voit ses crédits progresser de 4,1 % à périmètre constant, contre 1,6 % pour le budget général de l'État. Les priorités se concentreront sur la création d'emplois, la poursuite des améliorations statutaires et les opérations immobilières indispensables.
La loi de programmation de 2002 n'ayant atteint ses objectifs qu'à hauteur de 70 % -avec 335 nouveaux emplois sur les 480 prévus- il est nécessaire de poursuivre les créations de postes. Les nouvelles juridictions en absorbent une bonne part, mais il faut également prendre en considération la hausse des contentieux et le vieillissement de la pyramide des âges dans les corps des magistrats et agents des greffes. En 2008, 29 postes de magistrats et 27 emplois dans les greffes doivent être créées, ce qui augmentera de 6 % les dépenses de personnel. Il faudra amplifier cet effort par la suite. Je salue la revalorisation du taux indemnitaire moyen, qui sera portée à 55,8 %, satisfaisant ainsi une ancienne revendication, certes avec un léger étalement dans le temps.
En matière d'investissements, il est nécessaire de créer en Île-de-France un nouveau tribunal, par exemple en Seine-Saint-Denis, pour alléger la charge pesant sur les juridictions administratives de la région parisienne et le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Plus au sud, il faut choisir le site devant accueillir le tribunal administratif de Toulon, dont le projet paraît en voie de concrétisation. Enfin, j'attends des informations sur le ravalement de la façade du tout nouveau tribunal administratif de Nîmes, dans mon département, pour un coût estimé à 655 000 euros, sachant que les collectivités locales concernées peuvent y participer.
J'en viens à l'évolution préoccupante du contentieux, alimentée par la multiplication des procédures.
Entre 2005 et 2006, le contentieux du droit des étrangers a augmenté de 9 %, celui des permis à points s'est accru de 146 %. Chaque année, les juridictions administratives doivent absorber les affaires nouvelles par milliers, sans détériorer la qualité des jugements. Pour l'heure, l'augmentation continue des moyens a permis de maintenir la qualité des décisions malgré une certaine réduction des délais de jugement, mais les juridictions administratives risquent d'être engorgées à l'avenir.
Des solutions existent déjà, qui permettent de réduire le délai moyen, conformément aux contrats d'objectifs qui se généralisent depuis 2002. Ainsi, le décret du 23 décembre 2006 étend le recours au juge unique, tout en maintenant l'examen collégial dès qu'il s'agit de libertés ou des droits sociaux. En outre, le même décret rationalise la procédure contentieuse. Il étend aussi le filtrage des pourvois par le président d'une formation de jugement du tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel.
Un décret est attendu pour mettre en oeuvre le recours préalable au contentieux de la fonction publique afin de prévenir la saisine des juridictions. Il serait sans doute utile de créer un dispositif analogue pour le permis à points.
Notre collègue Pierre Jarlier, rapporteur pour avis de la commission des lois sur le droit au logement opposable, avait attiré l'attention du Gouvernement sur le risque de « saturation des juridictions administratives » induit par ce texte, qui est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Gouverner, c'est prévoir. Or, les contentieux consécutifs à de nouvelles dispositions ne sont toujours pas anticipés. Il serait souhaitable que le Gouvernement accompagne systématiquement ses projets de loi d'une étude d'impact précisant les moyens supplémentaires qu'ils nécessiteront.
La commission des lois est favorable à l'adoption des crédits du programme « Conseil d'État et autre juridictions administratif ». (Applaudissements au centre et sur les bancs des commissions.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Mon intervention portera sur le programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives », faute de temps.
Monsieur le rapporteur pour avis, je ne sais si des constats voisins conduiront aux mêmes conclusions... La situation des tribunaux administratifs est catastrophique, surtout en région parisienne.
Malgré une hausse de 5,8 % des crédits de paiement, l'engorgement des tribunaux administratifs perdurera, car il tient aux modifications apportées en 2006 au droit des étrangers. Le contentieux correspondant représente plus du quart des requêtes et son rythme d'évolution est très supérieur à la moyenne, avec 10,29 % d'affaires supplémentaires constatées au premier semestre 2007 contre une croissance générale de 6,14 %. La loi du 24 juillet 2006 a fusionné les contentieux du séjour et de l'éloignement pour alléger la charge des magistrats, mais l'inverse s'est produit. En effet, la loi du 20 novembre 2007 a créé un recours suspensif au profit des demandeurs d'asile à qui l'entrée sur le territoire est refusée. Favorable à cette procédure, je crains que l'explosion du chiffre des affaires ne se traduise par une détérioration de la justice. La politique de l'immigration est critiquable sur le fond mais également sur la forme, puisqu'elle rend intenable la situation des juridictions administratives.
L'entrée en vigueur de la loi instituant le droit au logement opposable va encore aggraver la situation : en l'absence de commissions départementales de médiation, les demandeurs pourront saisir directement le juge administratif. Je rappelle que quatre millions de personnes sont potentiellement concernés par cette loi. Au vu des documents budgétaires, le Gouvernement ne semble pas avoir pris la mesure de la situation. En effet, la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002 n'aura été exécutée qu'à hauteur de 70 % et non de 84,3 % comme le rapport l'indique en incluant les créations de postes pour 2008, pourtant extérieures à cette loi. Et même à supposer que la loi d'orientation soit entièrement exécutée, le rapporteur avoue qu'il faudrait « obtenir en 2009 33 postes de magistrats administratifs ». Les 29 postes inscrits dans le budget pour 2008 ne sont qu'un minimum vu la croissance exponentielle du contentieux. J'ajoute qu'il aurait fallu également accroître le nombre des agents du greffe pour au moins maintenir le ratio agent du greffe par magistrats -actuellement de 1,3- alors que la Cour européenne des droits de l'homme, par exemple, compte 250 assistants juristes pour 47 juges. La loi de programme est encore moins bien appliquée s'agissant des greffes que des magistrats.
