Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat.
Je vous rappelle que le débat sera organisé autour des deux thèmes suivants : la publication des données « Passagers » dans les vols internationaux puis le congé de maternité. Chacun de ces sujets donnera lieu à un échange.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la Conférence des Présidents, pour chacun des deux sujets, interviendront successivement pour cinq minutes le représentant de la commission compétente et le Gouvernement. Puis une discussion spontanée et interactive...
M. Jean-Pierre Sueur. - Participative, comme dirait Mme Royal !
Mme la présidente. - ...de dix minutes sera ouverte sous la forme de questions-réponses de deux minutes maximum par intervention.
Publication des données « passagers » dans les vols internationaux
M. Yves Détraigne, au nom de la commission des lois. - Le Sénat a adopté le 30 mai une résolution sur la proposition de décision-cadre relative à l'utilisation des données des dossiers passagers, dites PNR, à des fins répressives. Cette résolution est le fruit d'une initiative de notre collègue Simon Sutour au nom de la commission des affaires européennes.
Les données PNR sont celles recueillies par les compagnies aériennes et les agences de voyage auprès des passagers à l'occasion de la réservation d'un vol. Ce projet européen de collecte des données PNR aux fins de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée fait écho au système mis en place par les États-Unis après les attentats de 2001. La création de ce système a d'ailleurs donné lieu à d'âpres négociations entre l'Union et les États-Unis pour définir les conditions dans lesquelles les compagnies opérant des vols transatlantiques pouvaient transmettre ces données. Ces négociations ont alerté les pouvoirs publics et les opinions sur les risques liés à une utilisation extensive de ces données, recueillies initialement dans un but commercial. L'Union s'est efforcée, avec un succès très mitigé, de faire valoir la conception européenne de la protection des données personnelles. Elles ont, dans le même temps, éveillé l'intérêt des services de sécurité européens pour ces données dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.
En ce qui concerne le respect des droits fondamentaux, les risques sont de plusieurs ordres. Les systèmes PNR peuvent être comparés à des filets dérivants capturant de nombreuses données relatives à des citoyens ordinaires afin de détecter des activités terroristes ou criminelles et de pouvoir réveiller ces données pendant plusieurs années. Cette démarche est distincte de celle des fichiers de police traditionnels qui ont pour objet d'accumuler des données sur des personnes déjà connues des services.
Le principal reproche fait à cette collecte indifférenciée est de considérer chaque utilisateur comme un suspect a priori. Ses données personnelles sont conservées au cas où elles se révéleraient intéressantes ultérieurement. En conséquence, le principe de proportionnalité requiert de mettre en balance les sacrifices consentis au détriment du respect des droits fondamentaux et les gains pour la sécurité. Or, des éléments précis et chiffrés manquent. Pour des raisons compréhensibles, mais dommageables au débat public, les services de sécurité restent discrets sur les résultats obtenus. En outre, par nature, il est très difficile d'isoler la plus-value de ces données. Comme l'a confié le directeur de la direction centrale du renseignement intérieur, en matière de renseignement, il est très rare qu'une donnée à elle seule soit décisive. Les données PNR ne dérogent évidemment pas à cette règle : elles ne viennent que compléter une panoplie documentaire et elles fournissent une multitude de petites informations qui, agrégées à d'autres, sont autant de signaux d'alarme.
La résolution du Sénat prend acte du projet de PNR européen, sans l'approuver ni le dénoncer. A titre personnel, et compte tenu des auditions menées et des premiers retours d'expérience, ces données ne me semblent pas redondantes avec d'autres systèmes d'information en vigueur. Elles m'apparaissent également comme une aide précieuse pour les services de sécurité. Toutefois, une limite ne doit pas être franchie : l'extension de la collecte des données PNR à des vols nationaux ou intracommunautaires. Dans ce cas, l'équilibre entre liberté et sécurité serait rompu.
Si, sur le principe, la résolution du Sénat ne rejette donc pas un PNR européen, elle pose plusieurs conditions nécessaires au respect du principe de proportionnalité. Tout d'abord, les finalités du système doivent être précisées. La référence à des infractions graves ou à la criminalité organisée est trop floue. La piste dégagée par les travaux du Conseil consistant à se référer aux 32 catégories d'infractions permettant de recourir au mandat d'arrêt européen est intéressante. Toutefois, elle ne saurait exonérer d'un examen de chacune de ces catégories afin de s'assurer de leur pertinence par rapport à l'exploitation des données PNR.
La liste des données PNR pose un deuxième problème. Si la plupart apparaissent utiles, la question des données sensibles, c'est-à-dire celles « révélant la race ou l'origine ethnique, les convictions religieuses, les opinions politiques, l'appartenance à un syndicat, la santé ou l'orientation sexuelle » demeure. Lorsque ces mentions figurent parmi les données PNR, elles se trouvent dans la rubrique 12 intitulée « Remarques générales ». Cette rubrique est un champ libre dans lequel les compagnies aériennes peuvent inscrire des informations relatives au handicap d'une personne ou à ses préférences alimentaires. La résolution du Sénat préconise une solution simple et claire : exclure purement et simplement cette rubrique de la liste des données PNR transmises. Cette solution présente plusieurs avantages : la question technique du filtrage des données sensibles au sein de la rubrique « Remarques générales » ne se posera plus. En outre, elle répond à la fois aux critiques contre l'utilisation des données sensibles et aux réticences de la Cnil quant à l'utilisation de ces champs libres. De plus, cette solution permettrait d'apaiser le débat sur le PNR européen, sans que les capacités opérationnelles des services de sécurité ne soient véritablement affectées. Les auditions des responsables de ces services ont d'ailleurs fait apparaître que cette rubrique était la moins utile.
J'en viens à la durée de conservation des données par les services de sécurité. Les treize ans initialement envisagés étaient inacceptables. Si les durées actuellement discutées apparaissent plus raisonnables, entre six et dix ans, elles semblent encore excessives compte tenu des besoins exprimés par les services de sécurité pour qui une durée de cinq ans serait suffisante. C'est pourquoi notre résolution préconise une première phase de conservation de trois ans, à laquelle succéderait une phase de préservation de trois ans des seules données ayant présenté un intérêt particulier au cours de la première phase. Le fichier des données PNR se rapprocherait ainsi, au cours de cette seconde phase, du format habituel d'un fichier de police.
La résolution soulève bien d'autres problèmes tels que la désignation précise des destinataires des données, le renforcement des droits des personnes concernées ou l'encadrement strict des transmissions de données à des États tiers.
Cette résolution est exigeante au nom du respect de la vie privée et de la liberté d'aller et venir. Nous n'ignorons pas que les négociations européennes ont déjà permis de faire évoluer le projet dans le bon sens sur plusieurs points. II reste néanmoins en retrait par rapport à la position de notre Haute assemblée. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser le stade d'avancement des négociations et la position du Gouvernement par rapport à notre résolution ? (Applaudissements)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Très bonne intervention !
Mme la présidente. - Je vous félicite d'avoir tout fait pour tenir ce délai sans doute un peu juste.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - C'est un bon délai ! (Sourires)
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. - Comme l'a excellemment rappelé M. Détraigne, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale appelle une mobilisation de tous les instants face à des organisations qui savent exploiter nos points faibles. L'utilisation des informations commerciales contenues dans les bases de données des compagnies aériennes, dites données PNR, s'est progressivement imposée comme une réponse efficace, à des fins de prévention et de répression de ces phénomènes.
A la demande des États-Unis, l'Union européenne a négocié un accord permettant aux transporteurs aériens de transférer les données PNR aux autorités américaines pour tous les vols transatlantiques. Un cadre juridique a été également mis en place avec le Canada et l'Australie et il faut s'attendre à des demandes similaires d'autres pays tiers. Certains États membres de l'Union, à l'instar de la Grande-Bretagne, ont également commencé à développer leur propre système PNR. En France, la loi du 23 janvier 2006 concernant la lutte contre le terrorisme a prévu le cas. D'ores et déjà, les douanes françaises effectuent plus de 60 % des saisies annuelles de stupéfiants dans les aéroports de Roissy et d'Orly en exploitant les données PNR.
Partant de ce constat, la Commission européenne a présenté, en novembre 2007, une proposition de décision-cadre afin de permettre à l'Union de mettre en place un système cohérent. Cette initiative était la bienvenue pour trois raisons : il était paradoxal que l'Union accepte de transmettre à un nombre croissant de pays tiers des données PNR, sans prévoir pour elle-même la possibilité de les exploiter. De plus, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale appelle des réponses européennes harmonisées. Dans un marché intérieur des transports unifié, il est logique de soumettre les entreprises concernées aux mêmes obligations.