Envisagez-vous de couper le cordon qui relie le ministère de l'intérieur à la justice administrative ? Aujourd'hui, le personnel des greffes des tribunaux administratifs relève encore de la place Beauvau. Allez-vous aligner leur situation sur celle des fonctionnaires du Conseil d'État ? Enfin, pourquoi les magistrats administratifs ne bénéficient-ils pas de la revalorisation indemnitaire accordée aux magistrats des chambres régionales des comptes ?
Alors que la situation des tribunaux administratifs est critique, on ne peut demander aux magistrats d'accroître leur productivité bien que ce soit à la mode depuis six mois, s'ils doivent veiller à la qualité de la justice rendue. Augmenter les effectifs et rendre la profession plus attractive en l'ouvrant plus ou diplômés de l'ENA, développer le précontentieux, comme le proposent les magistrats eux-mêmes, ne semble pourtant pas à l'ordre du jour. C'est pourquoi nous ne pourrons voter les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les bancs CRC.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. - Je salue le travail des rapporteurs de la mission.
Assemblée constitutionnelle, le Conseil économique et social a réalisé cette année un remarquable effort d'adaptation de sa présentation budgétaire aux exigences de la Lolf. Sa dotation globale connaîtra une augmentation de 1,5 %. La nomination de deux nouveaux conseillers pour l'outre-mer et l'augmentation de la valeur du point d'indice pour la rémunération du personnel expliquent cet accroissement. La dotation correspondant aux autres postes est inchangée depuis 2001.
Le programme « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » s'inscrit dans un contexte d'augmentation de l'activité des juridictions administratives. Ce budget permettra de créer un nouveau tribunal administratif à Toulon et de renforcer les effectifs des juridictions administratives pour faire face à la croissance du contentieux. Le Conseil d'Etat s'est lancé, depuis 2006, dans une politique volontariste de maîtrise de ses frais de justice, constitués pour l'essentiel de frais d'affranchissement. Cette dotation, ajustée à la hausse tous les ans, a pu être pour la première fois reconduite à l'identique. L'expérimentation de l'envoi par Internet des pièces de procédure devrait mener à une réduction des coûts d'affranchissement tout en améliorant le service rendu aux justiciables.
Monsieur Frécon, vous vous inquiétez de la dégradation d'un indicateur important : les délais de jugement. Depuis l'élaboration des documents budgétaires, au printemps, la situation s'est notablement redressée. La poursuite de la croissance soutenue du nombre d'affaires enregistrées, qui devrait atteindre 5 % en 2007, est absorbée par une augmentation plus importante du nombre d'affaires traitées, de 8 % sur les dix premiers mois de 2007. Cela devrait mécaniquement réduire le stock, et donc les délais de jugement. En outre, les juridictions administratives sont engagées depuis longtemps dans une démarche de performance s'appuyant sur une amélioration de la productivité des magistrats et des agents de greffe sans nuire à la qualité des décisions juridictionnelles.
La pratique du détachement et de la mise à disposition de membres du Conseil d'État permet à ses membres d'acquérir une expérience qui contribue à la qualité de leur travail. La proportion de personnels mis à disposition n'a pas significativement varié depuis 2001. A l'inverse, de plus en plus de fonctionnaires expérimentés en provenance d'autres administration sont accueillis au Conseil d'Etat.
Trois éléments caractérisent le programme « Cours des comptes et autres juridictions financières ». L'autonomie de gestion de leurs ressources humaines -malgré les 200 000 euros dont il a été question plus tôt- est renforcée : la consolidation de la situation juridique des personnels, engagée en 2006, sera achevée en 2008. Et le budget rationalise leurs moyens : si la mission de certification des comptes a nécessité la création d'emplois en 2006 et 2007, les recrutements correspondants d'experts ne seront achevés qu'en 2008. Par ailleurs, l'externalisation de certaines fonctions, le stockage et la sécurité par exemple, et la modernisation des moyens permettent la suppression, en 2008, de onze emplois. Enfin, le projet de budget 2008 est marqué par une opération immobilière de grande envergure avec la rénovation de la tour des Archives, principal projet immobilier depuis l'installation de la cour au palais Cambon en 1912. Elle mobilisera 8,4 millions d'euros en 2008, et les services qui y sont actuellement installés devront être relogés. Cette opération explique l'essentiel de la progression des crédits des juridictions financières.
Pour répondre aux questions de M. Sutour, les effectifs des magistrats en région parisienne seront renforcés et la création d'un nouveau tribunal administratif doit y être envisagée. Les locaux du futur tribunal de Toulon ont été trouvés et l'équipe de préfiguration mise en place. Le Premier ministre a demandé au Conseil d'État de lui remettre à la fin du premier trimestre 2008 une étude contenant des propositions concrètes pour développer le recours administratif obligatoire, afin notamment de diminuer le contentieux concernant les étrangers, ce qui répondrait également aux inquiétudes de Mme Borvo Cohen-Seat. (Applaudissements à droite et au centre.)
Les crédits de la mission sont adoptés.