Troisième raison : il appartient à l'Union, compte tenu de ses valeurs, de développer un modèle de PNR reposant sur la double volonté de protéger ses citoyens et de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes. Le principal enjeu de cette négociation consiste à parvenir à un équilibre entre l'efficacité dans la lutte contre le terrorisme et la protection des données à caractère personnel. C'est bien sous cet angle que ce dossier a été appréhendé, en particulier lorsque nous avons exercé la présidence du Conseil de l'Union.
Après une première lecture de la proposition de la Commission sous présidence slovène, la France a estimé qu'il n'était pas possible de poursuivre la négociation au Conseil selon la méthode habituelle. En juillet dernier, Mme Alliot-Marie a donc proposé à ses collègues, au sein du Conseil « Justice et Affaires intérieures », de laisser provisoirement de côté le texte de la Commission et de privilégier un débat de fond sur plusieurs éléments-clés afin de dégager des orientations politiques qui permettraient d'aborder la suite de la procédure législative sur des bases plus solides. Elle a également tenu à associer à ce débat les principales parties prenantes, comme les organisations de transporteurs aériens et les autorités répressives des États-membres, mais aussi le contrôleur européen pour la protection des données et le Parlement européen. Pour la première fois, l'Agence européenne des droits fondamentaux a été formellement consultée par la présidence du Conseil dans le cadre d'une procédure législative et a rendu un avis, qui a été pris en compte dans les travaux. Cette méthode a produit des résultats convergents avec les préoccupations exprimées par votre résolution. Je tiens, à cet égard, à saluer la qualité du travail de M. Détraigne auquel je rends hommage.
L'objectif d'un PNR européen est de prévenir et de détecter les infractions terroristes et les formes graves de criminalité, ainsi que de procéder à des enquêtes et des poursuites. Les crimes graves seront définis par référence au mandat d'arrêt européen.
La transmission des données selon la méthode push devrait offrir les meilleures garanties en matière de protection des données à caractère personnel. Afin de permettre aux transporteurs aériens de s'adapter à cette exigence, une période transitoire, qui pourrait être de trois ans, est envisagée, conformément au dispositif retenu dans des accords antérieurs avec les pays tiers. Mais, au terme de ce délai, il appartiendra aux transporteurs aériens de transmettre les données vers la base de l'autorité publique qui n'ira plus les chercher auprès du transporteur.
Le système devrait reposer sur des « unités de renseignements passagers » qui seront créées pour traiter les données PNR. Les travaux sous présidence française ont permis de dégager un consensus pour assurer un niveau optimal de protection des données. L'intervention d'intermédiaires devrait être exclue. Chaque État-membre adoptera une liste des autorités compétentes habilitées à demander et à recevoir ces unités de données.
Conformément au voeu du Sénat, les personnes ayant accès aux données seront soumises à des règles de confidentialité.
L'accès aux installations doit être contrôlé et les éventuelles violations sanctionnées. Plus généralement, on envisage bien d'obliger les États-membres à ce qu'une ou plusieurs autorités publiques indépendantes et dotées d'un pouvoir d'investigation soient chargées du contrôle du dispositif après sa transposition.
Le débat continue sur le traitement des données sensibles, par exemple sur le régime alimentaire, mais l'évaluation du risque ne saurait reposer sur la race, l'origine ethnique, les convictions religieuses ou philosophiques, la santé ou l'orientation sexuelle.
Si le Conseil s'orientait vers la non-utilisation des données sensibles, leur effacement ne saurait être à la charge des transporteurs, déjà éprouvés par la crise. Dans le cas contraire, leur exploitation serait sévèrement encadrée.
La conservation des informations est une question très importante. Le Conseil s'oriente vers une baisse de treize à trois ans avec un archivage de trois à cinq ans. Enfin, sur le régime applicable à la protection des données, les garanties doivent être clarifiées. Sous présidence française, un consensus s'était dégagé pour un régime équivalent à celui prévu par la directive de 1995. Un niveau adéquat de protection doit être garanti pour la transmission de données à un pays tiers.
Un travail de fond a été accompli, dont la présidence tchèque tire les conséquences et que poursuivra la présidence suédoise. Si nous disposons comme nous l'espérons d'un nouveau cadre institutionnel d'ici la fin de l'année, les progrès réalisés serviront de base à un texte en codécision, l'intervention du Parlement européen constituant une garantie supplémentaire. (Applaudissements à droite et au centre)
M. Guy Fischer. - Mon groupe, s'il partage les réserves formulées par la proposition de résolution, continue de s'interroger sur l'opportunité d'un dispositif que contestent tant les spécialistes que le Parlement européen. Les objectifs de lutte contre le terrorisme ont été sacralisés depuis les attentats du 11 septembre mais dans nombre de pays, des dispositifs dont on ne mesure pas l'efficacité provoquent des atteintes caractérisées aux droits fondamentaux des citoyens. Le Parlement européen s'est interrogé le 20 novembre 2008 sur la valeur ajoutée d'un dispositif dont la Cour de justice des Communautés européennes avait sanctionné la préfiguration en 2006 au motif que sa base juridique était erronée et que cela ne relevait pas de la Commission. Une étude aurait dû être entreprise sur l'efficacité du dispositif. Surtout, l'ambiguïté entretenue entre immigration et terrorisme n'est pas saine. Une meilleure coopération juridique doit se développer sur des bases juridiques claires et respectueuses des droits des citoyens, sans porter atteinte aux droits de l'homme. Je sollicite le Gouvernement pour qu'il obtienne un gel des négociations jusqu'à ce qu'une étude sérieuse lève toutes les craintes.
M. Jean-Pierre Sueur. - M Sutour, auteur du projet de résolution, ne peut être parmi nous et m'a demandé de l'excuser. Notre groupe aborde cette question avec un mot clef, celui de responsabilité. Devant l'horreur des attentats, comment ne pas souscrire à la nécessité de mesures efficaces pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme ? Nous pensons avec M. Sutour que le même esprit de responsabilité conduit à être très attentif au respect de la vie privée et des libertés. L'objet du projet de résolution était de concilier ces deux objectifs et je remercie M. Détraigne de l'avoir enrichi sur des points essentiels. Il est important que la présidence suédoise ait d'ores et déjà indiqué son souhait d'avancer dans cette direction. Je m'en tiendrai à des questions précises.
Mme la présidente. - Rapidement.
M. Jean-Pierre Sueur. - La proposition de résolution adoptée par la commission dispose que les agents devront être individuellement habilités pour accéder aux données PNR. Pouvez-vous nous garantir que ce sera la position de la France ?
Vous avez indiqué qu'il ne saurait être question d'enregistrer des données relatives à l'origine ethnique, les convictions religieuses ou politiques, la santé, l'orientation sexuelle. La France sera-t-elle opposée à la rubrique 12 « Remarques générales » ?
Si votre position sur la durée de conservation rejoint celle de la commission, le projet de résolution considère que la transposition de la décision locale doit se faire par la loi. Le Gouvernement envisage-t-il que la transposition incombe explicitement au Parlement ?
M. Yves Détraigne, au nom de la commission. - M. Sueur vient d'évoquer la rubrique 12. La résolution propose de l'exclure de la transmission, vous semblez considérer qu'il peut y avoir transmission mais que certaines données ne peuvent pas être exploitées. Si nous avions proposé de ne pas les transmettre, c'est qu'au fil des auditions, j'avais acquis la conviction qu'elles n'étaient pas nécessaires aux recoupements que l'on cherche à réaliser. Co-auteur avec Mme Escoffier d'un rapport sur les libertés individuelles face au numérique, je souhaite y insister.
Vous semblez ensuite aller sur une durée de six ans que nous évoquions, mais alors que nous songions à une durée générale de trois ans renouvelable pour les données qui ont montré leur intérêt, vous paraissez envisager qu'elles soient toutes conservées durant six ans. Est-ce le cas ?
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. - La conservation des données a prouvé son utilité, monsieur Fischer : elle a récemment permis le démantèlement d'importants réseaux pédophiles en Grande-Bretagne. Tout cela ne doit pas se faire aux dépens des libertés individuelles : nous avons demandé des garde-fous et contribué à faire prendre en compte des protections plus claires, conformément aux principes de la directive de 1995. Vous pouvez être rassuré.
En vertu de l'article 7 de la loi de 2006, seuls les agents habilités des services de sécurité peuvent avoir accès aux données, monsieur Sueur. Le débat se poursuit sur le point 12 car certain États sont très attachés à ce que cette possibilité ne soit pas écartée d'emblée.
La rubrique concernée du dossier de réservation ne peut pas donner lieu à un traitement automatisé, et toutes les données qui s'y trouvent n'ont pas le même degré de sensibilité : à cet égard, on ne peut comparer la réservation d'un hôtel et l'état de santé d'un passager.
Si le Conseil autorise une utilisation raisonnée des données sensibles, il faudra encadrer strictement cette possibilité. S'il exclut celle-ci, l'obligation d'effacement ne pourra être à la charge des transporteurs aériens. Après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il reviendra au Parlement européen de veiller à la défense des droits fondamentaux.
Monsieur Sueur, il n'est pas aisé d'identifier dès maintenant le véhicule législatif adéquat pour la transposition de cette directive.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut que le Parlement soit saisi, quel que soit le véhicule choisi.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. - Puisqu'il s'agit des libertés individuelles, le Parlement aura son mot à dire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - C'est du domaine de la loi.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. - Yves Détraigne a posé la question très importante de la durée conservatoire. Nous proposons une solution intermédiaire de trois ans, avec quatre ans de stockage technique.
Pour ce qui est de la lutte contre la criminalité et le trafic de drogue, tout de qui touche aux personnes est très compliqué. Je l'ai indiqué à Marie-Hélène Des Esgaulx, qui m'a interrogé lors des questions d'actualité sur l'accident du vol d'Air France. Ainsi, nous ne pouvons publier la liste des passagers : une erreur d'orthographe pourrait créer une confusion sur l'identité d'une personne ou une famille découvrir qu'un mari voyageait avec son amie. Même en matière de lutte contre le terrorisme, il faut raison garder quand les libertés individuelles sont concernées. (Applaudissements sur le banc de la commission)
Congé de maternité
Mme Annie David, au nom de la commission des affaires sociales. - Le 15 juin, à l'initiative de la commission des affaires sociales, le Sénat a adopté une résolution européenne sur la proposition de directive relative à la protection des travailleuses enceintes, actuellement en discussion à Bruxelles. Depuis cette date, aucune discussion n'a eu lieu au Conseil à ce sujet. Ce débat n'aura donc pas pour objet de contrôler l'application par le Gouvernement des résolutions du Parlement, mais plutôt de connaître les intentions de l'exécutif sur cette directive.
Nous reconnaissons les avancées contenues dans le texte communautaire, dont l'allongement du congé de maternité à dix-huit semaines, mais il soulève plusieurs difficultés. La première résulte de l'interdiction faite aux États-membres d'inciter les femmes enceintes à prendre un congé prénatal. Cela serait non seulement contraire au principe de subsidiarité, mais nuirait à la santé des mères et des nouveau-nés. Pouvez-vous nous confirmer, madame la ministre, que le Gouvernement restera intransigeant sur ce point ?
La deuxième difficulté tient à la timidité des mesures proposées par la directive pour assurer l'égalité des chances entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle. Le fait d'avoir des enfants constitue souvent un frein dans la carrière des femmes, mais ce désavantage n'est jamais reconnu ou assumé par l'employeur. Puisque l'interdiction de défavoriser les femmes enceintes ne suffit pas, il faut reconnaître au niveau européen l'équivalent de la loi française du 23 mars 2006, qui donne droit aux femmes ayant bénéficié d'un congé de maternité aux mêmes augmentations de salaire et avantages que ceux accordés pendant son absence aux salariés de la même catégorie. Madame la ministre, allez-vous vous appuyer sur cet exemple pour promouvoir le droit des femmes dans l'Union européenne ?
Troisième difficulté : la présomption de culpabilité au nom de la lutte contre les discriminations envers les femmes enceintes. Comment permettre que, dans un État de droit, de simples présomptions aient valeur de preuves et que quelques indices suffisent pour qu'une faute soit reconnue par un tribunal ? Que fera le Gouvernement face à une disposition contraire aux principes fondamentaux de la République ? Ne fuyez pas le débat en nous disant qu'il n'y a de véritable présomption d'innocence qu'en matière pénale. On ne peut juger qu'une personne a eu un comportement discriminatoire ou la condamner pour discrimination à partir de simples hypothèses. C'est une règle fondatrice de l'État de droit et j'attache beaucoup d'importance à votre réponse sur ce point.
Enfin, je souhaite connaître la position du Gouvernement sur le congé européen de paternité, préconisé par notre résolution. Comment atteindre l'égalité des chances si l'on n'incite pas, d'une manière ou d'une autre, les pères à s'impliquer davantage à l'occasion d'une naissance ? Madame la ministre, lors de votre intervention sur le congé parental lors des questions d'actualité, vous avez manifesté votre intérêt pour ce sujet. (Applaudissements à gauche)
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité. - La présidence française de l'Union européenne a montré que l'Europe pouvait mener une politique sociale ambitieuse. Dès le 20 octobre dernier, des discussions ont été ouvertes pour modifier la directive de 1992 relative à la sécurité des femmes enceintes, accouchées et allaitantes au travail. C'est dire l'importance que la France attache à ce sujet et aux questions que soulève votre résolution. Les débats qui ont eu lieu au Conseil témoignent du soutien des États-membres à la protection des travailleuses et en faveur de l'égalité de traitement des hommes et des femmes, et pour faciliter le retour vers l'emploi des femmes après leur grossesse. Cet objectif est évidemment partagé par les partenaires sociaux français consultés sur ce projet de directive.
Notre pays connaît une démographie dynamique, avec un taux de fécondité de 2,018 enfants par femme en 2008. Cela se concilie avec un excellent taux d'emploi féminin : 82 % pour les 25-50 ans. Dans les pays occidentaux, plus le taux d'emploi des femmes est important, plus le taux de fécondité est élevé. Pour soutenir ce dynamisme, les femmes ne doivent pas être contraintes à renoncer à leur carrière ou à la mettre entre parenthèses pour s'occuper de leurs enfants, et les pères doivent pouvoir s'impliquer davantage dans l'éducation de ces derniers -et j'ajouterai : dans les tâches ménagères ! (Sourires)
La proposition de directive prévoit d'allonger la durée du congé de maternité de quatorze à dix-huit semaines dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Les salariées françaises bénéficient déjà d'un régime très protecteur en la matière : seize semaines de congés légaux, et 26 à partir du troisième enfant. Le congé est souvent plus long car, pour sept femmes sur dix, il est précédé d'un congé pathologique de deux semaines. Le dispositif français se situe donc dans la moyenne supérieure des États-membres -le congé est de quinze semaines en Belgique et de quatorze en Allemagne. Le Gouvernement n'est pas opposé à cet allongement.
En France, l'indemnisation journalière de maternité est très proche du salaire ; elle apparaît comme l'une des plus favorables d'Europe. Son augmentation n'est donc pas prioritaire, d'autant que cela ferait peser sur les finances publiques un coût supplémentaire.
Quant au déroulement du congé de maternité, le Conseil a observé une très grande disparité dans l'ensemble de l'Union -il peut durer jusqu'à un an en Bulgarie. Chaque État est attaché à ses règles, et la France estime indispensable de garder une période obligatoire de repos prénatal. (M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, approuve) Cela permet de lutter contre les naissances prématurées, qui représentent 6 % des naissances en France. La durée de notre repos prénatal -six semaines éventuellement réduites à trois avec accord médical- fait l'objet d'un consensus : nous souhaitons la maintenir. Le Gouvernement partage la position exprimée par la commission des affaires sociales : la directive devrait fixer des principes généraux et laisser les États libres d'opter ou non pour un repos prénatal, et de déterminer sa durée. (M. Hubert Haenel approuve)
Les situations sont très diverses dans le cas des naissances dites atypiques. En cas de naissance de jumeaux ou de triplés, d'accouchement prématuré ou tardif, ou encore d'hospitalisation du nouveau-né, la durée du congé maternité est augmentée.
La naissance d'un enfant handicapé n'a pas d'incidence sur la durée du congé de maternité. Mais des allocations spécifiques peuvent être accordées par la caisse d'allocations familiales : l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé destinée à compenser les frais d'éducation et de soins, qui concernait 150 000 allocataires le 1er mars 2009 ; et l'allocation journalière de présence parentale octroyée lorsque l'enfant handicapé, gravement malade ou accidenté, a impérativement besoin que l'un de ses parents reste auprès de lui, qui concernait à la même date 4 500 allocataires.
Vous réflexions au sujet de l'aménagement de la charge de la preuve ont retenu mon attention. Dans le droit commun, le plaignant doit établir les faits allégués. Dans les affaires de discrimination, le droit européen et national dispose que le salarié peut présenter au juge les éléments laissant supposer qu'il en a été victime ; c'est à l'employeur de prouver que sa décision était justifiée. Il s'agit là d'un aménagement et non d'un renversement de la charge de la preuve, qui existe d'ores et déjà dans le droit du travail.
Le Gouvernement souhaite que soient aménagés des dispositifs fondés sur le principe de libre choix et favorisant le retour à l'activité des femmes. Le congé de maternité se traduit parfois par une rupture dans le parcours professionnel des femmes. Nous voulons favoriser un meilleur équilibre au sein de la famille pour aider les femmes dans leur carrière professionnelle. Je partage donc votre avis : il est important de mentionner le congé de paternité dans la directive, afin qu'il n'incombe pas aux seules femmes de résoudre le dilemme entre vie familiale et vie professionnelle.
Nous devons également poursuivre nos efforts pour développer et diversifier l'offre de gardes d'enfants : aujourd'hui, près d'une femme sur deux prend un congé parental faute d'avoir trouvé un mode d'accueil adapté. Le Président de la République m'a chargé de créer 200 000 places d'accueil supplémentaires d'ici à la fin du quinquennat ; nous nous sommes donné les moyens d'atteindre cet objectif.
La négociation va se poursuivre au sein du Conseil sous la présidence suédoise. Gardant à l'esprit la résolution du Sénat, le Gouvernement français s'efforcera d'aboutir à un texte équilibré, qui devra être adopté à la majorité qualifiée et en codécision avec le Parlement européen. Ce sujet qui me tient à coeur illustre de manière concrète la manière dont l'Europe peut améliorer les conditions de vie et de travail des citoyens européens. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)
Mme Gisèle Printz. - Le 3 octobre dernier, la Commission européenne a soumis au Conseil et au Parlement européens une proposition de directive où est enfin affirmé au niveau européen le principe de l'interdiction de licenciement des femmes enceintes tout comme le droit pour une femme enceinte de continuer à bénéficier des avantages accordés à ses collègues pendant son absence. Les femmes enceintes et celles qui viennent d'accoucher auront également la possibilité de demander une modification de leurs horaires et rythmes de travail, mais il faudra veiller à ce que cette disposition englobe le travail de nuit pour que ces femmes puissent être affectées à un poste de jour sans diminution de salaire.
Cependant ce texte manque cruellement d'ambition sur d'autres points. En ce qui concerne le congé de maternité, une durée minimale de dix-huit semaines peut constituer un progrès dans certains pays, mais l'OIT recommande vingt semaines, l'OMS et l'Unicef vingt-quatre. Les États-membres pourront déterminer les critères d'éligibilité au congé maternité, mais s'ils sont trop restrictifs ils limiteront le champ des bénéficiaires et la mobilité des travailleurs. En outre, la directive invite mais n'oblige pas à verser aux femmes pendant leur congé une rémunération égale à leur salaire : ce principe risque donc de rester lettre morte dans certains pays. En autorisant les États à rémunérer le congé de maternité au même niveau que le congé maladie, la directive assimile une femme enceinte à une femme malade : cette ambiguïté doit être levée.
La directive fait l'impasse sur le rôle des pères. Certains pays sont à cet égard exemplaires : en Suède les couples peuvent partager seize mois de congé de parenté. Ne pensez vous pas que l'Union européenne devrait proposer un dispositif semblable afin d'encourager le partage des rôles dans l'éducation des enfants ? Il est également regrettable que le texte ne comporte aucune mesure en faveur des femmes exerçant des professions non salariées -chefs d'entreprise, artisans- qui sont trop souvent contraintes de reprendre prématurément leur travail.
Bref, cette proposition de directive n'apporte aucune avancée significative aux femmes françaises. S'agissant du congé prénatal, elle constitue même une régression : d'après l'exposé des motifs, les États-membres n'auront plus la possibilité d'imposer ce congé aux femmes enceintes. Quelle est la position du Gouvernement français sur ce point ? Quelles améliorations compte-t-il suggérer pour que cette directive ne soit pas qu'une action a minima ?
M. Guy Fischer. - Je ne reviendrai pas sur les critiques formulées par le groupe CRC-SPG au sujet de cette proposition de directive, au demeurant très proches des objections avancées par la résolution européenne adoptée par le Sénat le 15 juin dernier, à laquelle Mme David a beaucoup contribué.
Cette proposition de directive a fait naître de grands espoirs : pour la première fois depuis 1992, un texte européen allait enfin revenir sur les règles relatives au congé de maternité et porter partout en Europe ce congé de quatorze à dix-huit semaines, les États-membres demeurant libres d'imposer une période plus longue. Mais le Parti populaire européen, où siègent les eurodéputés de la majorité, a repoussé à plus tard l'examen de cette directive. Les femmes de France et d'Europe pourront attendre.
L'Organisation internationale du travail, constatant que le nombre de grossesses à risques ne cessait de croître, avait pourtant recommandé d'allonger la durée minimale du congé de maternité. Ma question est simple : qu'entendez-vous faire pour que le Parlement européen puisse se prononcer rapidement sur ce projet de directive ? Le Gouvernement s'engage-t-il à intervenir auprès de la Commission et des eurodéputés de la majorité pour le faire adopter ?
M. Michel Magras. - Je me félicite de la décision du Sénat de tenir aujourd'hui ce débat : elle confirme le rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel communautaire.
Nous devons souligner ce qui est positif et améliorer ce qui est perfectible : c'est le rôle de la commission des affaires européennes et des commissions saisies au fond. (M. Hubert Haenel le confirme) L'allongement du congé de maternité et le droit accordé aux femmes enceintes de demander la modification de leurs horaires de travail constituent des avancées.
Mais l'interdiction faite aux États, contrairement au principe de subsidiarité, de définir eux-mêmes les modalités du congé de maternité est regrettable, de même que le silence du texte sur le congé de paternité. Votre réponse, madame la ministre, a levé certaines ambiguïtés.
Cependant je souhaite que nous allions plus loin dans notre réflexion sur la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle en résolvant le problème urgent de la garde des enfants. Je vous sais particulièrement attentive à ce sujet, madame la ministre, et j'approuve la création de jardins d'éveil. Où en est aujourd'hui ce projet, et quelles mesures comptez-vous prendre pour venir en aide aux familles ?
Mme Annie David, au nom de la commission des affaires sociales - Madame la ministre, nous sommes d'accord : je propose non pas de renverser la charge de la preuve, mais de l'aménager. De tels aménagements existent déjà en droit français. La directive comporte à cet égard une ambiguïté qu'il faut lever.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. - Je tiens tout d'abord à dire mon attachement au congé pathologique de deux semaines, qui s'ajoute au congé maternité.
Madame Printz, l'article 12 de la directive de 1992 dispose déjà que les femmes enceintes ne sont pas tenues de travailler de nuit. Un amendement à l'article 11 de cette directive et la législation française garantissent l'égalité des rémunérations pendant le congé de maternité.
Monsieur Fischer, vous m'avez demandé d'agir pour que le Parlement puisse examiner rapidement ce projet de directive. Malheureusement je ne suis pas maîtresse de l'ordre du jour du Parlement européen. Je rappelle toutefois que les ministres de la famille de l'Union européenne se sont réunis à mon initiative le 18 septembre dernier, sous la présidence française, pour parler de la démographie, des gardes d'enfants, de la protection des mineurs sur internet et d'autres sujets. La République tchèque a accepté de poursuivre ce travail sous sa présidence, ainsi que la Suède. Lors de notre prochaine réunion, je proposerai donc que l'examen de cette directive soit bientôt inscrit à l'ordre du jour du Parlement européen, même s'il est difficile d'intervenir.
S'agissant de la présomption d'innocence, l'idée est de protéger la victime, sans faire peser de charge excessive sur l'employeur. La rédaction est peut-être ambiguë, mais l'idée est la même.
Monsieur Magras, la France est un exemple en matière de diversification des modes de garde. J'ai récemment reçu mon homologue allemande, Ursula von der Leyen, ainsi que la ministre polonaise, qui souhaitait s'informer sur les assistantes maternelles. La France est une référence ! Nous nous sommes engagés à créer 200 000 offres de garde supplémentaires ; l'État finance cet engagement à hauteur d'1,3 milliard dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion. Preuve de tout l'intérêt d'une politique familiale dynamique et ambitieuse, la France a vu la naissance de 834 000 bébés l'an dernier ! (Sourires admiratifs)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Merci aux intervenants, ainsi qu'à Mme la ministre, qui a dit avoir toujours à l'esprit le travail du Sénat. Monsieur Fischer, le débat ne s'arrête pas aujourd'hui. La commission des affaires européennes veille au grain !
M. Guy Fischer. - Il y a intérêt !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. - Il y a du nouveau, nous travaillons autrement ! Ce sont tous les parlementaires européens, de toutes tendances, qui sont réunis, pas uniquement le PPE ! (M. Guy Fischer approuve)